[La Vitalpolitik], « une politique de la vie, qui ne soit pas orientée essentiellement, comme la politique sociale traditionnelle, vers l’augmentation des salaires et la réduction du temps de travail, mais qui prenne conscience de la situation vitale d’ensemble du travailleur, de sa situation réelle, concrète, du matin au soir et du soir au matin », l’hygiène matérielle et morale, le sentiment de propriété, le sentiment d’intégration sociale, etc., étant à ses yeux aussi important que le salaire et le temps de travail. Rüstow cité par F.Bilger dans La pensée économique libérale, p.106 ; re-cité par Foucault dans une note de Naissance de la Biopolitique, p.164
Political economy...is not a system for controlling men’s actions, but for discovering how men are induced by their natural propensities to act. John Hill Burton dans Chanbers’s educational Course : Political Economy for Use in Schools, and for Private Instruction, p.49 ( je souligne)
I. Aux carrefours de l’économie politique : l’émergence d’une nouvelle société civile
Dans le cours de 1978-1979 sur la naissance de la biopolitique, Foucault étudie et localise précisément le double mouvement de la politique économique libérale : d’un côté, elle repose sur l’engagement d’un individu autonome, libre de vouloir travailler et d’exercer son potentiel ; de l’autre, la vie de chaque individu dans sa globalité, y compris son hygiène physique et morale, est prise en compte dans la gestion et la production de l’entreprise. Selon Foucault, à partir du XVIIIème siècle, le discours de l’économie politique tente de rationaliser les problèmes de gouvernementalité. Ces derniers se constituent autour de la notion de population, c’est-à-dire avec l’apparition d’un questionnement sur la gestion d’ensembles d’êtres vivants. Le libéralisme est pour Foucault le principe et la méthode de rationalisation du gouvernement de ces populations. La rationalisation qu’elle préconise obéit « à la règle interne de l’économie maximale » [1]. Quand bien même la pensée libérale commence avec la société civile et non avec l’État, la question reste celle de la manière de gouverner. En ce sens, la réflexion sur l’art de gouverner devient nécessaire, et la justification de son existence définira sa finalité eu égard à chaque société. La technologie propre à chaque gouvernement et les schèmes de pensée qui leur sont attachés dérivent en fait de la composition rationnelle propre à chaque société. Quand la logique de l’économie politique se superpose à celle de la gouvernementalité sociale, c’est cela qui donne naissance à la biopolitique.
Le paradoxe du sujet de l’économie libérale, ou homo oeconomicus, qui retient notre attention, c’est la manière dont s’articule en lui le principe du laissez-faire, en ce qu’il n’obéit qu’à son propre intérêt lorsqu’il participe au système économique, et le fait qu’il soit une personne « éminemment gouvernable ». Son intérêt est déterminé de telle sorte qu’il converge spontanément avec celui des autres. L’homo oeconomicus, selon Foucault, est en fait la personne « qui accepte la réalité », et par conséquent celui qui « apparaît justement comme ce qui est maniable, celui qui va répondre systématiquement à des modifications systématiques que l’on introduira artificiellement dans le milieu » : il est « corrélatif d’une gouvernementalité » [2]. Le paradoxe mis en évidence par Foucault tend à montrer que l’homo oeconomicus n’est pas un atome libre, mais plutôt un certain type de sujet qui rend possible un art de gouverner déterminé par un principe économique. C’est en ce sens que Foucault reconsidère le sujet de l’empirisme anglais. Ce dernier n’est pas défini par sa liberté, ou au travers d’une opposition entre corps et âme, ou même par la marque de la Chute ou du péché. C’est « un sujet qui apparaît comme sujet de choix individuels à la fois irréductibles et intransmissibles » [3]. L’irréductible et l’intransmissible sont comme « une sorte de butée régressive » de la rationalité, du jugement, des raisonnements ou calculs déterminants les choix individuels. Ils font référence à l’intérêt du sujet. Désormais, le « sujet d’intérêt », qu’il soit relatif à la conservation de soi ou à la sympathie, est d’abord et fondamentalement fondé sur une « volonté subjective ». Même si le « sujet d’intérêt » est assujetti et contraint par un contrat, il subsiste et perdure par delà le contrat juridique : il « déborde en permanence le sujet de droit » [4].
La différence entre la logique qui gouverne le sujet de droit et celle qui concerne le sujet d’intérêt est celle-ci : le sujet de droit est par définition un sujet divisé qui reconnaît des droits immédiats et naturels, mais accepte également un principe de renonciation relatif au système juridique de la loi et à ses interdictions ; le sujet d’intérêt en revanche, selon les économistes, n’abandonne jamais son propre intérêt. Foucault montre ainsi qu’au XVIIIème siècle les figures de l’homo oeconomicus et de l’homo juridicus, ou homo legalis, sont hétérogènes et ne peuvent se superposer. Il fait référence à La richesse des Nations d’Adam Smith et à l’importance de la « main invisible » qui fait comme abstraction des individus comme tels en même temps qu’elle fonde la rationalité de leurs choix égoïstes. Il ajoute que « si la totalité du processus échappe à chacun des hommes économiques, en revanche il y a un point où l’ensemble est totalement transparent à une sorte de regard, le regard de quelqu’un dont la main invisible, suivant la logique de ce regard et suivant ce que voit ce regard, noue ensemble les fils de tous ces intérêts dispersés ». Le caractère invisible du bien collectif en jeu est essentiel au processus car ce bien « ne doit pas être visé » en ce « qu’il ne peut pas être calculé, du moins à l’intérieur d’une stratégie économique » [5]. Aucun agent, politique ou économique, ne doit ni ne peut rendre compte de la totalité du processus qui mène au bien collectif. Foucault dit : Ainsi le monde économique est par nature opaque. Il est par nature intotalisable. Il est originairement et définitivement constitué de points de vue dont la multiplicité est d’autant plus irréductible que cette multiplicité même assure spontanément et en fin de compte leur convergence. L’économie est une discipline athée ; l’économie est une discipline sans Dieu ; l’économie est une discipline sans totalité ; l’économie est une discipline qui commence à manifester non seulement l’inutilité, mais l’impossibilité d’un point de vue du souverain sur la totalité de l’État qu’il a à gouverner. L’économie subtilise à la forme juridique du souverain exerçant sa souveraineté à l’intérieur d’un État ce qui est en train d’apparaître comme l’essentiel de la vie d’une société, à savoir les processus économiques. Le libéralisme, dans sa consistance moderne, a commencé lorsque, précisément, fut formulée cette incompatibilité essentielle entre, d’une part, la multiplicité non totalisable caractéristique des sujets d’intérêt, des sujets économiques et, d’autre part, l’unité totalisante du sujet souverain juridique. [6] (je souligne)
Pour Foucault, l’hétérogénéité et l’incompatibilité des mondes économique et politico-jurdique du XVIIIème siècle peut servir à une critique de la raison gouvernementale. La fonction première de la théorie de la main invisible est de disqualifier le souverain. Par opposition, durant le XIXème et le XXème siècles, les différentes formes de socialisme, le socialisme d’État et l’économie planifiée ont tous cherché à définir une souveraineté de type économique. Et en réalité, chez les physiocrates, le principe du laissez-faire tend déjà à définir une forme de correspondance entre le souverain et le processus économique, ou les agents économiques. C’est la fonction du Tableau économique qu’ils ont construit. C’est à ce niveau que l’on trouve l’idée selon laquelle « il faut laisser aux agents économiques leur liberté et que l’on aura une souveraineté politique qui parcourra d’un regard, et en quelque sorte dans la lumière uniforme de l’évidence, la totalité du processus économique » [7]. Foucault met en évidence la complexité du nœud se formant au carrefour de l’économie politique et de la gouvernementalité politique. Selon lui, la théorie d’Adam Smith ne devait pas à l’origine servir la rationalité gouvernementale. « La science économique ne peut pas être la science du gouvernement et le gouvernement ne peut pas avoir pour principe, loi, règle de conduite ou rationalité interne, l’économie » [8]. Mais lorsque les deux mondes supposés incompatibles s’accordent et se superposent, deux questions peuvent être soulevées : comment la théorie de la main invisible peut-elle bien servir à la rationalité gouvernementale ? Comment la théorie de la société civile va-t-elle jouer un rôle dans cette convergence ? La manière dont le sujet économique devient gouvernable est rendue possible au travers d’un « nouvel ensemble » qui le fait à la fois sujet de droit et agent économique. C’est cette convergence historique que Foucault nomme « l’art libéral de gouverner ». Le champ dans lequel une telle gouvernementalité libérale pourra s’exercer est « la société civile » [9].
La question cruciale posée par Foucault lors de son cours et qui constitue la préoccupation centrale de ma recherche est celle-ci : quelle est cette rationalité, cette technologie, qui gouverne la société civile, un espace de souveraineté habité par le sujet économique et qui se conforme aux règles du droit ? Foucault souligne que la société civile n’est pas un concept philosophique, mais un concept de gouvernementalité. L’économie juridique d’une gouvernementalité indexée à l’économie économique : c’est cela le problème de la société civile et je crois que la société civile, ce qu’on appellera d’ailleurs très vite ensuite la société, ce qu’on appelait à la fin du XVIIIème siècle la nation, d’ailleurs, tout cela c’est ce qui va permettre à une pratique gouvernementale et à un art de gouverner, à une réflexion sur cet art de gouverner, donc à une technologie gouvernementale, une auto-limitation qui n’enfreint ni les lois de l’économie ni les principes du droit, qui n’enfreint pas non plus ni son exigence de généralité gouvernementale ni la nécessité d’une omniprésence du gouvernement. Un gouvernement omniprésent, un gouvernement auquel rien n’échappe, un gouvernement qui obéit aux règles de droit et un gouvernement qui, pourtant, respecte la spécificité de l’économie, ce sera un gouvernement qui gérera la société civile, qui gérera la nation, qui gérera la société, qui gérera le social [10].
Comment le sujet pourra-t-il être géré par la rationalité gouvernementale, de manière à ce qu’on puisse le laisser-faire, qu’il cherche par lui-même son intérêt propre, et que pour autant la nation ou société civile dans son entier puisse en bénéficier ? Le gouvernement d’une société sera construit sur et autour des sujets économiques autonomes. « L’homo oeconomicus est, si vous voulez, le point abstrait, idéal et purement économique qui peuple la réalité dense, pleine et complexe de la société civile. Ou encore : la société civile, c’est l’ensemble concret à l’intérieur duquel il faut, pour pouvoir gérer convenablement, replacer ces points idéaux que constituent les hommes économiques » [11]. La société civile et l’homo oeconomicus appartiennent au même ensemble technologique. Quelle ironie ! La société civile, bien souvent invoquée comme une forme de résistance au gouvernement ou à l’État, à ses appareils et ses institutions, se trouve en réalité être au cœur même de la technologie gouvernementale moderne.
Foucault montre ensuite comment l’analyse économique de Smith se transforme chez Ferguson en une théorie de la société civile. On y retrouve le concept de Nation employé par Smith combiné à une société civile conçue comme une constante historico-naturelle, ainsi que des synthèses spontanées entre individus, une matrice permanente du pouvoir politique constituant le « moteur de l’histoire ». La société civile, ou nation, est le moteur de l’histoire non seulement parce qu’elle traduit une synthèse spontanée, mais aussi et peut-être surtout parce qu’elle porte en elle les éléments de dissociations par l’intermédiaire de l’égoïsme de l’homo oeconomicus [12]. L’effet démultiplicateur, ainsi que les modifications qu’engendrent les initiatives aveugles des intérêts égoïstes et des calculs individualistes deviennent infinis. La transformation de la société civile ne connaît pas de terme. Cette production sans fin d’histoire rend possible un nouveau tissu social. Il faut aussi remarquer que la société civile fait appel au gouvernement comme à un constituant organique du lien social, un caractère organique de la forme d’autorité qui l’accompagne. Ces caractéristiques sont bien différentes de celles de la société civile que peuvent nous présenter des auteurs comme Hobbes, Rousseau et Montesquieu. En effet, avec Ferguson, les problèmes économiques sont introduits au cœur même du nouvel art de gouverner.
Le tournant que révèle le texte de Ferguson, c’est l’ouverture d’un domaine dans lequel apparaissent des unités collectives et politiques qui se conçoivent bien au-delà du lien purement économique, mais qui ne sont pourtant pas non plus purement juridiques. L’espace qu’il découvre ne se superpose pas aux structures du contrat et aux jeux du droit, mais il ne se limite pas non plus à la sphère économique. L’exigence d’une nouvelle forme de société civile donne lieu à de nouvelles formes de souveraineté individuelle fondée sur la stratégie des intérêts de chacun, mais également à de nouvelles formes de vérité qui se manifesteront au travers de la rationalité historique. Comme Foucault l’indique, en Occident, depuis le XVIème et XVIIème siècle, l’exercice du pouvoir s’est conformé à tout un calcul des forces, des relations de pouvoir, et à une analyse des facteurs de la puissance. La rationalité devient le fondement des différentes formes de technologie gouvernementale. La rationalité de l’État souverain, celle des agents économiques, et des gouvernés vont considérer de différentes façons le calcul et la régulation propre à l’art de gouverner. Ces nouvelles formes de gestion de la société civile, ou de l’État nationaliste du XXème siècle, ces manières de gouverner les populations, que cela soit à travers la santé, l’hygiène, les naissances, ou la perspective raciale, est fondée sur le long développement du discours de l’économie politique du milieu du XVIIIème siècle jusqu’à la fin du XIXème.
En ce qui me concerne, le problème est de savoir comment avec l’ouverture et le clivage du nouvel espace nommé société civile, de nouvelles manières de calculer et de réguler ont déjà pénétré les modalités discursives, alors même que le système juridique et le lien économique ne sont pas encore véritablement et concrètement institutionnalisés. La question essentielle est : dans une société en train de se faire, une société supposée se rebeller contre le gouvernement en présence, comment les individus sont-ils pris en compte pour servir au progrès de la nouvelle société civile ou du nouvel Etat-Nation, et au travers de quelle intraitable rationalité ces individus sont-ils évalués ? Les textes que je souhaite examiner ici dessinent ce que j’ai appelé le moment de naissance éthico-bio-politique de la Chine moderne. Je voudrais défendre l’idée que, à la fin du XIXème siècle et au début du XXème, durant les dernières années de la dynastie Qing, à l’aube de la révolution et de la République, et vingt ans avant le mouvement du 4 mai 1919, un nouveau mode discursif émerge chez les intellectuels. Il se constitue comme une « comptabilité » psychique qui va donner naissance à une rationalité de la psyché qui va guider les gouvernements ultérieurs. Avec d’une part le savoir occidental de la physique moderne et de la chimie, et d’autre part les théories sur l’économie politique et la société civile/État-Nation, les intellectuels chinois vont bâtir une herméneutique de la psyché mettant l’accent sur sa nature nombrable, utilisable, contrôlable, cumulatrice, et surtout corrigible. Notons que l’aide des missionnaires et des textes en provenance du Japon a été décisive dans cette appropriation du savoir occidental. La force de la psyché fut comparée à l’électricité. Elle peut être apprivoisée et dirigée pour servir les objectifs de l’État. De plus, la force de la psyché de chaque individu fut comptée comme partie prenante d’un capital national, et comme participant de manière responsable à la production de l’intérêt national. L’essai de Liang Qichao sur le « Nouveau Peuple » est exemplaire, en ce qu’il démontre comment le sujet éthique fut conçu comme un contributeur du bien collectif défini au nom de la Nation. On y observe en effet l’articulation du bio (la vie) et de l’éthique individuelle dans un discours éthico-politico-économique.
II. Liang Qichao et l’économie ethico-politique d’un peuple nouveau
Durant les dernières années de la dynastie Qing, beaucoup de révolutionnaires conçurent la possibilité d’une renaissance chinoise par le renouvellement du pouvoir la psyché des citoyens chinois. Parmi eux, Liang Qichao fut peut-être l’intellectuel le plus important. Il s’enfuit au Japon avec son professeur Kang Youwei après l’échec de la courte tentative de réforme de 1898. Son exil durera 15 ans. Pendant cette longue période, il étudia très largement le savoir occidental au travers des traductions chinoises et japonaises, et il retravailla ces dernières en chinois, leurs donnant de nouvelles formes dans lesquelles on déchiffre la marque de sa grande connaissance des textes chinois classiques. Ses nombreux écrits influencèrent grandement le cours de la modernisation chinoise.
Afin de réformer et de construire la Chine moderne, Liang Qichao ne plaça pas son espoir dans le leader, mais dans le peuple [13]. Il développe l’idée des capacités et des droits du peuple dans son livre Du nouveau Peuple (On the New People, xinminshuo, 新民說 , 1902). C’est à ce niveau que se conçoit la fondation d’un État-Nation fort. Pour résister à l’expansion des nations impérialistes étrangères, il insiste sur un point : la seule méthode à suivre, c’est celle du renforcement du sentiment national au sein du peuple [14]. Il fait pour cela l’analogie entre l’État et le corps biologique : l’État est constitué par son peuple de la même manière que le corps est constitué par ses membres, ses intestins, ses nerfs et ses veines. Si les membres sont faibles, malades ou cassés, le corps ne peut maintenir son bon état de marche, et il pourrait même en mourir. Il en est de même pour l’État. Liang suggère que pour qu’un État soit fort et riche, il faut d’abord façonner son peuple. C’est de cette manière qu’on le nourrit et que l’on maintient sa vie [15]. Commentant Rousseau, Liang met également l’accent sur l’importance du contrat juridique et de l’opinion publique. La perspective physiologique sur l’État caractérisant le fonctionnement de la Nation recoupe donc une dimension juridique. Liang Qichao situe la position éthique de l’individu précisément au sommet de cette formulation physiologique d’une relation juridique et contractuelle entre l’individu et l’État. Cette position est également intégrée au mode de production économique. Il énumère et élabore la signification des vertus morales supposées être des vertus communes (gongde, 公德). Pour lui, elles ont pour objectif de mener droitement le peuple vers une meilleure appréhension par chaque individu de sa qualité d’être social, sa capacité de qun. Elles renforcent ainsi l’intérêt de la société (liqun, 利群) : consolider, améliorer et faire progresser le groupe. Le portrait que Liang fait de la nouvelle société rend compte du caractère indispensable de ces vertus communes. La responsabilité, l’autonomie, l’estime de soi, la bravoure, la persévérance, l’agressivité, la coopérativité sont quelques unes de ces vertus. Entre les lignes, on peut lire les références aux textes classiques du confucianisme, ce qui donne plus de force à son concept de vertu. En effet, le lecteur chinois les comprend pour ainsi dire immédiatement. Liang ne cite pas seulement les quatre classiques ( Analectes de Confucius, Mencius, Grande étude, et Invariable Milieu), il fait aussi référence à d’autres textes : Annales des Printemps et des Automnes ( Chun Qiu), Mozi, Xun Zi, Liezi, et Stratégies des Royaumes Conquérants ( Zhan Guo Ce) [16]. Il met en évidence au travers du choix des textes cités un déplacement vers une interprétation affirmative, agressive, conquérante et guerrière du confucianisme.
Comment définit le social ( qun ) ? Qu’en est-il de l’intérêt de la société ( liqun ) ? « Qun » en chinois représente le social, le groupe ou la société, et « Li » l’intérêt. Liang définit clairement la capacité d’être un membre de la société comme ligne de démarcation entre l’homme et l’animal. Si des personnes n’avait pas pu s’unir pour former une société, alors l’humanité n’existerait sans doute pas. Pour lui, la meilleure forme de société pour un peuple, c’est celle de l’État-Nation (guojia, 國家). Du fait des différences de langues, de coutumes, de pensées, de lois et d’institutions, il est nécessaire et naturel pour un peuple d’établir son propre État-Nation. C’est la forme la plus propre à un peuple lorsqu’il s’agit de traiter avec des groupes étrangers. Le peuple devrait se battre pour son État-Nation, et le protéger autant que faire se peut, au risque d’y perdre la vie. Il en va de la souveraineté de leur État-Nation [17]. Liang dénonce la vision utopique d’un univers conçu comme milieu existentiel pour tous les êtres humains sans distinction. Il insiste sur le fait que sans État-Nation, il n’y aurait pas de compétition, et par conséquent pas de progrès possible de la civilisation. De plus, il souligne que la disparition des frontières entre État inaugurerait une forme de régression des groupements humains vers une condition tribale. C’est ce qu’il nomme l’état barbare, ou même l’état sauvage. Il s’agit de l’état dans lequel un peuple reste cloisonné s’il n’est pas capable de former un État-Nation. Dès lors, ce dernier est considéré comme la forme la plus évoluée de société humaine, et Liang ajoute que l’amour de soi et la bienveillance s’y conjuguent [18].
Dans une telle vision évolutionniste de l’État, quel est le rôle occupé par « l’intérêt » de ce nouveau peuple pour Liang ? Il encourage le peuple à ne pas seulement poursuivre leur « intérêt propre », mais à se battre pour leur « véritable intérêt » (shenliji). Ce prétendu « véritable intérêt », c’est l’État-Nation qui le définit. On doit penser à l’intérêt de la société afin qu’il assure pour toujours notre propre intérêt. Liang va même jusqu’à analyser le mode de production conformément à l’intérêt national, et il ajoute que l’éducation et la culture sont nécessaires au renforcement de l’État-Nation. Il compare l’État à une entreprise, et la cour impériale à un bureau d’affaires. Pour produire et maintenir les intérêts (生利) de la Nation, le recours à la force de production du peuple est nécessaire. Cette force, Liang la définit à la fois comme physique et psychique ( xinli, 心力), cette dernière comprenant la force intellectuelle (zhili, 智力) et la force morale ( deli, 德力). Il insiste sur le fait que la prospérité ou le déclin d’un État-Nation dépendent de sa capacité de production, de son capital et de son travail [19]. Pour insuffler la responsabilité de la production au cœur de chaque individu, il propose que les gens soient éduqués de telle manière à ce qu’ils se sentent « honteux » s’ils ne font que prendre leur part des bénéfices sans participer à leur production [20]. Selon lui, la productivité intellectuelle et morale est tout aussi importante que la productivité physique, et elle doit être prise en compte sur le même plan. Chaque membre de la Nation est considéré comme une partie du système de la machine productive. L’éducation est alors intégrée au système de production en tant qu’elle permet d’assurer l’intérêt optimal de la Nation et que s’y bâtit la « force de la psyché » du peuple, autrement dit leurs capacités intellectuelles et morales [21].
Ce qui est frappant dans le texte de Liang, c’est que son argumentation représente parfaitement le syncrétisme intellectuel typique de la fin du XIXème siècle en Chine et au Japon. Dans les textes de cette époque, les différents manuels scolaires, les théories sociales ou les débats publiques, on sent clairement l’assimilation progressive de la pensée occidentale du XVIIIème et XIXème siècle, en particulier des travaux d’Adam Smith, Herbert Spencer et Jeremy Bentham. Liang est un cas représentatif. Il incorpore et amalgame les visions politiques, physiologiques, économiques et éthiques à l’intérieur d’une analyse de l’individualité, et il confie à l’individu au travers du principe libéral du laissez-faire la responsabilité de sa conduite, de ses vertus personnelles et de sa forme de vie, ou bios, la finalité de ce mode d’individuation étant de prendre part et de contribuer au capital national. Le projet de révolution morale de Liang Qichao esquisse la figure du nouveau peuple et du nouveau sujet de la Chine moderne.
Tout le long de son argumentation, Liang insère ici et là ses lamentations passionnées et poignantes. « Hélas, hélas, comment ne pourrions-nous pas être craintifs et inquiets ! ». « Il est triste et douloureux de ne pas voir notre Nation nous protéger, tout comme des orphelins, n’ayant plus de parents à qui s’accrocher. » « Horreur ! Horreur ! Je ne vois pas comment notre Nation pourra rester debout. » « Je suis profondément honteux de notre situation actuelle. » « J’ai les larmes aux yeux lorsque j’observe l’état actuel de notre nation. » « Nos jeunes gens sont tous si fragiles que même cent personnes ne peuvent former une société solide. Notre Nation approche de sa fin ! » [22]
La honte, la crainte, l’inquiétude, la métaphore de l’orphelin, la ligne qui sépare l’homme de l’animal, le sentiment d’un danger imminent pour la Nation, de telles émotions renforcent la légitimité de son argumentation et donc sa vision d’une économie éthico-politique de l’individu dans la société. La libre concurrence, la compétition de l’économie libérale dans le cadre consensuel de la communauté définit par l’État-Nation, est par conséquent en marche vers la formation du nouveau sujet national d’une Chine désormais moderne.
III. La « comptabilité » psychique dans le contexte néo-confucianiste de l’Asie orientale
Au tournant du XXème siècle, la notion de psyché ou de force de la psyché ( xinli, 心力), en tant qu’elle peut être comptabilisée, calculée, régulée, gouvernée et utilisée pour le bénéfice de la Nation, est devenue une notion populaire. Le texte de Liang Qichao sur le « nouveau peuple » est exemplaire de ce point de vue. L’utilisation qu’il fait du xinli prend sa source dans un petit livre publié à Shanghai en 1896 : Zhixin mianbingfa ( 治心免病法- A method for the avoidance of illness by controlling the mind ). Cette traduction de John Fryer (1839-1928) est basée sur le texte d’Henry Wood, Ideal Suggestion through Mental Photograph [23]. John Fryer traduit par xinli différentes idées relatives au pouvoir de la pensée, et il emploie la métaphore de l’éther ou de l’électricité pour expliquer le fonctionnement en acte de ce pouvoir. Selon lui, la force de la pensée est comme l’électricité, transmissible à travers l’éther et potentiellement domestiquable et utilisable. On peut l’assujettir de manière utile pour autant que nous apprenions les lois qui la gouvernent [24]. Les caractères « zhixin » ( 治心) utilisés par Fryer dans le titre et tout le long de sa traduction transmettent explicitement avec eux le sens de « remède » pour l’esprit et donc pour le gouvernement. Les intellectuels de la fin de la dynastie Qing accueillent alors ces idées les bras grands ouverts.
Il est important de noter que la traduction de John Fryer introduit avec elle le « Mouvement pour une Nouvelle Pensée Chrétienne » qui fut très populaire aux États-Unis à partir de la moitié du XIXème siècle. Henry Wood, l’auteur original du livre, en est considéré comme un précurseur [25]. Les adeptes de ce mouvement présentent une science promouvant l’idée d’une pensée conçue comme pouvoir. La possibilité d’un contrôle de la psyché pourrait ainsi être, selon eux, un outil fondamental pour corriger la manière dont les gens pensent. Mais au-delà de ça, et comme le souligne William James dans Les variétés de l’expérience religieuse, il s’agit en réalité d’un mouvement d’inspiration religieuse [26]. La méthode de thérapie mentale décrite par Wood fonctionne en particulier sur toute une rhétorique de l’hygiène mentale. Dans son raisonnement, l’hygiène mentale d’un esprit sain est toute aussi importante que l’hygiène physique d’un corps sain. La passivité, le pessimisme, et toutes les formes d’hésitations, de doutes, de faiblesses ou de tristesses sont considérées comme des formes viles de l’esprit. Les pensées négatives deviennent infréquentables, et c’est encore pire pour les sentiment négatifs. La dégradation des comportements corporels doit être corrigée en ce qu’elle indique la dégénérescence de l’état de l’esprit. Par conséquent, ce dernier doit être mis à nu, surveillé, contrôlé, éduqué et modifié pour qu’il s’améliore et évolue vers un état jugé meilleur. Ce mode de gouvernementalité de la psyché entra directement en écho avec l’ardeur des intellectuels chinois qui cherchaient une nouvelle voie « moderne » pour la Chine.
Liang utilise le terme xinli comme un instrument pour accumuler, unir, consolider, renforcer et étendre la puissance du peuple. Il compare, comme nous l’avons dit, l’État-Nation à une entreprise et la cour impériale à un bureau d’affaire. De toute évidence, son raisonnement est agencé sur l’économie politique libérale. Ce qu’il sait de l’économie politique, il le doit à un manuel scolaire traduit par John Fryer qu’il lut sous la tutelle de son mentor Kang Youwei : Chambers’s Educational Course : Political Economy for Use in Schools, and for Private Instruction de John Hill Burton (abbreviation : Économie Politique). Dans l’Économie Politique de Burton, la ligne d’argumentation suit clairement le raisonnement utilitariste benthamien : intérêt personnel, compétition libre, division du travail et coopération au service d’un bénéfice maximum. Le livre de Burton a été traduit en Asie orientale non seulement en chinois par John Fryer en 1886 [27] sous l’intitulé Zuozhi Chuyan ( 佐治芻言), mais aussi en japonais (Seiyo Jijo – Things Western, 西洋事情) par Fukusawa Yukichi entre 1867 et 1870, et en coréen par Yu Gil-jun en 1895 [28].
La fameuse Esquisse d’une théorie de la civilisation (Outline of a Theory of Civilization - Bunmeiron no Gairyaku-1875) de Fukusawa Yukichi montrait déjà les traits caractéristiques du raisonnement politico-économique de son temps. Tout d’abord, il opère la distinction entre civilisation et barbarie en la fondant sur l’évaluation des forces intellectuelles et spirituelles [29]. Ensuite, il suggère que la somme des opinions et des intelligences d’une nation prise en son entier pourrait rendre compte de la possibilité d’une révolution ou d’une transformation de la société. L’usage du calcul statistique sur la population, sur les prix, les salaires, les mariages, le taux de natalité, les maladies et les morts permettrait de mesurer la prospérité ou le déclin d’une civilisation nationale [30]. Enfin, Yukichi croit que la richesse de la Nation devrait être au service de la volonté nationale, et c’est en accord avec cette volonté que l’intellect national doit accumuler des richesses [31]. Là encore, le raisonnement de Yukichi démontre clairement que le lien entre la richesse d’une Nation et la gestion de la force productive de son peuple est intégré à l’intérieur d’un raisonnement de type économico-politique.
Fukusawa Yukichi forgea sa connaissance de l’économie politique au travers de la traduction du livre de Burton, mais aussi par l’enseignement qu’il en donna de manière parallèle. Notons qu’il traduisit seulement le premier tiers du livre, laissant de côté les aspects pratiques de l’échange et du commerce international [32]. Il ne traduisit pas l’ensemble du livre, car il ne croyait pas nécessaire de retraduire des textes dont l’équivalent était déjà disponible en japonais. Selon Paul B. Trescott, c’était aussi lié au fait qu’il était attiré principalement par l’aspect moral de ce premier tiers : le rapport à l’idée confucianiste d’ordre naturel, aux relations familiales et humaines, mais également à la question des droits des individus [33]. Trescott souligne également que le manuel de Burton était seulement un exemple dans un large corpus de manuels scolaires publiés à la suite de l’émergence des Lumières écossaises. Beaucoup d’entre eux furent écrits par Richard Whately ( 1787-1863), dont le style d’écriture et d’ailleurs très proche de celui de Burton. Liang Taigen, en considérant l’Économie Politique de Burton comme texte commun dans le contexte de l’Asie orientale, indique que Yu Gil-jun, dans son livre portant sur le savoir étranger ( 서유견문), a été influencé par Burton au travers des livres de Yukichi ( Things Western, Esquisse d’une théorie de la civilisation). Il note également qu’il fut le premier intellectuel coréen à introduire dans son pays les théories de l’évolutionnisme social et le concept de Lumières ou de Civilisation ( Gaehua, 開化) .
Pour Trecott et Liang Taigen, il est important d’observer la réception et la circulation du livre de Burton en Asie Orientale. Cependant, que cela soit pour Trescott et l’accent mis sur la dimension morale des écrits de Yukichi, ou pour Taigen et l’inflexion mise sur la conception évolutionniste des Lumières et de la civilisation, le rôle de l’économie politique dans le processus de subjectivation éthique est négligé. Dans le texte de Burton, l’agent économique libre et autonome est central pour l’ensemble du système de l’économie politique. Il écrit :
L’économie politique n’est pas un système pour contrôler l’action des hommes, mais pour découvrir comment les hommes sont naturellement amenés à agir : cela n’a pas tant d’influence sur l’enseignement de la manière dont les hommes se dirigent mutuellement, mais plutôt sur la connaissance des cas dans lesquels le contrôle est inutile ou nuisible [34].
L’enjeu du gouvernement n’est pas le contrôle, mais sa capacité à induire le pouvoir et le désir de chaque individu, d’un point de vue intellectuel ou moral, de telle sorte que l’agent reste libre d’offrir ses services à la communauté. Lorsque la logique de l’économie politique est superposée sur et incorporée dans la logique de l’économie éthique, l’état intellectuel et moral de l’individu est comptabilisé comme faisant partie de la capacité productive définie par l’État comme intérêt national ou bien collectif. De même, le sujet éthique et économique, ou sujet national, devient un élément dans la mesure et la conduite de la production.
IV. Le nœud de l’économie politique et du sujet éthique
Le sujet éthique tel qu’il est décrit par Liang Qichao est un sujet de vérité réquisitionné pour servir au mieux possible l’intérêt de l’État. Il est défini par la physiologie de ce même État. Cette physiologie étatique traite le psychisme humain comme un objet à gouverner en accord avec la logique de l’économie politique. Le vrai sujet, ou pour reprendre le point de vue de Liang, le vrai sujet éthico-économique, c’est l’homme dont on attend l’adhésion à la direction prise par le système productif : une petite machine, un capital humain, à la fois sujet et objet d’un régime éthico-économique. Une telle vision libérale de la société requiert un principe, celui du moindre gouvernement pour un maximum d’effets. Si l’on revient à Foucault, on peut dire que l’élément central de cette gestion a été l’apparition d’un mécanisme de formation du vrai basé sur la raison d’État, et son basculement vers un régime de type économique. Foucault nous dit : Ce lieu de formation de la vérité, [plutôt que] de continuer à le saturer d’une gouvernementalité réglementaire indéfinie, on va reconnaître- et c’est là que les choses se passent- qu’il faut le laisser jouer avec le moins d’intervention possible pour que, justement, il puisse et formuler sa vérité et la proposer comme règle et norme de la pratique gouvernementale. Ce lieu de vérité, c’est bien entendu non pas la tête des économistes, mais le marché [35]
Qu’est-ce que le marché pour l’État ? Pour Foucault, ce n’est pas moins que le lieu de la justice, des valeurs, du prix et de la véridicité. L’utile et l’utilisable y deviennent véridiques et désirables. Au travers d’un certain sens de l’intérêt, le gouvernement peut avoir prise sur « les individus, les actes, les paroles, les richesses, les ressources, la propriété, les droits, etc » [36]. Ce n’est donc pas sur un contrôle total et absolu que repose la stratégie de gouvernementalité, mais sur les lois du vivant, c’est-à-dire, les règles d’un jeu « pour un jeu dont chacun reste maître, quant à lui et pour sa part » et où « le judiciaire, au lieu d’être réduit à la simple fonction d’application de la loi, va acquérir une autonomie et une importance nouvelle » [37]. L’autonomie de l’individu et par conséquent essentielle au gouvernement de soi qui articule un régime éthique avec un régime de vérité. Pour analyser les mécanismes de ces régimes, Foucault indique que nous n’avons pas tant besoin d’analyser la logique historique du processus, mais que nous devrions plutôt entreprendre à la place l’analyse de la « rationalité interne » ou du « salaire » relatif à l’activité individuelle. Le salaire, ou revenu, dans ce contexte, est le capital, la source des revenus prochains [38].
Le projet de Liang pour un « nouveau peuple » est fondé sur ce type de mise en forme et de moulage à l’intérieur d’un sujet de type éthico-économique. Ce façonnement se constitue pour lui fondamentalement à travers l’apprentissage, l’éducation, et la culture. Dans ce cadre économique et politique, l’individu est vu non seulement comme un travailleur, mais comme la source d’un revenu futur, une machine à bénéfice, un capital humain. Faire du capital humain une machine productive efficace, voilà le telos de la gouvernementalité et de l’investissement éducatif. Le raisonnement fondamental d’une telle logique, sa « butée régressive », c’est le calcul de la nature « pénible ou non pénible » du choix opéré dans une situation [39]. La récurrence du thème de la crainte de l’invasion étrangère chez Liang Qichao a réussi à représenter le danger, la peine possible. L’intérêt personnel et la conservation de soi articulés à l’intérêt et à la conservation de la nation constituent alors un ancrage pour les actions et volontés subjectives. Pour le nouveau sujet éthique, participer au nom de l’intérêt national à la production/préservation est désormais un impératif moral dont le discours économique garantit la rationalité.
La question difficile posée par Foucault dans l’Herméneutique du sujet à propos du sujet éthique est celle-ci : « Est-ce que je suis bien le sujet éthique de la vérité que je connais ? » [40]. Le sujet constitué par une forme de réflexivité d’un certain type de souci de soi, la maîtrise de la tekhne sur le bios, est selon Foucault le lieu dans lequel un rapport éthique du sujet à la vérité apparaît et est expérimenté. Cependant, notons bien que ce sujet éthique ainsi apparu et expérimenté a été formé par des savoirs, des éducations et des rapports de la tekhne au bios qui diffèrent selon les moments de l’histoire. Foucault dit : Alors que la théorie du pouvoir politique comme institution se réfère d’ordinaire à une conception juridique du sujet de droit, il me semble que l’analyse de la gouvernementalité – c’est-à- dire : l’analyse du pouvoir comme ensemble de relations réversibles – doit se référer à une éthique du sujet défini par le rapport de soi à soi. Ce qui veut dire tout simplement que, dans le type d’analyse que j’essaie de vous proposer depuis un certain temps, vous voyez que : relations de pouvoir-gouvernementalité-gouvernement de soi et des autres-rapport de soi à soi, tout ceci constitue une chaîne, une trame, et que c’est là, autour de ces notions, que l’on doit pouvoir, je pense, articuler la question de la politique et la question de l’éthique [41]
Ce questionnement émerge au moment même où la logique de l’éthique se superpose à d’autres logiques et d’autres telos, qu’ils soient ceux des impératifs suprêmes de la religion, du bien commun politique de l’État-Nation, ou de l’intérêt économique de l’entrepreneur. Le problème éthique est donc crucial si nous voulons comprendre la notion de gouvernementalité.
L’importance du discours tenu par Liang Qichao est lié au fait qu’il reflète une modalité discursive populaire à la fin du XIXème siècle et jusqu’après même la chute de la dynastie Qing. C’est le cas également au Japon. Après la Restauration de Meïji, les discours éthiques ont été appareillés au concept physiologique de l’État, et ils ont été dominés par les théories biologiques évolutionnistes. Le ministère de l’éducation japonaise a fortement promu la théorie de l’État comme corps naturel et organique. Afin d’illustrer cette situation discursive, nous pourrions prendre l’exemple typique de la traduction du livre de Gustav Adolph Constantin Frantz en 1884 : Physiologie des Staaten (Physiologie de l’État-國家生理學) [42]. Comme dans de nombreux autres cas, c’est le Ministère de l’éducation qui a dirigé cette traduction. La publication de la traduction manifeste la volonté de modernisation du système éducatif japonais mise en place au travers des politiques de Ito Hirobumi et Mori Arinori. Frantz affirme à plusieurs reprises dans son livre que sa préoccupation principale est la « physiologie politique », ou « physiologie de l’État ». Il identifie l’État à un corps organique, comparable à une plante ou un animal. Ainsi, par exemple, si la circulation des « fluides » à l’intérieur du corps dysfonctionne, alors l’État sera faible. De plus, ce sont les objectifs étatiques qui doivent déterminer l’organisation interne de l’État, tout comme les parties organiques de l’animal sont dominées par et se subordonnent à la tête. Le gouvernement, c’est l’organe principal, celui chargé de réaliser les objectifs de l’État [43]. La notion de physiologie de l’État a été traduite en kanji par Kokutai (國體), ce qui signifie littéralement corps national. C’est une expression qui était alors très présente et qui circulait très largement. Par exemple, en 1891, dans son « Commentaire du décret impérial sur l’éducation » ( « Commentary on the Imperial Edict on Education »), Inoue Tetsujiro présente une perspective physiologique sur l’État qu’il articule à une subordination et une mise à disposition d’un sujet national au service de l’État [44]. Les principes de l’éducation éthique sont formulés ainsi : « Un dirigeant est à son peuple ce que des parents sont à une famille », « une Nation est comme un corps organique (…), le dirigeant est l’esprit, le peuple le corps et les membres » [45]. Dans l’ « Esquisse de la morale citoyenne » ( « An Outline of Citizen Morality »), Inoue affirme en outre que le fonctionnement de l’État est étroitement lié à la moralité du citoyen. La morale est une partie essentielle de l’éducation de ce dernier. Il s’agit de le doter de la capacité de se défendre lui-même ainsi que son pays. Inoue insiste sur l’idée d’une souveraineté fondamentale de l’État, et sur le fait que son expression légale repose sur les règles établies par la famille impériale. Par conséquent, le Shinto, le respect et la loyauté envers les ancêtres, était utilisé pour renforcer l’État. Inoue va jusqu’à employer la métaphore de la cellule étatique en expliquant pourquoi la loyauté de la cellule est primordiale : l’unité de l’organisation sociale, le centre de l’unité nationale, c’est la cour impériale, et ce centre est comme un corps avec ses cellules. La tête est le centre du corps ; les cellules sont toutes des parties du corps. Si les cellules n’étaient pas loyales, et complotaient contre le centre, alors le corps tomberait malade [46]. Il ne s’agit chez Inoue de rien de plus qu’une réitération de la théorie physiologique de Frantz.
Le projet de Liang Qichao fait écho au contexte discursif japonais : la combinaison d’une version physiologique, contractuelle et nationaliste de l’Etat hobbesien avec le modèle économique smithien de richesse nationale, sans oublier sa théorie des sentiments moraux [47]. Par contraste avec les analyses de Foucault sur l’économie politique de la gouvernementalité libérale, nous voyons maintenant plus clairement comment le syncrétisme de Liang Qichao est agencé à l’intérieur du contexte mentionné ci-dessus. Quand Liang comptabilise la force de la psyché et la force morale en tant que forces productives que peut et doit offrir l’individu au groupe, c’est au nom de la vérité qu’il mesure ces qualités essentielles pour l’intérêt national. En plus d’une pensée conduite sous le règne de l’économie politique, nous percevons aussi dans le discours de Liang Qichao un point de convergence entre l’Economie politique de Burton et le livre de Henry Wood Ideal Suggestion through Mental Photography, deux textes traduits par John Fryer. La définition de la Vitalpolitik donnée par Rüstow illustre parfaitement la pratique de la biopolitique de la Chine moderne naissante : « une politique de la vie » dans laquelle est prise en compte non seulement le travailleur en tant qu’il travaille, mais aussi « « la situation vitale d’ensemble du travailleur, sa situation réelle, concrète, du matin au soir et du soir au matin », l’hygiène matérielle et morale, le sentiment de propriété, le sentiment d’intégration sociale » [48]. Les deux traductions de Fryer mettent symptomatiquement au premier plan le désir propre à cette époque d’acquérir une forme appropriée de savoir permettant de gouverner les comportements humains et leurs psychés. Le livre de Burton permet d’aller de la gestion du marché à la gestion des comportements moraux des individus ; le livre de Wood élargit la question du gouvernement interne de l’hygiène morale à une perspective plus générale sur une hygiène de type sociale. Ces deux mouvements stratégiques pour la gouvernementalité se rencontrent et s’insèrent dans le nœud discursif qui se constitue autour du xin, ou psyché.
V. Xin : le nœud. Revisiter les carrefours des débuts de la Chine moderne
C’est à l’intérieur de ce nœud que les images associées à la notion de xin, de psyché, s’enchaînent les unes aux autres dans un mouvement circulaire. Les images qui tournent autour du noyau central circulent dans les pratiques discursives de la fin du XIXème siècle en Chine. L’usage que fait Fryer du terme xinli ( force de la psyché) dans son rapport analogique à l’électricité fait signe vers la domination et la surveillance de la pensée qui sera mise en œuvre par les gouvernements ultérieurs : il s’agit d’une force que l’on peut apprivoiser, corriger et utiliser. En traduisant production par shengli (生理), il fait par ailleurs écho à la Grande Étude, et persuade de cette manière encore un peu plus ses lecteurs de la nécessité pour les individus de servir la Nation en tant que capital humain. Intelligemment, Liang Qichao s’approprie le terme xinli introduit par Fryer pour son propre projet, celui d’un nouveau peuple et d’un renouveau de la culture morale. Il l’introduit par là-même dans le régime économique qui traverse l’éthique et la politique. L’examen attentif des capacités politiques de l’individu par Liang réussit à intégrer une éthique individuelle dans le cadre de la société, ou État-Nation. C’est dans cette perspective que nous cherchons à penser l’articulation de la question éthique et de la question politique.
Chez Liang et chez ses contemporains, l’élaboration des images du xin qui accompagnent les discours sur l’éducation et la culture de soi, les logiques politiques et éthiques, convergea avec l’économie de l’État : le gouvernement de l’esprit devient une forme de comptabilité psychique, la psyché est comptée. Ce mode de paideia du nouveau peuple prescrit par Liang tourne autour de la tekhnê du bios ( technê tou biou) et de la disposition de la vie éthique individuelle à servir l’Etat [49]. Nous pouvons observer des modes d’argumentation analogues dans la théorie de la révolution de Sun Yatsen (孫中山) : l’esprit du peuple doit être soigné et guidé pour que la Nation puisse être sauvée ( jiuguo bixian zhixin). De la même manière, Chiang Kaishek (蔣介石) élabora une théorie de « la loi du cœur révolutionnaire » ( geming xinfa, 革命心法) dans son programme de 1934 pour le Mouvement de la Vie Nouvelle, un mouvement d’éducation totale et de militarisation de la Nation entière. Mao Zedong (毛澤東) confessa également l’influence qu’exerça sur lui l’essai de Tan Sitong « Essai sur la force de la psyché » ( Xinli Shuo, 心理說). Il n’y a pas que les dirigeants politiques. La majorité de l’opinion publique, y compris les intellectuels, partageaient des conceptions similaires sur la force de la psyché. Pour ne citer qu’un exemple, Du Yaquan, alors qu’il travaillait comme directeur exécutif au Dongfa Zazhi (1900-1923), le magazine intellectuel et populaire le plus lu de son époque, a introduit différentes variantes d’économie politico-éthique. Ce fut le cas du livre de Frantz sur la physiologie de l’État dont nous avons déjà parlé. Il insistait sans cesse sur l’importance d’une révolution du xin pour que le corps national (國體) puisse être réformé et retrouver la santé. Les moisissures de la société doivent être nettoyés. Il défend aussi dans son manuel scolaire Philosophie de la vie l’idée selon laquelle les individus d’une société sont comme les cellules d’un corps organique. La perpétuation de la race dans son entier est pour lui étroitement lié à la santé des cellules. L’individu devrait se mouvoir en direction d’une mise en pratique et d’une réalisation du moi idéalisé et s’extraire des habitudes de son vieux moi. Des derniers intellectuels de la dynastie Qing au mouvement du 4 mai 1919, la relation entre l’économie éthico-politique et la bio-éthico-politique est maintenant clairement perceptible.
Dans un autre article, j’ai fait référence à une autre interprétation du xinli présente dans les écrits de Tan Sitong ( 譚嗣同) [50]. Dans son livre Renxue (仁學, De l’amour ) publié en 1897, la force de la psyché est définit par lui comme un continuum topologique dynamique. L’idée d’une force de la psyché, en tant que pure négativité permet à chaque corps d’exister en tant qu’être singulier, en se renouvelant à travers la force des apparitions/disparitions instantanées des pensées. Pour Tan Sitong, le mouvement constant et localisé de cette force compose un espace psychique comme système ouvert qui se modifie au travers des rencontres avec les corps extérieurs. Chaque être singulier est une multitude ouverte sur une autre multitude, un ensemble ouvert sur une multitude de sous-ensembles. L’égalité radicale entre les êtres singuliers est un corrélat de cette conception ontologique de la multitude. La force de la psyché de Tan Sitong, une micro-apparition-disparition, ébranle le discours utilitariste en place de la psyché-éléctricité, et il défie le système nominal construit à partir de l’idéologie confucianiste. De plus, avec cette perception de l’être sous la forme d’une topologie dynamique, nous voyons la possibilité offerte par la force du questionnement infini, la singularité immanente à toute pensée à-venir. Dans la philosophie de Tan, il n’y a pas seulement un point de vue politique radical quant à l’égalité des êtres, mais aussi une perspective radicale ouverte sur une éthique libérée de toute idéologie qui viserait à fixer les déterminations morales à l’intérieur d’un système nominal. Pourtant, ses propositions d’inspiration bouddhiste n’ont pas été reprises. Au contraire, après son exécution en 1898, le chemin de la révolution a été tracé par la ré-appropriation de ses écrits dans les travaux de Liang Qichao.
Un autre exemple, Wang Guowei (王國維), mérite d’être cité. Ses traductions de l’éthique utilitariste et des théories de l’éducation au tournant du XXème siècle montrent clairement le rôle qu’il joua en tant qu’intellectuel dans l’implantation des idées modernes. Il participa d’abord au journal Le Monde éducatif (Educational World), et plus tard au ministère de l’Éducation à la fin du règne des Qing. Il s’intégra au projet de Luo Zhenyu (羅振玉), et ensemble, ils produisirent un impact profond dans le monde intellectuel chinois. Les théories de l’éducation et les théories éthiques du début du XXème siècle ont constitué l’axe principale de la pensée éthique et éducative chinoise tout au long du siècle. Cependant, il faut noter qu’entre 1904 et 1907, les écrits philosophiques de Wang se situent à un autre niveau. Il y explore les limites de l’éthique occidentale, mais aussi de celles de la Chine classique, et il s’attaque au problème du dualisme. Il critique les intellectuels tels que Liang Qichao qui se sont attachés aux objectifs politiques et utilitaristes : la pratique de la pensée philosophique en devient impossible. Il maltraite l’utilitarisme et le « vitalisme » ( shengsheng zhuyi,生生主義 ) alors très populaire, en particulier celui défendu par Liang Qichao. Comme alternative, il propose la notion de « dé-vitalisme » ( wusheng zhuyi, 無生主義). Le « vitalisme » pour Wang Guowei, c’est l’expansion et la conservation continue de la vie, alors que le « dé-vitalisme », c’est une forme de soustraction à la volonté personnelle et subjective de vie. Ce dé-vitalisme n’est pas strictement négatif, ou pour le dire autrement, ce n’est pas une vision pessimiste de l’humanité. En se retirant d’une position de sujet soumise à la téléologie politique de l’utilitarisme, le sujet voit plus clair, ou tout du moins autrement. Les contemporains de Wang Guowei n’ont là encore pas suivi le chemin ouvert par ses pensées philosophiques.
Liang Qichao, l’artisan de la révolution et des Lumières chinoises, poursuivant le rêve d’une Chine moderne, se situait lui-même par son engagement et ses interventions dans une position de sujet actif. Son enseignement inspira une génération entière d’intellectuelle, y compris les activistes du 4 mai 1919. Tan Sitong et Wang Guowei appartiennent eux aussi à ce moment nodal pour la Chine en ce qui concerne son rapport à la modernité. Mais ils ont proposé différentes perspectives sur la psyché et l’éthique, en cherchant à s’extraire et à dévier le mouvement de pensée de type utilitariste pour qui la psyché devait maintenant entrer dans les comptes de l’État. Leurs travaux n’ont pas été poursuivis par la suite, peut-être parce que la révolution était déjà en marche et allait très vite devenir le centre de toutes les préoccupations.
Traduit de l’anglais par Julien Quelennec
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