"Le rapatriement des réfugiés angolais glissements d’une catégorie à une autre"
Contexte historique :
L’Angola a connu plus de trente ans de guerre, tout d’abord la guerre d’indépendance contre les Portugais jusqu’en 1975, puis une guerre civile, qui a vu s’opposer le MPLA et l’UNITA. La succession pendant de longues années d’accords de paix brisés a conduit de nombreux Angolais à fuir leur pays, au gré des reprises du conflit. On peut dater les premières vagues de réfugiés en tant que tels des années 1950, elles dureront jusqu’en 1999. Ils se sont répartis en R.D.C. sur trois provinces : le Bas-Congo, le Bandundu et le Katanga. Le 4 avril 2002 a été signé un cessez-le-feu entre le gouvernement angolais et l’UNITA, six semaines après la mort de son leader, Jonas Savimbi . Suite à ce cessez-le-feu, le rapatriement des réfugiés angolais a été décidé et organisé. Depuis le début des années 1980, le retour volontaire des réfugiés dans leur pays d’origine est la solution privilégiée du HCR en matière de réinstallation, « la meilleure solution durable » selon leurs termes, de préférence à l’intégration dans le pays d’accueil ou à une réinstallation dans un pays-tiers.
Le rapatriement fait suite à un accord tripartite, passé entre le HCR, le gouvernement congolais et le gouvernement angolais, en date de décembre 2002. Cette commission s’intitule « Commission tripartite pour le rapatriement librement consenti des réfugiés angolais ». C’est le premier accord du genre passé entre ces deux gouvernements, même si le phénomène des réfugiés angolais en R.D.C., ex-Zaïre, est loin d’être nouveau. Le cadre législatif du processus de rapatriement comporte également deux autres lois nationales angolaises, la Norma (loi générale) et le Regulamento (loi spécifique). L’accord tripartite constitue donc la fondation légale et législative du rapatriement, complété par la loi nationale. Le processus de rapatriement des réfugiés angolais de R.D.C. intervient dans une politique plus large de la R.D.C., conclue par un protocole d’accord avec le HCR, et menant au recensement de tous les réfugiés et demandeurs d’asile en R.D.C., mais s’inscrit aussi dans le processus de rapatriement lancé par le gouvernement angolais des réfugiés angolais installés en Namibie, en Zambie et au Congo-Brazzaville.
Je vais vous parler des étapes concernant le camp de Nkondo, et celui de Kilueka, attenant, puisque les autres camps de réfugiés angolais de R.D.C. ont un planning différent de ces deux camps, différé pour des raisons techniques. Lors de la fuite massive des Angolais en 1999 à l’occasion de la reprise des combats dans la province de Mbanza-Kongo, le HCR a décidé de regrouper les réfugiés localisés près de la frontière vers Songololo dans des camps créés à cet effet, ceux de Nkondo et de Kilueka. Ils sont situés dans la région du Bas-Congo. Ces deux camps sont nés en septembre 1999 pour le premier et en mai 1999 pour le second. C’est la première fois, en 1999, que les réfugiés angolais arrivant dans la région du Bas-Congo ont été regroupés dans un camp par le HCR. Auparavant, ils étaient disséminés dans les villages alentour, aidés en cela parce qu’ils appartenaient au même groupe ethnique et parlaient la même langue. En effet, la zone de peuplement le long de la frontière, de chaque côté, est bakongo et la présence d’Angolais date de nombreuses années. Il s’est donc agi, une fois le cessez-le-feu signé, de rapatrier les Angolais de l’autre côté de la frontière. Le processus de rapatriement a comporté plusieurs étapes. La première a été le recensement des réfugiés habitant le camp, entre avril et juin 2003. Puis le processus de rapatriement en tant que tel a été mis en place. Celui-ci a commencé en juin 2003 et continuera jusqu’en 2005, avec des arrêts pendant la saison des pluies, qui rend les routes impraticables. Pour le moment, ce sont uniquement les réfugiés provenant de la province de Mbanza-Kongo qui peuvent être rapatriés. Ceux habitant dans la province de Uige ne peuvent pas encore parvenir dans leur région, le territoire n’étant pas encore complètement déminé. Ces zones sont déclarées inaccessibles par la Coordination de la sécurité des Nations unies en Angola et ce classement concerne toutes les agences des Nations unies, et pas uniquement les réfugiés souhaitant être rapatriés.
Le recensement et la préparation au départ : la recherche d’une catégorie dans laquelle se ranger et se faire ranger :
Il n’a été question lors de ce recensement que des réfugiés vivant dans le camp de Nkondo et de Kilueka, et non des autres réfugiés angolais vivant dans les villages alentour. Il est pourtant à noter que l’emplacement du camp de Kilueka a été choisi pour jouxter un village composé principalement de réfugiés angolais, ayant fui avant l’Angola afin de faciliter leur intégration. Pourtant, un fort ressentiment existe de la part des Angolais qui jalousent la prise en charge des Angolais des camps par le HCR. Nous retrouverons tout au long du rapatriement (notamment) cette distinction entre réfugiés angolais installés dans les camps et réfugiés angolais vivant à l’extérieur des camps. Le HCR explique qu’il prendra en charge le rapatriement des réfugiés angolais une fois terminé le rapatriement des réfugiés vivant dans les camps. Il est donc à noter qu’on entend par « réfugiés » ceux vivant dans les camps, ceux de l’extérieur étant nommés « Angolais ».
Les réfugiés se sont faits recenser d’avril à juin 2003. Lors de ce recensement, chaque famille vient avec ses enfants afin de remplir un formulaire indiquant notamment le nombre de dépendants du chef de famille, leur lieu d’origine et leur destination de retour . Pour cela, elle a besoin de sa carte de ration qui lui permet dans le camp d’obtenir chaque mois un peu de nourriture de la part du HCR. Cette carte garantit aux recenseurs du HCR que le réfugié et sa famille font bien partie du camp. Elle choisit également sa date de rapatriement. A partir de juin 2003, le rapatriement en tant que tel a réellement commencé. Un convoi partait deux fois par semaine pendant les trois premiers mois, puis une fois par semaine par la suite de chaque camp vers Mbanza-Kongo, le centre de retour des réfugiés, situé en Angola. Une semaine avant le départ du convoi, la liste des réfugiés inscrits sort et les réfugiés peuvent alors se présenter pour signer leur VRF et se faire apposer un bracelet rouge en plastique, signe distinctif leur permettant le jour du convoi de pénétrer dans le camion. Deux jours ou la veille du départ, ils viennent avec tous leurs bagages et leur bétail dans le centre de rassemblement des réfugiés. Les bagages sont pesés, étiquetés et mis dans le camion. Ils ont droit à 70 kg de bagages par personne et un camion par famille sans payer de droits de douane ainsi que tout leur bétail. Les réfugiés peuvent alors passer la nuit dans le centre, dans des tentes spécialement conçues à cet effet. Des foyers améliorés (permettant d’économiser le bois de chauffe) ont été construits pour permettre de faire la cuisine. Le centre de rassemblement, nommé comme cela par un panneau à son entrée mais non utilisé dans ce sens pendant le reste du temps (il sert pendant le reste de la semaine de lieu de travail pour le HCR et les autres agences humanitaires, ou de lieu de rencontres pour les réfugiés), devient pour un temps un camp à l’intérieur du camp, un camp « modèle » au sens du HCR, avec ces fameux foyers améliorés, un camp extrêmement ségrégé, avec des tentes ayant chacune une fonction bien déterminée (bétail, bagages, population…). Ses frontières, physiques (le camp est clôturé) ou mobile (les bracelets portés par les réfugiés en partance) sont marquées. Il est donc difficile de cacher son départ pour un réfugié dès lors qu’il porte ce bracelet, si par exemple, il ne s’est pas libéré d’une dette auparavant. Il est possible que son créditeur s’aperçoive de son départ et lui demande des comptes. Un autre exemple que je peux donner est celui d’un des leaders du camp de réfugiés dont le départ précipité (quasiment du jour au lendemain) n’a pas manqué de surprendre l’ensemble des réfugiés, notamment les autres personnes du Comité des Réfugiés. Etant également surprise de sa décision, il m’a montré son bracelet pour me prouver qu’il me racontait la vérité et prenait bien le convoi prochain, le lendemain. Mais il m’a avoué porter une chemise à manches longues pour cacher ce bracelet et éviter de longues explications. Une fois que quelqu’un qui part en Angola est identifié, les autres réfugiés peuvent alors demander de leur rendre des services tel poster une lettre en Angola qui pouvait d’ailleurs leur être destinée. En effet, certains réfugiés souhaitant être rapatriés brandissaient des lettres au personnel en charge du recensement afin de leur prouver que quelqu’un les attendait en Angola, que quelqu’un de leur famille avait acheté une parcelle dans une zone sécurisée etc. Un autre service à demander à un réfugié en partance peut également être le don de leur case. Certains ont des cases plus « sophistiquées » que d’autres (comme des cases ayant plusieurs pièces ou dans un environnement plus arboré), ou mieux situées (plus proches des points d’eau ou du marché du camp par exemple) qui justifient le déménagement de familles entières.
Lors de cette préparation au départ, les réfugiés reçoivent également tous les certificats (naissance, décès, mariage, scolarité) marquant les différents changements au cours de leur vie dans le camp. En effet, le processus de rapatriement a engendré une vaste campagne d’enregistrement des naissances à l’intérieur du camp. Des certificats de naissance sont donc délivrés, authentifiés par le consulat angolais. De même, les enfants ayant suivi une scolarité dans le camp reçoivent leur bulletin scolaire et une attestation d’assiduité de cette école, rattachée au système éducatif congolais, toujours authentifiés par le consulat angolais. Cela marque ainsi un autre changement de catégorie pour les réfugiés : l’entrée, ou plutôt le retour dans un monde qui n’est plus en « arrêt temporel ». En effet, l’une des spécificités du camp de réfugiés est de constituer un lieu de transit où la continuité de la vie biologique est assurée (nourriture, soins de santé) mais pas forcément la vie sociale, ni la socialisation de la vie biologique (en tant qu’on considère les certificats comme un moyen de conservation et de transmission des évènements biologiques, une socialisation en un sens).
Le processus de rapatriement demande une extrême rigueur mais également une certaine souplesse parce que certains cas sont litigieux. Par exemple, il s’agit de réunir le fils et son père, qui est une personne vulnérable, un vieillard, sur le même VRF, car celui-ci ne peut pas voyager seul. Ou bien un réfugié a reçu une lettre pour qu’il rejoigne un de ses parents dans une commune accessible, il faut donc changer les destinations sur les cinq VRF. Ou alors il manque la photo d’un enfant, ou le VRF est avec les bonnes photos mais les noms sont erronés. Tout cela peut également indiquer des pratiques de détournement de ces papiers. L’obtention du VRF assure l’obtention de papiers angolais. L’Angola apparaît pour nombre de Congolais comme un pays de cocagne, un nouvel eldorado. Il est de plus, dit-on, plus facile d’avoir un visa pour l’Europe d’Angola (en passant par le Portugal) que de RDC (en passant par la Belgique). Il serait donc relativement facile de se faire enregistrer comme réfugié angolais, pour peu qu’on obtienne certains complicités de la part des responsables des camps de réfugiés ou du personnel du HCR par exemple et de là, de partir pour l’Angola avec des papiers d’identité angolais à la clé. En fait, ce sont les responsables du camp de réfugiés, réfugiés eux-mêmes, qui se portent garants de la véritable « identité réfugiéé » de la personne demandant à se faire recenser, en cas de litige. Ici, dans le cas du recensement, conditionnant le rapatriement, c’est, je pourrais dire, le droit du sol, avec toutes les précautions prises quand nous utilisons une telle expression, qui prime : est reconnu comme réfugié celui qui a habité dans le camp. Ainsi, un réfugié angolais mais n’habitant pas dans le camp n’est pas considéré comme pouvant faire partie du recensement et donc ne pouvant pas se faire rapatrier. A contrario, nous avons vu le cas de personnes habitant le camp, dont un parent uniquement était angolais (l’autre était congolais et sa femme était congolaise) qui allait se faire rapatrier car il habitait depuis 1999 dans le camp. Il a fait partie de ces personnes vivant indistinctement de n’importe quel côté de la frontière, en fonction des opportunités de travail, et qui a fui les combats en 1999 avec les Angolais. Il s’est retrouvé en RDC puis dans le camp de Nkondo et souhaite maintenant se faire rapatrier en Angola, il est d’ailleurs inscrit sur les listes. Cela laisse donc la porte ouverte à toutes sortes de petits arrangements afin de trouver quelqu’un de suffisamment compréhensif pour fournir une attestation d’hébergement. Le personnel local du HCR ne paraît pas très préoccupé par ce qui pourrait vite prendre l’allure d’un trafic de faux papiers (pouvant d’ailleurs être lucratif). Par contre, le personnel du HCR de Kinshasa est plus soucieux de telles tentatives de détournement de l’aide apportée au gouvernement angolais qui pourrait décrédibiliser leur travail et leur image. Il est également intéressant de voir les glissements de nationalité : à un moment, il était intéressant pour les Angolais d’emprunter la nationalité congolaise. Ils se procuraient pour cela une carte de citoyen (qui n’existe plus depuis) puis allaient chercher une attestation de nationalité au Ministère de la Justice. Désormais, ce sont les Congolais qui vont se faire recenser en tant que réfugiés pour se faire rapatrier en Angola.
Enfin, certains réfugiés inscrits ne partent pas à la date prévue. Le rapatriement peut être différé pour plusieurs raisons : scolarisation des enfants, peur de ne pas trouver les infrastructures adéquates, attente que « l’éclaireur » envoyé (souvent le chef de famille ou le garçon le plus âgé) construise la maison, attente de récolter ou de vendre certaines marchandises, de récupérer ou de payer certaines dettes, fin de traitement d’un malade ou attente d’une opération… Ces abandons peuvent avoir lieu jusqu’au moment de monter dans le camion. Les réfugiés peuvent alors se faire rapatrier un autre jour.
Le convoi :
Les réfugiés montent dans le camion avec leurs objets précieux et/ou cassables et les quelques bagages de dernière minute et le HCR leur donne une chikwangue et une boîte de corned-beef par personne pour le voyage. A ce moment, une personne de la DGM (Direction générale des migrations) et de l’ANR (Agence nationale des renseignements) assistent à l’embarquement et vérifient le nom du chef de famille et le nombre de dépendants. C’est ici que s’effectue en fait le passage à la frontière, dans le sens d’une vérification de l’identité. Plusieurs voitures composent le convoi : les camions transportant les réfugiés (jusqu’à trente à trente cinq personnes), les camions contenant les bagages, une ambulance où les personnes vulnérables voyagent assistées par un infirmier et un agent social, une voiture pour la sécurité, et les voitures transportant le personnel des différentes agences humanitaires.
Le convoi rejoint la frontière en plusieurs étapes (à noter que des représentants du consulat angolais suivent le convoi dès Kimpese). Il part des camps pour rejoindre la ville la plus proche, Kimpese. Puis il repart jusqu’à Lufo, le poste-frontière côté congolais. La distance est de 72 km. C’est un village minuscule, avec un poste de la DGM et quelques stands où sont vendus biscuits, bouteilles d’eau, quelques boîtes de conserve, du pain et des boissons sucrées. On peut également changer ses francs congolais ou ses dollars contre des kwanzas angolais. Le centre de transit construit par le HCR en juillet 2003 est le bâtiment le plus imposant. Constitué de bâtiments en bâche, il est composé d’un dispensaire (sans personnel ni médicament), de trois salles et de latrines. Les salles servent pour le repos lors de la saison des pluies. Lors de cet arrêt qui ne dure pas plus d’une demi-heure, les réfugiés sont contrôlés physiquement par la DGM (ils sont comptés). Puis, on passe la frontière, marquée par une rivière et on arrive à Luvo, côté angolais. Un marché frontalier se tient d’un côté de la frontière toutes les deux semaines. Le samedi, jour du marché, la frontière est ouverte et le transit se fait sans formalité sous forme de jeton. Le visa est alors délivré gratuitement. Le marché a été rouvert le 21 juin 2003, premier jour du rapatriement organisé des réfugiés.
Luvo est essentiellement une place administrative. Les bâtiments de la police, des services de l’immigration et de l’administration sont les seuls encore debout et vaguement en état d’être utilisés sur l’unique place. A Luvo, il y a un centre de transit, constitué d’une salle, et un dispensaire dont est en charge une O.N.G. éthiopienne, Action Africa Humanitaria. Il y a également dans ce centre une tente pouvant abriter les personnes rentrant spontanément et qui attendent un véhicule pour rejoindre leur localité. Les réfugiés sortent du camion et vont dans la salle où le représentant du MINARS leur fait un discours sur ce qui les attend en Angola, et sur le fait que ce sont maintenant des citoyens angolais et non plus des réfugiés. Il termine le discours en demandant si ils sont contents de rentrer au pays et tout le monde s’écrie « Oui ! ». Le représentant du HCR leur indique ensuite qu’il faut qu’ils gardent précieusement leur VRF parce que cela constitue leurs uniques papiers d’identité. Le gouvernement angolais, sur cette base, pourra leur délivrer plus tard une carte d’identité. Puis chaque famille de réfugiés est appelée par le nom de son chef de famille pour un dernier contrôle physique et le chef de famille signe le VRF. Le MINARS tamponne leur VRF en indiquant leurs dates d’entrée dans le pays. La famille remonte ensuite dans le véhicule. Lors de la signature du VRF, les représentants du HCR Angola, du HCR RDC et du MINARS sont présents.
A partir de ce moment-là, le HCR RDC n’est plus dans le convoi, la relève est assurée par le HCR Angola. Le convoi poursuit alors jusqu’à Mbanza-Kongo. Lors de leur arrivée dans le centre de transit de Mbanza-Kongo, les réfugiés y restent deux-trois jours. Ils suivent une formation sur les maladies sexuellement transmissibles et les dangers liés aux mines dans la région. Des non-vivres (kit agricole, bâches plastiques…) seront distribués par famille, voilà pourquoi il est intéressant pour une même famille de se faire rapatrier en plusieurs petits groupes. Le centre de rapatriement sert également de base de travail pour différentes agences de l’ONU. Par exemple, l’UNICEF recense les enfants en âge d’être scolarisés et leur distribue une carte de scolarisation, le cedula pour leur permettre par la suite de s’inscrire à l’école.
Le rapatriement comme processus de différenciation pour les institutions :
Nous avons vu le cas du rapatriement volontaire, selon les termes de la Convention de Genève et e l’OUA. Mais il existe différentes catégories de rapatriement. Celui-ci peut être volontaire ou spontané. Le rapatriement volontaire est celui qui s’effectue dans le cadre des accords passés entre le HCR et les deux gouvernements et où le passage de la frontière s’effectue selon les termes de cet accord (Voyage en convoi, enregistrement et délivrance d’un VRF . Celui-ci tient lieu par la suite de document d’identité pour les réfugiés qui les ont perdus par la plupart). Le rapatriement spontané est celui qui voit le réfugié partir sans l’aide logistique du HCR (même si le réfugié qui habite dans un camp peut obtenir un VRF de la part du HCR). Dans le cas des réfugiés angolais en RDC, il y aurait eu 130 000 réfugiés déjà rentrés, dont 24 000 auraient été assistés dans les centres du HCR. 44 000 seraient rentrés par le processus de rapatriement volontaire . De plus, une procédure de retour particulière vient se greffer à ces deux autres, celle concernant les IDPs , qui ont fui leur province pour se réfugier dans une autre province d’Angola et dont le retour dans leurs provinces d’origine s’effectue également en ce moment. Mais le HCR ne s’occupe pas de ces personnes, puisqu’elles ne relèvent pas de son mandat. Le HCR ne rapatrie pas dans toutes les provinces en Angola et les réfugiés, s’ils veulent rentrer dans des zones classées comme inaccessibles, doivent le faire par leurs propres moyens. Cela crée évidemment des tensions dans le camp, entre les personnes souhaitant rentrer mais ne le pouvant pas, les personnes pouvant rentrer mais ne le souhaitant pas et les agences humanitaires qui souhaiteraient tout de même que le maximum de réfugiés soit vite rapatrié mais de manière volontaire. Cette distinction entre les réfugiés originaires de provinces différentes s’est retrouvée à un moment spécifique, lors de l’annonce de la mise en place de l’initiative de Bamako dès le 1er décembre 2003. Cette initiative introduit le paiement des soins de santé dans les camps de réfugiés en post-urgence, dont celui de Nkondo pour, selon les termes du HCR, habituer les réfugiés à (re)devenir autonomes puisque le HCR quittera le camp le 31 décembre 2004. Les réfugiés ont protesté, arguant que les réfugiés de Mbanza-Kongo avaient été pris en charge jusqu’au bout (sous-entendu jusqu’au bout de leur présence dans le camp, de leur statut de réfugié) et qu’il n’y avait pas de raison pour que ce soit différent pour ceux de Uige. Ainsi, la catégorie de réfugié renvoie à une définition très précise aux yeux des réfugiés. Ils ne contestaient pas tant le fait de devoir payer les soins de santé que celui de devoir payer quelque chose qui avait été gratuit « jusqu’au bout » pour les autres réfugiés.
Le fait d’être rapatrié par le biais du HCR a l’avantage de fournir des documents d’identité, souvent perdus lors de la fuite. Pourtant, ce document d’identité reste spécifique puisque uniquement valable pour un aller simple vers l’Angola et ne permet pas par la suite de traverser des frontières. Sa reconnaissance se limite à l’intérieur du pays. Bref, les réfugiés rapatriés ne deviennent pas si facilement des « citoyens angolais », comme l’a affirmé le représentant du MINARS dans son discours d’accueil en Angola, mais restent stigmatisés encore par leur condition d’ancien réfugié. On parle d’ailleurs de « réfugiés rapatriés », de regressados, en Angola : va-et-vient sémantique qui indique que l’identité des réfugiés sera prégnante encore quelques temps. L’identité de réfugiés, particulièrement forte au regard de la manière dont s’est passé leur (ré)installation en RDC, ne disparaîtra pas du jour au lendemain, notamment par le regard que portent sur eux les personnes n’ayant pas fui le conflit et étant resté en Angola. En effet, certains regressados font l’objet de persécutions une fois rentrés dans leur village (ancienne appartenance à l’UNITA, séropositivité avérée ou soupçonnée, non-connaissance de la langue portugaise…). Il ne faut pas oublier que le mandat du H.C.R. ne couvre que les réfugiés, et non les IDPs dont la situation n’est guère différente de celle des réfugiés, hormis le fait qu’ils n’ont pas traversé de frontière. Les IDPs rentrent dans les mêmes zones que les réfugiés. Mais ces derniers qui ont été rapatriés par le biais du HCR bénéficient de certains avantages comme les kits agricoles qui peuvent leur valoir de la jalousie de la part des autres Angolais. Ainsi, un représentant du HCR Angola nous a déclaré que le HCR resterait en Angola tant que les regressados seraient victimes de discrimination.
Enfin, alors que le HCR a joué la carte de l’intégration locale pour les réfugiés (choix de sites d’implantation des camps à proximité de villages avec déjà une forte présence d’Angolais), souhaitant rendre invisible ces nouveaux arrivés, il rend leur départ, au contraire, extrêmement visible. Les convois occupent toute la route, les voitures des Nations unies sont reconnaissables par leur couleur blanche et les multiples drapeaux et autocollants apposés.
Le passage de frontière impliquant un glissement catégoriel :
Le territoire concerné par le rapatriement est très malléable, nous pourrions le nommer « plastique » : les frontières existantes ont une pertinence à certains moments et pas à d’autres. Il est par exemple très difficile pour un réfugié de traverser la frontière et, bien que le trajet en lui-même ne prenne que peu de temps, les démarches à accomplir pour se faire rapatrier peuvent durer plusieurs semaines (entre l’enregistrement, la délivrance du VRF, la résolution des différents problèmes rencontrés…). Pourtant, quand certains réfugiés (et on remarque ici que leur statut reste identique, la personne est toujours un réfugié) ont dû traverser la frontière pour observer les conditions d’accueil des réfugiés dans les centres de retour (avant le rapatriement), cela se fait avec des formalités réduites à leur plus simple expression, grâce à la délivrance d’un laisser-passer estampillé par la commission tripartite. Le voyage peut alors s’effectuer en quelques heures. De même, le passage de la frontière entre l’Angola et la RDC ne se fait pas pour le réfugié rapatrié, à l’endroit géographique de la frontière reconnue internationalement mais au sein même du camp de réfugiés, dans le camp de rassemblement des réfugiés, qui hier encore ne jouait pas ce rôle mais constituait un lieu semblable à d’autres dans le camp. Enfin, la véritable arrivée pour le réfugié angolais dans son pays n’est pas Luvo, malgré le discours d’accueil du représentant du MINARS, mais bel et bien le camp de retour, et j’aurais tendance à penser (mais je n’ai pas pu le vérifier par une présence dans ce lieu), uniquement trois jours après son arrivée, après avoir accompli les différentes formalités inhérentes à son rapatriement. De même, les zones déclarées « inaccessibles » le sont pour des réfugiés voulant rentrer par le biais du HCR mais rien ne l’empêche de rentrer par ses propres moyens dans ces zones. Ce qui est particulièrement intéressant est que cette « plasticité » ne dépend pas du statut de la personne en tant que telle (réfugié/expatrié…) mais bien plutôt du contexte dans lequel se fait la traversée de la frontière.
Le rapatriement des réfugiés angolais de RDC, une histoire qui touche à sa fin ? :
La situation angolaise reste de toute façon toujours productrice de réfugiés, avec les habitants de l’enclave de Cabinda. Ce territoire abrite 60 % de la production du pétrole angolais. Un conflit oppose les sécessionnistes, le Front pour la Libération de l’Enclave de Cabinda, réclamant une meilleure répartition des revenus du pétrole et une plus grande autonomie, et le gouvernement angolais. Récemment, des organisations de défense des droits humains ont fait état de violations des droits fondamentaux dans cette enclave
Virginie TALLIO (IRIN – 8 janvier 2003)