2006
Hélène ThomasFormes, ressorts et effets de la visibilisation de la cause des sans citoyenneté.
auteur
résumé
Défense des sans-papiers et clandestins, lutte contre les discriminations envers les étrangers, garantie des droits au logement, à l’emploi, à la santé, à un revenu, à l’éducation des populations exclues, protection des libertés des personnes vulnérables (sans papiers et clandestins, enfants, et plus récemment personnes âgées maltraitées), etc., les mouvements menés au nom de la promotion de la citoyenneté des individus marginalisés dans la société française -et ainsi privés d’accès à la participation politique et à l’intégration sociale-, connaissent aujourd’hui une visibilité inédite depuis les années 1970. L’objet de cet article est de faire retour sur les conditions de ce succès médiatique, social et intellectuel, de la geste des sans citoyenneté devenus militants anti ou alter. Nous posons l’hypothèse qu’un double intérêt scientifique et intellectuel des clercs a prolongé et amplifié le succès médiatique et politique de ces causes et les a visibilisées sans que pour autant améliorer, bien au contraire, le traitement social et politique du chômage, des chômeurs et des exclus.
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à propos
Cet article est la reprise d’un article paru dans Desmons Eric (dir.), Figures de la citoyenneté, Paris, L’Harmattan, Collection « Logiques juridiques », 2006, pp.141-176 présenté ici dans sa version d’origine d’avant publication.
Il est tiré d’une contribution « “Trop d’honneur ou trop d’indignité ? Chômeurs et maltraités. L’irrésistible visibilisation de deux bonnes causes », aux Journée d’études sur « Les mobilisations émergentes. Causes, acteurs et pratiques », I.E.P. de Bordeaux, 2 et 3 décembre 2004.
A la mémoire d’Alberto R. Belloni.
Ce mouvement des chômeurs est un événement unique, extraordinaire. Contrairement à ce qu’on nous ressasse à longueur de journaux écrits ou parlés, cette exception française est quelque chose dont nous pouvons être fiers (…) ce qui constitue bien un miracle social dont on ne finira pas de sitôt de découvrir les bienfaits et les vertus (…) La première conquête de ce mouvement est le mouvement lui-même, son existence même : il arrache les chômeurs et avec eux tous les travailleurs précaires, dont le nombre s’accroît chaque jour à l’invisibilité, à l’isolement, au silence, bref à l’inexistence.
Intervention de Pierre Bourdieu le 17 janvier 1998, lors de l’occupation de l’Ecole Normale Supérieure par les chômeurs [1]
« Seigneur, avec raison je demeure étonnée.
Je me vois, dans le cours d’une même journée,
Comme une criminelle amenée en ces lieux ;
Et lorsque avec frayeur je parais à vos yeux,
Que sur mon innocence à peine je me fie,
Vous m’offrez tout d’un coup la place d’Octavie.
J’ose dire pourtant que je n’ai mérité
Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »
Jean Racine, Britannicus, 1669, Acte II, scène 3, réplique de Junie
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1 La visibilisation de la cause des sans : un événement miraculeux ?
1.2 Les sans emplois et les hommes de la rue à la télé : le succès médiatique de la misère
1.3 La révolte des miséreux : une cause fédératrice et un succès politique
1.4 Le succès social et scientifique du Noël des Misérables
2 Le Miracle des gueux : théâtre des opérations militantes, ressorts dramaturgiques et figurants de l’action
2.1 Le dit des ribauds : une mise en récit de la lutte
2.2 Du miracle au mystère des Sans : le théâtre des opérations militantes
2.3 Un miserere pour les invisibles : martyrs et miraculés et du mouvement des sans citoyenneté
3 Conclusion
4 Bibliographie et sources
4.1 Bibliographie
4.2 Sources
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Défense des sans-papiers et clandestins, lutte contre les discriminations envers les étrangers, garantie des droits au logement, à l’emploi, à la santé, à un revenu, à l’éducation des populations exclues, protection des libertés des personnes vulnérables (sans papiers et clandestins, enfants, et plus récemment personnes âgées maltraitées), etc., les mouvements menés au nom de la promotion de la citoyenneté des individus marginalisés dans la société française -et ainsi privés d’accès à la participation politique et à l’intégration sociale-, connaissent aujourd’hui une visibilité inédite depuis les années 1970. Ces bonnes causes ont émergé en France sous l’impulsion de nouveaux entrepreneurs politiques - syndicaux, associatifs et partisans -, pour devenir des modèles d’action collective dont les formes, les temporalités, les agents, les cibles et les succès seraient neufs. Ces causes auraient de surcroît donné l’occasion à celles et ceux qui s’y engageaient de recouvrer leur dignité et d’accéder à une citoyenneté sociale les réintégrant pleinement dans la Cité [2].
De fait les mouvements de sans” se seraient multipliés dans les deux dernières décennies. Leur développement a saisi et a semblé miraculeux (Bourdieu 1998 a : 102), tant aux agents syndicaux et politiques, qu’aux spécialistes français de l’étude des mobilisations ou de la sociologie de la pauvreté et des classes populaires. Il a été qualifié d’inattendu et novateur par les professionnels de la politique et de la recherche (Aguiton et Bensaïd 1997, Fillieule 1993, Mouchard 2002 : 426). Ils y ont vu, la deuxième phase du renouveau du mouvement social, après les grèves des salariés du secteur public de l’hiver 1995, « marquant le réveil soudain [de la protestation] dans un contexte social et idéologique à l’encéphalogramme plat » (Béroud, Mouriaux et Valakoulis 1998, Sommier 2003 : 16). Ces nouvelles formes de l’action collective aussi se sont développées en Belgique et en Suisse, aux Etats-Unis et au Québec, autour de causes multiples : cause des malades du SIDA, des chômeurs des sans-logis, des sans-papiers, des exclus, des prostituées… (Favre 1992, Fillieule 1993, Mathieu 2001, Mouchard 2001, Péchu 2004, Pierru 2003, Siméant 1998, Sommier et Crettiez 2002), elles ont donné lieu à des monographies et à des travaux théoriques. Ceux-ci portaient tant sur les répertoires et les fenêtres d’opportunités que sur les réseaux de mobilisation et les ressources activées (Favre 1990, Fillieule et Péchu 1993, Mac Carthy et Zald 1977 et 1987, Piven et Cloward 1977, Tilly 1986).
L’objet de cet article est de faire retour sur les conditions de ce succès médiatique, social et intellectuel, de la geste des sans citoyenneté devenus militants anti ou alter. Il s’agit de caractériser tant les formes de ces mobilisations protestataires, perçues comme miraculeuses, car multiples, multiformes et inespérées, y compris de leurs propres promoteurs, que leurs effets sur les groupes qu’elles représentent et incarnent dans les champs social et politique. Nous envisageons donc comment ces supposées nouvelles bonnes causes, ont fait rentrer les scholars en commitment (Bourdieu 2001 : 38) aux côtés des militants associatifs, syndicaux et parfois politiques pour promouvoir un nouveau genre d’action, qui allie le registre scientifico-politique de contre-expertise et la scénographie misérabiliste et bienfaisante de manifestations de papier (Champagne 1984 : 35). Désormais fédérés dans la coalition des groupements alter-mondialistes , ces mouvements mouvementistes (Offerlé 2004 : 99) constitueraient de nouveaux « nouveaux mouvements sociaux », tant par leur cadrage que par les ressources activées (Agrikoliansky et Sommier 2005, Agrikoliansky, Fillieule et Mayer 2005, Contamin 2003).
Nous cherchons ici à expliciter les raisons de ce succès médiatico-politique et scientifique et plus particulièrement du mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998. Il constituerait, avec les grandes grèves de salariés du secteur public de 1995, la matrice originaire du militantisme de la décennie suivante, l’une des « constellations initiales de la galaxie de l’anti-globalisation » (Sommier 2003 : 317). Nous pensons que ce sont des agents politiquement ou (et) scientifiquement investis occupant des positions dominées dans le champ politique (fractions minoritaires ou dissidentes des grandes centrales syndicales ou des partis politiques) ou dans le champ intellectuel [3], qui ont autonomisé et pérennisé ces conflits sociaux (Oberschall 1973) en créant des arènes et des tribunes (souvent via des revues électroniques) pour se faire entendre.
Les dits mouvements de sans présentent un double avantage pour la génération qui a développé la nouvelle French Theory des mobilisations. D’une part ils rompent en apparence avec les luttes ouvrières et permettent de reléguer aux oubliettes de l’histoire celles d’un salariat populaire en voie de disparition, comme l’interprétation marxiste du mouvement ouvrier en termes de lutte des classes (Offerlé 2004 : 98). D’autre part ils semblent offrir une terra incognita à défricher et déchiffrer pour des pionniers de l’action et de l’analyse. Lors tandis que les premiers renouaient avec les modèles d’intervention sociale et politique et les formes de combat du mouvement social d’avant la Charte d’Amiens (i.e. anarchiste et révolutionnaire), les seconds réinventaient des modèles engagés, où les clercs analysent des causes pour lesquelles ils se doivent de s’impliquer comme intellectuel collectif. Ils ont ainsi suivi le modèle et l’invitation de Pierre Bourdieu, dont l’entrée en politique, au début des années 1990 et l’engagement dans le mouvement de décembre 1995 a servi d’exemple et d’incitation au commitment, notamment autour du collectif Raison d’Agir (Offerlé 1999 : 44) [4]. La cause des sans constitue le laboratoire théorique, où les spécialistes des sciences sociales ont expérimentent la fusion entre le modèle d’interprétation des nouveaux mouvements sociaux , dominant en France dans les années 1970-1980, et les courants post-olsoniens et post-goffmaniens développés dans le monde anglo-saxon à la même période (Mann 1991, Neveu 1996).
Nous posons l’hypothèse que ce double intérêt scientifique et intellectuel des clercs a prolongé et amplifié le succès médiatique et politique de ces causes et les a visibilisées sans que pour autant améliorer, bien au contraire, le traitement social et politique du chômage, des chômeurs et des exclus (Pierru 2005, Thomas 2000). Nous postulons en outre que les bénéficiaires supposés de ces actions collectives servent le plus souvent uniquement d’emblèmes : ils sont davantage parlés et agis par ces entrepreneurs de ces causes qu’agents engagés dans la lutte déployant des stratégies individuelles dont il pourrait tirer un profit social ou politique. Les effets sociaux et politiques de cette plus grande visibilité collective sur la participation sociale et politique réelle et actuelle des individus sans citoyenneté s’avèrent alors nuls et ceux sur l’estime de soi et l’identité des intéressés souvent négatifs.
Nous fondons notre analyse sur plusieurs sources articulées. Notre matériau empirique comprend deux types d’éléments. Il est d’abord constitué d’un corpus de littérature (scientifique, engagée et grise) français à propos des mouvements de sans et d’articles de la presse écrite nationale et locale sur la période 1995-2005. Nous utilisons aussi nos données d’enquêtes sur ces mouvements (entretiens, observations ethnographiques, tracts, comptes-rendus de réunions, enquête par questionnaires…) et sur leurs destinataires, recueillies notamment durant les grèves de chômeurs de l’hiver 1997-1998 et entre 2003 et 2005 [5]. Nous mobilisons différents paradigmes de la sociologie politique pour les analyser - et notamment les travaux des analystes français de la question sociale (Castel 1995 et 2003, Paugam 1991, Rosanvallon 1995, Sen 1997, Schnapper 1989), ainsi que les outils de la sémiologie et de la sémantique textuelle et théâtrale, afin de mieux cerner la langue et la rhétorique forgée à propos des sans. Nous examinons en première partie le processus de visibilisation de la dite cause des sans… quelque chose, et en seconde partie les ressorts dramatiques ainsi que les effets psycho-politiques de ce miracle social que nous analyserons à la lettre en examinant successivement les différents sens du terme.
L’émergence de mobilisations d’exclus ou de sans, celles des sans-logis, des sans-papiers puis des chômeurs, a été perçue dans les champs politiques, intellectuels et savants comme un miracle (Bourdieu 1998 a) au sens courant et profane de ce terme - chose étonnante et admirable qui se produit contre toute attente et dont la réalité semble extraordinaire [6]-.Ces mobilisations ont été visibilisées dans les médias par les entrepreneurs de bonnes causes qui les ont construites comme spectaculaires et paradoxales, animés qu’ils étaient par un sentiment de compassion et de sollicitude. La cause des sans a ainsi connu à la fois un triple succès combiné -médiatique en raison de ses modes d’action, politique en raison de sa forme d’organisation et social en raison de ses participants- et une bonne fortune scientifique.
Les sans emplois et les hommes de la rue à la télé : le succès médiatique de la misère
Les luttes des sans sont d’abord des mobilisations de papier au sens où elles deviennent visibles dans les arènes et champs politiques centraux (Gaxie, 1993) par leur capacité à intéresser au préalable les journalistes et à être diffusées dans le champ médiatique, audio-visuel en particulier. Leur succès tient d’abord à la profusion des modes d’action investis sous une forme spectaculaire. Leurs promoteurs réutilisent des éléments parfois anciens du répertoire des mouvements ouvriers, d’habitants ou d’expulsés comme les marches, l’occupation, la réquisition de lieux. Ces derniers sont symboliques tantôt de leur condition statutaire (ANPE, Unedic, Assedic, Bourse du travail) et renvoient à leur inactivité forcée, tantôt de leur condition socio-économique (bâtiments institutionnels inoccupés, supermarchés ou entreprises de vente d’objets d’occasion), tantôt encore de leur privation d’accès à la citoyenneté (mairies, écoles, gymnase, églises, esplanades), tantôt enfin du modèle républicain d’intégration qui les laissent de côté (Ecole Normale Supérieure).
La prise rapide du mouvement, à la télévision et secondairement dans le champ du pouvoir politique [7], repose surtout sur l’usage de modes d’action collective très divers réinvestis de manière scénographique. Les organisateurs du mouvement ont repris des formes anciennes, comme les marches [8], déjà réutilisées au début des années 1980 [9] (Thomas 2005 a). La réquisition de lieux de travail, d’emplois ou de marchandises emprunte au modèle des occupations d’entreprises de 1936 ou de 1968, où la prise de possession des lieux s’accompagnait parfois de séquestration des cadres et du patron. De même les actions de réquisition de logement avaient été reprises au début des années 1990, lors des luttes autour de Droit Au Logement (D.A.L.) et du Comité des sans logis (C.S.L.), les militants de cette cause s’étant pour certains ensuite investis dans le mouvement des chômeurs [10]. Après la création d’un Syndicat national des chômeurs en 1981 (Pagat 1981, 1987) certaines mobilisations de sans emplois utilisaient déjà ces mêmes combinaisons de marches, de manifestation et de pétitions pour se faire entendre (Fillieule 1993). Aucune, cependant, n’avait eu la durée et l’importance médiatique et politique de la mobilisation de l’hiver 1997-98.
C’est donc moins le caractère inédit des revendications et des modes d’action parfois sensationnels [11] ou la réutilisation ponctuelle de formes de lutte, anciennes et peu pratiquées, que leur médiatisation répétée pendant plusieurs mois et décentralisée [12], qui a donné aux participants et aux observateurs le sentiment d’originalité et d’amplitude de l’action et a facilité la prise. Ce succès médiatique ne tient pas au caractère naturellement sensationnel de l’envahissement de supermarchés discount, de l’Opéra Bastille ou de la rue d’Ulm. Il semble plutôt résulter du travail continu des militants en direction des médias audio-visuels et parmi eux de celui des professionnels de l’image et de la parole, qui ont développé un dialogue avec ceux-ci, fixant notamment des règles de recueil des interviews et des images (Garcia 2005, Le Grignou et Patou 2001). Les manifestations nationales et européennes de chômeurs constituent donc à ce titre une configuration relativement rare si l’on considère l’importance, la rapidité et la durabilité de leur médiatisation.
La révolte des miséreux : une cause fédératrice et un succès politique
Le mouvement des chômeurs a également été perçu par les chercheurs comme novateur sur le plan de son organisation. Il serait l’une des bases de reconstitution du mouvement social contestataire, car, dans le sillage des grandes grèves de 1995, il unissait les salariés, les chômeurs et d’autres groupes. Il aurait été un des socles du regain, pendant le gouvernement Jospin, d’une gauche politique non gouvernementale de type protestataire [13].
Qu’est-ce qui a, en réalité, favorisé la prise politique du mouvement ? C’est d’une part, fort curieusement, la diversité et l’hétérogénéité idéologique et politique des entrepreneurs à l’origine de la mobilisation [14]. Quatre grandes mouvances : CGT-chômeurs, Association pour l’Emploi, l’information et la solidarité, (A.P.E.I.S.), proche du PCF et de la CGT, Agir ensemble contre le chômage (A.C.), proche des partis d’extrême-gauche et des Verts, et Mouvement national des chômeurs et précaires (MNCP) proche des Verts, ont pris part en tant que telles au mouvement des chômeurs et l’ont animé. Elles ont été soutenues ponctuellement par d’autres militants issus d’associations comme le D.A.L., le M.I.B., les associations de féministes et rejointes par des intellectuels issus des professions des arts et du spectacle et du monde universitaire, faisant du mouvement des chômeurs la base du mouvement des sans dont le nom provient de l’appel en forme de manifeste et de pétition daté du 13 décembre 1995 [15].
Mais l’étiquetage associatif occulte le fait que les représentants du mouvement sont des militants professionnels qui, malgré la variété de leurs trajectoires, de leurs tendances idéologiques et de leurs horizons d’attentes, sont proches des composantes de la gauche plurielle qui leur apportent des ressources matérielles et intellectuelles [16]. Car malgré l’affichage de la coupure avec le la gauche plurielle et l’opposition des militants nationaux aux actions du gouvernement les entrepreneurs de ces causes ont coopéré au processus de résolution de la crise de l’hiver 1997-1998. Cette double attitude s’est avérée structurante pour l’avenir du mouvement.
La gauche de gouvernement, revenue au pouvoir quelques mois plus tôt, a légitimé les leaders médiatiques de ces causes, lors même que ces derniers proclamaient leur distance à la politique menée par celle-ci. Elle en a fait les porte-parole politiques officiels de ces associations, dont certaines comme AC ! ou l’A.P.E.I.S. s’étaient pourtant structurées comme anarchie organisée de façon à ne pas avoir de représentants, et refusaient par principe toute délégation politique et mandat (Mouchard 2001 : 254 et sq.). En choisissant de les consulter dans le cadre du rapport Join-Lambert (1998) le gouvernement Jospin les a associés implicitement aux arbitrages.
De même au niveau local les comités de liaison instaurés par la loi de lutte contre les exclusions, entrée en vigueur en 1999, ont impliqué, sans qu’elles l’aient demandé, les associations de chômeurs qui avaient participé au mouvement de l’hiver 1997-98 pour la mise en application de ce dispositif (Pignoni 2001) [17]. En revanche aucune des revendications de ces associations comme la présence dans les instances paritaires de gestion de l’UNEDIC et la révision de la dégressivité des allocations et du plan d’aide et de retour à l’emploi (PARE) n’ont été satisfaites. La visibilisation locale des associations lors de l’hiver 1997-98 a conduit les décideurs politiques à les associer dans le champ du pouvoir politique périphérique à la mise en œuvre des dispositifs assistantiels départementaux destinés aux chômeurs (ANPE).
Après 1998, des représentants nationaux de ces associations se sont radicalisés et ont rejoint la gauche protestataire, d’autres se sont rapprochés des partis de la gauche plurielle non socialiste et ont brigué et parfois obtenu des mandats électifs européens, régionaux ou locaux, dans des listes communistes, des Verts, ou de la L.C.R. Ainsi le mouvement des chômeurs a dépoussiéré, les formes d’organisation et de coordination de l’action [18] et partiellement renouvelé les cadres associatifs et syndicaux des groupes engagés dans les luttes sociales.
Le succès social et scientifique du Noël des Misérables
La cause des chômeurs a enfin été visibilisée comme fondatrice et créative dans le champ social car elle aurait (r)amené une partie des chômeurs, dans l’ensemble peu politisés et non syndiqués, vers la participation sociale et politique. Ainsi elle a émergé conjointement dans divers espaces de manière quasi simultanée et articulée. En même temps qu’elle prenait forme dans les champs politique, du pouvoir politique et médiatique, elle a commencé à faire l’objet de travaux de recherche, qui l’analysaient, en temps presque réel [19], dans les champs intellectuels, experts et savants à la fois. Elle est rapidement devenu un objet scientifique identifié et labellisé, ce qui a favorisé son succès social à défaut de son succès politique.
Ces travaux postulaient qu’une des spécificités de ce mouvement des sans était le retournement du stigmate en emblème par ceux-là même qui en étaient affectés. Les victimes de l’exclusion et de la disqualification sociale (Paugam 1991) retrouvaient via l’engagement dans le mouvement les chemins de la politisation par l’action collective (Maurer 2000 et Pierru 2003). Les sans-ressources -au sens tant socio-économique que politique du terme envahissaient la rue et les espaces publics créant de nouvelles arènes de débat et de lutte (Favre 1990, Fillieule 1997, François et Neveu 1999). De citoyens passifs et incompétents, ces victimes des inégalités et de la mondialisation devenaient des militants actifs des causes anti, enfin promoteurs pour eux-mêmes d’une citoyenneté spécifique et même base d’un nouvel internationalisme face à la mondialisation libérale (Bourdieu 2001 : 39).
La mobilisation de l’hiver 1997-98 a semblé être le moment d’entrée dans les conflits sociaux d’individus sans pratique politique, qui s’y seraient associés de façon intermittente ou durable, aux côtés des entrepreneurs politiques, syndicaux et intellectuels, fondateurs du mouvement. Chômeurs en fin de droit, travailleurs précaires (intérimaires et temps partiel) ou Rmistes seraient alors parvenus à convertir des prédispositions sociales et politiques négatives à l’engagement militant et à l’action politique en participation active (Demazière et Pignoni 1999, Maurer 2000, Maurer et Pierru 2001). Inspirateurs et destinataires des retombées attendues de ces luttes, ils seraient alors devenus sinon acteurs du moins compagnons ou spectateurs engagés. Cette conversion de leurs dispositions et de leur position leur donnait le moyen de recouvrer une dignité perdue en raison de leur situation d’exclusion ou de chômage. Leur participation parfois discrète (car souvent intermittente et limitée au niveau local) mais souvent louée y compris par des savants enthousiastes -devant cet objet perçu comme nouveau qui participait de lui-même à leur entreprise de constitution de celui-ci comme digne d’intérêt- a contribué à la fois à la visibilisation du mouvement et de ses revendications et à son authentification. C’est elle qui a permis la prise sociale du mouvement. Leur présence a rendu la mobilisation des professionnels du militantisme syndical et politique moralement légitime, car l’enrôlement des chômeurs faisaient sortir ceux-ci de la posture d’assistés, de victimes soutenues par les associations caritatives, pour en faire des citoyens engagés, prenant leur destin en main et apprenant à se battre grâce à ces entrepreneurs de cause dévoués (Collovald 2002 : 196).
Ainsi c’est conjointement que les militants issus du champ politique (militants syndicaux et associatifs professionnels ou en voie de professionnalisation), et des agents issus du pouvoir politico-administratif, et, dans une moindre mesure, les agents issus du champ savant et expert (des sciences sociales), se sont engagés. Ils ont (re)déployé de conserve leurs savoir-faire - i.e. ont mis en acte leurs prédispositions et dispositions intellectuelles et praxiques - pour animer et étudier ces causes qui se développent parallèlement ou en articulation avec l’action humanitaire (Dauvin et Siméant 2002, Hamman, Méon etVerrier 2002, Siméant 2002,).
La difficulté d’articuler, -dans l’action puis dans l’analyse - la prise en compte des stratégies des professionnels présents dans le mouvement et de celles des amateurs (usagers ou suiveurs), a conduit rapidement les auteurs à les dissocier. La plupart d’entre eux se sont concentrés, sur les trajectoires et temporalités d’engagement des agents politisés, voire des seuls militants, bref des plus visibles, car assumant le rôle de représentants et de porte-parole (Mouchard, 2001 : 34) [20]. Cela leur a permis de ne pas perdre la trace de ces permanents de la mobilisation et d’inventer de nouveaux modèles pour caractériser les postures de radicalisme auto-limité et ces trajectoires d’investissements pluri-militants concomitants ou successifs (Agrikoliansky et Sommier 2005, Mouchard 2002, Siméant 2001) appelant une perspective d’approche pragmatique . Ils y ont même parfois vu un champ ou un espace autonome (Mauger 2003, Péchu 2004, Mathieu 2002 et 2005 a et b), celui des mouvements alter-mondialistes ou d’ anti globalisation. Il se caractériserait par des dynamiques, des systèmes de position et des formes de prise de position spécifiques comme la contre-expertise ou la pétition qui seraient sinon cohérents du moins coordonnés (Contamin 2005).
Au total le succès social, politique et médiatique de cette cause des sans devenue cause altermondialiste se trouve donc amplifié par sa notoriété croissante chez les clercs [21]. Dans l’approche savante et intellectuelle, les dits sans ont été durablement visibilisées comme un continuum formant une configuration inédite. Dotée d’éléments de répertoires classiques, neufs dans leur combinaison et leur forme de médiatisation, de modes d’organisation, peu structurés mais efficaces, et de ressources symboliques variées, elle témoigne à leurs yeux sinon d’une nouveauté des types de luttes du moins des modèles d’action contestataire, post-matérialistes, des années 1960 [22].
Dans la perspective de ces entrepreneurs de bonnes causes politiques et scientifiques, le mouvement de chômeur peut être analysé comme miracle non seulement en tant qu’évènement extraordinaire mais aussi dans les autres acceptions religieuses et peut-être originelles du terme. On peut l’entendre dans le sens médiéval, littéraire et théâtral, de « drame sacré dont le sujet est emprunté aux vies de saints » - et également, à celui, dérivé des précédents, de « fait où l’on croit reconnaître une intervention divine bienveillante auquel on confère une signification spirituelle » [23]. Prendre au sérieux la polysémie de ce mot, lancé par Pierre Bourdieu dans le cours du mouvement et dans la cour de l’école normale supérieure de la rue d’Ulm, est le moyen de déconstruire les logiques rhétoriques (1) et dramatiques (2) à l’œuvre dans la construction des mouvements de sans citoyenneté . Il est alors possible de mettre en évidence les effets de la mise en œuvre de ces logiques sur les statuts des véritables sans. Ces derniers participent plus en tant qu’adjuvants, doublures ou figurants qu’en tant que premiers rôles ou metteurs en scène à cette « OPA [sur] les gueux » (Bernardot 2005 b) (3).
Le dit des ribauds : une mise en récit de la lutte
L’approche en termes de miracle, au sens sacré du terme, incite à prêter attention aux rhétoriques politiques et savantes qui se sont déployées à propos de ces causes [24]. Leur point commun est de donner à voir les actions collectives de chômeurs comme étranges et étonnantes, novatrices politiquement et heuristiques scientifiquement. Militants et committed scholars aperçoivent dans ces mouvements une résurgence du mouvement social, qui donnerait lieu à l’émergence surprenante (au sens où l’on ne sait à quels facteurs les attribuer) de modèles de mobilisation supposés paradoxaux.
Les écrits savants ont en effet pour point commun de lire ces causes comme quintuplement oxymoriques et, à ce titre aussi, miraculeuses. D’abord ces mobilisations, posées comme impossibles ou improbables, ont été effectives et se sont répétées sur au moins deux décennies. Ensuite elles sont à la fois éphémères (opérations coup de poing, occupation de quelques heures, jours ou semaines) et pérennes car réitérées [25]. En outre elles regroupent un faible nombre d’acteurs et de moments d’exposition et d’expression mais leur sur-médiatisation conduit à les interpréter comme massives [26] et importantes [27], alors même que les sans y sont sous-représentés sociologiquement [28]. De surcroît ces individus supposés sans ressources et sans habitus militants, disposeraient alors d’une part de la mise à disposition des compétences d’entrepreneurs de causes professionnels et d’autre part de l’activation de leur propre indignation et de leur colère [29]. Enfin ces causes multiples mais artificiellement unifiées, apparaissent comme paradoxales, parce que l’entrée dans le mouvement permettraient à ces publics de devenir matériellement des avec, politiquement et socialement réinsérés, tout en restant symboliquement des sans.
La dialectique du mouvement perpétuel, qui sous-tend cette lecture savante des conflits sociaux, renvoie en réalité au modèle caritatif paternaliste et socialiste de l’Etat social de promotion de la citoyenneté des pauvres et des marginaux que nous avons nommé hypercivisme apolitique (Thomas 1997 b) [30]. Car la véritable bizarrerie que ces pseudo-paradoxes occultent et qui n’est pointée par aucun des promoteurs de ces analyses est que lorsque des groupes d’individus mal intégrés entrent dans des formes d’action politiques contestataires, - i.e. adoptent des formes de civisme qu’on n’attend pas d’elles-, celles-ci sont rapidement invisibilisées ( Bernardot 2005 a, Thomas 2005 a) et scotomisées (Simon 1999) par les agents du champ politique et du pouvoir politique, qui en sont les interlocuteurs et les initiateurs. Les « véritables » sans disparaissent une nouvelle fois comme acteurs et auteurs de leurs propres luttes, pour en devenir les enseignes plus ou moins picaresques ou décoratifs, y compris dans la lecture savante.
Les productions militantes renforcent quant à elle cette complexité et cette opacité apparentes par le mode de sloganisation des revendications. Pour visibiliser et élargir les bases du mouvement, les cadres multiplient le recours aux figures de style (oxymores, redondances ou accumulations) et à d’autres tropes que les savant reprennent à leur compte sans commentaire. Il s’agit pour les premiers de capter l’attention tant des spectateurs que des participants potentiels des différentes scènes et arènes où se déroulent les opérations. Les slogans phares, comme « un emploi c’est un droit, un revenu c’est un dû » [31], condensent des revendications universalistes en juxtaposant deux propositions non articulées (parataxe, asyndète et hyperbate) [32]. La concision permet de renvoyer aux registres de la justification juridico-politique (droits des citoyens et des obligations de la Nation vis à vis d’eux) et morale (principes fondateurs de la solidarité nationale). Cette formulation rend la revendication audible dans le champ politique et dans les arènes contestataires mais avec des acceptions antinomiques. La revendication est perçue comme une demande d’assistance par des mesures d’exception pour le premier et comme une demande de protection et de garantie de droits exigibles pour les secondes. Ce slogan universaliste et général sous-tend et légitime les actions particulières menées localement, souvent jugées étroites et à courte vue par les dirigeants nationaux, car elles visent à obtenir des aides aux chômeurs en fin de droit, ou leur accès aux droits sociaux, à la couverture maladie ou encore au RMI…
La vraie nouveauté du mouvement des chômeurs tient alors au fait que les chercheurs comme les acteurs, recourent systématiquement à ces mêmes procédés stylistiques pour rendre perceptibles l’originalité et les paradoxes supposés de l’action. Les analyses à chaud (entre 1998 et 2001) des actions locales ou nationales [33] abusent elles aussi de figures stylistiques soulignant l’étonnement de voir réapparaître sur la scène des luttes ceux qui en avaient disparu depuis la fin des révolutions politiques urbaines : les nouveaux sans-culottes (Brochier et Delouche 2000), d’ailleurs plus révoltés que révolutionnaires. De même elles accumulent les formules redondantes (victimes impuissantes à se mobiliser, honteuses de leur indignité sociale), oxymoriques (assistés qui se reprennent en main, victimes passives qui se révoltent et deviennent des exaltés mesurés) et enfin obscures (des sans-ressources qui activent dans la lutte des ressources insoupçonnées qu’ils puisent justement dans leur absence de ressources).
On peut constater la parenté entre la grammaire de la mobilisation (Cefaï et Trom 2001 : 52) promue par les entrepreneurs de ces causes et la rhétorique savante employée pour en rendre compte. Les formes de récits, qui rendent plus vivants et sensibles, la description des luttes ou les portraits de militants exemplaires et infortunés, sont investies tant par les différents acteurs que par les auteurs. Cette question du portrait et de l’image est abordée spontanément par les leaders nationaux ou locaux lors des interviews avec des journalistes et les sociologues [34].
Ces modes de narration rendent présents par évocation ou par hypotypose [36] les absents de la cène (Percheron 1986) protestataire, incarcérés ou s’en tenant à distance. Ils constituent des ressources pour les porte-parole du mouvement et pour ses analystes. Les figures employées (personnification, prosopopée et allégorie) [37] font parler à l’unisson des causes aux visages et aux timbres multiples. Les allégories de la Rébellion , du Cri , de la Liberté , de la Solidarité et du Désir de Société – ou, pire, celle, obsédante et persécutrice, de la Précarité, synthétisent et unifient les voix de celles-ci dans les récits militants, ainsi que dans les descriptions savantes.
Comme dans les récits littéraires, ces prosopopées et allégories sont figées et conventionnelles, mais elles sont rarement signalées par l’usage des majuscules, ce qui redouble leur ambiguïté. Car les héros collectifs qui l’incarnent sont réduits au statut de personnages schématiques dépourvus de psychologie individuelle (Fontanier 1977 : 115) : ils sont rebelles, insurgés ou… précaires. Ces évocations et ces portraits des héros présentifiés et représentés tant politiquement que picturalement, ne sont pas vaines : elles incitent certains des sans invisibles à s’engager à leur tour dans la lutte aux côtés de ces hérauts, parfois martyrs, de la défense de leurs droits, arrêtés ou poursuivis à plusieurs reprises devant les tribunaux suite à des actions protestataires. Cela fut le cas pour Jean-Marie Honoret, porte-parole d’AC dans le Pas de Calais, alias Che Ch’ti Guevara, de Malika Zediri devenue l’élue des pauvres [38], ou encore de Charles Hoareau, souvent nommé Robin des bois.
Du miracle au mystère des Sans : le théâtre des opérations militantes
Dans les lectures savantes et politiques le mouvement des sans est également constitué en miracle au sens dramaturgique du terme [39]. Les figures héroïques romantiques (Rosa et Ubersfeld 1985) et tragiques (Barthes 1963, Goldmann 1959) se trouvent aux prises avec un destin malheureux : elles se révoltent contre l’injustice sociale et en triomphent ou non. Les mobilisations de sans sont ainsi mises en scènes par leurs entrepreneurs sous la forme d’une action dramatique (Ubersfeld 1996) au dénouement attendu et au déroulement fantastique ou merveilleux (Leiris 2000, Poirion 1982, Todorov 1970). Les spectateurs peuvent à chaque moment monter sur scène pour participer à l’action et en devenir les acteurs ou les victimes. Les héros et les figurants se trouvent aux prises d’opposants nombreux (Propp 1977), au cours des péripéties de la lutte qui se résout dans ce cas, non grâce à une intervention démiurgique, mais par la vertu politique du Mouvement qui vaut pour lui-même. Car selon eux « la première conquête de ce mouvement est le mouvement lui-même, son existence et lui seul ressuscite les sans en les visibilisant à leurs propres yeux et en public comme acteurs de leur propre existence en les sortant de l’ordinaire de l’oubli et de la honte » (Bourdieu 1998 a : 102). Dans ce miracle de dame Démocratie, les sans citoyenneté, au sens sociologique et juridico-politique, sont donc à la fois sur scène, parce que représentés (d’ailleurs comme sans pouvoir) et hors champ voire hors jeu, car ne maîtrisant pas eux-mêmes les codes et les temporalités du changement de leur statut ou de leur propre image.
Leur visibilation repose ainsi sur une théâtralisation où l’action est développée comme dans la tragédie racinienne (Barthes 1963). Pour ce faire, les lieux, les temps et les modes d’action hétérogènes sont homogénéisés sous un étiquetage et un format unique. Les propriétés sociales supposées des participants à l’action collective (ouvriers, employés de l’artisanat et des services…) sont subsumées sous la forme de héros (ou héroïnes) moins valeureux que méritants. Dans cette tragédie du refus ces dernièr(e)s se dressent, pleins de courage, contre l’injustice qui affectent leurs pairs, qui place les sans en position de hors le monde social et leurs champions dans celle d’opposants totaux au monde politique, social et économique.
Nous ne citerons ici que l’exemple du personnage Charles Hoareau, souvent campé de façon quasi évangélique comme l’ancien ébéniste ou le petit menuisier.
« Avec sa barbe, son pull-over ras du cou, et son blouson de moto, ce sympathique personnage aurait bien pu se retrouver sous quelque caméra. Mais le cinéma n’est pas son fort. Sur le vieux port, tout le monde sait bien que l’ami Charles n’est pas là pour faire de la figuration. N’en déplaise au patronat, l’injustice le bouleverse et le révulse. Du coup, le petit menuisier dit tout haut ce que beaucoup de simples gens murmurent. Et cela ne plaît pas à ceux qui tiennent les cordons de la finance. Depuis dix ans, ce Robin des bois des chômeurs accumule les comparutions devant les tribunaux. Poursuivi chaque fois pour s’être trouvé au côté de ceux qui souffrent, de ceux qui luttent. Ce rebelle sait bien qu’aujourd’hui ses amis privés d’emploi ne font plus pleurer mais trembler . Le tribunal l’a de nouveau condamné pour avoir, cette fois, aidé les sans-papiers. Il reste que cela ne suffira pas pour faire taire l’insurgé de Marseille » L’Humanité, 21 janvier 2000, « L’homme du jour : Charles Hoareau ».
La dramaturgie de la cause des gueux renoue donc avec les formes d’intrigue du théâtre médiéval (Rey-Flaud 1980), où les personnages principaux, figures christiques et charismatiques issues d’un petit peuple artisan et commerçant, se trouvent aux prises avec une adversité qui les conduit à se révolter ou à recourir à l’intercession non d’une puissance divine (Dieu ou la Vierge ou un saint) mais de l’Engagement. Celle-ci cependant ne les préserve pas de la persécution par le pouvoir politique et judiciaire pour leurs actions syndicales ou politiques qui leur valent des condamnations. Car une partie des sans ne reste pas simples spectateurs (bystander publics) attendant les profits éventuels de la lutte sans rien faire (Mac Carthy et Zald 1977 : 1223). Tout au contraire ils s’impliquent dans l’intrigue comme personnages secondaires ou comme figurants muets de la cause des Octavie ou des Junie. A défaut de parler ou penser la cause ces derniers peuvent commencer par la marcher (Faniel 2003) ou la crier, passant ainsi du rôle de figurant à celui de seconds rôles, pour tenter de faire entendre leurs propres griefs et devenir témoins de ce différend qui structure l’intrigue. Les désaffiliés humiliés et les sans emploi honteux se muent alors en chômeurs en colère, puis en révolte et enfin en lutte et parfois en recalculés triomphant par la voie juridique, réaffiliés par la grâce du Mouvement.
La connotation religieuse du miracle se retrouve d’ailleurs dans le discours de scientifique : ces inutiles au monde surnuméraires (Castel, 1995), ces naufragés, (Declercq 2001), privés de tout, même de parole, qui ont subi l’épreuve ordalique du chômage ou de la rue, connaissent un sursaut de dignité et rendent ainsi possible la résurrection inespérée de la combativité sociale et politique (Lazarsfeld et Jahoda 1933, Pierru 2005, Schnapper 1981, Schwartz 1991).
Un miserere pour les invisibles : martyrs et miraculés et du mouvement des sans citoyenneté
Mais en réalité dans cette dramaturgie working in progress des supposés nouveaux mouvements protestataires, les chômeurs, sans logis et sans papier servent essentiellement d’emblèmes à l’action collective. Ils sont plutôt parlés et agis par les entrepreneurs de ces causes qu’agents engagés dans la lutte. Deux figures-types, presque interchangeables, du sans citoyenneté ont d’ailleurs émergé les concernant avec cette théâtralisation des causes : le martyr et la victime. Ils ne peuvent se défendre et ont besoin de la protection des collectifs qui les représentent. Leur participation est possible et même attendue, notamment lorsque, en raison de leur compétence professionnelle antérieure, ils peuvent apporter un coup de main dans la réalisation d’une des tâches annexes du travail militant [40] ou même simplement parce qu’ils contribuent à faire nombre. Ils sont là soit pour activer leurs dispositions sous la houlette bienveillante de permanents engagés dans la production de l’action elle-même soit pour faire nombre. Les uns entrent dans les associations car ils y connaissent quelqu’un, les autres parce qu’ils en ont entendu parler [41].
Méconnaissant les usages de la parole et parfois des affrontements verbaux ou même physiques avec les forces de l’ordre, ils les éprouvent parfois lors de la première action à laquelle ils participent (envisagée sur le mode familier de la bagarre pour les jeunes de milieux populaires, subie comme violente pour les autres). Ils leur arrivent de se faire embarquer sans ménagements par la police et éventuellement interroger et ficher à ce moment là [42]. Dans ce cas ils sont ramenés à leur identité de papier, sans emploi ou Rmistes [43].
De même ils n’ont parfois pas connaissance des modes de division du travail militant [44]. Certains ignorent même totalement la répartition entre participants des rétributions positives et négatives (avoir sa photo dans le journal versus se faire tirer le portrait er relever les empreintes au commissariat, avoir le sentiment d’être utile aux autres vs se sentir élément noyé dans le groupe, obtenir une allocation d’urgence vs être emmené au poste…). Ils apprennent donc sur le tas et parfois à leur détriment les coûts matériels ou symboliques. L’entrée dans la lutte les condamne même parfois à perdre leurs derniers secours (RMI ou allocations) sauf à la poursuivre ou à être protégé par des militants plus aguerris [45]. La prise de conscience de l’écart entre les gratifications individuelles attendues, qui amènent certains chômeurs des classes populaires à entrer dans une association locale (comme trouver un interlocuteur pour aider à remplir un formulaire ou refaire un CV ou obtenir de l’aide en nature ou financière ou de l’écoute), et les objectifs formulés comme prioritaires au niveau national redouble souvent leur sentiment d’incapacité à agir en leur nom et pour eux-mêmes. Ces expériences renvoient à deux modèles idéal-typiques d’intériorisation de leur position d’adjuvant ou d’expédient dans les actions. Ils ont à choisir entre l’impuissance, c’est-à-dire la parole de Junie porteuse de revendications qui ne sont pas les siennes, et l’effacement, c’est-à-dire la place d’Octavie réduite à la plainte et au silence. Cette domination les contraint dans les deux cas à se conformer aux attentes des leaders ou des pouvoirs publics (Hirschman 1972, Thomas 2004 b).
Ils se trouvent alors dans une situation semblable aux autres victimes de l’insécurité sociale pour lesquels il n’y a pas de mouvement de protestation. Comme les personnes âgées dépendantes, les adultes ou les enfants handicapés, ils sont à la fois supports et enjeux de causes. Celles-ci les concernent, les résument et les dépassent, en faisant des importuns en tant que sujets de parole et d’action. Ils peuvent alors somatiser cette position où leur pudeur est mise à mal et leur honte redoublée car visibilisée [46]. Dans ce cas ces figurants sont moins renvoyés à leurs indignités (Pierru 2005) que fantômisés, tel Noé (cf. notes 40-41-42-44). Certains auteurs évoquent alors très métaphoriquement le spectre de la démobilisation et de la démoralisation (Bourdieu 2001 b : 96) qui poursuit ces individus collectifs [47] et habite leurs « mobilisations hantées par la désaffiliation » (Mathieu 1999 : 33). Interdits ou impuissants à s’exprimer efficacement en première personne, ils réendossent ce statut, y compris inconsciemment sous forme de refoulé traumatique.
Le problème - au double sens de ce terme de projection et de protection (Derrida 1996 : 30) - des mobilisations de sans est donc bien neuf. Il ne l’est ni dans ses objectifs ni dans ses répertoires ni concernant ses acteurs, mais il s’avère tel dans sa dramaturgie protéiforme et surtout du fait de la rhétorique de sollicitude enchantée et enthousiaste dont usent les experts pour le caractériser. La plupart des savants font preuve d’une sollicitude de proximité pour les nouveaux leaders et d’une bienveillance lointaine pour les usagers sans participation de ces luttes. Ils modèrent à peine leur enthousiasme théorique pour l’inventivité des premiers, par l’expression de leur étonnement de voir se réveiller ou se ranimer les seconds.
Au total les mouvements de sans ne sont ni des causes extraordinaires ni des luttes miraculeuses, ni, pire encore, une « divine surprise collective » [48]. Seule la fascination ambiguë, unanime et non démentie qu’elles suscitent chez les chercheurs qui les étudient et les experts peut sembler étrange voire inquiétante. L’invisibilité sociale et politique des sans est alors redoublée par les processus de visibilisation politique et scientifique qui fait d’eux des individus objectivement et subjectivement fragiles, précaires ou vulnérables, des victimes qui ne sauraient, sauf à entreprendre une carrière militante exemplaire donc sacrificielle, faire de l’ inexistence sociale qui est la leur une vie sûre et heureuse de sujets de parole ou de citoyens autonomes [49]. Ces modes de théâtralisation politiques et scientifiques génèrent au final à la fois de la visibilité pour les actions et les représentants des causes et une invisibilité redoublée comme victimes définitivement impuissantes pour leurs emblèmes. Que ces victimes s’engagent ou non ce ne sont pas elles qui sont écoutées ou dont les griefs sont susceptibles d’être entendus. La question est [toujours] dans ceux qui souffrent, dans ceux qui ont froid, et qui ont faim. La question est là [50].
Février 2008
Hélène THOMAS
I.E.P d’Aix en Provence
CSU IRESCO/ CESPU-Aix-en-Provence
Hélène THOMAS est docteur en sociologie, professeur de science politique à l’Institut d’études politiques d’Aix en Provence et psychanalyste. Ses travaux portent sur les politiques de prise en charge de la dépendance, de l’exclusion sociale, et de garantie des droits fondamentaux en France et en Europe. Elle étudie notamment les fondements idéologiques des dispositifs et les articulations entre les catégorisations savantes, experts et pratiques dans ces domaines. A ce sujet elle a notamment publié La production des exclus, Paris, Presses Universitaires de France, 1997, « Du lancer de nain comme canon de l’indignité. Le fondement éthique de l’État social », in Raisons politiques, « Repenser l’Etat social », n°6, mai 2002 : 37-52, « La personne âgée peut-elle fragiliser le réseau qui la soutient », in : Gérontologie et sociétés, n°109, juin 2004 :165-182.
Dernière publication « La promotion de la citoyenneté sociale et politique dans le grand âge à l’ère de la protection rapprochée », in : Gérontologie et sociétés, n°120, mars 2007 : 99-114
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Titre : Le miracle des sans. Formes, ressorts et effets de la visibilisation de la cause des sans citoyenneté.
Mots clés : sans, précarité, miracle social, invisibilité, nouveaux mouvements sociaux
Title : The social miracle of the powerless. Forms, ways and consequences of the visibilisation of 1990’s poor’s movements in France
Keywords : powerless, precariousness, social miracle, social invisibility, new social movements
NOTES
[1] Bourdieu P., « Le mouvement des chômeurs. Un miracle social », in Contre-feux. Propos pour servir à la résistance contre l’invasion ultra-libérale, Paris, Liber-Raisons d’agir, p.102-103).
[2] . Nota bene : l’usage du conditionnel dans certaines phrases de l’article gêne, nous en sommes consciente, la fluidité de la lecture, mais il n’a pu être évité. Il est destiné à souligner notre distance par rapport aux assertions que ces passages contiennent et à ces termes journalistiques, intellectuels ou savants, employés par les auteurs dans leurs écrits, mais dont l’accumulation et la répétition litanique d’un article à l’autre fait que nous ne discernons plus ni leur sens exact, ni leur origine. Pour utiliser certains d’entre eux, comme ceux de sans ou d’ exclus ou de causes , il faudrait rappeler la valeur qu’on leur affecte et la situer dans l’historique des usages savants et ordinaires, ce qui n’est pas possible ici. C’est le cas aussi des termes de mouvement (social), de mobilisation et de ressources, que nous utilisons quant à eux néanmoins dans le texte par nécessité stylistique (la première fois seulement entre guillemets) pour éviter de multiplier les périphrases. L’usage des caractères italiques est réservé aux concepts et notions savantes utilisés dans l’analyse.
[3] . Il s’agit de spécialistes de sociologie et de sociologie politique, qui étaient à l’époque de nouveaux entrants dans le champ savant, ou des installés qui ont construit ou consolidé leur position institutionnelle en investissant massivement ces objets de recherche réputés marginaux ou inexistants au début des années 1980.
[4] . Comme une partie des auteurs français sur la question, nous utilisons, dans l’analyse, les concepts proposés par P. Bourdieu dans nombre de ses ouvrages d’avant 1990, comme ceux de champ, de disposition, de position, de prise de position et de stratégie. En revanche les textes de P. Bourdieu postérieurs à cette date, et tout particulièrement ceux à propos du mouvement social, font ici partie du corpus analysé et constituent donc des sources. C’est le cas de celui, cité en ouverture de cet article, qui ne constitue pas un exergue mais un des points de départ de nos investigations scientifiques sur ce sujet et un objet d’analyse.
[5] . Les entretiens et les observations ont été réalisés durant les manifestations, dans la rue, dans les locaux d’associations de chômeurs et de sans logis, dans des foyers et centres d’accueil pour SDF.
[6] . Sens 3 et 4 du mot miracle, Dictionnaire Robert, édition 1989, p.1206.
[7] . Alors que la vague des occupations s’était développé fin novembre-début décembre 1997, dès le début du mois de janvier 1998 Lionel Jospin alors Premier ministre commande un rapport à M.-.T. Join-Lambert. Il lui donne notamment pour mission de mettre en place au niveau local de la distribution de la prime de Noël à tous les chômeurs en fin de droits, à partir d’un fonds d’urgence doté d’un milliard de francs (environ 150 millions d’euros) ( Join-Lambert 1998 : passim).
[8] . Les comités de chômeurs et en particulier ceux de la CGT, ont réutilisé les formes premières de la contestation initiées par la CGT dans les années 1930, à un moment où aucun système d’indemnisation des chômeurs n’existait ni n’avait été prévu au niveau national (Baverez, Salais, Reynaud 1986).
[9] . Les marches avaient déjà permis d’assurer la visibilité dans la durée du mouvement des jeunes immigrés dits de la deuxième Génération.
[10] . Ces derniers, lorsqu’ils évoquent leur actions explique qu’ils ont sciemment réutilisé la réquisition de locaux ou de logements vides, en se référant aux actions de la fin des années 1940 et aux mouvements de squatters des années 1950, mais aussi aux premières mouvements de locataires de la fin du XIXe siècle (Eyraud 1995).
[11] . Certains modes d’action sont très spectaculaires comme la réquisition de nourriture qui s’apparente dans son aspect transgressif à la violence de celui de la grève de la faim (Siméant 1998).
[12] . L’éclosion du mouvement s’est opérée dans une articulation parfois floue entre des associations locales et les regroupements nationaux, qui semble avoir par sa souplesse favorisé son développement et son traitement en continu par les médias locaux et nationaux, entre décembre et février, à Paris, Marseille, dans les grandes villes du Nord Pas-de-Calais, puis sur tout le territoire (Pierru 2003).
[13] . Cette opposition interne à la gauche plurielle a été perçue et parfois dénoncée par les acteurs politiques et médiatiques nationaux comme prenant le risque d’entacher l’image dans l’électorat et les médias d’une majorité législative et gouvernementale pourtant soucieuse de lutter contre les inégalités économiques et sociales et qui s’apprêtait à mettre en débat le projet de loi de lutte contre les exclusions, voté quelques mois plus tard.
[14] . La mobilisation des chômeurs a été conduite par un mouvement qui agrégeait des fractions minoritaires et contestataires des mouvements politiques (LCR, LO, CNT, Verts) et syndicaux (CGT- chômeurs, CFDT en lutte, FEN, Groupe des dix) nationaux et d’associations locales à vocation d’insertion sociale et d’aide au quotidien aux chômeurs (Pierru 2003).
[15] . Ils ont été rassemblés par les acteurs politiques et syndicaux en charge de la gestion du conflit sous l’étiquette d’extrémistes de gauche, venant s’inscrire, à la gauche d’une gauche plurielle au gouvernement. Après 2000, ces mouvements, plus ou moins coordonnés, se seraient unifiés et auraient fusionné autour de la cause emblématique de l’ anti-mondialisation .
[16] . Pour n’en citer qu’un exemple le groupe parlementaire des élus verts a attribué une subvention annuelle au MNCP en 1996, 1997 et 1998.
[17] . Aux dires mêmes des responsables des ANPE, ce dispositif n’a permis que d’améliorer l’image des personnels de l’ANPE auprès de leurs usagers.
[18] . Il prolongeait et renouvelait les modes d’organisation de type coordination (déjà affirmés dans les années 1980 autour des mouvements des infirmières), où syndicats et partis étaient en retrait dans la définition des objectifs, des formes d’action et de l’encadrement de l’action collective.
[19] . Les premiers travaux à ce sujet ont été financés par la Mire et la Dares, deux directions d’études et de recherches du ministère des Affaires sociales entre 1997 et 2000.
[20] . Une minorité de travaux se concentre sur les profanes et étudie les associations de chômeurs au niveau local et leurs sympathisants et militants ( Maurer 2001, Pierru 2005)
[21] . Certains des spécialistes de ces mouvements exposent d’ailleurs conjointement leurs analyses, sous forme d’articles dans des revues savantes ou d’ouvrages scientifiques, et leurs thèses, sous forme, d’écrits de vulgarisation et d’interviews, parfois croisés avec des militants, dans des revues engagées dans la défense de ces causes (Mouvements, Chimères…) et créées, pour certaines, à la même période, comme Multitudes, Samizdat, Contrechamp (revues électroniques) …
[22] . Ces modèles s’articulent aux nouvelles approches sociologiques de l’exclusion sociale, développées à partir des années 1980. Celles-ci envisagent l’analyse des classements sociaux et de leur transformation, en termes de différenciation des modes de vie de minorités, laissant de côté la caractérisation de la structure sociale et de son évolution en termes d’inégalités économique et sociales entre classes.
[23] . Sens 1 et 2 du mot miracle , Dictionnaire Robert, édition 1989, p.1206.
[24] . La rhétorique est entendue ici au sens classique d’ art de faire des discours convaincants et de bien écrire. Il s’agit ici de tenir compte des trois divisions principales : inventio (invention), dispositio (composition) et elocutio (style), en privilégiant néanmoins la troisième (Mounin 2004 : 289).
[25] . D’un écrit à l’autre, la progression spécifique au mouvement des chômeurs se trouve retracée, des premières actions de 1985 (Baudoin, Chopard, Collin et Guilloteau 1988, Fillieule 1993, Bourneau et Martin 1993) aux actions judiciaires contre les ASSEDIC de 2004, en repérant à la fois le maintien de la cause et l’évolution de ses répertoires de l’occupation et de la manifestation à l’usage du droit (Mathieu 2004 b). Des figures idéal-typiques et des étiquetages évocateurs (chômeurs révoltés , recalculés , etc.) différencient les temps de la mobilisation.
[26] . La plus importante des manifestations de chômeurs en 1998 a réuni 40000 personnes selon les organisateurs, ce qui est loin d’être massif.
[27] . Elles sont alors envisagées, de façon métonymique, comme composantes du mouvement social global qui aurait unifié ses slogans et ses techniques de discours.
[28] . Parmi les militants enquêtés présents en 2003, lors du Forum social européen de Paris Saint-Denis, seuls 8 % étaient des employés, 2 % des ouvriers et 82 % avaient au moins le bac (Agrikolianski et Sommier 2005).
[29] . Ces ressources pousseraient à l’entrée dans l’action selon un modèle d’analyse, qui constitue une variante originale de celui de la frustration relative, en le poussant à ses limites : la colère et la honte de soi des indignes seraient en quelque sorte des prédispositions émotionnelles convertibles en indignation pour soi et pour les autres. Elles conduiraient alors celles et ceux qui les éprouvent et ont les dispositions sociales favorables, à entrer dans l’action politique contestataire (Maurer 2000 : 8-14).
[30] . Dans ce modèle, les formes d’engagement implicitement attendues des pauvres consistent en des participations conventionnelles, comme le vote ou l’adhésion associative de proximité de type sportive, culturelle ou de quartier et jamais en des actions de contestation comme la grève, la manifestation ou l’occupation. Quand ils choisissent les secondes, le coût éventuel en terme de répression est, en ce qui les concerne, pour des raisons sociologiques, très supérieur à celui des leaders des actions.
[31] . Ce slogan a été détourné de manière humoristique par les composantes anarchistes du mouvement en Un emploi c’est ingrat, un revenu c’est indu qui joue sur les homophonies et les antonymies.
[32] . Dans une parataxe, deux phrases syntaxiquement indépendantes sont liées dans un rapport de subordination implicite, grâce à l’emploi d’une courbe mélodique commune, qui dispense de l’usage d’une conjonction (Mounin 2004 : 248). De même l’asyndète et l’anacoluthe et l’hyperbate sont des procédés de juxtaposition et non d’articulation des syntagmes et propositions et de rupture syntaxique qui mettent en valeur l’une des deux.
[33] . Les relations à chaud ou rétrospectives des événements par les militants usent bien sûr de ces figures classiques (Combesque 1998, Crémieux 1998, Desanti 2003, Dethyre et Zediri-Corniou 1992, Dethyre 1998, Hoareau 1998).
[34] . Le portrait est la description tant au moral qu’au physique d’un être animé réel ou fictif (Fontanier 1977 : 428)
[35] . E. Bonnaud, P. Souchon Charles Hoareau, en toute discrétion. En première ligne pour l’action, en retrait pour la médiatisation, in http:// A Marseille.net, non daté.
[36] . L’hypotypose décrit les choses d’une manière si vive et si énergique qu’on les met en quelque sorte sous les yeux et fait d’un récit ou d’une description une image, un tableau ou une scène vivante (Fontanier 1977 : 390).
[37] . Par le moyen de la personnification on fait d’un être inanimé ou d’une abstraction un personnage réel (Fontanier : 111). La prosopopée consiste à mettre en scène les absents et les morts, les être surnaturels ou inanimés et à les faire agir ou à les prendre pour témoins, confidents, garants, accusateurs, vengeurs ou juges (Fontanier : 404).
[38] . Le Monde, 4 avril 2004.
[39] . Le miracle doit alors être entendu comme l’une des formes théâtrales sacrée du Moyen Age dont la représentation se tenait sur le parvis des églises.
[40] Il peut s’agir de rédiger, dactylographier, reprographier un tract, de confectionner une banderole ou des affiches, d’être dans le service d’ordre, de préparer des sandwichs, réparer le matériel électrique ou électronique…
[41] . J’ai participé à rien à part la manifestation du 7 mars. On a occupé la DAS avenue D. J’ai pas participé à la préparation, j’ai appris que ça se faisait à la radio. Candie, 40 ans secrétaire juridique, Rmi, Paris, mars 1998. J’ai lu un certain nombre d’articles en décembre. Comme j’avais déjà vu untel à la télé en 1995 dans le mouvement des sans abri j’ai décidé de venir ici. Je me suis retrouvé le 7 avril à la manif devant l’UNEDIC Kathleen, 35 ans, chanteuse, divorcée, deux enfants, intermittente du spectacle au chômage, Paris, mai 1998.
[42] C’était impressionnant. Il y avait 600 CRS autour du bâtiment [du Conseil économique et social]. … Ils ont chargé. Y a eu des coups échangés… Noé, 47 ans, divorcé, deux enfants, technicien réseaux au chômage, AUD, interview avril 1998, Paris.
[43] . [Là] l’interrogatoire c’était uniquement : “Identité ? Profession ? ’’. J’ai entendu dire : “ Combien t’as de chômeurs ?’’… J’étais le seul chômeur. J’étais avec des intermittents alors… c’est pas forcément des chômeurs mais … Noé, cf. note 40.
[44] . La première [action], y avait tous les médias représentés, pas mal de télés. J’ai été interrogé par tous les journalistes… y avait un des responsables d’AC qui avait pris la tête du mouvement. On a tourné en rond dans le quartier, y avaient des femmes journalistes qui suivaient. On est arrivé devant le Bureau d’action sociale de Paris. A l’intérieur c’était le branle-bas de combat. On était peut-être une centaine, on est restés toute la journée. Les organisateurs ont fait leur travail et les journalistes le leur : essayer de faire passer ça dans les médias. …. Y a eu discussion avec les représentants de la mairie de Paris et les policiers sur les revendications… habituelles Noé, cf. note 40.
[45] . On est pas aimés, faut pas croire… y a des gens y-z-ont eu une radiation de l’ASSEDIC parce qu’ils étaient dans le mouvement…. La dernière fois y a un gars on lui avait supprimé le RMI on est allé chez lui ; y avait une banderole “ grève de la faim’’. On est allé en délégation, J’ai séquestré le directeur de la DAS je lui ai dit : “si tu lui rends pas le RMI, tu rentreras pas ce soir chez toi ’’. Interview Jean-Marie Honoret réalisé par J.-F. Deroubaix à la Nouvelle Commune à Arras, le 21 avril 1998.
[46] . Après l’interrogatoire on pensait être libérés pour de bon. Mais non, on est arrivés sur le parvis. La surprise c’est que c’était une femme qui dirigeait les opérations toute de cuir vêtu. Elle disait : “tu vas me les parquer là !’’. On est resté jusqu’à huit heures du soir dans le froid. J’ai chopé une bonne crève. (…) J’ai décidé de participer à d’autres formes d’action et puis j’ai déprimé… Noé (cf. note 40).
[47] . A ce sujet cf. notre article sur la transformation des personnes âgées des classes populaires en vieillards, i.e. en individus collectifs et à plusieurs (Thomas 2005 a).
[48] . Le seul constat de l’effondrement de l’activité protestataire, accompagné par l’idéologie d’un supposé repli individualiste sur la sphère privée, suffira ici pour indiquer combien la reprise de la contestation du début des années 1990 a pu constituer une divine surprise pour bien des militants accablés par la démobilisation de leurs organisations et par une série ininterrompue de reculs sociaux. (Mathieu 2005 a : 10).
[49] . Le mouvement arrache les chômeurs et avec eux tous les travailleurs précaires, dont le nombre s’accroît chaque jour à l’invisibilité, à l’isolement au silence, bref à l’inexistence (Bourdieu, 1998 a : 103)
[50] . Victor Hugo, Discours sur les Ateliers nationaux, 20 juin 1848.