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Sébastien Schehr

Traîtres et trahisons de l’Antiquité à nos jours

présentation de l'éditeur

Sébastien SCHEHR, Traîtres et trahisons de l’Antiquité à nos jours , Berg International, nov. 2008, 240 p.

En librairies le : 15 novembre 2008 - Éditeur : Berg International - Reliure : Broché - Description : 240 pages au format 15 x 24 cm- ISBN : 978-2-917191-16-3 Prix : 19 €

Mots clefs

A lire ci-dessous, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur, un chapitre complet Défection et formes de soustraction dans l’agir contemporain

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PRESENTATION

Sébastien Schehr est maître de conférences en sociologie (HDR) à l’Université de Nancy (sebastien.schehr@univ-nancy2.fr) et membre du Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe de l ?Université Marc Bloch de Strasbourg (Unité Mixte de Recherche 7043 du CNRS). PRESENTATION DE L’AUTEUR

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La trahison est un phénomène omniprésent dans l’histoire, l’imaginaire et l’expérience sociale. Que l’on pense simplement aux figures qui l’incarnent - de la "balance" au déserteur, du "collabo" à la "girouette" - ou à des personnages dont le nom est à jamais associé dans notre mémoire collective à une trahison réelle ou supposée (Judas, Dreyfus, Philby…).

On rappellera par ailleurs cette évidence : il nous est à tous arrivé un jour d’être trahis ou de trahir à notre tour, de révéler un secret, d’être infidèles, d’être pris dans des loyautés conflictuelles ou de faire défection. Plus banale et commune qu’on ne le croit généralement, cette expérience n’en est pas moins spectaculaire et bouleversante : la trahison frappe de stupeur et met en crise aussi bien l’individu que l’ensemble social qui en est la victime.

Si la trahison hante nos relations avec les autres, même en tant que possibilité ou fantasme, si elle provoque effroi et désir de vengeance, c’est qu’elle constitue l’une des formes majeures de rupture affectant le lien entre les personnes : la trahison - montre l’auteur - est une violation des rapports de confiance et de loyauté.

Cet ouvrage propose un éclairage singulier sur les rapports entre les individus et les ensembles dont ils sont membres à travers une analyse à la fois historique et sociologique de la trahison et de ses différentes manifestations.

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SOMMAIRE

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INTRODUCTION
Les raisons d’une absence
La trahison comme révélateur
Sur la piste de la trahison

LA TRAHISON COMME ACTION
ET COMME REPRÉSENTATION DANS L’HISTOIRE

La trahison dans l’Antiquité
La trahison dans l’Ancien Testament et les Évangiles
Félonie et trahison au Moyen Âge
La trahison chez Machiavel et dans le théâtre de Shakespeare
La trahison du XVIIIe siècle à nos jours

LES FORMES DE LA TRAHISON
Typologie et tentative de définition
Mensonge et trahison
Entre structure et indexicalité

L’EXPÉRIENCE DE LA TRAHISON
La trahison du point de vue du trahi
Prévenir la trahison ?
La trahison du point de vue du traître et du tiers bénéficiaire

LA TRAHISON COMME CRÉATION ET DEVENIR
La trahison, acte instituant
Le traître, individu absolu ?

LES MÉTAMORPHOSES
DE LA CONFIANCE ET DE LA LOYAUTÉ

Loyauté, engagement et fidélité
Confiance, incertitude et dilemme du prisonnier
Confiance et loyauté dans les sociétés différenciées

DÉFECTION ET FORMES DE SOUSTRACTION DANS L’AGIR CONTEMPORAIN
Défection, loyauté et trahison selon Hirschman
Faire défection : éléments individuels et sociaux contribuant à l’exit
La défection comme mode d’être et d’agir ?

LA FIN DE LA TRAHISON ?

BIBLIOGRAPHIE

DÉFECTION ET FORMES DE SOUSTRACTION DANS L’AGIR CONTEMPORAIN

© 2008 Éditions Berg International Editeurs - Paris

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Défection, loyauté et trahison selon Hirschman [1]

Hirschman part de l’idée qu’il existe – face aux défaillances, aux dysfonctionnements, aux frustrations et au mécontentement générés par toute organisation – trois modes individuels de réaction : l’exit (la défection), la prise de parole et la loyauté [2]. L’analyse de la défection part donc du présupposé que le relâchement et l’entropie sont des phénomènes consubstantiels à la vie économique et sociale [3]. La défection, comme la prise de parole, sont ainsi perçues comme des réponses à l’entropie : ce sont des modes d’action qui permettent de « lutter contre un désordre grandissant » [4]. Si Hirschman souligne dans ses premiers travaux que la défection est un comportement que l’on rencontre fréquemment dans la sphère économique – c’est d’ailleurs l’observation d’un fait social non conforme à la théorie économique qui donnera à l’auteur l’idée de défection – il fait néanmoins observer que cette forme d’action est également courante dans d’autres ensembles sociaux. Son travail entend donc avoir une portée générale, non circonscrite à un type d’organisation [5]. Ainsi, par exemple, la voie de la défection consistera pour le consommateur à cesser d’acheter le bien ou le service produit par l’entreprise ; et pour le membre d’une organisation syndicale ou politique à cesser de lui appartenir, c’est-à-dire à rompre le lien qui les unit et à mettre un terme à sa loyauté [6]. La défection est donc une soustraction puisque l’individu sort volontairement du système d’interaction et cesse ainsi de coopérer, mais aussi d’exercer et de subir pouvoir et autorité [7].

Une des premières questions à laquelle s’attelle Hirschman à propos de la défection est celle de l’ordre des réactions. L’individu mécontent va-t-il tout d’abord envisager de partir ou d’exprimer son insatisfaction et prendre ainsi le risque d’entrer en conflit ? L’auteur fait remarquer que « quiconque ne fait pas défection est susceptible de prendre la parole », laissant ainsi entendre que la prise de parole est toujours conditionnée par cette éventualité. Quand la défection est impossible, la prise de parole est alors un recours non seulement probable mais fortement privilégié, ce qu’il confirme plus loin en soulignant la corrélation qui existe entre ces deux réactions : « Le rôle de la prise de parole augmente en proportion inverse des possibilités de faire défection jusqu’au point où, la défection étant devenue totalement impossible, la parole doit assumer seule la tâche de signaler leurs défaillances aux instances dirigeantes. » [8] Ceci nous laisse donc entendre que c’est bien la défection qui apparaît comme étant l’action envisagée prioritairement, la prise de parole étant subordonnée à celle-ci : « Ce n’est que lorsqu’ils ont décidé de ne pas faire défection que l’idée d’exprimer leur mécontentement leur vient à l’esprit. » [9]

De ce point de vue, la prise de parole fait figure de « résidu » et il est alors nécessaire de saisir – pour chaque situation donnée – quelles sont les possibilités concrètes pour un individu de faire défection. Les exemples sur lesquels s’appuie Hirschman, et qui sont pour la plupart tirés de l’économie, mettent ainsi en exergue le rôle de la concurrence et de la rivalité entre firmes et organisations dans la multiplication des offres alternatives qui sont autant d’opportunités réelles de sortie et de fuite. Faire défection est en effet toujours conditionné par l’existence d’un « ailleurs » auquel se rapporter, ce qui implique que la prise de parole est généralement plus efficace lorsqu’il n’y a pas possibilité de faire soustraction [10]. La vision du monde que propose Hirschman repose sur l’idée que le monde social est avant tout – hormis quelques cas (situations de monopole au niveau des firmes, institutions sociales comme la famille) – à l’image d’un marché économique, c’est-à-dire pluraliste et concurrentiel. Il existe ainsi, pour chaque classe de « biens » considérée, plusieurs alternatives possibles en termes d’achats ou d’affiliations (qu’il s’agisse de biens de consommation ou de partis politiques). La prise de parole comme la défection sont donc fortement conditionnées par l’existence de ces alternatives.

Pourquoi la défection serait-elle privilégiée par rapport à la prise de parole ? Hirschman fait observer que la décision de faire défection « est fréquemment subordonnée à un jugement porté sur la possibilité d’utiliser efficacement la prise de parole » [11]. Autrement dit, pour faire défection, il ne faut pas seulement que se présentent des possibilités concrètes de sortie, il faut encore juger a priori peu rentable la prise de parole. La décision de faire défection est donc elle-même subordonnée à une évaluation des chances de réussite de la prise de parole. Encore faut-il avoir la possibilité et la volonté de faire entendre sa voix. En vertu de cette évaluation, la décision de faire défection peut être repoussée temporairement au profit d’une tentative de prise de parole. La prise de parole est donc dans cette perspective un essai puisqu’on se garde « au cas où » la possibilité de se soustraire au système d’interaction. Deux possibilités valent mieux qu’une, semble nous dire l’acteur hirschmanien : « Faire défection, c’est perdre la possibilité de prendre la parole, mais l’inverse n’est pas vrai ; aussi la défection sera-t-elle dans certains cas la solution adoptée en dernier recours, lorsque l’échec de la prise de parole est devenu certain. » [12]

La priorité donnée à la défection peut également se comprendre en raison de son efficacité intrinsèque. En effet, Hirschman fait remarquer que la défection « crée un choc chez ceux qui restent, car ils n’ont plus la possibilité de répondre à ceux qui les ont quittés » [13], soulignant ainsi l’effet rétroactif, le feed-back émotionnel subi par le groupe. La défection revient alors à poser « un argument sans réplique » : la rupture des liens laisse le groupe démuni, orphelin d’un contradicteur possible. La défection provoquera donc – en raison même de ce traumatisme disruptif – une prise de conscience qui peut s’avérer salutaire pour la survie de l’organisation. Pour autant, cette « prise de conscience » risque d’avoir des effets limités au-delà du choc initial. La défection – contrairement à la prise de parole – est en effet pauvre en termes d’informations (les raisons du mécontentement ne sont pas discutées collectivement et ouvertement), notamment lorsqu’elle s’effectue, comme c’est le cas la plupart du temps, « sans tambours ni trompettes ». On comprend dès lors mieux ce jugement d’Hirschman : la défection est bien « un moyen puissant mais indirect et assez grossier » de faire savoir que les choses ne vont pas [14]. Dans ses écrits ultérieurs, l’auteur ne changera pas d’avis sur ce point. La défection est « l’expression minimaliste d’une dissension : on agit sans concertation aucune et l’on part en catimini, ‘‘à la faveur de la nuit’’ » [15]. Si la prise de parole produit du conflit et de la confrontation, et relève donc bien d’un pari sur l’avenir (avec et dans l’organisation), la défection au contraire s’inscrit dans le court terme, l’énergie du mécontent étant reportée sur d’autres horizons, d’autres objets d’investissement (le pari porte ici sur l’ailleurs).

Autre point essentiel qu’aborde Hirschman : la question du coût de la défection. L’auteur commence par faire observer que dans le cas des organisations commerciales, la voie de la défection est en général moins onéreuse que celle de la prise de parole. En effet, la facilité avec laquelle le consommateur pourra se procurer un bien de substitution, équivalent en qualité, a pour conséquence que le prix à payer pour la prise de parole dépassera presque toujours celui de la défection, voire même celui des avantages qu’on pourra éventuellement en retirer [16]. La prise de parole expose par ailleurs le mécontent au risque de représailles de la part de l’organisation. De plus, si la défection relève surtout « d’un choix simple entre deux options bien distinctes » [17], la prise de parole nécessite au contraire des compétences particulières et notamment une certaine faculté d’invention (un sens tactique). Pour Hirschman, la prise de parole est un art qui nécessite un apprentissage afin d’être opératoire et efficace ; on pourrait parler d’une sorte de culture du conflit. Ainsi, si nous choisissons si souvent la défection de préférence à la prise de parole, c’est aussi parce que nous basons généralement nos décisions sur une évaluation rétrospective des formes classiques de prise de parole, tout en sous-estimant nos capacités d’invention qui permettraient peut-être de les transformer et d’en abaisser ainsi considérablement le coût [18].

Si la défection apparaît comme la réaction dominante au sein des firmes, il en va tout autrement dans le cadre des organisations vis-à-vis desquelles nous ne sommes pas clients mais bien membres à part entière. Au sein de ces ensembles sociaux, « la défection est en général impensable, même si elle n’est pas tout à fait impossible » [19]. Pourquoi est-elle, selon le terme d’Hirschman, « impensable » ? Parce qu’au sein de ce type de cercles sociaux, la loyauté et la confiance conditionnent le fonctionnement même de l’ensemble ainsi que les échanges sociaux entre membres. Faire défection est alors considéré comme une violation de la confiance et de la loyauté, c’est-à-dire comme une trahison : il y a bien transgression des normes et des conventions partagées par les membres du groupe qui font alors porter l’opprobre sur le dissident. Bien qu’Hirschman ne s’aventure pas à développer outre mesure la notion de loyauté, ni à étudier son rôle dans la vie sociale, il en retient l’idée que celle-ci a pour conséquence d’augmenter considérablement le coût de la défection : « Le loyalisme modifie du tout au tout le sens de la défection : le même acte dont on approuvait le caractère rationnel dans le cas du consommateur prompt à abandonner un produit pour faire ailleurs une meilleure affaire devient brusquement une honteuse désertion, une trahison condamnable. » [20]

Hirschman introduit donc la notion de loyauté afin de mieux comprendre l’arbitrage défection/prise de parole, notamment au sein des organisations dont la finalité n’est pas instrumentale. Il fait remarquer que « le loyalisme freine la tendance à la défection » [21] et « favorise la prise de parole » [22]. Ainsi, les personnes particulièrement attachées à un produit ou à une organisation vont non seulement avoir tendance à minorer ou à « faire avec » d’éventuelles déceptions (et donc garder confiance vis-à-vis de l’organisation, de ceux qui la composent, des orientations choisies) mais vont également souvent tenter d’influencer le cours des choses et donc prendre la parole au nom de cet attachement : « Le loyalisme implique chez celui qui le professe la conviction qu’il a un rôle à jouer et l’espoir que, tout bien pesé, le bien prévaudra sur le mal. » [23] Comme le précise Hirschman, le loyalisme est de ce point de vue « socialement fonctionnel » car il neutralise la tendance à faire défection. Paradoxalement, la loyauté renforce aussi l’aspect opératoire de la défection, puisque pour que celle-ci porte ses fruits et joue son rôle « d’alerte » et de signe tangible de mécontentement il faut qu’elle ne soit ni trop faible (car on ne la perçoit pas) ni trop forte (puisqu’une désertion totale signifierait la mort de l’organisation). Autrement dit, pour qu’une organisation soit pérenne, il y faut une certaine dose de loyalisme, car « Le loyalisme à l’égard d’une firme ou d’une organisation donne à celle-ci une chance de rétablir sa situation compromise. » [24]

À partir d’une remarque de bon sens – mais essentielle – sur le fait que la loyauté n’aurait aucun sens sans la défection et inversement, qu’elle fait donc bien figure d’action réciproque (« Le loyalisme ne fait que freiner la défection dont son existence implique la possibilité. »), Hirschman fait observer que la loyauté suppose la pluralité potentielle des appartenances et un « jeu » entre celles-ci (ce qu’avait du reste perçu Simmel dans ses travaux sur l’entrecroisement des cercles sociaux). Dès lors que l’individu a la possibilité de s’appuyer sur des affiliations alternatives (par exemple s’il peut s’affilier à plusieurs clubs de sport proposant la même activité), la « menace de défection » va s’avérer un moyen particulièrement efficace de renforcer son influence sur l’organisation et de faire entendre sa voix. Cette « menace de défection », nous précise Hirschman, serait ainsi une attitude caractéristique du loyaliste, sa marque en quelque sorte. Le loyaliste est « L’homme qui se sent une responsabilité et qui cherche à épuiser tous les autres moyens avant de se résigner à la pénible décision de se retirer ou de passer à une autre organisation. » [25] Nous voyons donc que le loyalisme se construit sur fond de tension vers l’extérieur.

La relation entre défection et prise de parole se complexifie dès que l’on prend en compte cette dimension. En effet, si dans l’absolu la prise de parole est d’autant plus probable que la défection est impossible, nous voyons en fait que, d’une part, la défection ne remplit correctement son rôle d’alerte que parce qu’il existe un certain nombre de personnes loyales et que, d’autre part, la possibilité d’une défection des membres loyaux peut améliorer considérablement l’efficacité de la prise de parole [26]. Dans certaines circonstances, prise de parole et défection peuvent d’ailleurs se renforcer mutuellement. Ainsi, les événements de 1989 en ex-RDA virent la défection, activité privée, se transformer en défection publique et collective, ce qui eut pour conséquence de multiplier les prises de parole : « Sitôt que les hommes et les femmes ont conquis le droit d’aller où bon leur semble, ils peuvent bien commencer à se conduire généralement en adultes et, partant, ne plus hésiter à élever la voix. On a donc ici une raison très générale de penser que l’accroissement des possibilités de faire défection peut, à l’occasion, se solder par davantage de participation et de prise de parole, et non pas moins. » [27]

Qui plus est, certaines formes de défection sont de fait des prises de parole. Nous pensons par exemple à des formes spectaculaires, soigneusement orchestrées et mises en scène de sorties (scission dans un parti politique ou annonce par conférence de presse d’une démission). Mais Hirschman nous indique également une autre possibilité : celle de la personne qui, loin d’être indifférente au sort de l’organisation qu’elle vient de délaisser, organise la prise de parole de l’extérieur, après avoir fait défection [28]. Le cas des transfuges et de certaines formes de dissidence politique est sur ce point révélateur ; c’est « ailleurs » que l’on prend la parole mais celle-ci est en grande partie destinée à ceux qui sont restés, à ceux qui n’ont pas fait défection. Ici, comme le dit Hirschman, la « défection totale est impossible » et nous pouvons dire que, paradoxalement, celui qui fait défection reste fidèle à l’organisation qu’il vient de quitter. La défection se transforme alors en une forme de prise de parole, point sur lequel se rejoignent tous les travaux portant sur la dissidence [29].

Cette impossibilité d’une défection totale, Hirschman l’entend également d’une autre manière. Prenant l’exemple du militantisme, il souligne que nous pouvons démissionner d’une organisation politique mais pas cesser d’appartenir à la société dans laquelle agit cette organisation. Ainsi, en termes économiques, nous serions donc souvent en situation d’être à la fois « producteur » (ici militant) et « consommateur » (ici citoyen). Or, si nous pouvons cesser d’être « producteur », nous ne pouvons pas pour autant cesser d’être consommateur (citoyen). « Nul ne peut cesser de consommer le ‘‘produit’’ incriminé ou du moins échapper aux effets sociaux qu’il engendre. » [30]

Si la défection et/ou la prise de parole apparaissent comme autant de moyens de manifester son mécontentement, et ainsi paradoxalement de renforcer la réflexivité de l’organisation et sa connaissance d’elle-même, il n’en reste pas moins que celle-ci doit se prémunir contre tout risque d’exode excessif qui signifierait sa fin prochaine. Afin de rendre toute sortie plus difficile, les organisations établiraient donc en amont des « droits d’entrée » élevés et en aval des pénalités importantes. Comme le fait remarquer Hirschman, « Les membres des organisations dont l’accès est coûteux ou qui exigent une sévère période d’initiation seront lents à en percevoir les faiblesses et à agir pour y porter remède. » [31], même si cette lenteur n’implique pas pour autant que l’action revendicatrice sera moins intense ou que la défection sera ainsi définitivement écartée. Pour repousser le spectre de la défection, certaines organisations tenteront donc de la pénaliser, notamment en augmentant son coût au maximum. Les firmes essayeront par exemple de faire du client un client captif, le « liant » par un engagement à moyen ou long terme (pensons aujourd’hui au développement, analysé par Rifkin, des abonnements exclusifs ou de certaines formes de forfaits dans l’accès à certains biens ou ressources [32]), les organisations faisant payer la défection par la diffamation, la privation des droits, l’opprobre, l’excommunication voire la mise à mort [33]. L’intériorisation de la pénalité, la conscience que toute défection est une violation de la confiance et de la loyauté se traduisent par un sentiment de culpabilité qu’éprouve alors celui ou celle qui tente (ou a tenté) de se soustraire. Nous retrouvons ici ce qui fait la spécificité de la défection dans les organisations dont la finalité n’est pas instrumentale (famille, nation, tribu, sociabilités). Hirschman fait d’ailleurs de la viabilité de cette forme d’organisation la preuve de l’efficacité de la « répression » de tout type d’exit.

Si l’analyse que propose Hirschman de la défection s’inscrit bien dans le cadre d’un paradigme de type utilitariste où l’individu mécontent évalue rationnellement les avantages et les inconvénients des conduites possibles à tenir, choisissant au final celle dont le ratio coûts/gains est le plus favorable [34], l’auteur n’en reste pas moins conscient que la défection fait parfois figure de trait culturel et s’impose alors comme norme d’action. La défection relèverait ainsi d’un autre type de rationalité. En témoigne l’avant dernier chapitre de son ouvrage où la défection est appréhendée comme une tradition de la vie sociale américaine en raison de la place privilégiée qu’elle y occupe [35]. Revisitant l’histoire, l’auteur fait observer que la défection s’y appuie sur un imaginaire de la réussite de type évolutionniste où « L’homme qui, partant du bas de l’échelle sociale, réussit à s’élever doit nécessairement abandonner son groupe d’origine derrière lui. » [36] La réussite, dans ce contexte, est perçue en quelque sorte comme une suite de défections successives (l’on délaisse son quartier d’origine, sa région, sa famille, son groupe en rompant toutes relations sociales), au point que la défection se voit consacrée et légitimée comme le symbole même de l’ascension sociale. Nous pouvons alors comprendre pourquoi elle y est connotée positivement et qu’elle apparaît de ce fait comme une solution « familière ».

Faire défection : éléments individuels et sociaux contribuant à l’exit

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Si l’analyse d’Hirschman a fait l’objet de quelques critiques, il faut cependant noter qu’elles sont restées assez rares au regard du succès des ouvrages de l’auteur, nous laissant ainsi penser que sa conception de la défection est à la fois extrêmement féconde et ne souffre que de défauts mineurs. En témoigne l’utilisation récurrente de la notion de défection dans l’appréhension du désengagement politique ou religieux où l’approche hirschmanienne est parfois reprise telle quelle. Pour autant, de plus en plus de recherches tentent désormais d’appréhender ces phénomènes en s’affranchissant du triptyque cher à l’auteur. Elles mettent notamment en avant le fait que le recours à la défection peut s’analyser et se comprendre en dehors de son rapport à la prise de parole. Autrement dit, ces approches montrent que la défection n’est pas toujours une conséquence de l’échec de la prise de parole ou de son impossibilité, bref, que ces deux actions ne sont pas obligatoirement en tension. Par ailleurs, ces recherches ont permis de mieux identifier les facteurs individuels, culturels et sociaux contribuant au désengagement ainsi que de mieux comprendre leur influence respective, complétant et complexifiant de ce point de vue les éléments isolés initialement par Hirschman.

Parmi les objections adressées à Hirschman, certaines ont porté sur le fait que celui-ci a limité son cadre d’analyse aux trois réponses possibles au mécontentement que sont la défection, la prise de parole et la loyauté – passant du coup sous silence d’autres types de réactions. D’autres ont au contraire plutôt visé le « poids » et l’importance accordée par l’auteur à chacune d’entre elles. Lehingue reproche à Hirschman, par exemple, d’avoir négligé l’analyse de la loyauté. Celle-ci n’est définie chez Hirschman qu’en « creux et de manière passablement péjorative », ce dernier assimilant celle-ci à un comportement d’abstention passive qui ne peut être que provisoire [37]. Pour lui, la loyauté est certes utile parce qu’elle freine la défection mais n’aurait vraiment de sens et de valeur qu’à condition de déboucher à terme sur l’action et la prise de parole. Ainsi, Hirschman aurait ignoré la possibilité que des membres mécontents d’une organisation lui restent loyaux par fidélité idéologique ou affective, ou encore pour conserver certaines gratifications matérielles ou symboliques [38], et ceci sans que leur loyalisme les conduise pour autant à prendre la parole. Sur ce point, la critique de Bajoit est encore plus explicite : Hirschman aurait négligé l’ensemble des comportements que l’on peut regrouper sous la catégorie d’apathie. Face au mécontentement montre Bajoit, un individu peut faire le choix de rester dans l’organisation plutôt que de partir (exit) ; s’il reste, de prendre la parole ou de se taire ; s’il se tait, de participer activement à l’organisation ou au contraire d’y participer passivement [39]. C’est ce dernier comportement que Bajoit qualifie d’apathique : « Ils [ces individus] ne sont ni assez convaincus par les finalités de l’action du groupe pour être loyaux, ni assez audacieux pour s’en aller, ni assez solidaires pour courir le risque de protester. Ils sont apathiques » [40].

Nous aurions donc deux formes de loyauté : l’une « active » négligée par Hirschman, l’autre minimale et « passive », n’apparaissant qu’en filigrane dans son travail comme prélude à la prise de parole. Quelques années après avoir proposé cette grille d’analyse à quatre composantes, Bajoit préférera cependant user du terme « pragmatisme » à la place de celui d’apathie. Celui-ci aurait l’avantage d’évoquer « à la fois l’idée de désengagement par rapport aux finalités de la coopération, et celle de la recherche d’un profit personnel, sans mettre en cause le contrôle social » propre à l’organisation [41]. Plutôt que de considérer ce « pragmatisme » comme une forme « faible » de loyauté, il serait donc plus juste de le concevoir comme une forme « faible » de défection. L’individu pragmatique se tient en retrait de l’organisation en cherchant des compensations à sa frustration à l’intérieur de celle-ci ; il se replie sur lui-même et sur les avantages qu’il peut tirer de la situation. L’approche hirschmanienne aurait donc négligé d’autres modalités du désengagement. La défection offensive par exemple – lorsqu’il s’agit d’éliminer son adversaire, de le forcer à partir – n’est jamais envisagée, les défections négociées – où l’individu quitte l’organisation en accord avec elle – non plus.

Les travaux de Klandermans nous livrent sur ce point d’autres éléments. Il montre en effet que la forme de la défection est étroitement dépendante du type de collectif concerné. La défection sera ainsi « active » – c’est-à-dire qu’elle se produira par étape et débouchera sur un exit – lorsque l’ensemble est de type « durable » (organisation syndicale ou parti politique par exemple), mais elle prendra plutôt la forme du retrait ou de la « négligence » lorsqu’il s’agit d’un engagement à « un coup » (mouvements sociaux ponctuels par exemple) [42]. Nous retrouvons ici une forme proche du comportement apathique ou pragmatique souligné par Bajoit. Sur cette base, plusieurs figures du désengagement peuvent être distinguées : les « mobiles » font défection vers un autre ensemble social, les « disparus » cessent tout engagement et abandonnent toute activité, tandis que les « persistants » restent loyaux à l’organisation. La figure du « disparu » mérite d’ailleurs une considération particulière, car elle nous rappelle que l’exit n’est pas toujours motivé par l’existence d’alternatives extérieures jugées plus attrayantes et qu’il ne débouche pas automatiquement sur une nouvelle affiliation. Abandon et désertion sont bien d’autres modalités du désengagement.

Cependant, c’est bien sur un autre point que de nombreuses approches actuelles du désengagement se distinguent nettement de l’analyse d’Hirschman. Si ce dernier a tendance à envisager la défection comme étant la résultante d’une évaluation rationnelle entre plusieurs options – l’individu tranchant au final pour la plus avantageuse – ces approches vont au contraire considérer le désengagement comme un processus long et parfois complexe, s’inscrivant dans des temporalités différentes et mettant en jeu la construction des identités individuelles et sociales. La question de l’adhésion aux rôles prescrits par l’organisation, notamment celle de la négociation des identités et de l’ajustement aux rôles y apparaissent centrales, tout comme celle de la reconnaissance sociale. Fuchs-Ebaugh [43] appréhende par exemple la défection comme une « sortie de rôle ». Le désengagement dépendrait ici à la fois de l’attachement au rôle, des bénéfices liés à celui-ci mais aussi de la possibilité d’investir d’autres rôles sociaux [44].

L’auteur propose ainsi une sorte de « carrière de sortant » type, celle-ci articulant quatre séquences que l’on peut détailler comme suit : la première phase est caractérisée par l’apparition des premiers doutes quant à l’organisation et à la place que l’individu y occupe. Ces doutes peuvent ainsi se produire lorsque l’individu a le sentiment que « l’organisation ne répond plus à la ‘‘bonne définition’’ par l’individu de ce qu’elle doit être ou faire » [45], c’est-à-dire lorsque émerge un trop fort décalage entre la représentation idéale de l’organisation et sa réalité. Un changement rapide dans l’organisation peut ainsi susciter des perceptions négatives à son égard. Ces doutes peuvent aussi résulter de la fatigue psychique et physique des individus (burn out) ou des frustrations liées aux attentes initiales. La verbalisation des doutes apparaît ensuite comme un moment clef. Si elle rencontre un écho favorable parmi les « autruis significatifs », la définition de la situation est alors validée socialement, conduisant l’individu à envisager la sortie de rôle. Dans le cas contraire, il sera amené à suspendre – au moins provisoirement – ses interrogations. La deuxième phase se caractérise ainsi par la recherche de rôles alternatifs mais aussi par une évaluation comparée de ceux-ci : l’individu – désormais fermement décidé à partir – examine le champ des possibles en envisageant les solutions les plus satisfaisantes. La troisième phase est celle du passage à l’acte : des événements déclencheurs – comme le sentiment que le temps est compté ou que les opportunités se réduisent – précipitent l’annonce de la défection et une sortie de rôle définitive. La dernière phase est donc celle de « l’après » : elle implique un travail d’ajustement identitaire, la réécriture de la biographie et l’entrée dans un nouveau rôle.

L’approche de Moreland et Levine se situe dans la même veine. Les deux auteurs proposent en effet un modèle de socialisation censé caractériser toute organisation, permettant de rendre compte de la carrière de ses membres depuis leur entrée dans le groupe jusqu’à leur désengagement. L’exit est ici considéré comme une conséquence normale des processus identitaires et des négociations de rôles qui s’y jouent [46]. Ainsi, après une phase de socialisation intense au terme de laquelle l’individu est considéré comme membre « à part entière » – ses objectifs coïncidant avec ceux du groupe – succède une phase de « maintenance » où le rôle doit être négocié. Cette phase peut déboucher sur des divergences (quant au rôle tenu, quant aux finalités poursuivies), une « re-socialisation » est alors nécessaire, où tant l’individu que le groupe tentent de trouver un terrain d’entente. Si l’individu s’accommode de sa nouvelle situation, il regagne alors son statut de membre « à part entière ». Dans le cas contraire, le plus fréquent selon les auteurs, l’individu se désengage peu à peu du système d’interaction – il devient aux yeux de l’ensemble un « membre marginal » – avant de partir définitivement. La marginalisation est donc dans cette perspective une condition préalable à la défection [47] qui ne saurait être une option envisagée directement. Cette conception rappelle d’ailleurs celle de Merton pour lequel rejet, marginalisation et volonté de faire défection s’alimentent réciproquement : « À mesure que ses relations au sein du groupe se détériorent, l’individu tend à se sentir moins lié par les normes du groupe. À mesure qu’il s’isole, il est pénalisé, ce qui le pousse à s’isoler davantage, et ainsi, par un mécanisme cumulatif, il se détache et s’oriente vers un hors-groupe dont il a tendance à exprimer les valeurs et à emprunter les comportements. Ainsi, plus il est rejeté par l’en-groupe, plus il cherche à être accueilli par le hors-groupe de référence. » [48]

Cette appréhension de l’exit souffre bien évidemment des mêmes défauts que celle de Fuchs-Ebaugh : la modélisation conduit à faire l’impasse sur la spécificité des contextes et des circonstances, mais aussi à homogénéiser les tempos qui conduisent à chaque étape. Négligeant également la question de la loyauté et plus généralement celle des normes ayant trait à la pratique du lien social dans l’ensemble considéré, ces deux approches ont cependant le mérite de montrer que l’on ne peut faire l’impasse sur la question identitaire et sur celle – chez Fuchs-Ebaugh du moins – de l’inscription des individus dans d’autres sphères sociales (ressources identitaires alternatives) pour comprendre la défection.

Soucieux de prendre en compte l’ensemble des dynamiques conduisant au désengagement, Klandermans insiste pour sa part sur le fait que la défection ne relève pas seulement d’une question d’insatisfaction ou de gratifications insuffisantes [49]. À partir d’enquêtes portant sur la mobilisation politique et syndicale, il montre que l’intention de faire défection dépend à la fois d’un manque de gratifications mais aussi d’un déclin de l’engagement. C’est seulement à cette condition « qu’un événement critique » peut faire « pencher la balance » et provoquer « le départ » [50]. Klandermans considère ainsi que la participation à un mouvement est gratifiante pour ceux qui le composent car ceux-ci agissent en tant que membres d’un groupe ou collectif, peuvent changer l’environnement social et enfin parce qu’ils peuvent y exprimer leurs vues et opinions [51]. Ces gratifications apparaissent donc insuffisantes dès lors que le mouvement ou le groupe ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs, que les individus ne s’identifient plus à l’ensemble considéré ou encore qu’ils ne peuvent plus y exprimer leurs sentiments. Par ailleurs, leur engagement dans un mouvement ou une organisation comporte à la fois une dimension affective (attachement à celui-ci ou à celle-ci) mais inclut aussi une dimension normative et des obligations (rituels participatifs, conventions ayant trait à la pratique du lien social).

Cet engagement doit bien évidemment être maintenu ; il dépend donc non seulement de l’effervescence et de la vitalité du groupe en question mais aussi de l’investissement initial fait par chacun (initiation longue par exemple) et des sanctions appliquées aux éventuels « sortants » (perception par l’acteur du « coût » de la défection). L’auteur montre que la défection résulte toujours d’une conjonction et d’une combinaison entre l’absence de rétributions satisfaisantes et le déclin d’une forme d’engagement. L’attachement affectif serait de ce point de vue l’élément le plus fragile, le plus susceptible d’être remis en cause [52]. Concrètement, on retiendra notamment que le manque de contacts dans l’organisation (engagement faible) combiné au fait de vivre ces relations comme négatives (tensions, mauvaise ambiance par exemple) conduisent au désengagement : « La déception vis-à-vis de l’organisation et le faible degré d’engagement préparent les individus à faire défection, mais c’est le manque de contacts ou leur mauvaise qualité qui déclenche effectivement le départ. » [53] Cependant la présence ou l’absence d’alternatives perçues comme « tentantes » joue aussi considérablement dans la décision de faire défection. Fillieule rappelle ainsi que plus les individus sont pris dans un système qui est le seul à distribuer les récompenses et les coûts, plus ils restent engagés [54]. La défection est donc aussi une question de dépendance à l’organisation. Nous retrouvons l’idée d’une combinaison entre niveau d’engagement, alternatives disponibles et qualité des rétributions : « Si l’on ne voit pas d’autres alternatives attractives, si l’on a lourdement investi dans une organisation, et si l’on est véritablement convaincu des valeurs et des objectifs défendus par le mouvement, on décidera sans doute que, toutes choses égales par ailleurs, mieux vaut continuer à supporter le fardeau et faire les sacrifices nécessaires plutôt que de partir. » [55]

La question des alternatives est également déterminante à un autre titre, car le niveau d’engagement dans une organisation dépend aussi des engagements concomitants ou synchrones dans d’autres ensembles sociaux. Klandermans relève que la thématique du conflit de rôles est un élément récurrent des entretiens réalisés avec d’ex-militants syndicaux. La difficulté à gérer de concert l’activité syndicale (activité chronophage), l’investissement dans le travail et la vie familiale est à l’origine de nombre de départs [56]. Cependant, l’auteur relève que ces conflits ne débouchent véritablement sur une sortie de l’organisation que s’ils produisent chez les individus un état de burn out, c’est-à-dire un état de stress associé à une perte de motivation. Cette situation peut d’ailleurs être renforcée par l’environnement social, notamment si les proches sont peu à l’écoute des difficultés rencontrées par l’individu concerné (soutien ou non) [57].

Nous touchons là à une autre question essentielle que l’on peut formuler en termes de convergence (des réseaux d’inscription) et de couplage (de l’engagement aux autres sphères de vie). Passy montre ainsi que la stabilité et la force de l’engagement dans une organisation politique sont étroitement dépendantes de la connexion des sphères de vie entre elles : « Plus l’individu évolue dans des réseaux sociaux proches de l’enjeu protestataire, plus il aura tendance à orienter ses autres sphères de vie en lien avec son engagement politique. En retour, ces sphères de vie, étroitement connectées à l’enjeu de protestation, définissent des structures de sens qui permettent de maintenir l’inscription de l’individu dans ses réseaux sociaux. » [58]. Ainsi, si l’engagement apparaît isolé, si les ensembles sociaux auxquels est affilié l’acteur apparaissent hétérogènes ou contradictoires du point de vue des valeurs ou des finalités qu’ils promeuvent, ce dernier a de forte chance d’être « frappé d’instabilité », et donc de déboucher sur un exit. L’auteur s’intéresse aux dynamiques générées par l’inscription multiple et à leurs conséquences sur l’engagement militant. Si les différents registres d’affiliation sont liés entre eux et s’ils sont cohérents (existence d’un dénominateur commun : même système de représentations politiques par exemple), la dynamique de l’engagement sera renforcée positivement (celui-ci constitue en quelque sorte le centre de gravité du mode de vie). Si, au contraire, l’inscription dans des sphères multiples donne lieu à des conflits en termes de valeurs, d’expériences ou de représentations, l’engagement risque fort d’être remis en cause facilement [59]. Il suffit alors qu’un changement se produise dans une sphère de vie pour bousculer la cohérence de l’ensemble et inverser la dynamique de l’engagement (événement dissonant). Une liaison amoureuse, un nouvel emploi, l’affiliation à d’autres réseaux de sociabilités peuvent alors éroder ou rendre plus difficile l’engagement initial, voire provoquer un exit.

La question de l’inscription des individus d’autres ensembles sociaux – celle du « poids » d’autres expériences sur l’engagement – est également mise en avant par Klandermans. Ce dernier précise notamment que le désengagement peut résulter de raisons extérieures à leur participation à une organisation, qu’il n’est donc pas toujours lié à la faiblesse des rétributions ou au mécontentement généré par l’engagement lui-même. Ainsi, c’est parfois parce qu’ils sont confrontés à des événements ou des changements importants se déroulant dans d’autres domaines de leur vie quotidienne qu’ils décident de partir (déménagement, retraite, maladie, divorce). Il faut donc garder à l’esprit que les individus peuvent quitter une organisation pour « des raisons triviales, qui n’ont rien à voir avec une quelconque appréciation critique du mouvement » [60], mais aussi ne pas perdre de vue que tout engagement – fût-il stabilisé par la convergence des autres affiliations et par un parfait couplage aux autres ensembles – est susceptible d’être remis en cause à tout moment par un événement contingent ou un « accident biographique » important [61].

La défection comme mode d’être et d’agir ?

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En se plaçant dans une perspective compréhensive, en intégrant à la réflexion des éléments non seulement structurels mais aussi « expérientiels », nous pouvons montrer que la défection constitue dorénavant une option banale et banalisée, voire un trait dominant de certains modes de vie.

Commençons tout d’abord par souligner quelques éléments qui laissent présager une extension de ce type d’agir. Un certain nombre de recherches récentes insistent par exemple sur le fait que notre époque se caractériserait par une nouvelle étape dans le processus de différenciation sociale. De l’entrecroisement des cercles sociaux – cher à Simmel, typique de la modernité – nous passerions ainsi à une forme caractérisée par la disjonction quasi complète des réseaux sociaux. Certains auteurs n’hésitent pas à évoquer l’idée de « structures en rayon » pour évoquer une telle configuration [62]. Celle-ci peut être spécifiée par la co-présence d’ensembles sociaux distincts et parfois complètement découplés mais interconnectés, l’individu constituant en quelque sorte le nexus de l’ensemble de la structure (à l’image du moyeu d’une roue de vélo). Par rapport à l’entrecroisement des cercles qu’évoque Simmel, cette forme sociale se distingue donc par deux caractéristiques majeures : d’une part, les ensembles sociaux sont délimités plus approximativement (leur frontière n’est plus très nette) et d’autre part, l’individu n’y est plus véritablement encastré. Autrement dit, l’individu n’est plus relié par un lien fort et durable aux différents cercles, ni ne se trouve à leur périphérie comme dans la modélisation simmélienne. La vie sociale apparaît alors comme un entrelacement de relations multiples et variées, plutôt éphémères et précaires. En somme, il n’y a dans cette configuration plus de lieux où nous serions intégrés définitivement [63]. Ceci rejoint d’ailleurs les observations de Forsé pour lequel les réseaux sociaux se caractérisent désormais par leur faible densité, une fréquence de contact plus faible, une plus forte proportion de liens faibles, une plus forte distance moyenne sans oublier une plus forte mobilité [64].

Nos relations sociales apparaissent en effet de plus en plus variées, fractionnées, partielles et circonscrites ; elles sont ainsi séparées du reste de notre existence et sont compartimentées en référence à un cercle social donné [65]. De même, l’accroissement des relations sociales médiatisées par la technologie, les métamorphoses des formes de travail, ajoutés au développement sans précédent des communications et des moyens de transport, renforcent considérablement l’aspect lâche et flottant du lien social. La forme radiale des structures sociales modifie donc considérablement la question de l’appartenance et par voie de conséquence celle des ruptures et des formes de soustraction. Si l’appartenance était devenue avec la modernité une question de choix s’opposant aux formes traditionnelles d’assignation, il y avait néanmoins intégration dans ces cercles sociaux différenciés. Or, il paraît désormais plus qu’improbable que les ensembles sociaux remplissent cette fonction, non seulement parce que les individus ont la possibilité de se mouvoir plus facilement d’un cercle à l’autre mais surtout parce que les groupes deviennent eux-mêmes plus temporaires, éphémères ou contingents, ce qui se traduit notamment par des formes d’engagements plus distanciées et par des rassemblements plus limités où domine un rapport moins fusionnel au groupe [66].

Retenons en tout cas que cette nouvelle forme de structure sociale – dont le relatif découplage des cercles est la caractéristique majeure – rend possible d’étendre à la totalité de la vie sociale la modélisation d’Hirschma. Rappelons que celui-ci faisait de la défection une réaction typique de la sphère économique, surtout cantonnée à celle-ci. Or nous voyons qu’avec la prolifération des cercles sociaux, l’éclatement de la vie sociale entre des pôles multiples et la transformation des formes d’appartenances, il n’y a plus de raison a priori d’écarter la possibilité d’une généralisation de cet agir à toutes les dimensions de la vie quotidienne.

Le processus de différenciation et de découplage des ensembles sociaux a donc un effet direct sur la défection, d’une part parce qu’en multipliant potentiellement les possibilités d’affiliation les opportunités d’exit et les occasions de fuite deviennent plus conséquentes ; d’autre part, puisque les individus ne s’investissent plus que partiellement dans chaque cercle et qu’ils y sont moins « intégrés », la défection devient une réaction moins coûteuse qu’auparavant. Rappelons que les acteurs sociaux se trouvent désormais dans une position plus active, plus délibérative et critique vis-à-vis des liens sociaux, ce qui est un facteur supplémentaire jouant sur la défection. Nous pouvons énoncer ce qui apparaît comme la spirale de la défection : plus les configurations existentielles et les modes de vie deviennent mobiles et souples (spatialement, socialement, culturellement), plus les possibilités de faire défection sont nombreuses ; plus le rôle de la défection est important, plus les modes de vie apparaissent instables, dynamiques et polycentrés.

La nouvelle géométrie des relations sociales place l’individu dans une position tout à fait centrale. Il est dorénavant intégrateur des relations sociales ou, comme le souligne De Coninck, « mobilisateur » des liens sociaux : c’est l’individu « tête de réseau » [67]. Cependant, cette nouvelle forme suppose la capacité à co-construire les relations, à continuellement les maintenir, les entretenir et/ou les renouveler, et enfin d’avoir les ressources de le faire [68]. Or, un certain nombre d’indices nous conduisent à penser que l’aptitude à « gérer » les affiliations multiples et les identités sociales, de même que la faculté à construire et à assurer son autonomie passent désormais par la voie de la défection. Celle-ci ferait donc figure de ressource majeure dans toute société différenciée, elle ne serait plus seulement une option attractive, une « tactique » mobilisable en certaines circonstances.

Rappelons tout d’abord, afin de développer et d’étayer ce qui vient d’être avancé, qu’une des caractéristiques majeures des formes sociales contemporaines est leur haute hétérogénéité. L’appartenance à des cercles sociaux différenciés et qui ne se recouvrent que partiellement implique ainsi que les positions, les statuts et autres rôles occupés par les individus ne sont plus forcément congruents. La disjonction des cercles impliquant leur relative indépendance [69], nous ne pouvons donc plus postuler l’homologie entre les ensembles sociaux. Simmel faisait déjà remarquer en son temps que la participation à un espace social n’était plus forcément révélatrice de l’appartenance à d’autres. Il avait d’ailleurs entrevu les potentialités offertes par cette hétérogénéité, soulignant notamment les possibilités de compensations liées à cette configuration des formes sociales. Le découplage croissant des socio-sphères, le processus de différenciation ont donc pour conséquence que les individus peuvent désormais contenir les effets d’identités abîmées, voire compenser l’exclusion d’un cercle puisque le jeu des liens et des appartenances permet de se replier sur d’autres sources de soutien et de reconnaissance [70].

Les auteurs inspirés par l’interactionnisme ont d’ailleurs depuis longtemps mis en évidence le fait que les individus disposent d’une marge de manœuvre leur permettant de piocher un statut principal parmi leurs affiliations, et sont ainsi susceptibles de faire évoluer cette matrice d’identités et de rôles au gré des circonstances sociales. L’individu peut en effet délaisser, modifier ou au contraire ajouter des rôles à son répertoire, chaque rôle apportant son lot de satisfactions particulières [71]. Goffman soulignait par exemple que le manque d’intégration rigide des rôles sociaux dû à la complexité des systèmes sociaux rend possible la compensation entre ceux-ci [72]. Dans un registre plus récent, Kaufmann précise que la valorisation par l’individu d’un cadre de socialisation, tenu par ailleurs comme mineur, est une manière d’inverser et de contester la hiérarchie des critères d’identités et de rôles communément acceptés [73]. Comme nous l’avons vu chez Fuchs-Ebaugh, les situations de « sorties de rôle » et de « compensations » peuvent ainsi être en grande partie revisitées en termes de défection et de soustraction. En effet, la capacité à se soustraire d’un rôle pour en investir un autre fait bien office de ressource pour nombre d’individus ; nous pouvons même relire sur cette base nombre de situations qualifiées habituellement de « désaffiliations ». À titre d’exemple, ce qui est perçu comme une forme de marginalisation (chômage, errance) à une échelle d’observation peut apparaître comme une soustraction à une autre échelle (refus de certaines formes de travail salarié, investissement dans le milieu associatif, un projet, la famille). Nous avons montré en d’autres circonstances [74] que des recherches de plus en plus nombreuses sur les jeunes chômeurs et précaires insistent sur cet aspect des choses pour rendre compte de vécus débarrassés du pathos lié à l’absence de travail, et qui ne s’accompagnent pas forcément du sentiment d’être exclu ou de se voir assigné à une identité négative [75].

Nous ne pouvons donc pas nous contenter de préciser que la défection est facilitée par les nouvelles formes de structures sociales. Il est également nécessaire d’insister sur le fait qu’elle est devenue un mode de régulation à part entière, un moyen de gérer les affiliations et les identités, d’articuler les rôles et les positions. Il s’agit bien finalement d’une compétence dans une société complexe dans laquelle l’individu est tiraillé entre des demandes sociales diverses, parfois contradictoires. Prenons quelques exemples. Les recherches de Rosen sur la jeunesse montrent que dans un environnement où la compétition et la concurrence sont omniprésentes, où le changement est permanent, fuir, quitter le terrain, faire défection peuvent apparaître comme des stratégies efficaces pour conserver son autonomie [76]. Certains jeunes feraient notamment preuve d’une grande capacité non seulement à tisser des liens sociaux mais aussi à se dégager des réseaux relationnels ou des organisations quand ils y trouvent avantage, et cela sans que ces départs suscitent émotions, culpabilités ou regrets particuliers [77], c’est-à-dire finalement sans qu’ils soient connotés comme une trahison et qu’ils apparaissent illégitimes.

La défection occuperait ainsi une place singulière dans les modes de vie des générations nées dans les années soixante-dix/quatre-vingt, position au demeurant indissociable des finalités pratiques auxquelles elle répondrait et du contexte dans lequel elle s’inscrit. Rosen précise que la capacité à se soustraire est tout d’abord un moyen – chez certains c’est d’ailleurs « le » moyen principal – d’éviter les tensions psychiques et l’anxiété générées par les rapports sociaux de travail. Il s’agit de retrouver une certaine sécurité en sortant d’un système d’interaction caractérisé et dominé par des rapports de force, la concurrence entre acteurs, la course à l’efficacité et le rendement [78]. Mais la défection est aussi un moyen d’échapper à l’ennui et à la routine, de retrouver l’initiative dans un environnement perçu comme trop pesant. Faire défection est donc ici une façon de renouveler les relations sociales aussi bien qu’une manière de préserver le quant-à-soi de demandes sociales jugées oppressantes ou aliénantes. Nous pouvons d’ailleurs faire sur ce point un rapprochement avec le « refus des assignations » évoqué précédemment. Certains travaux insistent sur le fait que les jeunes refuseraient d’être assignés à une condition ou un type de lien social car ceux-ci sont vécus comme autant de barrières ou de clôtures mortifères, entravant l’ouverture des modes d’être et d’agir ainsi que la communication authentique avec « l’Autre » [79]. Ce type de conduites ne saurait donc être simplement analysé en termes d’opportunisme et d’opportunités : la défection et ses différentes déclinaisons (dissidence, nomadisme) deviennent parfois habitude chez certains jeunes, au même titre que d’autres traits de caractère [80]. Rosen appréhende donc la défection comme une « réponse » existentielle et fonctionnelle, une forme d’adaptation individuelle à des conditions sociales nouvelles.

Son propos peut être rapproché des analyses de Bauman. Ce dernier considère en effet que la pierre angulaire des « stratégies de vie postmodernes » est le fait d’éviter d’être fixé [81]. La propension à l’exit et au mouvement constituerait ainsi le dénominateur commun des nouvelles figures émergentes de la postmodernité, qu’il s’agisse du flâneur – errant sans jamais s’impliquer – ou du touriste en quête d’expériences nouvelles, privilégiant la dimension esthétique de l’expérience. Si ces attitudes sont vécues comme autant de libertés, comme autant « d’échappées », Bauman les considère plutôt comme une forme inédite d’asservissement au mouvement, c’est-à-dire in fine comme une dépendance aux injonctions du système. Mais surtout, il met en avant le fait que ces modes d’être et d’agir ont des conséquences tout à fait délétères puisqu’ils impliquent une dissolution de la responsabilité et des sentiments moraux [82]. Autrement dit, ce désengagement, ce refus de l’implication, ce papillonnage permanent s’effectuent sans remords, sans culpabilité. Échapper à ses obligations n’est plus ressenti comme une transgression mais comme une action légitime, d’autant plus que nous assistons à une dissolution des figures de l’autorité sur certains lieux de travail (pouvoir désincarné des actionnaires et des donneurs d’ordre).

Sennett explique ces tendances par le fait que la culture contemporaine du risque dévalorise et déconsidère désormais la stabilité ; le fait de ne pas changer devient dans nos sociétés un signe d’échec [83]. L’auteur précise : « D’immenses forces sociales et économiques nourrissent cette insistance sur le départ : le désordre des institutions, le système de production flexible, les réalités elles-mêmes qui vont à la mer. Rester au port, c’est être largué. La décision de partir a donc déjà tout l’air d’une décision accomplie. Ce qui compte, c’est la décision de rompre. » [84] Sennett explique la fascination pour l’exit à la fois par le fait qu’il devient plus difficile de se faire entendre (la prise de parole devient un exercice plus ardu), à la fois parce qu’il est désormais plus compliqué de s’orienter socialement (brouillage), mais aussi parce que la défection procure un fort moment d’exaltation et d’espoir [85]. Il rejette donc l’idée que la défection relèverait simplement d’un calcul rationnel : « Tout se passe comme si, en se mettant en branle, on suspendait soudain sa réalité ; on ne fait guère de calculs, on ne choisit pas rationnellement, on se contente d’espérer qu’il se produira quelque chose si on fait une rupture. Une bonne partie de la littérature sur le risque traite de stratégie et de plans de jeu, de coûts et de bénéfices, dans une sorte de rêverie académique. Dans la vraie vie, le risque obéit par-dessus tout à la peur de ne pas agir. Dans une société dynamique, qui demeure passif dépérit. » [86]

Si de nombreuses forces sociales encouragent et légitiment cette propension au départ – annihilant du même coup l’association défection/trahison – il n’en reste pas moins qu’il serait réducteur de considérer cet agir comme une simple adaptation aux injonctions du système. La recherche de Schurmans sur les formes de solitude nous apporte d’ailleurs sur ce point d’autres éléments. Cherchant à appréhender le sens et l’importance de certaines attitudes telles que le retrait, le repli, l’isolement ou la fuite dans l’expérience quotidienne, l’auteur montre que celles-ci s’articulent toujours plus ou moins à un « refus ». En somme, l’on se replie sur soi, l’on se désengage ou l’on fuit essentiellement parce que l’on refuse certaines contraintes sociales (inféodations) ou certaines situations que l’on subit et vit négativement (ostracisme). Ces conduites sont donc bien également des ressources, des « recours » ou des « outils » qui permettent aux acteurs sociaux de transformer le sens de leur expérience, de retrouver l’initiative et de peser sur leur propre histoire. C’est ce que l’auteur appelle « l’affirmation de l’actorialité dans l’épreuve » [87]. Par exemple, « On refuse d’être seul parmi les autres en s’isolant seul avec soi. Dans une ‘‘situation bouchée’’, on organise ‘‘une cassure’’ parce que ‘‘cela oblige à chercher’’. » [88] Certaines formes de retrait comporteraient ainsi une dimension stratégique et réflexive explicite : le repli est alors une « expérience-ressource », un moment permettant aux individus de réinstaurer et de renouveler leurs échanges sociaux ainsi que leur pratique du lien social [89].

Quand les contraintes sociales sont trop fortes, le désengagement apparaît comme une réponse critique, une façon d’apprendre à « manier l’équilibre entre appartenance et autonomie » [90]. Lorsque la participation aux ensembles sociaux est mise à mal (ostracisme, marginalisation), le retrait correspond alors à une « prise en charge de la perturbation rencontrée » [91]. Sur la base de ces expériences, un savoir est peu à peu acquis : certains acteurs parviennent à maîtriser cette « entrée-sortie en solitude », à manier ces divers désengagements, à jouer de la distance et de la proximité ; ils peuvent alors contrôler et suspendre leur pratique du lien social en fonction des situations qu’ils rencontrent afin de le réactualiser ou de le renouveler. L’intérêt majeur du travail de Schurmans est donc de montrer que si l’expérience de la solitude intègre toujours une part de souffrance et de difficultés, elle comporte aussi une dimension actorielle. Elle ne saurait simplement être assimilée à une forme passive et subie de désaffiliation. Ces usages du retrait nous révèlent en effet que la soustraction est mobilisée comme un « faire positif » permettant tout à la fois la régénération du lien social et la construction de l’autonomie du sujet. Elle est bien plus qu’une tactique défensive ponctuelle visant à préserver le « quant-à-soi » ; nous pouvons même la considérer comme un moyen majeur de réappropriation de l’existence. La soustraction est à plus d’un titre « promesse d’avenir » [92] même si elle comporte un risque : « On sait ce qu’on perd mais on ne sait pas ce qu’on va gagner. » (F., 35 ans)

Cet usage du retrait et de la défection se retrouve largement dans les entretiens que nous avons pu réaliser pour cette enquête : le repli, la démission, le départ sont utilisés et désignés comme des moyens de se reconstruire, de faire une pause ou de s’extraire de situations jugées problématiques, ennuyeuses, mortifères ou sans issues. Des propos du type « J’ai préféré m’éloigner un certain temps pour revenir. » (H., 25 ans), « Du jour au lendemain j’ai tout quitté sans dire au revoir à personne, je me suis un peu reconstruite. » (F., 19 ans) ou « J’ai eu envie de partir ailleurs puis de repartir sur une nouvelle base. » (F., 23 ans) se retrouvent sous diverses formes d’un récit à l’autre. S’ils sont récurrents chez les plus jeunes – aux modes de vie plus souples et plus incertains – ils n’en sont pas moins présents chez des personnes plus âgées, plus « installées », quoique sur un mode plus ponctuel, moins systématique. Évoquant ses expériences de travail et ses démissions, une personne déclare : « De nombreuses fois [j’ai voulu partir et me désengager] et je l’ai fait d’ailleurs ; c’est se sentir enfermé dans un truc dans lequel vous n’avez plus du tout de repères, plus du tout envie, plus rien qui vous rattache au truc, donc cette envie de partir et de le faire vite. » (F., 35 ans).

L’usage « tactique » de la défection comme alternative au conflit et à la prise de parole est également mis en exergue par une majorité de l’échantillon. Quand le conflit débouche sur une impasse, lorsqu’il devient une source de stress trop prégnante, lorsque la prise de parole échoue à modifier la situation, le départ et le désengagement apparaissent comme des ultimes recours. Par exemple, une phrase du type « On essaie d’abord d’arranger les choses et si ça ne marche pas, ben je laisse tomber. » (H., 26 ans) apparaît bien comme un dénominateur commun à la plupart des entretiens. Cette phrase sous-entend que l’exit n’est pas l’option première mais une ressource « au cas où » : « Il y a des situations dans lesquelles j’ai préféré fuir parce que je voyais que peu importaient les discussions ou les mises au point ; ça ne changerait rien ; donc à ce moment-là je ne voulais plus en entendre parler et j’ai préféré fuir. » (H., 21 ans). Cependant, ceci ne vaut que lorsque la situation d’où émergent frustration et mécontentement se caractérise par un attachement fort et est l’objet d’un enjeu (relation amoureuse, organisation à laquelle on tient). Les récits font ainsi valoir que la défection est privilégiée lorsque la relation n’est pas investie affectivement ou qu’elle ne relève d’aucun enjeu existentiel (réaction du type « À quoi bon se prendre la tête pour ça ? »). Par ailleurs, certains – notamment chez les plus jeunes – précisent qu’ils ne supportent pas les situations conflictuelles, les tensions qu’elles génèrent et les dépenses qu’elles supposent (temps, énergie). L’exit est alors un moyen efficace et facile de trancher les différents ou de montrer son mécontentement « en passant à autre chose » : « Les conflits c’est quelque chose qui m’écœure ; c’est une perte de temps, je pense que l’on a qu’une vie. » (H., 21 ans). Si cette attitude n’est pas générale, elle se systématise chez certaines personnes, au point de devenir habitude : « Je fuis les conflits je crois, parce que je n’ai plus envie de me prendre la tête ; j’essaie de minimiser les conflits ; bon, ça dépend de l’enjeu mais globalement, je serai assez passif vis-à-vis des trucs ; moi je relativise, que ça soit vis-à-vis d’une personne qui n’en vaut pas la peine […] moi je pars, moi si je m’ennuie quelque part, si ça ne me plaît pas, je pars également. » (H., 20 ans).

Enfin, dans quelques récits, la défection prend la forme de l’expérimentation. Les configurations existentielles se caractérisent alors par une certaine plasticité. Il s’agit non pas tant de partir parce que l’on est mécontent mais de tester certains types d’engagements (sociabilités, couple, travail). La défection – si on la replace dans le contexte du mode de vie – est ici paradoxalement un préalable à des engagements plus durables, elle est aussi un moyen de se trouver : « Je pense qu’il faut voir plusieurs choses avant de s’engager vraiment ; je pense qu’expérimenter sert à ça ; faut déjà essayer et après voir si ça marche ou si ça ne marche pas. » (F., 20 ans). Si l’ensemble des entretiens présente des usages variés de l’exit, témoignant de la banalité et du poids de telles pratiques, il faut également remarquer que celles-ci ne sont pas associées à l’idée de trahison et qu’elles paraissent à nombre de ces personnes comme « légitimes » et « normales » : « Ça ne me pose pas de problème, je ne vois pas à qui ont fait de mal ou qui on trahi là-dedans, c’est des choses qui peuvent arriver dans la vie. » (H., 43 ans) ; « Je n’ai pas éprouvé de remords, pas du tout, moi, je voulais partir. » (F., 35 ans). Ceci ne veut pas dire pour autant que la défection est connotée positivement. Souvent perçue comme une fuite ou comme un signe de lâcheté (notamment chez les personnes les plus âgées de l’échantillon), son statut axiologique reste inférieur à celui du conflit. Il y a donc un décalage entre l’usage de la défection (pratique banale), sa légitimité comme agir du point de vue de l’acteur (pratique normale) et sa représentation générale comme concept (connotation plutôt négative).

Les recherches évoquées nous conduisent à reconsidérer et à réévaluer les conduites caractérisées par le retrait, l’exit ou la dissidence. Il en va de même des recherches sur la désobéissance comme culture et mode d’action politique. Pédretti, par exemple, insiste sur le fait que la désobéissance civile a partie liée avec le refus de l’absorption et du conformisme, qu’elle est un moment fort d’affirmation de la volonté et de l’authenticité individuelle, ce qui conduit le désobéissant à remettre en cause les différents rôles qu’il est censé respecter ou incarner [93]. La défection, la soustraction, le retrait ne sont donc pas sans rapport avec la souveraineté.

C’est parce qu’il s’échappe ou peut s’échapper que le désobéissant affirme sa souveraineté ; c’est parce qu’il se soustrait, parce qu’il prend congé, qu’il bouleverse l’ordre établi et affole les boussoles de l’adversaire. En ce sens, rien n’est moins passif que la fuite : « Puisque la défection modifie les conditions dans lesquelles le conflit a lieu, plutôt que de les subir, elle exige un degré très élevé d’entreprise, elle impose un faire positif. » [94] Tant sur le plan politique que sur celui de la vie quotidienne, la défection peut être considérée comme un geste instituant, fondateur, selon Virno, elle est donc bien aux « antipodes de la formule désespérée » [95].

Allons même plus loin : dans un environnement social complexe, fluide, soumis au changement permanent, la défection ne fait plus seulement figure de mode de régulation du lien social mais devient aussi un moyen de construire l’appartenance. Cette formule demande bien évidemment quelques explications. Selon Virno, la conscience de soi contemporaine serait perpétuellement « dépassée », en retard, prise à défaut par les changements de contextes et de conventions qui caractérisent notre vie quotidienne, par ces chocs produits par les innovations continues. Ceci aurait paradoxalement pour conséquence de renforcer le sentiment (le besoin ?) d’appartenance tout en interdisant toute possibilité de transcendance ou de « dépassement » de cette condition. La défection serait alors un moyen – si ce n’est le moyen – de construire du lien dans un tel contexte tout en se jouant des inféodations et de l’enracinement unipolaire. L’appartenance, en somme, deviendrait un processus d’élaboration continu se manifestant par le truchement de la défection. La défection est donc à comprendre comme sortie et mouvement, comme extraction et fondation : défection vis-à-vis des règles dominantes et des identités pérennes, exit vers des lieux coutumiers donnant corps à l’appartenance et qu’il s’agit de construire par ses propres pratiques et activités [96]. Il s’agit finalement d’une « soustraction entreprenante » selon les mots de Virno. Ce que Maffesoli traduit quant à lui en terme « d’enracinement dynamique » [97].

Le développement d’un tel agir dans une société complexe et différenciée nous invite ainsi à revoir nos conceptions de l’appartenance. Désormais, le sentiment d’appartenance – ainsi que la sécurité, la confiance et les obligations qu’il induit – ne peut donc plus s’appuyer sur la force de l’habitude ou de la tradition. Dans la défection en effet, l’appartenance ne peut être qu’un résultat éventuel – à construire au gré des rencontres et des affiliations – et non un point de départ ou une base constitutive des modes de vie [98]. Ceci relance bien évidemment la question de la consistance de ce type de formes sociales : la « condensation instantanée » (Bauman) des « néo-tribus », les rencontres fortuites et fragmentaires, les actions communes épisodiques peuvent-elles constituer un terreau favorable à l’épanouissement de la loyauté ou – comme le croit plutôt Bauman – ne donner lieu qu’à l’essor de solidarités involontaires ? Sennett convoque à ce sujet Rorty et sa figure de l’homme ironique [99] pour pointer les travers auxquels peut mener le développement d’un tel mode d’être et d’agir et notamment le fait qu’il ne saurait y avoir de cohésion sociale durable à travers l’ironie : « Je ne puis imaginer de culture qui socialiserait ses jeunes de manière à les amener à douter en permanence de leur propre processus de socialisation. » [100] Ce qui est aussi une manière d’annoncer le crépuscule de certaines formes de loyauté, voire leur non-sens dans un tel contexte.

Hirschman considérait la défection comme « impensable » mais pas complètement « impossible » dans certaines organisations sociales ayant une base non rationnelle ou dont la finalité n’était pas instrumentale (familles, clans, « communautés ») [101]. Il signifiait par là que la défection était considérée sous certaines conditions comme une forme de trahison, c’est-à-dire comme une transgression qui devait être sanctionnée en tant que telle. À la lumière des changements que nous avons esquissés concernant les formes sociales et les modes d’être et d’agir, peut-on envisager que la défection soit encore perçue de cette façon ? Les éléments relevés dans ce chapitre incitent à en douter. Que le lecteur nous permette ici de revenir et d’insister sur certains points, notamment sur le fait que dans la défection c’est le groupe qui est visé. Or, individualisation et flexibilisation aidant, il faut désormais prendre en compte le fait que les normes ayant trait à la pratique du lien social dans un « Nous » considéré ne sont peut-être plus aussi partagées et homogènes que nous l’avons initialement posé. La défection n’impliquerait donc plus forcément de réaction sociale univoque, et cela quels que soient les collectifs concernés. Par ailleurs la quête d’authenticité et de réalisation de soi, l’autoréférentialité impliquent que l’on ne fait plus forcément défaut à ses obligations morales lorsque l’on quitte un groupe. Enfin, rappelons que les travaux contemporains sur la confiance soulignent que celle-ci a dorénavant pour base essentielle l’intimité, qu’elle « n’est plus ancrée dans des critères extérieurs à la relation elle-même », qu’elle n’est donc plus donnée avec l’appartenance à l’instar de la loyauté [102]. On comprend alors que la catégorie trahison ne soit convoquée que s’il y a au préalable relation fondée sur la « connaissance de l’autre » et de soi [103], ce qui est non seulement loin d’être le cas dans nombre d’ensembles sociaux mais risque d’être tout aussi problématique dans les formes sociales émergentes que nous avons tenté d’esquisser.

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NOTES

[1] Ce chapitre est en grande partie une reprise de l’article « Faire défection dans une société différenciée : quelques réflexions à partir de la notion d’exit chez A. Hirschman », paru dans le n° 1-4 de la Revue de l’Institut de Sociologie en 2004.

[2] A. O. Hirschman, op. cit.

[3] L. Frobert, C. Ferraton, L’Enquête inachevée. Introduction à l’économie politique d’A. O. Hirschman, Paris, Presses Universitaires de France, 2003.

[4] A. O. Hirschman, Vers une économie politique élargie, Paris, Éditions de Minuit, 1986.

[5] Dans ses travaux ultérieurs, Hirschman élargira considérablement le champ d’application de la défection, en définissant la notion d’exit comme un « éloignement spatial », c’est-à-dire comme une fuite ou un exil : « L’exit consiste alors en un éloignement physique d’une situation pénible. » (Ibid., pp. 73-74).

[6] A. O. Hirschman, 1995, op. cit.

[7] G. Bajoit, art. cit.

[8] A. O. Hirschman, op. cit., pp. 59-60.

[9] Ibid., p. 63.

[10] Ibid., pp. 92-93.

[11] Ibid., p. 63.

[12] Ibid., p. 64.

[13] Ibid., p. 195.

[14] A. O. Hirschman, 1986, op. cit., p. 59.

[15] A. O. Hirschman, 1995, op. cit., p. 54.

[16] Ibid., p. 68.

[17] Ibid., p. 73.

[18] Ibid., p. 74.

[19] Ibid., p. 122.

[20] Ibid., p. 154.

[21] Ibid., p. 124.

[22] Ibid., p. 125.

[23] Ibid., p. 126.

[24] Ibid., p. 127.

[25] Ibid., p. 132.

[26] Ibid.

[27] A. O. Hirschman, Un Certain penchant à l’autosubversion, Paris, Fayard, 1995, p. 26.

[28] A. O. Hirschman, Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995.

[29] M. David-Jougneau, « La dissidence institutionnelle », Revue Française de Sociologie, n° 29, 1988, pp. 471-501.

[30] A. O. Hirschman, op. cit., p. 163.

[31] Ibid., pp. 147-148.

[32] J. Rifkin, L’Âge de l’accès, Paris, La Découverte, 2000.

[33] A. O. Hirschman, op. cit., p. 151.

[34] G. Bajoit, art. cit., p. 327.

[35] A. O. Hirschman, op. cit.

[36] Ibid., p. 169.

[37] P. Lehingue, art. cit., p. 89.

[38] Ibid., p. 96.

[39] G. Bajoit, art. cit.

[40] Ibid., p. 329.

[41] G. Bajoit, Pour une sociologie relationnelle, Paris, PUF, 1992, p. 147.

[42] B. Klandermans, « Une psychologie sociale de l’exit », dans O. Fillieule, Le Désengagement militant, Paris, Belin, 2005, p. 105.

[43] N’ayant pu accéder à l’ouvrage de H. R. Fuchs-Ebaugh (H. R. Fuchs-Ebaugh, Becoming an ex. The Process of Role Exit, Chicago, University of Chicago Press, 1988), nous nous appuyons ici sur la présentation qu’en donne O. Fillieule (O. Fillieule, op. cit., pp. 28-31).

[44] O. Fillieule, op. cit., pp. 28-31.

[45] Ibid., p. 30.

[46] R. Moreland, J. M. Levine, art. cit., pp. 187-188.

[47] O. Fillieule fait remarquer que les membres d’une organisation au profil atypique sont généralement plus prompts que les autres à faire défection car ils se voient exclus de certains réseaux de sociabilités informels en raison de leurs différences. La stigmatisation, l’application de stéréotypes plus ou moins négatifs est par ailleurs source de stress et de tensions (O. Fillieule, « Temps biographique, temps social et variabilité des rétributions », dans O. Fillieule, op. cit., p. 42).

[48] R. K. Merton, op. cit., p. 231.

[49] Évoquant l’entreprise, R. Sennett fait remarquer que les gratifications différées (salaires, évolutions de carrière) ne joueraient plus leur rôle de freins à la défection : « […] la gratification différée perd toute valeur dans un régime dont les institutions changent rapidement. Il devient absurde de se tuer au travail pour un patron qui ne pense qu’à vendre et à aller de l’avant. » (R. Sennett, op. cit., p. 138).

[50] B. Klandermans, art. cit., p. 95.

[51] Ibid., p. 96.

[52] Ibid., p. 100.

[53] Ibid., p. 102.

[54] O. Fillieule, art. cit., p. 41.

[55] B. Klandermans, art. cit., p. 100.

[56] Ibid., p. 103.

[57] C. Leclercq précise : « L’exit vient ainsi sanctionner, plutôt qu’un mécontentement clairement défini et d’emblée ‘‘durci’’ dans la conscience des militants, un désajustement d’abord diffus, indissociablement affectif et cognitif, intuitif et réflexif, progressivement exprimé au contact de l’entourage immédiat. » (C. Leclercq, « Raisons de sortir : les militants du parti communiste français », dans O. Fillieule, op. cit., p. 145).

[58] F. Passy, « Interactions sociales et imbrications des sphères de vie », dans O. Fillieule, op. cit., p. 117.

[59] Ibid., p. 120.

[60] B. Klandermans, art. cit., p. 110.

[61] O. Fillieule, art. cit., p. 45.

[62] B. A. Pescosolido, B. Rubin, « The Web of Group Affiliations Revisited : Social Life, Postmodernism and Sociology », American Sociological Review, vol. 65, n° 1, 2000, pp. 52-76.

[63] Ibid.

[64] M. Forsé, « Les réseaux sociaux chez Simmel : les fondements d’un modèle individualiste et structural », dans L. Deroche-Gurcel, P. Watier, La Sociologie de G. Simmel (1908), Éléments actuels de modélisation sociale, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, pp. 63-110.

[65] K. J. Gergen, op. cit.

[66] O. Fillieule, art. cit. ; C. Leclercq, art. cit.

[67] M. De Coninck, op. cit.

[68] B. A. Pescosolido, B. Rubin, art. cit.

[69] M. Forsé, art. cit.

[70] B. A. Pescosolido, B. Rubin, art. cit. ; M. De Coninck, op. cit.

[71] L. Zurcher, Social Roles, Conformity, Conflict and Creativity, Beverly Hills, Sage Publication, 1983.

[72] E. Goffman, art. cit.

[73] J.-C. Kaufmann, op. cit.

[74] S. Schehr, La Vie quotidienne des jeunes chômeurs, Paris, Presses Universitaires de France, 1999.

[75] P. Cingolani, L’Exil du précaire, Paris, Méridiens Klincksieck, 1986 ; P. Grell, A. Wery, Héros obscurs de la précarité, Paris, L’Harmattan, 1993.

[76] B. C. Rosen, op. cit.

[77] Ibid., p. 16.

[78] B. C. Rosen précise qu’il y a chez ces jeunes deux moyens d’éviter les conflits et les tensions psychiques : le premier consiste à adopter une attitude « hyperconformiste », un double-jeu permanent (« chameleonism »), le second à sortir du système d’interaction.

[79] G. Bajoit, A. Franssen, op. cit.

[80] B. C. Rosen, op. cit., p. 27.

[81] Z. Bauman, op. cit., p. 43.

[82] Ibid., p. 131.

[83] R. Sennett, op. cit., p. 121.

[84] Ibid.

[85] Comme le note le psychanalyste A. Phillips : « C’est souvent lorsqu’on s’échappe qu’on se sent le plus vivant. » (A. Phillips, La Boîte de Houdini. L’art de s’échapper, Paris, Payot, 2005, p. 13).

[86] R. Sennett, op. cit., p. 122.

[87] M. N. Schurmans, op. cit., p. 171.

[88] Ibid., p. 125.

[89] Ibid., pp. 136-137.

[90] Ibid., p. 171.

[91] Ibid., p. 207.

[92] J.-M. Da Silva, « De l’évasion à la perdition » (http://gredin.free.fr/sociologie/de...), 2005.

[93] M. Pédretti, La Figure du désobéissant en politique, Paris, L’Harmattan, 2001.

[94] P. Virno, op. cit., p. 37.

[95] P. Virno, « Virtuosité et révolution : note sur le concept d’action politique », Futur Antérieur, n° 19, 1996, p. 234.

[96] P. Virno, op. cit.

[97] M. Maffesoli, Du nomadisme, Paris, Livre de poche, LGF, 1997, p. 73.

[98] P. Virno, op. cit.

[99] L’ironie est un état d’esprit dans lequel les individus « […] ne sont jamais tout à fait capables de se prendre au sérieux, parce qu’ils sont toujours conscients que les termes dans lesquels ils se décrivent sont sujets au changement, toujours conscients de la contingence et de la fragilité de leurs vocabulaires finaux et donc de leurs moi. » (R. Rorty, Contingence, ironie et solidarité, Paris, Armand Colin, 1993, p. 112).

[100] Ibid., p. 129.

[101] A. O. Hirschman, op. cit., p. 122.

[102] A. Giddens, 1994, op. cit.

[103] Ibid., p. 466.