Champ, contre-champ et hors-champ de la capture.
Olivier AïmCet article examine l’intersection entre la surveillance numérique et l’archivage photographique. Il argue que la surveillance moderne, intégrée dans les domaines médiatiques et politiques, trouve ses racines dans la reproductibilité photographique. L’étude montre comment la surveillance actuelle est vécue à travers des actes de capture et de contre-capture, tels que les captures d’écran. Bien que la relation entre surveillance et photographie soit évidente, cette dernière est sous-représentée dans les études sur la surveillance. L’article critique Michel Foucault pour avoir ignoré le rôle des médias, et souligne la nécessité de réconcilier surveillance et spectacle à l’ère numérique. L’auteur suggère que les origines photographiques de la surveillance résident dans les pratiques historiques de capture et de filature, qui ont évolué en méthodologies médico-légales. Il examine aussi l’importance culturelle contemporaine des captures d’écran, symbolisant l’acte de documenter les réalités numériques. L’article plaide pour une révision des études sur la surveillance afin d’inclure les dimensions culturelles et sémiotiques des pratiques médiatiques, affirmant que la surveillance est autant culturelle et expressive que technologique et disciplinaire.
Le journalisme professionnel traverse un paradoxe à l’ère numérique, marqué par la « collution » – un concept combinant collusion socio-économique et dilution éditoriale. Cette situation découle du bouleversement numérique, où les acteurs non professionnels contestent l’autorité historique des journalistes. La prolifération de contenus numériques de qualité variable dilue les productions journalistiques, provoquant une crise d’information qui renforce les modèles de dépendance journalistique. Les géants technologiques, grâce à des plateformes dominantes, ont transformé le paysage médiatique en spoliant les revenus publicitaires des médias traditionnels tout en manipulant les sources d’information. Les réseaux sociaux, moteurs de recherche et autres plateformes numériques influencent désormais l’agenda éditorial, obligeant les journalistes à s’adapter aux nouvelles règles du jeu pour capter l’attention du public. L’intelligence artificielle et les contenus artificiels exacerbent ce phénomène, entraînant une collision entre journalisme traditionnel et médiactivisme numérique. Les acteurs non professionnels créent du contenu sans les normes journalistiques habituelles, rendant la recherche d’une information fiable plus complexe. Face à ces transformations, il devient essentiel d’examiner les conséquences sociologiques de ces outils numériques sur les conditions démocratiques du journalisme, tout en recherchant des solutions pour sortir de cette dépendance numérique.
L’objectif de ce working paper est de donner un premier aperçu des réponses au paradoxe qu’on a pointé : les humanitaires - acteurs engagés dans la protection de victimes de crises - sont en train d’adopter des outils numériques qui mettent potentiellement en danger ces dernières. Eux-mêmes en sont – dans une certaine mesure - conscients. Il semble que ce paradoxe soit en partie dû à des tensions propres à l’humanitaire, entre régime d’exception et approches par le droit (« rights based approach »). Il dit aussi beaucoup de choses sur la façon dont les acteurs de la solidarité internationale perçoivent le numérique. Les NTIC sont d’abord considérées comme des outils d’émancipation et sont investies de valeurs positives et d’espoirs. Mais dans le même temps, le processus de numérisation est en partie contraint. Cette dernière est en effet en partie impulsée par les bailleurs de fonds, pour lesquels le numérique apparait comme un outil de redevabilité efficace, et ce malgré les risques qu’il cause.
Pour tenter de rendre compte des mesures qu’adoptèrent les autorités françaises (pouvoirs politiques et militaires) vis-à-vis des Tsiganes pendant la Grande Guerre et de la façon dont ceux-ci réagirent, il convient d’introduire une distinction à propos des situations auxquelles furent confrontés, au sein des communautés tsiganes, trois « groupes » désignés administrativement sous les termes suivants : les nomades français, les nomades étrangers et les Alsaciens-Lorrains romanichels. En ce qui concerne les Tsiganes français qui pratiquent le nomadisme et sont soumis à une surveillance rigoureuse depuis la loi de 1912, les pouvoirs publics limitent leur circulation ou comme dans le département de Maine-et-Loire les assignent à résidence, alors que les hommes en âge d’être mobilisés, au même titre que les Tsiganes sédentaires, combattent sur le front. Les Tsiganes étrangers de leur côté cessent de voyager ou tentent de quitter le territoire français ; d’autres, en nombre restreint, ressortissants des pays ennemis, sont dirigés vers les camps de civils austro-allemands et hongrois. Les Romanichels alsaciens-lorrains quant à eux aboutissent dans des camps de l’Ouest et du Sud-Est de la France, avant que certaines de ces familles ne soient regroupées au dépôt drômois de Crest, jusqu’en juillet 1919.
Mots-clés : Tsiganes, Nomades, Alsaciens-Lorrains romanichels, Pouvoirs publics, Grande Guerre, France.
Lors du bal donné dimanche soir 22 septembre 1895 place du Capitole à Toulouse au profit des malades et blessés de l’expédition de Madagascar, une rixe se produit entre un maçon - dont l’œil gauche est crevé - et le jeune gitan Rabé. Le lendemain, alors que celui-ci a fui la ville, débutent des manifestations organisées par les jeunes gens de Saint-Michel contre la population gitane du quartier Saint-Cyprien, qui se poursuivront jusqu’à l’émeute du 25 septembre (et au-delà), au cours de laquelle des maisons sont saccagées, malgré les mesures d’ordre prises par la police. Il y a de nombreux blessés parmi les cavaliers, les gendarmes et les gardes. On se propose d’examiner d’abord l’enchaînement des faits, puis les commentaires parus dans la presse et l’attitude adoptée par les pouvoirs publics municipaux, avant d’évoquer les deux procès relatifs à « l’affaire des Gitanos », bien que ces différents niveaux de réalité, socioculturelle, discursive, politique et idéologique, judiciaire, soient étroitement liés.
2012 marque les cinquante ans de la libération/indépendance de l’Algérie du joug français. 2012 est aussi l’année de mise en oeuvre des nouveaux programmes de 3ème en France. Cinquante ans après la fin de la guerre d’Algérie et l’accession de l’Algérie à l’indépendance, comment cette période de la colonisation française en Algérie et la guerre de décolonisation qui y a mis fin est-elle enseignée aux élèves de collège ? Qu’en disent les manuels scolaires d’histoire ?
Être sans papiers aujourd’hui en Europe implique non seulement de vivre dans une grande précarité matérielle, mais également d’être privé de toute reconnaissance sociale. Cette reconnaissance est pourtant indispensable afin de pouvoir développer et maintenir une identité positive, et donc une estime de soi satisfaisante. Dans cet article, nous examinons en quoi l’implication active de certains sans-papiers dans des actions collectives – en l’occurrence, des occupations d’églises à Bruxelles – peut contribuer à leur permettre de faire face à ces atteintes identitaires. Nous rendons compte d’entretiens menés auprès de personnes sans-papiers afin d’illustrer la pertinence d’une approche des mouvements des sans-papiers en tant que lutte pour la reconnaissance (Honneth, 2002) et que stratégies collectives visant à faire face à une identité sociale négative (Tajfel et Turner, 1986). Il en ressort que ces actions collectives ont aidé les personnes impliquées à recouvrer une image positive d’elles-mêmes grâce, d’une part, à l’établissement de liens sociaux entre les sans-papiers et, d’autre part, grâce à la reconnaissance sociale dont ce groupe a pu bénéficier de la part de citoyens de la société belge.
Mondialisation de l’économie et suppression des distances spatio-temporelles ne sont pas systématiquement synonymes de cohésion et de proximité. Face aux flux en tout genre qui circulent intensément autour de la planète, les états ne paraissent dorénavant guère en mesure de protéger leurs ressortissants. Les angoisses qui se généralisent chez les citoyens fournissent un terreau propice aux discours politiques sécuritaires qui cultivent les attributs de la xénophobie. On met de la distance là où il y a de la proximité en exaltant les vertus de la séparation, du replis sur soi, de la mise à l’écart et de l’enfermement de l’autre. C’est dans cette perspective que nous abordons le Calaisis. Situé sur un des détroits les plus fréquentés au monde, ce territoire est à la fois zone de contact et de rupture. On y trouve tous les ingrédients des séparations qui cloisonnent en tous sens le monde d’aujourd’hui. On s’y met en scène, on y cultive le chiffre, on y justifie les politiques répressives d’immigration. Au pied d’un mur qui ne dit pas son nom, un mur euphémisé, ces pratiques ne sont pas sans redoutables contreparties pour les migrants. Dans notre étude, nous proposons d’abord au lecteur une approche générale et théorique sur la notion de mur puis nous présentons successivement les éléments de séparation et d’enfermement présents en Calaisis.
La migration des lesbiennes a été très peu étudiée jusqu’à présent en France : c’est fort regrettable car elle permet de mieux comprendre les mobilités féminines dans leur ensemble, en éclairant les logiques classiques protégées par l’Etat de l’hétéro-circulation des femmes, et les transformations du nationalisme qui les réorganisent dans le cadre de la mondialisation néolibérale. Un bref retour sur l’histoire récente permettra de mieux saisir certains enjeux, en particulier entre les lesbiennes migrantes et autochtones. Ainsi, dans cet article, après avoir précisé la catégorie un peu fuyante de lesbienne, j’essaierai de montrer que leur « hyper-mobilité » constitutive éclaire d’un jour nouveau « l’hétéro-circulation » de l’ensemble des femmes. Je proposerai ensuite une analyse des pratiques migratoires de l’Etat français actuel, qui restreignent drastiquement la mobilité des lesbiennes, qui leur est pourtant encore plus vitale peut-être qu’aux autres femmes, en tout cas à situation de classe et de « race » comparable. Enfin, j’examinerai les risques qui existent à revendiquer l’extension du mariage aux lesbiennes tout comme un statut automatique de réfugiées : on verra que le concept « d’homonationalisme » de Jasbir Puar pourrait bien s’appliquer à une France que le néolibéralisme n’en finit pas de droitiser.
Est-il possible de rassembler dans la même perspective théorique et méthodologique, d’un côté, l’analyse du discours centrée autour de la production, de la diffusion et de la circulation d’un ensemble anonyme et impersonnel d’énoncés et, de l’autre, un point de vue qui porte sur des auteurs et des processus de subjectivation à la fois éthiques et politiques qui concernent les pratiques d’écriture ? À partir de celui qui semble le plus grand paradoxe de l’œuvre de Edward Saïd, notamment dans son texte le plus important, c’est-à-dire Orientalisme, j’ai cherché à montrer comment depuis Beginnings ce paradoxe relève du rapport entre pouvoir et narration historique. Par ces questions j’ai essayé de reconstruire le rôle fondamental joué par la notion de « carrière » en tant qu’ensemble d’oppositions « technoéthiques » qui passent par les différentes subjectivités impliquées dans les ré-énonciations successives du discours. Loin de conduire à la dissolution des régularités discursives par une subjectivité quelconque, cette notion, selon Saïd, rend compte d’une perspective de recherche singulière visant à historiciser les moments où le discours rencontre les différentes subjectivités qui en permettent la réactualisation. Même depuis Orientalisme, lorsque la question de la résistance devient capitale, les références à la subjectivité éthique et politique continuent à traverser, par ses « lectures en contrepoint », les diverses narrations de l’impérialisme et de la décolonisation. Le thème de la carrière est décliné enfin par les pratiqués connexes de « réception » et de « résistance » qui tracent ainsi le profil d’un humanisme en mesure de relever les défis et les besoins d’un présent toujours en lutte.
Quelles sont les raisons qui ont conduit nos dirigeants à (re)-construire l’identité nationale comme un problème politique, relevant explicitement de l’action des autorités publiques ? Quel contenu le gouvernement actuel donne-t-il à cette identité, et comment peut-on l’interpréter ? Sa définition a-t-elle évolué à l’épreuve des faits, entre la campagne présidentielle et la mise en place de l’institution dédiée à sa célébration ? Cet article se propose d’esquisser quelques réponses à ces questions, en s’efforçant de décoder le discours de ceux qui nous gouvernent. On reviendra tout d’abord sur le message délivré par Nicolas Sarkozy au cours de sa campagne présidentielle : bien que les débats électoraux de 2007 aient pris avec le temps un caractère suranné et que plusieurs ouvrages aient déjà été publiés à ce sujet , un retour en arrière semble inévitable pour saisir à la fois l’origine, les sources d’inspiration et les transformations du discours officiel. Mais à partir de là, on examinera également les principales communications du premier ministre de l’Identité nationale, afin de confronter ses propres définitions avec celles de son Président.
Le passeur, c’est le méchant idéal. C’est une figure que l’on retrouve sous diverses formes dans des discours de droite et des récits de gauche sur l’immigration, dans des documents de politique publique, des déclarations d’associations voire même des pièces de théâtre. Le passeur est donc le méchant idéal mais pas le coupable idéal en matière de migration. Le succès du « business » de la migration ou encore des « migration merchants » doit être compris en relation avec l’évolution du droit d’asile, des systèmes de contrôle aux frontières tout en prenant en compte la situation politique et économique dans les pays d’origine, de transit ou de destination. Après un bref rappel de l’émergence d’un droit international et européen sur le trafic et la traite au début des années 2000, nous développerons quelques pistes de réflexion, notamment : le lien entre la politique de contrôle aux frontières et le développement du trafic l’hypocrisie de la lutte contre la traite qui ne protègent pas les victimes comme les prostituées ou les mineurs étrangers , sans les protéger comme victimes les moyens, l’absence de moyens pour lutter contre le trafic et leur concentration pour appréhender les étrangers en situation irrégulière et criminaliser ceux qui les aident, phénomène amplifié par l’obsession des quotas d’expulsion après 2003 qui diminue moyens humains et financiers affectés au trafic.
L’Asie du Sud est une région caractérisée par une multitude de conflits sociaux qui soulèvent de nombreuses questions liées aux droits de l’homme. Un des problèmes majeurs du sous-continent est le trafic d’êtres humains, défini à l’article 3a du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000), additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». L’élément de recours à la force ou à d’autres formes de contrainte et d’abus indique le caractère involontaire du mouvement et le distingue par rapport à d’autres mouvements de personnes que les États pourraient qualifier d’illégaux, mais dans le cadre desquels les personnes concernées sont conscientes des conditions générales de leur mouvement et y consentent.
Cet article tiré de recherches plus larges sur l’ethnocentrisme dans les programmes et les manuels scolaires, a initialement été rédigé pour contribution aux travaux de l’Observ.i.x mais n’ai pu être rendu à temps pour rejoindre le numéro 4 de la revue Asylon(s)notamment sa troisième partie du numéro. L’étude porte sur les manuels d’histoire-géographie de 4ème et de 3ème, publiés entre 2002 et 2004 et mettant en application les programmes fixés pour le cycle central (5ème- 4ème) par l’arrêté du 10 janvier 1997 et pour la classe de 3ème par l’arrêté du 30 septembre 1998. Elle concerne la manière dont l’histoire des « grandes découvertes », des colonisations et des décolonisations est exposée dans les manuels. Il ressort de ces recherches que les manuels d’histoire de collège présentent une histoire événementielle partielle et partiale.
Violences et protestations dans les centres de rétention administrative français en 2008.
Marc BernardotLa récente révolte des retenus contre leur privation de liberté, leurs conditions de détention et d’arrestation et leur possible déportation n’est pas un événement inédit et propre à la France. D’autres l’ont précédées - en Belgique, en Australie pour les cas les plus récents -, suite à la généralisation de l’application de la mise à l’écart pour des populations catégorisées comme en surnombre dans la plupart des pays occidentaux qui enferment les étrangers à leur arrivée ou pour les déporter. Pour prendre la mesure de ce que révèlent sur la radicalisation xéno-raciale de l’Etat les mouvements de refus de ce nouvel ordre politique et policier, j’aborderai ce qui apparaît comme un devoir de violence qui s’impose aux forces de l’ordre dans et au-delà des centres. J’évoquerai ensuite les formes de protestation des retenus et de leurs soutiens dont l’impuissance pousse au durcissement des modes d’action, faute de pouvoir globaliser la lutte et de lui donner toute sa dimension politique.
Cette contribution propose de décrypter la progression d’un phénomène repéré de longue date, mais qui s’accentue dans des formes inédites. La réinvention des classes dangereuses (diabolisation des jeunes dits de banlieue, stigmatisation de la figure de l’étranger, pénalisation de la misère, jusqu’à la récente transformation de certaines formes d’hospitalité en délit…) s’accompagne d’une volonté de domination par la langue. La prolifération de termes pseudo-techniques (« techno-langue ») accélère la mise au pas sous le maître-mot de l’évaluation et de l’accréditation par un guichet unique sous la houlette des experts. Il n’est plus question en divers lieux que de programme à appliquer. Nous y voyons une volonté d’extermination de la langue au profit de la sacro-sainte communication. Pour fascinante qu’elle soit, cette entreprise peut aussi être lue comme une volonté d’arraisonner la langue, par le déni du défaut des langues. Or ce défaut est constitutif de la langue même. Si cette défaillance tient à la pluralité, on comprend que le projet soit de fabriquer une langue unique. Il s’agit aussi de voir comment la figure de l’étranger se trouve associée, et même confondue à celle de l’ennemi, alors que l’ennemi intérieur est nié. La violence économique poursuit le même but : effacer le nom de l’autre. Si la barbarie est bien inscrite au coeur même de l’humain, c’est dans l’ouverture à l’événement, à ce qui peut arriver, et nous surprendre, que s’expriment nos capacités de révolte, de résistance créative.
Face aux discours cherchant à stigmatiser l’étranger, à le présenter comme un danger sinon un problème, le Réseau Education Sans Frontières (RESF) construit à double titre une critique plus radicale qu’elle pourrait paraître au premier abord. Le RESF remet en cause les représentations et les perceptions xénophobes de l’altérité par le biais de son entrée tout à fait spécifique sur ce sujet : les enfants scolarisés et leurs familles sans-papiers. Nous montrerons tout d’abord comment cette entrée ne lui permet pas simplement de sensibiliser, du point de vue humanitaire, à sa cause. Elle lui permet surtout de faire découvrir l’autre comme victime exploitée, dépendante, opprimée. Ensuite, le RESF construit cette critique de la xénophobie en utilisant un mode d’organisation tout à fait original : la structure en réseau. Nous montrerons comment celle-ci lui permet d’élaborer une critique sociale là où les organisations traditionnelles n’y parviennent plus.
De l’usage et de la traduction de notions éponges en sciences de l’homme et de la vie.
Hélène ThomasLes termes de vulnerability [vulnerabilité], frailty and fragility [fragilité] et precariousness ou precarity [precarity] issus du vocabulaire courant et massivement employés par les experts des catastrophes naturelles et de la question du développement durable depuis la fin des années 1970 sont désormais devenus des concepts théoriques centraux des sciences sociales du monde francophone et dans le même temps des sciences de la Vie articulés à celui de resilience. L’objet de cet article est d’envisager les enjeux scientifiques et politiques de ces traductions et de ces circulations apparemment parallèles au service d’une nouvelle géno-politique centrée sur le modèle d’entendement darwinien de l’adaptation et d’un nouveau modèle politique de contrôle des pauvres et des sans pouvoir.
Retour sur la participation ou la non participation des « jeunes de banlieue » aux émeutes de l’automne 2005
Sarah MazouzCommunication au Congrès de l’AFPS, Atelier n°14 "Les enjeux politiques des émeutes urbaines", à partir d’une recherche de doctorat en sciences sociales sur "La discrimination raciale en question. De la sociologie des politiques publiques à l’anthropologe des pratiques sociales." à l’EHESS-IRIS. Le matériau ethnographique présenté dans cette communication semble , à ce stade de l’enquête de terrain, mettre évidence une complexification des rapports de classe à l’aune des rapports de race alors que les rapports de genre introduisent une forme de diversification dans la manière qu’ont ces enquêté-e-s de penser leur rapport à ce mouvement.
Origines et trajectoires du label "déplacé interne"
Cécile DubernetEstimés à environ 23 millions dans le monde, les réfugiés de l’intérieur (IDPs en anglais) sont aujourd’hui connus des personnels diplomatiques, des travailleurs humanitaires comme des forces armées, ou des journalistes. Outre une définition et des principes d’action, les agences onusiennes et leurs partenaires ONGs se sont dotées, depuis une dizaine d’années, de standards humanitaires de plus en plus codifiés. Mais malgré le développement de ces normes et de ces outils opérationnels, la communauté internationale s’est montrée incapable d’une réaction efficace lors de la crise du Darfour en 2003. Dans un contexte de réforme permanente du fonctionnement de la machine humanitaire onusienne, cet article repart aux sources. Il met en évidence la double origine du concept même de ’déplace interne,’ forgé initialement sur le terrain, puis formalisé, normalisé, dans les cercles onusiens. Il explore ensuite les conséquences des origines géopolitiques de ce label, notamment pour la dernière réforme en date. L’article se conclut par une mise en garde sur la nature technique et clinique de l’approche modulaire.
de l’enrôlement dans les politiques publiques à l’affaiblissement des mobilisations de soutien aux exilés.
Jérôme ValluyLa présente étude, inscrite dans le cadre d’une recherche plus large sur l’évolution historique des rapports de forces dans le secteur des politiques de l’asile et des migrations, met en évidence, comme facteur d’affaiblissement des soutiens aux exilés, l’enrôlement progressif d’associations de solidarité dans des dispositifs de politiques publiques. La gestion des centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) conduit les travailleurs sociaux à intérioriser les modes de raisonnement d’administrations et de juridictions aujourd’hui orientées vers le rejet massif des demandes d’asile. Or la professionnalisation de ces associations a entraîné une multiplication des CADA et une croissance des effectifs salariés, transformant les associations concernées en organisations à la fois la puissantes dans le secteur, bureaucratisées dans leur fonctionnement et financièrement dépendantes des autorités publiques. Ces organisations pèsent en retour sur le champ des mobilisations sociales de soutiens aux exilés en y défendant les logiques étatiques et en clivant le milieu des solidarités, affaiblissant de ces deux manières sa capacité à résister contre des politiques dont les finalités antimigratoires se sont par ailleurs radicalisées.
Eléments d’analyse du dispositif contemporain de rétention administrative pour les étrangers en instance d’éloignement du territoire.
Nicolas FischerExistant officiellement en France depuis 1981, les centres de rétention administrative dévolus à l’enfermement des étrangers en instance d’éloignement du territoire constituent une institution déjà ancienne, située à l’intersection d’une double logique de mise à l’écart. Elle est à replacer en premier lieu dans la tradition des camps utilisés de longue date en France pour la gestion des migrants, et depuis les années 1930 pour l’internement des étrangers jugés « indésirables » sur le territoire. Comme eux, les « CRA » visent à permettre depuis 26 ans la mise en œuvre concrète des politiques de contrôle et de répression des flux migratoires, leur objectif officiel étant de maintenir les « retenus » sous surveillance pour le temps « strictement nécessaire » à l’organisation de leur départ forcé, et de garantir ainsi « l’effectivité des mesures d’éloignement ». Sur une durée plus courte, la rétention administrative s’est progressivement insérée dans l’ensemble plus vaste formé par les camps d’étrangers qui quadrillent aujourd’hui le territoire de l’Union Européenne et son pourtour, y assurant la mise à l’écart différenciée et complémentaire des migrants.
Dans les centres d’accueil, l’évaluation morale des demandeurs d’asile se pose à un double niveau. D’une part, un doute pèse souvent sur la vérité de l’histoire du demandeur d’asile étant soumis alors à une épreuve de crédibilité. D’autre part, ils sont jugés en fonction des attitudes quotidiennes qu’ils adoptent vis-à-vis des intervenants et des autres résidents. A partir d’un corpus ethnographique recueilli dans deux centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), cet article propose d’explorer les représentations construites par les intervenants sociaux et d’en dégager les figures anthropologiques du demandeur d’asile qui opèrent au quotidien.
En nous situant tour à tour de l’intérieur puis de l’extérieur d’un site de réfugié, et en travaillant à l’échelle des cercles élargis de parenté, nous avons identifié au moins trois filières migratoires qui se sont constituées à partir des sites de réfugiés. Elles ont permis aux Mauritaniens de se reconstruire sans dépendre de la seule assistance humanitaire, en contournant les contraintes liées à l’ambivalence de leur statut de réfugié.
Je propose d’effectuer ici un premier examen des projets mis en place au Soudan pour lutter contre l’excision et d’en identifier les acteurs puis de confronter les programmes à la réalité du terrain, à travers l’exemple de la « zone squattée » de Shikan, située au nord de Khartoum. Ce faisant, je me poserai les questions suivantes : Comment la société civile, à savoir les ONG locales et étrangères, envisage-elle la lutte ? Comment aborde-elle la question de l’excision ? Quelles méthodes et quels moyens utilise-elle pour lutter contre cette pratique ?
Depuis le début de l’intervention soviétique en décembre 1979, la population afghane au pays ou en exil au Pakistan et en Iran a vécu dans une situation de guerre tout à tour ouverte et larvée. Contrairement à leurs attentes, la chute des Talibans et l’intervention américaine n’ont pas apporté une amélioration en profondeur des conditions de vie en Afghanistan, en particulier en dehors de Kaboul. Un des phénomènes les plus dramatiques est constitué par l’importante vague suicides de jeunes filles réfugiées de milieu rural revenant en Afghanistan, en particulier de l’Iran.
Cet article remet en question les politiques de « protection internationale » pour personnes déplacées développées depuis la fin de la guerre froide. Il suggère que cette protection est conçue pour contenir des populations en fuite au sein de pays ravagés par la guerre. Cette « protection » peut donc coexister avec certaines formes de violence envers les déplacés. Malgré cela, la rhétorique humanitaire des Nations unies reste centrée sur les besoins des déplacés. L’impact des objectifs migratoires de ces politiques humanitaires demeure donc inexploré. De plus, les discours sur la vulnérabilité des déplacés cachent le fait que la communauté internationale cherche à se protéger d’exodes chaotiques. Néanmoins, rejeter le concept de protection internationale comme étant hypocrite n’aide ni à l’analyse, ni à la réforme. En revanche, explorer l’interface entre l’humanitaire et le sécuritaire peut aider à comprendre comment certains espaces se transforment en pièges et, peut-être, comment éviter d’en arriver là. Une telle optique requiert, entre autres, de mettre l’accent sur les zones frontalières et leurs dysfonctionnements. Il n’est pas surprenant que certaines d’entres elles soient déjà l’objet de beaucoup d’attention internationale. D’après Cynthia Enloe, l’écrivain féministe, pour comprendre les institutions il faut se pencher sur ce dont elles ont peur. Dans cet article, l’auteur espère avoir identifié certaines peurs à la source de l’ingérence humanitaire actuelle ainsi que d’avoir illustré certains de leur impact.
Communication au VIIe Congrès de l’AFSP, atelier Groupes d’intérêt et recours au droit, Lille, septembre 2002. L’objet de la présente communication — dont on tient à souligner le caractère encore partiel et inachevé — est précisément d’aborder les relations entre action collective et pratique juridique à partir de l’étude d’un mouvement particulier, le mouvement contre la double peine.
Nous amorçons, dans cet article, une socio-histoire des modes de résidence forcés et logements contraints pour les populations indésirables en France durant le XXe siècle. A partir d’un corpus de lieux de mise à l’écart résidentiels et du croisement comparatif de monographies de cantonnements, foyers et centres d’accueil ou d’internement, trois pistes sont explorées : Quelles sont les configurations spatiales et résidentielles des lieux dédiés à l’accueil des populations déplacées ou retenues ? Existe-t-il une culture professionnelle et des cadres cognitifs propres aux agents qui gèrent ces espaces résidentiels d’exception ? Quelles sont les populations concernées de la Première guerre mondiale à nos jours par ces modes de logement atypiques ? Nous en concluons que le recours au logement contraint est une constante des politiques de contrôle des réfugiés, travailleurs forcés et migrants depuis le début du XXe siècle en France. Cette action s’est structurée autour des entreprises employeuses de main d’œuvre coloniale et du ministère de l’Intérieur (Sûreté nationale puis Police), et est restée disponible dans l’arsenal des politiques de contrôle et des politiques sociales.
Communication prononcée lors de la Rencontre TERRA du 29.01.04. Cette intervention se base sur les données recueillies lors d’un terrain de quatre mois en R.D.C., dans un des camps de réfugiés angolais situé dans le Bas-Congo, celui de Nkondo. Ce terrain a été effectué dans le cadre d’une thèse de doctorat en anthropologie. J’étais pour cette occasion accueillie par le H.C.R. qui avait accepté de faciliter logistiquement mon entrée dans les camps.