Au cours de l’année 2008, et notamment pendant un séjour en Inde et au Bangladesh en juillet et en août, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec de nombreux représentants d’organisations non gouvernementales et de scientifiques s’intéressant aux questions de la migration et, plus particulièrement, du trafic d’êtres humains en Asie du Sud. J’ai également pu, par le biais d’interprètes, parler avec des personnes concernées par la question du trafic d’êtres humains. Je suis très reconnaissant aux personnes suivantes pour leur soutien et leur aide : Manabendra Mandal du Socio-Legal Aid, Research and Training Centre, Kolkata, Ranabir Samaddar du Calcutta Research Group, les collaborateurs de la Jagorani Chakra Foundation, Jessore, Nur Khan de Ain O Salish Kendra, Dhaka, Meghna Guhathakurta de Research Initiatives Bangladesh, Dhaka, Kohinoor Yeasmin de la Training, Assistance and Rural Advancement Non-Governmental Organisation, Dhaka, Mojibul Huq et Tofazzel Hossain de BRAC, Dhaka, les collaborateurs de la Madaripur Legal Aid Association, Sisir Dutta, Mousumi Chowdhury et leurs collaborateurs au Bangladesh Institute for Theatre Arts, Chittagong, Khorshed Alam, Amirul Arham, Lina Klingebeil, Tanvir Mokammel, Hélène Ruiz Fabri, Florian Schedler, Hans Ucko, Sebastian Zug et bien d’autres connaissances de passage, rencontres spontanées et amis. Les résultats d’entretiens conduits avec ces personnes seront caractérisés par la mention de leur nom dans le texte, sans référence bibliographique.Christoph TOMETTEN - 01.12.08
Sommaire
- A. La réponse sécuritaire de l’État
- B. Des alternatives centrées sur le respect des droits de l’homme
L’Asie du Sud est une région caractérisée par une multitude de conflits sociaux qui soulèvent de nombreuses questions liées aux droits de l’homme. Un des problèmes majeurs du sous-continent est le trafic d’êtres humains, défini à l’article 3a du Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (2000), additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, comme « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». L’élément de recours à la force ou à d’autres formes de contrainte et d’abus indique le caractère involontaire du mouvement et le distingue par rapport à d’autres mouvements de personnes que les États pourraient qualifier d’illégaux, mais dans le cadre desquels les personnes concernées sont conscientes des conditions générales de leur mouvement et y consentent.
Afin de comprendre la problématique du trafic d’êtres humains dans le contexte sud-asiatique et, plus particulièrement, au Bangladesh, il convient d’abord de connaître le contexte historique, politique et économique de la région. Si l’on fait abstraction de certaines enclaves françaises et portugaises, le sous-continent s’est libéré du joug de la colonisation en 1947, avec la création de deux nouveaux États, l’Inde et le Pakistan. Ce dernier était composé d’un territoire occidental, le Pakistan actuel, et d’un territoire oriental constitué par le gros du Bengale oriental. Cette division de la péninsule en un État islamique et une « république souveraine, socialiste, séculière et démocratique » (Préambule de la Constitution de l’Inde) a conduit à la migration de 20 millions de personnes, à la mort d’un million de personnes et à l’enlèvement et au viol de 75 000 femmes [1]. Une seconde vague de migrations internationales s’est produite lors de la guerre d’indépendance du Bangladesh en 1971. En effet, face à la répression de la culture et de la langue bengalie et au mépris des succès électoraux de l’Awami League, parti du Pakistan oriental, par le régime de Yahya Khan, chef d’État du Pakistan, le Pakistan oriental a proclamé son indépendance, ce à quoi le régime pakistanais a répondu par une intervention militaire sanglante. Environ 10 millions de personnes ont pris la fuite vers l’Inde, la puissance régionale du sous-continent dont l’armée a finalement vaincu le Pakistan sur territoire bangladais. Les relations indo-bangladaises sont depuis ambivalentes. D’un côté, le Bangladesh doit son indépendance et la fin des massacres à son puissant voisin ; de l’autre, celui-ci a depuis lors essayé, que ce soit sur le champ politique, militaire ou économique, d’établir sa prééminence au Bangladesh [2]. Des accusations réciproques concernant le soutien plus ou moins passif de groupements terroristes et séparatistes par l’autre gouvernement et un clivage important dans le domaine économique caractérisent les rapports bilatéraux et l’instabilité politique du Bangladesh n’est certainement pas propice à l’amélioration de ceux-ci. Ces données sont d’extrême importance pour l’analyse du trafic d’êtres humains au-delà les frontières des deux États ; elles doivent être tenues en compte lors de toute réflexion relative à de possibles solutions au problème.
Nous allons d’abord dresser un état de lieux (I), puis nous intéresser aux réactions diverses que la question a suscitées (II).
I - Un état des lieux
« Le trafic de femmes et d’enfants est devenu un sérieux problème social tant que moral en Asie du Sud (…). Maintenant, le trafic de femmes et d’enfants a acquis des dimensions alarmantes » [3]. Le problème, que ce soit en Asie du Sud ou autre part, ne peut être compris que si l’on s’intéresse, d’une part, aux circonstances qui favorisent et/ou facilitent l’activité des trafiquants (c’est-à-dire des personnes actives tant dans le cadre du recrutement des personnes trafiquées que dans leur transport, transfert, hébergement, accueil et contrôle, ainsi que des personnes qui profitent du trafic) (A) et, d’autre part, si l’on comprend l’étendue des difficultés auxquelles fait face tant la personne trafiquée que la personne rescapée, voire son entourage, et qui caractérise sa situation (B).
A - Des circonstances favorisant l’activité des trafiquants
Le Bangladesh a une population de plus de 153 millions de personnes et la plus haute densité de population au monde avec plus de 1 000 personnes par kilomètre carré. Il fait partie des pays que les Nations Unies qualifient de pays les moins avancés. Les données permettant de déterminer l’indice de développement humain (IDH) créé par le Programme des Nations Unies pour le développement sont, dans le cas du Bangladesh, divergentes, voire contradictoires, et il ne serait pas opportun de commencer à dresser une liste de nombres et de pourcentages dans le cadre de cette analyse. Toutefois, il est certain que les critères de l’IDH traduisent, pour le Bangladesh, un niveau de développement socio-économique extrêmement bas, surtout en ce qui concerne les taux d’alphabétisation et de scolarisation, ainsi que le produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d’achat. Il s’avère que le Bangladesh est ainsi nettement moins développé que son voisin, l’Inde [4].
C’est donc dans un contexte de pauvreté extrême qu’il faut voir l’activité des trafiquants. C’est cette pauvreté que l’on s’accorde à considérer comme principale cause de la migration au Bangladesh, une cause qui favorise également la susceptibilité d’une personne d’être attirée dans les réseaux du trafic d’êtres humains [5]. Les trafiquants ont ainsi une plus grande facilité d’attirer, par la tromperie, les personnes, surtout des adolescents et de jeunes adultes, dans de prétendus bons jobs dans les grandes villes [6]. Selon Guhathakurta, les familles et la société seraient d’autant moins sceptiques quant à de telles démarches que le travail des enfants est une réalité largement acceptée au Bangladesh. Il y aurait donc un lien direct entre le travail des enfants, c’est-à-dire l’implication d’enfants et de jeunes issus de familles vivant dans une pauvreté extrême, particulièrement dans le monde rural, dans les relations économiques et leur susceptibilité d’être attiré dans le trafic d’êtres humains [7]. Le problème serait encore plus accru dans les régions où la fréquence de catastrophes naturelles se traduirait en un facteur d’émigration additionnel [8].
La discrimination des femmes accroît leur vulnérabilité [9]. Le fait que la plupart des mariages au Bangladesh soient des mariages arrangés et que la polygamie soit, sous certaines conditions, légale pour la population musulmane, facilite l’obtention de l’agrément de la famille pour un mariage, surtout s’il implique une demande de dot inférieure à l’usage répandu bien qu’illégal depuis le Dowry Prohibition Act de 1980 [10]. De jeunes femmes peuvent ainsi être tentées par des perspectives de mariage avec des hommes riches et les trafiquants exploitent cette situation en simulant de telles promesses. Les personnes concernées et leurs familles sont, tant dans la plupart des cas de promesses de mariage que dans ceux des promesses de travail, dans la croyance que la destination des victimes se trouve dans les grandes villes du pays et non dans des « sweatshops » et les bordels à l’étranger, en Inde et au-delà, au Pakistan, dans les pays du Golfe, en Asie du Sud-Est ou même en Europe [11]. Toutefois, les promesses mensongères, c’est-à-dire la tromperie, ne sont pas, au Bangladesh, la seule stratégie des trafiquants. Ceux-ci se serviraient également de la force et de la contrainte en procédant à des enlèvements, voire des achats de victimes ; la pauvreté et la discrimination rendraient cette dernière pratique possible et seraient ainsi le fondement d’une contrainte ressentie pour le moins subjectivement par les familles concernées [12]. Le Bangladesh est largement considéré comme un pays d’origine dans le trafic d’êtres humains, tandis que l’Inde figure parmi les pays dits de transit [13]. C’est par conséquent la frontière sud-ouest du Bangladesh, entre la division de Khulna et le Bengale Occidental, où le trafic d’êtres humains est le plus intense [14] et les districts de Jessore, Satkirah, Kushtia et Chuadanga qui sont les plus concernés par le problème [15].
La traversée des frontières peut se faire de différentes manières. Il faut tout d’abord tenir compte du fait que la frontière indo-bangladaise est une frontière qui ne correspond, contrairement à une idée reçue, à aucune véritable réalité historique, religieuse ou sociale et qui, selon Samaddar, n’a jamais été intériorisée par les populations frontalières : « pour vous, c’est de la migration, pour eux, la frontière signifie le va-et-vient » [16]. Il s’agit d’une frontière poreuse, d’un espace ouvert où les traversées, notamment nocturnes, dans les régions de riziculture ou de marécages, ne sont guère difficiles [17]. La corruptibilité des gardes frontaliers (par paiements d’argent ou, comme nous le verrons plus loin, par l’abus sexuel des victimes) et la facilité de fausser les documents de voyage ajouterait encore à la facilité de la migration criminelle [18].
C’est ainsi que s’expliquent les chiffres avancés par les organisations non-gouvernementales, chiffres confirmés par les sciences sociales sud-asiatiques : 25 000 personnes trafiquées chaque année [19]. Les données divergent en ce qui concerne leur âge [20], mais il apparaît clairement que c’est le groupe des jeunes femmes qui est le plus vulnérable. Les données, bien sûr, ne peuvent être qu’approximatives et il faut se méfier de toute tentative de réduire le problème à une série de chiffres [21]. Mais elles soulignent tout de même la réalité que le trafic d’êtres humains est devenu une des formes les plus profitables d’activité illégale [22], même si les criminels qui en profitent ne sont certainement pas des mafias du crime organisé, mais plutôt les innombrables organisateurs d’une grande série de crimes à petite échelle [23].
B - La situation des personnes trafiquées
Même sans être crime organisé, « le trafic d’êtres humains a sans doute été la forme la plus exploitative et la plus humiliante qu’a prise la diaspora bangladaise » [24]. Les trafiquants tirent profit de leur activité en exploitant les personnes trafiquées de différentes manières. Premièrement, les personnes trafiquées sont forcées à la prostitution. L’Inde est une destination privilégiée et, en même temps, une destination sujette à de nombreuses inquiétudes car elle compterait, avec 15%, le plus grand nombre de travailleurs et travailleuses du sexe mineurs au monde [25]. Deuxièmement, le travail forcé (« bonded labour »), labellisé comme esclavage moderne par certains auteurs, est la destination d’un grand nombre de personnes trafiquées [26]. C’est surtout dans le domaine de l’aide à domicile que les personnes les plus vulnérables se retrouveraient [27]. Troisièmement, le trafic d’êtres humains se canalise aussi vers l’industrie illégale de la transplantation d’organes, quoique cette destination est rare [28]. Quatrièmement, des garçons très jeunes sont susceptibles d’être trafiqués vers l’industrie des courses de chameaux dans certains pays du Golfe en tant que jockey, bien que l’emploi d’enfants dans ce domaine ait été banni notamment aux Émirats Arabes Unis en 1993 [29]. Cinquièmement, les personnes trafiquées peuvent également être utilisées par des réseaux d’exploitation de mendicité forcée [30]. Cette énumération ne se veut ni définitive ni alternative. En effet, une grande partie des personnes trafiquées seraient utilisées tant dans le domaine de la prostitution que dans le domaine du travail forcé en tant qu’aides à domicile [31].
Selon la fin à laquelle elles sont trafiquées, les personnes trafiquées peuvent être confrontées à des problèmes différents. Il convient de distinguer entre les problèmes auxquels elles font face pendant leur voyage, ceux qu’elles rencontrent au lieu de leur destination et ceux qu’elles sont susceptibles d’endurer après leur retour, si celui-ci s’avère avoir pu être réalisable.
De nombreuses femmes deviennent victimes d’abus sexuels et de viols dès leur départ, commis soit par les trafiquants eux-mêmes, soit par des gardes frontaliers et autres agents de sécurité des États qui se font payer de telle manière par les trafiquants pour permettre le passage des frontières [32].
Lorsque la destination des personnes trafiquées est la prostitution, les abus sexuels et les viols deviennent une réalité répétée. Leur est intimement lié le risque d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et d’autres maladies sexuellement transmissibles, sans que soit pour autant garanti le moindre accès à des services de santé [33]. En effet, l’usage de préservatifs n’est que peu répandu dans les pays de destination. Les jeunes filles, forcées de prendre jusqu’à douze « clients » par jour, seraient les plus vulnérables car leur immaturité physique accroîtrait leur susceptibilité de voir leur santé mise en danger [34]. Ce sont néanmoins elles qui sont les plus convoitées par les « clients » car elles seraient moins susceptibles d’être séropositives [35]. En tous les cas, quelle que soit leur destination, les personnes trafiquées se verront devenir la proie de l’exploitation de leur travail, quel qu’il soit. La discrimination basée sur des critères ethniques peut également être un problème. Inexistant au Bengale Occidental, où les personnes trafiquées vivront dans la même culture qu’au Bangladesh, elle s’accroîtra au fur et à mesure de leur éloignement des territoires à majorité bengalie. C’est ainsi que les Bengalis ont été à plusieurs reprises victimes d’exactions qualifiées de pogromes par certains en Assam. La condition des ressortissants d’Asie du Sud dans les pays du Golfe est, quant à elle, bien connue.
A leur retour, les personnes rescapées se voient confrontées aux préjugés des habitants de leur village. Partiellement en raison d’un manque de prise de conscience et de savoir, elles tendent à être labellisées comme prostituées ce qui est un stigma socio-religieux dans une société islamique, même modérée [36]. Des cas de violences et de meurtres d’honneur, parfois justifiées par des fatwas issues par des corps villageois auto-proclamés (sans légitimité en droit bangladais), ont été recensés [37]. Plus fréquemment, la personne rescapée sera marginalisée dans son village. Les communautés villageoises tendraient à voir en elles des facteurs de dérangement de leur ordre social, en raison de la conduite immorale supposée qu’elles leur reprochent et de la peur du VIH [38]. En certains cas, cette marginalisation conduirait même au refus de leur accorder un enterrement après leur mort. Les facteurs prévenant ainsi à la réhabilitation et à la réintégration des personnes rescapées peuvent ainsi se résumer à la dépendance économique, aux barrières socio-religieuses, aux méconceptions sociales, aux mythes sur les maladies, à l’absence de sécurité personnelle, à l’intérêt démésuré des médias, à la stigmatisation sociale et à l’insensibilité des procédures légales et du droit [39]. Ces réactions au sein des communautés aggrave la condition psychologique des personnes rescapées, souvent déjà traumatisées [40]. La stigmatisation est telle que même un grand nombre d’organisations non gouvernementales, tout comme les partis majoritaires du Bangladesh, sont réticents à aborder la question de manière explicite [41]. Mais cela signifie pas qu’il n’y a aucune réaction à ce crime perpétué. C’est ce que nous allons maintenant analyser.
II - Des réactions diverses
J’ai dressé l’état des lieux, les raisons qui favorisent le trafic d’êtres humains à l’origine du Bangladesh et les problèmes auxquels sont confrontées les personnes trafiquées et la société dans laquelle ils vivent et à laquelle ils appartiennent. Il apparaît clairement que le trafic d’êtres humains est un problème majeur, une violation grave des droits de l’homme, un crime, une remise en question de la capacité des États de garantir la sécurité à leurs citoyens et aux personnes présentes sur leur territoire. Mais il existe différentes approches à la solution de ce problème. Nous allons voir que les États d’Asie du Sud adoptent avant tout une politique sécuritaire pour répondre au problème (A). Les acteurs de la société civile (à comprendre ici comme toutes personnes et organisations agissant dans la vie publique sans être représentant du pouvoir public) soulèvent des critiques quant à cette approche et envisagent une solution alternative plus respectueuse des droits de l’homme, tant des victimes que des personnes potentiellement concernées (B).
A - La réponse sécuritaire de l’État
Le fait que le Bangladesh partage une grande partie de ses frontières avec l’Inde, à tel point qu’on le qualifie occasionnellement de « India-locked country » [42], a une importance certaine dans l’analyse des politiques étatiques relatives à la migration, d’autant plus que l’Inde est la première destination de la plupart des personnes qui quittent, de leur gré ou à contre-gré, le pays.
La politique indienne en réponse aux immigrations bangladaises a passé d’une certaine bienveillance exprimée dans la « home-coming policy » qui considérait, sur le fond des événements ayant conduit au partage du sous-continent, les immigrants comme des citoyens du propre pays revenant chez eux, à une méfiance caractérisée que de nombreux politiciens n’ont pas hésité à employer de façon populiste dans une rhétorique sécuritaire [43]. L’Inde est aujourd’hui, selon Samaddar, un « national security state » [44], un État qui attache une importante exacerbée à la notion de sécurité dans sa politique notamment anti-terroriste. Reprochant au Bangladesh d’être un havre pour des groupements sécessionnistes violents actifs dans les États du Nord-Est et notamment en Assam, l’Inde a décidé de répondre à ce danger par le même moyen qu’emploient déjà Israël, les États-Unis et l’Espagne, en entreprenant la construction d’une barrière autour de son voisin. Le « border fencing » repose sur une initiative de l’État d’Assam, particulièrement hostile à la population bengalie du pays voisin [45].
Le projet fait, de toute évidence, beaucoup d’ennemis. Le Bangladesh considère la barrière construite sur territoire indien comme une offense ; dans les sociétés civiles sud-asiatiques, on s’exclame qu’elle représente un crime contre des populations frontalières qui, selon Arham, n’ont jamais pensé la frontière qui leur a été imposée, détruisant la structure sociale de communautés villageoises en partageant, en certains cas, des villages en deux, séparant des familles et dépossédant des propriétaires agricoles [46]. Samaddar fait remarquer que le projet en soi est grotesque : comment peut-on sérieusement prétendre vouloir construire un mur sur des marécages, le long d’une frontière entrecoupée d’une multitude de cours d’eau ? La démarcation de la frontière, déjà incomplète en théorie, serait tout à fait imprécise en pratique. Cela démontre que cette réponse de l’État sécuritaire est susceptible d’être utilisée à des fins polémiques par les politiciens, mais qu’elle ne sera guère efficace dans son objectif d’empêcher la migration vers l’Inde [47]. Certains habitants des régions frontalières font d’ailleurs remarquer que les grillages déjà achevés pouvaient être facilement coupés pour permettre le passage de personnes la nuit et que la frontière est trop longue pour qu’elle puisse être surveillée efficacement par les gardes frontaliers [48].
Tout semble donc indiquer que l’Inde ne compte pas réellement combattre la migration officiellement illégale. En effet, « l’État indien est le débouché de modèles d’exportation de migrants et d’importation d’esclaves ayant leurs racines au Bangladesh. Même si l’Inde vise à réguler l’arrivée de Bangladeshis, elle est clairement défavorable à l’investissement de ressources adéquates même minimales afin d’atteindre ce but » [49]. S’ajouterait au manque de ressources la laxité des forces de l’ordre dans la poursuite des trafiquants [50]. On s’aperçoit ainsi que la politique sécuritaire de l’État ne s’inscrit pas dans une protection efficace des droits des migrants et qu’elle ne répond notamment pas aux besoins de personnes trafiquées. L’Inde n’a, pour le dire clairement, pas intérêt à retenir l’immigration « illégale » dont profite son économie ; bien plus, elle a intérêt à maintenir les « illégaux » bangladais dans une situation d’instabilité et de peur, afin de permettre que l’on tire d’eux un plus grand profit. Le Bangladesh, de son côté, a tout intérêt a favoriser toute sorte d’émigration. Dans un pays où les remises sont le premier poste de revenu national, le bien-être de l’industre exportatrice de migrants, selon un terme employé par van Schendel [51] et repris par Guhathakurta, est une priorité nationale. L’Inde ne fait, dans cette approche centrée sur les besoins de la croissance économique, pas figure d’exception. En effet, les mécanismes de protection internationale adressant la question du trafic d’êtres humains [52] ont été critiqués parce qu’ils « serviraient plus les intérêts des États au contrôle de leurs frontières que la protection de femmes en situation de vulnérabilité » [53]. Un autre exemple d’une telle politique est la dévolution aux compagnies aériennes de l’obligation de procéder au contrôle de visas. Tout en semblant dresser un obstacle supplémentaire aux trafiquants, cette politique permet tout aussi bien aux États d’écarter des demandeurs d’asile potentiels de leurs territoire. Cette politique a été caractérisée de « crime-control approach » par Macklin qui y voit un déplacement de la notion de victime : au lieu de s’intéresser au sort des personnes dont les droits sont violés, l’État se qualifie lui-même de victime [54]. Se pose donc la question de savoir quelles alternatives plus respectueuses des droits de l’homme existent.
B - Des alternatives centrées sur le respect des droits de l’homme
Il a été démontré que l’approche de l’État sécuritaire n’est guère satisfaisante lorsqu’il s’agit de trouver un système de lutte contre le crime de trafic d’êtres humains qui valoriserait réellement les droits des personnes concernées. Un certain nombre d’organisations non gouvernementales a dénoncé le danger et le caractère inégalitaire d’une approche qui restreindrait le droit des femmes de circuler librement en se fondant sur des arguments de lutte contre le crime [55] : « Les motivations de femmes de migrer et leur diverses expériences de la migration sont perdues. Elles deviennent des corps, des victimes à sauver et à contrôler » [56]. Une des plus graves méconceptions contemporaines serait que les hommes migrent tandis que les femmes sont trafiquées [57] : « Nous devons éviter de répéter l’histoire de la victime d’abus sexuels qui a besoin d’aide au lieu de nous intéresser à la femme qui exige le respect de ses droits et la justice sociale en tant que citoyenne » [58]. De manière plus générale, de nombreux acteurs de la société civile dénoncent que les politiques de migration des États sont en réalité des politiques d’endiguement qui assimileraient l’ensemble des migrants à un problème : « le problème n’est pas la migration en soi, mais plutôt la manière de laquelle les puissants cherchent à contrôler et à contenir le movement des personnes. Les politiques de migration sont une forme de contrôle de la population ; il s’agit de savoir qui est contrôlé et comment. Et à cause du qui et du comment, la politique de migration est une question de justice » [59]. Si le but de toute politique relative à la migration, et, a fortiori, au trafic d’êtres humains, doit être la justice, essence d’une protection effective des droits de l’homme, cette politique ne saurait être réduite à une protection accrue des frontières. Il a été démontré que dans le contexte sud-asiatique, un contrôle complet des frontières n’est pas réalisable. Les violations des droits de l’homme persisteront donc, d’autant plus que le contrôle des frontières ne sera jamais qu’un traitement des symptômes du trafic et non de ses racines. Ce sont les droits des personnes concernées qui doivent être mis en avant : d’une approche basée sur la simple volonté d’aider les personnes ou de ce que désigne la notion de « welfare approach », il faut passer à une approche fondée sur les droits des personnes, c’est-à-dire à une « rights-based approach », et cesser de réduire ces personnes à de simples victimes [60].
Nous analyserons les différentes méthodes mises en œuvre à cette fin. Nous nous intéresserons d’abord à la « conscientisation » (« awareness raising ») (a), puis aux mesures de développement d’aptitudes et de compétences (« skill development ») (b), à l’aide juridique (c) et à l’exercice d’une pression politique (d), pour enfin évaluer si ces méthodes peuvent constituer une solution plus durable à la question du trafic (e).
La « conscientisation » vise à attirer l’attention du public et des médias et à informer les personnes potentiellement concernées sur les dangers du trafic et les méthodes des trafiquants. Les acteurs de la société civile emploient diverses techniques afin d’atteindre une population qui n’est encore que très imparfaitement informée sur la question [61] : manifestations, théâtre de rue, réunions dans les villages (en particulier de femmes), distribution de tracts et d’autocollants, affichage, installation de panneaux d’information, projection de films [62]. La Jagorani Chakra Foundation (JCF), basée à Jessore, a, dans ce cadre, mis en place un système de défenseurs des droits de l’homme qui réunit des responsables locaux, politiciens, instituteurs, chefs religieux, représentants d’organisations non gouvernementales, journalistes, avocats, forces de l’ordre, vendeurs, chauffeurs de transports (qualifiées de « community-based organisations’ representatives ») censés relayer l’action contre le trafic par un travail de lobby, de networking et d’advocacy sur le niveau local [63]. Une autre organisation non gouvernementale, le Bangladesh Institute of Theatre Arts (BITA), basé à Chittagong, met l’accent sur un travail culturel intensif. Selon elle, une approche de base fondée sur la culture serait la plus apte à créer un consensus contre le trafic et pour les droits de l’homme [64]. Il s’agit d’ « organiser les femmes, les enfants et les couches défavorisées de la société par un travail d’éducation politique afin de les activer en vue de s’engager politiquement pour un développement socio-économique durable et respectueux de la culture et de l’héritage nationaux » [65]. La question du trafic est ainsi adressée à travers des représentations théâtrales dans différents districts de la division de Chittagong, ainsi qu’à l’occasion de cours sur les droits de l’homme, notamment dans les écoles où sont en outre réalisées des peintures murales informatives. D’autres organisations s’engagent de manière sembable, notamment par le biais de programmes d’information sur la sexualité pour adolescents et d’actions contre le mariage des enfants [66]. Les efforts des organisations non gouvernementales montrent des succès : dans une rencontre avec des femmes d’un village du district de Jessore, celles-ci affirmaient être bien informées sur la question et ce à travers l’action que JCF avait menée dans la région. Elles avaient d’ailleurs développé leurs propres techniques pour protéger les membres de leurs communauté villageoise et en particulier leurs enfants des activités criminelles des trafiquants, des techniques qui comprenaient le relais des informations à leurs enfants et la vigilance à l’égard de toute personne étrangère au village qui ne pourrait justifier sa présence de manière cohérente.
b. Les mesures de développement d’aptitudes et de compétences
Les mesures de développement d’aptitudes et de compétences visant à rendre la subsistance des personnes concernées et celle de leurs familles possible sont avant tout mises en œuvre par des organisations suivant la théorie que le développement de la société se fait d’abord par l’ « empowerment » économique des personnes marginalisées, lequel aboutirait ensuite à l’ « empowerment » politique (contrairement à l’approche défendue par Amartya Sen [67]), « empowerment » étant ici compris comme un processus censé aboutir à la prise en charge de l’individu par lui-même, de sa destinée économique, professionnelle, familiale et sociale. Dans une société pluraliste, ces deux approches ne s’excluent toutefois pas, mais peuvent coexister et se compléter. JCF, très active dans le domaine de l’information, qualifie d’ailleurs les mesures de développement d’aptitudes et de compétences de stratégie contre le trafic [68]. La Training, Assistance and Rural Advancement Non-Governmental Organisation (TARANGO), basée à Dhaka, considère que l’établissement d’une société juste et sans pauvreté passe par l’ « empowerment » des femmes. Ce serait donc par des programmes de mise en valeur des talents et des compétences des personnes concernées que des chemins s’ouvriraient vers une acceptation plus digne des femmes dans la société et, par conséquent, vers une société où le trafic diminuerait. Les mesures de développement d’aptitudes et de compétences visent tant à réduire la pauvreté considérée comme l’une des causes principales du trafic d’êtres humains qu’à permettre une réintégration plus efficace de personnes auparavant trafiquées dans une société où elles pourraient ainsi être indépendantes. Cette approche est également appliquée dans le travail avec des enfants, en particulier les enfants de la rue dans les grandes villes d’Asie du Sud, susceptibles d’entrer dans le champ de mire des trafiquants. Pour permettre leur réintégration dans la société, des programmes d’éducation informelle et de formation professionnelle ont été mises en place par différentes organisations [69].
Les personnes trafiquées en quête de soutien doivent pouvoir compter sur une aide juridique fiable. Or, les systèmes juridictionnels en Asie du Sud ne sont, pour des raisons sociales, pas très accessibles aux couches sociales les plus concernées par le problème. Leur monde est un monde de moyenne et de haute société dominé par les hommes. Bien qu’il soit nécessaire de soutenir les personnes concernées dans leurs démarches juridiques formelles, comme le font un certain nombre d’organisations, telles que la Bangladesh National Women Lawyers’ Association ou la Madaripur Legal Aid Association, les personnes impliquées dans ce travail ont vite fait de remarquer que ce travail n’est pas suffisant. L’aide juridique, tant sur le plan juridictionnel formel que sur le plan de la médiation, comme elle a été développée notamment par la Madaripur Legal Aid Association, ne peut donc jamais que représenter un pan dans le combat holistique du trafic.
d. L’exercice de la pression politique
L’exercice de la pression sur les gouvernements n’est certainement pas négligeable lorsqu’on veut s’attaquer au trafic d’êtres humains de façon durable. Des réflexions sur une meilleure politique contre le trafic ont été menées au sein de la société civile et dans le cercle des scientifiques spécialiste de la question. C’est à partir de ces réflexions qu’un débat pourra se développer. Il ne s’agit pas ici de donner de réponse, mais d’esquisser les alternatives imaginables aux politiques Étatiques insatisfaisantes.
1. Une première revendication concerne une protection effective du droit fondamental de chaque personne de migrer que l’on trouve à l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, ainsi qu’à l’article 12, alinéa 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel l’Inde et le Bangladesh ont accédé. Comme le font remarquer Khan, Huq et Hossain, les possibilités de migrer légalement vers l’Inde - et le Pakistan - sont très restreintes, même si l’économie de ces pays a assurément besoin de main d’œuvre étrangère. Si la migration de travail est rendue largement possible, les personnes désireuses de trouver un emploi à l’étranger seront moins susceptibles de se référer aux réseaux de migration « illégale » où elles encourent le danger d’être trompées par les stratégies de trafiquants. Une telle libéralisation du mouvement transfrontalier ne contreviendrait pas aux intérêts du Bangladesh, pays aujourd’hui « exportateur de migrants » [70] et légaliserait la situation actuelle qui résulte du fait que l’économie des pays destinataires (Inde, Pakistan, pays du Golfe) assouvit ses besoins de main d’œuvre en recourant à l’immigration « illégale ». En rendant le mouvement des personnes plus facile et en introduisant un système de permis de travail conforme aux besoins de leurs économies, les États seraient, selon Mandal et Arham, d’autant plus légitimés à insister sur le respect de leurs normes d’immigration légale. Le Bangladesh, de son côté serait alors appelé à développer le système de formation de manière à optimiser la qualification de ses ressortissants en vue d’une émigration. Ces questions ne peuvent, par nature, pas être efficacement traitées de manière unilatérale. Selon Samaddar, un cadre régional devrait être développé, dans lequel les États pourraient traiter de la question. La South Asian Association for Regional Cooperation (SAARC), dont l’Inde, le Bangladesh et le Pakistan sont membres, pourrait servir de forum de discussions. Toutefois, un changement d’attitudes au niveau gouvernemental est nécessaire. Il serait indispensable, selon Samaddar, Mokammel et Mandal, que ceux-ci cessent de considérer le migrant comme un terroriste per se et de répercuter leurs différends politiques sur lui de façon polémique. C’est un long chemin dans le contexte politique de méfiance réciproque, voire d’hostilité, en Asie du Sud. Si Samaddar ose parler d’un modèle européen susceptible d’être transposé sur le cadre sudasiatique à long terme, Arham admet que la région est encore loin du moment où elle pourra imaginer mettre en place des structures semblables à celle de l’Union Européenne. D’élargir le cadre envisagé même aux professionnels du sexe et de les faire bénéficier des droits spéciaux affirmés dans la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, comme le propose Siddiqui, serait peut-être moins hypocrite, mais certainement une tâche encore plus énorme si l’on tient compte de la tabouisation très répandue des rapports sexuels en général et de la prostitution en particulier en Asie du Sud [71].
2. Une seconde revendication concerne une gestion des frontières plus démocratique. En effet, la répression, comme il a été démontré, n’a jusqu’à présent pas réussi à endiguer le trafic et rien ne laisse espérer que cette situation change dans un futur proche. Au contraire, l’arbitraire des forces chargées du contrôle des frontières ajoute aux dangers auxquels sont confrontés les personnes trafiquées (viols etc.). Une meilleure prise en compte des intérêts locaux, notamment en ce qui concerne le commerce transfrontalier de bas niveau, et un contrôle démocratique effectif des représentants de l’État contribuerait, selon Samaddar, à la protection des droits des personnes concernées. A cette fin, un meilleur dialogue entre l’État et les acteurs de la société civile, notamment les organisations non gouvernementales, mais aussi les institutions scientifiques spécialisées dans les questions de la migration internationale (notamment le Calcutta Research Group, Research Initiatives Bangladesh, Dhaka et la Refugee and Migratory Movements Research Unit de l’Université de Dhaka), s’impose [72].
3. Une troisième revendication est celle de rappeler aux États leurs engagements légaux, tant en droit interne qu’en droit international. Il s’agit d’une part d’exercer une pression sur les gouvernements et parlements de signer, de ratifier et d’appliquer les traités internationaux adressant la question, notamment la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949 et le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000 que le Bangladesh n’a pas ratifiés, ainsi que, en ce qui concerne les droits des enfants, la Convention sur les pires formes de travail des enfants de 1999, ratifiée par le Bangladesh en 2001. Bien qu’étant, comme il a été démontré, critiquable à certains égards, le Protocole demande, aux termes de son article 6, alinéa 6, aux États de « mettre en oeuvre des mesures en vue d’assurer le rétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite des personnes, y compris, s’il y a lieu, en coopération avec les organisations non gouvernementales, d’autres organisations compétentes et d’autres éléments de la société civile et, en particulier, de leur fournir : (a) un logement convenable ; (b) des conseils et des informations, concernant notamment les droits que la loi leur reconnaît, dans une langue qu’elles peuvent comprendre ; (c) une assistance médicale, psychologique et matérielle ; et (d) des possibilités d’emploi, d’éducation et de formation ». La Convention sur les pires formes de travail des enfants vise expressément, aux termes de son article 3 a, « toutes les formes d’esclavage ou pratiques analogues, telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire » et en réclame l’interdiction et l’élimination. D’autre part, il s’agit de demander aux États le respect de leurs propres actes de droit. Le Bangladesh a ainsi prévu de lourdes sanctions pour les trafiquants dans le Suppression of Violence Against Women and Children Act de 2000, mais il peine à en exécuter les dispositions [73]. En outre, la pression peut également viser l’adoption de nouvelles mesures législatives et l’élaboration de nouveaux traités susceptibles de mieux protéger les personnes concernées, et ce également dans un cadre bilatéral et régional. La SAARC a déjà servi de cadre à une telle tâche, mais ses résolutions ne sont que très imparfaitement implémentées [74].
e. Une solution plus durable ?
C’est par une combinaison de ces quatre méthodes que la société civile projette d’atteindre son but d’une société plus respectueuse des droits des personnes et de résoudre le trafic d’êtres humains dans le contexte sud-asiatique. Elle ne prétend pas atteindre ce but dans l’immédiat, mais elle affirme que l’alternative qu’elle propose est une solution plus durable de la question que ce que les États tentent de faire en mettant en place une politique largement répressive. On ne doit pas se battre, selon elles, contre des données abstraites qui quantifient les mouvements de population et tendent à les criminaliser, mais il faut aller plus au fond du problème et s’attaquer à ses racines. La politique étatique, pour reprendre les mots que Samaddar emploie dans sa critique des études basées exclusivement sur des chiffres, méconnaît l’étendue des circonstances et des incidences du trafic d’êtres humains en ignorant « l’histoire de la migration, son économie et, par-dessus tout, le migrant lui-même, sa subjectivité et aussi l’univers d’Asie du Sud où une telle migration transfrontalière est devenue un phenomène de telle envergure » [75].
Christoph Tometten
1er décembre 2008