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La blancheur bakaa, une majorité bien spécifique

race, classe et ethnicité dans les situations de démolition à Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane

Clémence Leobal
Clémence LEOBAL est sociologue, docteure (Paris 5/Cerlis-Iris) et post-doctorante au Labex Tepsis (EHESS). Sa thèse traite des politiques de logement à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, et leurs réappropriations par les habitants bushinengués. Ses recherches actuelles portent sur la production de la frontière du Maroni comme espace vécu entre (...)

citation

Clémence Leobal, "La blancheur bakaa, une majorité bien spécifique race, classe et ethnicité dans les situations de démolition à Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane", REVUE Asylon(s), N°15, février 2018

ISBN : 979-10-95908-19-7 9791095908197, Politique du corps (post) colonial, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1412.html

résumé

Saint-Laurent-du-Maroni est une ville située en Guyane, sur le Bas-Maroni : ce fleuve constitue la frontière entre la Guyane, département français d’Outre-Mer, et le Surinam, ancienne colonie hollandaise indépendante. En périphérie de la ville, on trouve beaucoup de maisons en planches ou en parpaing, construite en dehors des réseaux formels de construction. Un de ces quartiers se trouve précisément à l’endroit où les autorités locales veulent construire 4 000 logements, sur une ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) – projet qui mobilise les énergies de nombreux acteurs institutionnels municipaux, étatiques (services déconcentrés des Ministères). Sur le terrain prévu pour cette ZAC, de nombreux habitants vivent dans des maisons en bois (6 000 personnes y ont été recensées dans un habitat dit « spontané » en 2011). Ces maisons ont été construites par des réseaux informels de constructeurs, et les terrains défrichés et mis en valeur par les habitants. Ces derniers n’ayant pour la plupart pas de titre de propriété du terrain, ni de permis de construire, leur habitat est considéré comme illégal par les autorités – ce qui s’ajoute au fait que certains d’entre eux n’ont pas de titre de séjour sur le sol français. En conséquence, certaines maisons ont été démolies au bulldozer entre 2011 et 2013, au moment des premiers terrassements, et d’autres sont menacées de l’être à mesure que le chantier de construction avance. J’analyse ici les rapports sociaux à l’œuvre dans cette situation de conflit en articulant classe, race et ethnicité.

The « Bakaa » whiteness : articulation race, class and ethnicity in conflicts around the demolition of « spontaneaous » habitat in Saint-Laurent-du-Maroni, French Guyana

Saint-Laurent-du-Maroni is town in French Guyana located in the Bas-Maroni. This river draws the frontier between Guyana, a French overseas department and Surinam, a former French colony. On the periphery of the town, one can find many spontaneous housing that are currently under threat of being demolished due to a particular urban policy of the French State. Through the story of the struggle of one particular woman of Maroon descent to defend her home, this paper highlights the way race, class, and ethnicity are intertwined in conception of land habitat.


La blancheur bakaa, une majorité bien spécifique : race, classe et ethnicité dans les situations de démolition à Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane.

En Guyane, les rapports de domination sont le plus souvent analysés entre des groupes sociaux définis en termes ethnicisés, c’est-à-dire par leur origine culturelle supposée [1]. Ces catégories recoupent souvent une langue, ou une nationalité d’origine. La plupart des travaux de sciences sociales sur la Guyane adoptent une grille d’analyse en termes d’ethnicité [2] ou d’ethnicisation. La description de la structure sociale guyanaise, dans les écrits en français, passe par une énumération « à la Prévert » des différents groupes qui peuplent cette ancienne colonie, qui formeraient une « mosaïque » de cultures différentes.

Toutefois, la métaphore de la « mosaïque » présente les différentes parties de la société comme juxtaposées, sans insister sur les hiérarchies qui les traversent et les constituent. Dans les années 1960, des anthropologues britanniques ont débattu la notion de société « pluraliste ». Burton Benedict tirait déjà, à propos de la stratification sociale de l’île Maurice, la conclusion d’une impossibilité de déterminer la structure sociale en s’appuyant sur ces catégories ethnicisées, estimant nécessaire d’analyser les structures économiques et politiques pour expliquer les rapports de domination :
« The Europeans in Mauritius do not hold their position at the top of the social hierarchy because of ethnic or cultural characteristics, but because they control the political, legal, and economic machinery of the island [3]. »
Cet auteur remet en cause un modèle universel de stratification qui serait valable pour le monde entier, et invite à examiner les déclinaisons particulières de la stratification dans les sociétés issues du colonialisme : les distinctions y sont entre autres formulées en termes ethniques, mais les classes sociales restent un outil analytique indispensable ainsi que les rapports de race [4].

Ces réflexions critiques autour de la notion de « sociétés pluralistes » n’ont pas été appliqués à la Guyane. Pourtant, on ne peut pas s’y passer d’une analyse intégrant les rapports de classe structurant des inégalités d’accès aux capitaux économiques et culturels, même si les catégories professionnelles qui fondent habituellement les analyses en termes de classe semblent peu utiles pour comprendre la société guyanaise actuelle [5]. Par ailleurs, il importe de spécifier la majorité par rapport à laquelle sont définies ces minorités ethniques. Si les catégories ethnicisées sont changeantes en fonction des situations [6], c’est qu’elles sont forgées dans des rapports de pouvoir entre des groupes majorisés et d’autres minorisés : le point commun entre tous les groupes ethnicisés dans cette « mosaïque », c’est qu’ils sont minorisés dans un contexte donné, c’est-à-dire « sociologiquement en situation de dépendance ou d’infériorité (mineurs, soit en pouvoir soit en nombre) » [7].

Au contraire d’une autodéfinition implicite de la majorité comme universelle, cet article vise à analyser la majorité, en l’occurrence définie comme bakaa, dans sa spécificité. Cette analyse porte sur la situation bien concrète qu’est la démolition d’une maison, mettant en jeu des rapports sociaux ancrés dans l’espace, dans le contexte de Saint-Laurent-du-Maroni, ville située sur le Maroni, à la frontière entre la Guyane, département français d’Outre-Mer, et le Surinam, ancienne colonie hollandaise. Des hiérarchisations de classe, de race et d’ethnie s’articulent différemment en fonction de l’énonciateur et du contexte d’énonciation.
Je m’appuierai sur des données ethnographiques [8] recueillies auprès d’habitants de cette zone. Au cours de deux longs terrains en 2013 et 2014, j’ai appris la langue bushinenguée. Les habitants que j’ai rencontrés appartenaient à des classes populaires tirant leur revenu soit de prestations sociales, soit de « jobs » non déclarés, pratiqués des deux côtés de la frontière, notamment dans l’agriculture vivrière, l’orpaillage, le bois, le transport fluvial, la construction, ou encore le commerce transfrontalier. Certains d’entre eux sont de nationalité surinamaise, d’autres français. Ces personnes se définissaient comme Bushikonde sama : ce qualificatif renvoie à l’ensemble des six groupes marrons issus du marronnage des plantations surinamaises. Ces groupes avaient formé, depuis le XVIIe siècle, des sociétés autonomes en amont des fleuves amazoniens [9]. Ils sont engagés dans un processus migratoire vers les villes du littoral depuis un demi-siècle, notamment à Saint-Laurent-du-Maroni.

Pour saisir la catégorie bakaa, renvoyant à une forme locale de blancheur, il faut saisir des processus sociaux dans ces interactions entre gouvernants et gouvernés, dans lesquels des catégorisations de race, de classe, d’ethnicité sont mises à l’œuvre. Dans un premier temps, je détaillerai ce que cette blancheur bakaa a de spécifique, dans la mesure où ce terme se distingue de l’adjectif de couleur blanc (weti), et renvoie non seulement à des catégorisations des personnes, mais aussi des maisons ou de l’État. La relation d’enquête que j’ai développée avec les habitants d’un secteur menacé met en lumière les enjeux de classe, de racialisation et d’ethnicisation exprimés par la catégorisation de Bakaa dont je faisais l’objet.
À travers le cas de Gisela, qui refuse de quitter sa maison dans un secteur en construction, alors que la plupart de ses voisins sont partis face à la menace du bulldozer, je montrerai comment ces catégorisations peuvent être articulées de manière complexe dans sa lutte pour rester sur place. D’une part, elle mobilise le registre de l’ethnicité pour dire sa fierté de pratiquer des modes d’habiter qualifiés de Bushikonde, par opposition aux pratiques des Bakaas. De l’autre, elle développe une argumentation légaliste : elle mobilise la grammaire du droit français pour « braconner » sur le territoire de l’État [10].

La spécificité d’une blancheur bakaa dissociée du signe coloré

Le terme de Bakaa peut être traduit par Blanc ou Occidental : à mes demandes d’explications sur ce terme, on me renvoyait fréquemment la phrase : « Bakaa ? C’est toi ! ». Ce terme ne renvoie pas toutefois pas à la couleur blanche. Il existe un autre mot dans la langue locale pour désigner cette couleur, weti. Weti et bakaa se recoupent souvent, mais pas systématiquement. Selon Richard Price [11], il désigne tous ceux qui viennent du littoral et donc du monde colonial, par opposition aux Marrons et Amérindiens qui vivaient libres, en amont des fleuves amazoniens. Il pourrait donc inclure à la fois les Blancs (qu’ils soient Français ou Hollandais, ou autre), mais aussi les descendants d’esclaves affranchis au moment des abolitions, les Créoles. Au quotidien, lors de mon enquête, le mot bakaa était essentiellement utilisé pour désigner des Blancs, comme un équivalent. En témoigne cette scène qui s’est déroulée alors que j’étais sur la terrasse de la famille qui m’hébergeait. Un enfant arrive de l’extérieur et demande à acheter quelque chose à la propriétaire des lieux. Je me lève et lui vends sa marchandise. Il s’exclame dans sa langue, en s’adressant à la propriétaire assise :

L’enfant : C’est une Bakaa qui est là ?
La propriétaire : Oui. Tu ne vois pas comme elle est blanche (weti) ?
L’enfant : Et elle parle la langue comme ça ?
La propriétaire : Oui, elle l’a appris, comme toi tu apprends la sienne.
(Journal de terrain, 2014).

Si le plus souvent, la catégorie de Bakaa est utilisée comme un équivalent de celle de Blancs, il peut y avoir des exceptions. Une petite fille me parlait un jour d’une institutrice en la qualifiant de Bakaa à la peau marron : j’ai su par ailleurs qu’elle était antillaise. Pour cette petite fille, le terme bakaa incluait une personne représentant l’école française, ne parlant pas la langue locale, y compris si sa peau était de couleur marron. Elle m’en parlait, en français, pour souligner la contradiction, à ses yeux, constituée par le fait que cette Bakaa critique les Blancs, alors que pour l’enfant, elle relevait d’une même catégorie. La catégorie bakaa renvoie à une blancheur distincte du phénotype.

Les processus de classements sociaux sont différents en fonction des lieux et des contextes. L’héritage des « sociétés de plantations » et de la résistance à l’esclavagisme se reflète dans cette catégorie de bakaa. Raymond T. Smith soulignait que les plantations sont une institution totale qui informe les caractéristiques générales de ces sociétés, même pour ceux qui n’y étaient pas directement impliqués [12]. La catégorie de bakaa est un héritage du passé des plantations, commun aux différents lieux des Caraïbes : la discussion lors du séminaire Nœuds du Monde a permis de souligner la proximité sémantique de cette catégorie avec celle de Béké aux Antilles, utilisées pour désigner les Blancs descendant des colons. De même en Jamaïque, le terme « backra » renverrait historiquement à la fois aux hommes blancs, mais aussi aux élites métisses [13]. Étymologiquement, ce terme de « bakra » employé dans de nombreux pays des Caraïbes serait le dérivé d’un mot employé dans les langues africaines Ibo et Efik, « mbakara », qui signifie « celui qui gouverne ou encercle » [14]. En outre, en argot africain-américain des États-Unis, le terme bakra ou buckra désigne un chef [15]. Dans le contexte saint-laurentais, le terme de bakaa connote une position de gouvernement. Il s’agit d’une catégorie racialisée dans laquelle la couleur de peau joue un rôle important, mais pas déterminant. Elle est associée à la notion de domination et de pouvoir – une définition politique de la race [16], en somme.


Une enquêtrice
bakaa sur le terrain des démolitions

En périphérie de la ville, on trouve beaucoup de maisons en planches ou en parpaing, construite en dehors des réseaux formels de construction. Un de ces quartiers se trouve précisément à l’endroit où les autorités locales veulent construire 4 000 logements, sur une ZAC (Zone d’Aménagement Concerté) – projet qui mobilise les énergies de nombreux acteurs institutionnels municipaux, étatiques. Sur le terrain prévu pour cette ZAC, des habitants vivent dans des maisons en bois : 6 000 personnes y ont été recensées dans un habitat dit « spontané » en 2011 [17]. Ces maisons ont été construites par des réseaux informels de constructeurs, et les terrains défrichés et mis en valeur par les habitants. Ces derniers n’ayant pour la plupart pas de titre de propriété du terrain, ni de permis de construire, leur habitat est considéré comme illégal par les autorités – ce qui s’ajoute au fait que certains d’entre eux n’ont pas de titre de séjour sur le sol français. En conséquence, certaines maisons ont été démolies au bulldozer entre 2011 et 2013, au moment des premiers terrassements, et d’autres sont menacées de l’être à mesure que le chantier de construction avance.

En 2013, lorsque l’on s’avançait sur la piste des Vampires, de grandes surfaces de terre rouge aplanies s’étalent devant nous, sur lesquelles les garçons du quartier viennent jouer au football en fin d’après-midi. Sur leur pourtour et parfois au beau milieu de ces terrains se dressaient des buttes herbeuses, disséminées, sur lesquelles étaient juchées des petites maisons en planches ou en parpaing. Le chantier d’un « Pôle Médico-Social » avait commencé. Derrière le futur Pôle, des logements collectifs commençaient à être construits. Les démolitions des maisons situées sur le chantier actuel avaient déjà eu lieu. En 2011, lors de la réalisation des premiers terrassements, les maisons éparses sur le secteur avaient été frôlées de près par les bulldozers. Cette stratégie d’intimidation avait abouti au départ de la majorité des personnes habitant sur le site même du chantier. Lorsque j’ai commencé mon enquête de thèse en janvier 2013, j’ai été frappée par la violence de ce spectacle : au milieu de ces terrains découpés à la machine, ces maisons qui auraient pu être coquettes dans un environnement végétal, me semblaient tout à coup fragiles, comme prêtes à tomber. C’est dans l’une d’elle qu’habitait la famille dont je vais parler ici : cette maison, relativement cossue, et réalisée en dur, était une des seules à être encore debout, au milieu des terrassements déjà réalisés par la société d’aménagement.

Au début de mon enquête, je voulais rencontrer des personnes concernées par les politiques de construction et démolition de logements menées par l’État français. J’ai rencontré quelques personnes par l’intermédiaire d’une anthropologue, Diane Vernon, qui travaillait à l’hôpital, en tant que médiatrice culturelle, une figure locale très connue essayant, depuis plus de vingt ans, de faire se comprendre patients et personnels. Grâce à cette anthropologue, j’ai pu rentrer en contact avec une femme de mon âge, Tania, qui vivait dans un quartier menacé de démolition. Cette relation d’enquête s’est poursuivie au cours des mois : je lui rendais fréquemment visite et me promenais ainsi dans le quartier. Elle a été marquée par l’inégalité de nos positions et par un grand malaise de mon côté. Ce malaise s’explique par l’ambivalence de ma position d’ethnographe [18], à qui Tania adressait de fortes attentes : elle me comparait aux assistantes sociales, ou aux infirmières qui lui rendaient visite, et me demandait de l’aide pour « trouver une maison », puisque c’était mon domaine de recherche [19].
Cette relation m’apparait a posteriori comme révélatrice de la racialisation des institutions : comme j’étais blanche, jeune, métropolitaine, diplômée, et que je lui avais été présentée par l’anthropologue en poste à l’hôpital, j’appartenais à ses yeux au monde des institutions étatiques, en dépit de mes virulentes dénégations (je me présentais comme travaillant pour une université parisienne sur l’habitat). En témoigne cet extrait de mon journal de terrain, où nous parlions de la façon dont elle était reçue dans les bureaux des administrations :

Tania : "Quand tu vas dans un bureau, il faut avoir des manières humbles (Te yu kon na a kantoo, yu musu abi saka fasi)". Elle, personne ne l’a jamais insultée dans un bureau. Même avec moi, quand je suis venue la première fois, elle est restée simple, saka fasi ! Et voilà que je suis revenue.
Elle m’assimile aux gens des bureaux. Qu’attend-elle de moi ?
(Journal de terrain, 22 février 2013).

Dans mes relations avec les habitants, j’étais généralement perçue comme blanche, ou dans la langue locale, « Bakaa », et rattachée aux institutions locales. En témoigne cette autre scène lors d’un entretien avec un homme du voisinage, qui portait son bébé sur ses genoux :
Le bébé pleure. Le père veut me le donner mais le bébé refuse. Le père raconte qu’il a été effrayé par une infirmière blanche. Je blague à l’adresse de l’enfant : « Je ne vais pas te piquer ! » Son père : « Il pense que tu vas le piquer avec le stylo ! » (rires). (Entretien, 15 mai 2013.)
Cette racialisation dont je faisais l’objet était en partie fondée sur la couleur de ma peau, et mon origine métropolitaine, mais aussi sur mes pratiques : je rendais des visites à domicile, en prenant parfois des notes ou des photos, apprenais à parler la langue locale… autant d’éléments qui me faisaient objectivement ressembler, malgré moi, à une assistante sociale, par exemple.
C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Gisela. À l’occasion d’une visite à Tania, je me promenais avec sa fille de quatre ans dans le quartier en chantier, et photographiais des maisons qui restaient debout, isolées sur leur petit tas de terre. Un jeune homme me vit d’en haut et me fit signe de monter : il me parlait en français. Je lui ai expliqué ma recherche, et il m’a proposé de venir voir sa grand-mère pour l’interviewer.
En parallèle, j’ai réalisé un entretien à la société d’aménagement : la chargée de mission relogement, Caroline, essayait de convaincre les habitants de faire déposer des demandes de logements aux gens à la Siguy et Semsamar pour ceux qui ont des papiers et de faire avoir des papiers aux autres, avait évoqué ce cas qui bloquait tout le chantier :

« La grand-mère Adoini fait de la résistance, sa petite-fille est venue me voir pour demander un logement, donc j’ai demandé si elle ne pouvait pas demander pour sa grand-mère aussi. Mais elle a une maison à Papaichton, donc au pire si on casse sa maison… alors que faire, l’indemniser quand même ? Qui va calculer le montant, il faudrait un huissier ? J’avais demandé un huissier, mais mon directeur a mis le hola donc je suis bloquée. »
(Entretien du 3 juin 2013).

Elle s’occupait de la famille de Gisela, « la mamie qui fait de la résistance », comme elle aime le dire avec dérision (par référence à la comédie Papy fait de la résistance, minimisant ainsi la portée de cette action).
Plus tard, je suis reçue par Gisela pour un entretien, en présence de son petit-fils qui nous aide parfois quand nous ne nous comprenons pas – la grand-mère, elle ne parle pas français, mais une variante de la langue locale à laquelle je ne suis pas accoutumée, l’aluku [20]. Je ne mentionne pas l’entretien que j’ai eu à la société d’aménagement – qui témoigne toutefois du bien-fondé des catégorisations qui me rattachent au côté des institutions, auxquelles j’ai plus ou moins accès dans le cadre de mon enquête. Le petit-fils me présente d’abord comme une « journaliste » : je le reprends. Au cours de l’entretien, Gisela me demande ce que je ferai quand j’aurai terminé mon « stage », manière de me rattacher à l’institution scolaire française. La catégorisation de Bakaa qui m’est appliquée renvoie donc à des lignes de race, de classe, mais aussi de rapport à l’État.

La fierté d’évoquer des modes de vie «  bushikonde  »

Les catégories produites par les habitants pour parler des pouvoirs publics et de leurs agents sont forgées par opposition au soi. Dans les discours portés sur l’État, les catégories employées par les habitants renvoient à une forme de blancheur (Bakaa), dont relèvent les institutions de l’État et leurs agents. Par opposition, dans les discours portant sur les Bakaas, les catégories du soi ou du nous, différente des Bakaas, apparaissent en creux. Elles peuvent être formulées de diverses manières. Dans des discours dévalorisant cette appartenance, les termes employés renvoient à la situation matérielle (poti, pauvre ou humble), à l’absence de nationalité française ou de compétence linguistique en français, ou encore à la noirceur (Baakaman, Noirs). Par ailleurs, les discours d’affirmation valorisant une appartenance collective passent par des catégories ethnicisées comme celle de Bushikonde. Ainsi, les classifications ordinaires des individus articulent tantôt des oppositions de classe (Bakaa vs potiman, pauvre ou humble), tantôt des oppositions racialisées (Bakaa vs Baaka, Noirs), tantôt des oppositions ethnicisés (Bakaa vs Bushikondesama).

Dans sa lutte pour rester sur place, Gisela défend avec fierté ses modes d’habiter, utilisant pour cela le registre de l’ethnicité : ses pratiques de l’espace sont qualifiées de bushikonde, par opposition aux modes d’habiter et de gestion de la terre bakaas dont elle conteste la légitimité.
Sur la butte, il y a en fait trois maisons : Gisela vit dans la première, la plus grande, avec cinq de ses petits enfants qui vivent avec elles, et dont une a déjà 3 enfants. Son fils vit dans une petite maison en planche au fond du jardin. Un voisin ndyuka dont la maison a été démolie est venu s’installer à côté d’eux, dans une petite maison en tôles récupérées.

Outre son caractère collectif, cet habiter intègre des espaces extérieurs domestiqués. La maison de Gisela a des murs en parpaing, et une grande terrasse décorée avec un carrelage coloré : c’est sur cette terrasse que se trouvent la gazinière et les ustensiles de cuisine. S’y déroulent donc beaucoup d’activités quotidiennes : la préparation de la nourriture, sa consommation, les discussions... C’est sur sa terrasse, ou dans son hamac pendu entre deux arbres du jardin, qu’elle me reçoit. Le jardin qui sépare les trois maisons est bordé de diverses plantes décoratives et d’arbres fruitiers : en regardant le jardin, on oublie complètement que l’on est au milieu d’un chantier – sauf que l’on entend les camions passer, et que l’on a encore aux pieds cette boue rouge et collante de la latérite du chantier.

Enfin, cet habiter à Saint-Laurent n’est pas exclusif d’autres lieux de résidence, et est inséré dans des « configurations de maisons » transfrontalières [21] : ainsi, Gisela possède une autre maison en dur, qui est d’ailleurs un logement social en amont du fleuve, à Boniville. Si elle ne fréquente pas tellement le Surinam, contrairement à d’autres habitants que j’ai rencontrés, elle a vécu à Cayenne, et a l’habitude de s’y rendre chez des parents. Pour Gisela, sa maison de Saint-Laurent représente un élément parmi d’autres dans un ensemble de lieux d’habitat potentiel, où elle se rend fréquemment, incluant l’amont du fleuve (ici, pays Aluku) et une plus grande ville du littoral (ici, Cayenne).
Gisela refuse l’idée d’aller vivre dans les logements sociaux de type HLM, comme cela a été proposé à ceux de ses anciens voisins qui possédaient des papiers français :

« C : Vous ne voulez pas aller dans ces logements ?
G : Je ne veux pas un logement collectif (bâtiment), je n’aime pas ça. Je veux ma propre maison, et je paie, et voilà. Parce que j’ai déjà dépensé tout mon argent, j’ai tout dépensé.
C : Pourquoi vous n’aimez pas les logements collectifs ?
G : Je n’aime pas rester à l’intérieur d’une maison. J’aime marcher, nettoyer le terrain.
C : Vous aimez être à l’extérieur ?
G : Oui, je n’aime pas rester à l’intérieur, j’ai chaud. Je n’ai pas l’habitude, les Marrons (Bushikondesama) n’ont pas l’habitude de ces choses-là. Certains aiment ça, mais ce n’est pas nous tous qui aimons ça.
C : Vous avez de l’air.
G : Oui, vous avez des arbres fruitiers… l’air qui souffle, ça ne s’achète pas ! » (Entretien du 4 juin 2013)

À cette identification ethnicisée d’un habiter Bushikondesama s’oppose le logement social, qui renvoie aux « Bakaas » : le logement social dont elle a été attributaire à Boniville est appelé « maison bakaa ».

C : Mais s’ils viennent détruire la maison, comment allez-vous faire ?
G : Je retourne en amont (tapsey). Je pars sur mon fleuve. Dans mon village. Comme j’ai dépensé de l’argent dans celle-ci, je n’aimerais pas qu’on la détruise. Mais j’ai ma maison en dur (siton osu) là-bas. J’ai ma maison bakaa (Bakaa osu) à Boniville. J’ai un bon endroit là-bas. J’ai tout là-bas.

Cette potentialité lui donne ainsi une ressource supplémentaire pour résister face aux menaces d’expulsion, puisqu’elle lui offre une solution de repli. Cette dernière n’est pas envisagée pour ses petits-enfants adolescents, par contre, qui ne veulent pas quitter la ville :

C : Quand vous rentrez sur le fleuve (tapsey), les enfants viendront avec vous ?
G : Les enfants, ils seraient fatigués ! Ils ne pourront pas, ils ne veulent pas vivre sans pain (den na wani fika a beele) ! (Rire). (Entretien du 4 juin 2013).

Le gouvernement (lanti) est lui aussi associé à cette catégorie de Bakaa, et Saint-Laurent est un pays bakaa. Gisela répète à plusieurs reprises ce lieu commun que « dans le pays des Bakaas, on passe son temps à payer ! », par opposition à l’amont du fleuve où tout serait gratuit (l’accès à l’eau, les poissons que l’on pêche, les terrains pour construire). En outre, à Saint-Laurent, le gouvernement français peut déloger les gens : « Les Français, c’est comme cela qu’ils sont : ils virent les marrons et les mettent ailleurs. » Au contraire, « sur le fleuve, les Bakaas ne peuvent pas venir t’expulser, ils ne peuvent pas t’embêter comme ça. » Elle construit donc une opposition entre cette identification comme personne Bushikonde, renvoyant aux marrons dans leur ensemble, et les Bakaas. Dans le même temps, sa stratégie pour rester sur place implique des concessions aux normes en vigueur dans le pays bakaa.


Lutter par le droit
bakaa

Gisela refuse que l’on détruise sa maison qui lui a coûté si cher. Elle propose ainsi logiquement, adoptant le registre des Bakaas, de payer pour acquérir le terrain, et pouvoir ainsi la garder :

« Ils pourraient la laisser pour moi et je paierais le terrain. Voilà ! De toute façon, c’est comme ça au pays bakaa (Bakaakonde) pour eux. De toute façon, le pays des Blancs, une fois que tu y es, il faut sans cesse payer ! »
(Entretien, 4 juin 2013)

Dans son récit d’installation, elle met en avant sa bonne foi quant à la légalité du processus. Gisela est venue à Saint-Laurent en 2001. Auparavant, elle vivait en amont du fleuve, en pays aluku, sur la commune de Maripasoula, dans un village où elle possède un logement social. Mère de 8 enfants, elle en a déjà vu mourir cinq : « Ils sont tous morts en me laissant leurs enfants ! ». Désormais responsable de l’éducation de cinq de ses petits-enfants, elle décide de s’installer à Saint-Laurent pour faire face au manque de ressources : « Quand je suis venue ici à Saint-Laurent, j’ai fait mon possible pour toucher leur argent. Je n’aurais pas pu rester m’occuper d’eux là-bas. ». Ce déménagement leur permettait aussi de poursuivre leur scolarité au lycée, la commune de Maripasoula n’en comptant pas. À son arrivée à Saint-Laurent, elle a longtemps cherché un logement, étant hébergée chez les uns et les autres. Quand son frère a défriché, à la hache, cette zone alors couverte de végétation, elle en a alors profité pour faire construire sa maison à côté de celle que son frère avait construite pour lui :

« Il m’a donné une petite place. Et il m’a dit de faire ma maison. Mais ce qu’il m’a dit, c’est qu’il payait ce terrain. Il disait qu’il payait pour le terrain. (…) Il m’a menti ! »
(Entretien, 4 juin 2013)

En faisant ce récit, Gisela insiste ainsi sur sa bonne foi : elle pensait que son frère avait un titre de propriété, et ne savait donc pas que le terrain appartenait au gouvernement, ni que ce dernier avait des projets d’aménagement – sans quoi elle n’aurait pas investi autant dans la construction de cette maison en dur.
Par la suite, le gouvernement (lanti) est « venu dans l’histoire » (kon a ini a problème), en venant raser les terrains tout autour. Son frère a quitté les lieux, et sa maison a été détruite. Il n’a reçu aucune indemnisation, malgré ses protestations concernant ses arbres fruitiers :

« Ils ne lui ont même pas donné les fruits. Ils ne l’ont pas payé. Il a protesté mais ils n’ont pas voulu le payer. Il leur a dit qu’ils devaient payer pour ses arbres, les arbres fruitiers, ils n’ont pas voulu ! (…) Parce qu’ils ont tué les arbres fruitiers ! Tu perds sur l’arbre. Tu as acheté l’arbre, tu l’as fait pousser. La personne l’a arraché, elle peut payer pour l’arbre fruitier. Ils ne veulent pas payer. »
(Entretien 4 juin 2013)

Depuis le moment des terrassements de 2011, Gisela reçoit aussi des visites lui intimant de partir, par les policiers municipaux (« ceux qui sont à côté de l’Eglise »), ils n’arrêtent pas de venir (Den kon naaaamo seefi). Quand ils sont venus raser, en 2011, elle a appelé un avocat : « Maintenant, j’ai demandé à une personne de m’aider à parler avec le gouvernement. ». Le dialogue entre l’avocat et le gouvernement n’est pas encore achevé.
Gisela adopte ainsi une stratégie légaliste, qui est ici une lutte individuelle. Elle passe par un avocat de Saint-Laurent, en exigeant de pouvoir acquérir son terrain, ou du moins être indemnisée pour sa maison. Gisela s’approprie donc le vocabulaire et les usages de ce pays bakaa. Elle recrute ainsi un avocat, et argumente de sa bonne foi. Sa stratégie consiste donc à manier les armes des institutions, en espérant ainsi obtenir gain de cause, c’est-à-dire pouvoir rester [22]. Gisela concluait ainsi : « Voilà. Je reste donc, je reste (a tan mi tan baka). Et alors j’attends. J’attends le gouvernement ».


Hiérarchiser ses interlocuteurs : métropolitains et « nègres
bakaas »

Dans sa lutte, Gisela hiérarchise les interlocuteurs de l’État auxquels elle affaire. Elle conteste ainsi la manière de procéder de certains émissaires des institutions, arguant qu’ils ne sont pas légitimes pour intervenir. Ainsi, une femme est venue plusieurs fois pour lui intimer de partir, mais elle considère qu’elle n’avait aucune légitimité à le faire.

« Une dame blanche (weti Mama), Madame Monique ne fait que venir, elle vient me fatiguer. Mais ce n’est pas le gouvernement qui l’envoie ! C’est elle qui vient ! C’est pas le gouvernement qui l’envoie pour ces choses-là, c’est elle-même qui décide de venir. Parce quand tu demandes au gouvernement, il te répond que ce n’est pas lui qui l’a envoyé. Quand elle vient, elle dit : « Bonjour ? Bonjour ? (d’un ton autoritaire) À qui appartient cette maison ? », « À moi », « Vous devez partir ». C’est comme cela qu’elle vient, avec ces manières. C’est comme cela qu’elle fait avec tout le monde. (…).
Parce que les choses qu’elle vient faire, quand elle marche… si c’était le gouvernement qui avait fait ça envers moi, ça ferait longtemps que je serais partie aujourd’hui. Mais quand elle est venue faire ces choses avec moi, quand mon avocat a envoyé une lettre pour demander si c’était le gouvernement qui l’avait envoyée, le gouvernement a dit « non, ce n’est pas moi ».

Cette femme est ici qualifiée de « blanche », cette non pas avec par terme de bakaa, mais avec celui renvoyant à la couleur blanche (weti). Cette urbaniste, diplômée en métropole, avait été chargée par la société d’aménagement du chantier de réaliser les recensements des habitants de la zone, en tant que spécialiste des quartiers d’habitat spontané. Toutefois, elle n’est alors ni en poste dans la société d’aménagement, ni à la mairie, et n’a donc pas mandat à intervenir. Cette information, mentionnée par Gisela, a été confirmé par les entretiens que j’ai réalisés auprès de ces institutions. En conséquence de son manque de légitimité, et de ses manières impolies, Gisela refuse désormais de parler à cette émissaire : « C’est la personne qui est propriétaire du terrain qui doit me parler, ce n’est pas elle. ».
Gisela a conscience du caractère éclaté de l’État, contestant la légitimité de certains émissaires (la femme weti) à intervenir, et lui opposant celle du maire, le chef du pays, et plus généralement des « nègres » (nenge) de Saint-Laurent, comme elle appelle les Créoles – aussi appelés « nègres bakaa » (bakaa nenge). Gisela privilégie ces interlocuteurs : tous les nègres de Saint-Laurent parlent, selon elle, sa langue, le bushitongo. Pour Gisela, la personne qui est propriétaire du terrain, c’est le maire – en fait, ces terrains sont du domaine de l’État.

G : Tout ce que j’ai [comme papier], c’est le plan pour le terrain, c’est la seule chose que j’aie.
C : Qui vous a donné ce plan ?
G : C’est le maire !
C : Le maire en personne vous a donné le plan ?
G : Acquiesce. Sur le ton de l’évidence. Quand tu as un plan, c’est le maire. C’est le maire qui est propriétaire du terrain.
(Entretien 4 juin 2013)

C’est pour elle le maire, et ses émissaires, les policiers municipaux, qui sont les représentants légitimes du gouvernement du pays bakaa, tout en étant des interlocuteurs privilégiés à ses yeux. Pourtant, eux-mêmes se définiraient probablement le plus souvent comme Créoles, et pourraient, dans un contexte métropolitain, être racialisés ou se définir comme Noirs. Gisela dit privilégier ces interlocuteurs créoles avec qui elle se sent mieux comprise, et apte à négocier dans sa langue. Au sein des institutions bakaa, elle fait des distinctions entre les agents, suivant une logique coloriste [23] : dans ce cas précis, certains agents, les nenge, sont moins bakaa que d’autres, métropolitains, et suscitent donc des espoirs chez Gisela concernant leur volonté de négocier avec les habitants bushikonde sama. Ces espoirs n’ont pas été couronnées de succès : lors d’un passage à Saint-Laurent en 2016, j’ai constaté que sa maison avait été démolie.

Ce cas montre donc l’importance d’analyser conjointement les processus de racialisation et de classe pour comprendre les rapports de pouvoir à l’œuvre dans les situations de la vie urbaine à Saint-Laurent-du-Maroni. L’identification comme bushikonde sama s’inscrit dans des rapports de classe et de race plus large, où se confrontent majorité et minorités. Le terme de bakaa ne renvoie pas seulement à des Blancs : cette catégorie locale ne correspond pas à la blancheur telle qu’elle est définie en France hexagonale par exemple, puisque des individus qui n’y seraient pas considérés comme Blancs y sont rattachés. Cet exemple montre encore une fois la non-permanence des catégories raciales, qui sont bien des constructions sociales variant en fonction du contexte.
La catégorisation de bakaa est insérée dans des rapports sociaux ancrés localement, opposant gouvernants et gouvernés, classes dominantes et classes populaires. Elle renvoie à des personnes des classes dominantes, disposant de revenus fixes, salariés par l’État. Ces rapports sociaux sont également issus du passé des plantations surinamaises et du marronnage, marqués par la racialisation. Enfin, la catégorisation de bakaa désigne non seulement des personnes, mais aussi à un territoire, à un mode de gouvernement, celui de l’État français, à des normes, des modes d’habiter et des types de maisons. Elle est actualisée dans des situations de conflits telles que la démolition de l’habitat, et peut être déclinée de manière complexe en fonction des situations et des positions des interlocuteurs au sein des institutions bakaa.

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NOTES

[1] De Rudder Véronique, Poiret Christian et Vourc’h François, 2000, L’inégalité raciste. l’universalité républicaine à l’épreuve, Paris, Presses Universitaires de France, p. 31 : « Les relations interethniques construisent et unissent des groupes socialement définis par leur origine, réelle ou supposée, et leur culture, revendiquée ou imputée. »

[2] Un ouvrage collectif réunissant la plupart des anthropologues guyanistes français aborde ces questions d’ethnicité dans une approche constructiviste : Gérard Collomb et Marie-José Jolivet (eds.), 2008, Histoires, identités et logiques ethniques : Amérindiens, Créoles et Noirs marrons en Guyane, Paris, France, Ed. du Comité des travaux historiques et scientifiques ; Voir également Maud Laëthier, 2011, Être migrant et Haïtien en Guyane, Paris, CTHS ; Richard Price et Sally Price, 2003, Les Marrons, Chateauneuf-le-Rouge, France, Vents d’ailleurs ; Dorothée Serges, 2011, Insertions économiques des migrantes brésiliennes en Guyane française, Thèse de doctorat en sociologie, Université de la Sorbonne nouvelle - Paris III, Paris ; La délimitation des objets de recherche correspond souvent à un groupe ethnicisé.

[3] Burton Benedict, 1962, “Stratification in Plural Societies”, American Anthropologist, Vol°64, n°6, p.1239.

[4] Burton Benedict refuse ainsi de faire des sociétés dites pluralistes des situations fondamentalement différentes des sociétés occidentales : toutes les sociétés sont plus ou moins pluralistes, dans la mesure où elles produisent des normes différentes selon les groupes. Burton Benedict, 1970, « Pluralism and Stratification » dans Leonard Plotnicov et Arthur Tuden (eds.), Essays in comparative social stratification, Pittsburgh, University of Pittsburgh press, pp. 29-41.

[5] La désindustrialisation quasi-complète invalide l’idée d’une classe ouvrière. En outre, la grande majorité des travailleurs ne sont pas déclarés comme tels : à Saint-Laurent-du-Maroni : selon l’INSEE, seul un quart de la population en âge de travailler occupe un emploi formel : sur la commune de Saint-Laurent-du-Maroni, parmi les 15-64 ans, il y avait 57% d’inactifs en 2012 et 46% de chômeurs (parmi les 43% d’actifs). 30% des 15-64 ans sont des actifs ayant une activité professionnelle. http://www.insee.fr/fr/themes/dossi...

[6] Fredrik Barth, 1969, Ethnic groups and boundaries : the social organization of culture difference, Boston, États-Unis, Little, Brown and Company.

[7] Guillaumin Colette, L’idéologie raciste, op. cit. p. 94. Les minorisés ne « sont individuellement que groupe ou fragment de groupe, leur réalité n’atteint pas le statut individuel, qui, au contraire, définit les membres du groupe dominant. » C’est ainsi que Colette Guillaumin caractérise l’idéologie raciste, analogue au sexisme, comme « déni de l’humanité totale à l’autre par le biais de l’attribution d’un type particularisé, et confiscation pour soi-même de la richesse diversifiée des possibilités humaines », p.198.

[8] Il s’agit d’entretiens, mais aussi de notes prises sur le moment ou après mes visites répétées aux familles enquêtées.

[9] Price, Richard, and Price, Sally, 2003, Les marrons, Vents d’ailleurs, Chateauneuf-le-Rouge (France).

[10] Certeau Michel de, 1980, L’Invention du quotidien, tome 1’« Arts de faire »,, Paris, Gallimard.

[11] Price,Richard, and Price, Sally, 2003, Les marrons, op. cit.

[12] Smith Raymond T., 1970, “Social stratification in the Caribbean”, in Plotnicov, Leonard, and Tuden Arthur (ed), Essays in Comparative Social Stratification, Pittsburgh, University of Pittsburgh press, pp.43-75.

[13] D’après Frederic Gomes Cassidy et R. B. Le Page, 1967, Dictionary of Jamaican English, London, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Cambridge U.P., p.18. Toutefois, ce terme n’aurait pas été transféré aux nouvelles classes dirigeantes non-blanches, selon Mervyn C. Alleyne, 2002, The construction and representation of race and ethnicity in the Caribbean and the world, Kingston, Jamaïque, Jamaïque, University of the West Indies Press, p. 230.

[14] D’après M.C. Alleyne, The construction and representation of race and ethnicity in the Caribbean and the world, op. cit. p. 230. Le continuum liguistique ibibio-efik est parlé au Nigéria notamment.

[15] Voir la fiche wikipédia : https://en.wikipedia.org/wiki/Buckra, consulté le 21 novembre 2016, qui précise que Buckra renverrait à un chef ou à un blanc ; et http://www.urbandictionary.com/defi..., consulté le 21 janvier 2016 précise que le terme bakra est employé pour parler d’un chef dans le contexte d’un travail forcé ou déplaisant ; cette fiche fait référence à l’usage jamaïcain du terme, laissant supposer que le terme africain-américain serait le résultat d’une influence jamaïcaine, via les migrants ou la musique.

[16] Je me réfère ici à une notion constructiviste de la race, à la suite de Colette Guillaumin, où elle n’a de réalité que discursive, comme signe : le signifié de ce signe est une altérité radicale, insurmontable et permanente, ancrée dans la détermination biologique. Dans cette définition de la race, les traits physiques ne sont que secondaires : ce qui prime c’est « la croyance en la différence biophysique de nature, secondaire, et non l’apparence ». « Le biologique y apparaît comme un trait symbolique destiné à supporter ce caractère de clôture et d’irréversibilité par quoi se définit la catégorisation raciste. Le racisme ne dépend à aucun moment de la réalité d’un critère biologique concret, c’est l’association consciente ou inconsciente de ce critère aux catégories, sous sa forme symbolique et non pas objective, qui fait des groupes concrets des objets de racisme. » Selon C. Guillaumin, L’idéologie raciste, op. cit. p. 66 et p. 182.

[17] Gret Renaud Colombier, Deluc Bérangère, Rachmuhl Virginie, 2012, L’urbanisation spontanée en Guyane : appui à la mise en œuvre de modes d’aménagement alternatifs, DEAL Guyane, Rapport 1.

[18] L’ethnographie renvoie à la méthode choisie ici, utilisée aussi bien en sociologie qu’en anthropologie.

[19] Situation ethnographique classique également analysée, entre autres, par Paul Rabinow, 1988, Un ethnologue au Maroc : réflexions sur une enquête de terrain, traduit par Tina Jolas, Paris, Hachette.

[20] Cette langue locale est parfois qualifiée par des termes génériques tels que Bushitongo, nenge tongo, ou encore takitaki. Elle est plus communément désignée sous le nom de variantes correspondant aux groupes ethniques des locateurs : les Ndyukas disent parler ndyuka, les Alukus, aluku, etc… J’ai surtout appris à la parler en interaction avec des Ndyukas, mais cela ne m’empêchait pas de dialoguer aussi avec des Alukus ou d’autres, malgré des différences légères de prononciation et de lexique qui ralentissaient ma compréhension. Pour une analyse des phénomènes de dénomination de ces langues en lien avec les rapports sociaux et le contexte, voir Migge, Bettina, and Isabelle Léglise, 2013, Exploring Language in a Multilingual Context : Variation, Interaction and Ideology in Language Documentation. Cambridge, Cambridge University Press.

[21] Le concept de configuration de maisons, forgé par Louis Marcelin à propos des modes d’habiter des Noirs de la Bahia au Brésil, propose de relier les réseaux de personnes et les maisons. Louis Herrns Marcelin, 1996, L’invention de la famille afro-américaine : famille, parenté et domesticité parmi les Noirs du Recôncavo da Bahia, Brésil, Rio de Janeiro, Brésil, Thèse de doctorat en anthropologie, Universidade Federal do Rio de Janeiro, Museu Nacional, PPGAS, p. 96. La configuration de maisons décrit des relations entre les habitants de différentes maisons, qui outrepassent les murs d’une seule maison pour créer un habiter-ensemble. Voir aussi Eugênia Motta, « Houses and economy in the favela », Vibrant – Virtual Brazilian Anthropology, vol. 11, no 1, pp. 118-158.

[22] D’après la loi, le droit français pourrait arguer permettre son indemnisation : la loi Letchimy, votée en 2011, stipule que les habitants des quartiers d’habitat spontané dont les maisons sont démolies dans le cadre de projets d’aménagement peuvent être indemnisés ou relogés s’ils peuvent prouver qu’ils y habitent depuis au moins 10 ans. Ni Gisela ni son avocat, que j’ai rencontré en août 2013, n’avaient alors connaissance de cette loi.

[23] Pap Ndiaye, 2006, « Questions de couleur. Histoire, idéologie et pratiques du colorisme », dans Fassin, Didier, et Fassin, Eric (dir.) De la question sociale à la question raciale ?, La Découverte., Paris, pp. 37-54.