Crée en 1971 à l’initiative d’un petit groupe d’intellectuels rejoints par un collectif associatif (Cimade, COJASOR …), France Terre d’Asile est une association à but non lucratif. Née pour promouvoir le droit d’asile et la défense des réfugiés, FTDA souhaite très vite ne pas rester sur un terrain théorique. Son objectif consiste à mettre en place une véritable politique d’accueil financée par l’Etat. Les premiers membres des instances de FTDA étaient issus de la Résistance et imprégnés pour la plupart des idéaux républicains. Cette propriété sociale des fondateurs explique la proximité de FTDA avec l’Etat dès les premières années. En outre, seul acteur associatif à s’occuper spécifiquement de la défense du droit d’asile et des réfugiés, FTDA s’est vite imposée comme l’interlocuteur de référence pour les pouvoirs publics.
En 1973, pour répondre à l’arrivée massive des Chiliens, FTDA participe à la mise en place d’un dispositif d’accueil avec la création de Centres Provisoires d’Hébergements qui permettent d’accueillir 6000 personnes. Cette expérience a démontré la capacité de FTDA à maîtriser les situations d’urgence. Ainsi, deux ans plus tard, alors que des réfugiés affluent du Sud-est asiatique, les pouvoirs publics sollicitent FTDA pour la mise en place d’un second dispositif d’accueil. Depuis 1975, FTDA apparaît comme un véritable délégataire de service public : l’Etat lui a délégué la mission d’animer et coordonner le dispositif national d’accueil (DNA). Ce dispositif concerne les réfugiés de toute nationalité et s’inscrit dans l’action sociale de l’Etat (décret du 15 juin 1976).
Depuis 2004, la mission d’animation et de coordination du DNA a été transférée à l’Office des Migrations Internationales (OMI) qui a été dissout depuis 2005 dans l’Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des Migrations (ANAEM). Ainsi, FTDA a nécessairement redéfini sa position au sein de la configuration de la politique de l’asile. En posture de reconversion, elle reste néanmoins dans une logique de contractualisation avec les pouvoirs publics.
Dans le cadre de cette note, il convient donc de s’intéresser à l’évolution du rôle de FTDA dans le DNA mais aussi dans la configuration plus générale de la politique de l’asile en France.
France Terre d’Asile, créatrice et organisatrice du DNA
1973-2003
FTDA a impulsé la création du DNA dans les années 70. Puis, pendant trente ans, officiellement, FTDA avait la mission d’animer et coordonner le DNA – par convention avec l’Etat. L’histoire de FTDA est donc indissociable de celle du DNA.
1. FTDA, AU CŒUR DU DNA : L’INTERMEDIATEUR DES CHAMPS ASSOCIATIF ET ETATIQUE ?
Une association née dans le giron militant…
FTDA s’est officiellement constituée en 1971. Ses membres étaient issus des milieux intellectuels mais aussi du réseau Curiel et d’associations chrétiennes. En 1973, suite au Coup d’Etat au Chili, la France a été amenée à accueillir pour la première fois de manière massive, des réfugiés d’Amérique latine. Sollicitée par l’Etat, FTDA a mis en place un « Comité de coordination pour l’accueil des réfugiés du Chili » auquel participaient plus de 25 associations.
Un rôle pivot dans le milieu associatif pendant 20 ans. Ex : forte implication de FTDA dans la Commission de Sauvegarde du Droit d’Asile qui rassemblait 4 associations. A cette époque FTDA exerçait une sorte de lobbying tandis que d’autres associations telles que la Cimade, le Secours Catholique ou la Croix Rouge se chargeaient plus directement de l’accueil. Pendant ces décennies FTDA ne souhaitait pas gérer de centre d’accueil. Elle disposait uniquement de deux centres de transit et à partir des années 90 d’un centre spécifique pour mineurs isolés. Il y a donc un partage clair des rôles entre les associations gestionnaires et FTDA, « animatrice et coordinatrice du dispositif ».
…Mais toujours très proche des pouvoirs publics.
La ligne d’action de FTDA était dès 1973 de promouvoir « un premier accueil » qui relève entièrement des fonds publics. Ce choix initial s’explique par la volonté de ne pas lier l’action à l’actualité mais à l’inscrire dans un cadre durable et sûr. Les créateurs de l’association considéraient aussi que la ressource étatique permettait de réduire au maximum toute possibilité de discrimination et d’éviter le caractère d’aumône. Il s’agit pour eux de défendre la justice sociale, l’égalité républicaine et ne pas se placer dans une logique de charité.
1975 : L’Etat délègue à FTDA l’animation et la coordination du DNA.Une relation conventionnelle s’instaure entre les pouvoirs publics et France Terre d’Asile. FTDA tient le secrétariat de la Commission Nationale d’Accueil (présidée par la DPM [1]) et a la charge d’organiser l’acheminement des demandeurs d’asile et des réfugiés du premier lieu d’accueil vers le centre de transit, le CADA ou le CPH. Elle assure aussi un travail d’expertise et de conseil auprès des centres pour leur compte ou celui du Ministère et de ses services déconcentrés.
- FTDA se caractérise depuis toujours par cette articulation entre la défense inconditionnelle du droit d’asile (considéré comme inaliénable) et la participation active et directe à la politique publique de l’accueil des réfugiés. Un exemple illustre bien cette articulation : En 91, au nom de ses principes fondateurs, FTDA manifeste son opposition à la circulaire Cresson qui introduit la distinction entre demandeurs d’asile et réfugiés. Par cette mesure, les centres provisoires d’hébergement (CPH) étaient de facto réservés aux seuls réfugiés. Malgré son opposition théorique, FTDA a été à l’initiative de la création des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) sur tout le territoire.
- De par ce lien conventionnel, la nature de ses financements et de ses activités, de par la « culture d’Etat » des membres des instances, FTDA a toujours été très proche du pouvoir. Peut-on encore parler de militantisme et de dynamique associative pour une association entièrement financée par l’Etat ? Non seulement la forme de l’organisation s’apparente peu à une association ordinaire (quasi disparition des bénévoles dès les années 90) mais sur le fond, ses positions dites militantes sont beaucoup plus proches de celles de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (émanation du pouvoir) que de celles des associations telles que le Gisti, la Cimade ou le Dal.
De fait, il s’agit bien moins d’un intermédiateur entre deux champs que d’un acteur détenant une position monopolistique au sein de la politique gouvernementale. Cette position centrale et surplombante de FTDA dans la politique de l’asile en France a très tôt fait l’objet de contestations.
2. CRISE DU DNA : LA PLACE CENTRALE DE FTDA CONTESTEE.
Déconcentration de la gestion du DNA.
Depuis les années 80, les réfugiés affluent de toutes parts. Ils ne passent plus nécessairement par Roissy. Le système « centralisé » qui consistait à faire passer tous les réfugiés par le centre de transit de FTDA, à Créteil, s’avérait dès lors contraignant et inefficace. Cette crise de fonctionnement n’a cessé de s’accentuer avec la pénurie de places en CADA (En 2000 : plus de 50000 demandeurs d’asile pour 5000 places CADA.)
Alors que FTDA est restée pendant longtemps la seule association spécialisée dans la défense du droit d’asile, des acteurs locaux ont peu à peu émergé. Ainsi en 1982, le CRARDDA (devenu aujourd’hui Forum Réfugiés) s’est constitué pour gérer l’accueil des nombreux demandeurs d’asile qui arrivaient directement à Lyon. A la fois relais local et concurrent de FTDA, l’association lyonnaise s’oppose au dispositif de coordination en place.
Les relations avec FTDA sont alors extrêmement tendues puisque Forum Réfugié souhaite gérer de manière autonome (en lien avec les acteurs locaux), les demandeurs d’asile qui arrivent sur son territoire. Les relations sont également assez mauvaises entre FTDA et l’Etat local : comme FTDA rendait service à la DPM, les autres gestionnaires de CADA rendaient service aux DDASS.
Professionnalisation des opérateurs locaux, qui se sentaient capables de gérer l’accueil des demandeurs d’asile.
Renationalisation de la « surveillance » du DNA.
En 2000, le directeur de la DPM s’est penché sur certaines questions juridiques et a pris conscience de l’illégalité de la gestion du DNA. Il s’avérait en effet que selon les lois en vigueur, le secrétariat de la Commission Nationale d’Accueil ne pouvait être géré par une association. En 2001, un rapport de l’IGAS pointait les insuffisances du DNA sans remettre en cause le travail de FTDA. Le rapport préconisait toutefois le transfert de la gestion du DNA à un établissement public. Il reprochait notamment à FTDA sa double casquette : à la fois opérateur et coordinateur. Cela posait un problème de transparence et de clarté sur la position de FTDA. En filigrane, il est certain que la DPM était gênée par l’engagement politique fort de Pierre Henry, Directeur de FTDA. Cet homme à forte personnalité avait en effet un rôle clé dans la gestion d’une politique publique de plus en plus importante. L’Etat a insisté sur la nécessité de neutraliser le dispositif.
Aujourd’hui, l’ANAEM (fusion de l’OMI et SSAE) assure la coordination du DNA. La DPM garde son rôle central d’ultime décisionnaire, au sein de la Commission Nationale d’Admission.
Alors que FTDA a eu de grandes difficultés à admettre cette « perte de mission », aucune association ne l’a soutenu. Pour les autres associations, cela signifiait en effet la fin du contrôle de la gestion de leurs CADA et du fonctionnement interne de leurs structures par FTDA.
- Une nouvelle position au sein du champ associatif.
3. DEPUIS LES ANNEES 90 : LA RECOMPOSITION DU MILIEU ASSOCIATIF
Dans les années 90, la restructuration de l’OFPRA et l’émergence de politiques beaucoup plus restrictives a fait naître une nouvelle question : celle des déboutés du droit d’asile. De petites associations telles que le GISTI ou la ligue des droits de l’homme se sont alors mobilisées pour défendre ces déboutés. FTDA au contraire a pris du retrait dans le militantisme.
FTDA : une conception stricte du droit d’asile.
FTDA pense depuis toujours dans les catégories instituées par l’Etat. Son mode de raisonnement correspond au cadre institutionnel et le but de FTDA consiste à s’assurer de l’application stricte de la Convention de Genève. Depuis les années 90, le rejet des demandes d’asile est devenu la règle pour une exception de 5 à 20%. Dans ce contexte, contrairement à d’autres associations, FTDA a souhaité défendre la même plate forme politique : celle des demandeurs d’asile et réfugiés uniquement. FTDA ne souhaite pas intervenir en faveur de l’ensemble des migrants. Ainsi, l’association considère comme normal (parce que légal) que les déboutés du droit d’asile ne soient plus admis dans les CADA. Cette position vaut certes à FTDA de nombreuses critiques de la part d’associations mais cela leur permet d’être des interlocuteurs de référence pour l’Etat.
- A chaque époque, le combat de FTDA reste en adéquation avec la politique gouvernementale.
- Aujourd’hui, dans le champ associatif, la césure ne porte plus sur la question de la décentralisation du DNA. Le clivage se situe désormais sur la manière de concevoir la défense du droit d’asile. De nombreuses associations (DAL, GISTI, LDH, Amnesty, Cimade…) se placent dans une logique plus caritative que FTDA, en voulant prendre en charge l’accompagnement, l’aide ou l’accueil de tous les migrants sans papiers.
Participation de FTDA au sein de collectifs associatifs
FTDA n’a pas abandonné son combat originel : la défense virulente et inconditionnelle du droit d’asile en France. Mais elle se place dans une logique beaucoup plus individualiste qu’à ses origines. Si elle est formellement membre de collectifs associatifs (la CFDA, Anafe…), elle y pratique en fait la politique de la chaise vide. Les associations comme le Gisti, la LDH ou Amnesty disent ainsi n’avoir plus aucun rapport avec FTDA. Parfois FTDA prend des positions similaires à celles de la CFDA mais de manière isolée. Cela s’explique certainement par le hiatus qui existe entre les positions publiques de FTDA (cf pétition sur les faux-déboutés, contestation de lois…) et sa pratique (application stricte et systématique de la politique gouvernementale).
Cette position isolée s’explique aussi par sa stratégie particulière d’action : celle du professionnalisme. Seul Forum Réfugié entretient de bonnes relations avec FTDA car les deux associations sont aujourd’hui de même nature et ont la même conception de leur rôle. Au niveau européen, FTDA participe également au CERE qui regroupe de grosses organisations. Pour P. Henry, il s’agit avant tout d’avoir l’Etat pour partenaire principal, bien plus que le réseau associatif Cet objectif est pleinement accompli puisque les relations FTDA/Etat sont aujourd’hui fortement institutionnalisées. Considérée comme une des plus compétentes par la DPM, FTDA est systématiquement consultée avant tout projet de loi, de règlement ou de circulaire. Ses positions jugées plus raisonnables que celles de la FNARS sont aussi plus prises en compte.
Si les positions revendicatives de la Direction de FTDA sont acceptées par l’Etat, c’est parce qu’il s’agit d’un jeu « conflictuel » très policé, très régulé résultant de compromis toujours négociés.
Fin des années 90, années 2000 : Professionnalisation et reconversion de France Terre d’Asile
1. MUTATIONS DE SON ACTION
Depuis toujours FTDA associe à sa politique d’accueil des actions relatives à l’accompagnement social et juridique des demandeurs d’asile ainsi que des actions relatives à l’insertion des réfugiés (apprentissage de la langue, droit à la formation professionnelle, droit au travail). Mais elle a longtemps refusé de gérer des centres d’accueil. Aujourd’hui, elle souhaite se développer sur toute la chaîne de l’asile.
Depuis 2000, on ne peut que souligner le tournant de l’association :
- FTDA est devenu un gestionnaire important de centres d’accueil (gestion de 13% des centres existants en France, soit la 3ème après la Sonacotra et l’Aftam)
- FTDA est moins active dans la défense du droit d’asile que dans la prise en charge des réfugiés statutaires.
La gestion de Centres.
Depuis les années 2000, FTDA a anticipé la reprise de contrôle du DNA par la DPM. Elle s’est alors engagée dans une politique d’ouverture de CADA.
- En 2001 : FTDA gérait le CADA Créteil (150 pl), le centre de transit Créteil (80 pl), le CPH Créteil (100 pl), le Centre pour mineurs isolés (80 pl). + Coordination du DNA ( DNA comprenait 5000 pl CADA et 1028 pl CPH)
- En 2006 : FTDA gère 28 CADA (2382 pl), le CPH Créteil (100pl), 2 centres pour mineurs isolés (113 pl), 6 centres d’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile (503 pl), plus de 80 logements d’urgence pour réfugiés statutaires (793pl). Soit une capacité totale d’hébergement de 3905 places pour demandeurs d’asile et réfugiés statutaires confondus.
Pour FTDA, il s’agit d’être au cœur du « grand service public de l’accueil ». La défense des demandeurs d’asile consiste pour FTDA à assurer un bon accueil. Or selon d’autres associations, cette stratégie de développement apparaît contestable. Il s’agit d’un choix politique du gouvernement qui souhaite avant tout renforcer le contrôle. Les lois, circulaires ou règlements de ces dernières années ne cessent de favoriser le développement de CADA sur tout le territoire. Parallèlement, le pouvoir des préfets s’est considérablement accru. La concentration en CADA renforce donc le contrôle étatique de ces personnes, leur stigmatisation et parfois même leur infantilisation. FTDA, en étant un des plus importants gestionnaires de CADA, participerait à cette politique.
La prise en charge des réfugiés statutaires
Perdant la mission de coordination du DNA, FTDA a perdu une grande part de ses financements. De ce fait, pour compenser les pertes financières, l’Etat a accompagné FTDA en lui assignant de nouvelles missions.
On remarque ainsi que FTDA se tourne aujourd’hui de plus en plus vers la prise en charge des réfugiés statutaires. Cette nouvelle posture peut aussi s’expliquer par le contexte actuel de forte baisse des demandeurs d’asiles.
- L’Observatoire d’Intégration des Réfugiés : observatoire qui vise à produire l’information et les outils théoriques relatifs à l’intégration des réfugiés statutaires. Il fournit ainsi aux pouvoirs publics les analyses nécessaires à l’évaluation des politiques publiques. Financée par l’Etat, nous pouvons nous interroger sur l’indépendance de cette source d’information ?
- La Clef de France : Programme mis en place depuis 2005. Il s’agit de faciliter l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés statutaires. Mise en relation avec les employeurs et les bailleurs.
- RELOREF : Programme en faveur du logement des réfugiés, lancé en 2004, soutenu par la DPM. Il s’agit notamment de mobiliser des logements au sein du parc privé (choix économique de la DPM).
Quelques actions ponctuelles sur la scène des crises humanitaires.
Enfin, dans cette posture de reconversion, on remarque quelques actions ponctuelles sur le terrain humanitaire. De la crise du Kosovo à celle de Cachan, FTDA s’est réellement transformée en un acteur médiatico-politique : il s’agit pour FTDA de « rendre service » aux acteurs politiques ou étatiques, aux « usagers concernés » et de démontrer son efficacité dans la gestion de l’urgence. Pour l’association, c’est aussi l’occasion de conserver et renforcer sa « bonne image de marque » auprès des pouvoirs publics et de l’opinion.
Le nouveau directeur a su tisser des relations avec des acteurs institutionnels très divers, ce qui lui permet de renforcer sa capacité de négociation. Par ailleurs, FTDA apparaît même parfois comme un outil politique : la crise de Cachan illustre par exemple quelques tensions entre la DPM et le Ministère de l’intérieur.
Parallèlement à la diversification de son éventail d’activités, FTDA s’est quantitativement développée. De 2001 à 2006 ses effectifs salariés sont passés de 136 à 450 (soit dix fois plus de salariés que dans les années 90). Il s’agit donc aujourd’hui d’une « grosse organisation », managée telle quelle.
2. MUTATIONS DE SON ORGANISATION
Quasi disparition des bénévoles
Contrairement à la Cimade où les bénévoles sont nombreux et où ils sont susceptibles d’avoir des responsabilités, les bénévoles sont presque inexistants à FTDA. Il s’agit désormais de salariés assignés à des missions précises, soumis à des horaires stricts et gérés de manière professionnelle par une DRH. En outre, Pierre Henry, le Directeur, n’autorise aucun salarié à se prononcer sur la politique gouvernementale. La règle reste le loyalisme envers les pouvoirs publics, ce qui semble paradoxal pour une association (voir loi 1901) Aujourd’hui FTDA recherche moins l’engagement que les compétences.
Une forte division du travail.
« Chacun a sa place ». La Direction de FTDA est la seule à pouvoir parler au nom de l’association. Le Directeur seul se permet de publier des plaidoyers, des tribunes ou éditos revendicatifs. L’organisation est très centralisée et le Directeur a le monopole des relations publiques et institutionnelles. En bas de l’échelle, la capacité d’initiative et les responsabilités sont nulles. Les responsables de CADA eux-mêmes sont comparables à des représentants de l’administration centrale au niveau déconcentré. Ils ont à rendre des comptes et exigent donc de leurs salariés beaucoup de professionnalisme. La hiérarchie semble donc très forte et le management clairement vertical.
La spatialisation des locaux illustre bien cette forme organisationnelle : au siège, au 4ème étage, en passant par le secrétariat, il est alors possible de rencontrer la clique dirigeante (Direction et DRH). En bas, à l’angle de la rue, quelques salariés rencontrent les demandeurs d’asile. Cette distance salariés/Direction se répercute au niveau des CADA.
Le fonctionnement administratif de l’organisation influe donc sur la manière d’accueillir les demandeurs d’asile et réfugiés. Il semble qu’une hiérarchie informelle se soit de facto instaurée entre les résidents de centres et les salariés de FTDA qui s’apparentent à des fonctionnaires compétents plus qu’à des bénévoles militants.
Renouvellement de génération, renouvellement des représentations.
- Renouvellement de la Direction et des instances (CA et bureau) à la fin des années 90. Une nouvelle génération à la fois proche de l’Etat et du monde de l’entreprise (Conseillers d’Etat, gérants de multinationales, énarques…). Quasi disparition des avocats au sein des instances. Passage d’une culture juridique à une culture économique et managériale. Outre cette nouvelle caractérisation sociologique, les membres des instances de FTDA sont parfois aussi multi-positionnels : membres de la Commission Consultative des Droits de l’Homme, conseillers techniques de cabinet etc …
- Une nouvelle conception de l’organisation. Les « réfugiés » sont désormais des « usagers ». FTDA devenue gestionnaire est un prestataire de services au sein d’un « marché public » compétitif. Elle doit rendre des comptes à son financeur, elle est en concurrence avec d’autres sociétés, et certains n’hésitent pas à dire qu’il faut « faire du chiffre » (sans but lucratif). D’autres la caractérise comme « en perpétuelle chasse aux subventions ».
- FTDA a des obligations d’opérateur et des obligations d’employeur. Elle se conduit, dès lors, au niveau interne comme externe de la même façon qu’une entreprise. Illustration de cette transformation : la grève des salariés en 2000.
- Mise en exergue de son professionnalisme : volonté d’être et de demeurer « un partenaire loyal » de l’Etat.
Cette nouvelle forme organisationnelle éloigne de plus en plus FTDA de l’idéaltype associatif. La Cimade a même cessé toute coopération technique avec FTDA depuis 1997 et considère que leurs relations sont très tendues depuis le changement de Directeur.
Cette nouvelle ligne d’action s’effectue au prix de fortes discordes internes (voir le livre noir publié par les grévistes) et inter-associatives.
Conclusion : Quel avenir pour FTDA
Concernant la situation partenariale avec l’Etat, elle est solide et ne cessera certainement de se consolider. Concernant les perspectives de développement, le Directeur les situe sur la scène internationale. Il projette en effet un cycle futur de réadmission des demandeurs d’asile au niveau européen, et pense que dans cette perspective, FTDA pourra jouer un rôle dans les pays limitrophes (Maghreb notamment) pour accueillir les demandeurs d’asile de pays tiers qui y sont bloqués. L’enjeu de l’intégration des réfugiés est également une ligne d’action prioritaire pour FTDA dans les prochaines années. Enfin, le Directeur n’exclut pas un possible renouvellement de la Direction d’ici quelques années, ce qui pourrait encore modifier la ligne d’action de l’association. Néanmoins, pour comprendre celle-ci une monographie sur le long terme s’avèrera toujours indispensable, ce que nous avons donc tenté ici d’esquisser.
Dufour Eloïse
24/11/06
Sources :
Entretiens
Entretiens téléphoniques :
1) Responsable de la communication à FTDA, le 7 Novembre, 20 minutes.
2) Salarié, spécialisé sur le droit d’asile, de la Cimade, le 8 Novembre, 20 minutes.
3) Chef du service urgence sociale et intégration dans une DDASS, le 9 Novembre, 25 minutes.
4) Etudiants auteur d’un mémoire sur FTDA , le 9 Novembre, 20 minutes.
5) Salariée du GISTI, le 14 Novembre 2006, 25 minutes.
6) Responsable de Forum Réfugiés, le 14 Novembre 2006, 30 minutes.
Entretiens en présence :
7) Ancienne stagiaire à FTDA (5 mois au siège) puis contractuelle (Conseillère juridique en CADA, démission au bout de 3 mois), le 3 Novembre, 1h45.
8) Ancien salarié de FTDA devenu salarié de l’ANAEM, le 3 Novembre, 1h25.
9) Responsable de la communication à FTDA, le 8 Novembre, 40 minutes.
10) Employée à FTDA depuis les premières années, le 8 Novembre, 1h10.
11) Responsable de France Terre d’Asile, le 20 Novembre, 1h.
12) Chargée de mission au bureau des demandeurs d’asile et réfugiés, Ministère des Affaires Sociales / DPM, le 20 Novembre, 15 min.
13) Chargée de mission bureau des demandes d’asile et réfugiés Ministère des Affaires Sociales / DPM, le 20 Novembre, 30 minutes environ.
14) Salarié Cimade, ancien salarié de FTDA (1994-2000), le 21 Novembre, 45 minutes.
Bibliographie
Ouvrages
J. ION, La fin des militants ?, Paris, Editions de l’atelier, 1997.
G. NOIRIEL, Réfugiés et sans papiers. La République et le droit d’asile, XIX-XXe siècle, Paris, Hachette, collection « Pluriel », 1998.
J. SIMEANT, La cause des sans-papiers, Presses de Sciences Po, 2000.
Articles
F. BOITARD, « L’Etat et les associations, entre méfiance et allégeance », in Hommes et Migrations, n°1229, janvier-février 2001.
O. BRACHET ET F. BOURGEOIS "Tensions dans les rapports pouvoirs publics/associations dans le dossier de l’asile", in La revue internationale et stratégiques, n°50, été 2003
A. COLLOVALD , De la défense des "pauvres nécessiteux" à l’humanitaire expert - Reconversion et métamorphoses d’une cause politique, Politix, numéro 56, 2001.
A. DECOURCELLE, « France Terre d’Asile, association de malfaiteurs ? » (à propos de la grève de salariés de FTDA) – Courant Alternatif, n°98, avril 2000
« Des salariés d’associations soutiennent les grévistes de FTDA », Vacarme n°12
Articles du journal Le Monde relatifs à la grève des salariés de FTDA en 2000 (7 semaines).
Travaux universitaires
F. CARTON, rapport de stage au siège de FTDA, 2003.
M. CHRETIN, M. DELANNOY, « Etude sur les Demandeurs d’Asile et les Déboutés du Droit d’Asile en Région Parisienne : Accueil, Orientation, Hébergement, Accès aux Soins », Master Professionnel Economie du Développement et Analyse de Projets, CERDI, Université d’Auvergne, Juin 2005, 102 p.
E. DEYSIEUX, « Gérer l’arrivée des demandeurs d’asile politique : du national au local. Etude du dispositif d’accueil Bordelais », Maîtrise de Sociologie, Université de Bordeaux 2, 2003, 86 p.
C. MARCOS, « La professionnalisation du militantisme associatif – L’exemple de la Cimade, service œcuménique d’entraide », DEA Gouvernement Option Sociologie de l’action publique, Dir. M. Offerle, 2003, 209 p.
L. MILLIAT, « L’accueil des demandeurs d’asile : la politique dissuasive de la France – Etude sur l’agglomération lyonnaise », IEP Grenoble, Dir. D. Demoustier, 2002, 129 p
C. NEYRON, « le rôle des ONG professionnalisées dans les politiques de l’asile en France », note de synthèse, Université Paris 1, 2004.
A. VAN ERKELENS, « Comment est géré un Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile lorsqu’il donne lieu à une convention entre l’Etat et une association ou une entreprise ? », note de synthèse, Université Paris 1, 2005.
B. YLMAZ, « Experts en solidarité. Etude du travail salarié dans une association de défense du droit d’asile. », Mémoire de DEA, Université Paris 1, 2005.
Documents officiels
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« Asile et réfugiés », supplément du n°58 de La lettre de la DPM, décembre 2004.
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Rapport annuel 2004 de la DPM.
Publications associatives
« FTDA, Historique de l’accueil et de la formation initiale des réfugiés en France. Quelques réflexions sur cette organisation », par Gérold de Wangen, secrétaire général de FTDA, Mars 1980.
Revue Pro Asile n°9 à 14.
Rapport Annuel de FTDA 2005.
La revue de l’Observatoire de l’Intégration
Le livre noir de FTDA, 2000.
Les cahiers du social n°2.