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Esquisses

Recueil Alexandries

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septembre 2002

Lilian Mathieu

Mouvements sociaux et recours au droit : le cas de la double peine

auteur

Lilian Mathieu est sociologue et travaille au LASP de l’Université Paris X-Nanterre et au CERIEP-Centre de politologie de Lyon. Ses recherches portent sur l’histoire du mouvement contre la double peine et sur les dynamiques militantes au sein de RESF. Il étudie également la question de la lutte contre la double peine ; les dynamiques militantes au sein de (...)

résumé

à propos

Communication au VIIe Congrès de l’AFSP, atelier Groupes d’intérêt et recours au droit, Lille, septembre 2002. L’objet de la présente communication — dont on tient à souligner le caractère encore partiel et inachevé — est précisément d’aborder les relations entre action collective et pratique juridique à partir de l’étude d’un mouvement particulier, le mouvement contre la double peine.

citation

Lilian Mathieu, "Mouvements sociaux et recours au droit : le cas de la double peine", Recueil Alexandries, Collections Esquisses, septembre 2002, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article339.html

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La contestation de lois qu’ils jugent iniques impose fréquemment deux registres d’activités distincts aux mouvements sociaux : d’une part démontrer et dénoncer publiquement cette iniquité en proposant au besoin des solutions alternatives ; d’autre part lutter contre les conséquences négatives immédiates de la mise en œuvre de ces lois. La part respectivement accordée à ces deux types d’activité diffère selon les mouvements, et peut en outre varier au cours du temps pour une même mobilisation. L’étude des organisations de défense des droits des prostituées, par exemple, montre que nombre d’entre elles sont passées d’une contestation générale du sort malheureux que les Etats aux lois discriminatoires imposent aux « travailleuses du sexe » à une assistance sanitaire et sociale auprès de prostituées dont l’extrême précarité serait, selon ces organisations, une des conséquences directes de l’application de ces mêmes lois [1].

Le droit offre une série de ressources pour la conduite du second type d’activité, la défense — très souvent au cas par cas — des victimes d’un ordre social injuste. Ainsi que l’écrit Susan Sterett, même les lois les plus contraignantes ou répressives laissent un certain espace à leur contestation : « Even highly repressive political systems offer opportunities to make claims within their existing frameworks (…) Rules create spaces for claims — that the rules were inappropriately applied, that they should be interpreted in light of some other generally agreed-upon principle » [2]. On comprend dès lors que la présence de professionnels du droit auprès des mouvements sociaux, et le fréquent engagement de ces derniers dans les arènes juridictionnelles, soit un trait récurrent des phénomènes de contestation.

L’objet de la présente communication — dont on tient à souligner le caractère encore partiel et inachevé [3] — est précisément d’aborder les relations entre action collective et pratique jurdique à partir de l’étude d’un mouvement particulier, le mouvement contre la double peine. Le choix de ce mouvement a été en premier lieu motivé par le fait que le droit constitue pour lui à la fois une cible (ce sont des décisions judiciaires ou administratives d’éloignement qu’il conteste) et un instrument pour la lutte (au travers des recours qui peuvent être présentés devant différentes juridictions afin d’obtenir l’annulation des expulsions). Il a également été choisi en ce que s’y exprime avec une particulière acuité la tension entre la défense d’un principe général (l’égalité des nationaux et des étrangers devant la loi) et le soutien individuel aux victimes de la non application de ce principe (les étrangers frappés d’expulsion). Il mérite l’attention, plus généralement, par les problèmes inhérents aux relations entre univers du militantisme et champ juridique qu’il permet de soulever et d’étudier.

1. Une lutte au fil des évolutions législatives

Le mouvement d’opposition à la double peine fait partie du mouvement plus vaste de défense des immigrés [4], et les organisations les plus présentes sur ce terrain sont celles que l’on retrouve habituellement dans les luttes en faveur des étrangers (Cimade, Gisti, MRAP, MIB…) [5]. C’est au début des années 1970, dans un contexte de forte politisation de la question de l’immigration [6], qu’a commencé à être débattu le problème de l’expulsion des contrevenants étrangers — une pratique que les mouvements de défense des immigrés ont désignée pour la dénoncer comme une « double peine », selon eux en rupture avec les principes d’unicité de la peine et d’égalité des nationaux et des étrangers devant la loi [7].

La double peine prend principalement à l’époque la forme de l’arrêté d’expulsion (AE). Cette mesure administrative, qui peut être adoptée par le préfet ou le ministre de l’Intérieur, est prévue par les ordonnances de 1945 sur le séjour des étrangers en France ; leur article 23 permet en effet d’expulser tout étranger représentant une menace grave pour l’ordre public. A l’origine mesure préventive (comme l’indique la notion de « menace ») et utilisée principalement contre des militants étrangers poursuivant en France des activités politiques, l’AE s’est à partir des années 70 mué en une sanction venant s’ajouter à une condamnation judiciaire, et ce principalement à l’encontre de jeunes ayant commis, souvent avec récidive, des délits de gravité variable. Conduite principalement au moyen de pétitions et de manifestations (qu’accompagne parfois l’organisation de la clandestinité de jeunes menacés d’expulsion), la mobilisation contre la double peine connaît son point culminant en avril 1981 lors de la grève de la faim conduite à Lyon pendant plus de trente jours par le père Christian Delorme, le pasteur Jean Costil et le « double peine » Hamid Boukhrouma. A peine arrivé aux affaires, le gouvernement Mitterrand se saisit de la question et lui apporte une réponse par une réforme de l’ordonnance de 1945. Un nouvel article 25 est promulgué en octobre 1981, qui instaure une série de huit catégories d’étrangers, dites « catégories protégées », auxquelles la procédure d’éloignement prévue à l’article 23 ne peut s’appliquer. Il s’agit essentiellement d’étrangers pour qui, en raison de leurs attaches avec la France (conjoints de Français, parents d’enfants Français, étrangers résidant en France depuis plus de 15 ans ou arrivés en France avant l’âge de 10 ans…), l’expulsion est susceptible d’avoir des conséquences graves sur leur vie privée et familiale. Les dispositions de l’article 25 sont toutefois limitées par l’article 26 qui prévoit que l’expulsion peut être prononcée à l’encontre d’individus relevant de ces catégories dans les cas « d’urgence absolue » ou de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique ».

Dans l’esprit du législateur, ce dispositif dérogatoire ne devait être utilisé qu’à titre exceptionnel et ne viser que les seuls terroristes, espions et trafiquants de drogue. Mais dès les années 83-84, les premiers succès électoraux du FN et la politisation croissante de l’immigration conduisent à l’extension de son utilisation. Le contexte devient encore plus défavorable au mouvement de défense des étrangers (dont les plus anciennes organisations sont à la même époque bousculées par les premières mobilisations des « beurs ») lors de la première cohabitation : outre une réforme du code de la nationalité et une restriction du droit au séjour, les lois Pasqua rétablissent le régime de l’expulsion tel qu’il existait avant 1981. Une grève de la faim conduite en 1987 par deux militants de l’association des Jeunes arabes de Lyon et sa banlieue (JALB) appuyée par le slogan « J’y suis j’y reste », est un échec, n’obtenant que le maintien de la protection des mineurs contre l’expulsion. Le retour de la gauche au pouvoir, en 1988, ne se traduit que par un relatif apaisement : la loi Joxe de 1989 rétablit les protections instaurées en 1981, mais ne remet pas en cause le principe de la double peine, qui continue à frapper des dizaines de personnes tous les ans.

Il apparaît dans ces conditions de toute évidence que les protections prévues ne suffisent pas, et que c’est à une réforme globale de la loi que doit tendre la contestation. C’est en conséquence une abolition complète de la double peine qu’exige le Comité national contre la double peine, fondé en 1990 et auquel se joignent les principales associations de défense des étrangers. La campagne de ce qui prend peu après le nom de Collectif national contre la double peine culmine en janvier 1992 avec la grève de la faim conduite, à Lyon et à Paris, par une trentaine de jeunes frappés par la double peine. Si cette action obtient un règlement favorable du cas des grévistes, elle ne débouche cependant pas sur la réforme législative espérée. Pire, le retour de Ch. Pasqua au ministère de l’Intérieur en 1993 s’accompagne d’une très large extension du domaine d’application de ce qui constitue la seconde forme de la double peine : l’interdiction du territoire français (article 131-30 du Code pénal, ITF). Il s’agit cette fois d’une mesure judiciaire, originellement prévue par la loi du 31 décembre 1970 qui donne aux tribunaux la possibilité d’expulser les étrangers coupables d’infraction à la législation sur les stupéfiants. L’efficacité de cette procédure a incité en 1993 les rédacteurs du nouveau Code pénal à étendre son champ d’application bien au-delà des seules affaires de drogue, et notamment aux délits relevant des atteintes aux personnes et des atteintes aux biens commises avec violence. Comme dans le cas de l’AE, l’article 131-30 prévoit un certain nombre de catégories à l’encontre desquelles une ITF ne peut en principe être prononcée en raison de leurs attaches avec la France [8]. Mais ces dispositions protectrices ont été vidées de leur substance par la loi Pasqua du 24 août 1994 qui introduit une clause dérogatoire permettant aux juges de prononcer l’expulsion des étrangers relevant de ces catégories protégées par une « décision spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction ».

Le mouvement contre la double peine a connu un certain délitement au milieu des années 1990. Un temps éclipsé par la cause des sans-papiers, il a également été victime des tensions apparues entre les anciennes associations de défense des étrangers (Cimade, Gisti, MRAP…) et les organisations de jeunes issus de l’immigration (notamment le Mouvement de l’immigration et des banlieues, MIB, créé en 1995), les secondes reprochant aux premières leur « frilosité », les amenant à sacrifier la radicalité au profit de négociations avec le gouvernement, ainsi que d’adopter une attitude condescendante à leur égard [9]. Le problème de la double peine n’en a pas moins fait des réapparitions ponctuelles sur le devant de l’actualité, généralement à l’occasion de grèves de la faim. Celle conduite à Lyon en 1998 par dix Tunisiens et Algériens, notamment, a suscité parmi les militants l’espoir d’une véritable résolution du problème par le gouvernement de gauche plurielle. Cet espoir sera largement déçu : si les dix grévistes bénéficient, à l’issue de cinquante et un jours de jeûne, d’une assignation à résidence, la commission chargée par la garde des Sceaux Elizabeth Guigou de réaliser une évaluation de la pratique de l’ITF n’a jamais vu ses propositions de réforme législative mises en pratique. Le lancement, à l’automne 2001, d’une campagne nationale contre la double peine (campagne « Une peine point barre »), à laquelle participent la plupart des associations de défense des étrangers ou des droits de l’homme, est parvenue à obtenir un engagement du candidat à la présidentielle L. Jospin en faveur d’une suppression de toute possibilité d’expulsion pour les catégories protégées. L’élection de J. Chirac comme l’extrême politisation de la question de l’« insécurité » semblent depuis avoir sonné le glas des espoirs des militants.

2. Des avocats spécialisés et engagés

Le mouvement contre la double peine est tout particulièrement soumis à la tension signalée en introduction. Engagé dans la défense d’un principe général — l’égalité des individus devant la peine quelle que soit leur nationalité —, il doit également soutenir les individus singuliers victimes de la double peine. C’est dans le cadre de cette défense d’étrangers frappés par une décision administrative ou judiciaire d’éloignement que les associations sont amenées à collaborer avec des avocats. La loi prévoit en effet que les étrangers condamnés à l’expulsion peuvent former un certain nombre de recours devant différentes juridictions (tribunal administratif, conseil d’Etat, cour européenne des droits de l’homme…) et pour lesquels les services d’un avocat sont nécessaires. Pour autant, cette action proprement juridique sur des dossiers individuels n’est jamais exempte — tant pour les militants associatifs que pour les avocats — de visées plus générales.

Les avocats qui défendent les « doubles peines » présentent un certain nombre de traits distinctifs qui valent qu’on s’y arrête. Ce sont des avocats spécialisés, au sens où la défense d’étrangers ayant affaire à la justice française constitue une part importante, quand ce n’est pas majoritaire, de leurs activités, et au sens où cette composition de la clientèle est solidaire d’une spécialisation dans un domaine du droit particulier, le droit des étrangers, lui-même considéré comme relevant du domaine plus général du droit des personnes. Une telle spécialisation relève dans une majorité de cas d’un choix préalable, dans lequel les considérations d’ordre moral ou politique jouent un rôle prépondérant. Bien plus que des considérations économiques, c’est leur conviction que la double peine constitue une aberration juridique et que les étrangers qui en sont frappés sont victimes d’une législation inique, qui préside à leur activité. En ce sens, la défense des « doubles peines » est pour eux plus qu’une activité strictement professionnelle : elle participe d’un combat personnel pour l’instauration d’un ordre social davantage conforme à leur conception d’une société juste. Ces traits autorisent à considérer les avocats investis dans la défense des « doubles peines » comme ce que la sociologie anglo-saxonne désigne comme des cause lawyers, c’est-à-dire, selon la définition qu’en donne Carrie Menkel-Meadow, des professionnels du droit pratiquant « any activity that seeks to use law-related means or seeks to change laws or regulations to achieve greater social justice — both for particular individuals (…) and for disadvantaged groups. (…) The goals and purposes of the legal actor are to "do good"— to seek a more just world — to do "lawyering for the good" » [10].

Les entretiens offrent de multiples illustrations de cette conception « militante » de l’activité professionnelle. Pour une majorité des avocats, la défense de ce type de cause participe d’une conception du métier au service des dominés, dont les étrangers sont un cas particulier. Les propos de cette avocate, par ailleurs militante à la Cimade, sont exemplaires de cette vision de l’avocat comme investi d’une mission de défense des populations les plus faibles ou précaires devant les multiples sources de leur domination :

« Moi je savais que je voulais faire avocat pour défendre pas seulement les étrangers, mais les personnes face à l’Etat ou face à un certain nombre de pouvoirs. Ça c’est clair. Donc moi je défends uniquement des locataires, des squatters, des salariés, des étrangers. (…) Bon y’a 36 façons d’exercer ce métier mais (…) pour moi en tout cas c’était comment utiliser le droit pour défendre les plus faibles. Je schématise là, sur "plus faibles", mais voilà. Et il se trouve que les plus faibles dans les années 80 et 90, et malheureusement ça change pas trop, 2000 aussi, c’est quand même au départ les étrangers et les plus pauvres. (…) Et à partir de là moi j’ai envie de me battre pour ces gens-là. D’abord parce que les riches ils sont très bien défendus. (…) C’est un choix de société aussi, de vouloir traiter à l’égal les étrangers, de vouloir trouver des solutions pour que les gens soient pas expulsés de leur logement quand il s’agit de Français ou d’étrangers, de faire réfléchir un peu le droit là-dessus parce que ce que j’ai appris à la fac (…), c’est quand même que le droit c’est le droit des possédants » (avocate, province).

La pratique du droit des étrangers s’inscrit dans plusieurs cas dans la continuité d’un engagement associatif antérieur, lui aussi en faveur des immigrés. Plusieurs avocats signalent ainsi avoir milité pendant leur jeunesse dans des associations où, alors qu’ils étaient encore étudiants en droit, ils mettaient déjà leurs compétences juridiques au service des étrangers :

« Avant d’être avocate j’étais d’abord militante dans ce domaine-là, donc voilà, naturellement professionnellement j’ai préféré me spécialiser dans ce domaine. (…) J’ai fait des études d’avocat pour m’occuper du droit des personnes, avec une dominante droit des étrangers. (…) [J’ai milité] auprès d’une association lyonnaise au départ qui s’appelait les JALB, les Jeunes Arabes de Lyon et banlieue, et ensuite ben dans des tas d’associations » (avocate, province).

« Juste en deux mots, quand j’étais étudiant j’étais au Génépi, donc je faisais mes premiers cours de droit en prison, à l’époque. Il y a une quinzaine d’années. Et puis après, après j’ai donné des consultations aux JALB à la fin des années 80. Même quand j’étais étudiant » (avocat, province).

L’investissement dans la « cause des étrangers », que plusieurs décrivent comme une alliance du « personnel » (une sensibilité au malheur des dominés, et plus spécialement des étrangers) et du « professionnel » (le métier d’avocat), n’est toutefois pas prédéterminé pour tous les avocats rencontrés. Une part d’aléatoire peut également être à l’œuvre, comme dans le cas de cette avocate qui explique devoir sa spécialisation à son installation dans une « banlieue difficile » où relativement nombreux sont les étrangers à avoir maille à partir avec la justice et à devoir recourir à ses services. C’est dans la confrontation à des situations humaines dramatiques, heurtant les repères éthiques individuels, que peut alors s’opérer une redéfinition du métier dans un sens davantage militant : parce qu’« on peut pas être indifférent à ce qui se passe en dehors de nos cabinets » (avocat, Paris), une pratique qui originellement relevait d’une définition strictement professionnelle se charge progressivement d’une dimension éthique et politique : « A force de traiter du contentieux judiciaire des étrangers on voit quand même des choses violentes. Donc forcément on devient militant » (avocate, région parisienne). Dans d’autres cas, une conception « engagée » du métier qui initialement ne s’orientait pas vers la défense des étrangers doit au hasard des circonstances d’avoir dévié vers ce type de contentieux, comme dans le cas de cet avocat à l’origine motivé par le droit du travail : « Lorsque j’étais tout jeune avocat en 82-83, vous vous rappelez que y’a eu la loi Badinter sur les contrôles d’identité et que cette loi a permis à la police de procéder à des arrestations en grandes vagues. Et c’est vrai que 83-85, je faisais du pénal et toute la question du pénal c’était souvent les conditions d’interpellation, derrière les conditions d’interpellation c’était le contrôle d’identité et puis derrière le contrôle d’identité c’est, être un étranger (…) Au début je voulais faire du droit du travail, par la nature des choses ça s’est pas fait, ça s’est fait différemment » [11] (avocat, Paris).

Qu’elle soit ou non au principe de leur vocation, la dimension « engagée » ou « militante » de leur pratique constitue pour ces avocats une question délicate. Si plusieurs, à l’instar des avocats travaillistes [12], affirment n’éprouver aucune difficulté à assumer maîtrise du droit et militantisme — au point parfois de présenter leur réputation de militant comme une garantie de leur crédibilité devant les juges [13] —, d’autres sont beaucoup plus inquiets des risques de disqualification que comporte l’étiquette d’avocat « militant » : « Parce que le terme d’avocat militant ça veut souvent dire, chez les adversaires, notamment les procureurs de la République, qu’on fait pas de droit » (avocate, province). Parce qu’ils savent qu’un excessif mélange des genres entre droit et politique peut être nuisible à leur crédibilité professionnelle, ils tiennent à souligner que l’analyse juridique est, bien avant leurs convictions, le principal fondement de leur pratique : « Si je me présente comme une passionaria des sans-papiers, je me trompe d’endroit, je me trompe de tribune. Et puis alors les juges, inutile de vous dire que ça marchera pas. Par contre si je leur dit "la décision que vous allez prendre vous ne pouvez pas la prendre parce que cet article ci, ou parce que cette loi vous dit ça", et que je tape du poing sur la table en argumentant de façon juridique, là oui je serai entendue » (avocate, province).

Une conception purement juridique de la pratique peut tenir, pour celles et ceux qui s’y affirment les plus attachés, à plusieurs facteurs. Notamment exprimée par les avocats les plus jeunes ou qui rencontrent le plus de difficulté à assurer la rentabilité de leur cabinet, elle peut manifester un attachement aux principes du champ juridique d’autant plus fort que l’appartenance à celui-ci est plus incertaine ou vulnérable. Alors que leurs confrères les plus connus et reconnus comme spécialistes du droit des étrangers ont moins à redouter les effets du stigmate militant et peuvent s’autoriser une certaine distance aux normes du champ juridique, eux se sentent davantage tenus de présenter des gages de respect de ses principes, règles et formes. Parmi ces exigences propres à la forme juridique, l’une des plus importantes est celle d’universalité, par définition opposée à tout ce qui relève du particulier et de l’arbitraire [14]. Le détachement à l’égard du militantisme (c’est-à-dire du partisan et donc du particulier) apparaît dans le cas présent comme une soumission à ce principe, mis en évidence par Luc Boltanski [15], de recevabilité de toute dénonciation d’injustice qu’est le rejet du singulier au profit de la montée en généralité.

Potentiellement stigmatisante auprès des juges [16], la conception « engagée » de leur pratique tend également à distinguer les avocats qui défendent les « doubles peines » de la majorité de leurs confrères. On peut à ce propos constater, en se fondant sur l’étude de Lucien Karpik, que le droit des personnes apparaît sous plusieurs aspects (revenu, qualification, prestige), comme un des domaines du droit les moins valorisés [17]. Exerçant en solitaire ou dans des cabinets réunissant un petit nombre d’associés (alors que le prestige et la prospérité économique vont plutôt aux grands cabinets fonctionnant sur le modèle de l’entreprise), ils sont également exposés, pour parler comme Goffman, à être contaminés par le double stigmate (étrangers et délinquants) de leurs clients [18], et décrédibilisés par leur opposition aux autorités politiques et administratives, aux yeux d’une profession présentée comme majoritairement conservatrice :

« Effectivement on est différenciés des autres, parce qu’on gagne pas de la même façon, parce que on est toujours contre les pouvoirs en fait. Je veux dire on assigne le préfet, (…) on met en cause le ministère de l’Intérieur, on met en cause les services de police dans les interpellations… (…) En plus les avocats sociologiquement c’est pas des gens qui sont, ni des révolutionnaires, ni des gens qui ont envie de changer nécessairement les choses » (avocate, province).

La référence à l’idéologie professionnelle du désintéressement [19] apparaît dans ces conditions comme un des moyens de se distancier, en se réévaluant symboliquement, des positions (économiquement) dominantes de la profession, perçues comme peu intéressantes ou disqualifiées par leur aspect mercantile : « Pourquoi on n’est pas nombreux, je sais pas. D’abord parce que ça rapporte pas de fric, si, ça je sais » (avocate, province) ; « J’ai préféré me spécialiser dans ce domaine-là plutôt que dans le droit commercial, qui m’intéresse pas du tout » (avocate, province). Il n’en reste pas moins que la plupart des avocats rencontrés soulignent les difficultés économiques qu’entraîne la défense de personnes généralement issues de catégories défavorisées, dépourvues d’emploi et dont le séjour en France est dépendant des décisions de justice : « Moi ici si je tiens c’est grâce à la solidarité (…) des autres associés, qui eux font de l’argent, mais avec une certaine morale » (avocate, province) ; « Il faut pas perdre de vue qu’un cabinet d’avocats c’est aussi une petite entreprise avec des préoccupations économiques, et que ce contentieux il va pas de pair avec le développement d’un cabinet d’avocats. (…) [Le] droit des étrangers (…) pose un vrai problème en termes de rentabilité » (avocat, Paris).

3. La pratique du contentieux

La spécialisation des avocats qui défendent les « doubles peines » en droit des étrangers ne doit pas faire illusion. Non seulement celui-ci n’est que depuis peu de temps en voie de constitution comme domaine du droit spécifique, et n’est encore que très peu enseigné en tant que tel dans les facultés de droit, mais sa pratique concrète exige des compétences relevant de différents domaines juridiques. Cela est notamment dû, pour ce qui est de la double peine — dont on rappellera qu’elle est une notion étrangère au vocabulaire juridique et relève du registre militant —, à la dualité de ses formes (administrative pour l’AE, judiciaire pour l’ITF) mais également à la diversité des recours qui peuvent être engagés contre elle et à la multiplicité des instances susceptibles de suspendre ou d’annuler une décision d’éloignement. La maîtrise de plusieurs domaines du droit, souvent acquise par la pratique et venant s’ajouter à une formation initiale dans une seule spécialité, apparaît ainsi comme une condition indispensable pour assurer une défense efficace :

« Il faut jongler avec les juridictions, il faut jongler avec les tribunaux correctionnels, il faut jongler avec les tribunaux administratifs, et il faut savoir saisir la cour européenne. En fait il faut, moi je dis qu’il faut être un bon généraliste sur ces questions là. (…) Il faut être bon en droit de la nationalité, c’est du droit civil, il faut être bon en droit pénal pour les interpellations par la police, il faut être bon en droit pénal pour toutes les poursuites concernant les étrangers, il faut être bon en droit administratif pour saisir le juge administratif pour demander l’annulation d’un arrêté de reconduite ou d’expulsion, et il faut être bon en droit européen pour saisir la cour européenne, il faut connaître la jurisprudence. C’est vrai que ça fait trois, quatre matières à connaître. En même temps c’est intellectuellement honnête de connaître ces quatre matières, parce que n’en connaître qu’une pour les défendre on voit ce que ça donne » (avocate, province).

Le type de recours possible dépend, en premier lieu, de la nature de la décision susceptible d’être contestée (AE ou ITF), mais également de la situation de l’étranger au moment où il prend contact avec l’avocat c’est-à-dire, avant tout, du temps qui sera disponible à celui-ci pour engager un recours. Nombreux sont en effet les avocats à regretter que leurs clients s’adressent à eux « toujours trop tard », c’est-à-dire juste avant l’exécution de la mesure d’expulsion, à leur sortie de prison ou, pire encore, alors qu’ils sont en centre de rétention. Ajoutons que les avocats des « doubles peines » ne sont pas ceux qui les ont défendus en première instance ; il y a donc transmission du cas de l’avocat qui a défendu l’étranger en première instance vers celui qui va désormais plaider non sur le délit, mais sur la décision d’expulsion.

L’ITF — temporaire ou définitive — peut avant son exécution faire l’objet d’une requête en relèvement. Celle-ci doit être présentée devant la même juridiction qui a prononcée l’ITF, et consiste à demander au juge de revenir sur sa décision en faisant valoir soit des éléments de la vie personnelle ou familiale qui n’avaient pas été portés à sa connaissance au moment où il a prononcé l’ITF, soit des changements dans la situation de fait ou de droit du condamné depuis le prononcé de la peine. Plusieurs conditions doivent être réunies pour que la requête soit recevable : l’ITF doit avoir été prononcée comme peine complémentaire (et non comme peine principale), la demande doit être présentée dans un délai minimal de six mois après la condamnation et alors que le condamné est en prison, hors du territoire français ou assigné à résidence. La démarche du relèvement apparaît donc comme longue et contraignante, et le fait qu’elle exige du juge de revenir sur sa première décision la rend fortement aléatoire. Présentée après l’exécution de l’expulsion et le retour clandestin du condamné sur le territoire (ce qui est relativement fréquent), elle exige au préalable l’obtention d’une assignation à résidence que les préfectures sont des plus réticentes à accorder.

L’arrêté d’expulsion, quant à lui, est une mesure de police administrative qui, on l’a dit, a en principe une finalité préventive mais qui dans la pratique sanctionne un délit ayant fait l’objet d’une condamnation pénale. Arrêté pris par un préfet ou le ministre de l’Intérieur (après avis consultatif de la commission d’expulsion), il peut faire l’objet d’une demande d’abrogation auprès du ministère de l’Intérieur mais exige pour cela que le demandeur soit absent du territoire français ou assigné à résidence ; il peut également faire l’objet d’une contestation devant la justice administrative. Indépendant de la condamnation pénale, l’AE peut être pris pendant la détention ou à l’issue de celle-ci ; il est de ce fait moins facilement anticipable, et sa contestation en est rendue plus difficile. Il arrive ainsi fréquemment qu’un condamné qui pensait rester en France après avoir purgé sa peine apprenne en cours de détention qu’un AE a été pris à son encontre, et doive de sa prison contacter dans l’urgence un avocat (ou une association qui lui en conseillera un). Dans les pires des cas, c’est alors qu’il a déjà été transféré au centre de rétention (où il doit séjourner 48 heures avant de prendre la bateau ou l’avion), et donc que son expulsion est imminente, que la Cimade (seule association présente dans les centres) prend connaissance de son cas. L’avocat peut alors engager une procédure de référé au tribunal administratif [20] pour au moins surseoir temporairement à l’expulsion, tout en engageant d’autres procédures exigeant un délai relativement long avant d’être examinées par la justice. Une avocate explique ainsi que lorsqu’elle s’occupe d’un cas en extrême urgence, elle engage des recours « tous azimuts » :

« Si il faut saisir le juge des référés en civil en voie de fait contre le ministre de l’Intérieur ou si il faut saisir le juge administratif et si il faut saisir les deux et si il faut saisir la cour européenne eh ben on fera les trois. Parce que on sait que y’aura peut-être une chance sur une des trois procédures. (…) Si par exemple je suis à peu près sûre et que j’ai un peu plus de temps, je prends qu’une seule procédure et je la fais à fond. (…) Mais si je suis à la bourre (…) et que le mec a un avion dans 48 heures, je vais lui dire "monsieur vous allez refuser d’embarquer au cas où" — je lui dis, hein, je lui conseille si vraiment on considère qu’il faut pas qu’il rentre — "vous allez passer devant le juge délégué pour telle ou telle question, vous allez passer devant le juge administratif", on fait tout » (avocate province).

Les refus adressés aux différentes requêtes d’annulation ou d’abrogation sont naturellement susceptibles de recours devant les juridictions d’appel ou de cassation compétentes — cour de cassation pour les décisions judiciaires et conseil d’Etat pour les décisions administratives — mais ceux-ci ne sont pas suspensifs de l’expulsion et exigent des délais souvent très longs. Lorsque ces recours ne permettent pas d’obtenir le retour de l’étranger en France ou la suspension d’une menace d’expulsion, l’ultime recours est la présentation du cas devant la cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Celle-ci exige d’une part que toutes les voies de recours internes aient été épuisées (ce qui rallonge d’autant les délais) et d’autre part que la procédure d’éloignement constitue une violation d’un ou plusieurs articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Les articles les plus fréquemment mobilisés dans les affaires de double peine sont l’art. 3 (« nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants »), l’art. 6 (qui garantit le droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable) et, surtout, l’art. 8 (qui garantit le « droit au respect de la vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »). L’art. 3 est principalement mobilisé lorsque la personne expulsée encourt des risques dans son pays de renvoi, tandis que l’art. 6 est privilégié pour contester les rejets de requêtes en relèvement que l’expulsion a empêché de présenter dans les délais ou conditions prévues. L’art. 8 est le plus fréquemment mobilisé dans les recours à la CEDH, et celui considéré comme ayant le plus de poids auprès des juges de Strasbourg. Il est prioritairement avancé lorsque le défendant est un étranger ayant des attaches fortes avec la France, c’est-à-dire qui relève d’une ou plusieurs des catégories dites « protégées » et qui n’a avec son pays de renvoi d’autre lien que la nationalité (il n’en parle pas la langue, n’y a plus de famille, etc.) ; c’est parce que son expulsion aurait des conséquences dramatiques pour sa famille — sont principalement visés le conjoint et les enfants Français — qu’elle est présentée comme portant atteinte à la vie privée et familiale.

Le fait que l’art. 8 soit privilégié dans les recours à la CEDH est révélateur de la sorte de sélection qui s’opère au fil des recours : ne sont défendus tout au long de l’échelle des recours que les « meilleurs cas », ceux pour qui l’expulsion apparaît, du fait qu’ils ont toutes leurs attaches familiales en France, comme la plus injustifiée. A l’inverse, les avocats affirment décourager les clients qui ne peuvent faire valoir de telles attaches et dont la défense apparaît perdue d’avance : « Un jeune qui est entré en France en janvier 2002 qui fait un gros trafic de stups en mars 2002 et qui est expulsé en avril 2002, je lui dis que c’est pas la peine que je m’acharne sur son dossier » (avocate, province). De manière plus marginale, ce que l’on pourrait appeler des bornes éthiques conduisent certains avocats à opérer une sélection des cas dont ils acceptent d’assurer la défense. Ainsi que cela se remarque plus généralement dans le mouvement, où certains militants sont réticents à se mobiliser pour certains « doubles peines » que leur délit rend « indéfendables », la nature et la gravité de l’infraction peuvent entamer la conviction d’un avocat que le client mérite d’être défendu : « Le trafiquant de drogue notoire qui est allé à Rotterdam dix fois et qui s’en est mis plein les fouilles, j’ai du mal. (… ) Je saurais pas défendre et je serais pas en accord » (avocate, province).

On ne s’est livré ici qu’à une présentation sommaire des principaux recours possibles devant les décisions administratives et judiciaires d’éloignement. La réalité est beaucoup plus complexe, du fait notamment de disparités géographiques et des évolutions de certaines juridictions [21]. La diversité des situations offre en outre aux avocats l’opportunité d’élaborer des stratégies subtiles contre l’éloignement de leurs clients. Une des voies de contestation des décisions d’expulsion leur est paradoxalement fournie par la relativement fréquente non exécution des peines d’ITF ou des AE ; les personnes qui auraient dû être expulsées mais ne l’ont pas été peuvent alors soit choisir de rester dans la clandestinité, soit présenter une demande d’assignation à résidence (mais en courant le risque, en se faisant connaître, d’être effectivement expulsées). La même possibilité s’offre aux personnes qui sont revenues clandestinement en France et y ont repris — parfois au vu et su de la police — une existence paisible. De telles situations offrent des opportunités de contester les décisions d’expulsion, comme cela a par exemple été le cas de M.D., Algérien arrivé en France à l’âge de neuf ans, marié à une Française et parent d’enfants Français, expulsé au titre d’un AE venu s’ajouter à une condamnation pénale, et revenu clandestinement en France quelques mois plus tard. Ce sont les rejets de plusieurs demandes d’assignation à résidence que son avocat a attaqués, avec succès, devant le tribunal administratif :

« Le raisonnement juridique était un peu novateur on va dire, on avait considéré qu’il y avait une assignation à résidence de fait, puisque la police savait qu’il était là (…) On avait dit il bénéficie d’une assignation à résidence de fait. Donc à partir du moment où officiellement vous refusez de l’assigner, c’est comme si vous remettiez en cause l’assignation dont il bénéficiait antérieurement, donc y’a des droits acquis qui sont touchés, donc ça permet de faire un recours. (…) Il avait été expulsé en 1994, ça se passait en 2000, donc ce qu’on disait c’est qu’au moment de l’arrêt, au moment où l’autorité administrative se prononce sur la demande d’abrogation ils peuvent plus dire qu’il représente une menace grave pour la société, pourquoi, parce qu’il a sa situation familiale qui s’est modifiée, c’est quelqu’un qui a jamais plus fait parler de lui défavorablement, c’est quelqu’un qu’on laisse vivre comme ça, etc., donc maintenant il faudrait qu’il puisse vivre complètement normalement, travailler, élever ses enfants. Donc le tribunal a considéré (…) qu’on ne pouvait pas dire que sa présence en France constituait toujours (…) une menace grave pour l’ordre public. Donc refus d’abrogation illégal, donc… Ça a eu pour effet de contraindre l’administration à enlever d’arrêté d’expulsion » (avocat, province).

Les avocats savent combien sont précieuses les victoires obtenues au moyen de telles trouvailles juridiques susceptibles d’avoir une portée jurisprudentielle. C’est pourquoi ils mettent un soin particulier à diffuser leur jurisprudence à leurs confrères eux aussi spécialisés dans la défense des « doubles peines » [22]. Cette mutualisation des acquis est présentée par plusieurs avocats comme une expression de la conception « engagée » de leur métier, qui donne la priorité à la cause générale des « doubles peines » sur leurs intérêts professionnels personnels, et contribue elle aussi à les distinguer de la majorité de leurs confrères : « On a la chance d’être une équipe qui travaille en droit des étrangers où tous les membres s’entendent bien, on fait pas de la rétention d’information, ce qui est souvent le cas chez les avocats, on partage notre jurisprudence pour faire avancer les choses » (avocate, province) ; « Une motivation supplémentaire, c’est que c’est pas un domaine de concurrence où on se pique les clients. Trop de dossiers et pas assez d’avocats spécialisés, donc on se connaît tous, on se refile les bonnes jurisprudences (…), on se remotive quand on en a marre » (avocate, région parisienne).

Certains moyens extra-juridiques peuvent par ailleurs être employés, sur le conseil de leur avocat, par les « doubles peines » de manière à influencer indirectement le cours de la machine judiciaire ou administrative. Il en est ainsi des refus d’embarquer qui permettent de gagner du temps (tout en présentant le risque d’une nouvelle condamnation) ou des demandes adressées au consul du pays de renvoi pour qu’il n’accorde pas de laissez-passer ; en l’absence de ce document, l’expulsion est impossible et l’étranger doit être assigné à résidence. Ces moyens à la légitimité juridique incertaine ne sont mobilisés que dans les cas d’extrême urgence. Ce sont les mêmes situations d’urgence, exigeant une action au-delà du seul registre juridique, qui donnent lieu aux plus fortes mobilisations associatives.

4. Avocats et militants

A la différence des quatre types de cause lawyers définis par Michael McCann et Helena Silverstein (staff technician, staff activist, hired gun, nonpracticing lawyers) [23], distincts principalement par leur degré d’engagement dans la cause défendue par le mouvement au service duquel ils placent leurs compétences, nos avocats ne sont pas des juristes d’organisation. Ils ne sont pas rétribués par les associations, mais par des clients individuels. Pour autant, nombre d’entre eux ont eu ou ont encore un important engagement associatif, notamment dans cette organisation aux fortes identité et composition juridique qu’est le Gisti. Cette expérience associative, par l’établissement et la consolidation de liens d’interconnaissance, contribue d’une part à expliquer que ce soit vers eux que les associations orientent les étrangers frappés par la double peine qu’elles accueillent, mais surtout que s’établissent avec elles des relations étroites et durables de coopération. Connaissant de l’intérieur les associations, leurs militants et leur mode de fonctionnement, ils peuvent plus facilement s’ajuster à leurs attentes et représentations que, pour une large part, ils partagent.

Se pose une nouvelle fois la question du rapport de ces professionnels du droit à l’engagement, qui ici prend plus exactement la forme du rapport entre deux univers de sens et de pratique distincts — le champ juridique et l’espace des mouvements sociaux [24] — et des effets de l’éventuelle multipositionnalité des acteurs. Le fait que la lutte générale contre la double peine et la défense des individus singuliers qui en sont victimes soient étroitement liées mais relèvent de deux registres de pratique distincts, ayant chacun leurs exigences et contraintes propres, est ainsi régulièrement rappelé dans les entretiens. Tel avocat de province qui affirme d’abord qu’« on est forcément engagé quand on défend, à travers la règle de droit, des principes » et que la justice est « une fonction éminemment politique », tient immédiatement après à préciser qu’il est « avocat avant tout » et qu’« on ne peut pas à la fois travailler le droit et en même temps aller manifester » (avocat, province). Y compris les avocats qui investissent le plus leur activité d’une dimension politique, ou dont l’engagement associatif est le plus fort ou le plus notoire, et qui affirment ne « jamais renier [leur] engagement dans [leurs] plaidoiries », tiennent à marquer une même distinction : « je ne mélange jamais » (avocat, région parisienne). Pour autant, les réponses fréquemment embarrassées, voire confuses ou contradictoires, à la question des relations entre engagement et exercice du droit recueillies au cours des entretiens semblent indiquer que cet exercice de délimitation de frontières, crucial car déterminant de l’universalité des arguments et donc de leur crédibilité juridique, est dans la pratique des plus délicat. Dans ce contexte, l’insistance sur les différences irréductibles entre pratiques juridique et militante rassure sur la spécificité du travail d’avocat et sa non contamination par le registre partisan, et particularisant, du militantisme. C’est alors dans une « théorie » du partage des tâches et de la complémentarité que s’opère le marquage des frontières entre militantisme et pratique juridique :

« Sur des dossiers un peu médiatiques, les communiqués de presse vont forcément être faits par les associations qui signent, c’est pas nous avocats qui faisons des communiqués de presse. Bon. Par contre à la sortie d’une audience médiatique entre guillemets où il y a la presse, la télé etc., les journalistes vont venir m’interroger en tant qu’avocate, là je vais parler en tant qu’avocate, c’est-à-dire dire "je conteste cette décision devant le tribunal et je demande l’annulation de cette décision parce que elle me paraît contraire à tel, tel ou tel article" et puis quand ils interrogeront le membre de l’association il va dire "c’est inhumain, c’est…" Donc ça se complète, forcément, mais chacun a son rôle, de fait » (avocate, province).

La réalité s’avère plus complexe, et les connexions entre militants et avocats plus étroites ou intriquées. Les avocats soulignent par exemple que leur travail bénéficie amplement des compétences juridiques que les militants ont acquises au fil de leur pratique [25], tandis que les responsables associatifs considèrent pour leur part l’engagement des avocats, permettant de dépasser le registre de la simple prestation de service juridique économiquement rétribuée, comme une condition du travail en commun et comme un gage d’efficacité des procédures :

« Il faut arriver à se mettre à collaborer dans une relation qui soit une vraie relation de militance, et pas une relation de professionnels. Je veux dire, toutes les associations qui travaillent de façon professionnelle avec des avocats, on peut dire que ça fonctionne normalement comme quand on va chez un professionnel, mais ça va pas plus loin. (…) Des avocats qui sont payés par un client pour défendre au tribunal en correctionnelle, qui s’occupent d’ITF par inadvertance il y en a plein les cours correctionnelles. Mais c’est de l’incompétence. Et c’est du relationnel client-professionnel. Autrement dit "j’ai gagné : j’ai gagné, j’ai perdu : j’ai perdu, basta". Ce qu’apporte la militance, c’est-à-dire ce qu’apporte l’idée que il ne s’agit pas simplement de défendre quelqu’un mais il s’agit (…) de faire évoluer un principe sur des enjeux éthiques supérieurs » (responsable associatif, province).

Les exigences concrètes de la défense d’étrangers menacés d’expulsion — et cela d’autant plus que celle-ci est imminente — contribuent à l’intrication des pratiques militantes et juridiques en imposant une collaboration étroite. Le partenariat est dans ces cas d’autant plus nécessaire que l’avocat dépend du travail préalable de constitution du dossier du client que l’association lui a envoyé, et que celle-ci est la mieux à même de lui fournir des informations pertinentes sur sa situation personnelle, voire des moyens logistiques :

« Il est arrivé dans plusieurs cas qu’on travaille conjointement. (…) Parce que il faut une logistique qu’on n’a pas ici, par exemple dans les extrêmes urgences, la nuit ou le dimanche, etc., où on va travailler dans les locaux d’une association où y’a des gens qui vont pouvoir taper etc. parce que je l’ai pas ici, le dimanche par exemple. Soit parce que y’a tout un travail conjoint qui est fait par exemple de recueillir des informations sur les situations de fait concernant les familles, concernant les personnes qui sont concernées, des informations que détiennent d’autres que moi j’ai pas, que je n’ai pas les moyens d’obtenir rapidement. (…) Les militants peuvent aller recueillir ce type d’informations pour ensuite me les transmettre, pour que moi je puisse ensuite les traduire juridiquement » (avocat, province).

De même le partage d’instants fébriles ou d’intense activité parfois chargés d’une forte composante émotionnelle (constitution du dossier en urgence, attente angoissée d’une décision de justice…) et leur commun souvenir contribuent-ils à tisser des liens interpersonnels forts qui dépassent largement le cadre restreint de la prestation de service juridique : « [On] se met à travailler ensemble dans l’urgence, le soir, les uns tapent à l’ordinateur, les autres dictent le recours, les troisièmes appellent les gens pour être au tribunal le lendemain matin, on boit des coups, on mange ensemble un machin sur le coin de la table… On travaille ensemble, il se fait un travail. Si y’a pas ça, si y’a pas ça y’a pas de travail » (responsable associatif, province).

L’intrication entre militantisme et action juridique est également sensible dans le cas de procès donnant lieu à de particulières mobilisation et médiatisation. La présence de groupes militants plus ou moins importants et visibles devant le tribunal ou à l’intérieur de la salle d’audience où doit être prise une décision concernant un « double peine », des déclarations de responsables associatifs dans les médias avant ou après le rendu d’une décision… accompagnent fréquemment, surtout lorsqu’il s’agit de cas considérés comme « exemplaires », le travail de défense accompli par l’avocat. Lorsqu’elles sont impulsées avec l’accord de l’avocat, voire à son initiative, mobilisation et médiatisation peuvent être considérées comme relevant d’une importation, dans le jeu juridique, de ressources étrangères à l’univers du droit. Potentiellement disqualifiables du fait cette extériorité, elles doivent au préalable être juridiquement légitimées, en l’occurrence par l’invocation du principe de publicité des audiences : « Il faut qu’il y ait du monde à l’audience, c’est la loi » (avocate, province) ; « La justice est mieux rendue quand elle est publique. Elle l’est toujours normalement, publique » (avocat, province). Mais c’est surtout leur possible influence sur les juges qui est invoquée à l’appui de la mobilisation de telles ressources extra-juridiques. Parce qu’ils agiraient sous le regard des citoyens, les juges seraient amenés à davantage veiller au respect des procédures et seraient en quelque sorte soumis à une exigence supplémentaire de rigueur et d’équité dans le rendu de leurs jugements :

« La mobilisation elle est à mon sens toujours favorable (…) Plus on leur [les juges] montre qu’il y a du regard extérieur, plus ils font attention. Quand je dis regard extérieur je suis sympa. C’est-à-dire que plus il y a du public dans la salle, même sans faire pression, ni protester ni quoi que ce soit, plus y’a du regard extérieur, plus y’a des articles, plus y’a de la pression mais au bon sens du mot, dans le sens où "on est des citoyens, vous rendez la justice au nom du peuple français, on est dans la salle, on écoute, on entend, on voit ce que vous dites vous les juges" (…) j’ai vu la différence de traitement quand on passe tout seul avec un étranger par exemple devant un juge administratif ou on passe avec une salle pleine. (…) Plus y’a du regard extérieur plus ils font attention, plus ils travaillent. (…) Ils se sentent écoutés, observés, ils savent qu’il y aura des articles derrière donc ils font encore plus gaffe. Ça moi je l’ai contrôlé depuis dix ans, c’est impressionnant quoi. C’en est même terrifiant. Parce que c’est injuste. » (avocate, province)

L’accompagnement d’une plaidoirie par une mobilisation s’avère cependant une ressource à la gestion extrêmement délicate. Le risque est en effet présent qu’une mobilisation trop visible ou perturbatrice joue en défaveur du prévenu en « braquant » un juge qui n’admet pas la prétention des militants à lui « forcer la main » dans sa décision. C’est la prégnance de ce risque, et la gravité de ses conséquences pour le prévenu, qui amène certains acteurs à s’en faire de farouches opposants : « Les juges ont horreur de statuer sous la pression. (…) Une délégation de la campagne de la double peine à une audience de la cour c’est le meilleur moyen pour que l’affaire termine mal. (…) Les manifestants seront plus considérés comme des emmerdeurs qui veulent influencer le juge alors que le juge doit être impartial, indépendant, etc. etc. C’est tout le statut et la fonction du juge qu’on remet en cause. Et ça ça lui plaît pas et c’est normal » (juriste, militant associatif). Y compris les avocats qui ne s’interdisent pas d’avoir recours à ces ressources externes que sont une présence militante ou une médiatisation sont attentifs à l’adéquation de ce type de stratégie à chaque cas particulier, en fonction notamment de la réputation du juge devant lequel ils vont plaider ou de la situation de leur client. C’est ainsi que certains vont tenter de mettre en forme la mobilisation qui accompagnera leur plaidoirie, par exemple en misant sur un public restreint mais dont la qualité est un gage de crédibilité, plutôt que sur de larges effectifs militants que leur âge ou leur apparence rendent potentiellement disqualifiables : « Le 1er juin j’ai le procès des sans-papiers qui avaient occupé la fac de F. Bon. Le président est quelqu’un de calme, de pas du tout excité, etc. J’ai préféré que y’ait plus de profs de la fac de F. que d’étudiants. (…) Montrer que c’était pas un mouvement complètement délirant » (avocat, région parisienne).

Une autre contrainte inhérente à ce type de stratégie apparaît cette fois en regard non du sort du prévenu défendu, mais de la lutte générale contre la double peine. Une des principales difficultés auxquelles cette cause est confrontée tient aux stigmates de la population qu’il défend — étrangère et délinquante — qui contribue à la rendre doublement illégitime. Même s’ils sont opposés au principe de l’expulsion pour tous les contrevenants étrangers et militent pour leur égalité devant la peine avec les nationaux, ils savent que certains cas sont moins « défendables » que d’autres, et que la mobilisation et la médiatisation ne peuvent se faire qu’autour de « bons cas », publiquement « présentables » et « défendables » [26]. Ceux-ci sont principalement des condamnés pour de petits délits, pour lesquels l’expulsion apparaît une sanction démesurée en regard de la gravité des faits, et surtout des étrangers relevant d’une ou plusieurs des « catégories protégées » et pour qui l’éloignement du pays avec lequel ils ont toutes leurs attaches aurait des conséquences désastreuses. A l’inverse, les étrangers présents depuis peu sur le territoire français ou condamnés pour des délits graves (trafic de drogues dures, proxénétisme, viol…) apparaissent comme publiquement « indéfendables » et leur médiatisation, potentiellement disqualifiante pour le mouvement, doit en conséquence être évitée : « Médiatiser une affaire d’un mec qui a fait un trafic international de stupéfiants pour faire pression sur le tribunal pour pas qu’il prononce une interdiction du territoire français, à mon avis c’est à côté de la plaque. Bon. Je préfère être tranquille et discuter pied à pied avec la juridiction sur la question de l’interdiction du territoire français » (avocat, région parisienne).

La médiatisation apparaît elle aussi comme une ressource délicate à manier. Les relations tissées au fil du temps avec des journalistes permettent aux avocats de donner de la visibilité à certains cas dont la défense leur paraît nécessiter une certaine publicité : « Au fur et à mesure des années j’ai rencontré un certain nombre de journalistes avec lesquels je suis resté plus ou moins en contact et au bout d’un certain moment, bon, si j’avais une affaire intéressante et que je pensais importante de médiatiser pour des raisons de défense, je les ai rappelés, au bout d’un certain moment se crée une espèce de réseau… » (avocat, région parisienne). Mais la médiatisation ne peut, elle aussi, être opérante qu’autour de « cas qui le méritent » (avocat, Paris), c’est-à-dire dont le délit ne peut être disqualifiant pour la cause générale de la double peine. Surtout, le recours aux médias apparaît de fait, comme le dit Violaine Roussel à propos des relations entre magistrats et journalistes, comme un « jeu sous contraintes » [27]. Si elles peuvent conjoncturellement se rapprocher dans une relation d’échange, logique juridique de la défense et logique du monde des médias ne sont pas guidées par les mêmes intérêts ou motivations, et peuvent parfois se contredire. Donner des informations aux médias peut ainsi se révéler hasardeux, l’avocat n’ayant aucune maîtrise sur la manière dont celles-ci vont être sélectionnées et présentées par le journaliste : « Alors si y’a un papier qui sort, et plutôt dans des journaux, des quotidiens, et pas forcément à gauche, ben forcément que ça peut aider. C’est sûr. Bon, maintenant, il faut faire attention aussi à la façon dont les journalistes ont une rigueur ou pas pour traiter les dossiers. Parce qu’évidemment le style journalistique des fois ça peut être des résumés sanglants et cinglants qui ont pas grand chose à voir avec les dossiers et qui du coup donnent une idée complètement confuse… » (avocate, région parisienne).

Ajoutons qu’envisagé non plus du point de vue des avocats, mais cette fois de celui des militants, le recours au droit peut dans une certaine mesure être envisagé comme un élément de leur répertoire d’action collective [28] — un élément qui certes est incontournable et bénéficie de la légitimité sociale la plus importante, mais dont la mobilisation est souvent contraignante (en premier lieu en raison du coût financier et des délais importants) et dont l’efficacité est extrêmement aléatoire, et qui doit donc dans certains cas être suppléé par d’autres. C’est généralement lorsque la stratégie juridique s’est montrée impuissante à régler favorablement le sort d’un « double peine », ou lorsque celui-ci « craque » psychologiquement et ne peut plus attendre plus longtemps le rendu d’une décision le concernant, que la mouvance associative se tourne vers cet autre élément central du répertoire d’action du mouvement contre la double peine qu’est la grève de la faim [29] (le plus souvent pour obtenir une assignation à résidence). Une nouvelle fois, le cas de M.D. permettra d’illustrer les dilemmes pratiques qui se posent aux « doubles peines » et à leurs soutiens lorsqu’ils élaborent une stratégie — une stratégie dans laquelle l’option « perturbatrice » de la grève de la faim peut être évaluée en regard de celle, plus « légaliste », de la voie juridique. M.D avait ainsi très sérieusement envisagé d’entamer une grève de la faim si le tribunal administratif refusait d’annuler le refus d’assignation à résidence que lui avait opposé le ministère de l’Intérieur. C’est donc en présentant le jeûne protestataire comme le dernier recours si les voies juridiques se montrent infructueuses, qu’un militant associatif évoquait cette éventualité dans un entretien réalisé peu avant la décision du tribunal administratif : « Je suis persuadé que M.D. fait une grève de la faim, je dis pas que ça va marcher, mais c’est la seule solution qu’il lui reste. (…) C’est une des premières fois où on attaque le refus d’assignation à résidence. Devant le tribunal. On va voir ce que ça donne. Mais si effectivement le refus d’assignation est condamné, il faudra l’assigner, ça va. Mais si le tribunal administratif nous suit pas... Il reste que ça comme solution » (militant associatif, province). Ayant obtenu satisfaction devant la juridiction administrative, M.D. renoncera à son projet de grève de la faim, et la mobilisation autour de son cas s’estompera rapidement.

5. Faire avancer la cause par le droit

Si, pour le cause lawyer , « serving the client is but one component of serving the cause » [30], les avocats sont dans le cas de la lutte contre la double peine inévitablement confrontés à la question de la contribution de leurs défenses, et de leurs éventuels succès, à la disparition de cette pratique. C’est à l’examen de cette question qu’il nous faut pour finir nous consacrer.

La lutte contre la double peine est l’un de ces mouvements apparus au début des années 1970 et qui faisaient alors de la défense des « marges » (travailleurs immigrés, prisonniers, malades mentaux…) un enjeu de lutte prioritaire. Témoignant de la « désillusion gauchiste » [31] qui a suivi mai 68, l’engagement dans ces luttes a été pour nombre de leurs acteurs le produit d’une reconversion de leurs espoirs révolutionnaires déçus vers la défense de populations considérées comme encore plus dominées que le prolétariat. Ces militants disposaient pour la plupart d’un capital culturel relativement important qui les rendait aptes à se saisir des cadres d’analyse que leur proposaient certains intellectuels (au premier rang desquels Michel Foucault), mais également à s’approprier des ressources spécialisées telles que celles du droit, ainsi qu’en témoigne Pierre Lascoumes : « Le maniement des armes légales ne relevait plus de la compromission réformiste mais de la nécessité tactique, parfois même de l’action stratégique. (…) Les luttes pour le droit et par le droit ont acquis une légitimité nouvelle » [32]. La fondation du Gisti en 1972 par quelques hauts fonctionnaires, juristes et militants de la cause des immigrés participe de manière exemplaire de ce passage d’une « critique radicale du droit à une critique de sa pratique et par sa pratique » [33].

Pourtant, s’il est depuis solidement instauré au sein du militantisme pro-immigrés, le recours aux ressources juridiques n’en apparaît pas moins d’une efficacité limitée. En ce qui concerne plus précisément la cause de la double peine, force est de constater que son histoire est marquée, depuis la victoire partielle acquise à la faveur de l’arrivée de la gauche au pouvoir en mai 1981, par une série de revers et de régressions. Certes, plusieurs recours — principalement à la CEDH — contre des expulsions ont été couronnés de succès, confirmant que, quoique longues et coûteuses, les stratégies juridiques ne sont pas totalement désespérées. Il ne s’agit pourtant que de victoires ponctuelles, à même de résoudre des situations individuelles, mais dont la capacité à remettre en cause le principe même de la double peine est pour le moins sujette à caution.

Faut-il en conclure que les avocats ne sont — au mieux — utiles que pour la défense au cas par cas des victimes concrètes des injustices nées de l’application de lois iniques, mais ne pourraient en aucun cas prétendre à exercer le moindre rôle dans la lutte pour leur abrogation ou pour la disparition des pratiques qu’elles autorisent, et devraient laisser cette tâche aux seuls militants ? Telle semble être la conclusion à laquelle parvient Richard Abel, après une vaste revue des contextes et conditions favorables à la mobilisation des ressources juridiques, lorsqu’il avance que le cause lawyering est « more powerful as a shield against abuse than as a sword to achieve substantive goals » [34]. Tel est également le constat désabusé que dressent certains des avocats rencontrés au cours de l’enquête : « Je pensais qu’effectivement quand on gagnait devant le juge (…) les jugements influenceraient les juges et le législateur pour changer la loi. J’en suis revenue parce que je me rends compte qu’on a beau gagner individuellement sur un certain nombre de dossiers c’est pas pour ça qu’ils ont bougé la loi. (…) La justice c’est important mais en même temps c’est pas ça qui fait bouger la société. Je crois que c’est les mouvements sociaux qui la font bouger, j’en suis même sûre d’ailleurs. (…) Nous on peut avoir une petite part mais c’est minime, c’est une goutte d’eau » (avocate, province).

Tous les avocats ne sont toutefois pas aussi défaitistes. Nombre d’entre eux considèrent que c’est par l’accumulation de succès individuels que leur action est à même de se doter d’une portée générale, dépassant les seuls cas singuliers dont ils assurent la défense. La portée jurisprudentielle de leurs victoires devant les différentes cours est ainsi présentée comme une sorte d’opérateur de généralisation, apte à doter leur travail d’une dimension collective puisque potentiellement applicable, sinon à l’ensemble des étrangers frappés par la double peine, au moins à tous ceux dont le cas peut être rapproché de celui pour lequel ils ont obtenu une décision favorable : « C’est des cas individuels mis bout à bout qui font que un jour les choses se débloquent. (…) Un cas individuel peut amener à ce qu’on obtienne des grandes décisions de jurisprudence qui sont des cas individuels et ils font évoluer complètement le droit. Quand on arrive à faire condamner la France par la cour européenne des droits de l’homme, c’est un cas individuel sur une question de principe eh ben ça va aider tous les autres » (avocat, région parisienne). L’argument jurisprudentiel exige, pour pouvoir accomplir son action de généralisation, que la décision favorable soit connue de l’ensemble des avocats, d’où l’importance, déjà signalée, des réseaux de diffusion tels que le cahier central de la revue du Gisti Plein droit. Toutefois, s’il s’agit cette fois d’une ressource de portée collective de nature proprement juridique, elle n’en reste pas moins toujours précaire et fragile. Les avocats savent aussi qu’« un jour il peut y avoir tout d’un coup un revirement de jurisprudence, hein, ça arrive, ou un changement de loi parce que c’est comme ça aussi que ça se passe. Quand la jurisprudence est trop favorable, hop, on va aller la changer » (avocat, région parisienne).

Toutes les décisions n’ont par ailleurs pas une portée jurisprudentielle équivalente. En vertu du principe selon lequel « plus on est haut dans la hiérarchie judiciaire, ou juridictionnelle, plus ça a de la force » (avocat, région parisienne), ce sont les décisions de la CEDH qui sont présentées comme ayant le plus de portée non seulement pour leur légitimité lorsque mobilisées pour la défense de cas singuliers, mais également du fait de leur capacité à influer sur les décisions prises par les juridictions internes — « c’est vrai qu’aujourd’hui on voit que le Conseil d’Etat est totalement inspiré par l’article 8 dans ce domaine » (avocat, Paris) — voire sur l’élaboration de certaines réformes législatives : « Les deux premiers arrêts c’est l’arrêt Beljoudi contre France et Moustaki contre Belgique. Ces deux arrêts, bon, ben je dois dire que ça a marqué notamment la loi Sapin, ça a marqué toute la jurisprudence française » (avocat, région parisienne).

Examinés avec le plus d’attention par les avocats lorsqu’ils sont publiés et privilégiés dans leurs recours lorsqu’ils sont favorables aux « doubles peines », les arrêts de la CEDH voient leur mobilisation rendue délicate — mais également, aux dires de plusieurs avocats, intellectuellement stimulante — par les caractéristiques propres à la juridiction de Strasbourg. Issue d’une sorte de synthèse entre différentes traditions juridiques européennes, la CEDH s’écarte du droit français par une dimension davantage casuistique, issue du droit anglo-saxon, qui, précisément, accorde une grande importance aux précédents et à la jurisprudence. Dans ces conditions, la tâche de l’avocat n’est pas tant d’exiger du juge la juste application d’une loi clairement établie mais de contribuer à la précision des modalités concrètes d’application d’une règle générale, voire, ce faisant, à la définition de nouvelles normes :

« C’est des textes très généraux. Par exemple "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale", bon ça veut dire tout et n’importe quoi. Mais en même temps (…) ça veut dire aussi que c’est aux avocats et aux gens qui saisissent cette justice de pousser les juges à réfléchir sur le droit au respect de la vie privée et le droit au respect de la vie familiale. (…) Le droit européen effectivement il est en gestation, il est en formation. Et c’est aux avocats, aux associations qui saisissent la cour de dire "ben allez jusque-là pour dire droit à la vie privée ça veut dire ça, droit à la vie familiale ça veut dire ça", etc. (…) C’est à nous de créer et de pousser les juges à réfléchir là-dessus » (avocate, province).

Si son pouvoir et sa légitimité s’imposent aux décisions des différentes juridictions françaises, la jurisprudence de la CEDH n’en est pas moins, comme les autres, sujette à des fluctuations et revirements [35]. Longtemps favorable aux étrangers estimant que leur expulsion violait un ou plusieurs des articles de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la CEDH semble, aux yeux des avocats, avoir depuis quelques années adopté une attitude beaucoup plus fermée. L’entrée à la cour de magistrats nouveaux, pour plusieurs d’entre eux de pays de l’Est et aux conceptions des droits de l’homme plus restrictives, serait responsable de cette nouvelle attitude, qui rend les recours beaucoup plus aléatoires : « C’est vrai que la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme est très difficile à suivre et qu’on sait pas à l’avance quelle va être la composition, qui va avoir notre dossier en main et donc quelle va être l’issue un peu de notre dossier. (…) On a des grands arrêts de principe, donc quand un grand arrêt de principe est passé on est plus tranquilles c’est sûr, mais enfin c’est quand même rare, parce que les juges (…) ont pas trop envie de se faire taper sur les doigts en faisant un truc complètement ubuesque par rapport à ce que la cour de cassation a dit, donc c’est rarissime » (avocate, province).

Il n’y a pas qu’à travers la jurisprudence de la CEDH que l’action propre des avocats, et surtout l’accumulation de leurs succès sur des cas individuels, peut selon eux se doter d’une portée plus générale. Lorsqu’elle est victorieuse, la contestation de décisions administratives d’expulsion doit, à force de répétition, amener à moyen terme les préfectures à revoir leur attitude en matière d’expulsion des contrevenants étrangers. Accompagnées de demandes d’indemnisations qui la rendent coûteuse pour l’Etat, la contestation victorieuse de décisions abusives d’éloignement peut aussi relever, selon l’expression d’un avocat, d’une « stratégie pédagogique » à l’égard de l’administration préfectorale :

« Quand le tribunal va commencer à annuler les arrêtés d’expulsion, ça va faire un peu de pédagogie au niveau de la préfecture. Et si dans les années 95 cette préfecture avait un comportement qui faisait, le gars avait deux ans [de prison] et il prenait quand même un arrêté d’expulsion, peut-être qu’aujourd’hui à cause des décisions obtenues, prononcées contre la préfecture, d’annulation d’arrêtés d’expulsion (…) peut-être que le service des étrangers dise : dans ce cas là on va pas en prendre un parce qu’on sait qu’on va se faire raser. C’est vrai que le juge administratif a un rôle pédagogique dans les décisions qu’il va prendre. Il est un guide, il est un guide de l’administration. Et une jurisprudence, une série de jurisprudences prises par une juridiction administrative doit conduire les préfectures à les prendre en considération » (avocat, Paris).

Reste enfin un dernier moyen de doter la défense de cas singuliers de « doubles peines » d’une portée générale, ce que l’on pourrait qualifier de mobilisation tribunicienne du procès. Celle-ci n’est toutefois évoquée que par quelques avocats et pour signaler qu’elle n’a encore jamais été employée avec une réelle efficacité pour la défense de cette cause. Même si, on l’a vu, des cas jugés « exemplaires » sont fréquemment l’enjeu d’une médiatisation et d’une mobilisation d’intensité variable, aucun n’est encore parvenu à dépasser le cercle relativement restreint des militants déjà convaincus et, surtout, à se doter d’une portée suffisamment générale pour susciter un vaste débat public et imposer l’inscription de l’abolition de la double peine sur l’agenda politique. C’est en référence à des procès restés célèbres pour avoir contribué à l’avancée d’une cause en portant le débat largement au-delà du seul cas présenté devant la justice, qu’est envisagée cette éventualité, et notamment à la plaidoirie de Robert Badinter au procès de Patrick Henry [36]. Si ce mode de passage du singulier au général est considéré comme envisageable par certains avocats, et si certains agissent avec les associations pour que les cas qu’ils défendent puissent se doter d’une telle dimension générale, force est de constater que cette stratégie n’a pas encore rencontré les conditions favorables à une médiatisation et à une politisation susceptibles de remettre en cause le principe même de la double peine.

NOTES

[1] Cf. Lilian Mathieu, Mobilisations de prostituées, Paris, Belin, 2001.

[2] Susan Sterett, « Caring about Individual Cases. Immigration Lawyering in Britain », in Austin Sarat & Stuart Scheingold (eds.), Cause Layering. Political Commitments and Professional Responsibilities, Oxford University Press, 1998, p. 296.

[3] Le présent travail s’inscrit dans le cadre d’une recherche en cours consacrée au mouvement contre la double peine. On se base notamment sur des données retirées de deux ans (de 1998 à 2000) d’observation participante au sein du collectif lyonnais contre la double peine, sur l’étude de dossiers de « doubles peines » pris en charge par la Cimade de Lyon, sur la consultation d’arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme et sur une quinzaine d’entretiens, conduits principalement auprès de militants associatifs et d’avocats.

[4] Pour une présentation générale du mouvement, voir Lilian Mathieu, Florence Miettaux, « La lutte contre la double peine », communication au colloque Marx International III, Nanterre, 28 septembre 2001, et Florence Miettaux, « Cadres de l’engagement, disparité des ressources et tiraillements dans l’action collective. Le cas des mobilisations contre la double peine », mémoire de sociologie, Université Lyon 2, 2002.

[5] Voir Johanna Siméant, La cause des sans-papiers, Paris, Presses de Sciences Po, 1998.

[6] Voir Danièle Lochak, « Les politiques de l’immigration au risque de la législation sur les étrangers », in Didier Fassin, Alain Morice, Catherine Quiminal (dir.), Les lois de l’inhospitalité, Paris, La Découverte, 1997, pp. 29-45.

[7] Sur la double peine, cf. Michael Faure, Voyage au pays de la double peine, Paris, L’Esprit frappeur, 2000 ; François Julien-Laferrière, Droit des étrangers, Paris, PUF, 2000 ; Lilian Mathieu, « Double peine : les fondements juridiques d’une discrimination légale », Mouvements, n° 13, 2001, pp. 83-87 ; Abdelmalek Sayad, « Immigration et "pensée d’Etat" » in La double absence, Paris, Seuil, 1999, pp. 395-413.

[8] Il s’agit des étrangers mineurs, parents d’enfants français résidant en France, conjoints de Français, résidents en France depuis au moins 15 ans, arrivés en France avant l’âge de 10 ans, titulaires d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français, ainsi que de ceux dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont ils ne pourraient bénéficier dans le pays de renvoi.

[9] Cf. Violaine Carrère, « Les bannis des banlieues », Plein droit, n° 45, 2000.

[10] Carrie Menkel-Meadow, « The Causes of Cause Lawyering. Toward an Understanding of the Motivation and Commitment of Social Justice Lawyers », in A. Sarat & S. Scheingold (eds.), Cause Lawyering, op. cit., p. 37.

[11] Sur la conception militante du métier chez les avocats travaillistes, cf. Hélène Michel, Laurent Willemez, « Investissements savants et investissements militants du droit du travail : syndicalistes et avocats travaillistes dans la défense des salariés », in Philippe Hamman, Jean-Matthieu Méon, Benoît Verrier (dir.), Discours savants, discours militants : mélange des genres, Paris, L’Harmattan, 2002, pp. 153-175.

[12] Ibid.

[13] « Quand je vais plaider sur des problèmes liés à la technicité de l’interdiction du territoire français, les magistrats ne viennent pas me contredire, parce que ils savent que la qualité du débat, bon (…) C’est-à-dire que je raconte pas de conneries. Est-ce que c’est dû au fait que je sois vice-président du Gisti ou parce que ils savent que je suis quelqu’un qui connaît bien l’ITF, bon, je sais pas » (avocat, région parisienne).

[14] Sur ce point, cf. Pierre Bourdieu, « La force du droit. Eléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986, pp. 14-18.

[15] Luc Boltanski, « La dénonciation publique », in L’Amour et la justice comme compétences, Paris, Métailié, 1990, pp. 253-366.

[16] « Quand on fait du droit des étrangers, pour les juges on est des avocats extrémistes, on est l’extrême gauche, on est, on est la hantise, on est tout ça » (avocate, province).

[17] Lucien Karpik, Les avocats. Entre l’Etat, le public et le marché, XIIIe-XXe siècle, Paris Gallimard, 1995, pp. 289-294.

[18] La référence à Stigmate (Paris, Minuit, 1975) nous semble ici plus éclairante que la théorie de l’homologie structurale — qui veut que « les occupants des positions dominées dans le champ (comme le droit social) tendent à être plutôt voués aux clientèles de dominés qui contribuent à redoubler l’infériorité de ces positions » — proposée par Bourdieu (art. cit., p. 18) et qui apparaît en l’occurrence largement tautologique. Pour une critique générale de la théorie de l’homologie structurale, cf. Lilian Mathieu, Violaine Roussel, « Pierre Bourdieu et le changement social », Contretemps, n° 4, 2002, pp. 134-44.

[19] Cf. Anne Boigeol, « De l’idéologie du désintéressement chez les avocats », Sociologie du travail, vol. 23, n° 1, 1981, pp. 78-85 et Lucien Karpik, « Le désintéressement », Annales ESC, n° 3, 1989, pp. 733-751.

[20] « Vous avez deux types de référés. Il y a ce qu’on appelle le référé liberté et là c’est une décision qui peut être prise dans les 48 heures. Donc c’est l’extrême urgence et une monstruosité juridique. Et puis vous avez un autre référé qui est le référé de suspension qui lui nécessite l’urgence, bien évidemment, mais simplement un doute sérieux sur la légalité » (avocat, Paris).

[21] Ainsi certaines cours sont notoirement connues pour systématiquement rejeter toutes les requêtes en relèvement qui leur sont adressées.

[22] Celle-ci est également diffusée dans le cahier central de la revue Plein droit du Gisti, que l’on peut considérer comme à l’intersection des registres juridique et militant.

[23] Michael McCann, Helena Silverstein, « Rethinking Law’s "Allurements". A Relational Analysis of Social Movement Lawyers in the United States », in A. Sarat & S. Scheingold (eds.), op. cit., p. 279.

[24] Sur l’espace des mouvements sociaux, cf. Lilian Mathieu, « Rapport au politique, dimensions cognitives et perspectives pragmatiques dans l’analyse des mouvements sociaux », Revue française de science politique, vol. 52, n° 1, 2002, pp. 75-100.

[25] « Donc le travail avec les associations est énorme, au niveau de la réflexion, au niveau de la tactique dans les procédures… Mais c’est exceptionnel, les avocats travaillent de façon, d’abord c’est des individualistes, ensuite ils travaillent tout seuls en étant sûrs qu’ils ont la science infuse et que c’est les meilleurs. Et je pense que c’est bien de travailler avec d’autres gens. Et moi j’avoue qu’on a pu travailler ici et gagner depuis des années grâce à cette relation un peu particulière avec les associations. (…) C’est-à-dire permettre par exemple à un type comme G. [un responsable associatif] de me dire "attends, là, pourquoi tu fais ça sur telle procédure ?", en droit qui a la même capacité que moi à réfléchir, voire mieux, enfin je veux dire… C’est comme ça qu’on progresse » (avocate, province).

[26] Sur cette question, cf. L. Mathieu, F. Miettaux, art. cit.

[27] Violaine Roussel, Affaires de juges. Les magistrats dans les scandales politiques en France, Paris, La Découverte, 2002, p. 182.

[28] Cf. Charles Tilly, « Les origines du répertoire de l’action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne », Vingtième siècle, n° 4, 1984, pp. 89-108.

[29] Cf. J. Siméant, op. cit.

[30] Austin Sarat, Stuart Scheingold, « Cause Lawyering in the Reproduction of Professional Authority », in A. Sarat & S. Scheingold (eds.), Cause Lawyering, op. cit., p. 4.

[31] Gérard Mauger, « Gauchisme, contre-culture et néo-libéralisme. Pour une histoire de la "génération de mai 68" », in CURAPP, L’identité politique, Paris, PUF, 1994, p. 222. Sur les luttes de cette période, cf. également Lilian Mathieu, « La "conscientisation" dans le militantisme des années 1970 », in P. Hamman et al. (dir.), op. cit., pp. 251-270 et, sur les mobilisations en faveur des étrangers, J. Siméant, op. cit.

[32] Pierre Lascoumes, « De la cité d’urgence à Aides. Luttes juridiques, fronts secondaires et intellectuels spécifiques », Les Temps modernes, n° 587, 1996, p. 344.

[33] Ibid.

[34] Richard Abel, « Speaking Law to Power. Occasions of Cause Lawyering », in A. Sarat & S. Scheingold (eds.), Cause Lawyering, op. cit., p. 103. Cf. également, sur le terrain comparable de la contestation de la politique britannique d’immigration, S. Sterett, art. cit.

[35] Ce qui confirme cette caractéristique des ressources politiques qu’est la variabilité conjoncturelle de leur efficacité ; cf. Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, FNSP, 1986, p. 24.

[36] Le fait que cet exemple soit le plus fréquemment cité tient sans doute à ce que le combat contre la double peine est fréquemment comparé à celui pour l’abolition de la peine de mort et qu’on y retrouve la même mouvance attachée à la défense des droits de l’homme. Pourrait également être cité comme exemple comparable le rôle qu’à joué au début des années 70 le « procès de Bobigny » dans la lutte en faveur de la légalisation de l’avortement.