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Synthèses

Recueil Alexandries

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mai 2006

Yasmine Bouagga

Comment « être palestinien » ? observations sur la réhabilitation d’un camp par l’UNRWA en Syrie.

résumé

Les réfugiés palestiniens de Syrie sont quasiment tous originaires du nord de la Galilée (district de Safad, de Jaffa et de Haïfa) et ont fui la Palestine en 1948. La trajectoire de l’exil est relativement homogène : sauf de rares exceptions, les réfugiés sont partis à pied vers le Liban voisin, où ils ont été pris en charge par les Etats arabes ; la Syrie a organisé un convoiement par train des réfugiés, les répartissant dans différents sites du pays. Le camp de Neirab, ancien camp militaire à la périphérie d’Alep, est le plus éloigné de la Palestine. Les réfugiés ont été installés dans d’anciennes baraques de l’armée, qu’ils ont ensuite aménagées et transformées au fil du temps. L’UNRWA joue un rôle particulier d’agence « pour les Palestiniens », et sert en quelque sorte de garantie à leur reconnaissance internationale en tant que réfugiés.Le camp et l’UNRWA apparaissent comme deux lieux privilégiés pour étudier les processus de construction d’une identité différenciée chez les Palestiniens ; la réhabilitation du camp par l’UNRWA, un moment critique révélateur de toutes les tensions de la situation de réfugié. C’est donc en observant la mise en place du projet de réhabilitation du camp de Neirab que j’ai appréhendé les positionnements des réfugiés du camp, les renégociations de statut et de rôle.

à propos

Ce texte est un document de travail s’essayant à faire une synthèse des observations menées dans un camp de réfugié en Syrie, au cours de mon retour sur le terrain en février 2006 ( grâce au financement du programme Asiles ), dans le cadre de la réalisation d’un mémoire sous la direction de Didier Fassin (Master 2 « Enquêtes Terrains Théories », ENS-EHESS ; tuteur : Michel Offerlé).

citation

Yasmine Bouagga, "Comment « être palestinien » ? observations sur la réhabilitation d’un camp par l’UNRWA en Syrie.", Recueil Alexandries, Collections Synthèses, mai 2006, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article445.html

Introduction

La question des réfugiés constitue une problématique importante de la recherche actuelle en sciences sociales, s’intéressant aux questions de frontières, de gestion de l’urgence, d’une définition de l’identité « à la marge » etc. Le choix d’étudier un camp palestinien en Syrie propose un décentrement de l’approche, avec la question de la préservation de l’identité dans un cadre intégrateur : arrivés il y a plus de 50 ans en Syrie, les réfugiés palestiniens se trouvent plongés dans un cadre qui ne diffère de leur lieu d’origine ni par la langue ni par la culture. Comment peut-on « être palestinien » dans ce contexte ?

Les réfugiés palestiniens de Syrie sont quasiment tous originaires du nord de la Galilée (district de Safad, de Jaffa et de Haïfa [1]) et ont fui la Palestine en 1948. La trajectoire de l’exil est relativement homogène : sauf de rares exceptions, les réfugiés sont partis à pied vers le Liban voisin, où ils ont été pris en charge par les Etats arabes ; la Syrie a organisé un convoiement par train des réfugiés, les répartissant dans différents sites du pays. Le camp de Neirab, ancien camp militaire à la périphérie d’Alep, est le plus éloigné de la Palestine. Les réfugiés ont été installés dans d’anciennes baraques de l’armée, qu’ils ont ensuite aménagées et transformées au fil du temps.

Les réfugiés palestiniens ont connu des conditions de vie très difficiles aux premières années de l’exil, en particulier lors des hivers rigoureux qui coûtèrent la vie à de nombreuses personnes. Mais les secours se sont organisés rapidement : l’aide aux réfugiés a été prise en charge d’une part par le gouvernement syrien, qui a mis en place une administration gouvernementale ad hoc, le PARI (Palestinian Arab Refugees Institution) , devenue par la suite GAPAR (Government Administration for Palestinian Arab Refugees), et d’autre part par une agence onusienne, l’UNRWA ( United Nations Relief and Work Agency for Palestine Refugees in the Middle East), elle aussi créée ad hoc car l’OIR ( Organisation Internationale pour les Réfugiés) était débordée. L’UNRWA joue un rôle particulier d’agence « pour les Palestiniens », et sert en quelque sorte de garantie à leur reconnaissance internationale en tant que réfugiés. L’UNRWA avait pour mandat de fournir les secours d’urgence (alimentation et abri), puis de développer des services de santé et d’éducation qui se sont maintenus jusqu’à nos jours et font de l’UNRWA une administration quasi-gouvernementale, même si son fonctionnement est strictement encadré, d’une part par les règles onusiennes et d’autre par part les prérogatives du gouvernement syrien. Outre les services d’éducation et de santé, l’UNRWA est en charge d’une partie des infrastructures du camp (en coopération avec le gouvernement syrien) et c’est dans ce cadre qu’ elle est amenée à mettre en place des projets d’aménagement urbain dans le camp, comme le Plan de réhabilitation de Neirab, programme auquel j’ai participé lors de mon séjour à l’UNRWA.

Le camp et l’UNRWA apparaissent comme deux lieux privilégiés pour étudier les processus de construction d’une identité différenciée chez les Palestiniens ; la réhabilitation du camp par l’UNRWA, un moment critique révélateur de toutes les tensions de la situation de réfugié. C’est donc en observant la mise en place du projet de réhabilitation du camp de Neirab que j’ai appréhendé les positionnements des réfugiés du camp, les renégociations de statut et de rôle.

L’espace du camp

Le camp tout d’abord n’est pas un espace de confinement univoque. Situé en périphérie d’Alep, la seconde ville de Syrie, pôle industriel et commercial, il abrite environ 16 000 personnes, près de 20 000 si l’on inclut les habitations de Palestiniens hors des limites officielles du camp. Le camp se trouve en bout de piste de l’aéroport, relié au centre ville par des « microbus », mode de transport en commun le plus courant et le moins cher. Il est délimité par un mur, qui avait autrefois des fonctions d’enferment, certes, mais désormais sert essentiellement à borner les limites du camp par rapport aux terres agricoles avoisinantes. Une grande arche aux couleurs de la Syrie et du Baath marque l’entrée du camp, désigné à l’origine par les autorités syriennes comme « le premier asile », par l’UNRWA comme « le camp de Neirab », du nom du village voisin ; c’est cette dénomination qui s’est imposée auprès de tous par la suite.

Il n’y a aucune obligation pour les Palestiniens de résider dans le camp : ceux qui en ont les moyens financiers vont habiter en ville ; ce qui distingue le camp est un statut foncier particulier : la terre, réquisitionnée, appartient au GAPAR, et elle est mise gratuitement à disposition des Palestiniens pour qu’ils construisent leur maison, dont ils ont alors la propriété (régime de propriété du bâti : les Palestiniens n’ont en théorie pas droit à la propriété du sol ; en pratique cela fait l’objet de négociations et accommodements quotidiens). La contrainte qui pèse sur les Palestiniens et les maintient dans le camp est donc une contrainte d’ordre économique et non une contrainte spécifiquement politique. Ceux qui ont un petit pactole peuvent acheter les terres qui jouxtent les délimitations officielles du camp et construire leur propre maison sur une parcelle plus vaste.

L’habitat [2] est très dense sur la surface du camp proprement dit, composé de maisons de béton de un, deux ou trois étages, serrées les unes contre les autres, séparées par des ruelles étroites ; dans cette zone, les logements sont insalubres et c’est pour cette raison que l’UNRWA a envisagé un programme de réhabilitation de l’habitat. L’activité de commerce y est intense, les petites boutiques sont nombreuses et la rue centrale du camp est occupée par un marché de légumes frais et de pacotille d’importation chinoise.

Il est toujours fait allusion au camp comme un lieu spécifique, bien distinct de la ville et de ses différents quartiers, lieu palestinien, « territoire » des réfugiés palestiniens. Cette représentation est peut-être cependant davantage présente chez les étrangers (c’est la pré-notion qui structure le regard du visiteur) et les institutions (l’UNRWA en particulier). De fait, même si beaucoup font allusion au camp comme un milieu particulier où, parce qu’on est Palestinien, on se sent bien, alors qu’ailleurs on n’est pas vraiment chez soi, on ne « respire pas », il est très difficile d’établir les frontières de ce milieu si spécifique.

Il faut noter tout d’abord que la spécificité du camp s’est largement atténuée depuis sa création. A l’origine les réfugiés se sont regroupés par lieu d’origine, « il y avait tout le village dans un bloc de baraques » m’indiquait l’un de mes informateurs. Cependant l’organisation du camp en « quartiers » correspondant aux villages d’origine des habitants n’a plus cours à Neirab :
(N) .. maintenant, ça s’est mélangé
(Y) ah oui, les gens bougent beaucoup dans le camp, ils changent de maison..
(N) oui, et peu importe le quartier, on s’installe où il y a de la place.
Y) mais il n’y a pas des quartiers qui sont restés marqués par le village d’origine ? il me semble avoir entendu certains noms…
(N) oui, « Tayarni » par exemple.. ce sont des gens qui ont conservé l’identité d’après l’origine du village, Tyra… [3]

La préservation de l’identité dans la topographie est ici stigmatisée comme le fait d’un groupe très endogame et soupçonné d’être dégénéré… L’appropriation du territoire ne se fait donc pas selon une répartition mimétique, recréant artificiellement le « milieu » perdu avec l’exil, mais à travers une rhétorique nationaliste générale : large usage des noms des villes de Palestine sur les enseignes des magasins, comme toponymes (places, mosquées) – et ce ne sont pas les noms des villes de Galilée qui sont inscrits, mais les noms les plus symboliques : ceux de Jérusalem( Al-Qods), de Bethléem (aussi bien pour les falafel, les épiceries, les pharmacies.. ), et plus récemment de Jénine.

Le camp est construit comme un espace propre : avec ses affiches palestiniennes et slogans à la gloire des héros de la lutte nationale, les portraits de Yasser Arafat, etc. La spécificité du camp est proclamée par tous, et un certain discours officiel parmi les réfugiés voudrait en faire une « enclave palestinienne » en territoire syrien. Or les limites du camp sont difficiles à établir, de même que son statut. Je posais ainsi la question à l’un de mes informateurs, intellectuel qui a grandi dans le camp et qui désormais habite Alep.
(Y) le camp, c’est une ville ou un village ?
(AH) ni une ville ni un village.. si tu lis Bab el-Chams [roman d’Elias Khoury] tu verras c’est très beau, il décrit les camps palestiniens, et les conditions d’habitation : ce n’est ni une maison ni une étable, entre les deux..
(Y) oui, mais dans le camp il y a des maisons normales, pas seulement les baraques…
(AH) c’est vrai, la situation s’est améliorée.. on peut dire que le camp c’est un quartier populaire de la ville qui a un caractère particulier..
(Y) et en quoi il se distingue du village de Neirab ?
(AH) ah ce n’est pas la même chose ! dans le camp, ce n’est pas la même population..
(Y) pourtant c’étaient aussi des gens de la campagne, les réfugiés palestiniens…
(AH) non c’était un mélange de citadins, de ruraux, de bédouins même… le village, c’est une société de la campagne, c’est tout. Ils étaient vraiment plus conservateurs. Avant dans le camp les femmes n’étaient pas voilées.. dans les années 70, la majorité des femmes ne portait pas le voile.. au point que les gens pensaient que nous étions tous des chrétiens ! Maintenant le camp est encore plus conservateur que les environs ! oui il y a eu rapprochement, pas forcément pour le mieux…

Ce discours présente des éléments récurrents dans les représentations des Palestiniens, ou leur manière de les exprimer : le souci de se distinguer des Syriens ( «  ce n’est pas la même chose ! » ; à un autre moment, le même interlocuteur m’explique combien, en 1948, la Palestine était plus évoluée que la Syrie) et la conscience d’une indéniable proximité ( « il y a eu rapprochement »), d’une homogénéisation progressive, menaçant d’assimilation. De cette tension entre intégration et différenciation naît ce qu’on pourrait appeler une poétique de l’entre-deux, qui semble caractériser toute la perception de soi par les Palestiniens, et leur sentiment de précarité : ni en exil, ni installés. Ce fragile équilibre est en quelque sorte continuellement maintenu par les difficultés quotidiennes, qui vont s’inscrire dans un univers de sens particulier : si l’on est pauvre, c’est parce qu’on a été chassé de sa terre, parce qu’on a perdu tout le patrimoine familial ; les misères du quotidien sont mises en perspectives avec le « paradis perdu » de la Palestine.

Or c’est cet équilibre fragile que le projet de réhabilitation de l’UNRWA vient remettre en question, en posant d’autres facteurs explicatifs à la misère présente, et en proposant d’autres solutions que « le retour ».

Le plan de réhabilitation de l’UNRWA

Partant du constat de la dégradation dramatique des conditions d’habitation dans le camp de Neirab, et des mauvaises conditions socio-économiques générales des Palestiniens des camps, le programme de l’UNRWA est à la fois un plan d’aménagement urbain et un projet de développement social.
Le programme visait en premier lieu à réhabiliter l’habitat, et de réduire la densité de population dans le camp. Or compte-tenu des faibles possibilités d’extension du camp de Neirab, il n’était pas possible pour l’UNRWA de réaménager le camp en étendant sa superficie. Il a donc été décidé de construire de nouveaux logements dans le deuxième camp de la région d’Alep, ’Ain el-Tell, sorte de village perché sur une colline. Envisagé dans une perspective théorique de développement durable basé sur la participation de la communauté, ce projet s’efforce de susciter la mobilisation des personnes concernées.

mobiliser : le déroulement de l’enquête

Tout d’abord, il s’agit de faire prendre conscience des problèmes réels en réalisant une étude socio-économique sur les conditions de vie du camp, sous la forme d’une enquête dans un échantillon important des foyers du camp, et en faisant passer les questionnaires par des volontaires issus du camp lui-même. Cette enquête a eu lieu dans le camp de ’Ain el-Tell, comme test, en avril 2005, puis dans le camp de Neirab en septembre-octobre 2005. L’enquête était composée d’un questionnaire destiné aux foyers, afin de recueillir des données statistiques (niveau d’études, situation financière et sanitaire, participation sociale etc.), et de « focus group discussions » visant à recueillir des données « qualitatives » ; ces groupes constituaient des lieux d’échange entre les habitants du camp et servaient souvent à exprimer des doléances vis-à-vis de l’UNRWA. Les gens étaient très contents de pouvoir s’exprimer librement, et si la parole était limitée par une certaine auto-censure due aux pressions politiques propres au contexte syrien, il n’en reste pas moins que le champ des préoccupations exprimées était très vaste. Les groupes de discussion politique sont nombreux au camp, mais tolérés à condition qu’ils ne parlent que de revendications politiques générales regardant la Palestine : cette relative surpolitisation semble avoir pour conséquence une décontextualisation des problèmes quotidiens, dont la responsabilité était attribuée de façon globale à la condition d’exilé, sans regard critique sur le rôle des institutions locales, aussi bien l’UNRWA que les institutions syriennes. Les groupes de discussion proposés par l’UNRWA ont donc été salués comme n effort de l’institution pour prendre en compte les véritables problèmes des gens. L’objectif de l’UNRWA était de faire un rapport détaillé des problèmes mais aussi des « potentialités » présentes dans le camp ( «  assets »).

En second lieu, la participation des habitants est sollicitée à travers la création de comités consultatifs, qui devraient être à terme appelés à prendre des décisions sur les différentes propositions concernant le projet de réhabilitation. Un problème se posait au niveau de ces comités, cooptés par la cellule locale du Parti, et jugés non représentatifs par la population. De plus, les volontaires qui avaient participé à l’enquête avaient une plus grande légitimité. Les comités consultatifs établis dans le camp de Neirab et dans le camp de ’Ain el-Tell connaissaient d’emblée d’importantes limites ; cependant l’UNRWA s’est efforcée de les utiliser dans sa stratégie pour faire participer la population et susciter un consensus autour du projet.

les réactions aux résultats de l’enquête.

Même si ce sont les réfugiés eux-mêmes qui ont participé à la réalisation de l’enquête, et que la synthèse des résultats leur a été expliquée comme parfaitement scientifique et « neutre » (on entre des chiffres dans un ordinateur), les conclusions n’ont pas été acceptées par les gens ; il est toujours désagréable de se voir objectiver, surtout par des étrangers à qui on veut donner une bonne image de soi. Aussi les réunions de présentation des résultats de l’enquête furent-elles particulièrement mouvementées ; les contestations émanaient non seulement des habitants lambda du camp, mais aussi des employés de l’UNRWA.
Les données les plus sensibles concernaient le taux d’abandon scolaire et l’âge du mariage des filles : la bonne réputation des Palestiniens en terme de niveau d’éducation semble avoir été construite comme un attribut essentiel de leur identité, de sorte que dénoncer une négligence vis-à-vis de l’éducation, qu’il s’agisse des garçons ou des filles, est un véritable scandale. L’enjeu politique de l’image apparaît dès lors au moins aussi important que celui de l’aide potentiellement apportée par les donateurs.

Des stratégies pour construire la confiance.

Face à ces résistances, l’UNRWA est amenée à adopter une stratégie qui légitime les structures communautaires en place, de manière à prendre en charge, dans le projet, les revendications d’une « identité spécifique palestinienne ».

Dans le cadre de son projet de développement social, l’UNRWA s’intéresse particulièrement aux structures traditionnelles d’épargne et d’entraide. C’est ainsi que l’UNRWA est amenée par exemple à proposer un soutien (encore mal défini : formation, aide financière) aux caisses de famille. Ces caisses sont des sortes de mutuelles d’assurance ; les services proposés sont principalement l’organisation des funérailles, une aide financière en cas de maladie, parfois aussi en cas de mariage ou de naissance. Dans certains cas ces caisses servent de coopératives d’achat.
Elles sont fondée à l’origine sur la famille « élargie », ou sur une association entre quelques familles, reproduisant ainsi la hamouleh palestinienne, c’est-à-dire la structure d’un village composé de trois ou quatre grandes familles .Ce terme, qui renvoie à une réalité très spécifique des villages palestiniens d’avant 1948, n’a jamais été employé lors des entretiens ; et pourtant il était bien question d’une association entre des familles (lien de sang), fondée sur une même origine géographique (lien du sol). Si la caisse peut être élargie à toutes les familles originaires du même village en Palestine, elle ne peut pas être élargie à une famille portant le même nom mais originaire d’un autre village (elle est considérée alors comme une autre famille). Cette condition est d’autant plus intéressante que les caisses de familles, sont des structures assez récentes : la plus ancienne date de la fin des années 70, et la plupart ont été créées dans la années 1990.
Il s’agit bien, semble-t-il, d’une véritable stratégie pour organiser la solidarité sur une base qui combine le lien du sang et le lien du sol. Ces structures ne couvrent pas toute la population du camp, et elles sont plus ou moins présente selon leur puissance financière - certaines caisses de famille sont des structures vides qui ne sont activées que pour l’organisation des funérailles. Cependant cette solidarité non seulement de la parentèle mais aussi du village d’origine devant la mort d’un de ses membre, célèbre une continuité. Ces caisses sont un élément particulièrement intéressant pour comprendre les stratégies (plus ou moins conscientes) de « création continue de l’identité ». La fonction de ces caisses de familles, outre l’aspect financier, semble bien de recréer continuellement le sentiment d’une identité commune.
C’est ainsi que N. [4] m’expliquait le contexte de la création de la caisse de Hottayn il y a quelques années : l’idée était de s’aider réciproquement et de maintenir les liens entre les gens originaires de Hottin. N. souligne ainsi que « tous les membres de la caisse sont obligés d’assister au mariage si une personne membre de la caisse se marie ». Il s’agit clairement de recréer continuellement le sentiment d’appartenance à une origine commune, contre l’effet uniformisateur du camp. C’est une certaine représentation de l’identité officielle qui va créer des pratiques afin de donner une effectivité aux représentations, de les incarner et de les confirmer.

Conclusion.

L’enjeu de la préservation de l’identité et de la spécificité palestinienne est particulièrement présent dans les discussions autour du projet de réhabilitation de l’UNRWA, et il est assumé par l’UNRWA lui-même ; il s’agit tout autant de construire des maisons que de construire la confiance. Dans un contexte où l’identité des bénéficiaires se trouve menacée par le projet lui-même, la procédure de mise en œuvre du projet va occuper une place toute particulière ; c’est au cours de cette procédure (réunions diverses, projets participatifs..) que vont se produire des interactions visant, de la part des habitants du camp, à affirmer leur spécificité (non pas comme simplement « pauvres » à aider mais comme réfugiés), et de la part de l’UNRWA, à se présenter comme une institution garante des spécificités et « traditions » palestiniennes. Il sera important d’analyser, par la suite, les positionnements des différents acteurs par rapport à ce projet, pour voir dans quelle mesure il interviendrait sur les configurations sociales du camp.

Yasmine BOUAGGA
29.05.2006

 



NOTES :

[2] Sur l’habitat dans le camp, voir Yasmine Bouagga « “Camps d’hier, maisons de demain“ : La réhabilitation d’un camp de réfugiés » in Chantiers Politiques, n°4, 2006 (à paraître).

[3] Un autre jour, on me raconte des blagues sur les Tayarni : ils ont la réputation d’être très beaux, la peau et les yeux clairs ; mais à force de vouloir rester entre eux, de toujours se marier entre eux, ils ont tous des têtes bizarres, louchent etc. On le reconnaît tout de suite, le tayarni ! D’ailleurs ils les ont tous envoyés à Ein El Tel. Tu sais pourquoi ? Parce que le Tayarni, quand il rentre de son boulot à Alep, il croit qu’il va à Neirab et comme il ne voit pas clair il se retrouve à Ein El Tel !

[4] (21/02/06)