Réseau scientifique de recherche et de publication

[TERRA- Quotidien]

Le programme "TRANSGUERRES"

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"TRANSFORMATIONS DES GUERRES. Dispositifs privés et publics de mobilisation et de gestion de la violence"

Le projet d’étude vise à articuler deux domaines trop souvent séparés : les études régionales et locales des affrontements et conflits réels, classiques, d’un coté (Axe n°1) ; de l’autre l’observation des nouveaux moyens et doctrines sur la sécurité collective, et les différentes forces appelées à l’assurer (Axe n°2).

Ces deux domaines de réflexion peuvent aussi être lus en fonction des zones géographiques où se déroulent les affrontements réels, et qui distinguent en gros d’une part « le Sud », et d’autre part les Etats du « Nord » qui consacrent généralement de telles ressources budgétaires et économiques au domaine militaire que les modernisations techniques, l’intervention des acteurs économiques du marché, et in fine les institutions politiques nationales changent radicalement les conditions d’emploi de la force.


Le projet ci dessous, rassemblant des équipes de spécialistes de l’EHESS et des chercheurs de différents niveaux qui leur sont liés, vise à susciter les rencontres permettant de dépasser l’opposition entre « spécialistes de terrain » et « théoriciens », en prenant en compte et confrontant des terrains d’enquête et d’analyse de différentes échelles. Il vise à rester au plus près des conséquences de ces transformations. Si l’essor des technosciences est un phénomène mondial, de même que l’extension de la privatisation de services jusqu’alors essentiellement du ressort des Etats, leur insertion sociale se fait aussi à l’échelle régionale, que ce soit en Europe ou en Afrique. De plus, ces deux régions, privilégiées par les équipes même si d’autres zones seront abordées, seront à l’avenir inévitablement concernées toutes les deux par les déstabilisations qui s’y produiront. Les écarts de ressources ou de taux démographiques (natalité, jeunesse des populations…) entre les deux rives de la Méditerranée, et plus encore avec l’Afrique subsaharienne sont, rappelons-le, les plus fortes au monde dans une telle proximité géographique. Qu’il s’agisse de la mobilisation urbaine des violences politiques, des phénomènes « d’entreprise milicienne » ou des « dispositifs humanitaires », les deux ensembles géographico-politiques sont interdépendants, notamment dans les différentes dimensions de la sécurité : humaine – mobilisation de populations, envois de troupes, flux de réfugiés… –, environnementale – pandémie, question de l’eau… – ou économique : énergie, échanges commerciaux (alimentaires…).

C’est pourquoi nous pensons nécessaire et légitime de présenter un projet commun. La dimension interdisciplinaire et inter-institutionnelle est considérée par tous les chercheurs concernés comme un élément clef du projet.

Au niveau de l’ensemble du projet, l’enjeu scientifique consistera à faire de cette relation entre micro et macro, ou entre approche centrée sur les acteurs et approche centrée sur les structures, une tension productive explicative des processus de conflit.

Une question parcourt les différentes échelles et problématiques du projet, celle de la redéfinition des rapports entre privé et public. D’un côté, les mobilisations locales violentes font passer la violence des mondes privés jusqu’à des formes socialisées de milices rurales ou urbaines. D’un autre côté, la privatisation des interventions armées des pays du « Nord », celle des organisations et des personnels exécutant les tâches guerrières ou sécuritaires, tendent à défaire l’unité de temps et d’espace de la guerre, à sous-traiter et démultiplier ses opérations, et à réduire le rôle opérationnel des États. L’une et l’autre tendances se rejoignent autour de questions comme la stabilisation des milices guerrières en forces mercenaires, ou comme les circuits mondiaux/locaux du trafic d’armes.

Ce projet comprend deux axes : d’un côté, les formes rurales et urbaines de mobilisations violentes et, de l’autre, les transformations technologiques des guerres et les nouveaux dispositifs sécuritaires et humanitaires. Le premier axe, sur les formes rurales et urbaines de mobilisations violentes, vise à rendre compte comparativement de trois configurations typiques – le « groupement néo-segmentaire », le « vigilantisme » et les « écuries ». Ces configurations semblent dépendre des dispositifs de gouvernementalité spécifique.

Le second axe s’intéresse au contexte de la guerre elle-même. Celle-ci est abordée du point de vue de ses conditions technologiques et des phénomènes de privatisation des organisations guerrières et sécuritaires à l’échelle globale. Elle fait également l’objet d’enquêtes sur le « dispositif humanitaire » qui accompagne ou prolonge le conflit armé. L’attention sera portée sur le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés et sur les « populations civiles » en tant que catégorie construite par les cadres guerriers et humanitaires.

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Axe 1 :
Formes rurales et urbaines de mobilisations violentes

Cet axe se concentrera principalement sur trois configurations de mobilisation violente des acteurs : « le groupement néo-segmentaire », « le vigilantisme » et « les écuries ». Ces configurations seront appréhendées selon une perspective comparative qui privilégie le point de vue de leur ancrage dans des organisations sociales spécifiques et dans la dynamique interne des rapports entre l’État et les cadres de la sociabilité locale.

Sur les terrains africains (Congo et Côte d’Ivoire), ces mobilisations prennent forme dans le cadre d’une entreprise milicienne qui dépend des dispositifs de gouvernementalité locale. Ces derniers semblent correspondre au modèle général du « despotisme décentralisé », caractérisé par le faible ancrage local de l’État et sa dépendance à l’égard de courtiers politiques locaux, et par la porosité entre sphères publique et privée, entre sphères politique et économique et entre action collective et stratégies de captation de ressources rares. On fera l’hypothèse que les configurations de mobilisation violente désignées par « l’écurie » et par « le vigilantisme » correspondent respectivement à des situations plutôt urbaines (avec proximité des pôles de pouvoir étatiques dans un contexte de gouvernementalité locale urbaine spécifique) et à des situations plutôt rurales (avec un éloignement des pôles de pouvoir étatique et une interférence forte des pôles de pouvoir de type villageois). Ces formes de mobilisation violente ne sont évidemment pas exclusives l’une de l’autre car les situations analysées n’autorisent pas l’usage d’une dichotomie simpliste entre « rural » et « urbain ». Les acteurs impliqués dans les mouvements locaux sont en fait des « rurbains » caractérisés par une forte mobilité entre les campagnes dont ils sont originaires et les villes, ainsi que par une forte composante urbaine dans leur mode et leur projet de vie. On tiendra également compte des trajectoires nationales spécifiques de construction de l’État, qui influent sur les contextes dans lesquels se déroulent les conflits. Par exemple, certains conflits paraissent « anomiques » (Congo) et d’autres particulièrement « régulés » ou « contrôlés » par les élites (Côte d’Ivoire).

De manière générale, il s’agira davantage de combiner que d’opposer les modes d’interprétation :

a) Le registre social agency-processus structurels : il s’agira de combiner l’approche qui consiste à envisager les phénomènes de mobilisation comme l’expression de la « compétence sociale » des acteurs pour élaborer un discours normatif et réflexif sur leur situation commune, élargir leur marge de manoeuvre et influer sur les structures sociales ; et l’approche qui consiste à inscrire ces phénomènes dans un processus structurel de longue période de recomposition des différenciations intergénérationnelles et de la division sociale du travail. La prise en compte du point de vue structurel doit compléter le point de vue de la social agency des acteurs, souvent présenté de manière trop exclusive dans la littérature. Cela implique d’accorder une attention particulière aux différenciations sociales à base générationnelle et à leurs relations avec les divers registres de différenciation sociale et d’inclusion/exclusion qui caractérisent chacune des sociétés nationales (ou « proto-nationales » comme en Nouvelle-Calédonie).

b) Le registre greed/grievance : il s’agira de combiner l’interprétation utilitariste (par la captation de ressources associé à la mobilisation) et l’interprétation « compréhensive » (par les revendications des acteurs vis-à-vis de l’ordre social). Ce registre recoupe la discussion sur la part qui revient à la manipulation par les élites politiques et celle qui relève de l’affirmation d’une position commune dans les champs économique, politique et symbolique par les acteurs mobilisés dans des formes d’action violentes.

Le groupement néo-segmentaire

Les enquêtes sur ce thème seront menées par Michel Naepels.

En Nouvelle-Calédonie, de nombreuses situations sociales illustrent l’ambivalence actuelle des rapports sociaux : selon les circonstances (rencontres politiques, vie municipale, participation aux conseils des anciens des tribus ou aux conseils coutumiers d’aire, débats fonciers, cérémonies, activités lignagères, etc.), deux individus mettent en avant les liens qui les unissent ou les conflits qui les divisent, et font valoir le respect qu’ils se doivent ou les différends qui les opposent. Ces contextes sociaux spécifiques permettent de reconstruire l’évolution des formes et des usages de la guerre et de la violence physique. Nous chercherons en particulier à décrire les transformations les plus contemporaines des modalités d’engagement des individus et d’usage de la violence physique dans les conflits qu’ils rencontrent. Dans l’évitement, la gestion et la résolution éventuelle des conflits, la capacité à mobiliser, à rassembler autour de soi et à former des collectifs dans l’action constitue la dynamique essentielle de la mise en œuvre des logiques segmentaires qui constituent le quotidien de la politique kanake.

Plutôt que de se focaliser sur la question de la rationalité, du calcul, de la délibération et de la décision, cette échelle d’analyse permet de mettre en rapport sentiments politiques et passages à l’acte — tant au niveau des mobilisations collectives (par exemple pendant la période dite des « événements » ou dans les revendications foncières), que dans les passages à l’acte violents les plus individuels (meurtres ou tentatives de meurtres), et de saisir la subjectivation des conflits et des liens. Le poids des rapports inégalitaires de genre et de génération dans ces formes de mobilisation fait de la « famille » un lieu décisif pour la compréhension du conflit et de la violence, tant sur le registre de l’acquisition des répertoires d’action (socialisation, construction des habitus, dans lesquels la violence physique, la violence sexuelle et l’intimidation ne sont pas illégitimes), que de l’effacement segmentaire de la distinction du public et du privé.

Le vigilantisme

Les recherches sur ce volet seront menées par l’équipe composée par les membres suivants : Jean-Pierre Chauveau, Samuel Bobo, Hervé Kigbafory Ouattara, Georges Kouamé.

Le vigilantisme désigne les formes de mobilisation de type « dispositifs associatifs privés à fonction sécuritaire collective », dont elle met en évidence l’ambivalence constitutive : elle répond à un « besoin » d’ordre et de sécurité tout en constituant une menace permanente pour ceux-ci. D’une part, ses objectifs procèdent de la recherche de l’ordre, de la sécurité et de la légalité lorsque les appareils étatiques ne sont pas en mesure de les assurer, ou sont perçus comme agissant en contradiction avec ces objectifs. Mais, d’autre part, le fonctionnement des organisations d’auto défense est irrésistiblement incorporé dans la « zone grise » du dispositif de despotisme décentralisé qu’il contribue à reproduire.

Cette « zone grise » est celle des intermédiations entre privé et public, entre revendications (de justice sociale, de sécurité des biens et des personnes) et stratégies opportunistes, et entre légalité, illégalité et non-légalité. Elle est un élément structurel du despotisme décentralisé qui prédispose à l’émergence du « vigilantisme », souvent fortement investi par les jeunes générations confrontées à des processus d’exclusion sociale et économique. De ce point de vue, le vigilitantisme possède de fortes affinités avec les mouvements associatifs générés par ce qu’il est convenu d’appeler la « société civile ». Loin de se situer à l’écart de la sphère étatique et politique, celle-ci procède le plus souvent, en régime de despotisme décentralisé, de cette « zone grise » entre les appareils d’État et les formes locales de coordination.

La démarche générale consistera à interpréter le vigilantisme et la position sociale des acteurs en milieu rural en référence à cette composante structurelle et à ses implications sur les cadres de la sociabilité locale. Il conviendra de saisir la position structurelle de l’entreprise milicienne en milieu rural vis-à-vis des dispositifs de gouvernementalité locale.

Le projet d’analyse portant sur le vigilantisme sera menée à travers une dimension comparative. Elle prendra en compte la différenciation régionale de la mobilisation des acteurs, selon l’histoire agraire, économique et politique des régions rurales et leur rapport avec la construction de l’État et de la gouvernementalité locale. La dimension « rurbaine » qui prévaut dans les sites d’enquête sera un élément important pour la compréhension. Concrètement, cinq entrées empiriques seront principalement retenues :

- Les "profils" et les trajectoires des jeunes ruraux et leur influence sur le niveau de conflictualité. Notamment leurs trajectoires et aspirations urbaines et leur position de force ou de faiblesse dans l’accès intergénérationnel au patrimoine foncier familial.

- Les rapports entre les formes organisées de mobilisation des jeunes et les différents centres locaux et supralocaux de pouvoir (villageois, administratifs, partis politiques, etc).

Les écuries ou l’unité urbaine de mobilisation des combattants

Cette équipe rassemble : Rémy Bazenguissa-Ganga, Patrice Yengo, Ibéa Atondi.

Nous tirons le terme « écurie » des constructions du sens commun. Ce terme est un néologisme élaboré par les acteurs pour une des formes urbaines de mobilisations violentes construites dans le cadre des conflits armés et des guerres. L’écurie exprime la structure de l’unité formée, au cours de l’action violente, par les combattants et leur patron. Cette structure a tendance à perdurer et exercer ses effets sur la forme des forces de l’ordre (armée et police) reconstruites après les violences. La structure de l’écurie lie le milicien à un « grand » c’est-à-dire celui qui, a priori, défend le mieux ses intérêts. Relativement à ce type de mobilisation, la relation entre le grand et le combattant apparaît comme un élément important de l’efficacité au combat. Différentes dynamiques de mobilisation aboutissent à la création des écuries. Tandis que des partis politiques recrutent certains acteurs, d’autres forment, en dehors de leur contrôle, des milices ou des bandes armées. En raison de leur capacité en terme de combats, les partis récupèrent toutes ces unités et les encadrent. Dans certains cas, il est possible de constater, et c’est un paradoxe, que la plupart de ces miliciens revendiquaient, dans le régime du parti unique, la non-violence. Ce fait ouvre une piste de recherche importante : comment des non-violents, de pratique et de principe, passent-ils à la violence effective ?

Etant donnée que la forme écurie cristallise plusieurs modalités de mobilisation, nous nous intéresserons ainsi aux mobiles des acteurs, aux modalités de recrutement, à l’importance des réseaux sociaux dans l’engagement et aux types de relations qui s’établissent entre les élites et les combattants. Pour ce faire et de manière plus générale, la réflexion sur les dynamiques urbaines de mobilisation tiendront compte de l’importance de la durée historique sur les processus de transformations politiques de ce pays. Durant les enquêtes, nous reviendrons sur les phénomènes de la militarisation de la société et de la sacralisation politique par les formes de la violence, du conflit et de la guerre. En effet, des relations peuvent être construites entre la forme du régime et la structure des luttes politiques qui sont principalement basées sur les brutalités physiques. Sous le parti unique, ces brutalités touchaient surtout les membres de l’élite. Le coup d’Etat représentait l’acte politique par excellence car il renvoyait à la mise en œuvre d’une décision qui créait et consacrait un ordre spécifique. Or, avec le multipartisme, le nombre d’individus engagés dans ces luttes, en tant que bourreaux ou victimes, augmente et, en même temps, de nouvelles formes d’actions armées émergent. Il conviendrait donc de s’interroger, à travers les mobilisations urbaines, sur les continuités entre les coups d’Etat et les nouvelles formes d’action. Il est possible, avec la prise en compte de la dimension légitimatrice de la violence, de questionner certaines approches en terme de privatisation ou de criminalisation. En effet, la structure de l’écurie rend problématique l’interprétation clientéliste des mobilisations. Le milicien, en mettant en danger sa propre vie, oblige, par cet engagement, le grand à contracter une dette à son égard s’il veut avoir les moyens de gagner la guerre ou de conserver le pouvoir. Ce renversement de perspective ouvre la nécessité d’analyser autrement les modalités réelles de mobilisations violentes. Les formes de mobilisation urbaines violentes définit selon cette approche permettent de s’intéresser à, au moins, quatre domaines de recherche : l’identité, les liens sociaux, les codes de la guerre puis, enfin, les démobilisations et les recrutements dans l’armée.

Le premier domaine de recherche portera sur l’identité individuelle et collective des « guerriers », soit des miliciens ou militaires et de leurs « patrons ». Dans ce sens, nous analyserons les différents principes de construction des unités participant directement aux affrontements : le factionalisme, la mutinerie, la militarisation des manifestations « populaires ». Ce volet s’intéressera aussi aux processus de réterritorialisation dans la ville. La recomposition des identités communautaires, « ethnique » et religieuse, fera également l’objet d’un travail attentif qui n’hésitera pas à se référer à l’histoire sociale de la ville.

Le second domaine de recherche concernera sur les formes de ces violences et mettra l’accent sur l’identité sociale des victimes en fonction du sexe, de l’âge et du statut socioprofessionnel. Il s’agira, non pas seulement de dresser le tableau des groupes les plus menacés, mais d’analyser la perversion des liens sociaux dans certains quartiers et leur lien avec les mobilisation. Les conflits armés, en se concentrant dans des quartiers précis, prennent la forme de représailles que les miliciens exercent contre leurs propres voisins. Quel est l’effet de ces phénomènes sur les mobilisations violentes ?

En revenant sur l’analyse des continuités, on peut rappeler que, avec la fin de l’Etat-providence, les « jeunes » commencèrent à passer dans la violence en utilisant le schème d’accusation de sorcellerie attribuée à des « vieux du quartier ». Cet imaginaire avait permis de construire, dans certains quartiers, à la suite de leur exclusion et déclassement scolaires, la violence politique selon des formes plus sociales et non seulement individuelles, comme la délinquance. Ces accusations culminaient souvent dans la mise à mort des vieux incriminés. Certains indices montrent que les conflits armés actuels sont aussi liés à ces formes locales de violence contre des proches. On peut se demander quels autres schèmes structurent ces violences ?

Le troisième domaine de recherche se rapporte aux codes et à la sémantique de la guerre. Cette analyse insistera sur les univers sociaux à partir desquels ces mobilisations guerrières sont mises en forme : les médias audiovisuels (cinéma et télévision) et la réinvention des croyances « traditionnelles » (lutte contre la sorcellerie ou reconstruction de l’histoire des affrontements « ethniques » ayant eu lieu dans le pays). En tenant compte de l’effet social des médias, il devient légitime de proposer l’hypothèse d’une culture « mondialisée » commune à certains acteurs urbains. On s’interrogera, par contre, sur les analogies et les différences qui existent. Il est, en outre, possible d’appuyer cette analyse des codes de l’imaginaire de la guerre par le recueil des rumeurs se rapportant aux victimes. On peut postuler ainsi l’existence d’une sémantique de la terreur repérable aux justifications fournies pour certains massacres.

Enfin, le dernier domaine appréhendera les modalités de démobilisation et de recrutement dans l’armée. Relativement au système de relations cristallisées par les écuries, l’intégration dans l’armée donne à cette dernière une structure éclatée. La recrue maintient la disposition d’esprit en faveur d’une allégeance personnelle à un grand et non à son supérieur hiérarchique selon l’ordre militaire.

Analyses et enquêtes

Les recherches sur « le groupement néo-segmentaire » porteront sur la région rurale de Houaïlou, en Nouvelle-Calédonie, en particulier sur deux terrains : la zone littorale (de Ba à Parawiè) marquée par les plus fortes interactions des chefferies locales avec les pouvoirs coloniaux (depuis la première opération de répression en 1856 jusqu’à la nomination de l’actuel membre du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie originaire de Houaïlou) est particulièrement adéquate pour percevoir l’évolution des formes et des usages de la guerre et de la violence physique, notamment dans l’interaction entre enjeux sociaux micro-locaux et modes de gouvernementalité à l’échelle de la Nouvelle-Calédonie dans son ensemble. La vallée de Néawa, marquée par les affrontements inter-familiaux les plus importants à Houaïlou, et probablement même dans l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie, depuis la fin des « événements », impliquant des fusillades entre plusieurs dizaines d’hommes, constitue le second espace de nos enquêtes, le mieux adapté à la question du segmentaire et du passage à l’acte violent.

Les enquêtes sur le vigilantisme se dérouleront en Côte d’ivoire. L’étude concernera plus précisément la mobilisation des acteurs dans des mouvements patriotiques d’auto-défense pro-gouvernementaux dans la zone contrôlée par le pouvoir légal et dans des situations rurales. On distinguera ainsi les mouvements d’auto-défense patriotique de celui des recrues incorporées à titre provisoire dans l’armée régulière, celui des supplétifs « officiels » et des hommes de main non reconnus. Les enquêtes prendront en compte la différenciation régionale de la mobilisation selon l’histoire agraire, économique et politique des régions rurales et leur rapport avec la construction de l’Etat et de la gouvernementalité locale. Dans la mesure où le phénomène milicien est très lié à l’expression d’antagonismes identitaires (en termes d’origine ethniques et de nationalité), nous comparerons, dans le Centre-Ouest, une situation où les droits d’autochtonie sont structurants dans les enjeux fonciers et politiques locaux, à trois sites de la Basse-Côte où l’absence de droits d’autochtonie affirmés aboutit à l’émergence d’une sorte "d’autochtonie allochtone" et, enfin, en Basse-Côte, une situation où les droits d’autochtonie sont structurants mais où les autochtones sont eux-mêmes contraints d’accéder à la terre en situation d’allochtones hors de leur terroir.

Les études sur les écuries se concentreront sur Brazzaville, la capitale congolaise. Des enquêtes exhaustives seront menées dans les arrondissements Nord et Sud qui, selon les conflits, ont été les principales arènes des violences politiques. Une autre série d’enquêtes portera directement sur les opérations de démobilisation et d’intégration des miliciens dans les forces de l’ordre. Il s’agira, d’une part, de déterminer le nombre des écuries, le mode d’articulation qui uni les uns aux autres. D’autre part, nous considérerons comment se construisent des corps sociaux armés. Enfin, dans une perspective comparative, nous nous intéresserons à une milice réunie autour d’un chef néo-pentecôtiste, les Nsilulu. Cette milice, créée à la fin des années 90 par des urbains retranchés dans une zone rurale, permet de cerner des dimensions des mobilisations violentes qui n’apparaissent pas clairement avec les autres milices notamment leur relation avec leurs « parents » ruraux.

Le travail de terrain réalise ainsi la visée comparative de ce premier volet du projet. D’une part, elle peut ouvrir une perspective comparative avec d’autres situations de conflits militaro-civils, en prenant en compte d’autres variables comme les trajectoires historiques de la construction de l’État, l’économie politique de la gestion des ressources par les élites ou les interventions extérieures d’aide internationale, notamment les interventions dans le domaine de rétablissement de la paix. D’autre part, cette problématique peut aussi ouvrir à une perspective comparative entre formes de « vigilantisme » : milices d’auto-défense et milices combattantes directement engagés dans les conflits, mais aussi ONG locales, dont beaucoup sont des émanations du pouvoir légal ou fortement appuyées par lui.

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Axe 2 :
Transformations technologiques et militaires, nouveaux dispositifs sécuritaires et humanitaires.

L’emprise toujours plus forte des sciences et des techniques avancées dans nos « sociétés de l’information », le pouvoir normatif des acteurs de la globalisation économique et la réforme organisationnelle des institutions en charge de la sécurité entraînent une transformation du rôle des Etats dans de ce qui était une de leur raison d’être : le monopole de la gestion de la violence légale. De nouveaux acteurs prennent en charge des pans de plus en plus larges de la fonction de sécurité jusque là réservée aux Etats. L’importance croissante du cadre du marché ouvre la perspective d’une prise en charge partielle des fonctions de sécurité par des acteurs non étatiques paramilitaires, des entreprises commerciales et des institutions privées transnationales.

Nous souhaitons, d’abord, analyser les conséquences de ces deux éléments : les transformations technologiques et militaires et l’extension du marché à la dimension sociale de la sécurité collective au sein de l’espace transatlantique constitué par l’Amérique du Nord et l’Union européenne.

Ensuite, nous étudierons les métamorphoses des interactions stratégiques entre acteurs étatiques et entités non étatiques dans la constitution de nouveaux réseaux intégrés de réponse aux nouvelles menaces et de gestion d’un « continuum guerre/paix » dans les interventions extérieures.

Enfin, le dispositif humanitaire, dont la fonction de protection et de soin se double systématiquement d’une fonction de contrôle des « populations civiles » aux échelles locales, nationales ou régionales. La manière dont les « populations civiles » sont ainsi construites par le contexte guerrier lui-même, et dont elles traversent le dispositif humanitaire permettra finalement de questionner sur le terrain les politiques onusiennes de « peace making »

Echelles sécuritaires et territoires politiques

Les enquêtes sur ce thème seront menées par André Brigot

Les différentes transformations sous-tendues par la notion de sécurité, elle même interrogée sur son emploi en substitution des notions de forces armées, puis de défense, seront confrontées aux échelles politiques, c’est à dire aux espaces de sécurité pris en charge par les institutions politiques, et tout particulièrement par l’acteur stratégique en construction « Union européenne ». Ceci dans les deux dimensions de la constitution d’une politique européenne de sécurité et de défense (PESD), et de la mise en œuvre, peut-être plus concrète et diffuse d’une « sécurité intérieure–affaires intérieures et justice ».

Cet acteur stratégique nouveau développe-t-il des spécificités culturelles (valeurs) et opérationnelles en matière de prévention, recours à la force, déroulement et sortie de conflit/guerre. Cette construction innove-t-elle par rapport aux formes classiques d’alliance ou de coalition ? L’hypothèse d’une extension mondiale de structures régionales de sécurité comparable à celle de l’Union (notamment en Amérique du sud, Afrique et à l’Asie…) est-elle pertinente face à celle de la « mondialisation de la sécurité » ?

Comment s’articulent alors ces différentes échelles ? Comment se positionnerait cette problématique sécuritaire spécifique en regard de deux acteurs stratégiques globaux :

- les Etats-Unis. Sont-ils analysables, en matière de sécurité comme réactualisation de la voie « impériale » de la sécurité mondiale ?

- les institutions internationales demeurent-elles une perspective pour un système de sécurité collectif, voire coopératif mondial ?

Acteurs non étatiques et nouvelles menaces : coopérations et intégrations fonctionnelles dans la gestion du « continuum guerre/paix »

Les enquêtes sur ce thème seront menées par Sami Makki, Anas Abderrahim et Baptiste Martin.

Les nouveaux modes opératoires occidentaux (Etats-Unis, Royaume-Uni, OTAN et Union européenne) passent par des actions unilatérales ou collectives (alliances, coalitions) et reposent sur la combinaison du pouvoir d’influence des acteurs non étatiques (soft power) et le développement de nouvelles capacités pour la conduite de guerres en réseaux (netwars et Network centric warfare).

Nous entendons analyser les discours, stratégies et pratiques opérationnelles des acteurs non étatiques impliqués dans les guerres contemporaines sur une période historique courte marquée par la chute du Mur de Berlin et par le 11 septembre 2001. Au-delà de l’étude traditionnelle des acteurs publics et institutionnels (Etats, organisations internationales et régionales), nous centrerons notre recherche sur le rôle grandissant de nouveaux acteurs globaux tels que les organisations non gouvernementales humanitaires, de développement ou militantes de dimension internationale, les multinationales exploitant les ressources énergétiques, les entreprises commerciales de reconstruction et de services, les sociétés de sécurité privées et les sociétés militaires privées afin d’étudier la complexité des relations qui s’établissent dans les guerres actuelles et qui contribuent à leur privatisation. Ce nouveau maillage civilo-militaire et public-privé s’accompagne de la redéfinition géographique et fonctionnelle des domaines d’intervention traditionnels entre sécurité intérieure et défense extérieure, à l’intérieur et au-delà des frontières de l’Etat, le long de glacis militarisés (Mexique, Maroc, Israël). L’apparition de menaces transnationales complexes, souvent qualifiées d’asymétriques au sein des centres de décision occidentaux, ont légitimé l’accélération de la constitution de nouveaux pôles technologiques pour une gestion capacitaire et automatisée. Quelles en sont les conséquences prévisibles, à la lecture des enseignements tirés des expériences étrangères, sur l’équilibre entre sécurité publique et libertés fondamentales ? Quelle place est accordée à l’humain dans la constitution de ces nouveaux systèmes de gestion de menaces diffuses, dans les « zones crises » qui ont progressivement vu le jour à toutes les échelles, de la guerre urbaine à l’affrontement de haute intensité de dimension globale, dans des espaces réels ou dans des territoires virtuels à travers la guerre informationnelle ?

Nous insisterons sur les phénomènes de coopération, de coordination et d’intégration entre acteurs publics et privés, civils, militaires et paramilitaires durant les différentes temporalités du cycle des conflits (prévention/préemption, gestion, stabilisation et reconstruction). Dans une approche critique de la reconstruction des Etats dans l’après-conflit, nous analyserons les nouveaux dispositifs de gestion des politiques publiques (new public management) liés à la gestion des secteurs de la défense, et de la sécurité et de la diplomatie préventive, à travers la constitution de partenariats publics-privés et de projets d’externalisation qui traduisent une redéfinition profonde et durable des relations entre Etats, forces armées et marchés. Nous présenterons les dynamiques institutionnelles et opérationnelles (commercialisation de l’aide, intégration des dispositifs de sécurité & de développement) tournées vers la recherche d’une synchronisation des actions entre acteurs civils et militaires qui brouille les frontières et les identités traditionnelles.

Les opérations de stabilisation rassemblent forces armées et acteurs non étatiques à travers l’imposition de normes occidentales dans les systèmes militaires et sécuritaires des pays en voie de développement ou en sortie de crises (Moyen-orient, Balkans, Afrique, Amérique latine). Ces mutations redéfinissent les formes et frontières des « nouvelles guerres ». Ces dynamiques mettent en lumière les limites des administrations intérimaires chargées du rétablissement de la paix par la transformation des sociétés locales vers la démocratie de marché. Comment se situent les Etats dans ces dynamiques de privatisation des guerres ? Sont-ils encore capables de maîtriser ce phénomène en plein développement dans les missions de police et de projection de forces à l’extérieure ? Nous nous interrogerons, à partir de cas nationaux, sur la place des acteurs des « sociétés civiles » occidentales dans le contrôle démocratique de ces processus de militarisation et de privatisation de la gestion des conflits internationaux.

Le dispositif humanitaire, du contrôle des camps et des « populations civiles » aux tensions institutionnelles

M. Agier, J. Valluy, M. Le Pape, V. Tallio, G. Scarellati, N. Suarez, S. Rolland, A. Corbet et H. Dumas doctorants EHESS.

Le dispositif humanitaire, en tant que réseau mondialisé doté d’une grande souplesse et réactivité, s’appuie sur un régime de pensée universaliste : l’humain et son incarnation extrême dans le problème posé par la victime sans nom et sans médiation. En même temps, un ensemble d’organisations, de réseaux, d’agents et de moyens financiers sont répartis dans différentes régions du monde et se déploient, ici et là, pour un temps donné, selon une modalité de « souveraineté mouvante » mise en œuvre par des organisations et des agents – des personnes souvent « engagées » et formées aux disciplines des droits de l’homme, des sciences sociales et politiques, des métiers de la santé et de la logistique. Une mondialité organisationnelle est ainsi la réplique du message universel de l’égalité d’une humanité dont le contraire n’est pas l’inégalité mais la souffrance des victimes.

Loin de réduire notre attention aux seules organisations non gouvernementales agissant dans le domaine humanitaire, nous la ferons porter sur tous les intervenants, publics et privés, gouvernementaux, intergouvernementaux, non gouvernementaux ou onusiens, qui utilisent ce qualificatif comme mode de reconnaissance, de distinction ou de légitimation de leur action, celle-ci relevant, en fin de compte, autant du contrôle que du soin. Nous nous intéresserons notamment à l’organisation du pouvoir, de la gestion matérielle et sociale de la vie dans les espaces – ou réseaux d’espaces – qui sont édifiés par ou avec la collaboration des organisations humanitaires, des associations non gouvernementales locales ou internationales, des institutions intergouvernementales et onusiennes. Les enquêtes porteront plus particulièrement sur le rôle central du HCR (le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés) en tant qu’il est aujourd’hui le grand ordonnateur onusien de ce dispositif.

Il a fallu la guerre froide pour que le monde occidental, voulant être la terre d’accueil des « bonnes » victimes du communisme, crée en 1951 le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), institution ad hoc et à l’origine provisoire, tout en la dotant d’un message universaliste Avec cette création, on pouvait attendre que le HCR crée les conditions d’un espace de reconnaissance et de parole en se portant garant de la « protection » (physique et juridique) et du respect des droits de l’homme pour celles et ceux qui avaient perdu ces droits de leur État d’origine sans l’avoir encore recouvré du même, ou d’un autre. La suite confirma ce qu’on savait depuis les mesures d’accueil des étrangers en France au XIXe siècle : toute politique d’assistance est simultanément un instrument de contrôle des « ayants-droit ». Aujourd’hui, le HCR semble plus clairement que jamais annexé aux politiques de contrôle des flux et de rejet des indésirables, en tentant d’y apposer un simple complément humanitaire et morale. Celles-ci prennent corps ces dernières années en particulier en Europe, en Afrique noire et en Afrique du nord. Dans ces trois régions, le contrôle des circulations et le « retour des camps » sont simultanément à l’ordre du jour.

C’est dans ce cadre que se constitue la catégorie de « populations civiles », comme composante généralement non armée de la guerre, à la fois objet (en tant que « victimes ») et sujet (en tant que « société civile ») des dispositifs sécuritaires et humanitaires. Ainsi, dans le cas des réfugiés rwandais hutu en fuite au Zaïre en 1996-1997, on analysera d’une part l’articulation entre les pratiques guerrières et la réactivité des intervenants humanitaires, d’autre part les usages des dispositifs humanitaires par les réfugiés. En 1996, le Rwanda engage une offensive militaire contre le Zaïre, en commençant par attaquer les camps de réfugiés rwandais qui avaient quitté leur pays en 1994. D’où un mouvement de fuite vers l’intérieur du Zaïre : certains, nombreux, accompliront, à pied, en groupes, un parcours de 2000 km, sans cesse poursuivis par des éléments de l’armée rwandaise. En Colombie, depuis plusieurs décennie des acteurs armés d’extrême gauche (« guerrillas ») et d’extrême droite (« organisations paramilitaires ») entretiennent une guerre ouverte pour le monopole du pouvoir dans des territoires localisés à la périphérie du pouvoir central. Dans ces espaces territorialisés, des réalités sociales particulières se mettent en place par le biais de la coercition et de la menace, permanente, du recours à la force. La population civile est au centre des enjeux de cette guerre. C’est contre elle que les représailles sont dirigées, c’est elle qui est massacrée, déplacée, accusée d’être l’ennemi, que l’on fait disparaître. La violence des armes conditionne les rapports entre les individus ainsi que les relations qu’ils entretiennent avec l’espace local et national. Des transformations sont induites par cette violence armée, en particulier dans la construction d’un espace commun dans le long terme. Des processus de construction identitaire et de reconstitution du lien social se déploient dans ce contexte de violence généralisée, de conflit interne chronique et de déplacement de population. De nouvelles stratégies communautaires (communautés « de paix » et/ou communautés territoriales « afrocolombiennes ») s’enracinent dans un contexte de fragmentation sociale aiguë liée à la politique de terreur menée par les groupes armés illégaux présents dans la zone, et notamment les groupes paramilitaires.

Analyses et enquêtes

A partir des contributions sur la dimension technique (nouvelles technologies de l’information) et la dimension économique et sociale (privatisation de la sécurité), et en bénéficiant des exemples de terrain données entre autres par les équipes partenaires (notamment dans le cadre de la liaison en matière de sécurité entre le contient européen et les deux zones d’affrontements majeurs que sont le moyen orient et l’Afrique), cette partie de la recherche s’appuiera sur les travaux effectués dans le cadre du séminaire tenu à l’EHESS depuis 1999 « Industries d’armement, fonctions de sécurité et construction politique de l’Europe », sur l’enseignement dispensé aux Ecoles de Saint Cyr Coetquidan, notamment à la direction de mémoires spécialisés. L’ensemble de ces travaux ont donné lieu à des publications, notamment dans le bimestriel « Le Débat stratégique » édité par le Centre interdisciplinaire de recherche sur la paix et d’Etudes stratégiques. Cette réflexion académique permettra de poursuivre les études réalisées dans le cadre de contrats précédents avec la Délégation aux Affaires stratégiques et le Centre d’études en sciences sociale du Ministère de la Défense ou lors des échanges avec des représentants de l’Etat major des armées. L’étude permettra aussi d’approfondir la liaison entre les dimensions théoriques, la formation d’officiers et s’appuiera sur les applications opérationnelles des techniques mises en œuvre. Notre travail de recherche et d’analyse sur les acteurs non étatiques s’appuiera sur une veille documentaire et bibliographique constante durant les trois années du projet autour des productions internationales sous diverses formes (ouvrages, articles scientifiques, rapports, littérature grise) dans l’analyse de la transformation des guerres et des nouveaux rapports entre institutions publiques et privées dans la gestion de la violence.

Ce travail théorique sera complété par neuf enquêtes de terrain dans les grands centres de réflexion et de décision stratégiques américains et européens (Washington, New York, Londres, Bruxelles, Genève et Paris) pour analyser plus précisément les paramètres et les dynamiques de ces changements globaux. Nos réseaux de travail et de connaissances, au sein des institutions militaires, diplomatiques, des agences de coopération intergouvernementales, gouvernementales et non gouvernementales, des réseaux d’innovation et des centres d’analyses dans l’espace transatlantique, permettront une analyse prospective plus fine des débats portant sur la Transformation des guerres. Notre programme de recherche entend participer aux débats menés au niveau international par les experts anglo-saxons, (« Leverhulme Programme on the Changing Character of War » d’Oxford, à la London School of Economics and Political Science ou à la National Defense University de Washington D.C.) avec lesquels nous avons déjà établi, depuis près de deux ans, les bases de futurs échanges.

Les enseignements de Masters à l’IEP de Paris, à l’EHESS et la direction de mémoires de recherche de Magistériens à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sur les acteurs non-étatiques dans les guerres, la privatisation de la sécurité et la transformation des conflits ont permis de constituer des espaces de travail interdisciplinaires réunissant des praticiens et de jeunes chercheurs. Ces activités permettront une diffusion des résultats des recherches du projet Trans-Guerres dans un environnement universitaire étendu.

Les enquêtes sur le dispositif humanitaire et de contrôle formé par le HCR et autour du HCR, se dérouleront tout à la fois en Europe, en Afrique de l’Ouest et en Afrique du nord. Il s’agit d’appréhender le dispositif sur trois « fronts » : 1) celui des politiques européennes de mise à l’écart et développement de la forme camp, notamment par « l’externalisation de l’asile » à l’est de l’Europe et au Maghreb, particulièrement au Maroc, où le monde associatif est en tension avec les gouvernements d’un côté et le HCR de l’autre (M. Agier, J . Valluy) ; 2) celui des camps de réfugiés existant de longues dates en Afrique noire où la question des rapports entre protection et contrôle se pose de manière aujourd’hui plus politique et souvent induit des violences à l’égard des populations exilées en attente de reconnaissance et assistance réfugiées (V. Tallio). 3) Celui des stratégies du HCR et de la définition de sa politique, telle qu’on peut l’observer au sein de l’institution elle-même, dans les rapports entre le « siège » et les « terrains » d’intervention (G. Scarellati).

Ces enquêtes pourront aussi porter sur de nouvelles monographies de camps (Alice Corbet). Elles s’articuleront avec les enquêtes sur les « populations civiles », qui rencontrent, croisent ou négocient, individuellement ou collectivement, leur existence dans les cadres créés par l’intervention du HCR et plus généralement par le dispositif humanitaire.

Dans l’enquête sur la fuite des réfugiés rwandais hutus, la recherche portera sur les dispositifs humanitaires mis en place tout au long des parcours de fuite. Il s’agit d’examiner les différentes stratégies et routines des organisations internationales de secours (en particulier : HCR, UNICEF, CICR, MSF, OXFAM) et les récits de violences qu’elles diffusent en vue de légitimer leurs interventions et de ne pas laisser l’exclusivité des discours de dénonciation aux Organisations des droits de l’homme (Amnesty, HRW, Physicians for Human Rights). L’analyse sociologique ne s’enferme pas dans l’examen des points de vue institutionnels, car elle vise à confronter ces derniers avec les perceptions qu’ont eues les réfugiés des actions de secours : il s’agit d’analyser des témoignages qui relatent les diverses dimensions des souffrances vécues, rappellent les attentes à l’égard des organisations internationales (attentes matérielles et politiques), mais aussi les manières de « s’en tirer » et survivre en l’absence de tout dispositif international humanitaire (Marc Le Pape).

En Colombie, nous retiendrons différents cas d’étude représentatifs de la complexité du travail de définition fait par les acteurs sociaux impliqués dans le conflit, que ce soit les acteurs armés ou la population civile, en les suivant dans ce qu’ils font et en prenant au sérieux la façon dont ils qualifient et définissent leur situation (Natalia Suarez). Par ailleurs, l’analyse sociopolitique de l’émergence d’un acteur ethnique – les organisations territoriales de base afrocolombiennes – sera menée dans un contexte local dominé par la présence des organisations paramilitaires, dans la région du Bajo Atrato, dans le Nord-Ouest de la Colombie (Stellio Rolland).

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Calendrier :
Programme de travail et étapes de la recherche interdisciplinaire

Programme de travail et étapes de la recherche interdisciplinaire

Le projet étant établi sur une durée de trois ans, nous avons organisé notre programme de travail autour de deux grandes phases avec deux événements scientifiques importants en milieu et en fin de programme.

Un séminaire intensif de 4 jours réunissant tous les chercheurs du projet Durant le 18ième mois, tous les chercheurs des trois partenaires institutionnels impliqués dans le projet se réuniront dans un séminaire interdisciplinaire fermé de quatre jours ayant pour objectif de favoriser l’échange d’information et d’analyses suite au travail d’enquête de terrain intensif des 17 premiers mois de recherche. Ce rassemblement sera l’occasion d’une réévaluation collective rigoureuse des grands axes de la recherche en fonction des premiers résultats observés afin de dépasser les cadres d’analyses traditionnels des guerres par l’interdisciplinarité.

Un colloque final de deux jours réunissant tous les chercheurs du projet et des experts extérieurs invités Ce colloque sera le point d’orgue de cet important projet de recherche avant la publication des résultats de nos recherches

Des publications collectives Au moins un ouvrage collectif devra rendre rapidement compte des résultats empiriques, interprétatifs et méthodologiques du programme, sans préjuger d’autres publications dans le prolongement de la conclusion du programme de trois ans.

9 séminaires interdisciplinaires collectifs Tout au long de ces trois années de recherche, et trois fois par an, des séminaires collectifs, communs aux chercheurs des trois laboratoires, seront organisés par le Ceaf.

Un atelier international autour des guerres contemporaines Un atelier international de deux jours organisé par l’équipe du TAGIS, réunissant tous les chercheurs du projet Trans-Guerres et dix experts nationaux et internationaux, sera organisé à Paris autour du 14ième mois du projet. Le thème envisagé est « transformations technologiques et militaires et privatisation des guerres ». Il sera l’occasion de convoquer à Paris quelques uns des universitaires les plus reconnus mondialement sur la question et qui ont déjà fait connaître leur grand intérêt pour une telle réunion de travail. Cet événement s’inscrira aussi dans la démarche de création et d’animation du réseau académique international sur la « privatisation des guerres » en cours de constitution entre des universitaires de Paris, Berlin, Genève, Bruxelles, Londres, Washington D.C, Copenhague et Stockholm.

Des activités d’aide à la recherche et de valorisation des réflexions scientifiques par l’Internet Constitution de sites Internet et de portails collaboratifs permettant l’échange d’information et les travaux collectifs entre les chercheurs des différentes équipes et la valorisation des recherches et publications des membres du projet.