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Les associations de Sénégalais en Italie. Construction de citoyenneté et potentialités de co-développement

Bruno Riccio
Bruno Riccio est docteur en anthropologie sociale de l’université du Sussex. Il est actuellement chercheur et chargé de cours en anthropologie culturelle et anthropologie et ethnographie des processus migratoires à l’Université de Bologne (Italie). Il suit depuis une dizaine d’années des recherches sur les migrations transnationales sénégalaises, le (...)

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Bruno Riccio, "Les associations de Sénégalais en Italie. Construction de citoyenneté et potentialités de co-développement ", REVUE Asylon(s), N°3, mars 2008

ISBN : 979-10-95908-07-4 9791095908074, Migrations et Sénégal., url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article714.html

résumé

Le papier veut documenter et discuter la profonde diversification des formes associatives avec lesquelles les migrants sénégalais entrent dans la sphère publique italienne contemporaine. Une multiplicité d’acteurs joue des rôles importants dans l’interface avec les institutions italiennes en même temps qu’elle est cruciale dans le maintien des connexions transnationales avec le pays d’origine.

Introduction

Le papier veut documenter et discuter la profonde diversification des formes associatives avec lesquelles les migrants sénégalais entrent dans la sphère publique italienne contemporaine. Les organisations religieuses coexistent avec des associations nationales et laïques ainsi que des associations de ressortissants. Cette multiplicité d’acteurs joue des rôles importants dans l’interface avec les institutions italiennes en même temps qu’elle est cruciale dans le maintien des connexions transnationales avec le pays d’origine. [1]

La migration sénégalaise débuta au commencement des années 1980 par des flux provenant initialement de la France (qui avait fermé ses frontières à la fin des années 1970) et, plus tard, directement du Sénégal à destination des îles comme la Sicile — ainsi que de la Sardaigne (qui reste une destination relativement significative) et Rome. Toutes les études disponibles mettent l’accent sur la croissance de la population au cours des années 1980 et des années 1990. Les données les plus récentes font état de 65136 sénégalais (Caritas, 2007). En 2006, cependant, les sénégalais résidant régulièrement en Italie étaient constitués principalement d’hommes (85%) migrant individuellement. Ils tendaient, en général, à s’établir dans le nord : en Lombardie, en Veneto et dans l’Emilia Romagna. Même s’il était de moindre importance par rapport aux autres communautés de migrants, le nombre de femmes (15%) augmentait régulièrement à travers les procédures de regroupement familial. Cette tendance confirme une orientation vers le contexte de départ. De ce point de vue, je suis en désaccord avec l’interprétation autrement intéressante de Mboup (2000), lorsqu’il évoque pour « les sénégalais d’Italie » une tendance à l’installation et au regroupement familial. Le mode circulatoire d’organisation de l’expérience de la migration reste le mode dominant. Les sénégalais, en plus d’être la communauté d’origine sub-saharienne la plus importante en Italie, offrent un bon exemple de migration transnationale et ils constituent un potentiel important de co-dévelopment (Riccio 2006 ; Ceschi et Stocchiero, 2007).

Pour beaucoup de sénégalais, la migration transnationale signifie l’implication dans des activités économiques (comprenant le commerce) dépassant les frontières internationales, nécessitant le parcours de grandes distances et un long séjour hors du pays d’origine, même si des retours sont effectués à des intervalles réguliers avec l’objectif d’y créer une vie économique, sociale et spirituelle acceptable pour eux-mêmes et leurs familles (Riccio, 2001 ; Bava 2002). Le retour temporaire des migrants, surtout lorsqu’il s’accompagne de manifestations ostentatoires, joue sur l’imaginaire des populations restées aux pays et constitue un facteur symbolique d’incitation à l’émigration. La réussite économique de la migration stimule le développement d’une culture spécifique : les migrants sont des héros contemporains (Tall, 2002). Beaucoup de musiciens célèbres les chantent et en font des symboles pour la société quand il faut faire l’éloge de la solidarité et du travail productif (Riccio, 2005).

En ce qui concerne l’insertion dans le marché du travail, la majorité des sénégalais ont été intégrés de façon régulière dans beaucoup de petites entreprises en tant que soudeurs, maçons, ouvriers, mécaniciens, peintres du bâtiment (Scidà, 2002 ; Ceschi 2005). Beaucoup ont trouvé des emplois par leurs propres démarches ou grâce à leurs compatriotes avec lesquels ils entretiennent des relations de parenté ou d’amitié. En outre, la mise en relief des activités économiques de nombreux sénégalais a permis de constater l’importance du travail autonome, surtout dans le secteur du commerce qui parfois bénéficie d’une organisation transnationale (Ebin 1995). Le commerce ambulant a vécu dans le dernier temps un processus de régularisation. Cependant, nombre de travailleurs autonomes ont montés une activité commerciale de détaillantes et seulement quelques-uns travaillent comme grossistes.

Les sénégalais qui résident en Italie forment une communauté multiethnique et multiconfessionnelle. En effet, outre la majorité Wolof et mouride, on note la présence de Peuls, Sérères, Toucouleurs et Diola. Les liens de solidarité sont plus solides et ouverts entre les migrants. En conséquence, les divisions à l’œuvre au Sénégal sont atténuées dans les pays d’accueil, et les logiques de solidarité sont plus fortes que celles d’exclusion portées par les différences ethniques et religieuses. Cette variété peut se traduire dans différentes trajectoires dans l’associationnisme.

Les associations et cercles religieux

Comparativement au Sénégal (Piga 2002 ; Diop 2002) et à la France (Diop 1985), les fonctions institutionnelles mourides restent encore peu visibles en Italie, même si elles connaissent un développement très rapide. Les dahira (associations religieuses) sont mis en place dans différentes villes (Carter 1997). Selon Schmidt di Friedberg (1994) le mouvement mouride a déjà montré sa capacité à jouer, pour ses membres, le rôle d’un « holding » économique et celui d’un système de protection sociale à petite échelle, une organisation de « lobbying » et un cadre de référence culturelle et spirituelle. Dans ces conditions, il renforce la solidarité inter-groupe tout en améliorant les relations avec la société d’accueil. Les mourides soulignent souvent, lorsqu’ils abordent la question de l’expérience migratoire, le rôle décisif de leur confrérie dans le respect des règles de leur société d’accueil. La confrérie mouride est inscrite dans un champ social transnational qui lui permet de contrôler les comportements potentiellement déviants au travers du déroulement des conversations orales, de la vente de cassettes contenant des prières, des xassaïd (poèmes religieux) et des ndigël (commandements, décrets) du khalife ou de l’establishment de Touba, la capitale des mourides (Gueye 2002). Ce contrôle est conçu et renforcé principalement par les dahira implantés à travers le pays d’accueil et par les visites fréquentes des marabouts (Riccio 2006). À travers les dahira, la confrérie mouride est aussi capable d’organiser l’interface avec les institutions du contexte d’accueil et de canaliser d’importantes ressources vers le pays de départ, Touba en particulier. Le dahira le plus important, qui compte environ 5000 adhérents et a construit une résidence d’accueil pour les grands marabouts durant leurs visites en Italie, est localisé à Ponte Vico, dans la province de Brescia. Les autres structures homologues qui retiennent l’attention sont celles de Zingonia (province de Bergame), de Lido Adriano (province de Ravenne), de Pise et d’autres villes telles que Milan, Rome et Turin.

Cependant, on note la diffusion, à une échelle significative, d’une perception stéréotypée du mouridisme en raison de la prégnance en milieu social italien d’une approche superficielle du rapport du migrant sénégalais à la religion. La confrérie mouride est souvent vue comme une organisation mystérieuse, exerçant le pouvoir de décider de la vie des disciples composés ici de personnes souvent impliquées dans l’organisation du commerce et de la migration (Riccio 1999). La muridiyya aide à marquer l’espace italien par la mise en place de réseaux et de points de référence. Les mourides partagent ce rôle avec les autres cadres confrériques et les réseaux fondés sur la parenté et la solidarité nouée au travers des négociations économiques. L’organisation religieuse est importante pour maintenir l’identité transnationale, offrir aux migrants des points de références spirituelles et idéologiques et, de manière principalement indirecte, aider au développement de multiples réseaux. Les personnes se meuvent dans un réseau complexe de significations symboliques et de connexions personnelles et cherchent à y faire leur vie tout en laissant d’autres options ouvertes.

Les associations non-confessionnelles

Durant les années 1990, les migrants sénégalais ont développé dans les zones d’accueil de nombreuses associations non-confessionnelles. Liées entre elles par un « coordinamento » (CASI), créées souvent par des migrants informés des réalités institutionnelles de la société d’accueil, elles revendiquent leur indépendance vis-à-vis des regroupements à caractère confessionnel ou politique. Ceux qui les créent constituent l’élite qui ne représente que partiellement la communauté des migrants. L’organisation de ce type d’association montre des résultats variables selon les régions, les « différentes Italies de l’immigration » (Mottura et Pugliese 1992). Nous pouvons, cependant, noter une similarité dans les conflits potentiels entre les dirigeants et le gros des adhérents de ces associations.

Ainsi, le dirigeant de l’association peut éprouver des difficultés à gagner la confiance des commerçants originaires des milieux ruraux et susceptibles de réduire son image à celle de « l’intellectuel ». Cela perturbe le fonctionnement du cadre de vie associative et le condamne à être le site de longues luttes intestines. Les conflits procèdent aussi des différences d’affiliations dans des milieux de départ et d’accueil. Cela a été le cas à Milan ou à Ravenne dans les années 1990, avec la présence de deux grandes associations, dont l’une était perçue par les membres de l’autre comme un rouage moins « politisé » développant une « mentalité de dépendance », tandis que l’autre apparaissait sous les traits d’une structure dominée par les Italiens et n’ayant aucune indépendance (Riccio 2001). Cette division concernait néanmoins les élites parce que les sénégalais adhéraient à plus d’une association. Il existe un clivage plus important entre la base de la communauté et les élites. Pour beaucoup, les associations collectives qui comptent véritablement sont les organisations religieuses. C’est la raison pour laquelle, bien que les deux formes d’organisations (religieuses et non-confessionnelles) soient distinctes, elles ont besoin d’entretenir un dialogue pour produire une représentation réaliste dans le milieu d’accueil, tel que cela a été documenté à Brescia (Schmidt di Friedberg 1994) à Bergame (Sinatti 2005) et sur la côte de la Romagne (Pizzolati 2005).

L’association non-confessionnelle peut faire l’économie des conflits pour se présenter en modèle de réussite collective. Le regroupement associatif des migrants sénégalais de Bergame est un exemple de cohésion. Chaque membre verse une cotisation et diverses initiatives relatives aux problèmes des migrants sont ainsi financées : les funérailles, les dépenses de santé, etc. À Milan, l’association sénégalaise, qui comptait moins de membres que son homologue de Bergame, tend aujourd’hui à s’impliquer dans la gestion des urgences, en jouant le rôle de catalyseur dans la mobilisation de ressources financières en direction du Sénégal. Ici, également, il existe des embryons de programmes de mise en réseau impliquant les institutions italiennes de la province pour créer des partenariats (Mezzetti 2006). L’association des sénégalais de Turin a connu un développement inégal à la fin des années 1980. Particulièrement puissante et regroupant tous les migrants sénégalais du Piémont, entrée par la suite dans une période critique de désintégration, elle est en voie de se reconstituer (Castagnone et al. 2005). CASI a périclité et il existe d’autres formes d’organisations sociales qui entrent l’espace publique italien.

Les associations ethniques

Un type différent d’associationnisme est constitué par les associations ethniques qui sont mises en service par les membres des minorités linguistiques ou ethniques constituées au Sénégal. C’est le cas de l’Association de Fulbé d’Italie (AFI) avec environ 1400 membres et 12 sections en Italie. Par exemple, l’association Fulbé de Bergame, née en 1992, semble être très active et bien intégrée dans le tissu associatif de la province (Riccio 2007). Le but principal est celui de « maintenir et diffuser la culture, l’étude et la langue fulbé  ». L’association se propose aussi d’aider les membres qui ont des problèmes de santé ou avec la justice, mais pas de les insérer dans le marché du travail. Le front principal est donc constitué par la société italienne et ses institutions. Par exemple, il existe un projet de créer de cours de langues pulaar pour la deuxième génération de migrants. Cependant, on a pris en considération des interventions dans le domaine de l’éducation linguistique aussi pour ce qui concerne le contexte d’origine.

Les associations mixtes

Afin de rendre compte du processus de différentiation du tissu associatif sénégalais, il est nécessaire de remarquer le développement de premières associations mixtes comme l’association bénévole Diappo, constituée en 2004 à Bergame par des italiens et des sénégalais (deux tiers). Ces derniers sont en majorité des salariés possédant une instruction primaire et ils proviennent du nord du Sénégal. L’idée de créer une association mixte est née surtout de la nécessité de conjuguer l’expérience associationiste italienne avec la connaissance directe des migrants, avec le but d’aider les familles en difficulté par des activités de soutien économique et de consultation, en offrant des services d’accompagnement et de secrétariat social.

Les associations villageoises

Les associations villageoises sont les acteurs sociaux les plus entreprenants par rapport au contexte d’origine. Elles tendent à se développer dans des régions où la plupart des migrants viennent d’une même communauté territoriale. L’exemple de « l’association des ressortissants yoffois » en est une illustration. Ces regroupements s’impliquent dans des projets d’équipement communautaire en faveur des populations des zones de départ migratoire. Les fonds collectés sont investis dans l’hydraulique rurale (avec le creusement de puits), la construction de lieux de culte, de salles de classes et de centres de santé.

Néanmoins, quelques différences entre les associations ont été remarquées. La diversité entre une association et l’autre ne réside pas que dans les finalités, mais aussi dans les procédés décisionnels internes avec ses différents degrés de participation et d’ouverture aussi bien vers les hiérarchies que vers d’autre variables comme l’age ou le sexe. Bien que les associations de village s’identifient avec des finalités altruistes, elles peuvent parfois exclure des femmes ou renforcer les asymétries de pouvoir interne à la communauté. Cependant, les associations peuvent devenir aussi le lieu pour le défi de ces asymétries de pouvoir e faciliter processus d’innovation social.

Une variable qui semble distinguer ce genre d’associations est leur transnationalité multiple. Elles ne connectent pas seulement les contextes d’origine et ceux de destination, mais elles se situent dans des réseaux diasporiques mettant en communication les associations en Italie avec leurs équivalentes dans d’autres pays.Cet aspect et l’importance montrée par les rapports avec le tissu d’organisations et institutions italiennes peuvent faciliter le co-développement.

Co-développement ?

Au cours des années 1980, beaucoup de migrants originaires de l’Afrique sub-saharienne, installés en France et entretenant d’importantes relations avec leurs pays d’origine, ont créé des associations régionales ou de ressortissants de villages, initiatrices de projets de développement communautaire. Leur réalisation suppose la collecte préalable de fonds. Certains auteurs estiment que leurs intérêts légitimes dans le processus de développement doivent êtres reconnus et soutenus afin qu’elles soient d’efficaces « acteurs de développement ». Les activités de ces associations, en particulier celles des migrants Soninkés de la vallée du fleuve Sénégal sont largement documentées (Quiminal, 1991 ; Timéra, 1996 ; Daum 1998).

Ce qui distingue le co-développement des activités transnationales des associations d’émigrés, c’est l’implication d’une variété d’institutions et d’acteurs locaux « d’ici » (autorités régionales et municipales, ONG et associations basées en France ou en Italie, représentant les communautés territoriales d’origine des immigrés et bénéficiant du financement de l’État ou de l’Union européenne) et de leurs homologues (autorités locales, ONG, associations villageoises) de « là-bas », c’est-à-dire du Sud. Dans ce réseau, le rôle des émigrés comme acteurs potentiels de développement a progressivement gagné en pertinence.

La politique italienne a été quelque peu influencée par l’expérience française (Campani, Carchedi et Mottura, 1999 ; Cespi, 2004 ; Grillo et Riccio, 2004 ; Ceschi et Stocchiero, 2007). Cependant, en Italie, peu d’autorités locales étaient impliquées dans les projets de co-développement et les tentatives de collaborer avec les immigrés et leurs associations ont été minimes. Schmidt di Friedberg (2000 : 258) attire l’attention sur le fait que dans certaines régions les ONG ont demandé conseil auprès des migrants issus des pays où elles s’activent. Un nombre de projets a été mis sur pied en Toscane, en Lombardie, en Piedmont et en Emila-Romagne par des organisations italo-sénégalaises ou sénégalaises bénéficiaires du contact direct ou de la supervision des institutions italiennes, de financements provenant en grande partie de l’Union européenne, de l’OIM d’Italie.

Dans les régions pauvres, les associations ont mis en service des équipements communautaires et amélioré les systèmes d’adduction d’eau et d’irrigation. En outre, leurs activités peuvent constituer une stratégie originale caractérisée par le refus de rompre avec leurs pays d’origine tout en recherchant l’intégration. Le co-développement cherche aussi à résoudre le cynisme engendré par le développement conventionnel qui a tendance à renforcer le pouvoir de l’élite et à corrompre les régimes.

Cependant, le co-développement a souvent tendance à être trop idéologique et politique. Il s’agit d’une rhétorique qui ne permet pas de savoir qui est visé, pour quels motifs et qui est appelé à en être le destinataire. Il existe de nombreux acteurs aux intérêts et motifs divers. Par exemple, Daum (1997) montre comme le soutien apporté par Charles Pasqua, ancien ministre de l’Intérieur de la droite, aux projets porteurs d’emplois en Afrique pour les immigrés expulsés de France, a été en partie une politique de rapatriement déguisée. Même du côté de la gauche, on soutient la politique de la « migration tournante » que Daum (1997 : 206) appelle la version la « plus douce » des politiques de rapatriement. Dans les deux cas, on accentue la subordination des sociétés d’Afrique subsaharienne dans la division internationale du travail.

Le co-sviluppo italien révèle des tensions similaires à celles observées en France (Grillo et Riccio, 2004). La question est de savoir si ces politiques reflètent les demandes réelles des émigrés ou celles des planificateurs, des hommes politiques italiens qui les conçoivent ou les inspirent. Schmidt di Friedberg (2000) indique que la Ligue du Nord, un parti régional hostile à l’immigration, encourage les ONG à s’engager dans des projets de développement visant à endiguer cette forme de mobilité. Dans ce contexte, le co-sviluppo peut facilement alimenter les idéologies d’exclusion tout en prétendant offrir des avantages aux exclus. De nombreux projets ont aussi l’objectif louable de redéfinir la place de l’immigré dans la sphère publique. Mais les louanges du tiers-mondisme idéaliste partagé par les autorités municipales et les autres acteurs italiens ainsi que le rôle des associations d’émigrés en tant que médiateurs culturels ne sont pas exempts d’« ambiguïté » si les motifs des responsables municipaux sont de renvoyer les émigrés à leurs pays d’origine. Par ailleurs, les problèmes de contrôle et d’incompréhension procédant des attentes naïves, de l’idéalisation des partenaires et de la désillusion mutuelle doivent être pris en compte. En définitive, le co-développement peut fournir aux émigrés, à titre individuel ou collectif, les moyens de réussir leurs propres projets, mais il doit se montrer transparent afin de mobiliser différentes énergies, autrement bloquées à cause du manque de confiance. Au contraire, les migrants préfèrent les solutions plus informelles parce que moins lourdes, plus efficaces et sures.

Les trajectoires individuelles

Enfin, il faut mentionner les initiatives individuelles basées sur les structures associatives italiennes qui permettent aux migrants sénégalais de s’impliquer dans la construction de réseaux d’activités culturelles et économiques avec des agents du système économique ainsi que du système institutionnel dans des localités spécifiques. Par exemple, les associations impliquées dans des événements interculturels (musique, spectacle, etc.) sont de parfaites illustrations de ce type d’association. Les acteurs sociaux peuvent contribuer de façon très constructive à divers types de projets qui s’adressent à la fois au milieu de départ et à celui d’accueil, l’accès positif à des réseaux institutionnels complexes dépend aussi de la confiance que les autres associations nationales, ethniques ou religieuses peuvent avoir dans ces initiatives plutôt individuelles. Le migrant qui s’y engage seul court souvent le risque d’être stigmatisé par les autres et par d’autres types d’associations. Encore, cette suspicion a besoin d’être vaincue à l’aide d’une gestion « transparente ».

L’exception dans cette tendance est représentée par les trajectoires individuelles qui répondent à la question de la citoyenneté pour les migrants dans le contexte local. Ici, on peut rencontrer des personnes qui préfèrent s’engager dans un Conseil municipal ou provincial (Consulta degli stranieri) pour développer l’accès des migrants à la citoyenneté en général et pas autant que sénégalais, mouride, fulbé, yoffois ou autre forme d’appartenance. Cet aspect est aussi important pour le co-développement, parce que l’intégration dans le contexte d’arrivée facilite le renforcement des associations et leur potentiel impact dans le contexte de d’origine.

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NOTES

[1] Les informations sur les associations sénégalaises ici présentées ressortent de la participation à une recherche pour UN-Habitat coordonnée par Momar Coumba Diop (à paraître chez Karthala) menée en 2004 et d’une investigation menée en 2005 (Riccio 2007), pour le centre d’études CeSPI et l’ONG COOPI sur les associations et les potentiels de co-développent sénégalais dans le Nord de l’Italie (Ceschi et Stocchiero 2007).