Sommaire
1 Fragilité et vulnérabilité dans le champ médico-psychologique : de l’adaptation négative à la résilience
1.2 Translation et articulation des notions de frailty et de frail elderly : de l’état au syndrome gériatrique
1.3 Vulnerability, coping, resilience : une diffusion internationale accélérée et une traduction simultanée dans les sciences du psychisme
1.4 L’adoption internationale du terme de résilience ou l’adaptation à tout prix
2 Les avatars de la traduction française des termes de vulnerability et frailty et l’invention de la précarité
2.1 Vulnérabilité sociale, et urbaine dans les sciences humaines anglo-saxonnes
2.2 Vulnérabilité, fragilité et précarité dans les sciences sociales françaises : des indicateurs statistiques aux concepts intraduisibles ?
2.3 Quand les précaires et les fragiles sont mobilisés par les sciences sociales françaises
3 Conclusion
4 Bibliographie et sources.
4.1 Fraity et vulnerability ( fragilité et vulnerabilité) en médecine et psychologie
4.2 Vulnérabilité humaine, sociale et urbaine : géographie
4.3 Vulnérabilité, précarité, insécurité expertise sociale
4.4 Vulnérabilité, précarité, insécurité, fragilité dans les sciences sociales
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Vulnérabilité, fragilité, résistance sont des termes issus du vocabulaire courant qui font immédiatement images dans le langage des sciences sociales comme en médecine. Ces clichés ont circulé depuis le XIXème siècle entre la langue de l’anatomie et de la physiologie et celles des humanités le plus souvent en association selon la métaphore suivante : la vie humaine ou le corps qui la symbolise dans son éphémère se brise tel un squelette selon la métaphore de la fracture sociale. Le corps social s’arrache ou se contusionne tel un muscle, ou un tissu suivant celle, dissociative, de la perte de la cohésion sociale. L’ordre social démocratique est alors perçu comme susceptible d’être atteint dans son intégrité, fragile. Il est également essentialisé comme vulnérable dans sa substance. Cette mise sous tension le testerait dans sa solidarité, lorsqu’il se distend mais ne rompt pas, tel un acier résistant ou résilient [1].
De même les substantifs, féminins eux aussi en français, de précarité et d’insécurité renvoient aux notions d’incertitude et d’instabilité du lendemain et sont utilisés par les sociologues français et les psychosociologues américains du sud et du nord, comme par les géographes anglo-saxons contemporains, en tant que synonymes de ceux de vulnérabilité et de fragilité. Eux non plus ne sont pas intemporels. La montée de leur popularité dans les langages savants peut être datée et leurs circuits de diffusion internationaux récents datés, en distinguant, les pionniers, recycleurs ces mots courants en concepts vintage, puis les diffuseurs qui les développent et les disséminent -souvent en circuits parallèles et qui s’ignorent- avec des acceptions un peu différentes. Ces mots-phores véhiculent des visions mécanistes (Canguilhem, 1989 : 102 et sq.) ou organicistes de la société, de conserve et de la même manière, dans les différents registres et disciplines où ils sont aujourd’hui mobilisés. C’est selon les mêmes temporalités qu’ils ont contaminé (Klemperer 1996), Outre-Atlantique d’abord et en Europe ensuite, les jargons experts, puis se sont répandus dans les lexiques savants. Le vocabulaire du management des risques stratégiques ou commerciaux est ainsi devenu la langue commune des savants des sciences de l’homme comme des sciences dites de la vie.
Cependant les impensés biologiques et les coulisses de ces mots voyageurs (et des métaphores mécanicistes et organicistes associées), concernant les rapports des individus à eux-mêmes et à la société ont changé de nature [2]. La vulnérabilité et son corrélat de facteurs de stress [stressors] et de risques [risks], la fragilité et ses marqueurs, la précarité et ses sous-bassements d’imprévisibilité et parfois d’imprévoyance semblent être devenues aux sciences médicales et humaines, dans toutes les langues, ce que fut l’éponge aux sciences de la nature, depuis Descartes jusqu’au premier XXème siècle, une manière de nommer en place d’analyser, un Denkmittel d’un nouvel empirisme naïf. En utilisant ces notions pour caractériser à la fois des états et des processus, ces théories à moyenne portée « les expriment et croient donc les expliquer, les reconnaissent et croient donc les connaître » (Bachelard, 1993 : 73).
La charge de l’image empirique et littéraire [3] associée à ces termes ordinaires qui sont brandis avec leur étymologie dissimule un embarras commun à différentes disciplines dans leur démarche scientifique [4]. Leur diffusion dans les sciences sociales contribue à ramener celles-ci sous l’égide d’une explication biologique, voire génétique, des comportements humains en passant par les approches dites écologiques, d’adaptation à l’environnement social, ou biographiques, d’analyse des trajectoires individuelles de ceux qui sont désignés par défaut comme en manques de ressources leur permettant d’échapper à une condition dominée. Ce modèle sociobiologique rénové qui a déjà conquis le champ des sciences de la vie se propage aussi dans celles de la société. Cependant l’enjeu central de la propagation contemporaine -massive pour ne pas dire virale- de ces notions floues et de leur conversion en des concepts indéfinis n’est pas plus théorique qu’il n’est uniquement savant. Il s’avère politique. Ils constituent les fondements d’une nouvelle doctrine du capitalisme génétique qui trouve son application dans les politiques publiques à destination des populations ainsi étiquetées (Sahlins, 1980 : 132).
Notre hypothèse est triple. Premièrement la circulation de ces mots prend une double forme : disciplinaire et géographique. Tantôt elle consiste en une simple translation (au double sens de déplacement et de traduction) comme pour la notion de vulnérabilité-fragilité dans les domaines médicaux et du psychisme. Dans ce cas ils passent d’une discipline à une autre et d’un continent à l’autre avec des définitions analogues. Tantôt elle s’apparente comme dans l’usage du triptyque vulnérabilité-fragilité-précarité des sciences sociales à une transposition voire à une réinvention à la française de notions anglo-saxonnes. Vulnérabilité, fragilité et précarité sont mobilisées dans leur usage expert et savant, pour d’une part décrire les formes et étalonner des degrés, et d’autre part pour expliquer des processus supposés sociaux de vulnérabilisation, de fragilisation et de précarisation bref promues comme concepts indispensables à l’empirie par les analystes du social, en dépit de leur caractère métaphorique et approximatif qui pour les définir reviennent à leur étymologie [5].
Deuxièmement ces termes intègrent chemin faisant au décours des usages technico-scientifiques qui en sont faits, des connotations essentialistes. L’entrée dans les lexiques experts et surtout scientifiques de ces notions-éponges a favorisé leur diffusion rapide dans les cercles scientifiques des démocraties contemporaines dans une acception néo-comportementaliste qui s’affirme avec leur articulation à celle de résilience dans tous les champs des sciences de la vie. Elles sont le véhicule d’un discours scientiste, héritier du behaviorisme et de l’éthologie des années 1950-1960, au service d’une technologie de la domination des corps et des psychés. Ce discours prône l’adaptation des hommes et des groupes aux aléas de leur « environnement » naturel et social suivant une idéologie socio-génétique néo-wilsonienne (Wilson, 1975) [6].
Troisièmement, et c’est là notre hypothèse centrale, les sciences de l’homme, invitées à s’articuler autour de la génétique humaine et de la biologie moléculaire pour analyser l’adaptation des conduites humaines aux changements (notamment climatiques dans une perspectives de développement durable (Fraser, 2003) semblent avoir répondu positivement à cette convocation à la consilience disciplinaire autour de ce néo-darwinisme social en recrudescence dans le champ des sciences de la vie (Wilson, 1998 ; Costanza, 2003) [7].
Nous laissons ici de côté deux domaines clés de l’import-export de ces termes : celui de la cybernétique et celui de la géostratégie [8] et les allers-retours transatlantiques en éthique et philosophie morale et sociale (Beck, 1984 ; Bauman, 2003 ; Ricoeur, 1990 ; Levinas, 1995 ; Butler, 2004). Car ces termes ont a aussi suscité l’intérêt des philosophes qui renouent avec une acception plus littéraire et chrétienne de la fragilité essentielle de l’existence humaine qui renvoie alors à la fois à la « perception de son existence et de la possibilité de sa non-existence » (Benasayag, 2004 ; Carrière, 2005) [9]. Nous analysons la translation du terme de vulnérabilité dans les sciences de la vie : en gériatrie, où il est central car il permet à la discipline de s’institutionnaliser [10], au moment même où s’opère le travail de colonisation linguistique du champ de la psy, qui a, en lien avec lui, connu une mutation sans précédent du psychologique vers le neuro-biologique(I). Puis nous envisageons successivement comment les concepts de vulnérabilité sociale et humaine et de fragilité des environnements et des hommes, ont voyagé de l’anglais des organisations internationales à celui des experts et au français des savants des sciences sociales et ont été réinventés(II) [11].
Fragilité et vulnérabilité dans le champ médico-psychologique : de l’adaptation négative à la résilience
Le terme de vulnérabilité [vulnerability] a percé, conjointement dans littérature psychiatrique, psychologique, pédiatrique et psychanalytique d’une part et gériatrique d’autre part sous son synonyme de fragilité [frailty, fragility, fragilization] au début des années 1970. Il a commencé à se diffuser à partir des années 1980 dans les articles en anglais, avec ses corrélats de résilience [resiliency] et [invincibility] puis s’est répandu massivement dans les années 1990, dans une traduction en français proche du sens originel. Il a été mobilisé non seulement par les médecins gériatres mais aussi et surtout par la psychologie développementaliste et comportementaliste (inspirée de l’éthologie), par certains courants psychanalytiques en France et par les historiens anglo-saxons sur la question des traumas selon des canaux séparés.
Translation et articulation des notions de frailty et de frail elderly : de l’état au syndrome gériatrique
Le substantifs frailty [fragilité, faiblesse, frêleté] et l’adjectif frail [dépendant, fragile, faible frêle], utilisé comme épithète dans l’expression frail elderly, apparaissent dans la littérature médicale gériatrique américaine et canadienne au milieu des années 1980 pour caractériser d’abord un « état physiologique » du sujet âgé mais aussi comme descripteur d’un « état social d’isolement » (Donaldson, 1980 : 124, Rubenstein et alii, 1984 : 166) [12]. La fragilité, « concept évolutif », ne constitue pas une « entité clinique bien définie » avec une « signification scientifique précise » (Speechly et Tinetti, 1991 : 47, Rockwood et alii, 1994). Cela rend difficile le repérage des personnes qui en sont affectées (Woodhouse et alii, 1988), et la détection les facteurs de risques de poly-pathologies qui la caractérisent et conduit les auteurs à parler de syndrome (Trivalle et alii 1999).
Les significations que les médecins ont donné au terme de fragilité sont « tirées du langage ordinaire : i.e. ce qui peut être brisé ou détruit facilement est susceptible de s’affaiblir ou mourir rapidement, sujet aux maladies ou aux infirmités ; manquant de force ou d’endurance ; délicat, anémié, fluet, menu ou frêle [weak, tenuous, thin, and slight] » (Walston et alii, 2007 : 993). Le choix initial du terme procède ainsi au d’une reprise du sens propre et imagé et renvoie d’une part à la fragilité des objets, des os, et … de la vie humaine… et résulte d’autre part d’une transposition du sens physiologique de « constitution » ou de santé fragile, de l’enfant chétif au vieillard usé [13]. Dans les années 1980 les auteurs anglo-saxons européens ainsi que les francophones en ont d’ailleurs fait une sorte d’épithète (équivalent du participe passé adjectivé français de dépendant) tiré quant à lui du vocabulaire des politiques sociales.
Dans les années 1980 la traduction de frailty par dépendance en français semble être une bonne transposition (Woodhouse, 1988 ; Gillick, 1989). La fragilité dans le grand âge s’oppose alors aussi à la "bonne santé". Mais à partir du milieu des années 1990 leur équivalence se défait, quand la notion de frailty devient une notion clé dans le secteur médico-social pour désigner à la fois l’état ou le point d’arrivée et le processus de transformation bref quand frailty désigne à la fois un être et un devenir recouvrant sous son vocable « fragility » and « fragilization ». Les spécialistes l’utilisent alors dans une perspective séméiologique à la fois descriptive et statique, dynamique et prédictive pour caractériser à la fois un état et un processus particulier au décours du vieillissement pathologique du sujet âgé (Rockwood et alii 1999). Elle est selon eux un moyen terme instable entre bonne santé et maladie, et désigne un équilibre homéostatique menacé par n’importe quel événement de vie.
Si ces notions renvoient dans la littérature internationale à des registres d’expertise médicaux [fragilité], psychologiques et sociologiques [vulnérabilité] (Meire, 2000) articulés autour des notions de sujet/patient et d’environnement [14], c’est que la préoccupation des gériatres de devenir les spécialistes de la prise en charge globale des patients âgés a pris le dessus. Comme la dépendance dans le langage des gérontologues, le substantif de fragilité constitue donc une notion nosographique et clinique centrale pour légitimer leur spécialité de gériatres qui « cherchent une définition opérationnelle [working définition], afin de devenir des experts-ressources pour les patients et les acteurs publics en donnant aux décideurs des politiques publiques une idée des besoins de cette population et trouver des financements pour leur recherche, qui permettent aux praticiens de se cibler leurs interventions sur les personnes âgées et aux chercheurs des moyens de poursuivre leur recherches » (Rockwood et alii 1994 : 493).
Depuis le milieu des années 1990 -et en dépit du fait que cette définition de la fragilité du sujet âgé et de son environnement ou des processus de fragilisation ne soit ni stable ni homogène-, le terme et la notion sont désormais communs à toutes l es disciplines qui s’intéressent au vieillissement et aux populations âgées en s’appuyant sur ce qui n’est plus seulement une pathologie gériatrique (Kaufmann, 1994 ; Ghisletta, 2003 ; Grenier, 2007 ; Lalive d’Epinay, 2007 ;Bergman et alii, 2007) mais un paradigme commun aux sciences de la vie et de l’Homme. Dans les deux champs l’acception de base d’état (économique, de santé) instable et incertain qui vient faire fonds sur une fragilité physique ou sociale d’une part et de processus graduel (fragilisation) ou brutal (accident de santé ou de la vie) d’autre part s’est affirmée de la même façon avec la même préoccupation d’expertise au service de l’action publique (Thomas, 2004). La préoccupation d’objectiver et de quantifier la notion pour qu’elle constitue un index de mesure devient centrale dans les sciences médicales mais aussi dans le travail d’expertise sociale et statistique du secteur des sciences de l’Homme puisque l’association entre risque médical et risque social, qui impliquerait de protéger davantage les personnes âgées fragiles par avance dans une optique de prévention sanitaire et sociale se fait jour dans les réflexions en termes de programmes de santé publique et de travail social notamment au Canada mais aussi en France avec la réflexion autour du « risque de dépendance » .
La nouvelle vogue de l’adjectif fragile, qualificatif distinct de celui de dépendant mais importé et articulé à ce dernier dans les sciences sociales également et en sociologie du vieillissement tout particulièrement (Lalive d’Epinay, Spini, 2007), va de pair avec la nouvelle association entre fragilité biologique et vulnérabilité génétique (Walston et alii 2006) dans les programmes anglo-américains et francophones de recherche gériatrique. Qu’elle soit médicale, psychologique ou sociologique, la définition reste ainsi étroitement liée au double registre métaphorique organiciste (vulnérabilité) et mécaniciste (fragilité) de l’étymologie de ces termes (Walston et alii, 2007). C’est un état de faiblesse rendant le coping (l’adaptation, la réaction, la résistance) peu efficace face à un stress physique ou psychique (Billings et Moos, 1981 ; Lazarus et Folkman, 1984). Aujourd’hui la notion de fragilité et notamment celle de syndrome et de marqueurs de fragilité fait l’objet de débat et de rencontres internationales spécialisées ad hoc comme le « Second International Working Meeting on Frailty and Aging » qui s’est tenu à Montréal en mars 2006 (Bergman 2007 : 731). La vision pluridisciplinaire endogamique -entre disciplines médicales- s’est élargie aux facteurs sociaux de risques -voire aux sciences sociales dans une perspective foucaldienne en utilisant par ailleurs des méthodes d’appréciation de la fragilité perçues par la représentation qu’en ont les personnes elles-mêmes. Cette fragilité est ressentie non seulement comme un stigmate mais aussi comme une ressource, où la « little old lady : small in stature, fragile, weak » peut parfois devenir une « adorable petite vieille dame protestataire », (Grenier et Hanley, 2007 : 213 et 221).
Enfin la diffusion du terme, entendu comme effet d’un processus graduel (dégradation) de l’état général ou brutal (accident de santé) dans la littérature gériatrique est contemporaine de celle, équivoque elle-aussi, de résilience en psychiatrie et psychologie (Rutter et alii, 1981 ; Nuechterlein, 1984 ; Anthony et alii, 1982, Segal, 1986, Werner, 1989). Désormais il lui est opposé comme antonyme, dans les écrits cliniques et métapsychologiques. Alors qu’elle s’appliquait précédemment, tout comme celle de coping, de façon limitée, aux patients, jeunes ou âgés, ayant eu à faire face à des accidents de santé –cancer grave- ou de vie son usage a été étendu, aux vieillards dépendants, désignés comme « frail elderly » en anglais et en allemand. Les problématiques se réorientent vers la question des modes de resistance-resilience-coping des personnes âgées à la fois à ce risque de « fragilité » Car le développement dans les Etats sociaux européens de la notion de « fragilisation » à propos des personnes âgées est contemporain de celui de risque entendu fondement d’accès ou d’éligibilité à l’accompagnement social substitué à la qualité d’ayant-droit et corrélé à celui-ci (Beck, 2001 ; Grenier, Hanley, 2007).Les difficultés physiques, psychiques ou sociales de l’individu qui le rendent fragile quand il est exposé aux stressors, l’empêchent alors -selon ces théories proches des deux modèles précédents de sciences humaines appliquées aux victimes de catastrophe ou/et de la pauvreté- de faire face [coping], de manière efficace à un accident de santé ou de vie [risks and hazards] [15] qu’il faut sinon anticiper du moins compenser.
Vulnerability, coping, resilience : une diffusion internationale accélérée et une traduction simultanée dans les sciences du psychisme
Le concept de vulnérabilité/invulnérabilité s’est diffusé de conserve avec celui de résilience son envers et son complément au même moment , non seulement en gériatrie mais aussi dans toutes les sciences de la psyché. « Nombre de publications récentes lui sont consacrées tant en Suisse et en Belgique qu’en France (…). Ces dernières ont été élaborées autant par des médecins de santé publique que par des pédiatres, psychiatres, pédopsychiatres, psychologues [cliniciens] et sociologues » ( de Tychey, 2004 : 50). D’abord utilisée dans la littérature psychiatrique anglo-saxonne à propos de la schizophrénie, comme élément prédisposant ou déclencheur de troubles ou d’épisodes schizoïdes (Zubin et Spring, 1977 ; Nuechterlein et Dawson, 1984), elle a ensuite été explorée en termes de facteurs personnels ou hérités, suite à une insécurité psychique de la mère, favorisant la dépression ou d’autres troubles psychiques (Brown et Harris, 1978). Mais c’est surtout à propos des traumatismes et plus particulièrement dans les recherches en pédopsychiatrie et psychopathologie de l’enfant (Masten et O Connor, 1989 ; Silva et alii, 2000) qu’elle a connu son usage le plus développé en lien étroit avec celui de vulnérabilité sociale ou d’environnement social (Werner, 1989 ; Garmezy, 1991 ; Cyrulnick ,1998).
Il s’agit de cerner les formes de résistance psychique [coping] du moi aux traumatismes de guerre, familiaux et sociaux résultant de mauvais traitements et tout particulièrement d’une carence de soins maternels dans la petite enfance. D’autres travaux psychanalytiques s’intéressent au devenir des descendants de survivants de l’Holocauste ou de génocides pour analyser leur vulnérabilité au stress et aux syndromes post-traumatiques par rapport à d’autres individus ce sont surtout des travaux anglo-saxons mai aussi francophones qui parlent souvent plus volontiers de résistance (Yehuda et alii 1999 ; Zaltzman, 1999 ; Fossion et alii, 2006). Selon le pédo-psychiatre américain E. James Anderson, l’un de pionniers de la réflexion en termes de facteurs de risques en pédopsychiatrie et de vulnérabilité, l’exploration ce nouveau champ du risque [psychique] et des manières d’y faire face, débute dans les années 1970, « s’écartant enfin d’une approche centrée sur les facteurs de risques des maladies pour s’intéresser aux ressources comme la compétence, la capacité à faire face [coping], la créativité et la confiance [competence, coping, creativity and confidence] » (Anthony, 1987 : X). L’ouvrage pionnier qu’il coordonne va proposer une première échelle de vulnérabilité-invincinbilité/invulnérabilité [16] qui pose déjà la notion comme multi-dimensionnelle. Elle rend compte d’un état résultant d’un processus multifactoriel.
La vulnérabilité est définie par référence à son antonyme (Anthony, 1982 et 1987) utilisée à propos des enfants qui à l’âge adultes restent des sujets « vulnérables, mais invincibles » (Werner, 1989). Cette perspective de recherche s’affirme dans l’ego-psychologie et la psychiatrie développementaliste (et plus brièvement dans l’antipsychiatrie) et s’esquisse aussi dans la psychanalyse de l’enfant post-kleinienne et post-winnicottienne depuis l’Angleterre et les Etats-Unis, avant que d’être reprise partiellement en France, en contrepoint et complément de celle d’évaluation de la vulnérabilité individuelle ou familiale aux pathologies psychiques est celle de l’abréaction des psychismes face au traumatisme de la guerre d’abord notamment pour les enfants séparés de leurs parents, des violences familiales, puis des conditions de vie extrêmes.
L’adoption internationale du terme de résilience ou l’adaptation à tout prix
Les pionniers de l’usage des notions appariées à la vulnérabilité ont laissé la place depuis le début des années 2000 aux diffuseurs qui ont vulgarisé ces termes dans certains cas pour les rendre compréhensibles au grand public. Ainsi les notions de vulnérabilité et plus récemment de résistance ou plutôt de résilience ont été popularisées en français en par les pédo-psychiatres (Tomkiewiecz, 2000 ; Cyrulnik, 2001, 2004 ; Manciaux ; 2001) en France. La notion de résilience est accueillie avec enthousiasme dans les disciplines de la psychologie comportementaliste et développementaliste et en neuro-psychiatrie, où certains travaux recherchent des marqueurs de résilience (face aux troubles bipolaires par exemple : Kruger, 2006). La circulation est dans ces disciplines est une simple traduction sans adaptation à partir des références anglo-saxonnes desquelles elle est tirée et dont les auteurs se revendiquent.
Le trio vulnérabilité-risque-résilience est l’objet de peu de débats mais de bien des reprises imagées. « Le succès du concept de résilience semble issu des abus des concepts de « vulnérabilité » et « population à risque » qui, depuis des décennies, ont dominé le travail médico-psycho-social. Trop de professionnels ont mal compris la ’nature’ statistique de ces notions : ils ont confondu risque et fatalité et en arrivent à des jugements péremptoires trop pessimistes et à des pratiques nocives et excluantes. Le concept de vulnérabilité incite à trop regarder la moitié vide de la bouteille, la résilience invite à en regarder la moitié pleine ». Il représente « un souffle d’air frais dans l’univers médico-psycho-social et psychiatrique trop longtemps soumis à une véritable dictature du concept de vulnérabilité de plus en plus dévoyé de sa fonction préventive pour en arriver à devenir un facteur iatrogène d’exclusion » (Tomkiewiecz 2000 : 60-62). Dans le monde de la psychanalyse francophone l’accueil est cependant parfois plus mitigé (de Tichey, 2001, Tisseron, 2007).
Car dans tous ces travaux la notion de vulnérabilité est, comme en gériatrie, prise au pied de la métaphore : il s’agit de repérer « le talon d’Achille » des personnalités qui sont alors considérées non seulement comme à risque socio-économiquement mais comme constitutionnellement fragiles et pour certaines de façon héréditaire (Anthony et alii, 1987 :29, Murphy et Moriarty 1976 : 202). Le continuum de vulnérabilité-résistance va jusqu’à la maladie. Certains facteurs environnementaux ou psychiques inverseraient cette faiblesse en force, transformant le grain de sable en perle, selon la reprise de cette métaphore de l’huître, parmi les multiples associées au terme de résilience comme celle du tricot ou du torrent (Cyrulnick, 1999 et 2004)-, métaphores « qui polluent la pensée » (Serge Tisseron, 2003). Alors le terme de résilience devient l’envers de celui de vulnérabilité psychique ou de fragilité de la personnalité.
La notion de « vulnérabilité, avec ses composantes biologiques, psychologiques et son approche épidémiologique, ouvre la voie à la résilience » (Manciaux, 2001 : 323). Elle se dilate alors du biologique au psychique puis et aux liens avec l’environnement familial -notamment dans l’enfance- dans une perspective d’ego-psychologie développementaliste et de de psycho-sociologie à partir des années 1980 dans la lignée des travaux de John Bowlby [17]. Ces approches sont aussi psychosociologiques et neurobiologiques. Elles s’attachent à dépister les facteurs spécifiques de vulnérabilité, dans l’enfance ou à l’âge adulte, des individus pauvres distingués en facteur primaires, i.e. génétiques et biologiques (Murphy et Moriatrty, 1976 ; Masten et O’Connor, 1989, Gorwood et Kesseler, 2002 ; Kruger et alii, 2006), et secondaires, i.e. familiaux et sociaux (Garmezy, 1991, Silva et alii, 2000, Manciaux, 2001, Rutter, 2006). Cette seconde perspective a été reprise dans les rapports d’experts publics en France du social, de la santé mentale et de la délinquance infantile, et même par les sociologues francophones qui, ne se contentant pas du concept de désaffiliation, de disqualification, reprennent ceux de fragilité et de précarité pour décrire les facteurs de risques sociaux de fragilité psychique et de vulnérabilité sociale des futurs adultes handicapés, vieillards dépendants sans ressources matérielles et physiologiques.
Les avatars de la traduction française des termes de vulnerability et frailty et l’invention de la précarité
C’est à partir des années 1980 que les notions de vulnérabilité [vulnerability, precariousness], d’insécurité [insecurity, uncertainty] et de fragilité [fragility, weakness, frailty] émergent avec celle de risques [18] au niveau international dans le champ des sciences humaines et sociales. Elles sont pour certaines importées en France comme catégories de classement, et leurs indicateurs sont réinventés. Dans le vocabulaire anglo-saxon la vulnérabilité humaine, sociale et urbaine est aujourd’hui un concept-clé des analystes du développement durable [sustainable] et de l’économie du Welfare, tout comme l’insécurité, avec ses corrélats de risks and hazards qui font l’objet d’un management spécifique des entreprises, des organisations administratives…. Laissant ce registre à la géographie des risques environnementaux et essentiellement aux experts anglo-saxons, les savants français des sciences sociales redécouvrent quant à eux le même lexique à partir des années 1980 pour l’appliquer en sociologues à la question de la pauvreté et en distinguer des formes chroniques et temporaires, en ignorant -ou feignant d’ignorer- que le même processus intellectuel est engagé alors dans le monde expert anglo-saxon.
Vulnérabilité sociale, et urbaine dans les sciences humaines anglo-saxonnes
Les experts du développement des années 1990 définissent la vulnérabilité en lien avec la probabilité de faire l’expérience d’une perte d’un élément mesurable de bien-être [benchmark of Welfare] dans le futur comme une incapacité à prévoir et à anticiper l’immédiat ou le futur à quelques jours, semaines ou mois. Les disciplines recensées comme usant de cette notion pour en faire un cadre analytique commun sont « l’économie, la sociologie/anthropologie, le management des catastrophes, les sciences environnementales de la santé et de la nutrition » (Alwang et alii, 2001 :3). Les économistes et statisticiens de l’ONU (1997, 2001 a et b) du PNUD (1998), de l’OCDE (2001 et 2002), du FMI, de la Banque Mondiale (Anderson, 1992 ; Rapport 2000 et 2002), puis des sciences sociales l’adoptent alors.
La définition de base, à partir de laquelle l’OCDE construit des indicateurs statistiques, reprise de celle adoptée par les Nations unies en 1997, est la suivante : « la vulnérabilité est un indicateur de mesure de l’impact potentiel d’une catastrophe… sur un groupe, une construction, une activité, un service ou une aire géographique en tenant compte de sa nature ou de sa localisation [19] ». Et dans tous les cas les auteurs insistent sur la différence avec la pauvreté, même si celle-ci crée une « prédisposition [susceptibility] à être affecté par un événement imprévu [hazard] ». La vulnérabilité décroîtrait avec la résilience [resilience], c’est-à-dire la capacité à réagir [deal with] et à faire face [cope with] à un événement imprévu et croîtrait avec la gravité de l’impact. Selon eux augmenter la capacité de gestion des risques [social risk management] des pauvres et des autres améliore leur bien-être [Well-being] perçu et objectif et peut constituer une issue à leur situation de pauvreté chronique (Mordoch, 1994 ; Moser, 1998 ; Holzmann et Jorgensen, 2000 : 7).
Dans le champ de l’expertise géographique des risques environnementaux, c’est surtout le lien entre l’éventualité d’une catastrophe naturelle dans des milieux fragiles et l’inégalité d’exposition (géographique et sociale) aux risques naturels ou industriels, selon les groupes humains ou sociaux ou les territoires, qui est mis en avant et les effets du changement climatique (Benson, 2003) .« Le sinistre [désastre] est la conséquence de la concomitance [coincidence] entre la vulnérabilité et un risque [hazard] », la vulnérabilité humaine se définit comme exposition à un risque et incapacité à éviter ou à encaisser [absorb] un tort [harm] éventuel (Pelling, 2003 : 5). Elle est alors mesurée en lien avec les indicateurs de bien-être des individus [Personal Well-Being Index] [20], mis en place dans les années 1960 pour mesurer les conditions de vie [standards of living] [21]. A partir des années 1980, l’idée se répand universellement que le subjective Well-Being or Happiness est un élément central de la pauvreté [22].
Les indicateurs de développement humain (Sen, 1982, PNUD, 1990), sont adoptés par la Banque mondiale et l’OCDE et adaptés par les organismes statistiques nationaux dans de nombreux pays (Canada, Australie, Pays-Bas, France…) pour les appliquer en interne dans les années 1970-1980 [23]. D’autres recherches précisent qu’il faut distinguer la vulnérabilité sociale de la pauvreté qui « mesure un statut alors que la vulnérabilité est un mode de conceptualisation de ce qui pourrait arriver à une population donnée dans des conditions d’exposition aux risques et aux catastrophes » (Cannon et alii, 2003 : 5 ). Il s’agit de comprendre et mesurer les ressources et le capital social d’adaptation face aux risques (Adler et Kwon, 2002 ; Adger, 2003 ) ou aux effets des changements climatiques (Bohle et alii, 1994 ; Barnett, 2001).
Ces indicateurs sont appliqués à partir des années 1990 aux populations de pays en développement (Atkins et alii, 2000 ; Adger, 2003 ; Gough et alii, 2007) en lien avec la problématique du développement durable [sustainibility] et du management des risques sociaux [Social Risks Management] pour les populations pauvres ou vulnérables (Holzmann et Jorgensen, 2000). Le pendant en est l’index de vulnérabilité sociale publié depuis 1989 par le PNUD pour 177 pays (Cutter et alii, 1983). Il évalue « les caractéristiques d’un individu ou d’un groupe, leur situation et leur capacité à anticiper à faire face, à résister et à se remettre des conséquences d’un risque naturel » (Blaikie et al., 1994 : 11 ) [24]. Ils ont été appliqué aux pays en développement (Adger, 1999 ; Cannon 1994 ; Nomdo et alii, 2002 ; Pelling, 1999) puis se sont réorientés depuis le cyclone Katrina vers le Nord. Nombre d’articles et rapports mettent en avant depuis lors la notion de vulnérabilité urbaine et sociale face aux ravages de l’ouragan mais aussi les discriminations raciales et sociales dans les programmes d’aide (Cutter, 2006 ; Comfort, 2006). Géographes et statisticiens des risques voisinent dans ces travaux non seulement avec les anthropologues et les sociologues mais aussi avec les spécialistes de la santé publique de la psychologie et de la psychiatrie des traumatismes (Lamberg, 2006).
L’emploi de ces mots-éponges, massif dans de nombreuses disciplines des sciences de l’homme, fait fonds sur une théorie implicite, dite de la résilience, c’est-à-dire de l’adaptation sociale ou biologique de certains groupes sociaux et des individus aux stressors, risks and other hazards, selon leurs ressources [capital] héritées ou mobilisables quand cette mise à l’épreuve d’un sort supposé statistique advient (Pelling, 2003). Alors la notion ne s’associe plus seulement à la question des facteurs de risques sociaux mettant en cause la réussite de l’ « Economic Welfare » et du « Well-Being » qu’il doit procurer mais surtout à celle des réactions à l’imprévu ou à la catastrophe [coping] et à la résilience des victimes notion omniprésente dans les sciences médico-psychologiques. Vus depuis la France, ces multiples travaux d’experts et de savants semblent une quasi-nouveauté dans le paysage des sciences sociales des années 2000. A l’exception des travaux de politiques publiques sur la gestion des catastrophes naturelles (Lagadec, 1987 ; Gilbert, 1992) peu de chercheurs français les ont transposés dans les années 1990 et leur introduction en géographie est très récente.
Certes l’Agence nationale de la Recherche a lancé depuis 2005, un premier grand appel à projet intitulé « Vulnérabilité : Milieux et Climat ». Celui de 2007 centré sur les questions de vulnérabilité de l’environnement physique (rivages, des côtes et des forêts) vise « à renforcer la production scientifique nationale, à engendrer des connaissances utiles pour l’action publique et à renforcer les capacités françaises dans les négociations internationales » (ANR, 2007). En 2008 un autre appel thématiques en sciences humaines et sociales sera axé sur les « formes de vulnérabilités [sociales et sanitaires] et les réponses des sociétés. Il s’agira d’interroger les chercheurs sur « tous les aspects de la fragilité sociale, la pauvreté, l’exclusion, le chômage ou la marginalisation… avec un accent sur les vulnérabilités liées aux aspects sanitaires… mais intégrant plus largement les questions sociales » et donc de faire le lien entre les sciences de l’Homme et les sciences sanitaires et sociales.
Vulnérabilité, fragilité et précarité dans les sciences sociales françaises : des indicateurs statistiques aux concepts intraduisibles ?
La distance des spécialistes français aux formes de problématisation internationale ne veut pas dire pour autant que ces notions sont complètement absentes du monde expert et savant français. Ainsi, dès les années 1970, les experts français ont aussi contribué à la production d’indicateurs sociaux de conditions de vie (Rapport Delors, 1971), tandis que l’INSEE lançait son premier numéro de Données sociales alors que des fractions croissantes de la population étaient affectées par l’accélération de la progression du chômage. Précarité, fragilité et vulnérabilité rassemblées, ont fait leur apparition dans le langage des politiques sociales en France dans la deuxième moitié des années soixante-dix [25].
Un mouvement analogue à celui de l’hygiénisme français des années 1830-1840 débute alors. Les promoteurs de l’hygiénisme social, experts du premier XIXème siècle avaient inventé la notion de paupérisme et les méthodes pour l’étudier -et avec cela la sociologie empirique des classes dominées- et pour tenter de remédier à « cette plaie hideuse et immense qui est attachée à un corps plein de vigueur et de santé » (Tocqueville 1835 : 24), dans des rapports et écrits commandés ou destinés à l’Académie des sciences morales et politiques. Ce discours prenait de la vigueur à l’époque où en Angleterre, en allemand et en anglais, Marx et Engels théorisaient la lutte des classes et le capitalisme comme producteur d’un prolétariat divisé en producteurs et armée de réserve du capitalisme. Les experts sociologues des années 1960-70 vont imposer successivement les exclus qui comprennent les marginaux/inadaptés (Lenoir, 1975) [26]. S’y ajoutent les précaires ou nouveaux pauvres dans les deux décennies suivantes pour former la catégorie de l’exclusion, cette fois-ci non plus en contre mais bel et bien sur le reflux de la théorie marxiste en termes de prolétariat et de sous-prolétariat. A un siècle et une décennie d’intervalle, les termes de précarité, de vulnérabilité et d’exclusion vont s’imposer progressivement et de façon conjointe chez les experts et les théoriciens de la nouvelle question sociale en démarquage de la lecture marxiste des inégalités économiques et sociales.
Dès le début des années 1980 les statisticiens tentent de mesurer cette vulnérabilité et de construire un indicateur (Villeneuve, 1984) et l’OCDE adopte sa première liste des indicateurs sociaux, pour mesurer la qualité de vie [27]. Aux rubriques classiques des typologies de la pauvreté, s’adjoint une autre composante dont l’apparition coïncide avec la crise économique : la précarité. Chez les savants ces termes sonnent alors comme des néologismes forgés par de pionniers (Pitrou, 1978 ; Lion, Maclouf, Blanquart, 1982) alors que chez les experts, elle se précise en précarité économique et sociale, définie comme « l’absence d’une ou plusieurs sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux » (Wrezinski, 1987 : 6) et devient centrale [28].
Les indicateurs sont modifiés afin de prendre en compte les situations des pauvres potentiels, dénommés précaires et leur vécu (objectif et ressenti) de la fragilité, consécutive à l’irrégularité et de l’incertitude de leurs revenus. Cette précarité ou « nouvelle pauvreté » (Oheix, 1981), se différencie de la pauvreté effective et durable, par un état d’insécurité, de fragilité, i.e. la « probabilité supérieure à la moyenne de devenir pauvre » (Villeneuve, 1984 : 92) [29]. La problématique de la pauvreté, recentrée autour de l’exclusion, étend son spectre d’analyse dans les années 1990. La distinction en deux composantes, les exclus et les précaires se pérennise (Nasse, 1992 ; Fragonard, 1993 ; Anthonioz de Gaulle, 1992 ; Paugam et Gallie, 1996b ; Belorgey et alii, 1997) mais c’est surtout la seconde qui prend de l’ampleur. Cette figure du paupérisme s’affirme autour du label d’exclusion promue au statut de paradigme sociologique (Paugam, 1991 et 1996 a, Soulet, 1998). La littérature experte avant que d’être scientifique renoue avec un misérabilisme (Grignon et Passeron, 1989) aux accents hugoliens. Il s’agit de repérer les facteurs de risques et, par synecdoque, les fractions de population, qui se trouvent en danger face à cette « houle séculaire » de la vulnérabilité. Frappés du « malheur » que leur apporte la condition salariale instable et mal protégée sinon menacée, elles sont assignées à ce statut marqué par la pénurie et l’imprévu les réduit à cet état de précariat (Perrin, 2004 ; Castel, 2006). Les vulnérables marqués du « sceau de l’incertitude » et de la désaffiliation, deviennent « inutiles au monde et surnuméraires », avant de basculer, dans l’« inexistence sociale » (Castel, 1990, 1991 ; 1995 a : 19 et 21 passim et b ; 1997) et la « disqualification, i.e. le discrédit de ceux qui ne participent pas vraiment à la vie économique et sociale » (Paugam, 1991 : 17, c’est nous qui soulignons).
Ce statut n’est le plus souvent perceptible qu’a posteriori. Comme le paupérisme un siècle avant, cette précarité toucherait ainsi de « nouvelles catégories », victimes des mutations du système économique et social. Les victimes citées en exemples ont alors les femmes isolées avec enfants à charge, des personnes handicapées, accidentées du travail, en longue maladie ou chômage, i.e peu ou prou celles que l’on retrouvera dans les disciplines psy et médicales comme susceptibles de fragilité physiologique et de vulnérabilité psychique. L’accent est ainsi mis sur la précarité grandissante des marges les moins qualifiées du salariat, c’est-à-dire sur la composante nouvelle de la pauvreté des années 1970 devenue exclusion dans les années 1990, en risque de désaffiliation, thèse centrale de Castel dans Les métamorphoses de la question sociale (1995 ; Bihr, 2007).
La sous-catégorie des vulnérables est d’abord abstraite par les experts de celle des exclus pour désigner ceux qui « sont à la limite de l’inadaptation sociale » mais ne sont pas encore des inadaptés, marginaux et asociaux (Lenoir, 1975 :90) selon une distinction, une fois de plus, idiomatique qui rendra difficile l’exportation, y compris savante des concepts d’exclusion en d’autres langues et inversement l’adaptation des termes techniques européens en français (Fassin, 1996 ; Math, 1996). Les ménages vulnérables sont susceptibles [susceptibility] de tomber ou glisser dans l’exclusion, selon que l’équilibre de leur mode de vie est rompu brutalement ou progressivement. Là encore la métaphore organico-textile du lien social qui s’effiloche, du tissu qui se défait, et celle, camusienne, de la Chute se dessinent derrière cette idée de vulnérabilité/fragilité qui hante aujourd’hui la littérature sociologique. L’idée s’affirme alors que la vulnérabilité est une topique – une « zone intermédiaire » entre l’intégration et la désaffiliation (Castel, 1991 et 1995), tout aussi bien qu’un processus dit de vulnérabilisation dont l’effet est l’insécurité sociale(Castel, 2003).
Dans les années 2000, vulnérabilité, précarité et insécurité (Castel, 2003, Wacquant, 2004, Hirsch, 2005, Milewski et alii, 2005, Avenel et Thibaud, 2006), puis les adjectifs substantivés « les précaires » « les vulnérables » sont non seulement omniprésents mais promus de surcroît au rang de concepts, voire à celui de paradigme durkheimien (Paugam, 2000 et 2005). Et ce par les mêmes auteurs, qui précédemment avaient baptisé de disqualification ou de désaffiliation les processus et trajectoires de sortie de la société des utiles qu’ils avaient étudié dans des rapports d’expertise et de commande, écrits seuls ou avec d’autres, pour des Think Thank à la française (Castel et alii, 1998) ou pour les organismes publics nationaux (Castel et alii, 2002 ; Paugam et alii , 1991a, 1993 a, 1999) ou internationaux (Paugam et Gallie, 2002), bases de leurs publications « scientifiques ».
Sur son CV en ligne sur le site de l’E.H.E.S.S., Serge Paugam, met d’ailleurs en avant cette implication dans l’expertise de commande par des directions opérationnelles de ministères ou de la Commission européenne. Il évoque sa « collaboration régulière aux travaux du Centre d’Etude des Revenus et des Coûts » (CERC). Il mentionne la réalisation de plusieurs recherches sur le RMI, la précarité et le risque d’exclusion en France et en Europe (1989-1994), la coordination avec Duncan Gallie de Nuffield College (Oxford) d’un programme européen de recherche sur « Précarité professionnelle, chômage et exclusion sociale » dans le cadre d’un contrat de recherche avec la Commission Européenne (DG XII) de 1996 à 1999, ainsi que la coordination du programme international de recherche sur « Santé, Inégalités et Ruptures Sociales » avec l’INED, l’INSERM et le CNRS. Il fait figurer côte à côte les rapports commandés financés par ces institutions et les ouvrages qu’il en a tirés. Il signale enfin sa qualité de membre de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (1999-2002) créé dans le cadre de la loi de 1998 dite de cohésion sociale.
Dans leur approche, tout comme dans celles des experts internationaux qui pratiquent le Human Vulnerability’s measurement et auxquels ces auteurs ne se réfèrent jamais, le risque d’exclusion diffère de l’état de pauvreté, dans laquelle basculent [breakdown], ceux qui ne peuvent y faire face [coping] faute de ressources [social capital], notamment familiales et de réseaux sociaux, qui leur permettraient de résister au déclassement [deal with and absorb] et de tenir [ coping/resilience] face aux accidents de la vie ou aux catastrophes familiales [uncertainty, social risks and hazards]. Bref leur approche correspond, quasiment terme à terme, à la définition experte anglo-saxonne de la vulnérabilité : toutes les notions et les termes de la langue experte et savante internationale des sciences humaines y sont, mais sous des labels idiomatiques servant de marque de fabrique à leur inventeurs qui vont fusionner sous celui de « précarité » spécifique de la sociologie française ou sous celui de vulnérabilité ou les deux avec des qualificatifs variables [30].
Quand les précaires et les fragiles sont mobilisés par les sciences sociales françaises
Cependant ces so French notions de vulnérabilité, précarité et dans une moindre mesure de fragilité, sont exportées dans la sociologie savante avec la traduction des textes de Robert Castel et de Serge Paugam en espagnol et en portugais (Castel, 1991b, 1995 b, 1996, 1997, 1999 a et b, 2000, Paugam 1999 et 2003) et en anglais (Castel, 2000, Paugam, 1996 b) et leur publication surtout au Brésil et en Argentine, un peu en Espagne et au Portugal, et parfois reprise telles quelles (Bonet I Marti, 2006, Kovaricz, 2003). Leur notion de vulnérabilité/fragilité est aussi développée par des clercs dans le monde francophone en sociologie du travail social et des politiques sociales, comme leur définition d’exclusion (Soulet, 1998 et 2005). Elle est désormais mobilisée dans des ouvrages collectifs faisant suite à des colloques francophones, auxquels participent leurs inventeurs français aux côtés des sociologues suisses avec celle de [faireface/ coping] retraduite ainsi en anglais (Soulet et Châtel, 2002, 2003 et 2004). Ces approches s’inscrivent dans la filiation de la problématique psychosociologique française des années 1950 du vagabondage et des clochards (Vexliard, 1957). Elles empruntent à ce dernier, pionnier de la perspective des trajectoires de désaffiliation (moins le mot), salué par les sociologues savants ou experts dans les années 1990 (Mucchielli, 1998, Damon, 1996) et au behaviorisme nord-américain (Bahr, 1970 et 1973). Cependant elles ne s’y réfèrent pas explicitement, du moins pour son aspect contemporain alors qu’elles ont pourtant des affinités patentes concernant la définition, la terminologie et les démarches d’investigation.
Enfin ces termes ont connu une diffusion encore plus large hors du champ des experts et des savants, avec leur réutilisation par les porte-paroles des mouvements sociaux et les intellectuels. Ces dernières, seules ou en association, qualifiées ou non, souvent sous forme d’adjectifs substantivés (les précaires, les vulnérables) mais aussi souvent comme épithètes pour qualifier et spécifier la cause des sans pouvoir dans le langage de la nébuleuse altermondialiste (Sommier, 2003). Les mouvements s’auto-désignant comme précaires sont, dans les années 2000, prioritairement ceux des intermittents des professions du spectacle (Menger, 2002 et 2005) comme « Précaires associés de Paris » formée en 2003, après le Mouvement national des précaires et chômeurs de Paris fondé en 1986. Plus largement ils se sont regroupés autour d’une charte européenne devenue la bannière de l’Euro May Day (le premier mai des travailleurs précaires) lancé pour la première fois le 1er mai 2001 à Milan et à et qui font suite aux Marches Européennes contre le chômage la précarité et les exclusions commencées dans les années 1990. Ils se sont donnés pour effigie un San Precario dont la fête est le 29 février.
Les notions de fragilité et de vulnérabilité sont reprises comme labels non seulement par les mouvements de soutien aux luttes des sans et par les organisations humanitaires (UNHCR, 2008) [31] qui prennent en charge les réfugiés ; mais aussi chez les savants des sciences sociales (Bouillon, 2004 ; Mathieu, 2002 ; Mouchard, 2004 ; Pierru, 2007), engagés ou non [32], qui adoptent alors une ancienne posture d’intellectuel collectif au côté des sans (Piven et Cloward, 1975, Bourdieu 2001). Elles sont promues comme catégorie d’entendement politique de la mondialisation, sous forme de néologismes -tel celui de Précariat ou de Salarié-de-la-précarité (Perrin, 2004 ; Castel, 2006 ; Paugam, 2000) ou encore l’expression d’insécurité sociale (Castel, 2003 ; Wacquant, 2006). Les adjectifs (substantivés ou non) deviennent des adjuvants à celle(s) des autres retenues cette fois comme substantifs.
La catégorie est adoptée par la jeune génération des sociologues politiques français dans un bel enthousiasme. Pour ne prendre qu’un exemple de cet engouement, on relèvera l’une des définitions adoptées par les auteurs d’un numéro de 2007 de la revue de science sociales Sociétés contemporaines, intitulé « La précarité mobilisée ». Celle-ci semble être un fantôme sociologique du discours technicien alors en pleine élaboration, celui de la flexi-sécurité, qui insiste sur les perceptions (erronées) des salariés : « une plus forte protection de l’emploi n’est pas associée à un plus faible niveau du sentiment de précarité en France. Au contraire, ce sentiment est plutôt plus élevé en France qu’ailleurs » (Cahuc, Kramarz, 2004 : 32). La catégorie de fragile, intermédiaire entre celle d’intégré et celle de marginal ou de disqualifié (Paugam1991b et 2006), –équivalente de celle de vulnérabilité dans le modèle de Castel- se trouve renforcée. Négociée ou intériorisée [33] la fragilité se trouve accolée au terme précarité qui devient central.
« La récente bonne fortune tout à la fois médiatique, sociale, politique et savante du terme de précarité ne doit pas faire oublier qu’il vient de loin » et constitue un « nouveau référentiel du débat public » (Boumaza et Pierru, 2007 :7-8) comme la vulnérabilité en serait un dans les politiques publiques (Soulet, 2005). Il vient de loin, c’est-à-dire selon ces auteurs de l’indicateur INSEE (Villeneuve, 1984) testé et abandonné, alors qu’on aurait pu penser que le lointain temporel auquel se référaient ces nouveaux archéologues de la pauvreté était cette autre grande phase d’invention lexicale (mais, cette fois-là, également aussi conceptuelle) du début du XIXème siècle. Car, dans les années de l’émergence du paupérisme et de l’essor des thèses libérales sur les manières de l’endiguer, Engels (1844) et Marx les premiers, conjuguèrent cette notion de « précarité des moyens » du prolétaire avec celle de conflit social et d’insécurité du travail salarié. Ni la fragilité ni la vulnérabilité ne sont présentes sous leur plume, la pauvreté des prolétaires et sous-prolétaires se déclinant en misère et en indigence. La fragilité chez lui se réfère à « l’organisme des enfants chétifs aux mode de vie misérables, vulnérables aux maladies » (Engels, 1844 : 99, 164 et 197). Il ne s’agit pas non plus du lointain géographique de cette Autre Amérique où les sociologues et philosophes réinvestissent de manière théorique depuis le 11 septembre 2001, la question de la vie précaire et de la précarité sociale et psychique des exclus de la démocratie (Bauman, 2003 et Butler, 2004 et 2005).
D’ailleurs le succès du terme tient aussi et avant tout à son usage répété en France., car il peine à s’exporter en économie et en Europe (Barbier, 2004) - à la différence de celui de résilience désormais utilisé par les experts économiques (Auer et Cazes, 2000). Tout comme dans la période précédente celui de l’exclusion ne parvint pas à s’imposer au niveau international ni à supplanter ceux de poverty et deprivation. Après la topique de vulnérabilité de Castel et la fragilité comme forme élémentaire de Paugam, les jeunes politologues proposent une topographie de la précarité résultant d’une insécurité tridimensionnelle [34]. Il ne reste plus qu’à pointer la fragilité des mobilisations de précaires pour boucler le cercle forclos de ce type d’analyse, qui vient remplacer la spirale infernale de descente dans l’exclusion des années 1990 pour éclairer la « vie fragile » des chômeurs [35]. Ainsi la fragilité est devenue pour les sociologues du monde ouvrier une manière d’envisager la précarité comme situation et comme processus sous le néologisme de fragilisation, pendants de ceux de vulnérabilisation et de précarisation dans un mouvement de réinvention linguistique propre à la France [36].
Conclusion
Produire les outils d’une homéostasie autarcique à destination des populations vulnérables des sociétés capitalistes démocratiques, qui les fassent se soutenir pour s’aider elles-mêmes et s’adapter (positivement ou négativement) afin d’optimaliser la vie (Foucault, 1997 : 219) dans la génétique (végétale, animale et humaine) et les thérapies associées, tel est le programme de la résilience. Son envers est ainsi enfin devenu un modèle conceptuel triface [insécurité-vulnérabilité-fragilité], utile et valide (Golse, 2006), de ce futur Workfare biologique d’une géno-politique totale, qui se fonde plus que jamais sur le capitalisme génétique (Sahlins, 1980 : 132), du séquençage et des thérapies géniques. Quand les sciences humaines et sociales fusionnent -intentionnellement ou par ignorance- autour des gènes de l’identité civilisationnelle, avec le modèle biomédical des sciences de la vie, dans un néo-darwinisme empreint d’éthologie, de néo-comportementalisme et de cognitivisme, les « fragiles », les « vulnérables », les « précaires » sont renvoyés avec commisération et distance à leur inexistence sociale supposée par les savants, avant que d’être remobilisés par les experts, accompagnés et encadrés pour être enfin remis au travail : celui de leur corps.
Dans les mécanismes mis en forme par cette nouvelle biopolitique mondialiste et mondialisée, il va s’agir d’abord, bien sûr de prévisions. Il faut non seulement évaluer les risques dans un univers incertain mais surtout prévenir les effets induits et anticiper sur les conséquences probabilisées, en fonction de facteurs de vulnérabilité sociale, économique ou biologique qui deviennent des indicateurs vérisimilaires de bonne ou mauvaise adaptation. Il s’agit aussi d’estimations statistiques : estimer la possibilité de réalisation du risque, - dit de précarité en français ou de social vulnerability en anglais- en fonction de facteurs de qui rentrent dans des indicateurs globaux, de mesures globales (combien de vieillards susceptibles de devenir déments, d’enfants de devenir violents délinquants ou avec des conduites à risques) ; « il va s’agir également non pas de modifier tel phénomène en particulier, non pas tellement tel individu en tant qu’il est un individu, mais essentiellement d’intervenir au niveau des déterminations de ce que sont ces phénomènes dans ce qu’ils ont de global. Bref d’installer des mécanismes de sécurité autour de cet aléatoire qui est inhérent à une population d’être vivants »(Foucaut 1997 : 219) [37].
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Février 2008
Hélène THOMAS
I.E.P d’Aix en Provence
CSU IRESCO/ CESPU-Aix-en-Provence
Hélène THOMAS est docteur en sociologie, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques d’Aix en Provence et psychanalyste. Ses travaux portent sur les politiques de prise en charge de la dépendance, de l’exclusion sociale, et de garantie des droits fondamentaux en France et en Europe. Elle étudie notamment les fondements idéologiques des dispositifs et les articulations entre les catégorisations savantes, experts et pratiques dans ces domaines. A ce sujet elle a notamment publié La production des exclus, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, « Du lancer de nain comme canon de l’indignité. Le fondement éthique de l’État social », in Raisons politiques, « Repenser l’Etat social », n°6, mai 2002 : 37-52, « La personne âgée peut-elle fragiliser le réseau qui la soutient », in Gérontologie et sociétés, n°109, juin 2004 :165-182.
Dernière publication « La promotion de la citoyenneté sociale et politique dans le grand âge à l’ère de la protection rapprochée », in Gérontologie et sociétés, n°120, mars 2007 : 99-114
Ce working paper était une reprise d’une communication à l’atelier "Import-export des concepts et idées philosophiques », qui s’est tenu lors du deuxième colloque intitulé « Circulation internationale des produits scientifiques et culturels : ouvertures et obstacles » (21-24 septembre 2006 – Sion (Suisse) dans le cadre du programme « Traduction et circulation internationale des idées » du réseau ESSE (Pour un espace européen des sciences sociales). Il devait figurer dans un ouvrage collectif sur « La traduction des notions philosophiques » regroupant certaines des contributions. Après que Louis Pinto, le directeur de l’ouvrage, ait exigé la suppression d’une partie de la bibliographie et de la conclusion demande à laquelle j’ai souscrit, j’ai refusé de supprimer la moitié du développement et de l’introduction ce qui aurait dénaturé le texte, condition exigée pour qu’il soit publié dans cet ouvrage. Il s’agit donc pour le moment d’un working paper.
Titre : "Vulnérabilité, fragilité, précarité, résilience, etc. De l’usage et de la traduction de notions éponges en sciences de l’homme et de la vie."
Mot clé : vulnérabilité, fragilité, précarité, Denkmittel , mot-éponge,
Résumé : Les termes de vulnerability [vulnerabilité], frailty and fragility [fragilité] et precariousness ou precarity [precarity] issus du vocabulaire courant et massivement employés par les experts des catastrophes naturelles et de la question du développement durable depuis la fin des années 1970 sont désormais devenus des concepts théoriques centraux des sciences sociales du monde francophone et dans le même temps des sciences de la Vie articulés à celui de resilience. L’objet de cet article est d’envisager les enjeux scientifiques et politiques de ces traductions et de ces circulations apparemment parallèles au service d’une nouvelle géno-politique centrée sur le modèle d’entendement darwinien de l’adaptation et d’un nouveau modèle politique de contrôle des pauvres et des sans pouvoir.
Title : "Vulnerability, frailty, precariousness and so on. The uses and translations of connected Sponge-like notions in medicine and social science."
Summary : The usual words of vulnerability, frailty, risks factors precariousness and insecurity, used by international experts and scientists since the 1970’s for describing natural hazards and the way in which the poor are exposed to theirs consequences have been promoted everywhere in the English and then French speaking scientific communities since the 1990. They are now bounded with the word of resilience both in biological sciences and in social Sciences. In this working paper I analyze the scientific and political issues of the simultaneous translations and transpositions of those words in different research’s fields. This sponge-like concepts seamed to be employed for promoting a new model the geno-policy focused and based on a neo-darwienne and neo-behaviorist vision of the Human adaptation targeting the news dangerous classes and the powerless all around the world.
Key-words : vulnerability, frailty, precariousness, Denkmittel, sponge-like notions,