présentation de l'éditeur
Chroniques Egyptiennes 2006 , septembre 2007, sous la direction d’Enrique Klause et de Chaymaa Hassabo. Paru le : septembre 2007 - Éditeur : CEDEJ, Le Caire, Site - Prix Egypte : 60 LE ; Europe : 20 € ; Autres : 60 €. Commande en ligne : publications@cedej.org.eg A lire sur TERRA : présentation, sommaire, résumés en français, introduction et article d’Amel Lamnaouer (Univ. Lyon 3, CEDEJ) "Du monopole de la violence « légitime » face aux défis de la sécurité nationale : l’affaire des « réfugiés » soudanais et les attentats terroristes du Sinaï". |
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L’ensemble des "Chroniques Egyptiennes" sont disponibles en ligne, un an après leur publication sur le site du CEDEJ : http://www.cedej.org.eg/rubrique.ph...
L’introduction, le sommaire et les résumés des "Chroniques Egyptiennes 2006 peuvent être retrouvés sur le même site : http://www.cedej.org.eg/article.php...
Le texte intégral de Amel Lamnaouer (Univ. Lyon 3, CEDEJ) "Du monopole de la violence « légitime » face aux défis de la sécurité nationale : l’affaire des « réfugiés » soudanais et les attentats terroristes du Sinaï" est publié sur TERRA avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.
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PRESENTATION :
Après les rendez-vous électoraux de l’automne 2005 marqués par la reconduite de Hosni Moubarak au pouvoir mais surtout par la percée sans précédent des Frères musulmans au Parlement, 2006 s’annonçait comme l’année des recompositions, à défaut d’être celle du changement. Pourtant, entre l’épizootie de la grippe aviaire et le naufrage du ferry Al-Salam 98, entre les attentats du Sinaï et les accidents ferroviaires à répétition, ce sont les crises et les catastrophes qui ont occupé le devant de la scène médiatique. La presse a également eu plus d’une polémique à se mettre sous la dent, que celles-ci aient trouvé leur origine dans des événements extérieurs (les caricatures du prophète, la guerre du Liban) ou dans des déclarations à sensation de personnalités égyptiennes. Au demeurant, des recompositions ont été observées, mais pas nécessairement celles escomptées, dans les syndicats ouvriers ou étudiants notamment, mais aussi au cœur de l’exécutif, avec la montée en puissance de Gamal Moubarak.
Cette troisième édition des Chroniques égyptiennes a pour ambition de restituer dans leur complexité des faits survenus en 2006, ceux qui ont « fait événement » mais aussi ceux qui, malgré leur importance, n’ont pas fait la une des journaux. Avec quinze contributions, dont quatre en anglais, ce nouvel opus étend le champ des domaines abordés les années précédentes, témoignant de la vivacité et de la diversité des recherches au Cedej.
SOMMAIRE :
Introduction : état des lieux et moments forts de l’année 2006
Enrique Klaus
(texte intégral)
Quatorze millions d’Égyptiens en plus depuis 1996
Éric Denis
(résumé)
La petite paysannerie dans la tourmente néolibérale
François Ireton
(résumé)
Élections ouvrières : entre fraude et chasse aux « Frères masqués »
Françoise Clément
(résumé)
Reform and Parallel Organizations in Universities : A Year of Movement
Nefissa Hassan Dessouki & Muhammad Galal
(résumé)
Frères musulmans : des (bons ?) usages de la confrontation
Tewfik Aclimandos
(résumé)
The Opposition Parties Crisis or the Crisis of Liberal Democracy
Amr Abdul Rahman
(résumé)
Chronique d’un Ramadan ordinaire
Iman Farag
(résumé)
Gamal Moubarak sous les projecteurs : le lancement de sa campagne présidentielle ?
Chaymaa Hassabo
(résumé)
Et Zahî créa l’Égypte : quand glamour et patrimoine défraient la chronique
Jean-Gabriel Leturcq & Sylla Thierno Youla
(résumé)
Un Caire chaque jour un peu plus « historique », une institution patrimoniale chaque jour un peu moins garante de sa sauvegarde
Omnia Aboukorah
(résumé)
Emerging Viruses, State of Emergency and the Manufacture of Health Crises
Matthieu Fintz
(résumé)
Du monopole de la violence « légitime » face aux défis de la sécurité nationale : l’affaire des « réfugiés » soudanais et les attentats terroristes du Sinaï
Amel Lamnaouer (résumé) |
L’Égypte face à la sixième guerre israélo-arabe, entre allégeance aux États-Unis et solidarité avec la résistance libanaise
Hadjar Aouardji
(résumé)
Questionnement de l’identité égyptienne à la faveur des controverses religieuses
Hélène Legeay
(résumé)
The ‘Ayd “Sexual Rage Scandal” : Managing the Lack of Information through Categorical Photo-fit
Enrique Klaus
(résumé)
Disparus en 2006
L’année en dates
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RESUMES :
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Introduction : état des lieux et moments forts de l’année 2006
Enrique Klaus
(texte intégral)
Quatorze millions d’Égyptiens en plus depuis 1996
Éric Denis
D’après les résultats provisoires du dernier recensement de la population, de l’habitat et des établissements économiques de l’Egypte, il apparaît que, en comptant les Egyptiens partis résider à l’étranger entre l’avant-dernier recensement (1996) et le dernier, le croît naturel de la population égyptienne a dépassé les 14 millions de personnes durant la dernière décennie. Le taux moyen annuel de croissance démographique a été d’environ 2.2 % au cours de cette dernière, alors qu’il était passé de 2.8 % entre 1976 et 1986 à 2.08 % entre 1986 et 1996. Après avoir fortement diminué, ce taux remonte donc un peu, en raison de l’arrivée en période de fécondité de la large cohorte féminine née lors de la période de très forte croissance démographique des années 1970 et du début des années 1980. L’arrivée sur le marché du travail et du logement des cohortes nées durant ces années a accru les tensions dans ces domaines, pesant sur le taux de chômage et sur l’extension de l’habitat illégal périurbain ou villageois. Par ailleurs, la population ne se dirige nullement vers les régions désertiques du pays, en dépit des travaux pharaoniques entrepris pour tenter de l’y attirer. Le taux de croissance démographique des très grandes villes remonte, celui des provinces du Delta continue de décroître lentement et celui de la Haute-Egypte (Vallée du Nil) reste stable à un niveau élevé, alors que la densité moyenne du Delta et de la Vallée (hors très grandes villes) s’est accrue de 300 habitants au kilomètre carré en dix ans, atteignant un niveau record (à l’échelle de l’écoumène planétaire) de 2 000 habitants au kilomètre carré.
La petite paysannerie dans la tourmente néolibérale
François Ireton
Au cours de la dernière décennie du siècle dernier et des premières années de ce siècle, deux catégories d’événements sont apparues dans les campagnes égyptiennes. (1) Dans le cadre de l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi (1992) relative aux relations entre propriétaires terriens et locataires agricoles visant à la libéralisation du marché de la terre locative et à une forte augmentation du prix des baux, de nombreux conflits ont éclaté entre les propriétaires et les petits exploitants, nombre de ces derniers ayant dû quitter leurs parcelles. Ce processus a renforcé la pauvreté dans les campagnes égyptiennes. (2) Quelques héritiers des grandes familles de propriétaires terriens, dépossédés par les lois de réforme agraire de 1952 et 1961, ont commencé à tenter de récupérer illégalement leurs anciennes terres et à chasser les petits paysans des parcelles redistribuées dont ils sont les propriétaires légaux. Dans quelques villages comme Sarando ou ‘Izbat Mercha, des émeutes ont éclaté en 2005 et en 2006, opposant ces paysans à la police et aux hommes de main recrutés par les anciens propriétaires, causant de nombreux blessés et coûtant la vie à certains.
Élections ouvrières : entre fraude et chasse aux « Frères masqués »
Françoise Clément
Les élections ouvrières de 2006 ont été les troisièmes élections les plus importantes du cycle électoral de la succession présidentielle, après les élections présidentielle et législatives de 2005. Bien que les candidats affiliés à des partis politiques (600 membres issus de la gauche et 500 Frères musulmans) représentaient 3 % des 35 000 candidats en lisse, selon les observateurs des ONG d’opposition, le président du syndicat et la nouvelle ministre du Travail ont mis en place un processus de sélection administrative très sophistiqué, qui a évincé la moitié des candidats en assurant que 37% des non-évincés seraient cooptés sans élections. 60 % des syndicalistes élus et cooptés étaient nouveaux, ce qui traduit une forte volonté de changement. Les 3 % de l’opposition ont eu recours à des moyens juridiques et politiques légaux (mobilisation et alliances, observateurs, médias, négociations avec le gouvernement) pour assurer 1,5 % de présence au niveau des entreprises et 1 % de participation à la tête du syndicat ouvrier.
Reform and Parallel Organizations in Universities : A Year of Movement
Nefissa Hassan Dessouki & Muhammad Galal
Les organisations parallèles se sont imposées dans l’espace public égyptien en 2006. Ce sont des formes organisationnelles réunissant des membres appartenant à une certaine catégorie, tels les ouvriers, les enseignants ou encore les étudiants. Elles sont parallèles en ce sens qu’elles assument le même rôle que l’organisation officielle de la corporation ou de la population représentée. Cet article offre un panorama de l’expérience du Mouvement du 9-Mars et du Syndicat libre des étudiants, parties prenantes de la montée en puissance des organisations parallèles dans la société égyptienne. Y sont analysés les problèmes cruciaux liés à l’éducation dans les universités égyptiennes, qui furent éclipsés lors des élections étudiantes par le débat portant sur les élections elles-mêmes.
Frères musulmans : des (bons ?) usages de la confrontation
Tewfik Aclimandos
2006 a été une année délicate pour les Frères musulmans et leur bilan est mitigé. D’une part, ils ont réussi à capitaliser leur incroyable performance lors des élections de 2005, avec une progression du nombre de leurs membres, jusqu’à atteindre une masse critique, et faisant, à plus d’une occasion, des sorties remarquées au Parlement. D’autre part, ils ont pris un virage radical à droite, donnant des munitions à ceux qui pensaient que leur supposé aggiornamento n’était rien de plus qu’une posture. L’auteur soutient que des contraintes organisationnelles et idéologiques, l’interaction avec d’autres acteurs des champs politique et religieux, ainsi que la nécessité d’une stratégie visant à augmenter et à consolider son hégémonie sur ce dernier champ, sont des variables cruciales pour comprendre la logique interne des actions et discours de la confrérie.
The Opposition Parties Crisis or the Crisis of Liberal Democracy
Amr Abdul Rahman
L’année 2006 a été un moment de vérité pour les partis égyptiens non islamiques. Leur fragilité est l’un des enseignements les plus significatifs des élections législatives de 2005. Leur échec à profiter des mesures d’ouverture politique limitée qui ont marqué 2005 a poussé l’aile réformiste à prendre le pouvoir de nombre de ces partis ou d’à imposer des décisions réformistes à leurs directions. Alors que certains leaders s’y sont pliés, d’autres ont résisté, menant ainsi leur parti au bord de l’explosion. Cet article tente d’envisager l’avenir de ces mesures réformistes et de comprendre si ces partis seront capables de raviver leur base sociale de manière à aller au-delà du déséquilibre frappant entre l’opposition islamique et les forces non islamiques. Analyser les tentatives de réforme dans le contexte plus large des développements politiques qui ont eu lieu en 2005 rend particulièrement incertaine la vie partisane qui devrait éclore dans un futur proche, c’est-à-dire avant les élections législatives et présidentielle à venir, en 2010 et 2011.
Chronique d’un Ramadan ordinaire
Iman Farag
Ramadan offre l’occasion d’un discours de l’autoévaluation. Dans la version idéale, au cours du mois sacré, les Egyptiens se montrent sous leur meilleur jour, mêlant compassion, gentillesse et courtoisie. Le jeûne, en tant que pratique partagée, implique le sens de la solidarité. Dans ce qui devrait être une version réaliste, Ramadan révèle à quel point cette société s’éloigne de ses principes moraux ; pratiquer la religion de manière ostensible permet le contrôle social, sans pour autant réduire la corruption ou la criminalité. Le jeûne entraîne avant tout la consommation de davantage de nourriture et l’imposition de contraintes dans l’espace public. L’Egypte réelle, si tant est qu’elle existe, s’avère bien plus compliquée que ces deux versions. Cette chronique de Ramadan 2006 se concentre sur deux pratiques courantes : d’une part, les tables de charité (mawâ’id al-rahmân), qui permettent de renouveler la question des relations entre la charité et les besoins, liée à une autre question : qui sont les pauvres méritant la charité ? D’autre part, l’iftar politique, qui se transforme en un rituel permettant de délivrer des messages. Au cours de ce Ramadan, les attentes vis-à-vis des réformes constitutionnelles ont constitué le principal enjeu.
Gamal Moubarak sous les projecteurs : le lancement de sa campagne présidentielle ?
Chaymaa Hassabo
Il ne fait aucun doute que le débat autour de la transmission héréditaire du pouvoir (tawrîth al-sulta) a été lancé depuis plusieurs années, quand Gamal Moubarak a commencé sa carrière politique au PND. Que s’est-il passé en 2006 pour que la question se retrouve au coeur des discussions de tous les jours ? L’omniprésence du fils du Président et la médiatisation de nombre de ses activités (publiques ou personnelles, internationales ou nationales) ont non seulement renforcé ce débat mais ont également confirmé l’imminence de la succession. Au-delà de l’idée d’une « double présidence » qui est devenue évidente cette année, certains s’interrogent : qui gouverne l’Égypte ? À travers une chronologie analytique des activités de Gamal, cet article a pour objectif de donner une idée des stratégies développées par Moubarak junior pour renforcer son pouvoir et se présenter comme le seul « sauveur » de l’Égypte.
Et Zahî créa l’Égypte : quand glamour et patrimoine défraient la chronique
Jean-Gabriel Leturcq & Sylla Thierno Youla
Cet article a pour objet d’analyser le discours et les polémiques publiés dans les journaux nationaux autour de la personnalité de Zâhî Hawwâs, le secrétaire général du Conseil suprême des antiquités (CSA). L’homme a bâti son pouvoir sur le patrimoine égyptien, utilisant sa position institutionnelle ainsi que l’image de prestige qu’il a projetée dans les médias étrangers. L’article rend compte de son emprise sur le patrimoine, englobant les champs culturel, économique et politique. Néanmoins, sa présence dans la liste des 100 personnalités les plus influentes dans le monde dressée par « Time Magazine » ainsi que sa reconduction à la tête du CSA n’ont pas empêché les critiques en Egypte concernant sa stratégie de communication, orientée vers les médias. Cet article décrit le jeu de miroir reflétant les ambiguïtés de la politique locale et le prestige international de l’Egypte en termes de patrimoine, d’identité, de pouvoir, de connaissance, de science et de business. En tant que personnification de l’archéologie égyptienne, Zâhî Hawwâs incarne toutes ces ambiguïtés.
Un Caire chaque jour un peu plus « historique », une institution patrimoniale chaque jour un peu moins garante de sa sauvegarde
Omnia Aboukorah
L’actualité patrimoniale concernant la sauvegarde des bâtiments et zones protégées dans le Caire historique a été largement dominée, au cours de cette année, par trois aspects : la multiplication des déclarations, remarques et commentaires des officiels du Conseil suprême des antiquités affirmant leur satisfaction face aux différents projets de « restauration » et de « développement » en cours (pas moins de 44 monuments concernés) ; les débats virulents au sujet de la construction du futur Centre financier et touristique du Caire au pied de la Citadelle ; enfin, la construction de bazars, restaurants et discothèques au beau milieu d’un complexe d’églises inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité. A l’examen de ces trois aspects, on perçoit un processus de “création de valeurs”, lequel semble ne pas reposer sur les valeurs historiques ou archéologiques des différents bâtiments ou zones, mais sur les stratégies multiples développées par de nombreux acteurs aussi diversifiés que des fonctionnaires de haut rang, des businessmen, voire des membres du clergé.
Emerging Viruses, State of Emergency and the Manufacture of Health Crises
Matthieu Fintz
Le 30 avril 2006, le Parlement égyptien a donné son accord à la reconduction pour deux ans de la loi d’urgence ─ en vigueur depuis 27 ans. Lors d’âpres débats, 105 membres de l’opposition, pour l’essentiel issus des Frères musulmans, ont lancé une campagne pour mettre fin à l’état d’urgence. Le même jour, le gouvernement rejetait une requête de 20 députés demandant la création d’une Commission de vérité sur la grippe aviaire afin qu’elle mène l’enquête sur la « destruction » du secteur avicole égyptien. Comment des pathogènes émergents peuvent-ils se retrouver pris dans les filets de l’état d’urgence ? Cet article aborde le sujet en s’intéressant d’abord à la manière dont la grippe aviaire et d’autres infections émergentes ont été traitées et portées au rang de crises sanitaires par les journaux égyptiens. Dans une seconde partie, il tente de rendre compte des constructions symboliques créées à l’occasion de ces crises sanitaires ─ principalement la grippe aviaire ─, alors que les acteurs cherchaient des causes et des responsabilités dans un contexte dominé par l’incertitude.
Du monopole de la violence « légitime » face aux défis de la sécurité nationale : l’affaire des « réfugiés » soudanais et les attentats terroristes du Sinaï
Amel Lamnaouer
L’état d’urgence, en vigueur en Egypte depuis 27 ans, continue à justifier les politiques coercitives du gouvernement contre tout ce qui est perçu comme une menace pour la stabilité de l’Etat. La pérennité du système politique monopolistique doit être garanti à tout prix. Au cours de l’année 2006, l’Etat a eu recours à deux reprises à la violence contre des populations particulières pour répondre à des problématiques de sécurité intérieure, l’immigration et le terrorisme, légitimées par la situation internationale. D’une part, les Soudanais qui ont organisé un sit-in sur la place Mustafâ-Mahmûd à Mohandessine pour réclamer la régularisation de leur statut ou leur transfert vers des pays occidentaux ; d’autre part, les Bédouins du Sinaï après les attaques terroristes, qui ont été la cible de la violence étatique au nom de la sécurité intérieure (al-amn al-qawmî). Cet article analyse la chronologie des événements ainsi que les justifications a posteriori de l’Etat.
(texte intégral)
L’Égypte face à la sixième guerre israélo-arabe, entre allégeance aux États-Unis et solidarité avec la résistance libanaise
Hadjar Aouardji
La guerre israélienne contre le Liban durant l’été 2006 a, une fois de plus, révélé un dilemme égyptien : la déchirure entre l’allégeance historique du gouvernement aux Etats-Unis, l’allié indéfectible d’Israël, et le sentiment de la rue égyptienne, qui a soutenu dans son écrasante majorité la résistance du Hezbollah, portant Hassan Nasrallah au rang de héros de la cause arabe. Les dirigeants égyptiens ont développé plusieurs stratégies dans le but de ne pas s’aliéner l’opinion publique. Nous essaierons d’apporter un éclairage sur ces stratégies et d’analyser les positions de l’opposition vis-à-vis de la guerre, en particulier celle des Frères musulmans.
Questionnement de l’identité égyptienne à la faveur des controverses religieuses
Hélène Legeay
Le 16 novembre, le journal indépendant Al-Misrî al-yawm publie une interview du ministre de la Culture, Fârûq Husnî, dans laquelle ce dernier qualifie l’augmentation du nombre de femmes voilées en Egypte de « régression ». Le propos fait scandale. Un grand nombre d’acteurs de la scène politique et intellectuelle investissent l’affaire estimant que l’enjeu est, ni plus ni moins, la définition de l’identité religieuse de l’Egypte et, partant, de l’autorité normative des religions. En revenant sur les différents types d’arguments énoncés dans ce scandale et dans d’autres polémiques relatives à l’identité égyptienne qui ont marqué l’actualité en 2006, nous nous proposons de mettre au jour les représentations antagonistes de cette identité soumises au débat et leurs implications juridiques quant à une nouvelle détermination des rapports entre le droit national et les dogmes et normes religieuses.
The ‘Ayd “Sexual Rage Scandal” : Managing the Lack of Information through Categorical Photo-fit
Enrique Klaus
Lors des festivités du petit Baïram, plusieurs blogueurs ont rapporté l’information du harcèlement sexuel collectif en centre-ville. Pendant un peu moins d’un mois, le « scandale de la rage sexuelle », comme on l’a appelé, a occupé les manchettes des journaux. Or, alors que la seule source disponible sur le sujet était les rapports des blogueurs, l’information manquait clairement de précision. Le but de cet article est de montrer comment les journalistes ont géré ce manque d’information. En analysant le réseau dialogique du scandale, une attention particulière est donnée au travail de catégorisation des participants concernant tant les premiers promoteurs de l’information que les « jeunes » qui ont commis de tels actes. Ce faisant, il est possible de documenter comment les journalistes ont rendu compte du manque d’information sur le sujet et, en conséquence, comment ils ont construit un portrait-robot catégoriel des « jeunes » transférant ainsi la responsabilité des actes des agresseurs aux agressées.
INTRODUCTION :
Enrique Klaus,
État des lieux et moments forts de l’année 2006.
Lancées dans leur nouvelle mouture il y a deux ans, les Chroniques visent à offrir à leurs lecteurs quelques éclairages sur l’actualité égyptienne de l’année écoulée. L’exercice se veut à mi-chemin entre le travail de chroniqueur, qui se caractérise par l’assemblage et la juxtaposition de faits survenus lors d’une période donnée, et celui d’analyste, qui consiste en la mise en intelligibilité de ce qui ne l’est pas d’emblée ou, à tout le moins, de ce qui ne l’est pas dans toute sa complexité. Ce n’est donc pas tant une thématique ni même une méthodologie qui réunit les quinze articles compilés dans le présent ouvrage qu’une circonstance, temporelle, de sujets apparus ou réactualisés pendant l’année 2006.
De la crise de la grippe aviaire aux élections étudiantes et ouvrières, en passant par la succession présidentielle ou encore le débat sur le voile dans ses derniers développements, le lecteur sera peut-être frappé par la diversité des sujets abordés. Une telle variété est autant l’indice d’un certain dynamisme de la vie publique égyptienne que le reflet de l’éclectisme qui règne au Cedej. À l’évidence, un projet tel que celui des Chroniques égyptiennes ne vise pas l’exhaustivité – objectif par définition inaccessible : ces chroniques doivent être lues comme une fenêtre ouverte sur la vie publique égyptienne à travers laquelle on tente, non pas d’ordonner des faits que l’on sait par définition aléatoires et contingents, mais de restituer de manière substantielle certains des faits saillants de l’année écoulée.
Dans cette optique, la sélection des thématiques a répondu à une double exigence : la pertinence du thème en 2006 et la familiarité de l’auteur avec le sujet proposé. S’agissant de la première exigence, un sujet est considéré comme pertinent dès lors qu’il a trouvé à se déployer dans la vie publique égyptienne au cours de l’année ou à être réactualisé – dans le cas d’un débat trouvant ses origines hors ce cadre temporel – en 2006. La deuxième exigence cumule le double intérêt de permettre au chroniqueur de traiter d’un sujet directement en lien avec ses principales préoccupations de recherche, et à l’ouvrage de gagner en qualité.
Au titre de la première exigence, les chroniques s’intéressent principalement à des thématiques qui ont bénéficié d’une certaine couverture médiatique au cours de l’année 2006. Précisément, c’est peut-être du fait de la vivacité du marché égyptien de l’information que le besoin d’un point régulier sur l’actualité se fait ressentir. Depuis quelques années, les kiosques regorgent de titres, journaux partisans et/ou « indépendants », diversifiant un marché jusqu’alors monopolisé par la presse dite nationale (sahâfa qawmiyya). Si cette dernière reste bien sûr prépondérante, elle doit désormais composer avec la présence de ces « challengers » qui viennent la concurrencer jusque dans son dernier bastion, à savoir la presse quotidienne (cf. Al-Misrî al-yawm et dernièrement Al-Dustûr ou encore Al-Badîl). Au-delà de la presse écrite, dès la fin des années 1990, les chaînes satellites avaient remis en équation la souveraineté sur l’information, défendue avec zèle par les journaux nationaux. On se souvient, à ce propos, de la réaction du Président Hosni Moubarak, en marge de sa visite officielle à Doha, s’exclamant dans la salle de rédaction, visiblement exigüe, d’Al-Jazeera : « Et tous ces problèmes viennent d’une petite boîte d’allumettes comme celle-ci ! » [1]. Pour être complet, ajoutons qu’aujourd’hui, il faut également compter sur la présence de certains blogueurs ayant à cœur de concurrencer les principaux acteurs du champ journalistique égyptien ou de couvrir des événements généralement peu traités par ceux-ci.
Puisant dans tous ces médias, les contributions compilées dans le présent ouvrage sont organisées autour de deux pôles. Le premier vise à faire le point sur des questions politiques ou sociales s’inscrivant dans la durée et ayant connu une réactualisation au cours de l’année 2006. On présentera ici un état des lieux de phénomènes sociopolitiques variés qui doivent être replacés dans leur historicité et contextualisés afin d’aller au-delà du caractère strictement événementiel de l’occurrence de ces phénomènes en 2006. Le deuxième pôle revient sur les « moments forts » de 2006, sur l’événementiel traité en tant que tel, sur ce qui a fait événement ou sur ce qui a été montré comme tel.
Au titre de l’état des lieux que permet ce « bilan » de l’année 2006, nous commencerons par la note analytique des tout premiers résultats du recensement de la population qui s’est tenu en 2006. En commentant ces chiffres et en les mettant en perspective avec les résultats antérieurs, Éric Denis nous montre que la croissance démographique demeure soutenue et que, de ce fait, l’Égypte apparaît comme un mastodonte démographique dans la région. Dans sa note, il analyse également les répercussions sur le marché du travail et le secteur immobilier d’une distribution démographique si particulière. Son analyse permet notamment de nuancer le discours officiel s’attirant les rétributions d’une politique d’investissement et de mise en valeur des terres désertiques dont les répercussions paraissent bien minimes lorsqu’on les confronte à d’autres données chiffrées.
L’article de François Ireton revient, quant à lui, sur les échauffourées entre « propriétaires terriens » et paysans « locataires » qui résultent des réaménagements législatifs de la réforme agraire des années 1950 et qui ont émaillé l’année 2006. Les victimes de ces conflits le sont triplement. Elles sont avant tout victimes de la violence privée, exercée par des hommes de main recrutés pour l’occasion ou par des fonctionnaires de police soudoyés à des fins privées. Elles sont victimes du désintérêt médiatique et, pour peu que leurs problèmes soient relayés par la presse, elles sont victimes des typifications déterministes dans lesquelles les journalistes les figent, à grands renforts de clichés et d’images d’Épinal de la ruralité, synonyme de rusticité pour le journaliste citadin. Comme le montre François Ireton, ces victimes ne sont jamais considérées pour ce qu’elles sont, ni par les journalistes ni par les leaders associatifs pleins de bonnes intentions, à savoir les victimes d’une corruption rurale qui se glisse –aux champs comme à la ville – dans les interstices laissés par le flou des cadres juridiques.
D’une certaine façon, la question de la réforme des universités et l’absence de débat à ce sujet pendant les élections étudiantes de l’automne 2006 constituent en soi un autre angle mort de l’actualité 2006 sur lequel nous revenons. Comme le montrent Nefissa Hassan Dessouki et Muhammad Galal, la marchandisation du secteur de l’éducation supérieure par les élites politiques n’a que très peu été abordée par les journaux dans leur couverture des élections étudiantes. Il faut signaler qu’en l’occurrence, c’est la tenue même du scrutin et les termes de la compétition électorale qui étaient en jeu et qui ont fait débat. Professeurs et étudiants ont tenté de se soustraire à la tutelle de l’État en organisant des élections dites indépendantes pour désigner les leaders syndicaux d’un organisme parallèle. Ainsi, la presse a-t-elle couvert cette actualité en réemployant les schémas binaires et rodés de la confrontation entre l’opposition – principalement les Frères musulmans – et le pouvoir. Pour aller au-delà de l’investissement politico-partisan de ces élections, Nefissa Hassan Dessouki et Muhammad Galal explicitent l’intérêt croissant des responsables syndicaux et politiques pour les organisations parallèles ainsi que les manœuvres législatives opérées pour imposer le projet de réforme de l’enseignement supérieur, tout en se gardant bien de le soumettre à débat.
Comme au moment des élections étudiantes, les élections ouvrières ont été pour la presse l’occasion de réactualiser les schémas médiatiques de l’éternelle confrontation entre le régime et la confrérie « interdite mais tolérée ». Cela explique peut-être l’inhabituelle couverture médiatique dont ont bénéficié les élections du syndicat ouvrier. Mais s’en tenir à cela reviendrait à ignorer à la fois l’impact des conflits sociaux qui se sont multipliés dans les usines après les élections législatives de 2005 et le considérable investissement médiatique de la nouvelle ministre de la Main-d’œuvre et de l’Émigration. Prenant acte de ces innovations dans la question syndicale et ouvrière, Françoise Clément revient sur les nombreux rebondissements qui ont précédé le scrutin et qui dénotent la prétention du pouvoir à noyauter les syndicats et à faire barrage à l’opposition. Il en va du syndicat ouvrier comme du syndicat étudiant : l’enjeu même de la tenue du scrutin laisse peu de place aux débats sur les enjeux à long terme que sont les questions des minimas sociaux et des licenciements qui accompagneront les plans de privatisations prévus par le gouvernement.
En 2006, la confrérie, en tant que telle, est elle aussi exposée à une nouvelle visibilité du fait de son succès notable aux dernières élections législatives. Tewfik Aclimandos propose ici une analyse des faits saillants de l’actualité 2006 des Frères musulmans en replaçant dans leur contexte (idéologique, notamment) les multiples prises de parole et les positionnements auxquels est contrainte la confrérie dans son apprentissage de la « légalité » partisane compliquée par sa clandestinité. Au-delà des multiples vagues d’arrestations qui témoignent de la continuité sécuritaire dans le « changement » politique, quelles analyses peut-on tirer quant au jeu d’équilibriste auquel s’adonnent les Frères, tiraillés entre la nécessité d’émettre les signaux d’une conversion aux principes du gouvernement représentatif et le besoin de ne pas se faire doubler sur leur droite par les mouvements salafistes ?
Face à cette prédominance médiatique et politique de la confrérie dans la vie politique égyptienne, quelle place occupent en 2006 les partis d’opposition ? C’est à cette question que Amr Abdul Rahman apporte des éléments de réponse en revenant sur l’échec de ces partis laïcs à profiter de la parenthèse enchantée de 2005 et de son ouverture politique favorisée par les élections. Il s’intéresse principalement au Wafd, au Tagammu‘, au parti nassérien et au Ghad pour y déceler les défis de la réforme qui s’impose, de manière différente, à ces partis en mal d’assise populaire et enclins aux divisions entre partisans du statu quo et réformateurs, comme l’illustrent les dramatiques échauffourées survenues au siège du Wafd le 1er avril 2006.
À mi-chemin entre le politique et les mondanités, Iman Farag se propose d’analyser le « mois de la vertu » en tant que fait social et fait de société. Elle revient sur les usages sociaux des festivités qui entourent Ramadan et montre comment les ma’idat al-rahmân (les tables de la charité), dressées et agencées avec plus ou moins de discrétion pour la rupture du jeûne des plus démunis, ne relèvent plus (ou pas) du seul domaine de la dévotion religieuse et se « métamorphosent » selon le sens que l’on y investit. Significativement, hommes d’affaires, danseuses et autres personnalités du show-business ont bien compris qu’en ce mois sacré, grande charité rime avec petits profits et qu’altruisme et désintéressement ont pour principale vertu d’attirer les regards. Mois béni du petit écran, Ramadan est l’occasion d’une grande messe médiatique qui va bien au-delà des traditionnels feuilletons télévisés dont le dévot se délecte religieusement. Pour la presse, les festivités du mois constituent un « marronnier » [2], pour plagier son jargon. À ce jeu-là, tout le monde y trouve son compte : les journalistes courent les réceptions de personnalités, notamment politiques, tandis que ces dernières cherchent en retour à tirer la couverture (médiatique) vers elles. Non sans quelque humour, Iman Farag décortique toute la subtilité des codes de l’iftâr politicien qui consiste à capitaliser politiquement à moindre frais – à plus d’un titre – ou à faire de la politique tout en restant dans le domaine des mondanités : « Dans ces banquets, il s’agit de célébrer des consensus, réitérer des lieux communs, sceller des réconciliations en public et taire les différends. Les bras de fer se transforment en accolades et, sur les divergences, prime l’expression du respect mutuel, de la considération portée à l’individu, voire de l’amitié. Toutes choses qui se traduisent autant par les gestes que par la parole et que les médias s’empressent d’interpréter. »
Restons dans cet interstice entre le vie mondaine et la vie politique, avec la contribution de Chaymaa Hassabo qui s’intéresse à la (sur)exposition médiatique qui a caractérisé, tout au long de l’année 2006, la politique de Gamal Moubarak, au point que l’on est en droit de se demander si celui-ci n’est pas en train de faire campagne pour succéder à son père. De déplacements claironnés ou cachés en déclarations dignes d’un chef d’État, Gamal Moubarak s’est imposé ces dernières années comme un habitué des manchettes de journaux, toutes tendances confondues et, partant, sur des modes d’analyse différents voire, opposés. Sur l’année 2006, on constate un double jeu de monstration (visites officielles en province, discours prononcés lors du Congrès du PND) et de dissimulation (visite « secrète » au Président Bush, fiançailles en catimini) autour de sa personne. Son ubiquité médiatique a amené certains commentateurs à parler d’une « double présidence » ou d’un partage des tâches présidentielles entre le père et le fils. En revenant sur les recompositions opérées à la tête du PND et sur les remaniements ministériels du gouvernement Nazîf, Chaymaa Hassabo nous montre non seulement comment Gamal Moubarak s’aménage des appuis au sein des institutions du pays mais également comment cette occupation de l’espace virtuel des médias a des effets de réalité tout à fait tangibles. On en veut pour preuve la concurrence entre le « prétendant » et le Premier ministre – sa personne et sa fonction – en raison du flou de la distribution des prérogatives politiques au sein de l’élite dirigeante et de cette présidence bicéphale.
Dans un tout autre domaine, on constate une même politique de trust des médias à l’initiative du secrétaire général du Conseil suprême des antiquités, Zâhî Hawwâs. Dans sa contribution, Jean-Gabriel Leturcq analyse la manière dont l’image médiatique savamment construite par le « Roi des pharaons » a favorisé la consolidation de son pouvoir. L’auteur montre tout d’abord comment Hawwâs a su peaufiner son image à l’étranger, brossée, à la manière d’une toile impressionniste, par petites touches successives à coups d’anecdotes distillées dans les médias, relatant ses faits d’armes et autres exploits dans l’exercice de sa profession d’archéologue. Son charisme et sa poigne lui ont permis d’engager d’audacieuses politiques de restitution d’objets, de dégager le service dont il a la charge de sa tutelle ministérielle et même de mener à bien des politiques patrimoniales restées longtemps dans l’impasse, notamment la (discutable) opération de déplacement de population sur la rive occidentale de Louxor. Comme le souligne l’auteur, s’il bénéficie d’une aura internationale de gardien des antiquités égyptiennes, brillamment entretenue par les médias étrangers, il doit composer, en Égypte, avec une presse beaucoup moins élogieuse à son endroit. Les journaux d’opposition ont en effet tôt fait de l’ériger en exemple symptomatique d’une Égypte corrompue, autoritaire et gouvernée par une élite vieillissante cramponnée à son pouvoir.
Restons dans le domaine du patrimoine avec l’article d’Omnia Aboukorah qui revient sur l’ambitieux projet « Le Caire, musée à ciel ouvert » lancé en 1996 et devant arriver à échéance en 2007. Elle nous rappelle la teneur des principaux débats qui avaient entouré son lancement pour mieux souligner l’absence de discussions autour de son aboutissement. Tout au plus, la presse s’est fait l’écho des inaugurations en grande pompe et des réceptions qui ont accompagné (ou donné matière à) l’événement. Mais aucune mention n’a été faite des critères de réhabilitation, de réaménagement et de rénovation des monuments. En revanche, l’actualité patrimoniale a été dominée par deux controverses autour des ambitions de deux businessmen égyptiens mettant en péril des pièces uniques du patrimoine égyptien, nommément l’église suspendue et la citadelle du Caire. Omnia Aboukorah décrypte ces deux affaires qui révèlent l’impact dans le domaine patrimonial de l’une des pires plaies de l’Égypte contemporaine, à savoir la corruption.
De manière plus classique dans le cadre d’une chronique, la seconde série d’articles est l’occasion d’un retour sur les « moments forts » de l’année 2006. Toutefois, les contributeurs n’ont pas souhaité s’en tenir à l’événementiel, préférant le recadrer dans son contexte. Pour ce faire, différents outils méthodologiques ont été mobilisés allant de la sémiotique de l’image à l’analyse de catégorisation, en passant par la méthode comparative permettant, par le rapprochement de débats ou événements de 2006 similaires ou apparentés, d’isoler des variables, d’affiner des hypothèses et de relever des constantes.
Nous commencerons par la contribution de Matthieu Fintz traitant de la crise de la grippe aviaire en Égypte. Rappelons au préalable, pour mieux en souligner l’importance, que l’Égypte est le foyer infectieux hors continent asiatique où l’on déplore le plus de décès. L’auteur analyse le traitement médiatique de la crise sanitaire provoquée par l’épizootie de la grippe aviaire. Dans sa revue de presse égyptienne du traitement de la catastrophe, il nous montre comment des infections émergentes telles que la grippe aviaire ont été catégorisées par les journalistes en tant que crise sanitaire, offrant ainsi l’argument de la sécurité nationale au gouvernement qui s’apprêtait à reconduire l’état d’urgence en place depuis plus d’un quart de siècle. Puis, tout en passant en revue les constructions symboliques et les métaphores journalistiques traitant directement ou indirectement du sujet, Matthieu Fintz répertorie le jeu des accusations médiatiques qui finit par diluer tout discernement dans la chaîne des responsabilités entre le gouvernement, les citoyens et les médias eux-mêmes.
S’agissant toujours de la sécurité nationale et de l’état d’urgence, Amel Lamnaouer nourrit une réflexion sur le monopole de la violence « légitime » d’un régime autoritaire à travers l’analyse de deux tragédies survenues en 2006 : le massacre des réfugiés soudanais de la place Mustafâ-Mahmûd et les attentats du Sinaï. Le rapprochement qu’elle opère entre ces deux événements de natures différentes se situe au niveau de la réaction de l’appareil sécuritaire et de l’emploi exagéré de la force pour traiter tant le problème des réfugiés que celui du terrorisme. En revenant sur les faits et sur les enquêtes qui ont suivi, Amel Lamnaouer montre comment la sécurité nationale a été érigée au rang d’impératif, justifiant ainsi tous les débordements et permettant au régime de reconduire l’état d’urgence qui arrivait à échéance en 2006 et devait, selon les promesses électorales de Hosni Moubarak, être abrogé.
Hadjar Aouardji s’est intéressée, quant à elle, à un évènement régional à dimension internationale : la guerre qui opposa, trente-trois jours durant, Israël au Hezbollah. Dans son article, elle documente et rend compte du fossé qui sépare la condamnation par l’establishment politique de « l’aventurisme du Hezbollah » – pour reprendre les mots du Président Moubarak –, vraisemblablement pour préserver des alliances internationales, et le mouvement de soutien populaire d’une partie substantielle des Égyptiens. Tout au long de la guerre, les manifestations relayées ou rejointes par diverses formations politiques de l’opposition ont constitué les moments saillants de cet élan de solidarité. Dans ce cas-ci, également, des moyens de communication diversifiés (journaux, blogs, SMS) ont joué un rôle primordial dans l’émergence d’un mouvement social circonstanciel qui s’est imposé comme une catharsis et l’ersatz d’une confrontation directe – sur des enjeux nationaux, s’entend – entre le régime et les mouvements d’opposition. En ce sens, on peut parler d’un rapatriement des enjeux d’un événement extérieur dans la vie politique égypto-égyptienne. Pour preuve, ce fait inédit : le voyage de Gamal Moubarak – encore lui – au Liban, à la tête d’une délégation de ministres, parlementaires de tous poils et autres entrepreneurs, dont on trouve récit dans la contribution de Hadjar Aouardji.
Restons dans le domaine du conflit, dans l’enceinte parlementaire égyptienne cette fois-ci. Début 2006, les 88 députés Frères victorieux aux élections législatives de l’automne 2005 ont pris place au Parlement. Consciente qu’il est trop tôt pour faire le point sur la performance de ces députés, Hélène Legeay nous donne quelques clés de compréhension de l’action des Frères à l’Assemblée du peuple à la lecture de plusieurs controverses à caractère moral ou religieux. À partir du scandale survenu en novembre 2006 et concernant les déclarations du ministre de la Culture à propos du voile dit islamique, elle revient sur plusieurs affaires qui ont émaillé l’année parlementaire : l’accès de la minorité bahaïe à la citoyenneté, la censure des films Da Vinci Code et L’immeuble Yacoubian et, enfin, l’exclusion des femmes voilées des programmes de la chaîne de télévision nationale. Analysant tant les débats parlementaires que les prises de position journalistiques, Hélène Legeay s’interroge sur la dimension identitaire de ces controverses souvent passionnées.
Enfin, pour clore ce numéro, nous resterons dans le domaine de la morale avec le scandale du harcèlement sexuel du centre-ville qui se serait produit au moment du petit Baïram. Cette sordide affaire de mœurs dans laquelle des groupes d’hommes auraient profité de la foule des grands jours pour déshabiller et attenter à la vertu des femmes présentes ce soir-là a été divulguée par un groupe de blogueurs et a tenu les journalistes en haleine pendant près d’un mois. Enrique Klaus revient sur le tout début de l’affaire et sur le chemin parcouru par l’information depuis les blogs jusqu’à la presse mainstream. En analysant les catégorisations utilisées par les participants au réseau dialogique de ce scandale, il met en exergue quelques-unes des orientations prises par les commentateurs. Ce faisant, il met également en évidence l’une des méthodes des journalistes pour pallier le manque d’information, à savoir, le recours à un jeu de catégorisation de l’agresseur.
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Cette publication n’aurait pas vu le jour sans le concours actif de l’ensemble du personnel du Cedej. Autant le service de documentation que celui de l’édition, sans oublier le service administratif et les intendants, tous ont contribué à leur manière à la réalisation de ce projet. On ne saurait non plus oublier l’équipe de chercheurs et les doctorants et post-doctorants (anciens et nouveaux) qui ont activement participé et soutenu la publication des Chroniques 2006. Nous remercions également tous les membres du comité de lecture qui ont contribué par leurs remarques et leurs conseils à la qualité de cette publication.
© CEDEJ, 2007 - Chroniques Egyptiennes 2007, Le Caire, CEDEJ : http://www.cedej.org.eg/article.php....
Amel Lamnaouer ,
Du monopole de la violence « légitime » face aux défis de la sécurité nationale : l’affaire des « réfugiés » soudanais et les attentats terroristes du Sinaï .
L’état d’urgence décrété en Égypte depuis plus de vingt-cinq ans [3] justifie les politiques coercitives du gouvernement face à ce qui est perçu comme une menace pour la stabilité de l’État. Les pleins pouvoirs accordés aux forces de sécurité octroient à celles-ci une grande visibilité dans la vie politique du pays. Leur déploiement est souvent compris comme étant la traduction concrète de la volonté des autorités de limiter les mobilisations populaires, qu’elles soient d’origine politique ou sociale, le but étant de garantir la pérennité du système politique monopolistique.
À l’occasion de deux événements ayant marqué l’actualité égyptienne en 2006, la violence étatique s’est manifestée à l’encontre de populations particulières dans le cadre de problèmes de sécurité intérieure dont la mise en avant a été légitimée par la conjoncture internationale. Les questions de sécurité préoccupant la communauté internationale portent, entre autres, sur la gestion de l’immigration illégale et la lutte antiterroriste. Tout en étant différents par leur nature et leurs conséquences, ces thèmes sont prioritaires dans l’agenda politique de nombreux États. Les politiques envisagées en la matière sont difficilement remises en cause du fait de la complexité des phénomènes [4], alors que les moyens mis en œuvre tendent à restreindre les libertés publiques. Aussi, l’exercice du monopole de la violence légitime [5] en Égypte sert-il non seulement les intérêts politiques primaires (la survie du régime dans un contexte de démocratisation « imposée » – par des facteurs endogènes et exogènes), mais encore permet-il de gérer les questions de l’immigration soudanaise et du « terrorisme » dans le Sinaï.
Dans le cas du terrorisme comme dans celui de l’immigration, la catégorisation des individus concernés renvoie à la vision politique contextuelle d’un État et a des conséquences juridiques, judiciaires et diplomatiques. La distinction entre immigration légale et illégale d’une part et ce qui relève de la détermination d’un demandeur d’asile ou du statut de réfugié, d’autre part, dépend en grande partie des engagements internationaux pris par l’État-hôte et de l’intégration de ces engagements dans le corpus juridique et politique interne. Dans une certaine mesure, la clarification terminologique dans le cas du terrorisme reste difficile à déterminer et est relative : désigner un individu ou un groupe par le qualificatif de « terroriste » connote une vision politique et renvoie à une volonté d’engager des moyens répressifs exorbitants du droit commun.
Si l’usage de la force pour résoudre ces deux problèmes d’ordre interne a suscité de vives critiques de la part de diverses ONG appelant au respect des droits de l’homme, il n’a pas pour autant entraîné de réaction à l’échelle internationale. Peut-être parce que ces deux thèmes restent sensibles et délicats à traiter pour n’importe quel État, quelle que soit la nature – démocratique ou non – de son régime. Dès lors qu’il s’agit d’immigration ou de terrorisme, il apparaît moins aisé de lier déficit démocratique et violence étatique malgré les solutions extrêmes souvent appliquées [6].
Les deux événements sur lesquels porte cet article trouvent leurs origines – géographique, sociale et politique – à la périphérie de l’État égyptien. Les migrants soudanais n’envisagent l’Égypte que comme une étape débouchant sur leur transfert vers l’Europe, les États-Unis, le Canada ou l’Australie. Au fil du temps, le gouvernement égyptien s’est détaché de la question de l’immigration soudanaise pour la « confier » aux services du Haut Comité des Nations unies pour les réfugiés (United Nations High Commission for Refugees – UNHCR). Tant que cette population était considérée comme étant composée de réfugiés et/ou de demandeurs d’asile, la législation internationale en la matière s’appliquait, et l’État égyptien n’avait aucune légitimité à intervenir. Hors de ce domaine d’application juridique, le gouvernement n’a plus affaire à des réfugiés mais fait face à une immigration illégale sur son territoire et applique le droit interne.
S’agissant du Sinaï, la région est considérée comme périphérique par rapport au pouvoir central et représente « l’espace de la rente » [7] : le lieu du tourisme international – en plus de la Haute-Égypte –, du pétrole et du canal de Suez. Traditionnellement, le gouvernement égyptien intervient peu ou prou dans les « affaires » des Bédouins qui vivent des rentes du tourisme ou des différents trafics organisés – drogue et armes, entre autres. En quelque sorte, les Bédouins sont livrés à eux-mêmes, « sans instance intermédiaire entre [le] pouvoir central et l’individu. (…) seul survit donc l’échelon micro-local : famille élargie, association de quartier, auto-organisation de structures informelles, chef coutumier, chaykh. » [8]. Mais les premiers attentats qui eurent lieu à Tâbâ, en octobre 2004, ont conduit au déploiement des forces de sécurité dans la péninsule et notamment dans les zones de villégiature côtière. La répression policière dont furent l’objet des milliers de Bédouins a contribué à exacerber leur sentiment de frustration face à un gouvernement éloigné de leurs préoccupations quotidiennes, notamment en matière économique et sociale. Les attentats qui ont suivi en juillet 2005, à Charm al-Chaykh et, en avril 2006, à Dahab, peuvent être interprétés comme étant la réponse violente à l’action non moins violente de l’État.
L’action coercitive de l’État dans le cadre de l’immigration dite illégale et du terrorisme s’inscrit dans une logique d’exigence de sécurité qui l’emporte sur la notion même de protection de libertés publiques. Ce qui importe, pour le régime, c’est la garantie de la sécurité nationale ─ que l’état d’urgence facilite.
L’immigration soudanaise en Égypte et la définition du statut de réfugié
Il existe une longue histoire de migration entre l’Égypte et le Soudan, due à la proximité géographique et aux affinités culturelles et linguistiques entre les différentes populations. La connexion entre les deux pays et la présence d’une importante communauté d’expatriés – en Haute-Égypte et surtout au Caire – encouragent ceux qui recherchent une protection contre la répression dont ils font l’objet dans leur pays [9]. Il est aujourd’hui difficile d’évaluer le nombre de Soudanais vivant en Égypte ; les estimations se situent entre 2,2 et 4 millions de personnes, dont la majorité est originaire du sud du Soudan [10]. La plupart d’entre eux bénéficient d’une résidence à long terme facilitée par leur insertion dans les milieux d’affaires ou dans l’enseignement supérieur. D’autres se sont mariés avec des nationaux égyptiens, s’intégrant dans la société égyptienne tout en gardant leur nationalité soudanaise.
Ces relations cordiales de voisinage furent un temps facilitées par la signature du Traité Wâdî al-nîl de 1976 qui instaura le traitement réciproque [11] des nationaux des deux pays. En vertu de ce traité, les Soudanais ont acquis le droit de vivre en Égypte avec un statut comparable à celui des citoyens égyptiens. Ils étaient alors autorisés à entrer sur le territoire sans visa et ne devaient, en principe, rencontrer aucune restriction dans l’accès à l’emploi, l’éducation, la santé, et la propriété. Sur le papier, il s’agissait d’un statut similaire ou comparable à celui de la citoyenneté.
La dégradation de la situation politique au Soudan au cours des quinze dernières années, notamment du fait du conflit opposant le gouvernement central de Khartoum et les rebelles sudistes – l’Armée de libération du peuple du Soudan –, accula de nombreux Soudanais à l’émigration vers l’Égypte. Au début des hostilités, ceux qui fuyaient la guerre et la violence au Soudan n’avaient pas à demander un statut de réfugié aux services de l’UNHCR, en vertu des clauses du Traité Wâdî al-Nîl.
Mais en mars 1994, alors que les relations égypto-soudanaises se détérioraient, le gouvernement égyptien demanda à l’UNHCR de s’impliquer davantage dans la gestion de l’immigration soudanaise. La confrontation entre les gouvernements du Caire et de Khartoum, en raison de la radicalisation de ce dernier mené par la coalition autour de l’islamiste Hassan al-Turabî, poussa le Caire à éviter d’envenimer la situation pour ne pas risquer une contagion islamiste. Cette position fut maintenue en dépit de l’immigration qui menaçait la stabilité du pays puisqu’au moins 4 millions de Soudanais ont trouvé refuge en Égypte dans les années 1990. De plus, la tentative d’assassinat sur la personne du Président Hosni Moubarak en Éthiopie en 1995, qui a été attribuée aux islamistes soudanais, entraîna l’abrogation du Traité Wâdî al-nîl.
Or, malgré cette abrogation, l’Égypte était tenue par différents accords [12] de fournir asile et protection aux réfugiés sur son territoire. Face aux manquements répétés de l’application de la législation par les autorités compétentes et le nombre élevé de réserves sur les dispositions de la convention de Genève de 1951 [13], les droits des réfugiés et des demandeurs d’asile ont été considérablement restreints [14].
L’UNHCR, présent au Caire depuis 1954, est actuellement en charge du statut des réfugiés. Il assume la responsabilité de la détermination de ce statut tout en fournissant protection et assistance aux réfugiés. L’organisme onusien bénéficie de partenaires dans cette mission, tels que Caritas et le Catholic Relief Services, en plus des institutions religieuses, principalement les Églises, ainsi que diverses ONG soutenant les réfugiés.
Alors que la situation au Soudan s’aggravait, les demandes de statut de réfugié augmentaient. Dans le même temps, les fonds disponibles à l’UNHCR s’amenuisaient [15], sans compter les limitations budgétaires des ONG et des Églises. La majorité des réfugiés légalement reconnus furent très peu aidés ; et les Soudanais qui se sont vu refuser le statut de réfugié ont été exclus de toute forme d’assistance alors que, de facto, ils résidaient illégalement en Égypte. Sur les cinquante dernières années, on constate l’évolution du statut des Soudanais résidant en Égypte : autrefois colonisés par l’Égypte, ils ont bénéficié, après l’indépendance du pays en 1956, d’un statut proche de celui de la citoyenneté pour être aujourd’hui soumis aux règles du droit international en matière d’asile.
Les individus en cours de détermination de leur statut de réfugié sont appelés « demandeurs d’asile ». Ceux dont la demande a été rejetée sont désignés par l’expression « dossiers clos », si aucun recours n’a été intenté ou si celui-ci fut rejeté en appel. Dans l’affaire qui nous intéresse, la confusion des termes et des statuts fut importante. Notamment, les observateurs et les acteurs des événements n’ont pas toujours respecté les distinctions statutaires et ont employé le terme de « réfugié » pour désigner des individus en cours de demande, ou dont le statut leur a été refusé.
Le 29 septembre 2005, des douzaines de demandeurs d’asile et de réfugiés soudanais entamèrent un sit-in au parc Moustafâ-Mahmûd, près des bureaux de l’UNHCR au Caire [16]. Le but était de protester contre la suspension des procédures de détermination du statut de réfugié par l’UNHCR et contre les conditions de vie difficiles qu’ils connaissent dans la capitale égyptienne [17]. Un nombre élevé de manifestants déclarait être non seulement déçu par le système d’attribution du statut de réfugié mais dénonçait également les conditions auxquelles ils devaient faire face après avoir été déclarés inéligibles pour une protection [18]. Depuis le 1er juin 2004 [19], l’UNHCR avait cessé de garantir aux Soudanais un visa de résidence en Égypte, dès l’enregistrement de leur demande d’asile [20]. Mais le refus d’attribution du statut de réfugié n’empêchait pas les Soudanais de demander une autorisation de séjour aux instances égyptiennes. Selon l’organisme onusien, le gouvernement égyptien traitait les citoyens soudanais comme les Égyptiens en matière de droit à l’éducation et à la santé, tout en leur accordant une autorisation de séjour de six mois renouvelable une fois et gratuite pour les femmes et les enfants [21]. Dans les faits, il était rare que les procédures se déroulent aisément et il existe une forte proportion de Soudanais en situation irrégulière.
Les revendications des protestataires incluaient des objections quant au rapatriement involontaire systématique, des remarques quant à l’intégration sociale des Soudanais en Égypte, à la détention arbitraire, à la discrimination, aux abus sexuels, au viol des femmes et enfants au Caire. Ils demandèrent également à l’UNHCR de reprendre les entretiens individuels dans le cadre de la demande du statut de réfugié [22] et réclamèrent la réouverture des dossiers clos ainsi qu’un traitement attentif des catégories vulnérables de réfugiés [23].
L’UNHCR – qui a officiellement fermé ses bureaux le 20 novembre 2005, mais qui fonctionnait de manière limitée [24] – se déclara non concerné par le problème, les manifestants étant certes Soudanais mais pas réfugiés [25]. Il délégua le rétablissement de l’ordre aux ONG présentes dès le début de la manifestation.
Tout au long du dernier trimestre 2005, le nombre des protestataires augmenta rapidement jusqu’à atteindre entre 1 800 et 2 500 individus [26]. Les rencontres et négociations récurrentes entre les leaders du sit-in, l’UNHCR et différents acteurs (militants des ONG, représentants de diverses Églises) débouchèrent sur un échec : les attentes des manifestants n’étaient pas satisfaites et aucune issue à la protestation n’était en vue.
Après que le siège de l’UNHCR à Genève a envoyé du personnel au Caire, le ton du bureau devint plus conciliant. Plusieurs rencontres furent organisées entre le personnel et les représentants des réfugiés organisés en comité, « La Voix des réfugiés » [27]. Dès la mi-novembre, une assistance fut octroyée et des logements d’urgence furent attribués ; pour les volontaires, des rapatriements furent proposés. Le 17 décembre, l’UNHCR annonça que les leaders avaient signé un accord pour mettre fin au sit-in avant le 22 décembre [28]. Ces derniers étaient supposés remettre une liste des noms des protestataires pour le lendemain devant permettre à l’UNHCR de traiter les cas par groupes de vingt individus en commençant par les plus vulnérables. L’offre de l’UNHCR incluait la recherche de solutions durables pour les réfugiés reconnus, accordant des rendez-vous pour la procédure d’attribution du statut de réfugié aux détenteurs de carte jaune [29] qui le demandaient. Elle proposait également de reconsidérer les cas de dossiers clos à la lumière des circonstances nouvelles au Soudan. Plus généralement, chacun pouvait être éligible pour l’octroi d’une assistance financière de la part de l’UNHCR pour le logement [30].
Avec cette proposition, l’UNHCR pensait satisfaire toutes les demandes des manifestants. Mais les revendications des Soudanais ne se limitaient pas à la seule détermination de leur statut. D’après les interviews menées dans l’enceinte du parc Mustafâ-Mahmûd, les Soudanais fuyaient non seulement des conditions de vie matérielle très difficiles mais également les insultes racistes et les attaques physiques des Égyptiens, déclarant que la présence des policiers leur assurait un relatif sentiment de sécurité face à ce qu’ils enduraient quotidiennement dans la société égyptienne [31]. Leur difficile insertion sociale est ainsi devenue une revendication à part entière [32]. Selon eux, le fait de ne pas disposer d’un logement décent, de ne pas bénéficier d’une scolarité ou d’un travail ne pouvait pas être compensé par une allocation ne couvrant qu’un seul mois de frais de logement. Autrement dit, cette proposition ne réglait pas le problème des Soudanais, elle ne faisait que l’ajourner. La solution revendiquée par les Soudanais était le transfert vers les pays au nord de la Méditerranée, voire en Amérique du nord [33].
Face à une situation bloquée, le 21 décembre, l’ancien Premier ministre soudanais, Sadîq al-Mahdî, entreprit une nouvelle visite médiatisée au parc. Alors que, lors de sa première visite en novembre [34], il encouragea ses compatriotes à protester, il les exhorta cette fois-ci à lever le camp. Certains ont analysé ce revirement de position comme étant influencé par le ministère égyptien des Affaires étrangères [35].
L’échéance indiquée dans l’accord ayant été dépassée sans qu’un mouvement des manifestants vers la sortie du parc n’ait eu lieu, l’UNHCR convoqua les ONG afin de les informer que la gestion des Soudanais relevait du maintien de l’ordre et par conséquent était passée aux mains du gouvernement égyptien. L’échec de l’UNHCR à conduire les protestataires à mettre fin à leur sit-in scella le début des hostilités envers la population soudanaise.
L’action répressive : à l’intérieur et à l’extérieur du parc
Les Soudanais organisèrent leur sit-in dans le parc de la mosquée Mustafâ-Mahmûd, qui fait face aux bureaux de l’UNHCR, dans le quartier de haut standing de Mohandisîn, par ailleurs lieu de la résidence privée de l’actuel ministre de l’Intérieur. Le caractère impromptu et inhabituel de l’événement fit que, dès le début du sit-in, la presse égyptienne s’intéressa à cette affaire [36]. Le quotidien national Al-Ahrâm publia un article intitulé : « La tragédie soudanaise à Mohandisîn », relatant les observations d’un journaliste égyptien. L’accent était mis sur les conditions de vie difficile aggravées par le froid. Il fut également fait allusion aux mauvaises odeurs, aux buveurs d’alcool et aux maladies transmissibles [37]. Les résidents du quartier de la mosquée Mustafâ-Mahmûd ont déposé des mains-courantes [38] à la police dénonçant le comportement indécent de certains Soudanais qui, selon eux, se saoulaient et détérioraient des véhicules [39]. Par ailleurs, les habitants du quartier redoutaient que les riches touristes du Golfe persique refusent de louer les appartements de Mohandisîn, lors de leur passage au Caire.
Selon les entretiens menés par le Forced Migration and Refugees Studies [40], les relations avec la police présente autour du parc furent « excellentes ». Les protestataires se sentaient en sécurité. Mais les conditions de vie, d’hygiène et de santé se détériorèrent avec le temps. Les Soudanais n’avaient qu’un sandwich par jour pour se nourrir. Du lait était distribué aux enfants et aux personnes âgées. Quatre femmes enceintes donnèrent naissance à leur enfant dans le parc. Parmi les différentes maladies touchant les protestataires, plusieurs cas d’infections pulmonaires furent relevés à cause du froid. Les protestataires utilisaient les toilettes de la mosquée adjacente au parc jusqu’à leur fermeture à 20 heures ; la nuit, ils utilisaient des sacs en plastique. Face à cette situation précaire, l’organisation dont faisaient preuve les Soudanais était remarquable : chacun était responsable d’une tâche à effectuer au quotidien tels le ramassage des ordures, le nettoyage des toilettes, la préparation du thé, la collecte des fonds, l’enseignement des enfants, la sécurité au sein du parc, la communication avec les médias, etc. Une heure de réveil et de coucher était fixée [41].
Les porte-parole des protestataires déclarèrent que chacun était libre de se rendre à l’UNHCR tout en affirmant que tous étaient unis dans leur résolution à rester dans le parc jusqu’à la résolution de leurs problèmes ou leur transfert. Malgré cela, les réfugiés qui s’opposaient au sit-in furent l’objet de mauvais traitements par ces mêmes porte-parole. Un arbre au milieu du jardin servait de prison où les individus furent liés, cachés sous des couvertures et arrosés d’eau s’ils criaient à l’aide. La presse a rapporté le cas d’une personne dont les biens ont été volés, y compris sa veste, son téléphone et 400 livres égyptiennes. La victime fut dissuadée par ses concitoyens de rendre compte des faits à la police égyptienne. Selon les protestataires, les policiers, redoutant d’entrer dans le parc, ne pourraient pas appréhender le coupable [42]. Cela révèle la nature des relations que les Soudanais souhaitaient entretenir avec les services de l’État égyptien : il est préférable, selon eux, de régler le problème dans un entre-soi communautaire plutôt que de faire appel à des policiers égyptiens [43].
Malgré les rumeurs grandissantes selon lesquelles les forces de sécurité allaient mettre fin à la manifestation, les Soudanais maintinrent leur présence pour l’hiver, renforçant leur résidence de fortune à l’aide de sacs en plastique servant de toit, tout en s’étalant sur les trottoirs entourant le parc. La veille de l’intervention policière, la présence massive de personnel de police a suscité la réaction des Soudanais. Ces derniers ont été rassurés par ces mêmes policiers leur affirmant qu’ils étaient là pour les protéger des manifestations des Frères musulmans qui devaient avoir lieu près du parc [44].
Selon le ministre égyptien des Affaires étrangères, à partir du moment où les protestataires refusèrent l’offre de l’UNHCR, ils violèrent les lois égyptiennes et la convention de Genève de 1951 [45]. Le sit-in des Soudanais dans le parc Mustafâ-Mahmûd devint un problème de maintien de l’ordre public pour lequel les lois égyptiennes s’appliquaient.
Ainsi, dans les premières heures de la journée du 30 décembre 2005 [46], 4 000 hommes de la Sécurité nationale ont déplacé les manifestants manu militari pour les conduire vers divers centres de détention au Caire et alentour. À une heure du matin, les policiers ont pénétré dans le parc où vivaient environ 2 000 Soudanais. Le raid policier, qui a duré quatre heures, a coûté la vie à 27 protestataires dont 11 enfants [47]. Les ONG militantes pour les droits de l’homme et les réfugiés eux-mêmes portèrent ce chiffre à plus de 1 000 décès. Soixante-quinze policiers furent blessés dans l’opération. L’usage de canons à eau et les coups portés par les forces de police n’ont fait aucune distinction entre femmes, enfants, personnes âgées [48].
La plupart des réfugiés – détenteurs d’une carte déterminant leur statut – et des demandeurs d’asile furent libérés dans les jours qui suivirent. Plus de 600 Soudanais devant être expulsés furent maintenus en détention jusqu’à ce que leur statut fût clarifié par l’UNHCR et par le gouvernement égyptien [49]. Fin janvier 2006, parmi les femmes et les enfants, 191 étaient toujours en détention tandis que 73 avaient été libérés. La majorité des détenus n’ont pas de statut reconnu : sans passeport, ni demandeurs d’asile (carte jaune), ni réfugiés (carte bleue) [50].
La tragédie perdura plusieurs semaines pendant lesquelles des familles tentèrent de retrouver leurs proches dans un autre centre de détention, à l’hôpital ou à la morgue. Dans ce dernier cas, plusieurs familles n’ont pas été autorisées à disposer du corps de leurs proches défunts afin d’organiser les funérailles. Des enfants furent livrés à eux-mêmes ou retenus dans des lieux séparés de leurs parents, voire portés disparus.
Les appels des organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme en faveur d’une enquête internationale sur les conditions des décès furent rejetés par l’Égypte qui aurait ouvert une enquête interne. Le déplacement forcé et ses conséquences furent l’objet de critiques tant en Égypte qu’à l’étranger, et rendirent les relations entre l’UNHCR et le gouvernement égyptien tendues, instaurant ainsi une ambiance de discrédit partagé entre l’UNHCR, les réfugiés et les demandeurs d’asile soudanais.
La justification politique des circonstances du déplacement forcé des Soudanais
Le 3 janvier 2006, lors d’une conférence de presse, le porte-parole de l’UNHCR annonça que la décision des autorités égyptiennes d’évacuer les Soudanais fut prise en concertation avec l’UNHCR [51] bien que celui-ci condamnât la manière dont l’État était intervenu [52]. Les réfugiés étaient convaincus de l’implication du gouvernement soudanais ou, du moins, de son aval dans la décision de l’intervention des forces de police pour les déloger [53]. Suivant la décision du chef de l’État égyptien, un comité d’enquête dirigé par le procureur général fut organisé afin d’élucider les circonstances du « déplacement » forcé des réfugiés soudanais [54] et de répondre à d’éventuelles réactions internationales [55].
Une délégation égyptienne devait se rendre à Khartoum pour expliquer la position de l’Égypte face à l’arrêt du sit-in. Le but de la visite était d’éviter tout malentendu au sujet de la dispersion de la protestation. En effet, l’opération a été particulièrement mal perçue par les Soudanais au pays au point que, selon le ministre soudanais des Affaires étrangères, Lâm Akol, le gouvernement du Sud-Soudan a demandé aux Égyptiens travaillant dans la mission égyptienne d’irrigation de quitter la province pour leur sécurité.
Parallèlement, les représentants de l’UNHCR au Caire déclaraient que le montant des aides allouées aux réfugiés soudanais allait être augmenté. Le Programme alimentaire mondial s’est dit prêt à offrir une aide alimentaire à quelque 4 000 réfugiés soudanais pour les trois mois à venir, en coordination avec le gouvernement égyptien [56]. Assez tardivement, une assistance médicale fut fournie aux blessés [57]. 1 714 personnes arrêtées lors du sit-in furent libérées, une fois que les autorités égyptiennes furent assurées de la légalité de leur statut.
Les déclarations officielles se sont succédées au début de l’année 2006 pour apaiser les critiques internes et internationales en réaction à l’usage de la force face à une population vulnérable et fragilisée par le sit-in. Le Président Hosni Moubarak appela son homologue soudanais, ‘Umar Bachîr, pour lui présenter ses condoléances à la suite du décès des manifestants soudanais, en lui demandant de comprendre les efforts sérieux de l’Égypte afin de mettre fin pacifiquement au sit-in. Le ministre des Affaires étrangères Ahmad Abûl-Ghît envoya des messages expliquant les circonstances du délogement des manifestants. Il les adressa, entre autres, au secrétariat général des Nations unies, au secrétariat général de l’Organisation de la conférence islamique, au président de la Commission de l’Union africaine et au secrétariat général de la Ligue arabe. Il précisa que les manifestants insistaient sur leur transfert dans certains pays occidentaux même s’ils ne pouvaient prétendre à ce droit [58].
Selon les déclarations télévisées du ministre de l’Intérieur, Habîb al-‘Adlî [59], la police a dispersé les réfugiés qui protestaient depuis trois mois dans le respect de la loi égyptienne. Il précisa que la police avait fait son possible pour ne pas heurter les protestataires et n’avait pas usé d’armes à leur encontre, ni de gaz lacrymogène, insistant sur le fait que les policiers ont tenté de convaincre les protestataires de mettre fin à la manifestation : « Pendant plus de quatre heures, nous avons pressé la foule par microphone de mettre fin à la manifestation mais sans résultat. La police a dû intervenir lorsque les réfugiés montrèrent leur refus d’obéir et commencèrent à prendre d’assaut et à attaquer les soldats. C’est la résistance de quelques réfugiés qui a entraîné la mort de 26 personnes et causé des blessés » [60].
Le 8 janvier 2006, le porte-parole du cabinet du gouvernement égyptien, Magdî Radî, déclara que toutes les mesures prises pour mettre fin au sit-in des Soudanais furent décidées en concertation avec le gouvernement soudanais et l’UNHCR. Seuls les réfugiés en situation illégale devaient être raccompagnés chez eux. Il précisa que, le 27 octobre 2005, l’UNHCR avait informé le ministère égyptien des Affaires étrangères que le traitement des demandes des protestataires ne relevait pas de ses compétences et avait appelé les autorités égyptiennes concernées à intervenir immédiatement pour mettre fin pacifiquement à la manifestation. C’est lorsque les Soudanais refusèrent les compromis offerts par les autorités égyptiennes que les forces de sécurité les délogèrent [61].
Le directeur du département des Affaires soudanaises au ministère des Affaires étrangères, Mohammad ‘Umar, déclara que l’UNHCR avait continuellement appelé le gouvernement égyptien à mettre fin au sit-in de peur que son personnel soit atteint personnellement. Il ajouta que les autorités égyptiennes furent suffisamment sages et patientes pour proposer aux protestataires deux options : rester en Égypte ou rentrer chez eux [62].
Les différents discours prononcés par les autorités égyptiennes au début de l’année 2006 sont venus parer l’intervention policière de tous les atours de la légalité. À partir du moment où l’UNHCR se déclara incompétent pour attribuer un statut de demandeur d’asile ou de réfugié aux Soudanais – du fait de l’amélioration de la situation politique du Soudan –, le relais a été pris par l’État égyptien qui devait alors faire face à une immigration illégale sur son territoire. La position ambiguë des représentants du régime soudanais – encourageant les protestataires puis les incitant à quitter le parc – a contribué à légitimer la décision égyptienne d’intervenir en usant de la force. Le fait est que, malgré ce cadre légal et légitime, les moyens employés par les services de la sécurité d’État furent disproportionnés par rapport au danger représenté par le sit-in. À ce sujet, les autorités égyptiennes tentèrent de justifier cette intervention musclée par la nécessité de préserver la santé publique sur son territoire. Les instances sanitaires ont même parlé d’un risque de contagion du virus HIV, quand bien même aucun test n’avait été conduit parmi les protestataires [63].
Finalement, l’emploi de la force pour déloger les protestataires n’a pas contribué à résoudre le problème de l’immigration soudanaise puisque, le 18 janvier 2006, environ 400 réfugiés soudanais se sont à nouveau rassemblés devant les bureaux de l’UNHCR pour obtenir l’aide financière allouée par l’organisme et demander leur transfert dans un pays européen ou aux États-Unis. Les forces de sécurité étaient présentes afin d’empêcher le renouvellement des événements de la fin de l’année 2005 [64].
La gestion de l’immigration illégale nécessite une politique à long terme et dans laquelle l’emploi de la force ne serait qu’exceptionnellement envisagé. L’action répressive des forces de police peut s’expliquer par l’échec des négociations entre l’UNHCR et les Soudanais, mais révèle également l’inefficacité du gouvernement égyptien à gérer un problème de sécurité publique autrement que par l’emploi de la force.
La violence étatique n’a pas uniquement été exercée dans le cadre de l’immigration illégale. Dans une autre mesure, elle fut le moyen privilégié par les autorités pour lutter contre la menace terroriste dans le Sinaï. La répression dont ont fait l’objet les Bédouins au lendemain des attentats de Tâbâ en 2004 n’a pas empêché non plus que d’autres bombes explosent dans la péninsule. Dans les deux cas, ce qui semble compter pour l’État égyptien n’est pas le règlement du problème sur le long terme par la recherche d’une réelle politique résolvant la question de l’immigration illégale ou celle du terrorisme. Il ne s’agit nullement d’établir un quelconque lien entre immigration soudanaise et terrorisme. L’objectif est de montrer que, dans deux cas différents d’atteinte à l’ordre public et à la sécurité nationale, les moyens mis en œuvre par l’État furent coercitifs. Il semblerait alors que, dès que son autorité est contestée, l’État égyptien n’hésite pas à montrer sa force au nom d’al-amn al-qawmî.
Le terrorisme dans le Sinaï : un néo-terrorisme égyptien ?
En deux ans, le Sinaï a été par quatre fois la cible d’attentats, de sorte qu’il est possible d’affirmer que la nature du terrorisme se manifestant en Égypte évolue [65]. La situation semble échapper au contrôle des autorités qui n’ont plus à faire face à des groupes spécifiques agissant selon une doctrine précise et revendiquée – comme ce fut le cas en Haute-Égypte, dans les années 1990 [66]. L’organisation d’attentats suicide simultanés dans le Sinaï semblait viser à tuer le maximum de personnes tout en attirant l’attention des médias. Divers éléments semblent confirmer que ces attentats ont été commis par des Égyptiens [67] : les matériaux utilisés n’étaient pas sophistiqués, l’entrée et la sortie des stations balnéaires font l’objet de contrôles systématiques par la police et la topographie de la région nécessite une connaissance approfondie du terrain pour pouvoir s’y déplacer. Les dates choisies par les auteurs et coïncidant avec des fêtes nationales militent également en faveur de l’hypothèse d’un agenda égyptien de la terreur. Les attentats de 2004 ont en effet eu lieu le lendemain de la date anniversaire de l’offensive égyptienne contre Israël, le 6 octobre 1973. Les attentats de 2005 se déroulèrent lors du 53e anniversaire de la Révolution de Juillet qui avait précipité la destitution de la famille royale. Enfin, les attentats de Dahab se produisirent alors que le pays s’apprêtait à célébrer le retrait israélien du Sinaï en 1982 et Châm al-Nassîm [68].
La manière dont les forces de sécurité ont mené les investigations au lendemain des attentats de Tâbâ en octobre 2004 reste en mémoire. Le traitement brutal de la communauté bédouine, hommes et femmes indifféremment, fut l’objet de nombreuses critiques notamment des ONG militantes pour le respect des droits de l’homme. Aussi, les attentats de Charm al-Chaykh de juillet 2005 ont-ils été analysés comme étant la concrétisation de la frustration et du ressentiment de ce peuple traditionnellement discret face aux mesures disproportionnées de l’appareil sécuritaire étatique [69]. Habituellement efficiente, notamment en Haute-Égypte [70], la pression subie par les Bédouins aurait contribué à intensifier la rancœur populaire face au gouvernement jugé trop centralisateur [71].
Une autre explication fut avancée, à savoir le refus des autorités égyptiennes de prendre en considération les besoins en infrastructures, en politiques sociale et économique de la péninsule du Sinaï. Celle-ci est considérée pour les ressources financières apportées par les activités du tourisme. Mais quid des Bédouins n’ayant pas émigré vers les côtes du Sud ?
De par sa géographie, le Sinaï est aujourd’hui perçu comme une zone dont la situation politique et sociale peut remettre en cause la stabilité de la région. Bordé au nord par la mer Méditerranée, à l’ouest par le golfe et le canal de Suez, au sud par la mer Rouge et à l’est par la bande de Gaza, Israël et le golfe d’Aqaba, le Sinaï est indubitablement une zone stratégique [72].
L’intégration du Sinaï depuis le retrait israélien total à la fin des années 1980 est problématique. La frontière commune avec la Bande de Gaza et les tunnels souterrains qui la traversent ─ permettant le passage d’hommes, d’armes, de drogues et même de produits de première nécessité ─ sont devenus un sujet de préoccupation pour l’Égypte. Jusqu’aux premiers attentats dans le Sinaï en 2004, les activités illégales des Bédouins ne faisaient pas réellement l’objet de poursuites judiciaires. L’inaccessibilité du territoire par les forces de police tant du fait de sa topographie que des restrictions légales quant au stationnement de forces armées égyptiennes prévues par l’accord de Camp David [73] a profité aux Bédouins.
Les attentats ont changé la donne. À partir du moment où la sécurité nationale est remise en cause, la violence étatique devient légitime au regard de l’état d’urgence en vigueur. Et le Sinaï, par la rente qu’il fournit à l’État – tourisme, canal de Suez, pétrole – est une cible de choix pour déstabiliser le régime. Au lendemain des attaques de Charm al-Chaykh, le 24 juillet 2005, les ministres réunis en Conseil déclaraient déjà que les attentats visaient directement l’Égypte et son économie [74].
Les attentats de Dahab, le 24 avril 2006
Peu d’informations furent diffusées sur les circonstances des attentats du Sinaï. La presse d’État n’écrivit que ce que les autorités lui permettaient de publier. Le 25 avril 2006, Al-Ahrâm, Al-Akhbâr, et Al-Jumuhûriyya relataient en première page les attentats de Dahab. Trois explosions eurent lieu dans la station balnéaire du Sinaï, dans la soirée du 24 avril. Une déclaration du ministre de l’Intérieur faisait état de 23 morts dont 20 Égyptiens et de 62 blessés dont 42 Égyptiens [75]. Le 26 avril, le nombre des blessés fut évalué à 83 et celui des morts à 18 [76]. Pour Al-Ahrâm, « le terrorisme sombre est de retour en Égypte pour déstabiliser le pays, porter atteinte à sa sécurité et empêcher le processus de développement à l’œuvre à travers tout le pays. » [77] Selon Al-Akhbâr, « à chaque fois que les terroristes sont témoins du progrès de l’Égypte, ils attaquent, amenuisant ses efforts ». Enfin, pour le très patriote Al-Jumuhûriyya, « les coupables ne sont plus égyptiens dès lors qu’ils ont choisi la date de l’anniversaire de la libération du Sinaï pour attaquer le tourisme à Dahab comme ils l’ont fait à Charm al-Chaykh et à Tâbâ en tuant des innocents venus là pour le travail ou pour le tourisme ».
Les premières investigations ont révélé l’implication d’un groupe dénommé al-Tawhîd wa-l-Jihâd dans les attentats qui ont frappé la station balnéaire de Dahab.
Fu’âd ‘Alam [78], ancien vice-directeur de la sécurité d’État (amn al-dawla), relevait que, contrairement aux mouvements jihadistes des années 1990 qui sévissaient dans la vallée du Nil (Tanzîm al jihâd, al-Jamâ‘a al-islâmiyya), le groupe impliqué dans les attentats du Sinaï « [choisissait] des lieux et des moments correspondant à la présence des locaux et des touristes égyptiens » [79]. Toujours selon lui, la négligence des services de contrôle aux différents check-points à l’entrée des stations balnéaires a permis la réalisation des attentats de Charm al-Chaykh et de Dahab, soulignant la nécessité de réviser le plan de sécurité du pays [80].
Le ministère de l’Intérieur déclara que les attaques furent des opérations suicide, ajoutant que les charges explosives utilisées révélaient l’amateurisme des auteurs. Le lien fut très vite établi entre ces attentats et ceux de Charm al-Chaykh et de Tâbâ [81].
Parmi les moyens déployés pour faire face à l’urgence, des appareils d’aviation militaire furent réquisitionnés pour le transport des cas critiques au Caire. Une vingtaine de véhicules de première urgence sont arrivés pour prendre en charge les blessés. Une équipe de procureurs fut envoyée dans le Sinaï afin d’enquêter sur les faits et interroger les témoins.
L’ordre fut donné par le Président de nettoyer et de ramener à la normale la petite ville de Dahab tout en mettant en œuvre tous les moyens afin de protéger les touristes [82]. Les témoins des événements ont relevé la rapidité avec laquelle les différents sites des explosions furent nettoyés alors qu’on pouvait s’attendre à ce que les investigations nécessitent le maintien en l’état des lieux.
La réponse politique proposée pour lutter contre le terrorisme et garantir la sécurité nationale tient à la mise en œuvre de moyens de coercition. Ainsi, selon le ministre de l’Information, le Président égyptien assura qu’il « [ne ferait] preuve d’aucune tolérance à l’encontre des auteurs des attentats de Dahab ni de ceux qui souhaitent déstabiliser le pays et terroriser son peuple » [83]. La veille, il avait affirmé que l’État continuerait à équiper et à former au maximum les forces armées ainsi que les experts dans le but de garantir la sécurité nationale, les intérêts et l’intégrité territoriale de l’Égypte [84]. Le Premier ministre, Ahmad Nazîf, s’est rendu sur les lieux, accompagné des ministres de l’Information et du Tourisme. Il déclara à la presse : « L’Égypte est déterminée à lutter contre le terrorisme en usant de toutes les possibilités qui s’offrent à elle. Rien n’affectera la marche de l’Égypte vers son développement et sa réforme économique. » [85]
Une enquête policière « musclée »
Dès le 25 avril, les services de sécurité annoncèrent qu’ils avaient collecté des indices leur permettant d’identifier trois kamikazes qui seraient des Bédouins du nord du Sinaï. Une carte d’identité fut retrouvée sur les lieux des explosions, portant le nom de ‘Ayd ‘Attâ Sulayman, originaire du Nord-Sinaï. À Naqab, au centre de la péninsule, trois suspects furent arrêtés [86]. Cinq autres personnes suspectées d’appartenir à l’organisation al-Tawhîd wa-l-Jihâd, à l’origine des attentats précédents [87], furent également arrêtées. Les seules informations concernant l`existence d`un réseau terroriste proviennent des déclarations des suspects. L’organisation al-Tawhîd wa-l-Jihâd aurait été créée par Khâled al-Musâ‘id et Nâsir Khamîs al-Mallahî. Le premier, un dentiste originaire d’al-‘Arîsh, fut tué par la police en septembre 2005. Le second, diplômé en droit, également originaire d’al-‘Arîsh, fut mis en avant par les médias nationaux. Il était recherché pour sa participation aux attentats de Tâbâ et de Charm al-Chaykh. Tué par la police en mai 2006, il fut jugé et condamné par contumace.
Le 26 avril, deux attentats suicide eurent lieu dans le Nord-Sinaï [88]. Ils visèrent un véhicule appartenant à la Force multinationale (MFO) et une voiture de police. Les seules victimes furent les auteurs des opérations. La première réaction des forces de sécurité fut de placer le Nord-Sinaï en quasi-état de siège et de contrôler toutes les routes. De nouveaux moyens leur furent alloués pour lutter contre le terrorisme, tels que des véhicules blindés adaptés à la topographie de la région et permettant d’aller au contact des habitants dans les recoins les moins accessibles. Selon les déclarations officielles, les Bédouins coopérèrent facilement avec la police [89]. Il semblerait en fait qu’un nouveau type de négociation ait été mis en place entre les forces de sécurité et les autochtones : ces derniers acceptent de fournir des renseignements aux autorités contre la liberté d’exercer leurs activités illicites.
Les recherches policières ne se sont pas arrêtées là. Dès le 1er mai, six suspects furent tués lors d’opérations policières menées dans le but de démanteler l’organisation al-Tawhîd wa-l-Jihâd. Environ 30 membres (supposés) furent arrêtés en mai et en juin 2006 au terme d’une longue et violente enquête qui causa la mort de 15 personnes. Des affrontements avec la police dans la région d’al-‘Arîsh et des dizaines d’arrestations – des milliers depuis octobre 2004 – ont marqué l’actualité de l’été 2006. Tous les participants directs aux événements furent tués soit dans les attentats, soit lors des rafles policières. La reconstitution des faits s’est basée sur les aveux des membres (supposés) dont seulement une infime partie avait participé à la préparation de l’attentat ─ et encore indirectement.
À la même période, se tenait depuis février le procès jugeant les personnes inculpées pour les attentats de Tâbâ. Le 30 novembre, trois personnes furent condamnées à la peine capitale, dix autres à des peines d’emprisonnement de cinq ans minimum [90].
Les arrestations et les interrogatoires de police furent largement dénoncés par les organisations de défense des droits de l’homme. Dès les premiers jours qui ont suivi les attentats de Tâbâ, Human Rights Watch et d’autres organisations égyptiennes ont évalué à 3 000 le nombre d’arrestations dans les régions d’al-‘Arîsh, de Chaykh Zayd et de Rafah [91]. Les individus arrêtés ont été détenus plusieurs mois sans faire l’objet d’enquête judiciaire [92]. Les témoignages ont rendu compte de tortures pendant les interrogatoires de police [93]. La préservation de la sécurité nationale semble justifier les exactions policières d’autant plus dans le cadre de la lutte antiterroriste. Significativement, il apparaît que les réactions internationales se sont résumées au renforcement de l’entreprise de « victimisation » de l’Égypte, notamment à l’initiative de ses partenaires occidentaux, eux-mêmes engagés dans la « lutte antiterroriste ». Depuis la mise en avant de la menace terroriste au niveau international, la tendance est à soutenir toutes les actions antiterroristes permettant de combattre le phénomène.
Un événement « tragique » aux yeux de la communauté internationale
Plusieurs chefs d’État, parmi lesquels George W. Bush, Jacques Chirac, le roi Abdallah II de Jordanie et Abû Mazen, président de l’Autorité palestinienne, ont présenté leurs condoléances au Président Hosni Moubarak. Les gouvernements américain et britannique se sont dits prêts à apporter leur soutien à l’Égypte dans la lutte contre le terrorisme [94]. Le gouvernement égyptien a refusé la proposition israélienne de participer aux activités de secours [95], quand bien même, lors des premiers attentats qui ont touché en octobre 2004 la station balnéaire de Tâbâ, les Égyptiens avaient accepté que des moyens israéliens soient déployés, afin de rapatrier les nationaux. L’origine locale supposée des attentats n’est pas pour rassurer le voisin israélien [96]. La proximité géographique et la présence de nombreux touristes nationaux sur les côtes du Sinaï sont une source de préoccupation pour les services de sécurité israéliens [97].
Dans son discours à l’occasion de l’anniversaire de la libération du Sinaï, Hosni Moubarak a dénoncé le terrorisme mêlant la politique et la religion, et a appelé à une lutte complète contre le terrorisme aveugle. Une aide financière s’élevant à 60 000 LE fut allouée à chaque famille des victimes égyptiennes et à 5 000 LE pour chaque blessé [98].
Le 10 mai 2006, la première chaîne télévisée égyptienne retransmit une partie de la conférence donnée à Berlin par Hosni Moubarak et Angela Merkel. Cette dernière condamna fermement les attentats de Dahab en insistant sur « le grand défi que représente le terrorisme international » et en encourageant la coopération au niveau international. Moubarak, quant à lui, réitéra son souhait de voir organiser une conférence internationale sur la question du terrorisme. Le calme revenu au plus vite dans la ville de Dahab, laissant place aux manifestations des touristes et des Bédouins appelant à la paix [99], la conférence du 20 au 22 mai du Forum économique international fut maintenue à Charm al-Chaykh.
Plus explicitement, la question du terrorisme est devenue un défi prioritaire pour la sécurité internationale. La guerre au terrorisme déclarée par les États-Unis a contribué à donner substance à un phénomène relatif, variable et polémique. À chaque fois qu’un État est victime d’attentats sur son territoire, la communauté internationale se sent indifféremment solidaire : alors que chaque acte est particulier, la prise en compte des circonstances encadrant cette violence aveugle est supplantée par une réaction compatissante. La tendance actuelle est d’élever au rang de préoccupation internationale ce qui est du ressort de la sécurité interne d’un État.
Dès le début de la série d’attentats dans le Sinaï, le chef de l’État égyptien a appelé à plusieurs reprises à l’organisation d’une conférence internationale sur la question du terrorisme. Si cette dernière n’a pas encore eu lieu, le président de l’Assemblée du peuple, Ahmad Fathî Surûr, prononça le 8 juillet 2006 le discours d’inauguration de la conférence internationale intitulée « Terrorisme : les défis juridiques » qui s’est tenue sous les auspices du Centre d’études parlementaires. Le but de cette rencontre était de discuter la future législation antiterroriste égyptienne.
Les retombées en matière de politique intérieure
En matière de communication politique, un attentat qualifié – de surcroît – de « terroriste » peut servir les objectifs politiques d’un État. Dans le cas égyptien, l’exemple pertinent est indubitablement la question de l’état d’urgence en vigueur depuis plus de vingt-cinq ans.
Lors de la présidentielle de septembre 2005, le programme électoral du candidat Moubarak prévoyait, entre autres promesses, l’abrogation de l’état d’urgence. Immédiatement après les attentats, le 30 avril 2006, bien que la discussion sur l’abrogation de la loi d’urgence fût prévue de longue date, l’Assemblée du peuple vota la prolongation pour deux ans [100] – au lieu de trois habituellement – de la loi, qui prenait fin en juin 2006. Selon le chef de l’État, la détermination d’une nouvelle législation antiterroriste requérait un période d’au minimum 18 mois. Aussi, en attendant de prendre les mesures adéquates, était-il nécessaire de combler le vacuum législatif qu’entraînerait la fin de l’état d’urgence [101].
Le débat fut houleux opposant les députés du parti au pouvoir (PND – Parti national démocrate) clamant leur refus du terrorisme et les membres de l’opposition se prononçant contre le prolongement de l’état d’urgence [102]. Selon la déclaration du Premier ministre, les deux années ont pour but la préparation de la législation antiterroriste prévue par le Président et visant à remplacer l’état d’urgence. Les attentats du Sinaï et les conflits interconfessionnels ayant eu lieu à Alexandrie [103] sont venus justifier le maintien des pleins pouvoirs de l’État.
Au lieu de privilégier de nouvelles politiques publiques en faveur des autochtones, le gouvernement a tenté de contrôler les Bédouins en entretenant des relations particulières avec leurs leaders et en leur offrant une large marge de manœuvre au détriment même de leurs semblables. Autrement dit, la liberté accordée aux leaders locaux leur permet de prendre et de faire appliquer des décisions pouvant léser leurs concitoyens, notamment en matière de gestion des terres. Dans le même temps, l’État égyptien n’a pas intégré les sociétés bédouines au processus de décision, en particulier pour ce qui concerne le développement de la péninsule. Les principales difficultés auxquelles doivent faire face ces autochtones ont trait à la propriété terrienne et à l’emploi. Dans les deux cas, ils rencontrent des obstacles imposés par leurs chefs et par le gouvernement.
Le cas de Nâsir Khamîs a le mérite de mettre en avant les difficultés et les dangers auxquels sont confrontés les habitants du Sinaï, en particulier ceux qui, peu ou prou, tirent profit de la rente touristique. Jeune homme éduqué qui abandonna ses études pour travailler dans une ferme, il fréquentait assidûment une mosquée dans la région de Chaykh Zayd au sein de laquelle les prêches appelaient au jihad, à l’utilisation de tous les moyens nécessaires pour changer la société, à la résistance et à la solidarité avec les peuples de Palestine et d’Irak [104]. Les actes de violence qui ont visé le Sinaï depuis 2004 semblent s’inscrire dans une nouvelle vague de terreur.
Loin d’être affiliés directement à al-Qaïda, les individus mis en cause dans ces attentats se sont servis de méthodes ayant fait preuve de leur efficacité. La simultanéité des actes, les suicides, les explosifs, les lieux concentrant une population étrangère, entre autres, sont des procédés labellisés al-Qaïda qui, sans causer de grands dommages, permettent une médiatisation importante. Cette dernière contribue à faire régner un climat d’insécurité pouvant entraîner des conséquences néfastes pour le tourisme, une des principales rentes étatiques. La première réaction de l’État est d’engager sa force coercitive : le but est alors de frapper fort pour dissuader d’éventuels prétendants à la violence tout en montrant sa capacité à garantir un retour au « calme », notamment dans l’objectif de protéger les rentes du tourisme. C’est dans ce contexte que la loi d’état d’urgence fut renouvelée.
Qu’il soit question d’immigration illégale ou de terrorisme, tous les prétextes sont valables pour engager la force coercitive de l’État dans le cadre légal d’intervention d’al-amn al-qawmî. Tout l’intérêt de cette comparaison est de souligner la façon dont l’État égyptien se protège face à ce qui touche à sa stabilité et est susceptible de remettre en cause sa légitimité. Dans les deux cas – encore une fois, différents de par leur nature et les conséquences qu’ils entraînent tant au niveau national qu’international –, l’accent fut mis sur la légitimité et la légalité de l’intervention policière.
Amel Lamnaouer est doctorante de l’Université Jean Moulin Lyon-III en droit public, et stagiaire au Cedej. Ses recherches portent sur les questions de sécurité internationale, du « terrorisme islamiste » et de l’islam politique.
NOTES
[1] Cité dans Miles (Hugh), Al-Jazeera : how Arab TV News Challenged the World, London, Abacus, 2005, p.11
[2] C’est-à-dire un sujet qui revient de manière saisonnière et dont le traitement ne diffère pas d’une année à l’autre. S’agissant de la presse française, les soldes, la rentrée scolaire, Noël et le chassé-croisé des vacanciers en période estivale (entre autres exemples) sont des marronniers.
[3] La loi instaurant l’état d’urgence entra en vigueur en 1981, après l’assassinat du Président Anouar al-Sadate, et est, depuis lors, régulièrement renouvelée. En vertu de cette loi, les cas relevant du terrorisme et touchant à la sécurité nationale – al-amn al-qawmî – peuvent être jugés par des Tribunaux militaires ou ad hoc devant lesquels les accusés ne bénéficient pas des protections constitutionnelles en matière de droit commun. Les jugements rendus sont soumis à l’approbation du Président et ne peuvent pas faire l’objet d’appel. Le Président peut modifier ou annuler un jugement rendu y compris la décision de relaxe de la personne poursuivie.
[4] Par exemple, en matière de « terrorisme », ce que certains ont appelé le « sentiment d’insécurité » au sein de la population d’un État autorise ou, tout du moins, permet à ce dernier de mettre en œuvre des politiques coercitives qui réduisent la part des libertés publiques. Dans le cas de l’immigration illégale, les difficultés socioéconomiques auxquelles doit faire face la population d’un État, octroie une marge de manœuvre à ce dernier dans l’adoption et l’application d’un arsenal judiciaire puissant face à une population étrangère très mal accueillie par l’opinion publique.
[5] Au sens webérien du terme : l’État est défini comme étant une entreprise politique à caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès, dans l’application de ses règlements, le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné. Cf. Max Weber, Économie et Société, Paris : Plon, 1995.
[6] Lire à ce sujet, le rapport de Human Rights Watch, « World Report 2002 », en ligne : http://www.hrw.org/wr2k2/
[7] Moriconi-Ebrard (François), « De la crise du centralisme au triomphe des marges », in Egypte/Monde arabe, n°22, 2e trimestre 1995, pp. 11- 42.
[8] Ibid.
[9] Notamment en ce qui concerne les Soudanais issus de la région du Darfour. The New York Times, 9 juin 2006.
[10] Pour plus de précisions à ce sujet, cf. Grabska (Katarzyna), « Living on the margins. The analysis of the livelihood strategies of Sudanese refugees with closed files in Egypt », Forced Migration and Refugee Studies, working paper n°6, juin 2005.
[11] Les Égyptiens au Soudan bénéficient des mêmes droits que les Soudanais en Égypte.
[12] Notamment, la convention de Genève de 1951, le protocole de 1967 et la convention de l’OUA de 1969.
[13] http://www.unhchr.ch/french/html/me...
[14] Les principales réserves portent sur le statut personnel (art.12 [1] de la convention de 1951), le rationnement (art. 20), l’accès à la scolarisation primaire (art. 22 [1]), l’accès à l’aide et à l’assistance publiques (art. 22), la législation du travail et la sécurité sociale (art. 24).
[15] Al-Ahrâm, 15 novembre 2005.
[16] Al-Akhbâr, 14 novembre 2005.
[17] En plus des difficultés financières auxquelles les Soudanais doivent faire face en Égypte, ils sont également victimes du racisme qui touche tous les Africains subsahariens sans distinction. Louer un appartement, utiliser les transports en commun, faire ses courses, toutes les activités du quotidien deviennent compliquées pour cette population dès lors qu’il s’agit de rentrer en contact avec des Égyptiens.
[18] Uktûber, 29 octobre 2005.
[19] À la suite des six protocoles signés entre le gouvernement soudanais et le Mouvement/Armée de libération du peuple soudanais (SPLM/A).
[20] Les rapports entre l’UNHCR et les Soudanais ont commencé à être tendus dès 2004 : Al-Ahrâm, 1er septembre 2004.
[21] Al-Ahrâm, 20 novembre 2005.
[22] Dix mois avant les événements de la place Mustafâ-Mahmûd, les processus de demande de statut de réfugié pour les Soudanais ont été suspendus.
[23] À savoir les veuves, les mères célibataires, les personnes âgées, les enfants dont la situation doit être prioritairement prise en compte. Al-Wafd, 14 novembre 2005.
[24] Le personnel de l’UNHCR se sentait menacé par la présence des protestataires. Les bureaux de l’agence ne fonctionnaient plus que pour traiter les cas d’urgence. Pour un complément d’information, consulter le site Internet : www.irinnews.org/report.aspx...
[25] Nusf al-dunyâ, 13 novembre 2005.
[26] Al-Ahrâm, 15 novembre 2005.
[27] Washington Post, 27 février 2006.
[28] Washington Post, idem.
[29] Les demandeurs d’asile obtiennent une carte d’identité de couleur jaune délivrée par l’UNHCR tandis que les réfugiés reconnus comme tels bénéficient d’une carte de couleur bleue.
[30] Sudan Tribune, 27 décembre 2006.
[31] Al-Misrî al-yawm, 10 octobre 2005.
[32] Le gouvernement égyptien et l’UNHCR seraient responsables de la détérioration des conditions de vie des Soudanais, cf. Al-Charq al-awsat, 13 octobre 2005.
[33] Al-Fajr, 17 octobre 2005 ; Nusf al-dunyâ, 13 novembre 2005.
[34] Sudan Tribune, 27 décembre 2005.
[35] Ibidem.
[36] Al-Jumuhûriyya, 10 novembre 2005.
[37] Al-Ahrâm, 17 novembre 2005.
[38] La main-courante est une déclaration faite au commissariat pour consigner des faits dans l’hypothèse d’un dépôt de plainte, ceci pouvant constituer un début de preuve dans une procédure ultérieure. En notant le jour, l’heure et le numéro d’enregistrement de sa déclaration, il sera plus facile d’en retrouver la trace.
[39] Al-Jumuhûriyya, 4 janvier 2006.
[40] Centre d’enseignement et de recherche de l’Université américaine du Caire (AUC).
[41] Al-Jumuhûriyya, 10 novembre 2005.
[42] « Protest Testimonial Excerpts », FMRS, AUC, janvier 2006.
[43] Il est à noter que, même pour les Égyptiens, il reste préférable dans la mesure du possible d’éviter de faire appel aux forces de police, notoirement corrompues.
[44] « Protest Testimonial Excerpts », FMRS, AUC, janvier 2006. Les hommes de la Sécurité nationale étant habituellement mobilisés pour maintenir l’ordre lors de manifestations des mouvements d’opposition tels que les Frères musulmans ou Kifâya, on peut supposer que le les manifestants soudanais n’ont pas douté de la sincérité des déclarations policières.
[45] Al-Ahrâm, 31 décembre 2005.
[46] Al-Ahram Weekly, 5-11 janvier 2006.
[47] Al-Ahram Weekly, 19-25 janvier 2006. Précisons qu’un mois après l’opération, un garçon de 14 ans succomba à ses blessures et un des détenus se suicida.
[48] Al-Ahram Weekly, idem.
[49] Al-Ahram Weekly, idem.
[50] Al-Ahram Weekly, idem.
[51] Al-Ahrâm, 4 janvier 2006.
[52] The Christian Science Monitor, 3 janvier 2006.
[53] Al-Ahrâm, 31 décembre 2005 ; Al-Ahram Weekly, 5-11 janvier 2006.
[54] Al-Ahrâm, 16 janvier 2006.
[55] The New York Times, 18 janvier 2006.
[56] Al-Jumuhûriyya, 23 janvier 2006.
[57] Al-Akhbâr, 22 janvier 2006.
[58] Al-Ahrâm, 2 janvier 2006.
[59] Première chaîne de télévision égyptienne, 7 janvier 2006.
[60] Al-Ahrâm, 8 janvier 2006.
[61] Al-Jumuhûriyya, 9 janvier 2006.
[62] Al-Ahrâm, 18 janvier 2006.
[63] Al-Akhbâr, 15 novembre 2005.
[64] Al-Ahrâm, 19 janvier 2006.
[65] Ibrâhîm Mahmûd (Ahmad), « Tafjîrât sinâ’ wa tahâwlât zâhirat al irhâb fî misr » (Les attentats du Sinaï et les évolutions du terrorisme en Égypte), in Kurâssa Istrâtijiya, Center for Political and Strategic Studies, n°167, septembre 2006. Le 7 octobre 2004, trois bombes explosèrent à Tâbâ, Ra’s al-Chaytan et Nuweiba tuant 34 personnes. Le 23 juillet 2005, Charm al-Chaykh fut la cible d’attentats causant la mort de 70 personnes. Le 14 août 2005, un véhicule de la Force multinationale (MFO) fut visé par deux bombes blessant les deux soldats canadiens à son bord. Le 24 avril 2006, trois bombes explosèrent à Dahab entraînant le décès de 19 personnes et en blessant 90 autres.
[66] Les deux principaux mouvements jihadistes des années 1970 sont la Jamâ‘a islâmiyya et le Jihâd. Ces organisations ont réussi à recruter des milliers de membres qui aspiraient à la création d’un vaste État islamique, à la libération de la Palestine et à la destruction des régimes « impies » par une révolution ou une opération militaire. Poursuivant cet objectif, elles ont mené une guerre sanglante contre le régime égyptien dont le point culminant fut l’assassinat du Président Anouar al-Sadate. Ayant subi une sévère répression policière à la suite des attentats de Louxor en 1997, les leaders de la Jamâ‘a islâmiyya ont annoncé publiquement qu’ils renonçaient à la violence.
[67] La question de la nationalité des auteurs s’est posée : la proximité géographique de la Bande de Gaza peut justifier l’implication d’éléments palestiniens alors que nombre d’Égyptiens résidant au nord-est du Sinaï entretiennent des relations privilégiées avec leurs voisins palestiniens.
[68] Châm al-Nassîm est le premier lundi suivant Pâques et la fête du printemps, jour férié en Égypte.
[69] Aqamat ‘arabiyya, 27 avril 2006.
[70] La population de la Haute-Égypte a longtemps souffert de la répression policière dans le cadre de la lutte antiterroriste. L’usage de la force a permis de contenir voire d’éliminer les velléités terroristes dans la région.
[71] Al-Misrî al-yawm, 25 juillet 2005 ; Inter Press Service, 28 avril 2006.
[72] Depuis l’arrivée au pouvoir de Moubarak, l’usage veut que les gouverneurs des régions sensibles (notamment le Sinaï et la Haute-Égypte) soient des généraux à la retraite.
[73] En vertu de l’accord de paix israélo-égyptien. Le 26 mars 1979, après trente années de luttes et de tensions, l’Égypte et Israël signent un traité de paix à Washington. Ce dernier met un terme aux pourparlers entamés par le Président égyptien Sadate et le Premier ministre israélien Begin. Le Sinaï sera totalement restitué à l’Égypte en 1982 et les Israéliens quitteront les alentours du canal de Suez sous des conditions restrictives quant à la présence des forces armées égyptiennes dans la péninsule.
[74] Al-Ahrâm, 25 juillet 2005.
[75] Al-Ahrâm, 25 avril 2006.
[76] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[77] Idem.
[78] Il est actuellement le responsable de la section « islam politique » et notamment en charge du dossier « Frères musulmans ».
[79] Al-Ahram Weekly, 27 avril-3 mai 2006.
[80] Al-Charq al-awsat, 28 avril 2006.
[81] Al-Ahrâm, 25 avril 2006.
[82] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[83] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[84] Agence France presse, 25 avril 2006.
[85] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[86] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[87] Al-Jumuhûriyya, 26 avril 2006.
[88] Al-Akhbâr, 27 avril 2006.
[89] Al-Ahram Weekly, 4-10 mai 2006.
[90] « Egypt’s Sinaï Question », Middle East /North Africa Report n°61, 30 janvier 2007.
[91] Ces trois villes se situent au nord-est de la péninsule du Sinaï, près de la frontière avec la Bande de Gaza.
[92] La Revue d’Égypte, janvier-février 2006.
[93] « Egypt : Mass Arrests and Torture in Sinaï », Human Rights Watch, février 2005.
[94] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[95] Jerusalem Post, 25 avril 2006.
[96] www.debka.com, 3 juin 2006.
[97] The Washington Post, 10 mai 2006.
[98] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[99] Al-Ahrâm, 26 avril 2006.
[100] Al-Ahram Weekly, 4-10 mai 2006.
[101] The Christian Science Monitor, 2 mai 2006.
[102] Environ 25% des 378 députés se prononcèrent contre la prolongation de la loi, la majorité étant indépendants ou Frères musulmans.
[103] Al-Ahram hebdo, 19-25 avril 2006. Le 13 avril 2006, alors que les chrétiens s’apprêtaient à célébrer Pâques, un individu armé d’un couteau s’est attaqué à des coptes dans trois églises d’Alexandrie. Il fut arrêté alors qu’il tentait de pénétrer dans une quatrième église. Les autorités égyptiennes ont déclaré que l’auteur des violences était atteint de troubles psychologiques. Le 15 avril, des affrontements débutèrent entre musulmans et chrétiens, lors des funérailles d’une des victimes, et se poursuivirent trois jours durant. Ces événements ne sont pas isolés. Les conflits interconfessionnels sont récurrents, que ce soit dans le delta du Nil ou en Haute-Égypte. Ils constituent un important sujet de préoccupation en matière de sécurité nationale.
[104] Al-Ahrâm, 6 mai 2006.