Quand on se réfère au lourd passé du numérique universitaire en Afrique, on peut constater que les dynamiques d’appropriation aussi essentielles soient-elles, ne sont pas souvent associées au discours politiques et institutionnels. Pourtant bon nombre d’organisations internationales à l’image de la BM et de l’UNESCO continuent à promouvoir le numérique associé tantôt à des fins économiques tantôt à des aspirations démocratiques, sans s’interroger sur les véritables conditions sociales culturelles et pédagogiques des acteurs concernés. Les réformes sur l’enseignement et la recherche supportées par les TIC s’inscrivent dans une perspective globale où de l’extérieur comme de l’intérieur, de fortes tendances convergent vers l’idée d’une modernisation de l’Université et de son amélioration. Cet ordre ne manque pas chez tout observateur avisé, de rappeler le vieux souvenir de l’échec qu’aura connu l’Université Virtuelle Africaine. Ainsi, au Sénégal, bien que le numérique ne fasse pas l’objet d’un rejet, son utilisation dans l’enseignement et les problématiques qu’il suppose relativement à la recherche, indiquent à relativiser sa portée pédagogique et épistémique. Devant les nombreuses difficultés d’usages liés à des facteurs aussi bien techniques que socio-culturels et l’apparent besoin d’appropriation qu’expriment les apprenants inscrits en enseignement à distance, il y’a lieu de s’interroger sur les politiques entreprises dans ce sens. C’est à cette tâche que se consacre cette thèse. L’objectif n’y est pas de démontrer que le système de l’enseignement supérieur sénégalais devrait par principe repousser le numérique que nous utilisons tous désormais, ou s’il devrait l’accepter par évidence. Il s’agit plutôt d’attirer l’attention sur la dimension idéologique du numérique universitaire et les différentes formes objectives d’appropriation locale auxquelles donne lieu son intégration dans des contextes spécifiques. Cela devrait permettre de mieux mettre en exergue le besoin crucial de ne pas céder aux injonctions internationales portées par un discours néolibéral orienté vers les gains économiques des TIC, mais d’être plus attentif d’une part, aux actions et réactions des acteurs concernés spécifiquement et d’autre part, à leurs ressources et capacités d’appropriation.
Mots clés : appropriation, ACF, Banque mondiale, Enseignement à distance, discours, dispositif, ENO, innovation, Internet, mondialisation, modernisation, numérique, néolibéralisme, Organisation internationale, TIC, tutorat, usage, UNESCO, UVA, UVS, virtuel…
Pourquoi financer le déploiement d’une technologie là où, faute d’infrastructures, celle-ci ne peut matériellement pas fonctionner correctement ? Si les objectifs avancés par la Banque mondiale, à l’origine du lancement de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) en 1997, sont l’augmentation de l’accès à l’enseignement supérieur en Afrique couplée à des économies d’échelles, la question se pose de savoir quelle démocratisation est espérée lorsque le moyen qui doit la rendre possible ne peut tout simplement pas fonctionner par manque d’infrastructures. En témoigne l’échec de l’UVA sur les plans économique et pédagogique (Loiret, 2007), en contraste avec la persistance de son développement au moyen de sa transformation en organisation intergouvernementale panafricaine en 2002. En s’appuyant sur le concept d’« hypertélie » développé par Gilbert Simondon (1958) pour désigner la suradaptation d’un objet technique dans un milieu inadapté à son fonctionnement, cette recherche doctorale propose d’appréhender le lancement de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) comme une introduction anticipée des TIC et de la culture numérique par la Banque mondiale au sein d’universités traditionnelles d’Afrique subsaharienne avec pour objectif la mise en marché de l’enseignement supérieur. Objectif soutenu par la transformation de l’UVA en organisation intergouvernementale qui génère un mythe (Barthes, 1957 ; Simondon, 1958) caractérisé par la séparation entre une forme première et son fond idéologique, qui, ainsi libéré, peut se fixer à d’autres formes, s’articuler à d’autres fonds, et devenir une tendance générale. L’UVA acquiert ainsi une raison d’être : constituer une forme mythique capable de véhiculer des concepts qui se transforment en tendances sous forme de structures.
Dans cette perspective, le mythe de l’UVA participe à l’émergence de deux nouveaux types d’institutions publiques d’Afrique Subsaharienne liées à l’idée d’« université sans murs », c’est- à-dire au concept de fond, corollaire de celui d’ « université virtuelle », selon lequel il est possible pour une université publique traditionnelle de se passer d’infrastructures propres dédiées au cœur d’activité. Le premier, illustré par l’Université Virtuelle du Sénégal (UVS), prend la forme d’une université publique dont la livraison de contenus est principalement instrumentée par les TIC. Le second, illustré par l’Université Panafricaine (UPA), prend la forme d’un établissement international d’enseignement supérieur en présentiel, caractérisé par un mode de structuration par implantation dans l’existant, similaire à celui de l’UVA. Mais le lien entre l’UVA et l’Université Panafricaine (UPA) ne s’arrête pas là, leur similitude structurelle les amène à fusionner puisqu’en octobre 2017, l’Union Africaine acte l’intégration de l’UVA en tant que sixième institut dédié à l’enseignement en ligne de l’Université Panafricaine (UPA) avec l’objectif d’utiliser « la technologie pour fournir une éducation de masse post-secondaire » (Commission de l’Union Africaine, 2015, septembre, p.32).
Par suite, la présente recherche doctorale propose de considérer l’Université Virtuelle Africaine (UVA) comme un instrument d’amplification par transduction, au sens de G. Simondon (ILFI, 1995), en tant qu’elle permet à l’idéologie néolibérale de se propager de proche en proche dans les universités existantes et in fine, de se traduire structurellement au sein de l’Université Panafricaine. Traduction structurelle susceptible de participer, non seulement à la structuration de l’Espace d’Enseignement Supérieur et de Recherche Africain (AHERS pour African Higher Education and Research Space) en deux secteurs - respectivement dédiés, à la formation en présentiel d’une « génération de dirigeants » en effectifs restreints 6 (Instituts disciplinaires de l’UPA), et à la formation à distance supportée par les TIC dédiée à la masse - mais aussi à l’émergence d’une plateforme politique et décisionnelle supportée et alimentée par l’Université Panafricaine.
Mots-clefs : université ; UVA ; UVS ; virtuel ; numérique ; Internet ; TIC ; TICE ; SIC ; communication ; industrialisation ; concrétisation ; rationalisation ; LMD ; post- industrialisation ; technologie ; Banque mondiale ; marché ; AHERS ; marchandisation
La menace qu’Internet et les technologies numériques de l’information et de la communication en général font ou feraient peser sur la vie privée soulève de nombreux débats, tant dans la presse qu’au niveau politique. L’affaire Snowden en 2013, puis l’adoption en 2016 du Règlement général de protection des données (RGPD), ont renforcé la visibilité de ces controverses dans l’espace public.
Cette thèse part d’une triple interrogation : pouvons-nous définir ce qu’est la « vie privée », existe-t-il un consensus autour de la question, et ce consensus évolue-t-il avec des évolutions de notre milieu technique qui affectent nos modes de communication, et donc d’intrusion dans celle-ci ?
En définissant la « vie privée » comme l’objet protégé par des textes normatifs – textes de loi, jurisprudence et standards techno-politiques d’Internet – qui protègent le droit à la vie privée, il est possible d’en étudier empiriquement l’évolution et les controverses qui ’accompagnent.
Le droit de la protection des données à caractère personnel a émergé en Europe dans les années 1970 pour protéger une « vie privée » perçue comme menacée par une informatique encore à ses débuts. Aujourd’hui, le RGPD, ou encore certains documents édictés par des organismes de standardisation comme l’Internet Engineering Task Force (IETF) ou le World Wide Web Consortium (W3C), visent à protéger cette vie privée au travers d’un corpus de règles, la « protection des données », qui concerne les « données à caractère personnel ».
Les définitions juridiques de cette notion produites dans des arènes institutionnelles et celles produites dans des arènes de standardisation technique sont identiques. L’étude de la généalogie de la protection des données révèle en outre le rôle déterminant d’informaticiens dans l’invention de la « protection des données » et en particulier des principes qui régissent aujourd’hui encore les dispositions contenues dans le RGPD.
L’analyse des controverses qui ont eu lieu dans les arènes d’élaboration de ces normes montre que la notion de « donnée à caractère personnel » inscrite dans les textes de notre corpus reflète essentiellement le système de convictions d’une coalition d’acteurs inspirés par des idéaux libéraux utilitaristes, attachés à l’autonomie de l’individu et accordant de l’importance au respect de son consentement. Ce paradigme s’est imposé dans les arènes étudiées face à d’autres conceptions de la « vie privée », notamment celles qui la définissent comme un espace collectivement défini ôté au regard de l’espace public, ou encore celles qui préconisent une patrimonialisation de ces données.
Ce n’est donc pas l’informatique qui a directement déterminé une évolution dans l’objet de la protection du droit de la vie privée, mais ses perceptions par un groupe d’acteurs. Convaincus de l’utilité sociale de la protection de leur conception libérale de la vie privée, ces derniers sont parvenus à faire émerger, en Europe, dans les années 1970, une nouvelle catégorie juridique : le droit à la protection des données. Le RGPD, adopté en 2016, tout comme les projets de standards du Web visant à protéger la vie privée et étudiés dans cette thèse, reprennent les principes issus de ces premiers débats. Ce faisant, l’arrivée de l’informatique a, indirectement mais effectivement, été un élément déclencheur dans l’évolution de la « vie privée » définie comme objet du droit à la vie privée.
Mots-clefs : informatisation de la communication, vie privée, protection des données, données à caractère personnel, approches communicationnelles du droit et des politiques publiques
Cet article examine le lien de complicité caché entre l’apparition du sujet de l’économie libérale et le discours bio-éthique qui s’est imposé comme mode de domination dans la Chine moderne. Au tournant du XIXème et du XXème siècle, émergea un vaste ensemble de discours exprimant la possibilité d’une renaissance du peuple chinois et d’une participation au monde moderne sous la condition d’un renforcement de la psyché. Cette nouvelle modalité discursive présente une psyché au service de l’intérêt individuel, en tant qu’elle fonctionne comme un agent libre et autonome, tout en décrivant la force de la psyché comme une force morale que l’on pourrait comptabiliser, autrement dit calculer, corriger, contrôler, et utiliser comme si c’était un capital au service de la nation et d’une société civile en devenir. L’individu se trouve alors être le point de convergence des discours définissant l’agent de l’économie politique libérale et le sujet circonscrit d’une éthique nationale. Il se retrouve par là-même au cœur du projet nationaliste de formation, d’instruction et de redressement. Pourquoi, dans le contexte à la fois historique et culturel de la Chine, le sujet moderne est-il tant affecté par la domination du sentiment nationaliste ? C’est à cette question que nous tâcherons de répondre. Je voudrais soutenir l’idée que, bien avant le 4 mai 1919 et les efforts des intellectuels pour réveiller un mouvement d’émancipation, le mode de gouvernabilité du sujet moderne a déjà été établi. En réponse au monde contemporain, les intellectuels révolutionnaires participèrent à la mise en place de la logique comptable. C’est ce que j’appelle le moment de naissance de la bio-éthique/bio-politique au début de la Chine moderne. Afin de bien explorer cette question complexe, je dois d’abord reprendre l’argument principal de Foucault dans Naissance de la biopolitique. Ce cours au Collège de France entretient selon moi un lien important avec les cours qui suivront sur l’éthique et l’herméneutique de soi. Ils permettent tous de penser le problème ambigüe de la biopolitique aujourd’hui.
Cette thèse présente les résultats d’une enquête ethnographique et comparative auprès des réseaux de militants engagés dans la défense des familles de demandeurs d’asile et d’exilés sans papiers dans les villes de Tours en France et de Malaga en Espagne. L’objet de l’enquête concerne le rapport aux valeurs et par suite les dimensions éthiques et politiques de ce militantisme. L’observation porte sur les tensions entre deux théories morales divergentes voire antagonistes qui traversent les configurations étudiées : l’une, dite humanitaire, revendique une relative neutralité politique de l’action militante ; l’autre au contraire assume une politisation explicite. Cette ligne de partage et de discussions se retrouve entre deux registres de justification des actions militantes : d’un côté un "droit à la vie" qu’il s’agirait de faire respecter par l’Etat au bénéfice des victimes de la répression des mobilités internationales ; de l’autre un "droit d’avoir des droits" qui appellerait un soutien militant à l’organisation et à l’expression autonome des exilés en lutte. La démarche d’observation consiste à étudier l’évolution des synergies et concurrences entre ces deux pôles, sous différents aspects, et au travers de configurations d’actions militantes et de débats internes qui varient selon les scènes et les conjonctures étudiées.
Ce mémoire retrace, du double point de vue des outils de recherche et des résultats, un itinéraire de recherches sur les questions, envisagées conjointement, de la persistance des relations paternalistes de travail et de l’emprise des relations clientélistes dans la cité. La question du pouvoir de redistribuer est au centre de la problématique qui traverse les différents travaux, et qui peut se résumer ainsi par un lien organique entre les reproductions physique et sociale de sociétés : comment les personnes s’y prennent-elles concrètement pour survivre, et comment ces moyens structurent-ils leur organisation sociale ? La première partie du mémoire est consacrée à la découverte des instruments d’investigation et d’interprétation par l’anthropologue sur son terrain.
Habilitation à diriger des recherches soutenue le 8 octobre 2010 à l’Université Lyon-I
Banlieues, migrations, citoyenneté et la construction européenne
Rada IvekovićLa question qui s’est annoncée en France d’abord comme celle des banlieues en 2005 , pour s’élargir aux centres-villes et aux jeunes en général en 2006, quoique de manière différentielle, est aussi celle des générations. La question des banlieues, sans être simplement une « séquelle », « conséquence », « suite » du colonialisme, sans être le colonialisme historique (terminé pour la France en 1954 et 1962 ; mais que faire les « îles » ?) ou sans être comme lui, est néanmoins aussi la question coloniale qui se présente à nous aujourd’hui en tant que postcoloniale. En elle converge aujourd’hui la question du projet de société qu’on se donne dans un pays (la France) avec celle du projet de société et de construction politique de l’Europe et du monde. Le tout se passe après la chute du mur de Berlin, dans le cadre de la mise en place de l’Europe post-partage, faisant partie de la mondialisation. S’y rencontrent les conditions post-coloniale, post-socialiste et les générations. Cette question remet en scène des mélancolies coloniales et impériales, plus ou moins déguisées. Non, il n’y a pas d’importation de problème ni d’amalgame entre aujourd’hui et hier. Mais notre aujourd’hui est fait aussi de notre hier et de notre demain. Alarmée par l’afflux craint plutôt que réel, de demandeurs d’asile et de réfugiés, l’Europe des 27 met en place des politiques communes pour endiguer ce phénomène, avec l’idée d’empêcher les demandes à la source, ou plutôt avant même la source.
La prise en charge hospitalière du VIH-sida à la Réunion et en Île-de-France
Sandra BascougnanoCette recherche s‘intéresse aux mécanismes et aux modalités de la mise en oeuvre de traitements différentiels discriminants dans la prise en charge hospitalière du VIH-sida. Elle repose sur une comparaison entre deux terrains d‘étude, l‘un réalisé dans deux services hospitaliers de la Réunion et le second mené dans un service hospitalier d‘Île-de-France.
Notre analyse des discours des soignants et soignés et celle des observations de leurs interactions et de la vie quotidienne hospitalière ont fait l‘objet d‘un travail de recontextualisation et de comparaison. Il nous a permis de situer la mise en oeuvre d‘un traitement différentiel discriminant au croisement de logiques non seulement individuelles et interactionnelles mais également organisationnelles, institutionnelles, sociales, politiques, sanitaires, médicales et culturelles.
Notre étude a montré l‘existence de différenciations dans le suivi hospitalier des malades séropositifs au VIH-sida. Elle a mis en évidence que ces différenciations ne procèdent pas d‘une individualisation de la prise en charge, mais d‘une catégorisation des patients. Ces catégories, intrinsèquement liées à la notion de ―risque‖, issues de l‘épidémiologie et de représentations sociales de sens commun, sont réappropriées par les soignants et infèrent sur le suivi mis en place. Cette recherche donne à voir les effets de connaissances à la fois scientifiques et idéologiques de la catégorisation. Elle soutient la thèse de l‘existence de traitements différentiels discriminants en santé.
Mots-clés : traitements différentiels discriminants ; catégorisation ; représentations sociales ; ―risque‖ ; hôpitaux ; Île de la Réunion ; Île-de-France.
Le droit d’asile contemporain, en partie issu de la déroute morale des démocraties face au besoin de protection des Juifs, dès les années 1930, est énoncé dans les articles 13 et 14 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. L’histoire comme l’actualité montrent combien ces articles sont à la fois précieux pour le genre humain et faciles à bafouer : il suffit d’empêcher l’accès aux territoires refuges et/ou de rejeter massivement les demandes d’asile de ceux qui parviennent à passer. C’est ce qui arrive en Europe où les taux de rejet ont été progressivement augmentés jusqu’au voisinage actuel des 100% et où les politiques de camps ainsi que la militarisation des frontières visent à bloquer l’accès aux pays refuges.
Naguères, les réfugiés étaient perçus comme des victimes objets de compassion, aujourd’hui ils sont traités comme des coupables et enfermés dans des camps. S’agit-il d’une réponse à un envahissement migratoire ? D’une réaction inéluctable à la crise économique ? De l’effet d’une xénophobie populaire exacerbée ?
Les politiques gouvernementales, qui mènent aujourd’hui un véritable combat contre l’immigration dite « clandestine », tentent de définir si la demande d’asile est légitime ou non, en d’autres termes, si le demandeur est un « vrai » ou un « faux » réfugié. Il ressort, selon ces instances décisionnelles, qu’il s’agit dans la majorité des cas, d’un exilé économique ou thérapeutique, plus que d’un « véritable » sujet persécuté. Quelles sont les incidences subjectives de ces soupçons souverains sur celui qui est en quête de refuge ? Si son corps est affecté par l’injonction étatique à témoigner et à prouver, le récit de ses persécutions l’est aussi. En effet, devoir « tout relater » à un Autre, lorsque l’accès aux souvenirs est barré par la rencontre avec le Réel, ne va pas sans produire des effets démétaphorisants. Ce montage testimonial se constitue parfois comme une création vitale qui fait office de refuge à celui qui cherche un asile. Le sujet démuni, suspendu à l’attente de ses « papiers », tente, par les moyens qui lui restent, de sortir de sa nudité psychique et juridique. Comment le clinicien va-t-il pouvoir travailler avec cette population mise au ban du politique ? Quels sont les effets de ces rencontres sur la subjectivité de celui qui écoute ce qui touche à la cruauté humaine ? Que peut faire le psychologue du discours de l’Etat, qui le place dans une posture d’expert et qui lui demande de distinguer le vrai témoin du faux ? Les interactions en jeu entre l’Etat, le réfugié et son thérapeute seront envisagées à partir de la psychanalyse et nous conduiront à poser les jalons d’une « clinique de l’asile ».
Mots clés : réfugié, traumatisme, témoignage, droit d’asile, politique, contre-transfert, clinique de l’asile, vérité, Etat.
Hypothèse juridique à propos d’une menace écologique
Véronique MagnignyLa question des réfugiés de l’environnement représente une hypothèse spéculative. En effet, dans la mesure où le droit positif ne s’en est pas saisi, son traitement ressortit, pour l’instant, du seul bon vouloir des Etats. Alors que les nouveaux besoins sont clairs, le droit se trouve, ici, confronté à un vide conceptuel. Il s’agit donc de déterminer si la transposition de la notion de réfugiés au domaine de l’environnement a quelque chance de succès, ce, en dépit des difficultés à surmonter.
La première difficulté tient à la méthode : la réflexion proposée se situe à l’interface de plusieurs champs du droit. Elle ne relève, en effet, entièrement ni du droit international des droits de l’homme, ni du seul droit des réfugiés, ni à proprement parler du droit de l’environnement, ni du droit de la responsabilité pour dommage à l’environnement. Et, le terme de réfugié possède (...)
Les pays du Maghreb sont devenus des pays de transit pour les transmigrant-e-s originaires d’Afrique sub-saharienne se dirigeant vers l’espace Schengen. Notre recherche examine les types de rapports que ces individu-e-s entretiennent avec l’espace traversé. De la recherche empirique a émergé la notion de « communautés d’itinérance » constituées d’hommes et de femmes - liés par des liens de connivence, de complicité et de sociation - qui en partageant une expérience commune, se reconnaissent subjectivement en un espace-temps donné en tant que membres d’une communauté. Cette forme transnationale de la communauté - éphémère mais stable au-delà des passages de ses membres - permet des systèmes d’appartenances multiples qui font réseau international, alliance, franchissement des frontières interdites et contournements des accords internationaux. Si les appartenances nationales ou linguistiques permettent le regroupement initial, facilitent l’ajustement social temporaire et le passage, elles laissent l’individu libre de s’affilier à de nouveaux groupes, de développer ses propres réseaux qui deviennent la matière première à association et à production de liens originaux. L’étude a montré comment les femmes organisent, canalisent et invisibilisent le mouvement et la manière dont l’ordre des hiérarchies familiales s’inverse en transmigration.
Ma thèse interroge les modalités discursives du « changement dans la continuité », qui fait la spécificité des relations franco-africaines. J’analyse la recomposition des rhétoriques coloniales en rhétoriques du développement à travers les phénomènes de reformulation des formes linguistiques, qui, à la fois, rendent compte de cette « relation de dominance particulière » et participent à la construire.
À partir des observatoires préalables que sont les discours des chercheurs en sciences humaines et sociales, l’analyse des archives de mémoire lexicographiques et encyclopédiques résulte en un état des savoirs sur les notions de colonisation, de progrès civilisateur et de développement.
Le cheminement au sein des différentes théories du discours, puis de la catégorisation linguistique permet de poser des hypothèses de configurations discursives et de leur transformation au fil des événements historiques. Hypothèses qui sont soumises à l’épreuve d’un corpus d’étude composé d’un ensemble d’une centaine de textes du XVIIIe siècle à nos jours : textes du progrès des Lumières, de l’économie, de l’anthropologie et textes sur la colonisation et le développement de l’Afrique autour du Mali.
L’analyse de l’organisation énonciative d’états de discours successifs permet de repérer, au fil des répétitions et des transformations, quelques marqueurs d’interdiscours qui, soudant les textes dans l’épaisseur du discours, contribuent à construire des objets et des pratiques propres à la formation discursive.
Elle permet de dégager quelques processus de production/reproduction discursive d’un « type » normatif et dominant de citoyen occidental face à une altérité double, à la fois incluse dans la catégorie (dans une relation de symétrie) et extérieure à elle (stéréotypie et relation de complémentarité). Les différents marqueurs, qui composent les notions, les types et les altérités permettent in fine d’approcher le fonctionnement discursif de l’idéologie qui structure la relation de dominance.
Mots clés : analyse du discours – formation discursive – corpus – mémoire interdiscursive – dialogisme – types – stéréotypes – idéologie.
Est-il possible de rassembler dans la même perspective théorique et méthodologique, d’un côté, l’analyse du discours centrée autour de la production, de la diffusion et de la circulation d’un ensemble anonyme et impersonnel d’énoncés et, de l’autre, un point de vue qui porte sur des auteurs et des processus de subjectivation à la fois éthiques et politiques qui concernent les pratiques d’écriture ? À partir de celui qui semble le plus grand paradoxe de l’œuvre de Edward Saïd, notamment dans son texte le plus important, c’est-à-dire Orientalisme, j’ai cherché à montrer comment depuis Beginnings ce paradoxe relève du rapport entre pouvoir et narration historique. Par ces questions j’ai essayé de reconstruire le rôle fondamental joué par la notion de « carrière » en tant qu’ensemble d’oppositions « technoéthiques » qui passent par les différentes subjectivités impliquées dans les ré-énonciations successives du discours. Loin de conduire à la dissolution des régularités discursives par une subjectivité quelconque, cette notion, selon Saïd, rend compte d’une perspective de recherche singulière visant à historiciser les moments où le discours rencontre les différentes subjectivités qui en permettent la réactualisation. Même depuis Orientalisme, lorsque la question de la résistance devient capitale, les références à la subjectivité éthique et politique continuent à traverser, par ses « lectures en contrepoint », les diverses narrations de l’impérialisme et de la décolonisation. Le thème de la carrière est décliné enfin par les pratiqués connexes de « réception » et de « résistance » qui tracent ainsi le profil d’un humanisme en mesure de relever les défis et les besoins d’un présent toujours en lutte.
Que disent les discours publics qui portent sur la notion de discrimination ethnique et raciale, et comment cette notion s’est-elle développée dans les débats publics et dans l’action publique en France depuis le début des années 1990 ? Ce sont ces deux questions, formulées au début du programme « Frontières », qui guident la présente recherche. Répondre à la première question, celle du contenu, constitue en quelque sorte un préalable pour avancer sur la seconde, celle des conditions d’émergence. Une première étape a consisté à recenser les travaux et les rapports jugés les plus significatifs du point de vue de l’histoire récente de la notion, à la fois sur les plans scientifique et administratif, en privilégiant ce qu’il est convenu d’appeler la « littérature grise ». Compte tenu du très grand nombre de documents publics qui traitent des phénomènes discriminatoires, il n’était pas question de viser l’exhaustivité. En revanche, la recherche porte sur un large éventail de discours. Chacun des vingt-sept rapports a fait l’objet d’une fiche informative et critique, qui doit permettre au lecteur de se faire une idée générale du texte, et d’envisager dans un second temps une analyse plus précise de celui-ci. On trouvera ici la synthèse de l’ensemble de ces fiches, classée selon les principaux éléments qui ont été recensés : les acteurs, les notions et les recommandations opérationnelles.
Pendant près de cinquante ans la représentation au Maroc du Haut-Commissaire aux Réfugiés (HCR) de l’Organisation des Nations Unies était symbolique et inerte. Fin 2004, la direction internationale, à Genève, réforme la politique relative aux exilés originaires d’Afrique subsaharienne transitant par le territoire marocain. Pourquoi ce changement de politique du HCR au Maroc à la fin de l’année 2004 ? L’hypothèse examinée est celle d’une corrélation avec un autre évènement intervenu en novembre 2004 : l’adoption par l’Union Européenne du Programme de la Haye (2004-2009) qui impulse des politiques antimigratoires notamment « l’externalisation de l’asile » tendant à fixer les exilés dans les pays voisins de l’Union Européenne. Pour tester cette hypothèse, il est d’abord nécessaire d’objectiver, pour les surmonter, certains obstacles contextuels et cognitifs à une sociologie politique du HCR qui soit indépendante de l’institution étudiée. Dans cette perspective, l’analyse du rôle du HCR dans la genèse des politiques européennes, entre 2002 et 2004, et l’observation de son activité au Maroc de 2005 à 2007 permettent de valider l’hypothèse initiale et de faire apparaître les principaux résultats de cette activité : surmédiatisation de la présence des exilés en transit, gonflement artificiel de la demande d’asile, clivage des milieux associatifs et confessionnels de solidarité, focalisation des débats publics sur la minorité reconnue par le HCR laissant la majorité des exilés sans arguments de défense face à la répression policière… Cette étude de cas plaide pour des recherches sur le « gouvernement humanitaire » qui préservent l’autonomie des sciences sociales contre la tendance, aujourd’hui dominante dans les milieux associatifs et académiques du secteur, à l’osmose idéologique et financière avec lui.