La démocratie contre les pauvres
Éditions du Croquant, Collection TERRA
978-2914968683
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TEXTE INTÉGRAL EN ACCÈS LIBREPrésentation de l'éditeur
Depuis le début des années 1980, les démocraties et les organisations internationales ont modifié leur approche des populations défavorisées, revenant sur plus de deux siècles de développement et de mise en œuvre des idées progressistes de promotion sociale et d’accès à la citoyenneté. La notion de vulnérabilité est la pierre angulaire de ce changement. Désormais la guerre est déclarée non plus à la pauvreté mais aux pauvres, enrôlés dans ce combat contre eux-mêmes. Ils font l’objet de la vigilance des savants, de la sollicitude des experts et d’une surveillance continue des acteurs publics et ne sont plus traités comme des citoyens malheureux ou mal intégrés mais comme des incapables. Cet ouvrage revient d’abord sur les fondements de cette révolution conceptuelle. Une archéologie des termes permet de comprendre comment ils se sont généralisés dans les discours publics depuis la fin du dernier millénaire. Puis il étudie les instruments de ce nouveau gouvernement des pauvres qui les coupe de l’exercice de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales. Comment ce remplacement de l’égalité par l’équité, de la liberté par la dignité, de la fraternité par la responsabilité s’est-il opéré ? Sur quels principes juridiques fondamentaux et politiques contradictoires, néanmoins conciliés dans une nouvelle théorie sociale, s’appuie-t-il ? Enfin le livre met en lumière les effets de ces dispositifs d’urgence permanente sur l’existence des vulnérables assignés au rôle de victimes. Leur traitement qui combine protection rapprochée et contrôle à distance repose sur l’individualisation et la psychologisation de leur condition et en fait tantôt des martyrs médiatisés tantôt des cibles discrètes d’interventions bienfaisantes condamnées à la désubjectivation et au silence.
Hélène Thomas est professeur de science politique à Sciences Po Aix. Sociologue et psychanalyste, elle a déjà publié deux ouvrages de référence sur ce sujet : La production des exclus, Paris, PUF, 1997 (primé par l’Académie des sciences morales et politiques) et Vieillesse dépendante et désinsertion politique, Paris, L’Harmattan, 1996.
Mots clefs
Introduction
Première partie . LE MOT
L’archéologie d’une métaphore
Chapitre premier . Une métaphore nomade
Chapitre 2 . Un terme technique universel ?
Chapitre3 . Un concept voyageur
Deuxième partie . LES NORMES
Vers un nouveau triptyque républicain
Chapitre 4 . L’équité contre l’égalité
Chapitre 5 . La rhétorique de la dignité
Chapitre 6 . Responsabilité et protection rapprochée
Troisième partie . LES EFFETS
Une émancipation sans sujet
Chapitre 7 . Des citoyens palliatifs
Chapitre 8 . Entre exposition et mise au secret
Chapitre 9 . De la victimisation à la destitution subjective
Conclusion
Depuis le début des années 1980, les démocraties sociales des pays développés et les organisations internationales ont modifié l’approche et le traitement des populations pauvres sur leurs territoires et dans leurs anciennes périphéries. Les damnés de la terre, ces populations, migrantes ou sédentaires, issues des anciens empires coloniaux, tout comme les fractions ouvrières et employées, étrangères ou nationales, de leurs métropoles industrielles sont désormais catégorisés et ciblés comme vulnérables par les discours publics. Des dispositifs articulant contrôle, ségrégation sociale et surveillance leur ont été systématiquement appliqués. Experts et savants de la question sociale, emboîtant le pas aux acteurs publics, ont rivalisé d’ingéniosité pour désigner ces supposés nouveaux pauvres par des euphémismes – distinguant les situations des vulnérables de celles des autres dépossédés. Ces désignations sont au principe des nouvelles politiques palliatives et d’urgence qui visent à endiguer la précarité sociale et, par là, les vulnérables. Des intellectuels ont relégué aux oubliettes de la théorie politique, les traditions libérales et socialistes d’analyse et d’intervention sociale en termes de lutte contre le paupérisme ou de réduction des inégalités de classes, qui se proposaient encore naguère d’éradiquer la pauvreté. Ils ont récemment tourné le dos aux deux modèles fondateurs d’analyse et de traitement démocratiques de la question sociale depuis le milieu du XIXesiècle.
Ces changements de cadres de référence et de formes de justification intellectuelle de l’action publique ne sont pas anodins. Les schémas de description et d’intervention concernant ces nécessiteux en sursis, ces impécunieux menacés d’exclusion sociale, aujourd’hui dénommés vulnérables, voilent l’objectif central de ces politiques hygiénistes et coercitives qui est de faire disparaître les pauvres comme groupes visibles dans les sociétés démocratiques. Discours savants et approches expertes contribuent également et sur le long terme à l’occultation des effets destructeurs de ces politiques publiques sur celles et ceux auxquels elles apportent un secours ambigu en Europe comme aux États-Unis. Ils sont partie prenante d’une nouvelle épistémè [1] de la question sociale, celle de la réforme de l’État et des conduites individuelles des citoyens indigents. Elle postule que la réhabilitation des pauvres passe par leur remise au travail, par leur responsabilisation sociale et éventuellement civile et pénale. Étendue de proche en proche à l’ensemble des catégories populaires, actives ou oisives, elle est considérée comme un préalable à toute garantie de leurs droits. Elle renouvelle tout à la fois les valeurs centrales de cohésion démocratiques et les instruments du gouvernement des pauvres [2]. Ces changements sont sources de dangers tant pour l’État social que pour les citoyens qui éprouvent un sentiment de perte des protections dans des sociétés postindustrielles et duelles qui peinent à soutenir les plus pauvres.
Épistémè de la vulnérabilité et gouvernement post-démocratique des pauvres
L’épistémè de la vulnérabilité est la base d’une nouvelle guerre non plus contre la pauvreté [3] mais bel et bien contre les pauvres, guerre à laquelle nombre d’États démocratiques se livrent sous trois formes principales et combinées.
La première repose sur la mise à l’écart physique – i.e. hors de la vue des citoyens intégrés et hors d’atteinte de la garantie des droits communs – des misérables considérés comme dangereux. Ce premier schéma de gouvernement des pauvres a cours depuis l’inven-tion de l’hôpital général en France au milieu du XVIIesiècle ou des workhouses dans l’Angleterre du début du XVIIIe [4]. Il s’est généralisé en Europe puis aux États-Unis et en Australie depuis le début du XIXesiècle et a depuis subi très peu de transformations dans sa philosophie générale : l’assistance coercitive et ségrégative, où l’intervention publique vise à réhabiliter les pauvres en redressant leurs conduites par la punition, l’enfermement et le travail forcé, s’est maintenue depuis lors. Même si, pour certains groupes, elle a disparu par intermittence, pour d’autres, comme par exemple pour les étrangers célibataires, elle s’est perpétuée sans discontinuer [5]. La seconde s’est affirmée nettement depuis 1945 et jusqu’à la fin des années 1980, où des excès de l’État Providence sont dénoncés par ceux qui verront dixans plus tard une nécessité de réformer, au-delà de l’État social, le contrat entre la nation et les pauvres. Cette forme adjoint à la précédente une variante protectrice et à visée intégratrice des pauvres dans la nation au nom de l’universalité des droits et de la solidarité démocratique nécessaire à sa cohésion et à sa stabilité.
Ces deux premiers schémas perdurent aujourd’hui et ont été fondus dans un référentiel contemporain d’intervention sociale fondé sur l’action humanitaire d’urgence auprès des vulnérables, désignés comme détenteurs virtuels de droits de l’Homme qui deviennent introuvables quand le risque de pauvreté advient et qu’ils deviennent indigents. Ce nouveau référentiel de mobilisation générale contre la vulnérabilité est appliqué tant pour prévenir que pour gérer l’état d’indigence, lorsqu’il s’avère ou se renforce, et a pour particularité de solliciter les vulnérables dans l’exécution du programme qu’il leur prescrit. Ils sont sommés de s’émanciper de sa tutelle tout en suivant des normes juridiques et morales hétéro-dictées qu’ils doivent accepter, contribuant à les promouvoir. Le gouvernement des vulnérables s’appuie sur la règle ancienne selon laquelle une compensation est attendue en retour de l’assistance que reçoit le pauvre. Il a le devoir moral ou civique de rendre ce que l’État lui donne sous la forme qu’on lui impose prouvant en cela sa volonté de s’en sortir. Cependant cette contrepartie s’est transformée en injonction contradictoire à l’autonomie et en soumission volontaire à la surveillance des acteurs sociaux. Elle est redoublée d’une obligation d’endosser la responsabilité du processus en particulier lorsque l’accompagnement social cesse, non parce qu’il n’a plus lieu d’être, mais parce qu’il a échoué et que les vulnérables de papier sont devenus tels dans la réalité. Ainsi ces nouveaux exclus font l’objet d’un suivi à distance de la part de la main gauche des États sociaux tout au long de leur prise en charge. Ils les activent, les accompagnent et évaluent leurs performances et leurs progrès dans l’autonomie partielle – car toujours sous contrôle – et la prise en charge d’eux-mêmes partagée avec des tiers, protecteurs et gardiens à la fois.
Ce troisième schéma de gouvernement s’est progressivement dessiné et mis en place depuis le milieu des années 1980 dans les social-démocraties tandis que la conversion de l’approche des pauvres en nouveaux misérables, pitoyables et dangereux à la fois, s’accomplissait. Les vulnérables sont par conséquent envisagés en même temps comme des êtres humains atteints dans leur dignité et comme moralement responsables des conséquences délétères de leur indigence. La perception publique et le traitement juridico-politique se sont donc inversés radicalement pour renouer avec le premier schéma hygiéniste et coercitif remis au goût du jour [6]. De détenteurs de droits et libertés individuelles, privés de leur garantie et empêchés de les exercer, les nécessiteux ont été ainsi changés en victimes individualisées et essentialisées comme traumatisées de la vie [7]. Elles sont secourues par pitié et accompagnées, parfois avec compassion mais surtout avec fermeté, pour les obliger à promouvoir leur survie sociale future dans le respect des normes imposées par les élites démocratiques.
Le nouveau modèle à l’œuvre a donc pour cible principale les populations pauvres, notamment migrantes ou nomades, catégorisées comme les-plus-vulnérables. Il est fondé sur un « ensemble d’institutions, de procédures, d’analyses et réflexions, de calculs et de tactiques », qui permettent aux États-Nations ou communautés d’États démocratiques postindustriels d’exercer une nouvelle forme de pouvoir sur les corps et les esprits [8]. Il résulte de l’agencement et de l’articulation inédite des dispositifs disciplinaires, de contrôle et de sécurité à l’échelle continentale ou internationale développés dans le dernier quart de siècle [9]. Ce régime n’est pas, dans les États démocratiques dans lesquels il a cours, simplement disciplinaire, biopolitique ou de contrôle mais les trois à la fois. Il applique ce modèle que Michel Foucault dénomma hétérotopique non seulement à ceux qu’on désignait naguère de façon générique comme marginaux ou exclus mais aussi, plus largement, à d’autres groupes sociaux ciblés comme vulnérables [10]. Une nouvelle technologie de protection rapprochée est en voie de diffusion et de standardisation à d’autres victimes de la souffrance sociale. Elle se caractérise par la mise à distance et le contrôle normatif et moral des vulnérables dans le souci d’eux-mêmes et vis-à-vis de ceux qui prennent soin d’eux. Elle est de plus spécifique en ce qu’elle incite ces derniers de manière contradictoire à l’autonomie et à la participation à la vie sociale et politique en les isolant. La notion de souffrance sociale, proposée par Pierre Bourdieu [11], après avoir été introduite par deux psychiatres en psychosociologie du travail [12] puis promue dans la philosophie morale qui s’interroge sur les atteintes à la dignité des pauvres [13], conduit à psychologiser les discours sur la question sociale et sur les rapports des catégories populaires au reste de la société démocratique. Elle les englobe dans un ensemble plus vaste, transclassiste, pour en faire victimes posées dans la singularité de leur sort, devenues objets de l’analyse politique et cible de l’action publique.
Le dispositif de protection rapprochée, base du gouvernement des vulnérables et des autres, est inédit sous deux autres aspects. D’une part il combine la dématérialisation du contrôle à distance avec la délégation de son suivi à des acteurs de proximité voire aux intéressés eux-mêmes sous la forme de nouvelles disciplines et d’encadrement de proximité. D’autre part, au moment même où il commençait d’être appliqué, il a donné lieu à une expertise et une théorisation instantanée des savoir-faire et savoirs qui le fondent et se donne à lire dans des discours protéiformes, basés sur des notions labiles. Ces « nouveaux savoirs » techniques, experts et scientifiques transversaux sur la vulnérabilité vont des sciences du vivant à celles de la société et sont les pièces maîtresses de cet appareil. Ils consistent d’abord en des seuils et des indices de dénombrement des pauvres (pauvreté relative et absolue, subjective et objective) et des indicateurs qualitatifs de la nouvelle pauvreté et son envers (vulnérabilités versus capabilités) par niveau et forme de risque. Les indicateurs statistiques s’appuient ensuite sur des théories de la fragilité physiologique et de la précarité sociale, qui en justifient l’usage en leur donnant une portée de description et d’objec-tivation de la réalité qu’elles tentent de quantifier. Les modèles d’interprétation savants qui les légitiment se sont constitués dans le dernier quart du XXesiècle autour de la notion de risques et de la gestion des crises et accidents, qu’ils soient climatiques, industriels, économiques ou politiques pour les populations et les territoires dits vulnérables.
Ils sont constitutifs de nouveaux appareils de gouvernement à distance post-démocratique. Ce dernier repose sur l’invention d’une citoyenneté palliative pour ces individus collectifs que sont devenus les pauvres, réunis sous des étiquettes, dépareillées d’abord, puis systématisées en taxinomies savantes et classements sociaux -d’exclus dans les années 1980 et, depuis lors, de vulnérables. La nouvelle forme de gouvernement est post-démocratique en ce qu’elle a des effets tant sur celles et ceux qui, visés par lui, subissent le coût social et psychique de cette nouvelle condition de précarité statutaire perpétuelle, que sur la réalité du modèle politique et social. C’est cette histoire de trenteans où l’ingéniosité des experts, les savoir-faire des politiques et l’adresse des savants se sont conjugués pour transformer ceux qui, naguère, étaient envisagés comme provisoirement contraints à vivre d’expédients et pouvant en témoigner, en perpétuellement vulnérables, privés de tout même de la parole et de la possibilité de sortir de cet état transitoire devenu sans fin que ce livre retrace.
Origine et propos de cet ouvrage
Cet ouvrage propose une sociohistoire de la vulnérabilité comme concept, comme catégorie et comme instrument des politiques publiques – nationales et internationales – et une analyse de ses effets psychiques et sociaux sur ceux qui se voient accoler cette étiquette et sont traités en conséquence. Pour ce faire la perspective théorique retenue articule une approche archéologique et socio-historique de l’État social et colonial [14] avec celle de la psychiatrie de guerre [15] et enfin celle la clinique psychanalytique du fantôme [16].
La lecture des travaux anthropologiques du courant des Culturals et des Postcolonial Studies [17], en particulier de ceux portant sur les processus d’assujettissement et sur les disciplines, formes de contrôle incorporées, tant dans les pratiques que dans les savoirs administratifs et scientifiques coloniaux, a conduit à élargir la perspective d’analyse et l’objet du livre, initialement focalisé sur le cas français de traitement des pauvres et de leur situation. Il a été recentré sur l’étude des formes et les effets sur les vulnérables de la mauvaise foi des experts et des acteurs comme du regard éloigné, voire détourné des scientifiques [18]. Ces processus sont comparables à ceux observés par nombre d’auteurs de ce courant à propos des formes de perceptions savantes, publiques et ordinaires concernant les subalternes durant la colonisation et après [19].
Car l’attitude intellectuelle et affective des agents administratifs, des experts et intellectuels qui usent aujourd’hui du champ sémantique de la précarité et de la fragilité, en passant sans cesse de l’adjectif au nom et du pluriel au singulier – des précaires à la précarité et inversement des personnes vulnérables à la vulnérabilité – et s’inquiètent de leur avenir, n’est pas différente de celle des acteurs publics et des savants concernant les populations colonisées puis décolonisées des empires européens. Qu’il s’agisse des discours et des catégories racisées qui, sans fin, subdivisent les dénominations des métis en fonction du degré de parenté avec le premier couple parental mixte dans les cas antillais ou amérindien [20], ou de la différenciation des États et des degrés d’exclusion par public de l’assistance, la démarche taxinomique et classificatoire est la même. Elle consiste à découper des catégories statistiques et à leur appliquer des traitements distincts, la dernière repoussant la précédente plus loin dans la marginalité sociale. À chaque fois de nouvelles dénominations et sous-classes sont ajoutées aux précédentes sans qu’elles s’y substituent dans un procédé étrange de rémanence, de récurrence et d’addition des catégories que nous cherchons à étudier ici [21].
Le disregard sur les colonisés ou sur les vulnérables recouvre un large spectre de modalités de mise à distance émotionnelle et savante, chez tous ceux qui se penchent sur le sort des pauvres [22]. Il va de l’ignorance affichée de la condition matérielle et symbolique ainsi que de la position insupportable que savants, intellectuels, journalistes ou acteurs politiques et économiques, font endosser aux vulnérables en les désignant et les traitant comme tels, et non comme des égaux en droits et libertés, à l’exhibition stigmatisante. En effet certains vulnérables se voient caricaturés en portraits-types ambigus, emblématiques de l’intolérable de cette condition, en particulier quand ils s’insurgent et mobilisent leurs proches pour lutter contre elle et qu’ils tombent non en héros mais en délinquants dénoncés comme violents par les mêmes journalistes qui les exaltaient et racontent alors leur calvaire. Cette surexposition de quelques-uns, qui a des effets de réification sur eux, s’accompagne de la scotomisation des groupes auxquels appartiennent ces figures du martyre et qu’elles sont censées incarner. Ainsi à la fois exposés comme exception sensationnelle et mis hors de la vue de leurs concitoyens dans leur ordinaire, ils sont dans le même temps pour les uns écartés ou contenus, pour les autres expulsés manu militari des territoires démocratiques.
Le propos principal de l’ouvrage consiste à décrire la genèse et la diffusion de la catégorie intellectuelle et opérationnelle de la vulnérabilité, effet des dispositions intellectuelles et politiques, européano et domino-centriques et d’envisager comment cette catégorie vient s’articuler à celles dont elle est issue : la pauvreté et l’exclusion. L’analyse se centre exclusivement sur les modalités de la construction internationale publique et savante de cette catégorie et sur les effets statutaires et symboliques de son instrumentation sur les populations pauvres. Les données et les informations issues de l’observation ethnographique et des entretiens menés auprès de ces populations ont été laissées de côté dans cet ouvrage pour sortir du leurre qui consiste à faire parler les dits vulnérables. Ce choix résulte de la volonté d’éviter l’écueil d’expliciter le point de vue de ces supposés muets – postulés comme inexistants comme sujets de discours de la théorie sociale sur leur propre condition et sur ces catégories qui les réifient [23]. Nous ne voulions pas adopter une posture surplombante prétendant dévoiler les dessous de la vie des invisibles. En effet, qu’ils esthétisent, dénoncent la détresse et l’indigence des vulnérables ou glorifient leur courage, ces discours par délégation auto-attribuée se trouvent à tous les coups énoncer la prise de position qu’ils dénoncent, à savoir celle de la confiscation de la parole des opprimés ou de sa traduction. Bref pour ne pas constituer de toutes pièces un supposé « discours des vulnérables » dont se soutient effectivement comme de celui de l’esclave, ceux de l’universitaire ou du maître, l’ouvrage se limite à l’examen des processus et des termes utilisés par ceux qui en parlent et se font leurs porte-parole [24].
Dans la première partie nous fondons notre démonstration sur un corpus de littérature (scientifique, engagée et grise) à la fois international, européen et français. Dans la seconde nous -l’appuyons sur l’analyse des normes juridiques, éthiques et politiques européennes et françaises. Quant à la troisième partie, elle exploite des données empiriques quantitatives que nous avons contribué à constituer avec des statisticiens et des médecins de santé publique. Nous avons plus particulièrement suivi les programmes de statistiques épidémiologiques et sociales en tant que conseiller scientifique d’une direction statistique chargée de l’élaboration des indicateurs sociaux à propose des publics de l’aide et de l’assistance sociale entre1999 et2004. Cette troisième partie a pris progressivement corps à partir des éléments empiriques issus d’enquêtes qualitatives reposant sur des entretiens semi-directifs que nous avons conduits ou encadrées sur les transformations des politiques sanitaires et sociales, et à partir d’une observation ethno-graphique menée dans un service gériatrique aigu d’un hôpital parisien de 2001 à 2005. Nous servent ainsi de substrat d’une part les notes que nous avons collectées en tant qu’observatrice des procédures de dénombrement et de définitions des usagers et des publics dépendants par les organismes statistiques et d’autre part celles rédigées sur la vie quotidienne d’un service parisien de médecine gériatrique, à partir de nombreux entretiens informels avec les personnes hospitalisées et leur famille et avec les personnels. Nous avons également pu analyser des interviews réalisées par des sociologues et des médecins avec une centaine de personnes composant le personnel des services de gériatrie de six grands centres hospitalo-universitaires. Cette partie se nourrit aussi des nombreux entretiens sur les aides à domicile et les perceptions des personnes à qui elles étaient délivrées, dont nous avons codéfini et corédigé la trame et les rapports d’enquête avec des sociologues, des anthropologues et des médecins formés à la science politique.
Nous faisons aussi fonds sur des entretiens avec les bénévoles et avec les accueillis d’une organisation caritative, qui propose des lieux de halte de jour et offre secours alimentaire et accompagnement social aux personnes itinérantes et sans abri dans différentes villes de France durant l’été 1997, ainsi qu’avec des chômeurs durant des manifestations de l’année 1998. Ce sont surtout les centaines d’échanges ou de rencontres répétées avec des personnes âgées de plus de 85ans en institution et à domicile de 1987 à 1996 et avec les familles et les professionnels de la prise en charge de personnes âgées dépendantes qui constituent la base de cette réflexion. Enfin ce sont les analysants qui m’ont permis de donner un sens, une âme et une utilité humaine à ces multiples fragments d’impressions, d’émotions et de représentations recueillis au fil du temps.
Plan de l’ouvrage
Ce livre retrace la carrière de ces mots ordinaires interchangeables ou/et réversibles, d’abord utilisés dans le langage courant ou dans la littérature chrétienne ou romanesque. Comment sont-ils devenus des termes indissociables dont se composent les énoncés performatifs des savants, leurs schèmes explicatifs, les outils des experts et les instruments des politiques sociales ? Il s’agit d’expliciter comment ils constituent aujourd’hui un moyen d’effectuer ce qu’ils disent. En désignant comme tels celles et ceux qu’ils différencient du reste du monde non plus comme prolétaires entré(e)s dans l’obscurité de la fin des théories marxistes de conflits sociaux, mais comme victimes, au moins potentielles, dont l’existence est menacée par les risques sociaux et naturels, ceux qui usent de ces mots les assignent, aux bords du politique et de la société et au devoir d’en sortir sous peine d’être mis durablement au ban [25]. Cette convocation est porteuse d’effets ravageurs sur la vie psychique et sociale des sujets concernés.
La première partie s’intéresse à la montée de la popularité du champ sémantique de la vulnérabilité dans les langages ordinaires et experts. Elle retrace les circuits de diffusion internationaux successifs qui le banalisent et le disséminent. Le chapitreIer, « Une métaphore nomade », repère l’origine du terme et ses utilisations en déterminant d’une part les répertoires d’usage populaire, littéraire ou philosophique qui fondent cet édifice et d’autre part les registres actuels de significations intriquées entre le savant et le politique où le discours du savoir et les mots de l’appareil de contrôle à distance s’interpénètrent pour forger cette langue performative du gouvernement des pauvres. Le chapitre2, « Un terme technique universel », se focalise sur l’actualisation et la normalisation des mots de la vulnérabilité dans le jargon des experts des grandes organisations internationales. En partant des usages dans la littérature grise et de la construction d’indicateurs pour quantifier la vulnérabilité humaine et territoriale, il étudie comment les populations ainsi prises en compte sont identifiées, étiquetées et distinguées notamment des pauvres et traitées par ces mots. Enfin le chapitre3, « Un concept voyageur », s’intéresse plus particulièrement aux modes de légitimation de la vulnérabilité comme concept pertinent des sciences à la fois médicales et sociales.
La deuxième partie examine les nouvelles règles de gouvernement des pauvres qui en découlent. La question centrale qui est posée est celle des modalités d’encadrement instaurant des rapports de domination politique et symbolique euphémisés mais renforcés. Elle interroge les modes de production de schèmes d’intervention sociale paradoxaux fondés, sur des principes juridiques et politiques fondamentaux antinomiques, que les industriels de la vulnérabilité parviennent cependant à concilier dans les discours cautionnant des formes d’actions aporétiques [26]. Ces schèmes s’appuient sur des justifications binaires et antithétiques où la vulnérabilité, telle le pharmakon de Platon, est à la fois poison et remède, drogue et médicament [27], et désignent la pathologie des sociétés globalisées et sa solution. Ils recouvrent une rationalité qui escamote les questions classiques des inégalités de classe, de genre et de race en les voilant sous ce vocable pour en faire un cadre d’entendement et -d’action fédérateur. Le chapitre4, « L’équité contre l’égalité », envisage d’abord les paradoxes du discours et des mises en œuvre du traitement équitable et de l’égalité des chances. Le chapitre5, « La rhétorique de la dignité », décrit ensuite l’essor de la notion à l’œuvre dans les discours experts notamment juridiques et dans ceux, caritatifs, des associations de défense des droits des personnes. Enfin le chapitre6, « Contrôle et protection rapprochée », analyse les formes, inédites jusque-là en démocratie, d’intervention publique et de prise en charge des populations marginalisées par un contrôle à distance dont, désormais envisagées et indiciées négativement dans les termes de la vulnérabilité, de la fragilité, de la précarité et du risque, elles font l’objet.
La troisième partie envisage les effets politiques, sociaux et psychiques de ce traitement des pauvres via la mise en œuvre des dispositifs de savoir et de pouvoir sur leurs cibles. Il s’agit de comprendre quelles conséquences ont sur les personnes elles-mêmes cette individualisation et cette psychologisation du gouvernement des vulnérables, processus associé à l’obligation qui leur est faite d’y participer comme sujets-objets. Les politiques publiques démocratiques soutiennent, promeuvent et initient des formes de participation sociale de proximité et ségréguées, et requièrent d’elles et d’eux une citoyenneté non orientée politiquement ni impliquée dans les débats partisans. Au contraire, ce qui leur est proposé collectivement c’est de se voir garanti, souvent par d’autres qu’eux-mêmes, à savoir des proches ou professionnels des politiques sociales, ceux des droits et libertés fondamentaux qui ne peuvent être exigés contre les gouvernements ou les organisations supra nationales, comme la sécurité physique, psychique ou sociale, leur intégrité ou leur dignité de personnes humaines. Le chapitre7, « Des citoyens palliatifs », envisage comment ces deux injonctions à l’autonomie et à la responsabilité adressées aux pauvres sont mises en œuvre. En outre, si les vulnérables adoptent les dispositions dociles attendues et notamment celles de cet hypercivisme apolitique exigé d’eux et dont dépend la promotion de leurs droits au quotidien, les risques sociaux et psychiques qu’ils courent sont doubles et symétriques, soit celui de l’exposition médiatique subie et éphémère soit celui de leur invisibilisation comme le montre le chapitre8, « Entre exposition et mise au secret ». Enfin le chapitre9, « De la victimisation à la désubjectivation », décrit comment l’incitation à témoigner de leur état renforce cette dépossession d’eux-mêmes et de leur subjectivité. Soit ils parlent soit ils s’en remettent à des tiers qui font d’eux des corps qui crient ou des âmes en peine fantômisées et réduites au silence.
Introduction
Épistémè de la vulnérabilité
et gouvernement post-démocratique des pauvres
Origine et propos de cet ouvrage
Plan de l’ouvrage
Première partie . LE MOT
L’archéologie d’une métaphore
Chapitre premier . Une métaphore nomade
Le parti pris méthodologique de l’ouvrage
Une approche archéologique
Une analyse des discours d’en haut
La métaphore en guise de définition et de qualification
Fragilité, état de faiblesse et résilience
Les étymologies opportunistes de la précarité
Des formes lexicales multiples
Des figures rhétoriques intriquées
Fitzgerald, Winnicott :
la métaphore de la fêlure et de l’effondrement
Emboîtements et chaînes métonymiques
Précarité ontologique et vulnérabilité essentielle
Une rhétorique performative
Chapitre 2 . Un terme technique universel ?
Développement humain et vulnérabilité
Identifier les risques
Les définitions de la vulnérabilité humaine
Les indicateurs de développement humain
Différencier la vulnérabilité de la pauvreté
De l’indice de développement humain à celui de pauvreté humaine
Les index de vulnérabilité et la mesure de la fragilité
La vulnérabilité depuis le cyclone Katrina
Chapitre 3 . Un concept voyageur
Les experts européens face aux vulnérables et aux précaires :
une perspective originale ?
Les trois âges de la pauvreté
La précarité et la vulnérabilité, composantes de l’exclusion sociale
Vers un néo-hygiénisme dans les sciences sociales françaises
Fragilité et vulnérabilité, coping et résilience dans le champ médical
La fragilité, pathologie phare
ou syndrome de la discipline gériatrique
La résilience psychique :
un concept âgiste et classiste issu de la psychologie coloniale
De la vulnérabilité au coping et à la résilience :
une diffusion internationale dans les sciences du psychisme
Un ordre sociobiologique
Deuxième partie . LES NORMES
Vers un nouveau triptyque républicain
Chapitre 4 . L’équité contre l’égalité
L’équité principe auxiliaire de l’égalité
Égalité des droits et solidarité nationale :
deux principes fondateurs du contrat social démocratique
L’équité comme technique de concrétisation
de l’égalité et de la solidarité
La technique de l’équité comme égalité proportionnée
La généralisation de l’usage de l’équité
L’équité, substitut de l’égalité
L’équité, un objectif autonome de politiques sociales
L’équité pour « épouser la réalité »
L’équité déconnectée de l’égalité : le tournant de la loi sur le RMI
L’égalité des chances contre l’égalité des droits
Chapitre 5 . La rhétorique de la dignité
La dignité, un droit humain en expansion
Dignité, sécurité et égalité des droits,
des principes fondamentaux universels
Le respect de l’égale dignité dans l’État social français :
un objectif à valeur constitutionnelle
Un universel pour gouverner les pauvres et les vulnérables
Un principe clé de la lutte contre l’exclusion sociale en France
Une invocation anachronique et paradoxale
Protéger le pauvre dans sa vie nue
Chapitre 6 . Responsabilité et protection rapprochée
Pauvres mais dignes
Protéger la dignité et la sécurité des pauvres contre eux-mêmes
Moraliser la misère
La dignité opposée aux pauvres :
dilemmes moraux et juridiques et apories philosophiques
Responsables, autonomes et protégés
Défense de la société, maintien de l’ordre
et intégration des pauvres
Entre hospitalisation et hospicialisation à domicile :
le modèle de prise en charge des dépendants
Le nouveau modèle de « protection rapprochée »,
une homogénéisation du traitement de la fin de vie
Imposer de force le souci de soi
Troisième partie . LES EFFETS
Une émancipation sans sujet
Chapitre 7 . Des citoyens palliatifs
Des personnes minorisées et marginalisées
Des hommes et des femmes sans qualité
Le renfermement dans l’entre-soi
Un individu collectif sous tension
Une autonomie et une citoyenneté conditionnées
Un usager sans libre arbitre
Un sujet sans droit à l’expression de sa volonté
Les effets pervers de la protection
Une citoyenneté politique confisquée
Chapitre 8 . Entre exposition et mise au secret
Le surgissement des vulnérables dans l’espace public
L’âge politique des vulnérables ?
Scholars in Commitment : mouvements des chômeurs
et renouveau de l’engagement des intellectuels
Une visibilité scientifique qui cache les vulnérables
L’OPA sur les gueux et ses ressorts dramaturgiques
Des formes d’action télégéniques
Une mise en récit percutante
Des héros aux martyrs
L’engagement ou la loyauté
Chapitre 9 . De la victimisation à la destitution subjective
Des victimes effondrées, des témoins impuissants
Les vulnérables dans la dépression
Des malheurs expressifs et esthétiques
L’injonction à témoigner et à montrer ses souffrances
Des sujets destitués
Les atteintes à l’intégrité subjective
Des plaignants désavoués
Des êtres effacés
La complainte de l’entre-deux-morts
Conclusion
Sécurité et gouvernement des vulnérables
Le travail des corps et l’œuvre des mains
Les nouveaux misérables
NOTES
[1] . Michel Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p.13.
[2] . Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
[3] . Selon le terme du président Lyndon B. Johnson. À ce sujet Frances Fox-Piven, Richard A. Cloward, Regulating the poor : The functions of Public Welfare, New York, Vintage, 1971.
[4] . Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 ; Karl Polanyi, The Great Transformation [1944], trad. fr., La Grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983.
[5] . Marc Bernardot, Camps d’étrangers, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008.
[6] . Au sujet de cette représentation ambivalente des pauvres qui a cours depuis l’Ancien Régime voir Jean-Louis Goglin, Les misérables dans l’Occident médiéval, Paris, Seuil, 1976 ; Bronislaw Geremek, La potence et la pitié. L’Europe et les pauvres du Moyen Âge à nos jours, Paris, Gallimard 1987 ; Eugen Weber, La fin des terroirs, Paris, Fayard, 1994 ; André Gueslin, Gens pauvres, Pauvres gens dans la France du xixesiècle, Paris, Aubier, 1998.
[7] . Didier Fassin et Richard Rechtman, L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007.
[8] . Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, Paris, Hautes Études/Gallimard/Seuil, 2004, pp. 111-112.
[9] . Gilles Deleuze, « Postscriptum sur les sociétés de contrôle » in Pourparlers, Paris, Minuit, 1990, pp. 240-247 ; Toni Negri et Michael Hardt, Empire, Paris, Exils, 2000.
[10] . Michel Foucault, « Des espaces autres », in Dits et écrits II, op. cit., pp. 1571-1581.
[11] . À propos de la souffrance sociale et de la notion trans-classiste de misère de position, se reporter à la postface de La misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p.1453.
[12] . Christophe Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, 1998 et Marie-France Hirigoyen, Le harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, Paris, Syros, 1998.
[13] . Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, 2000 et Emmanuel Renault, Souffrances sociales. Philosophie, psychologie et politique, Paris, La Découverte, 2008.
[14] . Pierre Legendre, Trésor historique de l’État en France. L’administration classique, Paris, Fayard, 1992 ; Edward Saïd, Culture et impérialisme, Paris, Fayard, 2000.
[15] . Shoshana Felman et Dori Laub (dir.), Testimony : Crises of Witnessing in Literature Psychoanalysis and History, Londres, Routledge, 1991 ; Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière, History Beyond Trauma. Whereof one cannot speak thereof cannot stay in silence, New York, Other Press, 2004.
[16] . Alain de Mijolla, Les visiteurs du moi. Fantasmes d’identification, Paris, Belles Lettres, 1981 ; Didier Dumas, L’ange et le fantôme. Introduction à la clinique de l’impensé généalogique, Paris, Minuit, 1985 ; Claude Nachin, Les fantômes de l’âme, Paris, l’Harmattan, 1993 ; Serge Tisseron et alii (dir.), Le psychisme à l’épreuve des générations. Clinique du fantôme, Paris, Dunod, 1995 ; Nicolas Abraham et Maria Torok, L’écorce et le noyau, Flammarion, 1996.
[17] . Notamment Frederick Cooper et Ann Stoler, Tensions of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois World, Berkeley, University of California Press, 1997 ; Homi K. Bhabha, Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, [1994], trad. fr., Paris, Payot, 2007 ; Stuart Hall, Identités et cultures. Politiques des Cultural Studies, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.
[18] . Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, essai d’ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943 ; Claude Lévi-Strauss, Le regard éloigné, Paris, Plon, 1943.
[19] . Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, [1986], Paris, Éditions Amsterdam, 2009 ; James C. Scott, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, [1992], trad. fr., Paris, Éditions Amsterdam, 2008, Judith Butler, La vie psychique du pouvoir. L’assujettissement en théories, [1997], Paris, Éditions Léo Scheer, 2002.
[20] . Stéphanie Mulot, « Chabines et métisses dans l’univers antillais. Entre assignations et négociations identitaires », Clio, 27, 1, 2008, pp.115-133.
[21] . Michel Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.163 ; Hélène Thomas, La production des exclus, Paris, PUF, 1997, p.36.
[22] . Ann Laura Stoler, « Tense and Tender Ties : The Politics of Comparison in North American History and (Post)-Colonial Studies », in Ann Stoler (ed.), Haunted by Empire. Geographies of Intimacy in North American History, Durham/Londres, Duke University press, 2006, pp. 23-70.
[23] . Colette Guillaumin, « Femmes et théories de la société : remarques sur les effets théoriques de la colère des opprimées », Sociologie et sociétés, 13, 2, 1981, pp. 19-32.
[24] . Jacques Lacan, Le séminaire 1969-1970, L’envers de la psychanalyse, Livre VII, Paris, Seuil, 1998.
[25] . Jacques Rancière, Aux bords du politique, Paris, Gallimard, 2003 ; Michel Agier, Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Paris, Flammarion, 2008 ; Alain Brossat, L’épreuve du désastre. Le xxesiècle et les camps, Albin Michel, 1996.
[26] . Jacques Derrida, Apories, Paris, Galilée, 1996.
[27] . Jacques Derrida, La dissémination, Paris, Seuil, 1972.