La notion de logement contraint recouvre des espaces désignés institutionnellement pour être affectés de manière provisoire à des fonctions d’accueil et de résidence de populations définies comme indésirables et inutiles. Elles sont, par ce moyen, mises à l’écart sous surveillance et privées de moyens de subsistance autonomes. Placées en ces lieux soit par pour raisons d’ordre public soit en l’absence de solutions de logements alternatives ces civils se voient concentrés dans des espaces clos et séparés et des types d’habitat divers. Ces espaces offrent la possibilité aux pouvoirs publics de rassembler et d’appliquer des techniques de contrôle militaire à des populations en déplacement, déviants, réfugiés ou migrants et de les maintenir pour des durées indéterminées à l’écart du reste de la population [1]. Malgré leur diversité nous faisons l’hypothèse d’une cohérence et d’une continuité de ces formes de logements et des savoirs qui organisent leur gestion et leur fonctionnement. Ces modalités spécifiques de regroupement d’étrangers ou d’individus marginalisés pour répondre à des situations de crise et de menace ont concrètement émergé durant la Première Guerre mondiale. Elles participent du processus de « trivialisation » [2] qui s’est pérennisé en temps de paix, que nous nommons une militarisation de la question sociale.
Nous avons pu reconstituer, à partir de plusieurs monographies socio-historiques portant sur des formes d’habitat à différentes périodes, l’usage et la gestion de lieux utilisés comme sites d’habitat spécifiques et résultant du détournement de certains types de bâtiments [3]. Ils présentent plusieurs caractéristiques paradoxales. Le logement contraint instaure tout d’abord une situation d’expédient permanent et programmé qui pérennise une précarité sociale et économique. Retranché socialement et spatialement du reste du corps social, il n’est jamais totalement coupé de l’extérieur et reste en contact avec le monde du travail. Ensuite, la norme y devient le hors normes tant pour le bâti - il est possible d’adapter tout espace à cette fonction [4] - et les conditions de vies, que pour le statut des personnes. Enfin les pouvoirs publics laissent se constituer de tels lieux d’habitat alors qu’ils pilotent dans le même temps un mouvement d’urbanisation structuré autour d’objectifs d’hygiénisme, de salubrité et d’intégration. Le paradoxe n’est, d’après nous, qu’apparent dans la mesure où le recours au logement contraint s’intègre à la gestion politique des populations concernées d’une part en les situant dans un espace « répulsif » qui matérialise un message d’inhospitalité et d’autre part en ce qu’il permet différents processus d’identification, de différenciation et de hiérarchisation de celles-ci.
Cette notion de « logement contraint » présente un intérêt heuristique. Elle donne la possibilité d’analyser comparativement différentes formes de logements, camps et lieux de rétention administrative, baraquements, casernements et logements d’usine, cités de transit, foyers de travailleurs et centres humanitaires qui sont peu ou pas étudiées. Cela permet de cerner les représentations collectives de l’espace et de l’habiter et les projections sur l’espace des autorités et des acteurs économiques et sociaux et de comparer d’un point de vue sociologique les différentes populations placées dans ces espaces. On peut ainsi déconstruire l’approche usuelle en termes d’urgence et d’exception qui justifie souvent dans les discours l’usage de ces formes précaires de résidence comme expédient. Car, à la différence du logement d’urgence, il n’est pas censé constituer une réponse momentanée avant un relogement dans un logement normalisé mais une réponse programmée comme temporaire. Ce n’est en rien un préalable à une intégration ou une réintégration dans le corps social mais, au contraire, un moyen planifié a minima de tenir à l’écart des populations. Il se différencie aussi des « bidonvilles » [5], des squats et plus largement du « logement spontané » caractérisé par l’occupation illégale ou tolérée d’un terrain ou d’une habitation, bien que le « passage » de l’un à l’autre soit possible [6]. De plus la généalogie de ces espaces permet de mieux appréhender de nouvelles de logements qui paraissent « apparentés » au logement contraint. La structuration progressive, depuis plusieurs décennies, des dispositifs d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile n’a pas empêché la croissance et la diversification des formes et des statuts de bâtiments de logements précaires et hors normes dans lesquels le droit à une habitation indépendante est assorti de contrainte quand il n’est pas carrément nié [7].
Dans une première partie nous établirons une typologie des formes morphologiques que peut prendre le logement contraint. Nous chercherons ensuite à repérer les modes de gestion et les cultures professionnelles générés par ce logement si particulier. On mettra enfin en évidence les deux types de populations concernées par cet habitat, les « indésirables » et les « bouches inutiles ».
1. Conceptions spatiales et configurations résidentielles, esquisse d’une typologie du logement contraint
On peut repérer durant le XXe siècle un certain nombre de constantes dans les espaces réservés et les techniques d’aménagement de ces logements hors normes et « d’exception ».
Une projection militaire sur des espaces détournés de leur fonction
Le logement contraint tel que nous le définissons peut sembler hétérogène mais on peut schématiquement distinguer des cas de figures architecturaux selon qu’il s’agit de sites détournés de leur fonction ou d’espaces non occupés. Les camps militaires sont historiquement le premier type de lieu utilisé pour l’accueil de populations civiles. Lors de la Première Guerre mondiale des réfugiés et des internés civils ont été placés dans des forts et des camps d’instruction [8]. D’importants sites militaires comme ceux de Vincennes, de Larzac [9], de Saint Maurice l’Ardoise [10], ou de Rivesaltes [11] ont été affectés au même usage à plusieurs reprises au cours du siècle. La liste est longue de ces camps qui proposent de vastes espaces vacants sur lesquels sont installées des baraques, des tentes ou des modulaires, démontables et déplaçables pour un hébergement rudimentaire. Et elle se perpétue. En 2001, des Kurdes réfugiés sont placés temporairement dans le camp militaire de Fréjus dans le Var [12].
L’étude de la topologie et de la gestion de ces zones militaires montre qu’elles se prêtent à un contrôle sécurisé et permettent un classement et une répartition des hébergés. L’espace est souvent organisé autour d’une place d’appel, sur lequel est érigé le drapeau français, et se divise en parties dédiées au logement, à l’hygiène et au ravitaillement, à la socialisation et au travail [13]. L’administration est un lieu autonome auquel s’agrègent postes de garde, mitard, locaux d’habitation des gardes, cuisines, sanitaires, infirmerie, etc. Les camps militaires, par leur taille et leur équipement, peuvent constituer le centre d’un réseau de camps plus petits. Ces lieux sont généralement mis à disposition par les autorités militaires pour celles de la police ou d’autres administrations et doivent être restitués en l’état au terme d’une période plus ou moins longue. Mais si les autorités militaires ont été à l’origine de cette politique, elles n’ont que très exceptionnellement accepté de gérer directement des civils. Lors de la période de la Libération, par exemple, les autorités militaires demandent la restitution dans des délais très brefs des camps affectés à l’internement des individus suspectés de collaboration [14]. Cependant certains sites militaires secondaires ou désaffectés, tels des zones de stockage de munitions ou des bâtiments militaires vendus à des collectivités, peuvent avoir une fonction, sur une longue période, durablement associée à un hébergement coercitif [15].
Ce statut d’espace loué ou prêté correspond aussi à celui des centres pénitentiaires. Comme pour les sites militaires, l’usage de l’espace carcéral à des fins d’internement, forme complète de logement contraint, ne peut être que très momentané et souvent durant des périodes de crises aigues. Car ni l’administration pénitentiaire, pour des questions matérielles mais aussi en raison de l’impossibilité d’accepter la confusion entre des détenus avec et sans mandat, ni le ministère de l’Intérieur, refusant de voir confondues procédures judiciaires et administratives, ne sont favorables à l’accueil durable des internés dans les murs des prisons déjà surpeuplées [16]. On voit dans ce cas que les sites ayant une fonction précise, militaire ou pénitentiaire, ne sont utilisables qu’exceptionnellement comme forme de logement contraint conservant simultanément leur affectation première et posant de ce fait des problèmes de co-présence de populations aux statuts différents. La présence actuelle dans les prisons françaises de près d’un quart de prisonniers étrangers dont une partie pour infraction à la législation sur le séjour est un contre-exemple mais certaines maisons d’arrêt risquent de devenir progressivement des centres de rétention « officieux ».
C’est pourquoi d’autres lieux sont recherchés pour y assigner des civils hors procédure judiciaire. Là aussi la rétention supplante momentanément la fonction usuelle du bâtiment qui peut être indifféremment hôtelière, industrielle, scolaire ou simplement résidentielle. Elle ne nécessite pas non plus la construction de bâtiments spécifiques et cela permet d’être mis en service dans des délais brefs et à moindre coût. Certains des premiers camps du XXe siècle ont été installés dans des propriétés ecclésiastiques réquisitionnées [17], particulièrement en Bretagne. On peut mentionner des hôpitaux d’aliénés, mais aussi des écoles et des bâtiments de colonies de vacances ou des hôtels. Ces derniers rappellent la durée limitée du séjour et sont utilisés depuis le XIXe siècle pour loger des prisonniers de guerre gradés et des réfugiés. Ces bâtiments d’accueil collectif ayant des places inoccupées sont particulièrement propices à une transformation de leur fonction pour le logement contraint. Un incendie meurtrier d’un hôtel à Paris a révélé récemment à l’opinion publique cet usage « semi-officiel » d’hôtels pour héberger des demandeurs d’asile qui témoigne pourtant d’une grande continuité en la matière [18]. D’autres types de bâtiments, tels des stades ou des cinémas, peuvent aussi servir à l’occasion de lieux de rétention momentanés.
Topographie d’un espace répulsif
Notre corpus révèle que d’anciens sites industriels ou des fermes à l’abandon ont accueillis de manière provisoire des populations civiles. C’est le cas dès le premier conflit mondial lorsque des locaux de vieilles industries fermées, de la métallurgie ou d’extraction essentiellement, accueillent des nomades appréhendés dans le cadre de la loi de 1912. Puis entre 1939 et 1946 on constate l’utilisation de carrières abandonnées, fours à chaux, mines, ardoisières, et d’usines désaffectées, verreries, poudreries et salines [19]. Certains centres actuellement en fonctionnement sont aussi dans la continuité de cette histoire comme le hangar à voussoirs d’Eurotunnel à Sangatte transformé de 1997 à 2002 en centre d’accueil ou le bâtiment des docks d’Arenc sur le port de Marseille utilisé sans discontinuer depuis 1964 comme centre de rétention administrative [20].
La nature de ces lieux abandonnés, res nullius et zones non aedificandi, est à rapprocher des catégories de populations qui y sont placées. Cela donne des indications sur les représentations à l’œuvre dans le logement contraint. Si certains centres se trouvent placés sur des axes stratégiques notamment lorsqu’ils assurent une fonction de tri et de sélection, on trouve durant le XXe siècle divers « camps » et centres installés sur des terres isolées, des îles, des plages [21], des plateaux déserts, des zones inondables ou polluées. Ils sont peu visibles, difficiles d’accès et laissent peu de traces. Les conditions de vies, y sont dures, particulièrement pour les familles. Que se soient des bâtiments détournés de leur fonction ou des abris de fortune érigés à la hâte, les points communs de ces espaces sont la précarité et l’insalubrité. Soit ils ne sont pas adaptés pour accueillir du public en grand nombre et cela pose d’importants problèmes sanitaires, rend difficile le chauffage et l’isolation des locaux. Soit il s’agit de logements sommaires qui n’offrent aucun confort et sont souvent très dégradés. Dans tous les cas ils peuvent être considérés comme « répulsifs » [22].
L’unité de logement essentielle, et emblématique, du logement contraint, reste la baraque. Le modèle en bois dit « Adrian » a été le plus utilisé jusque dans les années 1940. Lorsqu’il n’y en a pas ou plus assez, on construit parfois en dur ou on récupère des structures dans des chantiers et dans l’architecture militaire comme des hangars à avion. Quand la population est trop importante on utilise aussi de simples tentes comme pour l’accueil de dizaines de milliers de réfugiés espagnols en 1938 sur les plages du Roussillon et sur le plateau du Larzac en 1962 pour héberger des familles harkies. Ces dernières l’avaient renommé le « plateau des milles tentes ».
Car si le camp militaire est destiné initialement au repos et la restauration des soldats pour une période donnée, on peut dire que pour les civils, y être logé s’apparente à entrer dans une « maison de guerre » sans limite de durée. Le logement contraint applique durablement, sous le règne de l’arbitraire, des règles et des horaires martiaux. Le confort est sommaire et le rationnement systématique. Comme l’ont bien montrés Bourdieu et Sayad pour les villages de regroupement [23], ces privations et cette absence de prise sur l’avenir entraînent une insécurité générale des conditions de vie et une irréalisation des perspectives [24].
La plupart des sites que nous avons étudiés ne nécessitent pas de surveillance particulière lors des situations de confinement de familles ou de travailleurs déplacés. Les nomades, les harkis et plus généralement les réfugiés ne s’évadent pas. Comment s’échapper avec des enfants et de personnes âgées, des malades ? Pour aller où ? Seul l’existence d’un réseau de soutien à l’extérieur permet de réduire la durée du séjour dans ces lieux. En l’absence d’aide autre qu’humanitaire, le séjour peut s’allonger indéfiniment. D’où les multiples cas de sédentarisation sur place que l’on a pu observer pour ces populations civiles qui s’installent dans leur centre d’accueil jusqu’à une éventuelle destruction ou une rénovation qui, alors, entérine la fixation pour plusieurs générations sur le lieu de mise à l’écart. De nombreuses communautés ex-harkies résident encore sur les sites d’accueil mis en place à partir de 1962 [25] même si certaines cités ont été résorbées dans les années 1980.
Les locaux doivent répondre d’abord à des exigences minimales aux yeux des autorités comme la disponibilité immédiatement, la facilité de contrôle des lieux, la disposition topographique et géographique pour n’évoquer que les principaux arguments. Il est fait peu de cas des demandes ou aux besoins des usagers finaux. C’est dans cette malléabilité ses espaces et du bâti et dans son faible coût que se trouve l’intérêt essentiel du logement contraint aux yeux de ses concepteurs. En outre les mêmes lieux sans confort ni équipement particulier peuvent accueillir indifféremment toute population dans des situations variées et pour des objectifs changeants en fonction des circonstances. « L’urgence ne coûte pas cher » [26] et elle peut durer longtemps [27]. Cette règle valable pour les lieux s’applique aussi à l’encadrement et au personnel.
2. Gérer le logement contraint : quelles cultures professionnelles ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire la culture des gestionnaires du logement contraint n’est pas une culture de la crise et de l’urgence. Elle s’inscrit dans la continuité des modèles de gestion assistanciels et répressifs des classes dangereuses et de l’enfermement des pauvres [28] qui diffusent leurs cadres et leurs techniques à d’autres politiques de prise en charge sociale et humanitaire. Le logement contraint trouve ses structures fondatrices dans l’articulation entre les pratiques du logement d’usine et les savoir-faire de l’internement administratif.
La pratique du logement d’usine et des chantiers mobiles
Des employeurs de main d’œuvre captive ont développé parallèlement au logement social, lui-même conceptuellement issu du modèle de la caserne [29], un savoir faire d’hébergement dans des usines désaffectées et des casernements. Les types de logements contraints dans les sites de production concernent essentiellement l’industrie d’extraction d’une part, l’agriculture et la sylviculture d’autre part. Ils constituent le prolongement des premières formes de logements ouvriers développés à partir de la révolution industrielle mais progressivement abandonnés pour les nationaux [30]. Inauguralement sont concernées les « coloniaux » mais aussi les prisonniers de guerre et dans une moindre mesure les réfugiés. Cette main d’œuvre est affectée à des tâches spécifiques. Les coloniaux, qu’ils soient africains, malgaches ou indochinois, sont surtout orientés vers l’industrie de l’armement dans des poudreries et des arsenaux dans lesquels ils assurent des tâches dangereuses. On peut aussi évoquer des emplois dans le percement de canaux et de tunnels et la construction de voies de chemins de fer.
Une organisation particulière, le service d’organisation des travailleurs coloniaux (S.O.T.C.), est mise en place en 1916 dans le contexte de guerre pour prendre en charge le placement et le logement de ces travailleurs. On peut penser qu’elle va servir de modèle ou à tout le moins qu’elle va influencer les différents modes de prise en charge qui lui succéderont [31]. Dès ce moment là sont édictées et diffusées sous forme de guides [32] des instructions fortement empreintes de racisme et de paternalisme colonial pour la gestion de ces travailleurs en métropole. Durant cette première période ces ouvriers coloniaux résident dans les cantonnements qui leur sont réservés. Ce modèle puissamment coercitif se perpétue pour certaines catégories de travailleurs, notamment ceux qui sont « requis » de force dans les années 1930, malgaches et cochinchinois notamment. La contrainte qui pèse sur ces travailleurs est double car il leur est non seulement interdit de quitter leur lieu de résidence mais quand bien même ils parviendraient à le quitter ils rencontreraient de grandes difficultés à regagner leur pays d’origine.
Durant l’entre-deux-guerres, en l’absence d’institution publique spécialisée et d’un système d’encadrement coordonné au niveau national, les autorités incitent les entreprises à veiller à l’hébergement de ces populations provenant de l’empire. Ce sera notamment le cas dans l’Est et Nord pour les mines qui développent un système de cantonnement réservé à leurs travailleurs indigènes. Le modèle le plus abouti et donné d’ailleurs en exemple par les pouvoirs publics est celui développé à l’usine Michelin de Clermont Ferrand, où l’ensemble de la vie quotidienne des ouvriers est pris en charge par la direction du personnel inspirée d’expériences coloniales [33] et du travail forcé [34]. Il existe à cette période de petites organisations structurées pour la gestion de certaines populations. C’est le cas avec la Main d’oeuvre indigène, nord-africaine et coloniale [35] fonctionnant en autarcie, pour des travailleurs indochinois, africains et malgaches requis. Ces organisations et les textes régissant le « travail requis » vont progressivement se structurer avec de la loi sur « l’organisation générale de la Nation pour le temps de guerre » du 11 juillet 1938 [36], qui permet notamment la réquisition de main d’œuvre. Héritant de cette tradition de traitement séparée dans le logement et dans les usines, la politique de recrutement de ces travailleurs dans l’industrie et le BTP sera couplée avec le développement des foyers réservés aux migrants jusqu’au début des années 1970 [37].
Les savoir-faire de l’internement et du logement d’exception
D’autre part la police française a conçu depuis le premier conflit mondial un système d’internement et de mise à l’écart qui s’est progressivement structuré et qui s’est diffusé dans d’autres institutions notamment pour l’accueil des réfugiés, le logement des étrangers et des populations précaires. La gestion des espaces de logement contraint demande des compétences spécifiques. Dans les lieux explicitement disciplinaires et répressifs comme les camps d’internement [38], un savoir-faire policier particulier a été développé tant du point de vue de l’organisation administrative que de la gestion au quotidien. Un corps spécialisé de fonctionnaires gestionnaires de camp s’est constitué progressivement, développant des cadres cognitifs spécifiques [39]. Des cadres et des techniciens de l’internement, mis en place à plusieurs reprises par la direction de la Sûreté nationale depuis la Première Guerre mondiale, apportent leur savoir faire à chaque recours à ce type d’assignation [40]. La direction d’un centre requiert en effet des compétences polyvalentes de contrôle et de gestion logistique. On est appelé à gérer les conflits qui émaillent les relations entre les hébergés et le personnel et entre les divers services intervenant et être en mesure de combattre les différentes formes de mobilisation. Il faut aussi savoir « moduler » le peuplement des centres et anticiper sur d’éventuelles réactions de la population environnante.
A cette tradition internementale [41] il faut ajouter celle du contrôle policier et de surveillance sanitaire des « Nord-africains », initiée par l’armée à partir de 1916 et poursuivie par la préfecture de police de Paris après 1925, quand la France a commencé à recourir au « réservoir colonial » pour la métropole [42]. Durant l’entre-deux guerre les pouvoirs publics cherchent néanmoins à découpler progressivement les fonctions de contrôle et d’assistance de ces populations. La police assure toujours des tâches de surveillance et prend quelquefois en charge l’hébergement des indigents mais ne s’occupe pas directement des employés immigrés des usines. A certaines occasions néanmoins, les tâches peuvent être confondues à nouveau. En 1945, le « transfèrement » en Algérie des Algériens présents en métropole est entièrement contrôlé par la police. Elle rend obligatoire le passage des candidats au retour par des centres d’enregistrement installés dans des stades réquisitionnés à cet effet à Arles et à Tarascon dans les Bouches du Rhône [43].
Une partie de ces savoir-faire va transiter dans les années 1950 vers la gestion du logement spécifique des « coloniaux » à l’occasion de l’embauche dans les casernes de l’industrie et dans les foyers de travailleurs migrants d’anciens militaires à la retraite. Cela permet de récupérer un personnel peu onéreux et censé être qualifié pour des tâches de sélection, d’encadrement et de contrôle des « indigènes » et induit une propension au fonctionnement coercitif, autarcique, voire népotique des espaces réservés. Les associations gestionnaires des foyers appartiennent en partie à cette tradition. De plus, à côté de ces agents contractuels, militaires et fonctionnaires, en retraite ou en disponibilité, on remarque l’appel fréquent à d’autres personnels en fonction des besoins. L’encadrement d’une « caserne » de Cochinchinois doit s’adjoindre des « indigènes » et celui des camps désigne des responsables de chambres dans les baraquements. Pour les centres d’internement et les camps répressifs en général, l’encadrement est complété par des vacataires dont le recrutement est décrit dans la plupart des cas comme désastreux, pour l’administration et surtout pour les internés.
3. « Indésirables » et « bouches inutiles », l’appréhension du surnuméraire en suspect et sa mise à l’écart
Deux types d’individus, « indésirables » et « bouches inutiles », sont susceptibles d’être placées à un moment où un autre de leur trajectoire résidentielle ou de leur séjour en France dans un logement contraint.
Ecarter une menace avec le logement contraint et séparé
Certaines populations sont perçues comme des menaces et mises à l’écart dans une forme d’habitat spécifique. On peut distinguer plusieurs modes d’appréhension de ces populations. Une première catégorie regroupe les individus qui, quelque soit leur nationalité (ils peuvent être français ou ressortissants étrangers), apparaissent, souvent dans certaines circonstances de crise, comme susceptibles d’être la source de « nuisances » et de menaces tant pour la « sécurité de l’Etat » et de ses frontières que pour « l’ordre public », dans ses trois dimensions constitutives d’ordre politique, social ou sanitaire [44]. Ces « indésirables », dont nous étendons la définition au-delà des seuls réfugiés européens [45], regroupent à la fois des étrangers dont la présence sur le territoire est considérée comme une menace et des nationaux que l’appréhension essentialisée par les autorités ou l’opinion publique présente comme des « suspects » [46]. La menace représentée par les « indésirables » peut être d’ordre militaire lorsqu’il s’agit de ressortissants de pays en guerre avec la France. L’Etat veut protéger son territoire d’espions potentiels pouvant transmettre des informations ou opérer des attaques derrière ses lignes au profit de l’ennemi. C’est le cas des Allemands, des Autrichiens et des ressortissants de l’Empire ottoman en 1914 [47]. A partir de l’entrée en guerre de la France, ils doivent quitter le pays sous peine d’être arrêtés et internés comme des « civils ennemis ». Ceux qui resteront seront arrêtés et placés dans des « camps de concentration » quelquefois jusqu’à la fin de la guerre. Dans la période actuelle, en France comme dans l’Union européenne, les migrants clandestins sont pour partie assimilés à des criminels et combattus dans le cadre et avec les mêmes moyens que ceux de la lutte contre le terrorisme. Cette confusion justifie aux yeux des pouvoirs publics le recours à des méthodes d’identification, de traque et de neutralisation d’inspiration sécuritaire pour lutter contre ces « clandestins ». La mise en place de centres fermés est dans la logique de cette utilisation des méthodes militaires aux processus de contrôle et de répression de ces « migrations illégales » [48].
La menace peut être aussi conçue comme d’ordre politique, sanitaire et socioéconomique. Les mesures visant à contrôler les potentielles activités militantes des étrangers s’inscrivent dans la tradition de la surveillance politique des migrants du XIXe siècle [49]. Elles ont aussi pour but de contrôler leur diffusion sur le territoire pour éviter la propagation de maladies et, dans une optique plus raciale, à restreindre le contact avec la population autochtone. D’un point de vue socio-économique, elles contribuent à protéger certains secteurs d’activités en limitant l’accès au marché du travail officiel [50]. Une partie des populations concernées sera placée dans un réseau de camps et de centres d’accueil dont certains affichent des objectifs humanitaires et d’autres des buts clairement répressifs et disciplinaires [51]. Dans de nombreux cas le passage par ces espaces anticipe et préfigure soit un éloignement du territoire soit une déportation voire, pour la période de la collaboration, une élimination.
La menace peut être définie selon un modèle mixte combinant des dimensions à la fois stratégiques, politiques et sociales. C’est le cas le plus souvent lorsque ce sont des ressortissants français qui sont désignés comme étant des « suspects », voire des « individus dangereux ». Les pouvoirs publics, dans un « pacte tacite » avec la population, ayant des « doutes » sur la fidélité et l’attachement à la nation française, anticipent sur une éventuelle « trahison » de ces individus par une politique préventive de retranchement du corps social.
Cet « ennemi intime » [52] doit être, plus encore que l’étranger, mis « hors d’état de nuire » selon la formule consacrée des circulaires administratives des politiques d’internement. Différentes populations ont été l’objet de surveillance et de procédures de mises à l’écart. Les nomades [53], les Alsaciens-Lorrains, les Juifs français, les Algériens avant l’indépendance de l’Algérie et plus généralement les ressortissants de l’Empire colonial pour évoquer les principales font l’objet sur la longue durée d’un traitement particulier des pouvoirs publics, qui inclut une réponse en matière de logement [54]. Cette situation de mise à l’écart peut aussi résulter d’une mauvaise conscience de la société d’accueil. C’est le cas des familles harkies qui ont subi depuis leur rapatriement sélectif de 1962 un « exil intérieur » [55] en ayant été assignées depuis lors dans près d’une centaine de camps et de « hameaux forestiers » et qui s’y sont sédentarisées.
La volonté de maintenir à l’écart certaines populations touche également les travailleurs ou les tirailleurs coloniaux. D’emblée il est évident pour les autorités tant militaires que civiles que ces hommes doivent être installés dans des sites réservés, d’autant plus que leur présence organisée sur le sol métropolitain doit rester provisoire. Ils constituent en fait une menace multiple. Ces « indigènes » prélevés dans l’empire colonial représentent un risque en tant que groupes de jeunes hommes seuls, considérés comme racialement et culturellement inférieurs [56]. Il faut donc éviter qu’ils soient en contacts avec la population environnante et qu’ils soient influencés par des idées politiques émancipatrices. Le problème se pose d’ailleurs tant lors de leur séjour en métropole que lors de leur éventuel rapatriement dans leur contrée d’origine où ils risquent d’être cette fois des vecteurs d’idées subversives. Ils constituent enfin une menace en tant qu’ils peuvent susciter des réactions hostiles de la population riveraine de leur lieu d’installation.
Loger et faire travailler les « bouches inutiles »
L’autre catégorie est désignée dès le milieu du XIXe siècle comme étant composée de « bouches inutiles ». C’est au départ le qualificatif appliqué à des populations perçues comme potentiellement gênantes par les autorités militaires parce que habitant, stationnant ou circulant dans des théâtres d’opérations militaires. Les réflexions stratégiques inaugurées dans les années 1850-1870 ont envisagé différentes situations de guerre. Les stratèges s’interrogèrent sur les risques que représenterait la présence de civils dans le conflit pour eux-mêmes mais aussi et surtout pour les difficultés logistiques qu’elle génèrerait pour les militaires, tant pour les combats proprement dits que pour leur ravitaillement. Des projets de déplacement et de regroupement de ces civils vont donc être établis conjointement avec le ministère de l’Intérieur. Ils passent par la mise en place d’un système de camps à même d’accueillir ces populations « déplacées ». Cette notion de « bouches inutiles » regroupe les familles et plus largement tout individu susceptible de ne pouvoir subvenir à ces besoins dans des circonstances exceptionnelles. « Indigentes » et « en surnombre », elles font peser un poids excessif à la collectivité nationale. Le placement dans une forme de logement contraint devra dès lors permettre à la fois de punir de ce surcoût et de le compenser en couplant souvent le retranchement spatial de la collectivité avec la mise au travail.
C’est durant l’entre-deux-guerres que cette catégorie de « bouche inutile » aux fortes résonances anthropologiques ne cesse d’être étendue à d’autres groupes. L’afflux vers la France de réfugiés arméniens puis sarrois, espagnols et juifs d’Europe de l’Est, pour n’évoquer que les principaux contingents, est rapidement perçu comme un surcoût et un « fardeau » pour l’économie nationale. Il faut limiter leur diffusion sur le territoire et d’éviter qu’ils viennent concurrencer les Français sur le marché du travail. Non seulement ils sont placés dans ces centres mais ceux-ci sont installés dans des départements périphériques de l’Hexagone ou à proximité de gares frontières [57]. Cette disposition sur le territoire doit faciliter le rapatriement vers les pays d’origine ou l’expulsion. La durée de l’accueil doit être la plus brève possible de manière à limiter le poids économique de leur prise en charge. Mais dans les faits, l’hébergement se prolonge souvent indéfiniment faute d’accueil alternatif hors des frontières.
Puisque l’installation doit être réalisée au moindre prix, les hébergés participent parfois à la construction du centre d’accueil. Le cas échéant ils sont mis au travail pour compenser les charges qu’ils génèrent. Les centres d’accueil vont ainsi devenir des lieux de sélection de travailleurs susceptibles d’être employés dans les secteurs primaires et secondaires [58]. Des compagnies, puis des groupements de travailleurs étrangers [59] (G.T.E.) vont ainsi voir le jour dans les années 1920-1930. Leur fonctionnement s’apparentent à du travail forcé et sont similaires aux pratiques appliquées dans l’empire colonial [60] ou au traitement réservé aux travailleurs coloniaux « requis » ou « forcés » amenés en métropole [61]. L’origine de ce type de dispositif est sans doute aussi à chercher dans les déplacements de contingents coloniaux de la Première Guerre mondiale. Les « coloniaux » civils sont rassemblés alors selon un principe ethnique dans des « groupements de travailleurs » [62]. Dans ces compagnies de Chinois, d’Annamites ou de Kabyles, la discipline est militaire et le logement à part, en camp ou en caserne, systématique. Les groupements sont quelquefois distingués en fonction de leur activité, agricole ou minière le plus souvent. Un des cas d’accueil de Kabyles et de Chinois dans des casernements a été étudié à propos des usines Schneider [63] mais d’autres employeurs ont eu recours à ce type de main d’œuvre réquisitionnée et de logement contraint [64].
Ces deux larges catégories à dimension anthropologique « d’indésirables » et « d’inutiles » ne sont bien entendues pas « étanches » et il est fréquent que l’appréhension de ces groupes évolue dans le temps. Là encore le logement contraint est un opérateur décisif dans ces translations. Il peut apparaître comme une réponse à la menace ou au poids de telle ou telle population pour les mettre à distance et/ou pour les « mettre au travail ». Mais ce type de logement, en raison notamment de sa propension à rompre les liens sociaux des individus avec l’extérieur du camp, peut s’avérer être le lieu dans lequel le groupe « menaçant » devient un groupe « inutile » ou « dépendant », subissant les mauvaises conditions de vies et ne pouvant subvenir seul à ses besoins élémentaires. Inversement le regroupement d’un grand nombre d’individus dans l’espace du logement contraint transforme aisément une population démunie en menace aux yeux de la collectivité, modifiant au passage les cadres habituels d’appréhension. Ce fut le cas lors de l’installation du centre d’hébergement et d’accueil d’urgence humanitaire de Sangatte, les représentations compassionnelles des riverains du centre faisant progressivement place à une attitude de rejet et de stigmatisation [65].
Conclusion : Le logement contraint ou la norme du hors norme
D’un point de vue d’une sociologie de l’espace et de l’habitat les types de logement contraint présentent des caractères paradoxaux. Si l’on applique les catégories traditionnelles de cette discipline, les camps et autres centres d’accueil sont à la fois un type d’habitat dispersé, en ce qu’ils sont établis en des points distants les uns des autres et éloignés des centres urbains, mais aussi un type d’habitat groupé dans la mesure où des individus en grand nombre sont concentrés dans un espace limité. De plus, que les réfugiés ou les internés participent ou non à la construction de leur habitat ils ne peuvent pour autant influer de manière notable sur la structure de leur « maison » ou les fonctions de cet abri. Cela différencie nettement le logement contraint des bidonvilles et de l’habitat autoconstruit ou squatté permettant à leurs habitants de concevoir leur espace de vie et de modifier les fonctions initiales des pièces qu’ils occupent. Comme abri, outil de production, médiateur social ou encore cadre de vie, ce logement n’est ni conçu ni aménagé selon les besoins de ses occupants, mais selon des principes administratifs et sécuritaires édictés par les autorités.
Néanmoins plusieurs principes structurants de ce que nous avons appelé le « logement contraint » ont pu être établis ici pour le cas de la France.
Premier point, il s’agit toujours d’une ségrégation dans un habitat en dessous des normes en vigueur. D’un point de vue technique il est hors-réseaux, exigu et mal équipé, collectif et surpeuplé. Le mode de peuplement y est administratif, discriminatoire et évidemment non contractuel car, de manière explicite ou non, structurelle ou contingente, c’est une « assignation à résidence forcée ». A l’absence de loyer et de titre d’occupation s’ajoute la durée arbitraire, et donc incertaine, du séjour. Rapidement ouvert, le camp est susceptible d’être soudainement « liquidé » lorsque les internés ont été mis « hors d’état de nuire » et la cité de transit ou le centre de réfugiés peuvent être « résorbés » ou « condamnés » lorsque leur utilité économique ou politique s’est réduite. De même qu’il revient moins cher qu’un logement aux normes en termes de taille, d’équipement sanitaire, d’entretien et de gestion, le personnel de gardiens de ces logements est souvent réduit et peu compétent à l’exception des quelques cadres et travailleurs sociaux qui y interviennent. Tous ces aspects participent d’une fonction dissuasive et répulsive de ce « sous logement ».
Deuxièmement, le passage par l’habitat contraint participe des procédures d’identification et de contrôle administratif des populations « à risques ». Le fichage (carnet anthropométrique des Tsiganes, fichiers Z des Algériens, carnets A et B des étrangers, fichiers juifs, surveillance policière des travailleurs coloniaux, etc.) peut être préalable à la contrainte résidentielle permettant l’identification des individus à surveiller ou il peut être concomitant, le passage par un centre servant cette fois à compter, à identifier et à différencier les individus. On peut voir ici une fonction complexe de ce type de logement qui participe d’un double mouvement d’homogénéisation et d’essentialisation des groupes qui y transitent mais qui permet aussi de procéder à leur classement et leur différenciation en une multitude de sous-catégories hiérarchisées selon les sexes, les nationalités, les antécédents, la santé, l’employabilité, etc. Il faut rappeler le couplage ambiguë du logement contraint avec le travail, souvent « forcé » durant la première moitié du XXe siècle et désormais interdit pour les demandeurs d’asile comme pour les « retenus » [66], mais qui reste en correspondance avec le marché du travail.
En troisième lieu, ce logement, loin d’être exceptionnel, apparaît comme un élément récurrent du répertoire de prise en charge publique et privée de certaines populations. Malléable, il peut fonctionner dans des circonstances variées non seulement comme une forme de punition ou un « sas » de sélection mais aussi comme un recours pratique et routinier pour faire face à des besoins de logement non pourvus. Dans le contexte actuel il fait partie de l’arsenal des techniques (d’acteurs privées autant que publics) de mobilité urbaine forcée qui permet tantôt de « fixer » tantôt « d’expulser » certains groupes « à risques » devant être « scotomisés » [67] et « invisibilisés » [68]. Qui plus est, le fait de « loger », même sommairement, un individu ou un groupe sans abri conserve toujours une dimension « humanitaire » et dépolitisante et par extension représente un début de politique sociale et de prise en charge, avec les effets d’engagement que cela suppose. Lorsqu’elle est informée, l’opinion publique montre une certaine tolérance aux différentes formes que peut prendre cette contrainte car l’argumentaire des pouvoirs publics articule habilement des notions oxymoriques de sécurité arbitraire, d’urgence discrétionnaire et d’hospitalité mesurée [69]. Le logement contraint peut aussi s’avérer pertinent pour analyser les transformations actuelles de la prise en charge, à la frontière entre judiciaire et administratif, des populations « exclues » [70] autres qu’étrangères, les « nouveaux vieillards » [71], les « malades mentaux » [72], et plus largement les nouvelles « figures menaçantes » [73].
Enfin la prise en compte dans l’analyse de la subjectivité des « malgré eux » du logement contraint permet seule de comprendre comment « la communauté imaginée par les uns [devient] la prison politique des autres » [74].
Marc Bernardot, maître de conférences en sociologie à l’université de Lille 1 (Clersé-CNRS UMR 8019)
Spécialiste des questions de logement et d’immigration, il travaille actuellement sur les formes modernes d’internement et de mises à l’écart des étrangers et des déviants.