présentation de l'éditeur
Etienne Balibar, Jacqueline Costa-Lascoux, Monique Chemillier-Gendreau, Emmanuel Terray, Sans-papiers : l’archaïsme fatal . Paris : Editions La Découverte, 1999. Parution : mai 1999 - Éditeur : La Découverte, Paris - Collection : Hors Collectio - Reliure : Broché - Description : 123 pages - ISBN : 2707130508 - Prix : 6,40 € A lire sur TERRA : la présentation, le sommaire, l’article d’Etienne Balibar "Le droit de cité ou l’apartheid ?" |
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PRESENTATION :
Bien que les médias ne lui portent qu’un intérêt à éclipses, la question des sans-papiers est désormais posées de façon permanente à la société française et à l’Europe. Et ce ne sont pas les régularisations partielles et temporaires intervenues ces dernières années qui peuvent laisser espérer une solution.
Comme le montrent les auteurs de cet essai, le problème tient à des facteurs structurels, dont rien ne permet de penser qu’ils pourraient disparaître dans un avenir prévisible par simple bricolage institutionnel : la persistance d’une offre significative de travail clandestin liée aux profits substantiels de la "délocalisation sur place", encourageant une "clandestinité officielle" : l’illusion entretenue de la maîtrise étatique des phénomènes migratoires, au prix de l’insécurisation des populations d’origine étrangère ; le marasme de la coopération et l’ignorance dans laquelle notre système juridique tient les dispositions du droit international ; la tentation croissante d’un apartheid européen. Dans tous ces domaines, les auteurs proposent un "état des lieux", procèdent au recensement critique des idées reçues, avancent des contre-propositions nouvelles. Et, sur la base de ce solide argumentaire, ils dénoncent avec vigueur les contre-vérités du discours gouvernemental justifiant le maintien dans la précarité de dizaines de milliers de sans-papiers.
Universitaires et militants reconnus, les auteurs ont été à l’origine ou partie prenante de diverses initiatives et sont intervenus publiquement sur la question des sans-papiers depuis Saint-Bernard et les lois Debré et Chevènement.
TABLE DES MATIÈRES :
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Introduction : Rien n’est fini...
Le travail des étrangers en situation irrégulière ou la délocalisation sur place, par Emmanuel TERRAY
L’illusion de la maîtrise, la politique migratoire en trompe-l’oeil, par Jacqueline COSTA-LASCOUX
Droit international ignoré, relations internationales de la France compromises, par Monique CHEMILLIER-GENDREAU
Le droit de cité ou l’apartheid ?, par Etienne BALIBAR
Conclusion : Les sept contrevérités du gouvernement
Etienne Balibar,
Le droit de cité ou l’apartheid ?.
(publié sur TERRA avec l’aimable autorisation de l’auteur)
Les questions de droit soulevées par la façon dont les gouvernements successifs ont envisagé le statut des étrangers en France, les questions de société que posent les politiques d’immigration et leurs répercussions sur l’esprit public, débouchent sur une interrogation de fond concernant la citoyenneté républicaine. On pourrait penser que les développements récents du débat sur l’immigration, marqués par la législation Pasqua-Debré, puis son aménagement par le ministre de l’Intérieur J.-P. Chevènement sous l’autorité et avec le soutien actif du premier ministre (L. Jospin), constituent une régression à des enjeux de plus en plus limités qui, au bout du compte, refoulent les questions de principe antérieurement débattues, relatives à l’articulation de la citoyenneté et de la nationalité. Mais d’un autre côté il est aussi apparu que les affrontements et les clivages politiques affirmés à propos du séjour, du traitement par l’administration des demandes de régularisation de "sans papiers", ou de l’interférence croissante des situations d’asile et de travail, ajoutent des dimensions fondamentales à la problématique de la citoyenneté. Ce qui se lit en grandes lettres dans la façon dont la "gauche plurielle", après les élections de 1997, a décidé d’entériner l’essentiel du dispositif et des méthodes héritées de ses prédécesseurs, et dans les résistances auxquelles s’est heurtée et se heurte encore cette politique (qui fut aussi, ne l’oublions pas, une volte-face au plan des discours), c’est la centralité du "droit de cité" des étrangers travailleurs dans le processus de transformation de la citoyenneté qui, pour nos sociétés, apparaît comme l’enjeu majeur des décennies à venir.
Dans ce processus, où il ne nous appartient pas de décider si nous serons impliqués ou non, mais seulement (ce qui est énorme) de quelle façon nous pourrons éventuellement l’infléchir, c’est la possibilité même de conserver un sens aux principes d’émancipation collective, de souveraineté populaire et d’universalité de la sphère publique désignés par notre tradition comme "démocratiques" qui est mise en cause, alors que se déplacent profondément les frontières du politique. Ou, pour le dire avec les mots de Jacques Rancière [1], c’est la possibilité de retracer entre la "police" et la "politique", au sens le plus général de ces termes, une ligne de démarcation dont il n’est pas sûr qu’elle soit jamais sans reste, et dont il est certain qu’elle n’est jamais acquise une fois pour toutes.
On se souvient que les mouvements sociaux de la fin des années 70 et du début des années 80 réagissant aux premiers effets massifs de la désindustrialisation (comme les grèves des aciéries de Lorraine, de Citroën, de Talbot), dans lesquels les ouvriers immigrés tenaient une place importante, puis l’explosion des demandes de reconnaissance et d’égalité de la part des jeunes enfants d’immigrés (la Marche des Beurs, Convergence 84), sur le fond d’un retour longtemps attendu de la gauche au pouvoir, d’une accélération des processus d’intégration européenne, et d’une montée en puissance des organisations xénophobes (F.N.), avaient déclenché un débat prolongé sur les modalités d’acquisition de la nationalité (avec les parts respectives du "droit du sol" et du "droit du sang"), sur le droit de vote des immigrés et généralement sur les rapports entre citoyenneté et nationalité. [2] Toutes les forces politiques et de nombreuses tendances de la société civile avaient dû prendre parti. Il semblait admis (même si les conclusions qu’on en tirait ici et là divergeaient du tout au tout) que le bouleversement des échelles territoriales et des distributions de populations ne pourrait rester sans conséquences sur la définition du lien symbolique et institutionnel que nous appelons "citoyenneté". Quinze ans plus tard, si cette question n’est pas totalement oubliée (nous allons y revenir), elle semble avoir cédé la place à des dilemmes qui ne sont pas plus consensuels, mais qui n’engagent pas des choix aussi fondamentaux.
Et pourtant pendant le même temps les structures socio-économiques, les données stratégiques dont dépend la fonction à venir de l’Etat-nation n’ont cessé de se transformer, les rapports entre réaction xénophobe et projets de refondation démocratique se sont tendus à l’extrême, et le décalage entre la violence des pratiques administratives et les exigences élémentaires de la vie des étrangers installés dans la cité en tant que travailleurs, consommateurs et usagers n’a cessé de grandir. Il met à jour une imbrication intime entre les questions apparemment abstraites de statut politique (qui donc forme l’"universalité des citoyens", le "peuple" ou la "nation souveraine" auxquels se réfèrent les textes fondateurs de notre ordre constitutionnel ?) [3] et les questions les plus quotidiennes de visas, de cartes de séjour, d’économie parallèle, de contrôle ou de libre organisation des mouvements de populations et des choix de vie "privés".
Les étrangers, avec ou sans papiers (cette distinction étant, comme on l’a vu précédemment, loin d’être stable), se trouvent directement concernés par chacune des orientations que peut emprunter l’évolution du statut de "citoyen" à l’échelle nationale ou transnationale, mais leur présence et leurs conditions d’existence dans l’espace public manifestent aussi que la citoyenneté est à la croisée des chemins. Il importe donc de montrer comment se dessine l’alternative entre un archaïsme politique de "droite" ou de "gauche" qui peut s’avérer fatal pour la démocratie, et les possibilités alternatives qui se font jour au coeur même des conflits, non sans confusions ou sans risques, mais au nom de principes civiques indiscutablement plus progressistes.
Nous le ferons en abordant quatre aspects de la question : dérives de l’idéologie républicaine, héritage des discriminations coloniales dans un nouvel "ordre hiérarchique" des populations mondiales, implications européennes du blocage national en matière de citoyenneté sociale, enfin réponses militantes aux pratiques étatiques de répression et d’intégration, avant de conclure sur le critère que représente pour la démocratie l’inclusion des travailleurs immigrés dans une citoyenneté élargie et réinventée.
L’officialisation du "national-républicanisme"
Pour comprendre le complexe politique auquel se heurte aujourd’hui toute tentative de rupture avec la gestion autoritaire du "problème de l’immigration", il convient de prendre en considération des pratiques collectives (notamment celles de l’administration) mais aussi des discours (dont la fluctuation dans le temps donne lieu à d’étonnants court-circuits idéologiques), et de comparer les unes et les autres. Pour des raisons qui s’éclaireront quand nous aurons identifié les facteurs qui inscrivent aujourd’hui l’exclusion des immigrés au coeur du malaise de la citoyenneté, nous allons concentrer notre attention sur des pratiques répressives et sur les discours qui tendent à les légitimer.
Il ne s’agit pas de prétendre que la condition des immigrés en France, tous statuts personnels et modalités de travail ou de résidence confondus, se résume à l’exclusion, ou qu’elle en subsume la totalité des aspects. [4] Cependant le long débat semé d’épisodes dramatiques qui eut pour enjeu le renvoi dans leur pays d’origine ou la régularisation plus ou moins complète des "sans papiers", entre le projet Debré (mars 1996) et l’entrée en vigueur de la loi Chevènement "sur l’entrée et le séjour des étrangers en France" à l’automne 1998, en passant par les procédures violentes d’expulsions par "charters" et les grèves de la faim (Saint-Ambroise, Saint-Bernard et Temple des Batignolles à Paris, mais aussi Créteil, Le Havre, Lille …), avec les réactions qu’elles ont entraînées en France et en Afrique, tout cela aura eu le mérite de mettre en pleine lumière trois faits essentiels :
1. les méthodes répressives et humiliantes, qui se donnent libre cours dans les moments où l’Etat croit son autorité "défiée" par ceux dont il assimile la présence en France à une délinquance organisée, forment la face visible d’un vaste ensemble de pratiques contraires aux droits fondamentaux inscrits dans nos textes constitutionnels, auxquelles tous les étrangers catalogués comme "immigrés" sont quotidiennement soumis ;
2. les alternances gauche-droite sont sans effet notable sur le contenu de cette politique, dont l’essentiel demeure inchangé, et fait même l’objet d’une surenchère autour des thèmes de la lutte contre l’insécurité et de la défense de l’intérêt national. La façon dont le gouvernement Jospin a voulu faire passer en force la reprise de dispositions essentielles des lois Pasqua et Debré, contre lesquelles s’était faite une des grandes mobilisations du "peuple de gauche" dans la dernière période, et dont il avait lui-même promis l’abrogation au cours de sa campagne électorale, est très révélatrice à cet égard. D’autant qu’elle s’est accompagnée d’une intense production de "rhétorique réactionnaire" (au sens d’Albert Hirschmann) visant à stigmatiser la "gauche morale" (ou "angélique") et sa "revendication abstraite des droits de l’homme", en d’autres termes les militants qui avaient la faiblesse de croire - à la lumière d’expériences passées - que la fidélité aux engagements pris est une composante essentielle de la crédibilité du politique. [5]
3. la continuité du point de vue répressif dans la façon d’instituer le statut des étrangers en France, qui traduit la convergence de la classe politique et sert de terrain d’entente entre les partis de gauche et de droite dans les périodes de "cohabitation", se légitime désormais au moyen d’un discours spécifique. Discours organisé autour de l’idée d’une menace contre l’Etat républicain émanant tout à la fois des forces économiques de la "mondialisation", des réseaux "criminels" d’immigration, du "communautarisme" religieux ou culturel, enfin des intellectuels cosmopolites et des ONG qui se laisseraient séduire par l’idéologie "post-nationale".
Le moment où ce discours s’est cristallisé fut sans doute celui où le Premier Ministre (L. Jospin), obligé de reprendre les choses en main devant le tour dramatique pris par la grève de la faim du "3e collectif" de Sans-papiers au cours de l’été 1998, ne s’est plus contenté de présenter ses choix comme un "équilibre" entre les extrêmes, mais a voulu élever les enjeux politiques de la "régularisation Chevènement" à la hauteur d’un conflit pour ou contre le respect de la loi et l’autorité de l’administration, rassemblés sous le nom d’Etat de droit. Dès lors le lien s’est fait avec une "défense de la République" qui vise génériquement les menaces de l’étranger et de ses agents supposés contre la souveraineté nationale, revendiquée à la fois à droite (Ch. Pasqua) et à gauche (J.P. Chevènement).
C’est ce complexe de pratiques et de discours que nous appellons national-républicanisme [6]. Il est frappant de le voir gagner du terrain non seulement dans des cénacles politico-littéraires ou, ce qui est plus sérieux, dans des corporations comme les enseignants, les employés du transport urbain ou la police, qui subissent de plein fouet les phénomènes de déstructuration de la société et de crise du service public, mais dans l’attitude des responsables de la gauche. Le même Lionel Jospin qui, ministre de l’Education Nationale en 1989 au moment de "l’affaire des foulards islamiques" de Creil, avait à peu près réussi à déjouer la manoeuvre de dramatisation et de mobilisation du corps enseignant pour la défense de la "laïcité républicaine" en refusant les mesures d’exclusion des jeunes filles et de discrimination religieuse, semble avoir rejoint ce camp, du moins pour ce qui concerne le traitement de l’immigration. [7]
On peut signaler plusieurs domaines dans lesquels les effets du nationalisme républicain se font directement sentir. C’est le cas notamment dans le fonctionnement de la justice, où s’est installée en dépit des révoltes qu’elle soulève la pratique de la double peine, consistant à assortir les condamnations pénales frappant des individus de nationalité étrangère de mesures d’expulsion ou d’interdiction du territoire français, indépendamment des liens biographiques ou familiaux qu’ils peuvent y avoir établis (c’est-à-dire à ajouter le bannissement à toute peine criminelle, dès lors qu’elle concerne un étranger). La double peine est particulièrement révélatrice de la façon dont des droits fondamentaux censément "inaliénables" sont modulés en fonction de l’appartenance nationale, dans une perspective sécuritaire. [8] Elle institue un effet en retour de la privation des droits civiques sur la jouissance des droits de la personne. On verra plus loin que c’est également le cas pour ce qui est des droits sociaux, tendanciellement incorporés depuis cinquante ans dans les pays démocratiques industrialisés à la notion des droits de l’homme. [9]
Il faudrait compléter cet exemple révélateur par la description complète des formes du racisme institutionnel des administrations auxquels les étrangers (ou plutôt certains étrangers : les plus pauvres, les "basanés" venant du "Sud") sont en butte dès qu’ils réclament le bénéfice d’un droit ou sont soupçonnés de vouloir se l’attribuer. Elles vont depuis les contrôles de police "au faciès" jusqu’aux modalités quasi-concentrationnaires de la rétention et de l’expulsion du territoire. [10] Dans ces réalités sordides, désormais assez bien connues mais obstinément déniées par les responsables gouvernementaux et administratifs, alors même que les preuves leur en sont régulièrement fournies, s’exprime une tendance profonde de l’Etat et de ceux qui s’identifient complètement à lui. L’obsession maniaque de l’autorité ne suffit pas à l’expliquer : elle est surdéterminée par deux autres complexes idéologiques et passionnels.
Le premier tourne autour de la souveraineté de l’Etat : elle semble devoir être démontrée d’autant plus ostentatoirement aux dépens d’individus pratiquement sans défense, donc dans la forme de l’excès de pouvoir, qu’elle est moins assurée de sa pérennité et même devenue franchement douteuse au niveau des grands enjeux de politique économique, de sécurité collective, d’information, sur lesquels aucun Etat-nation à lui seul n’a plus de prise aujourd’hui. Ce que nous avions appelé ailleurs le syndrôme de "l’impuissance du Tout-Puissant" signifie qu’on assiste à la fois à une multiplication des brimades envers les étrangers de la part des serviteurs de l’Etat et à une "demande" de telles pratiques discriminatoires de la part d’une partie des citoyens, désorientés par le contraste entre la puissance imaginaire que s’attribue l’Etat dont dépend leur existence, et le spectacle quotidien de son impuissance à maîtriser les phénomènes de désindustrialisation et les mouvements spéculatifs accélérés par la "mondialisation". Ainsi, pour reconstituer dans l’imaginaire une souveraineté en fait mythique, se développe un racisme institutionnel, beaucoup plus décisif pour l’évolution des attitudes collectives que le système des préjugés ou des idéologies de rejet de l’Autre. [11] L’Etat montre (à peu de frais) la force qu’il prétend détenir et rassure du même coup ceux qui soupçonneraient son dénuement.
Ce n’est pas tout cependant, car le nationalisme demande aussi une stigmatisation spécifique de l’étranger. L’évidence "républicaine" selon laquelle le statut de citoyen doit conférer des droits que les non-citoyens ne possèdent pas lui fournit aussitôt une justification sans appel, fonctionnant comme un substitut : les citoyens nationaux se persuaderont que leurs droits ne sont pas nuls s’ils voient que ceux des étrangers sont inférieurs, précaires, ou subordonnés à des manifestations répétées d’allégeance (souvent baptisées "signes d’intégration"). On voit ainsi se développer un communautarisme abstrait, centré sur l’Etat et sa prétention exclusive à incarner l’universel. Ce communautarisme public ne cesse de s’affirmer en dénonçant le danger des communautarismes rivaux ou des différentialismes réels ou imaginaires qui reflètent l’irréductibilité des sociétés contemporaines à un modèle d’assimilation nationale unique. Il permet de stigmatiser comme tel, en permanence, l’étranger qui ne se veut pas "invisible" et ne considère pas sa présence sur le territoire national comme une simple concession révocable. La grande équation instituée par les Etats modernes entre citoyenneté et nationalité (qui donne justement son contenu à l’idée de "souveraineté du peuple") commence alors à fonctionner à rebours de sa signification démocratique : non pas pour faire de la nationalité la forme historique dans laquelle se construisent une liberté et une égalité collectives, mais pour en faire l’essence même de la citoyenneté, la communauté absolue que toutes les autres doivent refléter.
Peut-on dire qu’on rejoint ici une notion comme celle de "préférence nationale", devenue le mot d’ordre privilégié des organisations d’extrême-droite, ou carrément fascistes comme le Front National français ? Il faut être ici prudent, parce que les seuils de langage traduisent aussi des lignes de clivage dans l’opinion dont dépend l’avenir de nos libertés publiques.
Ce que veut dire aujourd’hui "préférence nationale" [12], c’est que les immigrés, en commençant par les étrangers en situation irrégulière ou qui peuvent être aisément illégalisés, soient privés de droits sociaux fondamentaux (assurance chômage, assistance maladie, allocations familiales, logement social, scolarisation, etc.) et expulsables en fonction de "seuils de tolérance" ou de "capacités d’accueil" arbitrairement fixés d’après des critères de "distance culturelle", autrement dit de race dans le sens que cette notion a prise aujourd’hui. Le nationalisme républicain ne saurait se confondre purement avec un tel discours, comme on l’a vu au moment des débats sur la réforme du Code de la nationalité, ou par son insistance sur la capacité d’accueil de la citoyenneté française. Mais en raison de la façon dont il sacralise la nationalité, identifiée à un processus d’assimilation à la culture dominante des notables politiques et intellectuels (cf. « l’élitisme républicain »), ou projetée sur la multiplicité des cultures existantes en France par un populisme démagogique [13], le moins qu’on puisse dire est qu’il n’oppose pas une résistance bien forte à ceux qui se proposent d’inverser les critères d’inclusion et d’assimilation en critères d’exclusion et d’épuration. C’est ainsi qu’on peut en arriver à une situation dans laquelle un projet de "protection sociale universelle" (la CMU) fonctionnerait aussi comme moyen de tri entre nationaux et non-nationaux, en requérant la collaboration des fonctionnaires de l’état-civil, de l’éducation nationale, des affaires sociales, etc.
L’immigration recolonisée ?
Il devient clair alors que l’absolutisation de la nationalité et des valeurs nationales, héritée d’une longue tradition étatique, mais exacerbée par une conjoncture de crise sociale et d’incertitudes quant aux limitations à venir dans la souveraineté des Etats-nations, constitue non plus un principe d’unité mais un facteur de dissolution pour le système des droits personnels, des droits sociaux et des droits politiques, qui est le coeur de la citoyenneté moderne telle qu’elle résulte de plusieurs siècles d’ajustements et de combats (depuis la Révolution française au moins). Nous allons le vérifier en examinant la façon dont le statut civique des immigrés est affecté par les processus de mondialisation et d’unification européenne, dont chacun s’accorde à faire l’horizon des débats à venir.
Pour introduire un peu de clarté dans les discussions sur les effets de "racisation" ou de "racialisation" des processus de mondialisation, il nous semble indispensable de repartir une fois de plus de la question de l’héritage colonial et de sa permanence qui n’exclut pas, évidemment, des déplacements dont il s’agira de prendre la mesure. Deux thèses, en effet, s’affirment de façon antithétique : celle qui voit dans les phénomènes de "fermeture" de l’identité nationale et d’exclusion des populations étrangères un effet prolongé de l’archaïsme étatique, et celle qui y voit au contraire un sous-produit de l’impérialisme des marchés et du nouvel ordre économique, dans lequel l’affaiblissement des communautés nationales, fondamentalement "politiques", irait de pair avec l’exacerbation des sentiments d’appartenance ethnique ou ethno-culturelle. Or ces deux thèses font l’une et l’autre disparaître la question cruciale de l’héritage colonial.
Nous parlerons de "recolonisation" de l’immigration dans la période récente, comme d’un phénomène général auquel la situation française apporte une illustration flagrante, pour marquer à la fois l’importance des effets de répétition et le contexte nouveau dans lequel ils se produisent.
L’héritage colonial, pour ce qui nous intéresse ici, concerne essentiellement trois aspects, qui se renforcent les uns les autres. Il y a d’abord la persistance des méthodes et des habitudes administratives acquises au contact de "l’indigénat", et qui après avoir été "projetées" dans l’espace colonial au cours de la période décisive de formation de l’appareil d’Etat républicain [14], ont été réintroduites et "naturalisées" en métropole, en s’appliquant de façon privilégiée aux ressortissants des anciens territoires coloniaux ou de ceux qui ont été maintenus dans un statut semi-colonial (D.O.M. - T.O.M.) [15], et par extension aux populations en provenance d’un "Sud" génériquement perçu comme monde extérieur aux valeurs de civilisation et aux modes de vie de l’Occident "développé" : mais ce monde commence aux marges méditerranéennes de l’Europe (comme en témoignait naguère l’immigration portugaise, aujourd’hui l’immigration maghrébine ou turque). Il y a ensuite, précisément, la continuité de courants pour les migrations de travail qui empruntent des voies balisées depuis l’époque coloniale et, plus généralement, celle de l’influence impérialiste française (mais on sait que les choses sont complexes à cet égard, d’une part parce que la France est en Europe le pays où l’immigration de travail est la plus ancienne et la plus massive, puisant depuis le milieu du XIXe siècle à des sources de plus en plus éloignées de la "marche" frontalière et des "régions sous-développées" de départ, d’autre part parce que les recrutements proprement coloniaux, en Afrique, au Maghreb, ont exigé la mise en place de filières patronales spécialisées, qui se sont surtout développées au moment où les processus d’indépendance étaient déjà en marche). [16] Il y a enfin la prégnance d’un discours d’unification impériale dans lequel, contrairement à ce que pourrait faire imaginer une théorisation abstraite, les notions d’assimilation et de différenciation ne sont pas exclusives, mais forment une hiérarchie analogue à celle de l’universel et du particulier, ou du public et du privé, qui porte profondément la trace de la façon dont la nation colonisatrice, imbue de sa mission civilisatrice, a catégorisé les "cultures" et les "ethnies", pour délimiter et contrôler les possibilités de passage du statut d’indigène à celui de nouveau citoyen "émancipé". D’où l’extrême sensibilité aujourd’hui des conflits symboliques touchant aux moeurs, aux formes familiales, à la religion et à l’éducation, où se profile avec retard une remise en cause des vieux classements franco-centriques et euro-centriques (comme on le voir dans toute la question du statut de l’Islam en France).
L’héritage colonial, constitué à la fois par des relations humaines et économiques, et par des schèmes de connaissance (ou, plus fréquemment, de méconnaissance) de l’Autre, institue donc une "anthropologie pragmatique" des populations introduites de l’extérieur dans le territoire national : un territoire qui tend toujours à se percevoir comme une métropole, minimisant ses différenciations et ses conflits internes pour pouvoir se représenter son identité par opposition. C’est, pour le dire d’un mot, la persistance d’une place vacante de sujet, formant l’ombre portée du citoyen dans l’espace de la souveraineté. Cette place a été préservée par delà le processus de décolonisation (dont, au demeurant, il faudrait questionner les limites et les faux-semblants). Mais elle a subi un renversement de ses critères politico-juridiques : alors que le sujet colonial, au prix d’acrobaties dans la référence aux textes fondateurs de la philosophie républicaine des droits de l’homme, était considéré comme un "national" ne jouissant pas de la plénitude des droits du citoyen, le travailleur immigré est considéré comme un "non-national" (alien, diraient les anglo-saxons) plus ou moins intégré à la société française, et partiellement incorporé de ce fait dans le système des droits et des devoirs de la citoyenneté, mais en quelque sorte maintenu dans un statut de minorité. En échange de son travail, il peut recevoir une formation et une protection qui l’assimilent au citoyen, mais à condition de respecter les termes d’un "contrat" dont il ne doit jamais pouvoir fixer lui-même les termes (comme le montre précisément la gestion des questions de naturalisation ou de droit de séjour).
On le comprend, cette hiérarchisation a dû soulever de longue date des difficultés affectant la conception même de la constitution républicaine. C’est spécialement le cas dès lors que la "citoyenneté sociale" caractéristique des sociétés capitalistes comme la nôtre, où les luttes de classes font l’objet d’une régulation négociée passant par le contrôle des contrats et des conditions de travail, la sécurité sociale et des services publics accessibles à toute la population, se fonde à la fois sur une référence à la cohésion nationale et sur une référence à l’activité salariée et aux "droits" qu’elle confère aux individus. [17] Or les immigrés se trouvent placés au point même où ces deux références manifestent leur écart : rien d’étonnant qu’il s’agisse d’un point de forte tension, qui peut ouvrir à des évolutions totalement divergentes, soit vers l’aménagement ou la relativisation du critère de nationalité (ce qui revient à trouver pour l’ensemble des individus formant la population active d’un territoire donné et leurs proches un moyen d’entrer dans le "corps politique" dont dépend l’institution et la négociation des droits sociaux auxquels ils ont part), soit vers la régression de la citoyenneté à un cadre purement formel (ce qui revient, non seulement à exclure de tout ou partie des droits sociaux sur critère de nationalité, mais aussi, de proche en proche, à augmenter la vulnérabilité de tous les travailleurs). C’est pourquoi les droits des travailleurs immigrés, leur protection contre la surexploitation et la discrimination, l’organisation de leur accès à la citoyenneté par des procédures de naturalisation ou de double nationalité, ou plus fondamentalement encore par un développement des droits sociaux en droits politiques (lesquels, en retour, constitueraient la véritable garantie contre la violation des droits individuels), en un mot l’abolition de la condition de sujétion ou de minorité, constituent l’indicateur privilégié du degré de vigueur de la citoyenneté et de sa dynamique, même si elle ne les épuisent pas.
Or ce processus, si tant est qu’il fût engagé réellement (mais il était à l’horizon d’un certain nombre de mouvements sociaux et culturels de l’après-68), a été brutalement contrecarré par les effets de la mondialisation économique et des nouvelles inégalités qu’elle creuse à l’échelle globale comme à l’échelon local (c’est-à-dire national). [18] Un véritable processus de recolonisation des relations sociales s’est mis en route (qu’on peut dater du début des années 80). S’il n’abolit pas purement et simplement les dynamiques antérieures, il en rend l’aboutissement beaucoup plus difficile.
Une telle recolonisation se lit à la fois au niveau de réalités très quotidiennes, et de grands effets de représentation à l’échelle de toute l’humanité, le lien entre les deux étant de plus en plus assuré par le système de communications qui renvoie à chaque groupe humain une image stéréotypée de sa "place" hiérarchique dans l’organisation du monde, en la projetant « virtuellement » sur son lieu de vie. Elle se transforme parfois en violence nue, dans ces banlieues ou ces ghettos urbains où les services publics ont tendance à fonctionner comme en terre de conquête, en butte à l’hostilité de nouveaux barbares, à moins qu’ils ne s’en retirent purement et simplement.
D’un côté on a donc la pression d’insécurité exercée sur des groupes d’individus déplacés, en raison de leur origine, de leur culture, de leur type d’emploi. Ils font l’expérience d’une confusion systématique des pouvoirs administratifs et judiciaires, des autorités politiques et policières, sur les lieux de travail ou d’habitation - caractéristique d’une condition de sujets par opposition à des citoyens. Ce qui fait voler en éclats le mythe d’un statut d’étrangers égaux en dignité aux nationaux, pour qui la privation dans un cadre politique donné des droits et des devoirs du citoyen serait compensée par la possibilité d’en disposer ailleurs, « chez eux ». A l’absence des droits civiques et aussi, selon une proportion variable, de la liberté d’entreprise, d’association et d’opinion, du droit à la dissidence, etc., ne correspond aucune réciprocité de statut protégé - à la différence de ce qui se passe pour les ressortissants des autres nations dominantes ou pour les membres de la bourgeoisie internationale - mais un arbitraire de tous les instants.
De l’autre côté on a - selon le vieux modèle des classements d’ethnies inventés par le colonialisme aux fins de division et de hiérarchisation des dominés - les catégorisations raciales, administratives et culturelles d’immigrés de différentes provenances et de différentes générations, servant, ainsi que l’a montré notamment Wallerstein [19], à diviser une force de travail globale qu’il s’agit de faire entrer en concurrence à l’échelle mondiale. Et cette division comporte elle-même des aspects sociaux complémentaires. Les uns sont économiques, comme la "délocalisation sur place" étudiée par Emmanuel Terray [20], au moyen de laquelle les pays du "Nord" éludent ou retardent les effets de la concurrence des pays "à bas salaires et à capacités technologiques" [21]. D’autres sont directement politiques, comme l’entretien des clivages ethniques entre groupes de travailleurs étrangers et nationaux, et entre les étrangers eux-mêmes, qui fait obstacle à leur participation aux formes traditionnelles de la lutte de classe, ou à l’invention de formes nouvelles dans un contexte de transnationalisation des rapports sociaux. On constate ainsi que l’ethnicisation des groupes humains et la représentation corrélative de "distances culturelles" infranchissables entre les individus, entretenues à contre-courant des implications de la situation de travail elle-même par l’accumulation des pratiques discriminatoires, sont bien davantage le fait des sociétés du Nord qui organisent la mobilité des immigrés que des immigrés eux-mêmes. Ou encore que l’interdit d’accès à la sphère publique, aux droits d’expression et aux possibilités de lutte qu’ils offrent, le confinement dans des ghettos et le cas échéant dans un espace de "clandestinité", visent à empêcher à la fois l’individualisation et la socialisation des étrangers, la conquête des libertés individuelles et celle des libertés collectives, exactement comme dans les situations coloniales, parce qu’il y aurait là un danger de remise en question des positions dominantes et des possibilités d’exploitation offertes par le règne du non-droit. Mais ce qui est danger d’un certain point de vue pourrait bien aussi être une chance du point de vue d’une renaissance de la vie civique, qui suppose l’inclusion de toutes les composantes de la société et la reconnaissance des conflits dans l’espace commun.
Vers un "apartheid" européen ?
Cet espace, on le sait, a déjà partiellement changé de configuration avec le déplacement au niveau européen d’un certain nombre de pouvoirs de décision et de contrôle en matière économique et financière, culturelle, judiciaire, diplomatique, bientôt sans doute également militaire. Et beaucoup de participants au débat politique avaient pu penser que l’émergence de l’espace public européen, quels qu’en fussent les détours et les conflits prévisibles, poserait inéluctablement le problème d’un dépassement des archaïsmes hérités d’une histoire politique marquée par l’exploitation et le colonialisme autant que par les conquêtes démocratiques et les mouvements d’émancipation sociale.
Il semblait en particulier que la concrétisation du mot d’ordre de "citoyenneté européenne", inscrit dans les textes fondateurs ou les traités ayant une valeur quasi constitutionnelle, exigerait à terme le franchissement d’un double seuil, en ce qui concerne l’articulation des droits politiques et sociaux aussi bien qu’en ce qui concerne l’ouverture de la citoyenneté aux diverses composantes du "peuple européen" sur d’autres bases que le simple héritage de la nationalité d’un pays membre de l’Union. Pour le premier point, parce qu’il est mal concevable que des institutions supra-nationales soient reconnues pour légitimes si elles ne procurent pas aux individus qu’elles rassemblent un niveau de sécurité et un degré de participation démocratique au moins égaux, et en fait supérieurs à ce qui existait dans le cadre des Etats-nations traditionnels, même ébranlés par la crise de gouvernabilité et le chômage de masse. Sur le second point, parce qu’à défaut de la généralisation et de l’extension du "droit du sol" débouchant sur une véritable citoyenneté de résidence en Europe [22], l’addition des exclusions propres à chacune des citoyennetés nationales réunies dans l’Union européenne produirait inévitablement un effet d’apartheid explosif, en flagrante contradiction avec l’ambition de constituer un modèle démocratique à l’échelle continentale et mondiale.
On voit bien que de telles hypothèses ne sont pas équivalentes à une pure dissolution de la citoyenneté nationale, bien qu’elles en remettent en cause la conception absolutiste et exclusive. D’un côté en effet elles démultiplient et déplacent le lien entre citoyenneté sociale et appartenance nationale qui, depuis plus d’un siècle, a permis de surmonter les crises parfois très violentes de l’unité nationale, notamment à l’occasion des guerres européennes et mondiales. De l’autre elles replacent dans un cadre plus vaste les droits de représentation et de participation à la vie publique acquis de naissance ou par naturalisation : celui d’une "communauté de sort" [23] dont les limites ne seraient pas déterminées à l’avance, mais élaborées pragmatiquement, dans la confrontation entre plusieurs groupes historiquement constitués dont les intérêts et les modes de pensée n’ont rien de spontanément convergent, mais que l’histoire oblige précisément à vivre ensemble en inventant les règles de leur coexistence.
Ces perspectives ne sont pas absurdes, mais elles ne se concrétisent pas directement, elles semblent même passer par leur contraire. Au lieu que les tendances à la recolonisation de la force de travail résultant de la mondialisation de la concurrence soient contrecarrées au niveau européen, tout se passe comme si la construction européenne était l’instrument de leur accentuation. Le traité de Maastricht prévoit l’attribution de la citoyenneté européenne - impliquant le droit de vote local dans le pays de résidence et le droit de pétition ou de recours devant les tribunaux européens - pour les seuls nationaux des pays membres, à l’exclusion des ressortissants des autres (qui sont majoritairement des travailleurs immigrés : Turcs en Allemagne, Indiens en Grande-Bretagne, Algériens ou Chinois en France, Marocains en Espagne, etc.). Il crée ainsi une discrimination nouvelle qui n’existait pas dans chaque espace national. Les treize millions de ressortissants de pays "tiers" (qu’on a pu très justement comparer à une "seizième nation européenne" [24]) installés depuis une ou plusieurs générations sur le sol des différentes nations européennes, et devenus globalement indispensables au bien-être comme à la culture et à la civilité de l’Europe, deviennent une masse de citoyens de seconde zone ou de résidents assujettis, au "service" des Européens de plein droit, alors même qu’ils jouissent de titres de séjour prolongés ou permanents.
Comme on peut s’y attendre, une telle situation est propice au développement de formes de racisme spécifiquement "européen", que des enquêtes internationales ont entrepris de cerner. La construction de l’Union génère des discriminations sur la base de la nationalité d’origine, en séparant radicalement les ressortissants communautaires des extra-communautaires. "Il semble qu’on ne peut exclure l’incidence de la constitution d’une position infériorisée et permanente dans la structure hiérarchique de l’Europe (...) Les différents modes de désignation de "l’étrange étranger" au sein de chaque contexte national, ethnic minorities, immigrés, allochtones, extracommunitari, Ausländer, désignent les "autres" nationaux. Dans le processus de constitution de l’identité européenne, tous ces termes s’unifient et visent à qualifier ces "autres" qui ne sont pas européens (...) Ils constituent la catégorie du "sous-blanc", les outsiders, ceux qui ne sont ni blancs, ni laïcs, ni chrétiens". [25] Cette distinction devient ipso facto une présomption d’illégitimité en matière de résidence, de droits culturels ou sociaux, pour ne pas parler des droits politiques, et elle forme un arrière-plan naturel de légitimation pour les tournants répressifs dans les politiques nationales de limitation du droit de séjour et de circulation. [26]
Dans ces conditions, l’épisode de la demi-régularisation des immigrés "clandestins" en France en 1997-1998 prend encore une autre signification que celle qu’on avait pu lui attibuer sur le moment, dans le feu des controverses sur les critères. On sait que le gouvernement avait fait préparer ceux-ci par une expertise censée refléter le dernier état de la recherche sur les modalités et fonctions de l’immigration en France [27], mais qu’au bout du compte il a pu combiner la mauvaise volonté des administrations préfectorales (qu’il s’est bien gardé de remettre au pas) et divers "assouplissements" concédés en cours de route, pour aboutir à peu de choses près à la proportion symbolique de 50% de régularisés et 50% de déboutés qui avait été annoncée par avance. Cette savante manoeuvre a été justement interprétée comme un signal du fait que le gouvernement ne voulait pas proclamer dans l’espace social français la priorité de la lutte contre les exclusions ni la fin de la manipulation du critère de nationalité pour insécuriser une partie de la classe ouvrière. On n’a pas prêté suffisamment attention, semble-t-il, au fait qu’elle s’inscrivait aussi dans un contexte européen très tendu, au moment où certains pays membres de l’Union (Italie, Espagne, Belgique) procédaient à des régularisations beaucoup plus massives tandis que d’autres au contraire accentuaient les législations répressives (Auriche, Suisse) et où se poursuivaient les contacts intergouvernementaux relatifs au contrôles de frontière et à l’interconnexion des fichiers d’entrée et de sortie d’étrangers (dans le cadre des accords de Schengen). Il s’agissait bel et bien d’un signal de "fermeté" en direction des pays voisins, qui oscillent comme la France entre les mesures d’"intégration de l’immigration légale" et de "répression de l’immigration clandestine", et d’une contribution au développement de l’apartheid européen. Et sans doute, à plus long terme, le gouvernement en attendait-il un renforcement de sa propre conception "nationaliste républicaine" de la citoyenneté, qui suppose justement que l’insertion des Etats dans des ensembles supra-nationaux ne vienne pas déstabiliser la façon dont ils ont organisé, de longue date, le contrôle de la participation populaire aux décisions et les débats qui portent sur la définition même de la représentation politique.
Les sans-papiers, des citoyens actifs
Reste que l’apartheid débouche sur des contradictions et des conflits intenables. Et pour plusieurs raisons qui se recoupent.
La première est qu’il constitue un foyer de violences à répétition. Les plus massives : violences institutionnelles profondément destructrices de l’ordre public, exercées aux marges de la légalité par les détenteurs de la "force légitime". Les plus compréhensibles, même si elles ne sont pas nécessairement ajustées ou proportionnées : violences réactives des victimes de discriminations (on sait qu’elles ne viennent pour ainsi dire jamais des travailleurs sans-papiers, totalement vulnérables à la répression, mais surtout des jeunes de deuxième ou troisième génération en butte à l’exclusion sociale et au racisme administratif et professionnel). Les plus inquiétantes : violences "idéologiques", très souvent meurtrières, perpétrées par les groupes nationalistes ou par les marginaux qu’ils influencent contre les résidents non-Européens. Toutes ces violences s’inscrivent dans un contexte général de dégradation des rapports sociaux et de "désaffiliation" (R. Castel) des laissés pour compte de la mondialisation. Le discours sécuritaire que les Etats lui opposent spontanément, montant certaines d’entre elles en épingle et en minimisant ou camouflant d’autres, créant des catégories a priori de suspects et de boucs émissaires, est beaucoup plus difficile à légitimer encore au niveau européen que dans un cadre national, parce qu’il placerait au coeur de la construction communautaire un ordre policier synonyme de surenchère permanente (et sans doute aussi de suspicion réciproque) entre les appareils répressifs nationaux.
La seconde raison, c’est qu’on ne pourra pas différer indéfiniment la mise à jour du "volet social" de la construction européenne. Mais celle-ci ne pourra se faire que de façon contractuelle, non seulement entre les gouvernements, les banques centrales, les groupes financiers qui pour l’instant ont investi les lieux de décision, mais en négociant et en se concertant avec des représentants du monde du travail (et du non-travail plus ou moins forcé). Ce qui veut dire, en clair, que la reconstitution d’un syndicalisme puissant et le développement du mouvement associatif constitueront une exigence politique de l’émergence progressive d’une véritable sphère publique transnationale, ou si l’on veut d’un Etat décentralisé de type nouveau, et devront aller de pair avec elle. Mais à leur tour ces composantes populaires de l’institution du social et du politique ne pourront acquérir la représentativité et l’universalité nécessaires sans intensifier la lutte contre les formes quasi-coloniales de l’exploitation moderne, comme elles ont d’ailleurs commencé à le faire, inégalement selon les pays.
Enfin la dernière raison, et non la moindre, tient à la contradiction flagrante qui ira se développant entre les aspects d’inclusion et d’exclusion que revêt la construction d’un ensemble politique européen. Depuis l’effondrement du système soviétique l’Union européenne, qui ne représentait à l’origine qu’une moitié des nations du continent, a commencé à se présenter comme une puissance organisatrice et civilisatrice à l’échelle régionale, engageant avec ce qui fut "l’Est" (ou "l’autre Europe") des processus variés d’intégration, d’association ou de réciprocité. On voit bien que cette évolution ne peut aller sans mouvements de population, aussi bien par le rétablissement d’une liberté de circulation longtemps interdite, qui fut l’une des revendications majeures des peuples de l’Est, que par l’accentuation de la mobilité du travail. A fortiori est-ce le cas depuis que des conflits dramatiques, générateurs d’exodes et de demandes d’asile, ont commencé à surgir de l’après-communisme, activés par le délire nationaliste et la paupérisation. Mais on ne peut imaginer ni que les nations européennes "dominantes" étendent aux Européens de l’Est le bouclage des frontières et la chasse aux clandestins qui visent actuellement les courants d’immigration venus du Tiers-Monde, ni qu’elles redoublent leurs procédures discriminatoires en construisant un échelon supplémentaire dans la hiérarchie des droits de circulation. A l’heure de l’épuration ethnique du Kosovo, demain peut-être des déplacements de population massifs en Serbie, en Albanie ou en Macédoine, la phrase malheureuse de Lionel Jospin sur les déboutés de la régularisation qui "ont vocation à retourner chez eux" [28], avec les pratiques de "nettoyage" du territoire français de ses éléments indésirables qu’elle recouvre en pratique (ou dont elle recouvre la perpétuation), ne tardera pas à faire figure d’insupportable provocation.
Quelle est l’alternative ? C’est ce que nous appelons un droit de cité des étrangers et notamment des "immigrés", dans la diversité de situations collectives et de trajectoires individuelles que recouvre ce terme. Un droit de cité sous-tend et prépare la citoyenneté, sans préjuger des modalités juridiques sous lesquelles elle va s’instituer et se transformer pour s’adapter aux exigences du monde contemporain, soit à travers la modification des critères d’attribution de la nationalité (par exemple la généralisation de la double nationalité, devant laquelle l’Allemagne vient de reculer sous la pression de sa propre extrême-droite, et que la France en dépit de la colonisation et de la décolonisation n’a jamais envisagée sérieusement), soit à travers une extension progressive des droits politiques de tous les résidents indépendamment de la nationalité, aux échelons local, national et communautaire. Il correspond non pas à un triomphe du "libéralisme" mais, ce qui est tout autre chose, à une libération résolue du droit de séjour et de travail. Ses indispensables régulations ne peuvent résulter que de la négociation et de la reconnaissance des intéressés comme interlocuteurs valables, légitimement habilités à expliquer leur situation, formuler des demandes et proposer des solutions.
On se rend compte alors que le droit de cité, et au-delà la citoyenneté, ne se concèdent pas seulement d’en haut, mais se construisent, pour une part essentielle, d’en bas. Paradoxalement les luttes des sans-papiers, perçues par le gouvernement comme des perturbations de l’ordre public, des chantages au désespoir ou les produits d’une conspiration dont il faudrait rechercher les tireurs de ficelle du côté de "filières criminelles", ont été et sont des moments privilégiés de développement de la citoyenneté active (ou si l’on veut de la participation directe aux affaires publiques) sans laquelle précisément il n’y a pas de cité, mais seulement une forme étatique coupée de la société et empêtrée dans sa propre abstraction.
Reprenant à leur façon l’exigence d’une "manifestation de volonté" dont il avait été tant question au moment du débat sur la réforme du Code de la nationalité, pour la déplacer sur un terrain plus immédiat et plus concret, les sans-papiers, dont beaucoup avaient été au cours des mois et des années précédents illégalisés par l’effet des lois Pasqua et Debré, ont manifesté leur volonté de sortir de la clandestinité forcée, et d’obtenir un statut conforme à la fonction qu’ils remplissent dans la société française, souvent de longue date. Ayant étudié avec soin la liste des critères d’admission énoncés par le gouvernement, et présumé sa bonne foi, ayant pris conseil d’associations qui travaillent sur le terrain et qui font elles-mêmes l’objet d’une reconnaissance officielle (dans le cadre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme), ils ont rempli les questionnaires de l’administration et ont remis leur sécurité personnelle ainsi que leur avenir entre ses mains. Il n’est pas abusif de soutenir qu’ils ont ainsi anticipé une rationalité de l’Etat que, dans le même temps, ils contribuaient à rendre possible, en l’informant concrètement et en faisant la différence entre l’autorité et l’arbitraire.
Mais les sans-papiers ont aussi apporté leur contribution au développement de la citoyenneté active en suscitant, par les formes et le contenu de leur action, une solidarité militante qui a fait preuve d’une remarquable continuité sur le long terme, par delà des alternances bien compréhensibles de mobilisation et de découragement. Pour l’essentiel cette solidarité a été exempte de naïveté utopique comme de calculs politiciens. Elle a respecté l’autonomie des travailleurs et des familles en lutte tout en mettant à leur service les capacités d’analyse et de négociation de militants expérimentés ou qui ont fait là leurs premières armes. Elle a rassemblé des quantités significatives de manifestants désireux à la fois de marquer leur appartenance à la gauche et de juger les gouvernants sur leurs actes. Elle a surmonté les sectarismes d’organisation et fait progresser la réflexion d’une partie au moins de la gauche "officielle". [29] Enfin, au moment où le projet de loi Debré franchissait la ligne rouge de l’atteinte aux droits fondamentaux en essayant d’instituer des formes de délation individuelle qui rappellent de sombres périodes d’effondrement des libertés publiques, la lutte des sans-papiers a conduit une partie des intellectuels et de l’opinion à réactiver l’idée de désobéissance civique, en nous rappelant que celle-ci - avec tous les risques qu’elle comporte - forme une composante essentielle de la citoyenneté, et contribue à la refonder dans les moments de crise, ou quand ses principes sont remis en question.
Pour finir, signalons un aspect dont l’importance ne doit pas échapper dans cette période de vacillation des formes anciennes de la souveraineté nationale (qui n’est pas, tant s’en faut, la disparition des Etats-nations) : la lutte des sans-papiers et de leurs défenseurs a fait progresser, si peu que ce soit, la question de la démocratisation des frontières et de la liberté de circulation des personnes que les Etats ont tendance a traiter comme objets passifs d’un pouvoir discrétionnaire. On l’a bien vu quand les utilisations de vols charters pour pratiquer des expulsions ont dû être suspendues en raison des réactions qu’elles provoquaient parmi les passagers et dans l’opinion publique des pays de destination, ou des manifestations auxquelles elles donnaient lieu. La démocratisation des frontières, institutions essentielles à l’existence des Etats mais profondément anti-démocratiques elles-mêmes, ne peut provenir que du développement de la réciprocité dans l’organisation de leur franchissement et de leur protection. Elle est devenue aujourd’hui un critère déterminant de la distinction entre la police et la politique, à mesure que les mouvements de circulation de capitaux, de biens, de personnes, d’informations se généralisent, tout en faisant l’objet de contrôles profondément inégalitaires, de la part des appareils de domination publics et privés les plus puissants. [30]
Deux conceptions de la citoyenneté s’opposent en fait. L’une est à la fois autoritaire et abstraite. Elle peut se réclamer d’objectifs de transformation sociale et d’égalité, mais elle s’en tient toujours en dernière analyse à l’axiome étatique "La loi c’est la loi", qui présume l’omni-science des administrations et l’illégitimité du conflit. L’autre tente d’articuler concrètement droits de l’homme et droits du citoyen, responsabilité et engagement militant. Elle sait que les avancées historiques de la citoyenneté, qui n’ont cessé d’en préciser le concept, ont toujours passé par des luttes, qu’il a fallu dans le passé non seulement "faire la part des sans-part" (J. Rancière), mais forcer véritablement les portes de la cité, et ainsi la redéfinir dans une dialectique de conflits et de solidarités. Ce qui fut le cas pour la plèbe antique et médiévale, pour le Tiers-état, pour les ouvriers, pour les femmes, et qui n’est pas achevé, l’est tout autant aujourd’hui pour les étrangers - plus exactement, pour ces "étrangers" très singuliers qui, tout en étant "d’ailleurs", sont aussi complètement "d’ici". Les prolétaires modernes, les immigrés.
Dans son ouvrage de référence, La communauté des citoyens, Dominique Schnapper a écrit : "On dénonce aujourd’hui volontiers la fermeture de la nation, définie comme un système d’exclusion des non-nationaux. C’est mettre l’accent sur l’une des dimensions et négliger le rapport d’inclusion/exclusion qui caractérise toute organisation politique. Il est clair qu’en incluant et en intégrant les uns, la nation exclut, par là-même, les autres (...) l’identité collective des nationaux se définit par l’altérité des étrangers. C’est le propre de tout groupe et même, plus généralement, de toute identité qui s’affirme en s’opposant aux autres (...) Le discriminant n’est toutefois pas nécessairement discriminatoire, c’est-à-dire fondé sur une motivation jugée illégitime." [31]
Mais lorsque, par une nécessité structurelle, les critères de distinction et de tri deviennent violemment discriminatoires, lorsque l’exclusion des "autres" n’est plus simplement le corrélat logique de l’inclusion des "uns", mais ce qui menace de la rendre impossible ou illusoire, et que l’identité politique ne peut se concevoir ou se réassurer qu’en se transformant en communautarisme national à l’exemple de ce qu’elle prétend combattre, c’est qu’il faut changer de méthode. Il faut remettre en mouvement l’idée de la "communauté des citoyens", de façon qu’elle résulte de la contribution de tous ceux qui sont présents et actifs dans l’espace social.
Français, encore un effort si vous voulez être républicains !
Etienne BALIBAR
NOTES
[1] Voir ses deux ouvrages : La mésentente. Politique et philosophie, Galilée, 1995 ; Aux bords du politique, nouv. édition, La Fabrique-Editions, 1998.
[2] Voir les présentations de J. Leca, "Questions sur la citoyenneté", Projet, n( 171-172, janvier-février 1983 ; de J. Costa-Lascoux, De l’immigré au citoyen, La Documentation française, Notes et études documentaires, 1989 ; de D. Schnapper, La France de l’intégration. Sociologie de la nation en 1990, Gallimard 1991 ; de E. Balibar, Les frontières de la démocratie, La Découverte, 1992.
[3] Il s’agit des formulations respectivement proposées par les Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1795, 1793 et 1789 pour désigner l’instance porteuse de la "volonté générale" démocratique.
[4] On trouvera dans le livre de Roger Establet, Comment peut-on être Français. 90 ouvriers turcs racontent, Fayard 1997, une remarquable enquête sur la façon dont une "communauté" généralement taxée d’isolationnisme perçoit les chances et les risques de son intégration à la société française, et notamment la dimension égalitaire et civilisatrice des droits sociaux.
[5] A. O. Hirschmann, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, tr. fr. Fayard 1991, étudie les grands modèles toujours repris depuis la Révolution française servant à disqualifier les projets démocratiques en pronostiquant leur échec ou le danger qu’ils représenteraient pour les libertés civiques.
[6] L’expression a été employée, dans un sens voisin, par Michel Wieviorka : cf. sa contribution au volume Immigration et racisme en Europe, sous la direction de Andrea Rea, Editions Complexe, Bruxelles 1998, p. 43. On trouvera une radiographie du langage national-républicain dans l’ouvrage de P. Tévanian et S. Tissot, Mots à maux. Dictionnaire de la lepénisation des esprits, Editions Dagorno 1998.
[7] sur le "durcissement des attitudes" dans les affaires semblables qui périodiquement sont attisées par des militants extrémistes de la laïcité, cf. M. Rebérioux, "A propos du foulard : lettre aux enseignants", in Hommes et libertés, Revue de la Ligue des Droits de l’Homme, n( 103, fév.-mars 1999.
[8] Elle fait souvent l’objet de recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme : cf. A. Rea, "Le racisme européen ou la fabrication du "sous-blanc"", in Immigration et racisme en Europe, ouvr. cit., p. 183.
[9] On lira dans la revue Lignes, n( 35, octobre 1998, la façon dont Sami Naïr justifie la double peine en tant qu’équivalent d’une "suppression des droits civiques" qui frapperait un citoyen français ("Elle ne viole pas le principe républicain d’égalité mais au contraire l’établit en tenant compte du fait que les étrangers et les Français ne disposent pas des mêmes droits politiques") (p. 162).
[10] Rien n’a fondamentalement changé dans ce domaine depuis que le même S. Naïr écrivait : "L’affaire des "sans-papiers" ... montre combien la violation de la légalité par la police dans ce domaine est pratique courante" (Contre les lois Pasqua, rééd. Arléa 1997, p. 113). Voir également Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), Zones d’attentes des ports, des aéroports et des gares ferroviaires, Visite des associations habilitées, Paris, décembre 1998.
[11] E. Balibar, Droit de cité. Culture et politique en démocratie, Editions de l’Aube, 1998, p. 109 sq. Il est frappant que le Front National, à quelques bavures près (skinheads, etc.), concentre ses efforts sur le développement d’une violence institutionnelle exercée par les agents de l’autorité, ce qui lui permet d’affirmer à l’occasion, non sans fondement, que son influence a grandi.
[12] Rappelons que cette notion, théorisée par le Club de l’Horloge (La préférence nationale. Réponse à l’immigration, Albin Michel 1985), est la clé de voûte des propositions de "solution finale du problème de l’immigration" dont le Front National réclame la mise en oeuvre. Mais elle n’est pas restée sans influence dans l’idéologie et la pratique d’autres forces politiques, en particulier au niveau municipal.
[13] Sur tous ces points, cf. les travaux fondamentaux de Gérard Noiriel, notamment Le Creuset français, Editions du Seuil 1988, ainsi que Rogers Brubaker, Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne, tr. fr., Editions Belin 1997.
[14] Pierre Legendre parlait de "projection coloniale" à propos de la constitution des corps administratifs dans l’Empire français (Histoire de l’administration, PUF, 1968). Voir aussi dans le grand livre de Paul Rabinow, French Modern : Norms and Forms of the Social Environment, 2e éd. Univ. of Chicago Press, 1995, la description du "laboratoire de gestion" constitué par le Maroc sous protectorat français avant la 2ème Guerre Mondiale.
[15] cf. Claude-Valentin Marie, "L’Europe : de l’empire aux colonies intérieures", in P.A. Taguieff et al., Face au racisme, vol. 2, La Découverte, 1991, p. 296 sq.
[16] Cf. Gérard Noiriel, Population, immigration et identité nationale en France, XIXe-XXe siècle, Hachette 1992, chap. 2.
[17] Cf. Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Fayard 1995.
[18] On comparera avec intérêt sur ce point les analyses de Suzanne de Brunhoff dans L’heure du marché, PUF 1985, et d’Immanuel Wallerstein dans L’après libéralisme. Essai sur un système-monde à réinventer, tr.fr. Editions de l’Aube 1999.
[19] "La construction des peuples : racisme, nationalisme, ethnicité", in E. Balibar et I. Wallerstein, Race, Nation, Classe. Les identités ambiguës, nouv. édition, La Découverte, 1997.
[20] In Sans-papiers : l’archaïsme fatal, cit.
[21] selon l’expression proposée par Pierre-Noël Giraud, L’inégalité du monde. Economie du monde contemporain, Gallimard coll. "Folio-Actuel", 1996.
[22] cf. O. Le Cour Grandmaison, "Immigration, politique et citoyenneté : sur quelques arguments", in Les étrangers dans la cité. Expériences européennes, Préface de M. Rebérioux, La découverte / Ligue des droits de l’homme, 1993.
[23] l’expression, prise en ce sens (community of fate), est du politologue néerlandais H.R. van Gunsteren : A Theory of Citizenship. Organizing Plurality in Contemporary Democracies, Westview Press, 1998.
[24] C. Wihtol de Wenden, La citoyenneté européenne, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1997, p. 99.
[25] cf. A. Rea et al., Immigration et racisme en Europe, ouvr. cit., p. 194-195.
[26] Cf. M. Chemillier-Gendreau, L’injustifiable. Les politiques françaises de l’immigration, Bayard Editions, 1998, p. 150 sq.
[27] Rapports de Patrick Weil sur le droit de la nationalité et sur l’immigration remis au Premier Ministre le 31 juillet 1997.
[28] Doublement malheureuse : d’une part parce que son auteur la sait inapplicable, d’autre part parce qu’une fois de plus elle recoupe la terminologie dont l’extrême-droite se sert depuis des années ("Les étrangers qui ne pourront pas ou ne voudront pas être naturalisés français, au sens étymologique du terme, ont vocation à repartir un jour ou l’autre, à l’exception des ressortissants des pays de la Communauté européenne", La Préférence nationale : réponse à l’immigration, ouvr. cit. p.66).
[29] On pense ici non seulement au soutien de certains syndicalistes et responsables municipaux, dont les maires communistes "rénovateurs" de plusieurs grandes villes de banlieue, mais à l’évolution très frappante de la Commission Immigration du PCF dirigée par Serge Guichard et à l’initiative du collectif d’élus socialistes pour la régularisation (cf. l’article de Serge Blisko, député de Paris, dans Libération du 22 mars 1999 : "Sans-papiers : Jospin, encore un effort").
[30] cf. M.-C. Caloz-Tschopp et al., Asile, Violence, Exclusion en Europe, Groupe de Genève "Violence et droit d’Asile en Europe" et Cahiers de la section des sciences de l’éducation de l’Université de Genève, 1994.
[31] D. Schnapper, La communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de nation, Gallimard, 1994, p. 106.