citation
Mireille Eberhard,
"Lutte contre les discriminations et lutte contre l’insécurité : genèse et ancrage républicain d’une imbrication ambiguë ",
septembre 2010,
REVUE Asylon(s),
N°8, juillet 2010-septembre 2013
ISBN : 979-10-95908-12-8 9791095908128, Radicalisation des frontières et promotion de la diversité. ,
url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article949.html
résumé
Opéré au tournant des années 2000, le passage d’une problématique de l’intégration des populations immigrées à une problématique de la lutte contre les discriminations a été présenté comme une inversion de la logique de questionnement. Ainsi, la première serait tournée vers les déficiences spécifiques des personnes « à intégrer », tandis que la seconde mettrait l’accent sur le fonctionnement de la société dans son ensemble. Cette requalification de l’action publique est interrogée à travers la mise en œuvre des commissions départementales d’accès à la citoyenneté (CODAC), premier dispositif dévolu à la lutte contre les discriminations. L’appropriation de ce nouveau paradigme d’action publique par les pouvoirs publics questionne l’articulation entre lutte contre les discriminations, accès à la citoyenneté, et lutte contre l’insécurité. Elle dévoile une orientation de plus en plus normative et sécuritaire des politiques dites de cohésion sociale, et la stigmatisation des publics visés qui l’accompagne.
Mots clefs
Au tournant des années 2000, le passage d’une problématisation de l’action publique formulée en termes d’ « intégration » à une problématisation posée en termes de « discrimination » est fréquemment présenté comme une inversion du regard et de la logique de questionnement. Ainsi, tandis que la première serait tournée vers les difficultés spécifiques des individus et des groupes « à intégrer », la seconde, a contrario, mettrait l’accent sur une remise en cause du fonctionnement de la société dans son ensemble. Sur un plan analytique, ce changement de perspective apparaît comme partagé, puisqu’il est repris dans des rapports publics [1]], dans des discours ministériels [2], et qu’il est souligné par des chercheurs en sciences sociales [3]. A partir de la mise en œuvre concrète de dispositifs apparus dans le cadre de ce nouveau paradigme d’action publique qu’est la lutte contre les discriminations le présent article se propose d’interroger l’effectivité de cette inversion paradigmatique. Entendu comme un « cadre d’idée et de normes qui spécifie non seulement les objectifs d’une politique publique et le type d’instruments qui peuvent être utilisés pour les atteindre, mais aussi la nature des problèmes qu’ils veulent adresser » (Hall 1993 : 279) le concept de paradigme public permet ainsi d’interroger l’appréhension de l’objet « discrimination » par les acteurs et les dispositifs publics qui lui sont dévolus.
L’analyse se réfère à une conjoncture particulière, caractérisée par la reconnaissance de l’existence des discriminations de la part les pouvoirs publics français, ainsi qu’à une redéfinition de l’action publique qui en a résulté. Crées en janvier 1999 dans ce contexte d’« invention française de la discrimination » (Fassin 2002), les CODAC (Commissions départementales d’accès à la citoyenneté) peuvent être considérées comme le premier outil institutionnel explicitement dévolu à la lutte contre les discriminations. Elles apparaissent sur fonds de concurrence entre Jean-Pierre Chevènement et Martine Aubry (Simon et Zappi 2003 ; Guiraudon 2004), respectivement Ministre de l’Intérieur et Ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Tenante d’un « multiculturalisme soft » (Simon 2007), la seconde initie la reconnaissance officielle de la discrimination en l’abordant en conseil des ministres du 21 octobre 1998, date de la remise du premier rapport du Haut Conseil à l’Intégration dédié à cette question [4] et pose la question des discriminations en termes de cohésion sociale. A contrario, tenant d’un « nationalisme républicain » (Taguieff 1992 ; Lorcerie 1994), le premier inscrit la discrimination dans une « rhétorique de l’ordre social [5] » (Payet 1999) et, en créant les CODAC sous l’égide de son ministère, arrime l’action décentralisée de la lutte contre les discriminations dans ses préoccupations sécuritaires.
Se référant à la mise en œuvre du dispositif des CODAC, cette contribution aborde la manière dont les pouvoirs publics ont lié la thématique de la lutte contre les discriminations à celle de l’insécurité dans leur appropriation de la question des discriminations au début des années 2000. Telle que définie par la circulaire ministérielle qui les a créées, leur mission consiste à « aider les jeunes nés de l’immigration à trouver un emploi et une place dans la société, et faire reculer les discriminations dont ils sont l’objet, en matière d’embauche, de logement, de loisirs » [6]. À l’heure actuelle, ce dispositif n’existe plus dans ses modalités initiales. Examiner sa genèse et le type d’actions concrètes auxquelles il a donné lieu n’en présente pas moins l’intérêt d’interroger la formalisation de la question des discriminations. Ainsi, la perspective adoptée ici n’est pas tant de décrire le fonctionnement et les acteurs impliqué dans ce dispositif d’action publique, que d’interroger la manière dont ces acteurs publics se sont emparés de la question des discriminations et lui ont donné sens, en discours comme en pratiques, dans le contexte républicain français.
L’hypothèse discutée dans cet article est que l’analyse de ces CODAC dévoile un lien étroit entre les notions de lutte contre les discriminations et de prévention de la délinquance. Il s’agit de montrer que cet enchâssement révèle une définition de la situation (Thomas 1923 ; Hughes 1996) profondément ancrée dans une approche intégrationniste de type républicaine, ce qui va à l’encontre de l’inversion de l’imputation causale. Telle que formalisée par le Haut conseil à l’intégration (HCI) au début des années 1990, l’une des caractéristiques de la politique d’intégration réside en effet dans le caractère central de la « théorie du handicap » (qui consiste à faire peser les défauts d’intégration sur les groupes à intégrer). Ainsi, dans son premier rapport intitulé « pour un modèle français d’intégration », le HCI précise que la politique d’intégration fait appel « à certains instruments spécifiques qui doivent permettrent de renforcer temporairement les moyens de la politique sociale, afin de compenser des handicaps particuliers [7] propres aux populations nouvellement immigrées, ou encore en proie à des difficultés d’intégration liées à leur origine » (HCI 1991 : 54). À travers l’analyse des CODAC, notre propos est de montrer que la manière dont les pouvoirs publics se sont approprié la lutte contre la discrimination incorpore des éléments qui contribuent à stigmatiser la population d’origine étrangère (ou assimilée comme telle) en l’assimilant à une population délinquante. En faisant peser sur les caractéristiques attribuées à cette population les causes de la discrimination qu’elle subit, selon le procédé classique qui consiste à « blâmer la victime », il s’agit de montrer que cette définition de la situation révèle un infléchissement limité de l’action publique.
Tout au long de cette contribution, nous nous appuierons sur différents matériaux recueillis dans le cadre d’un travail de doctorat [8] entre 2000 et 2004 et relatifs à la mise en œuvre et au fonctionnement des CODAC : circulaires, entretiens avec les acteurs investis dans ces commissions, comptes-rendus de réunions, bilans d’activité de ces CODAC. Pour discuter des relations entre lutte contre les discriminations et lutte contre l’insécurité, et de l’inscription intégrationniste de cette accointance, nous reviendrons, dans un premier temps, sur la circulaire ministérielle qui a créé les CODAC. Dans un second temps, nous discuterons des conséquences pratiques de cet enchâssement des registres d’action en nous référant à des actions mises en œuvre dans le cadre du dispositif des CODAC. Nous aborderons, ensuite, la continuité dans le temps de cet amalgame et de son inscription républicaine.
1. Lutte contre les discriminations et lutte contre l’insécurité : une imbrication originelle
Dans sa temporalité, l’annonce de la création des CODAC le 18 janvier 1999 est concomitante d’une prise de position alors fortement médiatisée du ministre de l’Intérieur. C’est en effet entre le 10 et le 13 janvier 1999 que Jean-Pierre Chevènement qualifie les délinquants mineurs de « sauvageons », qu’il propose de les enfermer dans des « centres de retenue » et qu’il se déclare en faveur de la suspension ou de la mise sous tutelle des prestations familiales pour les parents des mineurs délinquants multirécidivistes [9]]. C’est ainsi en pleine polémique sur les « violences urbaines » que survient l’annonce de la création des CODAC.
Notre hypothèse est que la politique publique de lutte contre les discriminations, telle qu’elle se traduit à travers la création de ces commissions, apparaît comme le pendant d’une politique aux contours plus répressifs, énoncée et menée par le ministre de l’Intérieur. Cette corrélation posée entre lutte contre la discrimination et lutte contre l’insécurité apparaît clairement lorsque Jean-Pierre Chevènement déclare, devant les préfets : « avec la CODAC, nous plaçons l’État au premier rang de la lutte pour l’égal accès à l’emploi et contre la discrimination. C’est aussi une manière d’être plus efficace dans notre lutte contre la montée des violences urbaines et l’augmentation de la délinquance » [10]. Elle est également manifeste dans l’énoncé de la circulaire du ministère de l’Intérieur qui crée les CODAC.
1.1. Retour sur une circulaire
L’analyse de la circulaire du ministère de l’Intérieur portant sur la mise en place des CODAC permet d’interroger la manière dont est appréhendée leur mission et, de manière corrélative, la compréhension « pratique » que les pouvoirs publics ont de la notion de discrimination. Cette circulaire contient trois parties : « Composition de la CODAC » ; « Mission de la CODAC » ; « Mise en œuvre ». Elle comprend également une partie introductive intitulée « Objet : mise en place d’une commission départementale d’accès à la citoyenneté ». L’analyse de contenu qui suit porte uniquement sur cette dernière. C’est en effet en son sein qu’est exposée la philosophie d’action de ces structures et, de manière sous jacente, l’appropriation de la discrimination par les pouvoirs publics en général, par le ministre de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement en particulier.
Proposée ci-dessous dans son intégralité, l’introduction de cette circulaire dévoile une corrélation entre lutte contre la discrimination et lutte contre l’insécurité.
« OBJET : Mise en place d’une commission départementale d’accès à la citoyenneté.Je vous demande de créer dans votre département une Commission départementale d’accès à la citoyenneté. Elle aura pour mission de réunir les représentants de l’État, des services publics, des élus, des employeurs, des partenaires de la vie économique et sociale, pour aider les jeunes nés de l’immigration à trouver un emploi et une place dans la société, et faire reculer les discriminations dont ils sont l’objet, en matière d’embauche, de logement, de loisirs.Encourager et aider ces jeunes à forger leur avenir, amener cette génération à surmonter les obstacles par un égal accès à l’emploi est un devoir moral pour quiconque est investi d’une autorité publique.(1) [11] Un effort sans précédent doit être mené à l’initiative du représentant de l’État, pour faire reculer les préjugés, et lutter contre les discriminations qui touchent particulièrement les jeunes nés de l’immigration, de nationalité française pour la plupart, qui doivent pouvoir exercer leurs droits de citoyen et en remplir les devoirs. Des études statistiques montrent que sur cent enfants, dix-sept sont nés d’au moins un parent étranger. Naturellement, tous ne rencontrent pas des problèmes d’intégration mais ce sont ces gens nés de l’immigration qui sont, par centaines de milliers, les premiers concernés. Bien entendu tous les jeunes menacés d’exclusion méritent la même sollicitude. (2) Il n’en reste pas moins que le modèle français de citoyenneté fondé sur l’égalité des droits et des devoirs devra, dans les années et les décennies à venir, relever le défi que constituent dès aujourd’hui les risques de dérives communautaristes et de ghettoïsation de nos cités. Prendre la mesure du problème, c’est déjà commencer à réfléchir aux moyens d’enrayer ces dérives qui seraient mortelles pour le modèle républicain.(3) Dès aujourd’hui, une fraction importante de la population se sent rejetée et exclue du contrat social (4) ce qui se traduit, sans pour autant les excuser, par des comportements lourds de conséquences voire socialement suicidaires pour ceux qui s’y livrent ou s’y laissent entraîner : violences urbaines, explosion des incivilités, délinquance des mineurs, développement de l’économie souterraine, repli communautariste. (5) Ces comportements fondés sur le ressentiment nourrissent eux-mêmes des réactions de rejet dans d’autres parties de la population. Ils portent atteinte à la cohésion sociale et à l’intégrité du pacte républicain.(6) L’égal accès à la citoyenneté, et par là même à la sécurité, première liberté du citoyen, est un des axes prioritaires de la politique du gouvernement, et les fonctionnaires de l’État doivent se mobiliser et s’organiser pour combattre toutes les formes de discriminations, qui se manifestent sur le territoire de la République. » [12]
La circulaire de mise en place des CODAC dévoile un raisonnement circulaire qui établit une étroite corrélation entre délinquance et discrimination :
(1). Après avoir défini, dans son préambule, la mission des CODAC, la circulaire part du constat que des préjugés et des discriminations touchent particulièrement les jeunes nés de l’immigration.
(2). Ce constat a pour conséquence un ébranlement des fondements du « modèle français de citoyenneté » par les « risques de dérives communautariste et de ghettoïsation ». Dès lors, ce n’est pas la discrimination en tant que telle qui est dénoncée en premier lieu, mais ses répercussions sur les fondements de l’ordre républicain.
(3). La circulaire réitère le constat de l’existence de discriminations en posant qu’« une fraction importante de la population se sent rejetée et exclue du contrat social ».
(4). Ce rejet et cette exclusion entraînent, chez les personnes qui les subissent, une série de comportements « lourds de conséquences » et énumérés comme tels : « violences urbaines, explosion des incivilités, délinquance des mineurs, développement d’une économie souterraine, repli communautariste ».
(5). Il en résulte une contre-réaction, puisque ces comportements déviants sont, en retour, présentés comme explicatifs des discriminations : « ces comportements fondés sur le ressentiment nourrissent eux-mêmes des réactions de rejet dans d’autres parties de la population ».
La boucle est ainsi bouclée : si la discrimination induit un ressentiment qui peut se traduire par des comportements déviants [(1) à (4)], c’est la délinquance des « jeunes nés de l’immigration » qui, en retour, explique les comportements discriminatoires à leur égard (5).
La primauté de la délinquance sur la discrimination apparaît clairement dans la définition de la situation qui émane de cette circulaire. Trois points viennent corroborer cette affirmation. Tout d’abord, ce sont les comportements déviants de la population désignée et non la discrimination elle-même qui est avancée comme « portant atteinte à la cohésion sociale et à l’intégrité du pacte républicain » (5). Ensuite, on peut remarquer que si le « rejet » et l’« exclusion » que les discriminations suscitent chez les populations discriminées sont appréhendées sous l’angle de la subjectivité et du ressenti (« une fraction importante de la population se sent rejetée et exclue du contrat social » (3)) les effets sociaux qui découlent de cette mise à l’écart sont, quant à eux, clairement explicités, sous le mode de l’incrimination : « violences urbaines, explosion des incivilités, délinquance des mineurs, développement de l’économie souterraine, repli communautariste » (4). En troisième lieu, cette primauté de la délinquance sur la discrimination dans l’appréciation de la situation par le ministre de l’Intérieur est renforcée par la phrase conclusive qui présente l’égal accès à la citoyenneté comme conditionnant un égal accès à la sécurité (6).
1.2. Une criminalisation des discriminés
L’énoncé de cette circulaire tend à superposer et, finalement, à confondre les deux groupes « populations discriminée » et « population délinquante ». Cette assimilation participe de ce que Fabienne Brion nomme « criminalisation de l’immigration », processus qui renvoie à « l’attribution, aux membres du groupe racisé d’une criminogénéité intrinsèque » (Brion 2001). Certes, la caractérisation ethnico-raciale de la population à laquelle il est fait référence lorsqu’il est question de comportements criminogènes n’apparaît que de manière indirecte, puisque la circulaire fait référence à « une fraction importante de la population » (3). Elle n’en demeure pas moins établie explicitement par les catégories qui apparaissent en amont, et dont la caractérisation ethnico-raciale ne fait aucun doute puisqu’il est question de « jeunes nés de l’immigration » et « enfants nés au moins d’un parent étranger ». Le lien sur lequel repose l’étroite corrélation faite entre « discrimination » et « délinquance » réside dans l’analogie opérée entre les groupes auxquels ces deux processus sociaux sont rapportés.
L’analyse de cette circulaire fait apparaître les contours d’un « Eux » stigmatisé à la fois discriminé et incriminé, dont l’entité tient dans la « relation délinquance-immigration ». Relation au sujet de laquelle Andréa Rea précise : « elle ne constitue pas en soi un problème social et politique mais renvoie à une construction sociale et politique dont il faut restituer le processus de formation qui vise un dessein spécifique, celui de faire accepter la rationalisation spécifique qui fait, de l’immigré ou du descendant d’immigré, des membres d’un “peuple à part” nécessitant un traitement séparé » (Réa 2001) [13].
L’imbrication entre prise en charge de la discrimination et prise en charge de la délinquance ne relève pas uniquement de considérations sémantiques. Elle a également des conséquences pratiques sur les actions mises en œuvre dans le cadre d’un dispositif de lutte contre les discriminations.
2. Les conséquences pratiques de l’amalgame « population discriminée » et « population délinquante »
Dans chaque préfecture, l’action des CODAC a été organisée autours de groupes de travail thématiques portant sur l’emploi, le logement, la santé, ou encore l’éducation. Chacun d’eux étant censé réunir régulièrement les acteurs concernés sur le département (élus locaux, services de l’État, « société civile »), sous l’égide d’un secrétaire permanent de CODAC chargé de l’organisation et de l’évaluation des actions de la commission [14]. Pour illustrer les conséquences de la contigüité opérée, en pratique, entre population discriminée et population incriminée, je m’appuierai ici sur le bilan du groupe thématique « logement » de la CODAC 1 [15]. Figurant dans le compte rendu de la réunion plénière de cette Commission en date de janvier 2002, ce bilan illustre en effet les apories non seulement sémantiques mais pratiques de l’appropriation de la politique de lutte contre les discriminations par les acteurs en charges de sa mise en œuvre décentralisée.
2.1. La primauté accordée aux carences des discriminés
La manière dont le groupe de travail « logement » appréhende la notion de discrimination étaye l’hypothèse d’une difficulté, pour les pouvoirs publics, de se départir d’une approche posée en termes d’intégration. L’analyse des actions et réflexions émanant de ce groupe de travail CODAC montre en effet que son attention ne porte pas tant sur les bailleurs et les processus d’attribution eux-mêmes, que sur les déficiences présumées de la population qui n’arrive pas à accéder au logement.
Le constat à partir duquel sont pensées et formulées les actions à mettre en place au sein de ce groupe inclut en lui-même une caractérisation stigmatisante de la population d’origine étrangère et la définit comme potentiellement discriminable. Ce compte-rendu fait état de « l’appréhension qu’éprouvent certains bailleurs à loger les populations d’origine étrangère, de peur de voir leur bâtiment se dégrader » (compte rendu de la réunion plénière de la CODAC 1, janvier 2002). Le caractère aprioriste et stigmatisant de la posture adoptée par les bailleurs vis-à-vis de la « population d’origine étrangère » n’est ni questionné, ni discuté en tant que tel par les participants de ce groupe de travail. Au contraire, les actions proposées par ce groupe de travail thématique sur le logement l’incorporent. En effet, le compte rendu fait état d’une proposition de ce groupe qui consiste non seulement à mettre en place un « accompagnement social destiné à rassurer les bailleurs », mais à « travailler en partenariat avec les bailleurs afin d’évaluer la prise de risques réelle par rapport à la population prise en charge par la CODAC » (compte rendu de la réunion plénière de la CODAC 1, janvier 2002).
L’euphémisme de la locution « population prise en charge par la CODAC » peut être relevé, car si cette expression ne désigne pas nommément la population d’origine immigrée, elle la vise explicitement et contribue à la dévaloriser. Le caractère stigmatisant de cette désignation ne découle cependant pas du fait, pour cette population, d’être « prise en charge par la CODAC ». Elle résulte de la caractérisation d’une population désignée ici comme étant « à risques ». Le fait que ces risques soient « évalués » ce qui implique qu’ils puissent potentiellement être relativisés a posteriori, ne change pas le fait que leur réalité n’est pas remise en cause, a priori. Au contraire, lorsque le groupe de travail de la CODAC propose d’évaluer les risques que prendraient les bailleurs à loger la population d’origine étrangère et qu’il souligne l’importance « de l’accompagnement social destiné à rassurer le bailleur », il se réapproprie la logique du bailleur et contribue à en reproduire l’implication stigmatisante. L’accompagnement social qui est proposé est en effet censé « normaliser » une population définie a priori comme inquiétante, donc disqualifiée.
2.2. L’ancrage républicain d’une altérité criminalisée
L’extrait suivant est tiré d’un entretien mené auprès de la secrétaire permanente de cette même CODAC. Effectuée en mai 2004, la rencontre avec cette secrétaire permanente a été l’occasion de discuter avec elle du contenu du compte rendu de la réunion plénière précitée. La manière dont la secrétaire revient sur le point de vue des bailleurs impliqués dans la commission « logement » de cette CODAC ainsi que sur les actions qu’il a été envisagé de mettre en place, présente l’intérêt d’illustrer la difficulté des acteurs publics de se départir d’une logique d’action qui met l’accent sur les carences intrinsèques des populations dont ils ont la charge. Difficulté qui rejoint, de manière corrélative, leur appropriation limitée du paradigme de la lutte contre les discriminations.
Dans cet extrait, la secrétaire commence par lire à haute voix le compte rendu de la réunion plénière puis, suite à notre question, le commente :
- « Mme X [conseillère technique logement CAF, membre de la commission « logement » de la CODAC] fait état du refus des bailleurs vis-à-vis des familles monoparentales. Selon eux les enfants sont livrés à eux-mêmes pendant la journée et de ce fait ils craignent une hausse des actes de délinquance. Elle estime que la solution serait de rassurer les bailleurs en proposant des structures d’accueil pour ces jeunes. Mr Y [pilote du groupe thématique « logement »] trouve que c’est un bon sujet.- Question. Je ne comprends pas… En quoi est-ce de la lutte contre les discriminations ?- Mme X fait état du refus de l’accès au logement à des familles monoparentales. C’est clair : ils craignaient que certains enfants fichent le boxon dans le quartier. Elle proposait une solution pour pallier ce problème. C’est intéressant mais il y a du travail derrière : il faut les mettre en place ces structures ! Il faut trouver les locaux, les personnes. Ce n’est pas un petit projet !! » [16].
La manière dont notre interlocutrice relate le point de vue des acteurs en présence confirme une appropriation du thème de la lutte contre les discriminations non exempte de stigmatisation ethnico-raciale de la part d’acteurs et d’institutions qui, justement, en ont la charge. Cet extrait illustre les amalgames qui résultent de l’enchâssement entre lutte contre la discrimination (cette action est organisée au sein d’un groupe de travail de la CODAC) et lutte contre la délinquance (il est question de gérer des « enfants qui fichent le boxon »).
Le processus catégoriel qui se dégage de cet enchâssement peut être analysé comme résultant d’un schème perceptif pouvant être qualifié à la fois de national et de républicain :
Schème perceptif national, d’une part, car ce processus catégoriel illustre ce qu’Abdelmalek Sayad désigne par « pensée d’État », base sur laquelle repose en partie notre appréhension du monde social :
« La suspicion pèse toujours sur les mêmes, sur ceux que tout en eux, leur histoire et leur naissance (et ici leur immigration et leur naissance dans l’immigration) et, corrélativement, leur position sociale, leur statut, le capital social et encore plus symbolique dont ils sont dotés, désigne la figure de perpétuels suspects. La stigmatisation qui se trahit à travers cette forme de suspicion généralisée procède d’un schème de pensée et de perception sociale qu’on connaissait déjà : il s’agit, plus généralement, de la relation soupçonneuse et accusatrice qu’on a à l’égard des classes populaires assimilées à des classes dangereuses » (Sayad 1999).
Schème perceptif républicain, d’autre part, car ce processus catégoriel qui associe étroitement « population délinquante » et « population discriminée » découle d’une posture « aveugle à la couleur » (colorblind) qui, propre au paradigme républicain, facilite cette association. Dans un contexte républicain qui délégitime et condamne toute référence à une catégorisation ethnico-raciale, la difficulté à nommer les groupes qui résulte de cette posture se traduit, dans les faits, par des évitements sémantiques et par le recours à des euphémismes et à des substituts taxinomiques qui puisent dans le registre générationnel (« les jeunes ») ; géographico-social (« habitants des quartiers », sous-entendu pauvres) ou encore généalogique (« issu de l’immigration »). Néanmoins, cette volonté de ne pas faire référence nommément et ouvertement à une caractéristique racisée, telle que la couleur de peau, n’empêche pas le processus de dépréciation et de mise part qui est au cœur du processus de racisation (Guillaumin 1972).
Dans ce processus de racisation, forme singulière d’un processus de stigmatisation aboutissant à une altérité radicale, la caractéristique porteuse de stigmate importe peu si l’on considère, à l’instar de Véronique De Rudder, que « la dimension du stigmate ne tient pas dans ses caractéristiques propres, mais dans la dépréciation elle-même, c’est à dire dans la valeur négative qui lui est conférée au sein de l’interaction sociale par les institutions ou par les individus » (De Rudder 1996). Ainsi, dans l’extrait d’entretien cité ci-dessus, la fonction de dévalorisation sociale que revêt la description des populations dont il est question prime sur la nature des attributs qui les caractérisent de manière proprement racisée. La description de la situation n’incorpore en effet aucun élément ethnico-racial (de type couleur de peau, ou encore énoncé d’une origine étrangère réelle ou supposée) : il est question de « famille monoparentale », et de « crainte que certains enfant fichent le boxon dans le quartier ». Néanmoins, l’implicite « à problème » que sous-entend l’expression « famille monoparentale », d’une part, l’équivoque de l’expression « certains enfants », à la suite de laquelle figurent les termes « boxon » et « quartier », d’autre part, procèdent, certes indirectement, mais proprement d’une lecture racisée de la situation. Comme le souligne Colette Guillaumin, « certaines catégories, sans être couverte explicitement d’un terme racial, n’en sont pas moins porteuses de la marque physique. (…). C’est le fait de certaines classes sociales, des étrangers, de l’un des textes, de certaines classes d’âge, de l’aliénation (au sens psychiatrique) ainsi que de la déviance sociale. Les catégories altérisées, dans ces cas là, ne sont pas des catégories « raciales » au sens courant, mais elle le sont au sens latent dans la mesure où leur conduite, vue par la société dominante comme particulière, est considérée comme sous-tendue par un caractère somatique » (Guillaumin 1972 : 65-66). Dans l’exemple ci-dessus, le caractère racisé de la catégorisation résulte également du fait que ces énoncés décrivent une action menée au sein de CODAC qui, à l’époque, ne sont uniquement compétente en matière de discrimination ethnico-raciale.
2.3. Les ambiguïtés de l’« accès à la citoyenneté »
L’accointance entre lutte contre les discriminations et lutte contre l’insécurité peut également être envisagée à partir d’actions et/ou de réflexions s’inscrivant dans l’axe « accès à la citoyenneté » des CODAC. Cet axe est défini dans la partie intitulée « mission de la CODAC » de la circulaire ministérielle déjà citée, qui précise :
« L’accès à la citoyenneté requerra également la vigilance de la CODAC. Elle pourra proposer toute mesure ou campagne d’information concernant : le respect de l’obligation scolaire et des obligations collectives, le développement de l’instruction civique, l’accueil et la promotion des nouveaux naturalisés ; l’exercice du droit de vote et la vérification de l’inscription d’office sur les listes électorales ; l’invitation à l’engagement civique et associatif » [Circ MI 18/01/99].
La signification de directives telles que « respect des obligations collectives » ; « développement de l’instruction civique » ou encore « invitation à l’engagement civique » reste ici extrêmement floue. Elles forment néanmoins un halo de sens dont l’intelligibilité est rendue possible par l’ambiguïté et la polysémie de l’expression « accès à la citoyenneté ». Rarement explicité, le vocable « citoyenneté » puise en effet sa signification dans une mythologie et une symbolique républicaine. Ainsi, à coté de termes tels que « souveraineté », « laïcité », « liberté », « démocratie », ou encore, « communauté nationale » ou « raison », la « citoyenneté » s’inscrit dans une « constellation mythologique d’abstraction » (Nicolet 1994 : 33) de type républicaine. Cette inscription confère à l’expression « accès à la citoyenneté » une dimension axiomatique, le flou taxinomique de la notion étant contrebalancé par le consensus moral qui imprègne son usage social. L’équivoque de cette référence à la « citoyenneté » dans le champ de la lutte contre la discrimination est d’ailleurs savamment entretenue par l’appellation de ces Commissions départementales qui, en charge de la discrimination, s’intitulent « d’accès à la citoyenneté ».
La notion de citoyenneté apparaît comme le maillon à la fois central et labile de la chaîne qui relie la lutte contre les discriminations à la lutte contre la délinquance, si l’on considère le continuum suivant : lutte contre les discriminations / égalité / citoyenneté / incivilité-insécurité / lutte contre la délinquance. La citoyenneté présente en effet l’avantage sémantique de pouvoir être appréhendée, dans sa dualité, en termes de « droits » comme en termes de « devoirs ». Ce que ne manque pas de rappeler Jean-Pierre Chevènement, que ce soit dans la circulaire précitée (« les jeunes nés de l’immigration […] doivent pouvoir exercer leurs droits de citoyen et en remplir les devoirs ») ou dans ses discours (« Leur accès à une pleine citoyenneté passe par un effort exceptionnel pour faire entrer de plain-pied ces jeunes dans le monde du travail et par une lutte sans relâche contre les discriminations (…). C’est cela la citoyenneté qui confère des droits, mais aussi, en contrepartie, je le rappelle, quelques petits devoirs. » [17] ).
Une telle inscription du terme citoyenneté dans une « rhétorique de l’ordre social » (Payet 1999) contribue à brouiller l’appréhension de la notion de « discrimination » au sein des CODAC, notamment parce qu’elle induit une primauté des devoirs sur les droits et, de manière corrélative, une prépondérance de la lutte contre la délinquance sur la lutte contre les discriminations.
3. Perpétuation d’une imbrication originelle
Dans la configuration institutionnelle actuelle, la sémantique qui prévaut de plus en plus relève du champ de l’égalité des chances. Ainsi, les CODAC (Commissions départementales d’accès à la citoyenneté) ont été transformées en COPEC (Commissions pour la promotion de l’égalité des chances et la citoyenneté). Et l’« égalité des chances » a désormais une loi qui porte son nom depuis mars 2006 [18]. Néanmoins, cette requalification de l’action publique n’est pas sans reproduire les ambiguïtés que nous venons de discuter, dans le lien étroit qu’elle continue à opérer entre lutte contre les discriminations et lutte contre l’insécurité.
Si la lutte contre les discriminations apparaît comme le pendant de la prévention de la délinquance, faire explicitement référence à ce paradigme d’action publique apparaît également comme la légitimation d’un durcissement du traitement de cette dernière. Ce caractère justificatif ressort clairement des propos tenus par Nicolas Sarkozy en janvier 2004, alors qu’il est ministre de l’Intérieur :
« Si je veux pouvoir continuer à être ferme dans les banlieues et à demander aux jeunes de respecter les règles, il faut que la République donne le sentiment qu’elle fait une place à chacun. […] La politique ferme de sécurité que je mène ne peut être acceptée dans la pérennité que si elle est vécue comme juste. Cette question me taraude : comment être ferme et juste ? On ne s’en sortira pas sans remettre à niveau territoires et populations. Certains n’ont aucune chance de s’en sortir par leurs seuls moyens. Si les mots « discrimination positive » gênent, alors ne parlons plus que de volontarisme républicain. » [19].
La réponse des pouvoirs publics aux émeutes urbaines de novembre 2005 est également emblématique des ambivalences de cette dualité. Dans son discours aux Français du 14 novembre 2005 [20] Jacques Chirac, alors Président de la République, institue l’état d’urgence, demande une application stricte des règles du regroupement familial et le renforcement de « la lutte contre l’immigration irrégulière et les trafics qu’elle génère », et veut « intensifier l’action contre les filières de travail clandestin ». Autant de préoccupations qui s’arriment sur et renforcent les amalgames opérés entre délinquance et immigration, contribuant ainsi à la criminalisation de cette dernière. Dans le même temps, le Président fustige « ce poison pour la société que sont les discriminations », demande à la société française de reconnaître et d’assumer sa diversité, dénonce les difficultés que rencontrent les « jeunes issus des quartiers difficiles » à trouver un emploi « même lorsqu’ils ont réussi leurs études », et propose, entre autres, d’étendre les pouvoirs de la Haute autorité de luttes contre les discriminations. Ensemble d’éléments qui fait de la discrimination l’un des principaux facteurs explicatifs de ces émeutes.
La mise en avant du paradigme de l’égalité des chances comme réponse à ces évènements est centrale non seulement dans le discours, mais aussi dans l’action gouvernementale. Ainsi Dominique de Villepin, alors Premier ministre, déclare le 1er décembre 2005 : « Notre ambition commune, c’est que chacun trouve sa véritable place dans notre République. Nous devons tendre la main à chacun et ne laisser personne au bord de la route. L’année 2006 sera l’année de l’égalité des chances, comme grande cause nationale » [21]. Dans ce contexte, la « loi pour l’égalité des chances » [22] du 6 mars 2006 apparaît comme la réponse législative apportée à ces émeutes et à la lecture racisée qui en est faite, notamment dans leur énonciation en termes de lutte contre les inégalités, i.e. les discriminations. Les différents titres qui la composent ne laissent néanmoins aucun doute quant à l’orientation d’une loi qui, malgré son intitulé, confirme la primauté d’une approche sécuritaire [23], formulée en termes de lutte contre la délinquance. Ainsi, sur cinq titres, seul le second fait explicitement référence à des « mesures relatives à l’égalité des chances et à la lutte contre les discriminations ». Ce titre de loi, entre autre, crée l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsè), qui se substitue au Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations. Il procède à un élargissement des pouvoirs de la Halde.
Se référant à des « mesures en faveur de l’éducation, de l’emploi, et du développement économique », le premier titre de cette loi « pour l’égalité des chances » n’est pas sans comporter des éléments qui renforcent la discrimination qu’il prétend justement combattre. En effet, il permet, d’une part, de mettre en apprentissage des enfants dès l’âge de 14 ans (ce qui met fin à la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans) et, d’autre part, il permet aux entreprises, avec le très controversé « contrat première embauche », d’embaucher des jeunes de moins de 26 ans et de pouvoir les licencier sans aucun motif pendant une durée de deux ans [24].
Les titres III, IV et V de cette loi pour l’égalité des chances s’inscrivent, quant à eux, clairement dans une logique de prévention de la délinquance :
Intitulé « contrat de responsabilité parentale » le titre 3 crée un contrat qui peut être proposé par le conseil général en cas d’absentéisme scolaire ou de « toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale ». Pour la famille, sa signature peut conduire à la suspension du versement de toute ou d’une partie des prestations familiales afférentes à l’enfant dont le comportement a conduit à proposer la conclusion du contrat. Ce titre entérine ainsi les propos tenus par J.P Chevènement six ans plus tôt.
Intitulé « lutte contre les incivilités », le titre 4 de cette loi étend le pouvoir de constatation d’infraction de la police municipale, et donne de nouveaux pouvoirs au maires qui peuvent mettre en place des mesures alternatives aux poursuites pénales en matière de « prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques » (article Article L2212-5 modifié du code des collectivités territoriales ».
Le titre 5 crée un « service public volontaire », dont le but est de développer le sens civique des jeunes et de renforcer leur insertion professionnelle. Dans le cadre de la mission agréée par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, il est stipulé que « l’organisme d’accueil s’engage à former le jeune, notamment aux valeurs civiques ». Présentée comme essentielle au dispositif, cette « formation aux valeurs civiques » n’est pas sans rappeler les ambigüités du recours à la notion de « citoyenneté » dans la lutte contre les discriminations, telles qu’elles ont été discutées dans cette contribution. De plus, elle ne se départie pas d’une approche qui, dans la prolongation de notre propos, met l’accent sur les carences des « jeunes incriminés » plus que sur les processus discriminatoires auxquels sils sont susceptible de se heurter dans la société française.
A partir d’actions mises en œuvre sous la mandature de Lionel Jospin, par Jean-Pierre Chevènement alors ministre de l’intérieur puis, sous celle de Dominique de Villepin, par Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, cette contribution s’est attachée à montrer la manière dont les autorités ont relayé, en pratique, la thématique de la lute contre les discriminations dans le contexte républicain. De la même manière que la politique d’intégration a préfiguré, dès la fin des années 1980, un durcissement de la politique migratoire dans une configuration d’inclusion des immigrés dits « réguliers » et d’exclusion des immigrés dits « irréguliers », il se dégage de l’analyse que la mise en œuvre du paradigme de la lutte contre les discriminations une configuration d’« inclusion des minoritaires méritants », et de « répression des minoritaires incriminés ». Partition qui accompagne une orientation de plus en plus sécuritaire des politiques dites de cohésion sociale.
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NOTES
[1] Le rapport remis à la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité en mars 1999 par le conseiller d’État Jean-Michel Belorgey affirme : « on ne gagne rien à raisonner en terme de lutte contre les discriminations si cela ne signifie pas qu’on déplace l’accent d’une réflexion sur les carences des candidats à l’intégration vers une réflexion sur les raideurs de la société d’accueil. » http://www.ladocumentationfrancaise... ; [consultation du site décembre 2009
[2] Lionel Jospin, Premier Ministre, déclare lors de son allocution aux assises de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations : « Certains d’entre vous finissent par avoir le sentiment d’être rejetés. Car le plus souvent le problème n’est pas d’être intégré : vous l’êtes. Il est de ne pas être discriminé » [Jospin, 18/03/00]. Martine Aubry, Ministre de l’emploi et de la solidarité déclare dans une conférence de presse en date du 16 mai 2000 : « Aujourd’hui, nous savons bien que les difficultés que rencontrent les jeunes — et les moins jeunes — en raison de la couleur de leur peau, de la consonance étrangère de leur nom ou de leur quartier d’origine ne tiennent plus à je ne sais quel défaut d’intégration mais bel et bien à des blocages existants au sein de la société française » http://www.sangonet.com/FichPointsd...
[3] Françoise Lorcerie oppose l’intégration comme « programme normatif » qui concerne principalement les immigrés, à la lutte contre les discriminations qui, elle, « est orientée en direction de l’ensemble des membres » de la société (Lorcerie, 2000). Didier Fassin, quant à lui, parle de « rupture dans le discours des institutions » et, plus que d’un « simple retournement rhétorique », fait état d’une « inversion de l’imputation causale, puisque ce ne sont plus les attributs des étrangers que l’on considère comme responsable des difficultés auxquelles ils sont confrontés […] mais le fonctionnement de la société française elle-même » (Fassin, 2002).
[4] S’en suivront la Déclaration de Grenelle sur les discriminations raciales dans le monde du travail, adoptée le mardi 11 mai 1999, par l’État et les partenaires sociaux, et la création du GED (Groupe d’études des discriminations) qui deviendra GELD (groupe d’étude et de lutte contre les discriminations) lorsque lui sera adjoint le « 114 ». Proche de Michel Wieviorka, Martine Aubry est celle qui, au sein du gouvernement de Jospin, va le plus loin dans la désignation explicitement racisée (au sens de color consciousness, en opposition à la posture colorblind) des personnes qui subissent le racisme et les discriminations. Nous prendrons pour exemple son discours prononcé lors de la Table ronde sur les discriminations raciales dans le monde du travail, à Paris le 11 mai 1999. « C’est une première importante : nous voilà autour de cette table, l’Etat avec ses services et ses établissements publics, représentants des salariés ou des employeurs, pour évoquer ce qui a longtemps été un tabou, pour briser la " loi du silence " et, surtout, pour rechercher les moyens de lutter contre une des formes les plus intolérables de l’inégalité : celle qui est fondée sur la couleur de la peau.(…) Ces précautions ne doivent toutefois pas masquer le diagnostic que vous connaissez : le taux de chômage des étrangers non européens, en clair celui des personnes de couleur, est trois fois plus élevé que celui des Français. Quant à nos concitoyens que leur origine, leur patronyme ou leur apparence physique peuvent faire passer pour des étrangers, ils butent souvent sur des difficultés inadmissibles pour accéder à l’emploi, pour exercer certaines fonctions ou pour faire valoir certains droits. Je ne pense pas que les chefs d’entreprise sont plus racistes que les autres et notamment que les salariés eux-mêmes. Mais il faut répéter, même si cela devrait aller de soi, que cette forme de racisme n’a pas sa place en France. Parce que la couleur de la peau d’un homme ne doit pas avoir plus d’importance que la couleur de ses yeux et parce qu’on ne juge pas les qualités notamment professionnelles d’une personne en considérant ses origines ou son apparence. Il faut répéter que la France n’est pas une race mais un peuple qui s’est construit par des apports successifs qui en font la richesse. » http://lesdiscours.vie-publique.fr/...
[5] C’est moi qui souligne
[6] Circulaire NOR INT A9900013C, http://i.ville.gouv.fr/divbib/doc/C.... Dans le reste de l’article, elle sera désignée par [circ MI 18-01-99].
[7] C’est moi qui souligne.
[8] M. Eberhard (2006), L’idée républicaine de la discrimination raciste en France. Thèse de doctorat de sociologie, Université Paris 7 Denis Diderot, 425 p.
[9] Cf. http://www.vie-publique.fr/politiqu... [Septembre 2005
[10] Chevènement, discours devant les préfets, 26/03/99
[11] Ces chiffres entre parenthèses, rajoutés ici dans un but analytique, seront repris plus loin dans l’analyse.
[12] Circ MI 18-01-99, op cit.
[13] Sur la construction de l’immigré comme figure de l’ennemi intérieur et sur l’évolution des méthodes et pratiques de contrôle qui en résulte, nous renvoyons aux travaux de Mathieu Rigouste, et notamment son ouvrage L’ennemi intérieur. La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, La Découverte, 2009.
[14] De faits, dans la plupart des départements, ces réunions ne se sont tenues ni régulièrement, ni avec la totalité des acteurs initialement prévus, notamment s’agissant des acteurs associatifs. Dès décembre 2000 l’Inspection générale de l’administration et l’Inspection générale des affaires sociales dressent un bilan plus que contrasté du fonctionnement réel des CODAC (IGA-IGAS, Bilan du fonctionnement des Commissions départementales d’accès à la citoyenneté, décembre 2000).
[15] Par souci d’anonymat, je ne mentionne pas les départements des 5 CODAC au sein desquelles j’ai effectué un travail de terrain à partir d’entretiens d’acteurs, d’observation de réunions, et d’analyse de documents de travail, bilan d’activité et compte rendu de réunions propres à l’activité de chacune de ces commissions.
[16] Entretien mené auprès du secrétaire permanent de la CODAC 1, mai 2004.
[17] J.P. Chevènement, présentation des vœux à la presse, 18/01/99.
[18] Pour une discussion sur les conséquences de l’élargissement de l’action à différents motifs discriminatoires et sur la reformulation du référentiel de la « lutte contre les discriminations » en « promotion de l’égalité des chances » et « promotion de la diversité », nous renvoyons aux travaux de Fabrice Dhume et Nadine Sagnard-Haddaoui (2006 : 12-14), d’Alexandre Tandé (2008), de Vincent Arnaud Chappe ( 2009) ainsi qu’à ceux de Milena Doytcheva (2008 ; 2009). Ici, c’est principalement dans sa dimension ethnico-raciale que nous nous abordons le concept de discrimination.
[19] N. Sarkozy, « Ce que je veux pour la France », L’Express, 19/01/2004. http://www.lexpress.fr/actualite/po...
[20] http://www.elysee.fr/elysee/francai...
[21] Conférence de presse du Premier ministre, 2 décembre 2005.
[22] LOI n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances. Publiée au J.O. n° 79 du 2 avril 2006 page 4950. http://www.assemblee-nationale.fr/1...
[23] Voire liberticide, au vue du nombre d’arrestations, de comparutions immédiates, de gardes à vue, de peines prononcées au regard du casier judiciaire des protagonistes et des propos médiatiques gouvernementaux proférés à leur encontre. Cf. l’article de la magistrate Evelyne Sire-Marin (2006), « L’état d’urgence, rupture de l’État de droit ou continuité des procédures d’exception ? ».
[24] Deux dispositions qui, depuis, ont été suspendues. Sur ce sujet, Cf. Alain Morice (2005).