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Barbares mais virils

Représentations du corps indigène masculin et redéfinition des identités de genre et de race dans l’Algérie de la conquête, 1830-1870

Aurélie Perrier
Aurélie PERRIER est historienne du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord formée à l’université de Georgetown aux Etats-Unis. Elle est chercheure affiliée au Centre de Recherches Historiques de l’EHESS et membre de l’équipe d’enseignement de deux séminaires à L’EHESS. Ses recherches se concentrent sur l’articulation des discriminations de genre, de sexe et de (...)

citation

Aurélie Perrier, "Barbares mais virils Représentations du corps indigène masculin et redéfinition des identités de genre et de race dans l’Algérie de la conquête, 1830-1870", REVUE Asylon(s), N°15, février 2018

ISBN : 979-10-95908-19-7 9791095908197, Politique du corps (post) colonial, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1410.html

résumé

Construire et développer un empire est une entreprise éminemment virile, tissée de récits de conquêtes, de violences et de rencontres interculturelles qui placent les notions de race et de masculinité au cœur de la trame historique. Cependant, mis à part quelques affirmations banales sur le caractère masculiniste des conquêtes impériales, peu d’historiens du Maghreb se sont penchés sur la question de la réinvention des codes régissant l’identité masculine de part et d’autre de la relation coloniale, et de l’impact de ces nouvelles conceptions sur la définition de hiérarchies raciales. Cet article tente modestement de contribuer à combler cette lacune en étudiant le cas de l’Algérie du XIXe siècle.

Abstract : Barbarian but manly : representation of the indigenous bodies and redefinition of identities of gender and race in colonial Algeria (1830-1870)

Building and developing an empire is very manly task, filled with tales of conquests, violence and intercultural encounters that place the notion of race and masculinity at the heart of the historical narrative. This papers focuses on the reinvention of masculinity codes on either side of the colonial relation due to the conquest.

Introduction

Construire et développer un empire est une entreprise éminemment virile, tissée de récits de conquêtes, de violences et de rencontres interculturelles qui placent les notions de race et de masculinité au cœur de la trame historique. Cependant, mis à part quelques affirmations banales sur le caractère masculiniste des conquêtes impériales, peu d’historiens du Maghreb se sont penchés sur la question de la réinvention des codes régissant l’identité masculine de part et d’autre de la relation coloniale, et de l’impact de ces nouvelles conceptions sur la définition de hiérarchies raciales [1]. Cet article tente de poser des premiers jalons pour mieux penser ces phénomènes de transferts et de définition croisée des catégories genrées et raciales dans l’Algérie du XIXe siècle.

La conquête de l’Algérie, qui s’étend de 1830 à 1871, forme un terrain particulièrement propice à l’étude de la construction du masculin en situation coloniale. Tout d’abord, le « sexe fort » y domine très largement. L’armée française compte plus de 100.000 soldats en 1847, et les premières vagues d’immigrations européennes vers l’Algérie sont, elles aussi, majoritairement composées de sujets masculins à la recherche d’aventure et de fortune rapide [2]. Ensuite, la poursuite des affrontements militaires pendant près de quarante années offre des théâtres de guerre multiples où Européens et Algériens peuvent exercer et mettre en scène leurs qualités martiales, attributs suprêmes de la masculinité. Enfin, la situation coloniale met en contact différent modèle sexuels et culturels, et les rencontres coloniales qui se nouent au quotidien entre Algériens et Européens génèrent l’invention de nouvelles identités et pratiques sociales qui parfois bouleversent l’ordre établi entre colonisé et colonisateur.

Notre ambition est d’analyser la façon dont les pratiques et les codes régissant la masculinité sont tout à la fois l’enjeu d’une lutte entre hommes où se définissent des classifications raciales et sociétales, et un espace de métissage entre Européens et Algériens où les uns et les autres adoptent des éléments représentant la masculinité de « l’autre ». Il s’agit donc de mieux comprendre, à travers le prisme du masculin, l’articulation complexe des discriminations de sexe et de race dans l’Algérie des premières décennies, période pendant laquelle ces catégories sont très instables : quels recoupements existent entre la fabrique de distinctions ethniques et la production d’identités masculines (hégémoniques et subalternes) ? La mise en contact des modèles de virilité européens et algériens a-t-elle participé à la construction d’une hiérarchie raciale ou, au contraire, au brouillage des catégories de « colonisé » et « colonisateur », en favorisant une hybridation des références définissant le masculin et en ouvrant un espace de métissage [3] ? C’est ce que nous tenterons d’examiner dans cet article.

Outre les rapports et données statistiques issus de l’administration coloniale qui permettent de dresser un panorama général de la sociabilité masculine entre Français et autochtones, les ouvrages et compte-rendus des médecins militaires renferment de nombreuses observations sur l’état de santé et de vitalité des troupes ainsi que sur la physionomie « arabe » ; dans son ensemble, le discours médical offre donc, en filigrane, un commentaire sur l’idéal corporel masculin. Les récits et mémoires de militaires et administrateurs envoyés en Algérie permettront, pour leur part, d’aborder la question de la construction du masculin à partir de trajectoires personnelles et donc d’élaborer un récit moins officiel ancré dans l’expérience vécue. Enfin, des documents iconographiques d’archive constitueront une source importante : formant un discours visuel, les divers portraits de notables algériens et de militaires français exécutés par le photographe Félix Moulin entre 1856 et 1858, nous permettront d’interroger la conception du masculin qui est mise en scène, capturée, et véhiculée dans ces images. Il s’agira notamment d’y « lire », à la fois les hiérarchies et les complicités qui s’établissent entre hommes d’origines différentes dans l’Algérie coloniale.

La Conquête Algérienne : une solution à la crise de la masculinité française ?

Débutant en 1830, la conquête de l’Algérie prend place à un moment où la masculinité française est perçue comme étant en état de crise. L’avènement d’un mode de vie plus sédentaire qui caractérise la modernité urbaine, ainsi que le déclin de la culture militaire française - précipitée par les défaites Napoléoniennes de 1815 - impliquent autant de bouleversements dans la culture et les référents régissant le masculin.

L’historien Christopher Forth met bien en lumière les tensions inhérentes qui opposent, dès le XVIIIe siècle, les notions de progrès et de civilisation d’une part, et celles régissant les idéaux du corps masculin de l’autre [4]. Examinant cette relation paradoxale, il conclut que, « selon la façon dont le sujet est abordé, l’opposé de ‘la civilisation’ n’était pas seulement ‘la barbarie’ mais aussi ‘la virilité’ » [5]. En effet, la nouvelle culture de l’opulence, du raffinement et de l’élégance, qui accompagne l’avènement de la société commerciale à la fin du XVIIIe siècle, exacerbe les peurs françaises de dégénérescence corporelle et raciale, particulièrement pour les hommes [6]. La société de consommation est perçue comme favorisant l’intempérance des appétits matériels et sensuels – jusque-là un travers réservé aux femmes – et comme encourageant l’atrophie musculaire. Certains considèrent donc que la société moderne tend à féminiser les corps et les tempéraments des hommes.

La civilisation moderne se définit par ailleurs de plus en plus en rapport avec l’héritage intellectuel et philosophique des Lumières. Par extension, l’homme « civilisé » au XIXe siècle est celui qui s’engage dans des activités rationnelles et cérébrales, et non plus physiques. Comme le souligne Norbert Elias, la notion de civilisation qui tend à s’imposer en Europe à cette époque se définit par des rapports sociaux purgés de toute forme de violence et de plus en plus polis et policés, tandis que la relation à l’autre se caractérise par une mise à distance des corps – tant du sien propre que de celui d’autrui [7]. Ces changements signifient le passage à un nouvel idéal de la masculinité, plus cérébral et moins incarné, mais il génère simultanément des inquiétudes. Ainsi, les diverses controverses autour du surmenage intellectuel qui se développent au XIXe siècle, conjugué avec le déclin effectif du temps consacré aux activités physiques, reflètent l’appréhension des Français concernant l’effet débilitant de la société moderne sur les corps masculins [8]. La proportion croissante d’exemptions du service militaire (pour handicap physique) ainsi que la diminution de la taille moyenne du Français – mise en lumière dans les études de médecins militaires – alimentent la peur selon laquelle la France serait une nation de « dégénérés ». Pour un nombre croissant de contemporains, les activités cérébrales forment une entrave à la production d’hommes « véritables », dont les corps semblent se « ramollir » et rapetisser à vue d’œil [9].

L’Algérie : une fabrique de héros

Dans un tel contexte, la colonisation de l’Afrique du Nord offre un terrain fertile pour une masculinité en quête de nouvelles définitions. La conquête de l’Algérie, qui s’étend sur quarante années, offre d’innombrables théâtres de guerre dans des terrains non conventionnels et souvent difficiles où les soldats peuvent exercer, perfectionner et mettre en scène les vertus masculines traditionnelles (courage force physique, héroïsme etc.). Par ailleurs, en rappelant fortement les campagnes militaires de Napoléon en Égypte, la conquête de l’Algérie évoque tout à la fois la gloire passée de la France et la promesse d’un futur succès national bâtit sur la base de soldats valeureux et exemplaires.

Loin des aises et du confort du monde moderne, l’Algérie est appréhendée comme « la terre de tous les dangers ». Là-bas, le soldat doit faire face, non seulement à un peuple guerrier et fanatique, mais aussi à une nature inhospitalière, au climat torride, ou encore à la présence de fauves, autant d’obstacles qui renforcent la vaillance du soldat [10]. Selon un contemporain, c’est précisément la multiplication des dangers qui fait de la guerre algérienne, « l’un des plus beaux spectacles d’héroïsme des temps modernes et même de l’ère humaine » [11].

Une carrière militaire en Algérie peut aussi augurer une ascension professionnelle fulgurante, transformant en très peu de temps un soldat ordinaire en un véritable héros national. Ainsi, Armand Jacques Leroy de Saint Arnaud est promu Maréchal puis ministre de la guerre suite à ses exploits sur le champ de bataille algérien, où il s’illustre avec brio. Les prouesses de ces grands hommes partis à la conquête de l’Afrique sont, dès les années 1840, popularisées auprès des masses françaises dans une série d’ouvrages et de revues consolidant ainsi dans l’esprit collectif français les liens entre impérialisme et renouveau masculin [12].

Au sein des rangs de l’armée, nombreux sont ceux qui considèrent que l’Algérie forme un laboratoire utile à l’amélioration des techniques militaires et à la revigoration des vertus martiales, si chères au sentiment de gloire nationale. Comme le souligne le maréchal Lyautey, principal architecte de la politique française au Maghreb, la conquête esquisse la possibilité d’une re-virilisation de la nation et promet d’être « une école d’énergie pour les hommes » [13]. Un autre contemporain [14] estime pour sa part que l’Afrique du Nord est pour la race française « ce qu’est le Far-West pour l’Amérique, le champ par excellence de l’énergie, du rajeunissement et de la fécondité » [15]. Ce courant de pensée très répandu au sein de l’institution militaire, dévoile ainsi la relation étroite qui lie impérialisme, nationalisme et renouveau masculin.

Corps blancs et indigènes face à la maladie : la survie des moins forts ?

Sur le terrain, cependant, l’expérience algérienne problématise ce discours qui lie impérialisme et renouveau masculin. En effet, l’idée selon laquelle la conquête de l’Algérie permettrait de revivifier la fibre militaire et nationale des Français est loin de s’imposer à tous comme une évidence – et notamment à ceux qui étudient méticuleusement les taux de mortalité des troupes de l’Armée d’Afrique. Celles-ci sont décimées par la fièvre et la dysenterie, qu’encouragent notamment les mauvaises conditions sanitaires et le climat du pays.

À titre d’illustration, de 1830 à 1840, l’armée d’Afrique perd 50.000 hommes du fait de la dysenterie et de la fièvre et moins de 2.500 au combat, faisant écho à l’adage bien connu des médecins militaires que c’est la maladie, et non le boulet de canon, qui décime les troupes en Afrique [16]. De 1834 à 1835, au moins les trois-quarts de la garnison française de Bougie sont ravagés par la maladie, et l’on trouve des proportions similaires parmi tous les régiments d’Algérie dans la première décennie de l’occupation française [17]. Dans l’ensemble, les médecins estiment qu’un dixième de l’Armée d’Afrique meurt chaque année – et principalement de maladiesamenant le total des morts français à près de 100.000 en 1848. La vulnérabilité des troupes coloniales face aux maladies souligne donc de manière frappante la faiblesse constitutionnelle du corps masculin « blanc », et ce particulièrement en comparaison avec celui de l’autochtone, qui résiste bien mieux aux affections endémiques. Dans ses débuts, l’expérience coloniale est donc bien loin de confirmer la thèse de la suprématie blanche et complique au contraire les hiérarchies raciales qui se mettent en place.

Les médecins militaires jouent un rôle important dans ces conclusions. Dès la fin des années 1830, les docteurs Boudin et Desjobert sonnent l’alarme concernant l’incapacité des européens à s’adapter au climat africain [18]. Leur cri de panique résonne fortement en métropole auprès des penseurs déjà inquiets des effets néfastes de la modernité sur la vitalité déclinante des hommes français. Entre 1830 et 1850, les détracteurs de la cause coloniale avancent sans cesse, en s’appuyant sur les statistiques militaires, que l’Algérie n’est rien d’autre qu’un « cimetière de masse » pour l’armée française, et non la source de son renouveau. Même les ardents défenseurs de l’expédition française ne peuvent échapper au scepticisme qu’invitent les statistiques et observations sur le terrain. Ainsi, le général Duvivier, fervent adepte d’une présence française en Afrique du Nord, est forcé de concéder que l’idée d’une adaptation progressive au climat africain n’est qu’une chimère : « Que les masses d’hommes qui ont été envoyés en Afrique pour un certain temps ont fini par s’adapter est faux. Il n’y a pas eu d’acclimatation, il y a seulement eu un processus de sélection opéré par la mort » [19]. Ainsi, la conquête de l’Afrique apparait non seulement comme sous-tendue par la menace d’un taux de mortalité élevé (et une perte budgétaire conséquente), mais aussi par la plus insidieuse perspective de la dégénération de l’homme blanc. En effet, dans le cadre d’une pensée (dont Darwin se fera le porte parole) qui perçoit la survie du plus fort comme le signe naturel d’une évolution plus aboutie, la très haute mortalité des Français en Afrique semble augurer l’effacement de la race blanche face à la race arabe.

Les angoisses sur la fragilité présumée du corps blanc vis-à-vis du corps africain seront graduellement évincées, dû à deux événements principaux. D’une part, de 1867 à 1870, une série de catastrophes naturelles alimentent une famine qui décimera la population autochtone, ce qui renversera l’équilibre entre les deux « races » [20]. Ce seront maintenant les Algériens qui mourront en masse – certains historiens estiment que près d’un tiers de la population indigène meurt dans l’intervalle de ces quelques années [21]. D’autre part, les progrès de la médecine (et notamment des vaccins) permettent aux Européens, dès le milieu du siècle, de survivre plus facilement aux maladies contractées en Afrique. Ainsi, les nouvelles études médicales et démographiques qui apparaissent dans les années 1850 et 1860 [22] concluent que la société blanche peut non seulement survivre, mais aussi se reproduire avec succès en Algérie, où les enfants semblent encore mieux adaptés que leurs parents à l’environnement africain [23]. Néanmoins, jusqu’en 1850 au moins, le taux de mortalité excessivement élevé des troupes coloniales déstabilise le credo racial et exacerbe les peurs de dégénérescence masculine. En outre, la rencontre avec un peuple « primitif » mais perçu comme éminemment viril déstabilise plus encore les catégories raciales et sexuées, et montre toute la fragilité des classifications coloniales [24].


« Barbares mais virils » : la masculinité de l’indigène dans le discours colonial

La masculinité des peuples indigènes devient très vite un objet de curiosité pour les Français débarquant en Afrique du Nord et forme l’objet de multiples commentaires et représentations visuelles. Ce qui interpelle d’abord dans ce corpus de sources, c’est la quantité d’évocations positives sur le corps masculin arabe, décrit comme possédant tous les attributs de la masculinité, que ce soit dans des écrits journalistiques, administratifs et médicaux ou dans les récits de voyages de figures littéraires et artistiques telles que Guy de Maupassant ou Eugène Fromentin. À titre d’exemple, le journaliste Felix Mornand qui séjourna en Algérie décrit en 1850 les Arabes en ces termes :

« le type arabe est beau et majestueux. Le corps est svelte, robuste et bien proportionné… Il y a dans la nature morale, comme dans la constitution physique de ce peuple, quelque chose de fort et de compacte qui participe des qualités de l’airain ; et la trempe de l’âme répond à celle du corps, dont on a affirmé que la structure osseuse avait deux fois la pesanteur spécifique de celle de l’Européen » [25].

Les médecins coloniaux génèrent de nombreux écrits qui s’appuient sur une rigoureuse observation de l’anatomie arabe, et qui corroborent l’image positive des corps indigènes masculins véhiculée dans les écrits de nature plus poétique ou administrative [26]. Ainsi, le docteur Bertherand observe en 1873 que « le système musculaire [des Arabes] est remarquable par son apparence sculptée et la densité de sa fibre ». Plus loin, il ajoute que « tout chez les Arabes, tout exhale la force et l’énergie » [27]. Les médecins coloniaux ne peuvent par ailleurs contenir leur étonnement face à la capacité des hommes maghrébins à supporter la douleur, qualité qu’ils admirent comme le trait d’une masculinité accomplie, même s’ils tendent à conclure que celle-ci tient plus au fatalisme musulman qu’au courage [28].

Dans leur ensemble, cependant, les écrits français attribuent les qualités martiales exceptionnelles des Arabes à l’état arriéré de leur société. Ainsi, de nombreux observateurs français notent avec admiration que les Arabes sont introduit aux arts de la guerre à un jeune âge et mènent un style de vie scandé par des activités physiques régulières, même si cela renforce parallèlement l’opinion selon laquelle la société arabe est primitive puisque naturellement prédisposée à la guerre [29]. À titre d’exemple, nous pouvons citer la description d’un notable arabe originaire de la province d’Oran, dont l’auteure, Pauline de Noirefontaine, note qu’il possède « la stature colossale, les yeux sanguinaires, le Cœur de lion du véritable prototype du guerrier africain ». Toutes ces qualités sont en soi des attributs positifs de la masculinité, bien qu’elles soient éclipsées, selon l’auteur, par « une rudesse sauvage qui rappel[e] le dernier des Mohicans de Fréderic Cooper » – allusion claire à la nature primaire et non-civilisée de l’homme indigène [30]. En effet, la conception téléologique et positiviste du progrès qui prévaut dans l’Europe du XIXe siècle tend à concevoir des différences culturelles comme représentant divers stades dans l’évolution de l’humanité. Cette conception encourage les Français à percevoir leurs contemporains algériens comme des versions ancestrales de leurs aïeuls, les Numides, et certains Arabes tels que l’émir Abd al-Qader sont régulièrement comparés au héros numide Jugurtha. Ainsi, l’admiration que suscite des personnalités telles que l’Emir nourrit une certaine nostalgie pour l’époque pré-moderne et conforte l’association entre virilisme et société primitive [31].

Dans le même temps, la rencontre avec des hommes incarnant un modèle de masculinité perçu comme plus primitif invite les Français à repenser leur propre identité genrée en des termes culturels et racialisés : si les Maghrébins mènent incontestablement un mode de vie très viril, la masculinité des Français est redéfinie comme supérieure à celle des Arabes en tant qu’elle reflète un degré plus avancé de civilisation. Ainsi, dans le discours colonial français du XIXe siècle, la bienveillance paternelle des Français (envers les femmes mais aussi envers les sujets colonisés dans leur ensemble) est opposée à la tyrannie masculine exercée par les hommes arabes qui « claustrent leurs femmes derrière des voiles et des verrous » [32]. Les diverses populations indigènes sont elles-mêmes classées par les Français en plusieurs catégories selon des critères genrés : les Maures (ou habitants des villes) sont décrits comme raffinés mais efféminés alors que les Arabes des tribus, perçus comme une race à part, sont dépeints comme incarnant une masculinité puissante mais révélant le caractère « primitif » ou peu « évolué » de leur société nomade [33]. Entre ces deux pôles, les Européens cherchent à se définir comme étant à la fois virils et civilisés, témoignant de l’enchâssement des catégories raciales et sexuées et du caractère genré des définitions de la civilisation.

En somme, si l’Arabe incarne parfois la figure de l’homme viril par excellence, les références au caractère enfantin ou efféminé de l’habitant du pays sont parallèlement nombreuses. Ainsi, le peintre Eugène Fromentin qui voyage en Algérie au début des années 1840, affirme que la tradition du gynécée pratiquée en Algérie « affaiblit l’homme en dégradant la femme » et produit « une sorte de confusion dans les sexes », du moins chez les populations maures. Selon l’artiste, il en résulte :

« Un peuple quasi féminin, des garçons presque filles, des jeunes gens qu’on prendrait pour des femmes, un visage imberbe, des formes rondes, de beaux traits, mais un peu mous, rien de fort ni de résolu ; une beauté incertaine et jamais virile jusqu’à l’âge où la jeunesse elle-même est effacée par la gravité des années » [34].

Ces conclusions sur l’efféminement des hommes maures s’insèrent clairement dans une stratégie de justification de la domination et d’une affirmation de la supériorité morale et culturelle française – le défaut de virilité des autochtones devenant essentiellement l’emblème d’une civilisation en décadence.
La juxtaposition de différents écrits français, tour à tour élogieux sur la force physique et morale des habitants du Maghreb, puis dévalorisants, démontre bien toute l’ambivalence du discours colonial vis-à-vis du modèle masculin incarné par les indigènes. Ce phénomène dénote sans doute aussi une forme de nostalgie pour une époque révolue [35] où l’autorité masculine et le contrôle sur les femmes étaient incontestés [36]. Il est en effet indéniable que le fantasme nostalgique de la régénération des vertus antiques – et notamment des vertus militaires – promeut une vision positive des peuples « sauvages » de l’Algérie [37].

La colonie : « entre-soi » masculin et hybridation des pratiques masculines

Comme nous l’avons vu, l’Algérie des premières années est dominée démographiquement par les hommes. Au sein de ce « monde d’hommes » où l’influence des femmes européennes et de la sphère domestique est quasiment absente (la société indigène étant elle-même organisée autour de la ségrégation des sexes) une homo-sociabilité masculine se met rapidement en place : celle-ci favorise la diffusion de pratiques viriles d’un groupe culturel à un autre et la mise en place d’une certaine intimité entre hommes de provenances diverses – notamment au sein d’institutions telles que l’armée coloniale (qui rassemble soldats européens et indigènes au sein de l’unité des spahis ou des zouaves) [38]. La culture chevaleresque des Arabes rejoint souvent les valeurs militaires des soldats français et fournit un ethos commun de la guerre qui permet un respect et une admiration mutuelle.
L’Algérie coloniale des premières décennies forme donc un lieu privilégié de « l’entre-soi masculin » propice à la réinvention des codes de la virilité et à l’hybridation des pratiques culturelles. Des photographies de militaires français au XIXe siècle témoignent d’ailleurs de l’hybridation des codes définissant la masculinité et de l’attrait du style de vie arabe auprès de soldats français. En faisant dialoguer ces images, qui laissent entrevoir un espace de convivialité entre hommes français et indigènes, avec sources écrites, il devient possible d’approfondir notre compréhension de ces espaces de métissages où s’inventent de nouvelles pratiques masculines.

Figure 1 : Interprète militaire d’un bureau arabe, c. 1856 (Source : ANOM 8Fi429/33)

Les centaines de clichés produits par le photographe Félix Moulin lors de son séjour en Algérie entre 1856 et 1858 représentent un témoignage iconographique inédit de la société masculine algérienne à l’époque des conquêtes. Mais de quelle valeur historique peuvent se prévaloir ces photographies ? Si elles comportent une part de valeur « documentaire », elles reflètent néanmoins le regard d’un professionnel et le plaisir d’un esthète à la recherche de pittoresque et d’exotique. Le caractère très travaillé et structuré de ses compositions révèle par ailleurs une intention délibérée de mise-en-scène : en ce sens, la photographie de Moulin traduirait un geste appropriatif, une volonté de s’accaparer une terre inconnue en la « capturant », littéralement et figurativement, dans des « clichés ». Enfin, il est utile de préciser ici que Félix Moulin bénéficia d’une lettre de recommandation du ministre de la guerre, facilitant ses déplacement à travers le pays, et lui assurant l’accès à des chefs indigènes et militaires français, tout en lui conférant le statut de photographe quasi officiel de la colonie [39]. À son retour en France, Moulin rassembla une partie de ses clichés dans un livre dédicacé à Napoléon III et destiné à populariser l’Algérie auprès du public français. L’œuvre de Moulin doit donc être interprétée comme véhiculant une version autorisée et officielle de la société algérienne qui ternit son caractère descriptif ou « documentaire ». Néanmoins, en confrontant ces photographies au sources écrites, en croisant texte et image, il devient possible de faire émerger des recoupements entres ces deux formes de discours, et de les appréhender, non pas tant comme des « traces » authentiques d’un passé révolu, mais en tant qu’elles traduisent une volonté de la part de celui qui photographie de façonner le réel [40]. À travers les clichés qu’il réalise, Moulin participe à construire une image des masculinités française et indigène en contexte colonial.

Que nous apprennent donc ces images sur la place de l’expérience algérienne dans la construction du masculin et sur l’invention des pratiques qui sous-tendent cette identité ? Si l’on ne peut considérer que les clichés de Félix Moulin documentent le passé de façon transparente et inaltérée (au même titre, d’ailleurs, que les documents d’archives écrits), la composition travaillée des photographies met à nu le fait que l’identité masculine française repose, pour se construire, sur un rapport d’autorité. En effet, certaines photographies mettent clairement en scène les dynamiques de pouvoir et les distinctions raciales entre colonisé et colonisateur, en plaçant les officiers français dans des positions qui suggèrent leur domination sur les chefs indigènes. Dans la figure 1, par exemple, l’interprète français est debout et regarde en bas vers l’un des qa’id (chef) indigènes qui lui est assis. De la même façon, la composition de la figure 2 reflète la structure pyramidale de la hiérarchie coloniale, avec les Français positionnés sur les marches supérieures tandis que les tirailleurs sont presque tous placés sur les marches inférieures. Enfin, dans les photos 3 et 4, les autorités françaises adoptent des postures grandiloquentes qui traduisent l’arrogance du pouvoir ; un homme indigène est présent dans ces deux photographies, mais sa fonction semble à chaque fois se limiter à accroitre l’exotisme du décor et à conforter l’autorité des officiers français en montrant qu’ils exercent un pouvoir sur des subalternes algériens.

Figure 2 : Groupe d’officiers et tirailleurs indigènes, c.1856 (Source : ANOM 8Fi428/69)

Figure 3 : Bureau arabe de Mascara, c. 1840 (Source : ANOM 8Fi429/53)

Figure 4 : Bureau arabe de Tlemcen, c. 1856 (Source : ANOM 8Fi429/26)

D’autres séries de photographies dépeignent une réalité un peu différente, révélant une atmosphère de convivialité entre officiers et indigènes qui partagent un temps de loisir ou fument et conversent (figures 5 et 6). Plutôt que des postures et des comportements qui illustrent l’autorité de certains hommes sur d’autres, les personnages sont tous positionnés les jambes croisées et formant un cercle qui suggère l’égalité de tous les membres (figure 6).

Figure 5 : Lieutenants Ben Zaïan (centre) Laperrine et Noël, et docteur Salle La légende de la photographie indique que deux des trois hommes qui jouent aux échecs sont des Français, bien qu’ils aient adopté des tenues arabes et ressemblent à des locaux en tout point de vue (Source : ANOM 8Fi136)

Figure 6 : Chefs arabes et officiers du bureau arabe, 1856 (Source : ANOM, 8Fi428/5)

À cet égard, la photo du bureau arabe de Mostaghanem (figure 7) est intéressante car elle traduit à la fois la sensation d’intimité qui lie les hommes assis autour d’un cercle, ainsi que le statut spécial de l’officier français qui, seul, possède une table devant lui avec des livres, suggérant qu’il détient les clés du savoir. La photo rappelle d’ailleurs étrangement les scènes d’écoles coraniques (kuttab ou Mcid en dialecte algérien) aussi photographiées à la même période par Moulin. L’officier français dans la figure 7 semble façonner son personnage et son rapport à l’autochtone en émulant le modèle du taleb (maître religieux) avec ses étudiants. Cela révèle sans doute le désir délibéré des Français d’usurper les symboles d’autorité algériens dans leur propre exercice du pouvoir.

Figure 7 : Bureau arabe de Mostaghanem (ANOM, 8Fi429/5)

Figure 8 : Mcid (école coranique) (8Fi427/27)

De même, la photo 9 est intéressante parce qu’elle montre l’hybridité culturelle qu’incarne les officiers des bureaux arabes en Algérie : entouré d’hommes autochtones, un officier qui porte l’uniforme français, est orné d’un sabre français et d’une longue pipe arabe. Ces deux objets allongés (phalliques) représentent des emblèmes de sa masculinité impériale et attirent l’attention sur la nature composite et bricolée des accessoires qui agrémentent et suggèrent sa virilité – l’un arabe et l’autre français.

Figure 9 : Bureau arabe of Souk Ahras, 1856 (ANOM, ANOM 8Fi428/58)

Percevant le mode de vie indigène comme plus « viril », certains militaires français prennent effectivement goût aux passe-temps locaux ; la pipe arabe et la chasse au lion sont particulièrement populaires, cette dernière apparaissant comme un rite d’initiation masculine incontournable dans la société arabe. Dès le milieu du XIXe siècle, un pan nouveau de littérature émerge autour de ces récits de chasse contés par divers aventuriers européens qui séjournent parfois des années entières en Algérie [41]. Tout comme la chasse au lion, les spectacles équestres traditionnels connus sous le nom de fantasias sont très recherchés par les officiers français, qui s’émerveillent dans leurs mémoires de cette activité qui fait partie intégrante de l’éducation d’un jeune garçon arabe [42].

Outre ces passe-temps locaux, certains officiers français adoptent le vêtement arabe. Dans certains régiments de l’armée française, les choix individuels de certains soldats d’incorporer tel ou tel élément de l’apparat indigène, amène un général à comparer son bataillon à une « troupe de carnaval » [43]. Ce nouvel habillement, qui conditionne les façons de s’asseoir, de bouger et l’habitus corporel dans son ensemble, les rend visuellement indistincts des sujets algériens et suggère la proximité des façons de vivre, ce que montre bien la photographie ci-dessus (figure 5) [44]. Loin de constituer un changement en surface, cette tendance vers le travestissement vestimentaire indique la mise en place de nouveaux dispositifs de production des corps masculins, encore une fois bien mis en évidence dans les photos 5 et 6, car l’habillement détermine une nouvelle attitude corporelle et engage une autre façon de signifier l’autorité.

Enfin, certains personnages, comme Abd al-Qader ou encore le général Yusuf, né sur l’île d’Elbe et nationalisé français après des années de captivité au service de Beys musulmans en Tunisie et en Algérie, incarnent une masculinité qui croise les références culturelles maghrébines et européennes (figure 10). L’importance de tels personnages dans l’imaginaire français et la fascination qu’ils suscitent révèle le désir du public en métropole de revigorer la notion de masculinité à travers l’appropriation de symboles culturels nord-africains [45].

Figure 10 : Le général Yusuf-Bey. Né sur l’île d’Elbe, Yusuf est enlevé par des corsaires tunisiens. Après sa conversion à l’Islam et des années en Tunisie au service du pouvoir local, il rejoint l’Algérie où il se met au service du Bey de Constantine avant de rejoindre l’Armée d’Afrique. Il créa le corps des spahis, et obtint la nationalité française en 1839 (Source : http://www.algerie-ancienne.com/Sal...)

L’organisation très hiérarchisée de la société tribale algérienne fascine également les Français, dont certains regrettent le déclin de l’autorité paternelle en France. Dans leur mémoire, de nombreux officiers des bureaux arabes notent le respect dont ils sont l’objet de la part d’indigènes, en tant que nouveau chef. À titre d’exemple, Ferdinand Hugonnet mentionne « les séductions nombreuses de la vie d’un chef oriental », parmi lesquelles il mentionne « les chevaux superbes et les tentes somptueuses, le prestige extraordinaire qui entoure la figure du chef, le mélange de soumission et de dignité qu’il inspire et qui invite, jusque dans sa vie privée, les plus délicates attentions de la part de ses sujets » [46].

Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que certains officiers aient cherché à se convertir à la culture locale. Des rapports de l’administration française mentionnent que certains militaires français maitrisent si bien la langue et les codes de la société indigène qu’ils peuvent passer pour de véritables autochtones pendant des semaines entières. D’autres rapports reprochent aux officiers des bureaux arabes de se comporter « plus à la manière d’un grand chef indigène que d’un officier français ». La fascination que suscite le mode de vie arabe joue donc un rôle réel, semble-t-il, dans la définition des officiers français en tant que sujets genrés, et invite à repenser l’opposition binaire entre colonisé et colonisateur.

Conclusion

Pendant les premières décennies de la conquête de l’Algérie, les hommes européens succombent à la maladie et à la dureté du climat africain en grand nombre. L’image du corps de l’homme blanc qui se dégage des écrits médicaux de l’époque est donc bien loin des représentations idéalisées de la suprématie de la race blanche. Au contraire, l’organisme européen (mâle) apparaît comme faible et incapable de s’adapter au climat africain, exacerbant les peurs de dégénérescence raciale et masculine. Parallèlement, la figure de l’homme arabe, par sa maitrise des arts de la guerre et son mode de vie énergique et vigoureux, suscite l’admiration et évoque un modèle de puissance et de virilité. L’association entre société primitive et masculinité dans l’imaginaire français encourage en effet une vision positive des hommes arabes qui rend problématique l’idée de leur infériorité absolue. En ce sens, notre étude sur la construction du genre masculin dans l’Algérie du XIXe siècle permet de déstabiliser l’idée reçue selon laquelle il existait déjà, à cette époque, une hiérarchie raciale toute constituée et sans équivoque : bien au contraire, dans la première période des rencontres franco-algériennes règne une forme d’instabilité des catégories raciales, visible dès lors que l’on adopte une lecture sexuée du discours colonial et que l’on se penche sur l’histoire des masculinités. En interrogeant la constitution mutuelle des concepts de genre et de race, il devient alors possible de mettre en lumière les fissures et les contradictions inhérentes aux systèmes de classifications coloniales, trop souvent tenus pour acquis.

En offrant un contrepied positif à la vision métropolitaine d’une masculinité en crise, les pratiques et formes de sociabilité masculines des populations locales ont fortement influencé les notions françaises de virilité au début de la période coloniale. L’expérience algérienne permet donc aux Français de réinventer leur identité sexuée en empruntant certains éléments à la masculinité arabe. En mettant l’accent sur les phénomènes complexes de circulation de modèles genrés entre Algériens et Français, nous espérons ainsi relativiser l’opposition binaire entre colonisé et colonisateur, trop souvent elle aussi tenue pour acquise. Si beaucoup d’analyses historiques considèrent encore, plus ou moins implicitement, que les sujets colonisés ont passivement absorbé des schémas identitaires issus de la modernité occidentale [47], ou que les transferts culturels se sont effectués à sens unique – de la métropole vers la colonie – la réalité étudiée suggère des schémas bien plus complexes.

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NOTES

[1] Si l’adoption d’approches genrées et sexuées de l’histoire se généralise, notamment sous l’impulsion de la littérature anglophone, notamment des travaux d’Ann Stoler, l’histoire des hommes en situation coloniale est encore bien lacunaire : le genre reste largement synonyme de l’histoire des femmes et du vécu féminin. Nous pouvons néanmoins citer les travaux les plus influents effectués sur l’histoire de la masculinité en contexte colonial : Taraud Christelle, 2011, « La virilité en situation coloniale », in Corbin A.,Vigarello G. (eds.), Histoire de la virilité, 2, Paris, Le Seuil, pp.331-347 ; Berenson Edward, 2011, Heroes of Empire : Five Charismatic Men and the Conquest of Africa, Berkeley, University of California Press ; Bederman Gail, 1995, Manliness and Civilization : a Cultural History of Gender and Race in the United States, 1880–1917, Chicago, University of Chicago Press ; Hoganson Kristin L., 1998, Fighting for American Manhood : How Gender Politics Provoked the Spanish-American and Philippine-American Wars, New Haven, Yale University Press ; Sinha Mrinalini, 1995, Colonial Masculinity : The ‘Manly Englishman’ and the ‘Effeminate Bengali’ in the Late Nineteenth Century, Manchester, Manchester University Press ; Forth Christopher, 2008, Masculinity in the Modern West : Gender, Civilization and the Body, Basingstoke, Palgrave Macmillan ; Tosh John, 2005, Manliness and Masculinities in Nineteenth-Century Britain : Essays on Gender, Family, and Empire, Harlow, Pearson Longman. La masculinité au Maghreb ou d’hommes français d’origine arabe a également fait l’œuvre d’études de la part d’anthropologues tels que Gianfranco Rebuccini ou de sociologues tels que Nacira Guénif-Souilamas et Eric Macé.

[2] Au début des années 1840, l’Algérie compte deux fois plus de colons masculins que féminins, à l’exclusion des effectifs de l’armée. Le déséquilibre continue jusque dans les années 1870.

[3] Sur la question du métissage au Maghreb et en Méditerranée, voir les divers travaux de Jocelyne Dakhlia.

[4] Forth Christopher, 2007, “Civilization and its Discontents : Modernity, Manhood and the Body in the Early Third Republic”, in Forth C, Taithe B. (eds), French Masculinities : History, Culture and Politics, New York, Palgrave MacMillan ,p.87.

[5] Ibid., p.86.

[6] . Quinlan Sean M., “Men Without Women ? Ideal Masculinity and Male Sociability in the French Revolution 1789-1799”, in Forth C, Taithe B. (eds), French Masculinities, p.33.

[7] Elias Norbert, 1973[1939]), La civilisation des Mœurs, Paris, Calman-Lévy, ; Elias Norbert, La Dynamique de l’occident, 1975 [1939], Paris, Calman-Lévy.

[8] Réveillé-Parise Joseph Henri, 1834, Physiologie et hygiène des hommes livrés aux travaux de l’esprit, 4ème ed., Paris, G.-A. Dentu ; Larousse Pierre, 1866, « Surmenage (intellectuel) », in Grand dictionnaire universel du XIXe siècle : Français, historique, géographique, mythologique, bibliographique, Paris, p.1892.

[9] La littérature médicale et militaire de la seconde moitié du XIXe siècle tend à interpréter la dégénérescence physique des Français comme le signe d’un « excès » de civilisation. Voir Tschouriloff M., 1876, Dégénérescence physiologique des peuples civilisés : causes de dégénérescence des peuples civilisés, Paris, Ernest Leroux, pp.7, 15-16, 37 ; Boudin Jean-Christian-Marc, 1848, Hygiène militaire comparée et statistique médicale des armées de terre et de mer, Paris, J.-B. Baillière, pp.92–108. Voir aussi Verde-Delisle Henri, 1855, De la dégénérescence physique et morale de l’espèce humaine, déterminée par la vaccine, Paris, Charpentier, pp.4-10 et Berthier Pierre, 1859, Dégénérescence, régénération, mémoire lu à la société impériale d’émulation de l’Ain, le 1er décembre 1858, Bourg, impr. de Milliet-Bottier. Cette question est également évoquée dans Forth Christopher E., 2009, Masculinity in the Modern West : Gender, Civilization and the Body, New York, Palgrave Macmillan, pp.77-91.

[10] Le Duc d’Orléans, prince héritier qui participe aux campagnes militaires de l’Algérie et décrit la colonie comme « la terre de tous les dangers », estime que l’Armée d’Afrique forme « une école pour de bons soldats français, une pépinière pour des officiers plein d’ardeur contre lesquels tous les dangers sont impuissants ». Archives Nationales d’Outre-Mer, IE123, Rapport du Gouverneur de la Province de Constantine au Maréchal Valée. Non daté, mais probablement en 1840 au vu du contenu des documents qui l’entourent.

[11] Hugonnet Ferdinand, 1860, Français et Arabes en Algérie, Paris, Sartorius, 1860, p.2.

[12] Hannequin, 1857, la conquête de l’Algérie, Paris, Charles Douniol ; Rousset Camille, 1887, Les commencements d’une conquête : l’Algérie de 1830 à 1840, Paris, Plon, Nourrit ; Boubée Jean-Pierre Simon, 1847, La Conquête de l’Algérie, Paris, Wittersheim ; Fallet C., 1860, Conquête de l’Algérie., Rouen, Mégard ; Touchard Théodore, 1840, Histoire pittoresque et militaire des Français racontée par un caporal à son escouade : ouvrage divisé en vingt soirées, commençant à l’état des Gaules avant et après la conquête des Romains et se terminant par le récit des derniers événements militaires en Algérie, vol 2, Paris, l’éditeur rue d’Anjou Dauphine ; d’Haucour L., 1901, Pages d’héroïsme : le combat des Trente ; le héros de Nancy ; la conspiration de La Roüerie ; glorieux épisode de la conquête de l’Algérie, Paris, Librairie d’éducation nationale.

[13] Extrait d’un discours du général Lyautey à Oran en 1888, cité dans Aldrich Robert, 2007, « Colonial Man », in Forth and Taithe (dirs.), French Masculinities, p.124. Le général Lyautey, principal architecte du protectorat marocain fut en effet un ardent défenseur de l’idée désignant l’expérience coloniale comme possédant pouvoir régénérateur et virilisant.

[14] De Tarde Alfred, 1915, Le Maroc, école d’énergie : conférence faite par M. A. de Tarde le dimanche 7 novembre 1915 à la clôture de l’exposition franco-marocaine de Casablanca, Rabat, Impr. du Bulletin officiel du Protectorat, pp.14, 17-18. Sur ce point, voir aussi les propos d’Alfred Rambaud, professeur d’histoire à la Sorbonne à la fin du XIXe siècle, qui explique que les instincts guerriers et coloniaux de la France peuvent enrayer la féminisation des caractères engendrée par les conforts de la vie moderne. Christelle Taraud, « La virilité en situation coloniale et postcoloniale », in Corbin A.(dir.), 2011, Histoire de la virilité. Le triomphe de la virilité, tome 2, p.352.

[15] De Tarde Alfred, Le Maroc, p.17.

[16] Pour une liste complète des pertes militaires françaises en Algérie au XIXe siècle, voir Marc Boudin Jean-Christian, 1847, « Mortalité militaire en Algérie », in Annales d’hygiène publique, n°37, p.378.

[17] Girot L., 1840, Observations historiques politiques et militaires sur l’Algérie et sur sa colonisation, Paris, Mme Leneveu, pp.131-132. Le débat portant sur la possibilité des Français à s’adapter au climat algérien est reflété dans la revue Gazette Médicale de l’Algérie (GMA), éditée par Bertherand de 1856-1895. Plus on avance dans le XIXe siècle, plus l’opinion médicale dominante est favorable à l’idée de transplanter des corps européens en Afrique. D’ailleurs, face à la baisse du taux de mortalité des Européens en Algérie, certains docteurs avancent même l’opinion selon laquelle les autochtones seraient moins résistants que les Européens à certaines maladies endémiques telles que la phtisie. Ainsi, les autochtones algériens sont, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, perçus comme étant moins bien adaptés à leur propre environnement que les Européens, ce qui est interprété comme le signe de leur faiblesse de constitution. Feuillet, 1873, « La phtisie en Algérie, d’après l’enquête de la Société de climatologie », in Gazette Médicale de l’Algérie 18, n°7, p.135.

[18] Desjobert Amédé, 1838, L’Algérie en 1838, Paris, P. Dufart ; Boudin Jean-Christian-Marc, 1848, Hygiène militaire comparée et statistique médicale des armées de terre et de mer, Paris : J.-B. Baillière et fils ; Boudin Jean-Christian-Marc, 1847, « Mortalité militaire en Algérie », in Annales d’hygiène publique, n°37, pp.358-391.

[19] Duvivier Franciade Fleurus, 1841, Solution de la question de l’Algérie, Paris, Gaultier-Laguionie, pp.19-21.

[20] Il faut ici mentionner que dans bien des écrits, les Français distinguent plusieurs « races » indigènes. Les maures, sont distingués des berbères, qui sont distingués des arabes.

[21] Pilbeam Pamela, 2013, Saint-Simonians in Nineteenth-Century France : From Free Love to Algeria, New York, MacMillan, p.183.

[22] Dans un surprenant revers de pensée qui s’opère à partir des années 1860, la communauté médicale célèbre même les vertus du climat africain et sa capacité à soigner une série d’afflictions, notamment respiratoires, aboutissant à la mise en place d’un tourisme médical de l’Europe vers Algérie dans la 2e moitié du XIXe siècle. Santa Prosper de Pietra, 1860, Du Climat d’Alger dans les affections chroniques de la poitrine, rapport fait à la suite d’une mission médicale en Algérie, 2nde édition, Paris, J.-B. Baillière et fils, pp.101-102 ; Decaisne Émile, 1864, Guide médical et hygiénique du voyageur. Guide des baigneurs aux eaux minérales de France et de l’étranger et aux bains de mer, Paris, C. Albessard, p.245 ; Gigot-Suard Léon, 1862, Des climats sous le rapport hygiénique et médical  : guide pratique dans les régions du globe les plus propices à la guérison des maladies chroniques, Paris, J.-B. Baillière et fils, p.399.

[23] Martin A.-E.-Victor et Edmond Foley Louis-, 1851, Histoire statistique de la colonisation algérienne au point de vue du peuplement et de l’hygiène, Paris, G. Baillière, pp.286-287. De même, le praticien René Ricoux affirme la possibilité pour les femmes et les enfants issus des peuples du nord de l’Europe de s’établir et de prospérer en Algérie. Ricoux René, 1880, Démographie figurée de l’Algérie ; étude statistique des populations européennes qui habitent l’Algérie, Paris, Masson, pp.144-145. En grande partie, ces études expliquent les taux accrus de survie et de procréation des « Blancs » par le métissage intra-européen : l’alliance d’un Européen septentrional (du nord) avec un Européen méridional (du sud) donnerait ainsi tous les avantages adaptatifs à la progéniture, sans pour autant trop diluer l’élément racial européen, comme serait le cas par exemple du mariage mixte avec l’Algérien(ne). Ainsi, la science médicale est directement mise au service de théories racistes qui condamnent les mariages mixtes comme trop dangereux pour la race, mais recommandent les croisements entre Européens, aboutissant à l’idée qu’en Algérie se forme une race néolatine.

[24] Sur la fragilité et l’instabilité des catégories coloniales, voir Stoler Ann, 2002, Carnal Knowledge and Imperial Power : Race and the Intimate in Colonial Rule, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, en particulier le chapitre 2.

[25] Mornand Felix, 1856, La vie arabe, Paris, Michel Levy, pp.73-75.

[26] Pour la littérature médicale produite par des médecins coloniaux, voir par exemple, Bertherand Émile Louis, 1855, Médecine et hygiène des Arabes : études sur l’exercice de la médecine et de la chirurgie chez les musulmans de l’Algérie, Paris, G. Baillière ; Cabrol M. H., 1863, De l’Algérie sous le rapport de l’hygiène et de la colonisation, Strasbourg, Typ. de G. Silbermann ; Brault J., 1905, Pathologie et hygiène des indigènes musulmans d’Algérie, Alger, Adolphe Jourdan ; ainsi que les numéros de La gazette médicale de l’Algérie, éditée par Bertherand.

[27] Bertherand Emile, 1855, Médecine et hygiène des arabes, p.189.

[28] Joly V., 2011, « Races guerrières et masculinité en contexte colonial : Approche historiographique », Clio. Histoire, femmes et sociétés, n°33, pp.147-8. Voir aussi les commentaires de Berthérand, 1873, « Les Arabes en Allemagne », Gazette médicale de l’Algérie, vol.2, pp.19-20. Leur capacité à supporter la douleur est aussi parfois attribuée à la biologie des peuples archaïques : en lien avec les théories de l’époque qui prêtent aux peuples avancées un plus haut niveau « d’énervement », le docteur Léon Figuières affirme par exemple en 1875 que le système nerveux des Africains est moins sensible que celui des Européens, expliquant par ce fait biologique ce qui pouvait apparaître aux français comme une disposition héroïque face à la douleur.

[29] Bugeaud Thomas Robert, 1842, Des moyens de conserver et d’utiliser cette conquête, Paris, Dantu, p.23 ; Daumas Eugène, 1853, Moeurs et coutumes de l’Algérie : Tell, Kabylie, Sahara, Paris, Hachette, p.269 ; Anonyme, 1847, Colonisation de l’Algérie par un officier de l’Armée d’Afrique, Paris, Librairie sociétaire, p.13.

[30] Noirfontaine Pauline de, 1856, « Lettre IV à Virginie Angelot, Oran, 1850 », Un regard écrit, Le Havre, A. Lemale, p.165.

[31] Le Saint L., 1873, Fastes de l’Algérie ancienne et moderne, Limoges, E. Ardant, p.189 ; Berteuil Arsène, 1856, L’Algérie française ; histoire, mœurs, coutumes, industrie, Paris, Dentu, p.55 ; Drohojowska Comtesse, 1848, Histoire de l’Algérie contée à la jeunesse, Paris, A. Allouard, p.22.

[32] De Feuillide, 1856, L’Algérie Française, Paris, Henri Plon, pp.244-5.

[33] Morelet M., 1876, Les Maures de Constantine en 1840, Dijon, Imprimerie Darantière.

[34] Fromentin Eugène, 1887, Une année dans le Sahel, Paris, E. Plon, p.251.

[35] En particulier, Hugonnet avance que la guerre, telle qu’elle est pratiquée par les Européens, a perdu tous les éléments d’héroïsme puisqu’elle est réduite à un acte technologique. Hugonnet, 1860, Français et arabes en Algérie, pp.270-272.

[36] A une époque où l’avancée du droit des femmes en France engendre une conception moins bien définie des rôles féminins et masculins, certains administrateurs coloniaux semblent envier l’autorité incontestée dont jouit le chef de famille dans la société arabe. Résumant l’attitude dominante de ses contemporains, une écrivaine française observe en 1850, que « l’autorité paternelle, si cruellement dédaignée aujourd’hui [en France], a conservée en Algérie tout le prestige qui y était jadis attaché ; à cet égard, les arabes ont quelques leçons à nous apprendre que nous ferions bien de ne pas ignorer » (Noirfontaine Pauline, 1856, Un regard écrit, p.286).

Dans un aveu encore plus frappant, un sénateur français explique son admiration pour le patriarcat algérien lors d’une discussion au sénat portant sur l’éventuelle interdiction de la polygamie en Algérie en 1864 : trahissant la connivence des hommes colonisés et colonisateurs, le politicien déclare devant le sénat que la polygamie est « le fleuron le plus attractif que Mahommet [sic] ait glissé dans la shariah musulmane ». Serait-elle présente dans le code civil français, continue-t-il avec sarcasme (et peu de préoccupation pour les femmes indigènes) « combien de français seraient prêts à renoncer à ce privilège ? ». La question révèle bien toute l’hypocrisie de l’attitude des hommes coloniaux face à l’épineuse question de la polygamie, pourtant sans cesse décriée. Bonnafont Jean Pierre, 1866, La femme arabe dans la province de Constantine, Paris, E. Maillet Librairie, p.4. En réalité, le motif récurrent de la polygamie dans le discours français sert en partie à atténuer les angoisses des hommes français concernant leur propre sentiment d’émasculation, particulièrement vis-à-vis des Arabes dont le style de vie évoque l’image d’habiles cavaliers et de guerriers énergiques.

[37] Ou plus précisément, des hommes algériens, puisque les traits désirables des aïeuls sont tous des attributs de la masculinité (les femmes algériennes sont effectivement dépeintes en des termes purement négatifs).

[38] Les bureaux arabes sont des structures administratives crées par l’armée française en 1844 en Algérie avec la vocation de renseigner l’État français sur les indigènes et d’aider à les administrer. Souvent localisés dans des régions rurales et éloignées des villes, les officiers travaillant dans ces bureaux étaient souvent isolés de la société européenne et passaient leur temps avec les indigènes qu’ils administraient. Frémeaux Jacques, 1993, Les bureaux arabes dans l’Algérie de la conquête, Denoël.

[39] Moulin Félix Jacques-Antoine, 1859, L’Algérie photographiée, 3 tomes : Province d’Alger, de Constantine et d’Oran, Publication Nationale sous les auspices du ministre de la guerre, Paris, Moulin. Ces photographies sont aussi recensées dans les d’Archives Nationales d’Outre Mer (ANOM).

[40] Pour une plus ample discussion de l’usage des images en sciences sociales, consulter Pina C., Savarese E. (dir.), Le politique par l’image, Paris, l’Harmattan 2017.

[41] Par exemple, Fontis, 1885, Les aventures de chasse de M. Blaguefort racontées par lui-même, Bougie, Imprimerie Nouvelle G. de Gourlet ; Gérard Jules, 1990, Le spahi traqueur de lions, Algérie 1842-53, édité par Jean-Paul Le Perlier Paris, Editions du Rocher ; Marguerite A., 1884, Chasses de l’Algérie, Paris, Jouvet et Cie Editeurs ; Razoua Eugène, 1866, Aventures de guerre et de chasse. Souvenirs d’un spahis. Paris, A. Faure ; Chassaing Jacques, 1865, Mes chasses aux lions, Paris, E Dentu. Les plus célèbres sont Jules Gerard et Bombonnel, deux chasseurs de panthères et de lions qui obtinrent une grande notoriété dans la culture populaire française suite à la publication de leurs récits (biographiques quoique sans doute fortement romancés).

[42] Pour un commentaire sur l’importance de la chasse dans la culture arabe et son reflet dans les proverbes arabes, voir Daumas Eugène, 1853, Moeurs et coutumes de l’Algérie : Tell, Kabylie, Sahara, Paris, Hachette, pp.60-79.

[43] Jean Fiorini, 2000, Constantine, le tournant de la conquête, Lyon, Editions du Cosmogone, p.73.

[44] Sur la signification du travestissement vestimentaire en contexte colonial, voir le chapitre de Deane Bradley, 2014, “Cultural Cross-Dressing and the Politics of Masculinity”, in Bradley Deane, Masculinity and the New Imperialism : Rewriting Manhood in British Popular Literature, 1870-1914, Cambridge, Cambridge University Press, pp.51-84.

[45] Sur le général Yusuf, voir par exemple Derrécagaix Victor Bernard, 1907, Yusuf, Paris, R. Chapelot ; Constantin-Weyer Maurice, 1930, « La vie du général Yusuf », catalogue des éditions de la NRF, collection Vies des Hommes Illustres , n°54. Lyautey, le principal architecte de la politique au Maroc, incarna aussi une masculinité hybride et incorpora des symboles nord-africains, tels que le fez, qui furent partie de son image publique. Pareillement, le général Duvivier, qui dirigeait un régiment de zouave, était connu pour son adoption de vêtements arabes. Outre ces personnages connus, beaucoup de militaires décrivant leur expérience en Afrique du Nord font référence à ce métissage des modes de vie et au rôle qu’il joue dans la revigoration de leur masculinité. Voir par exemple Razoua Eugène, 1866, Aventures de guerre et de chasse, A. Faure.

[46] Hugonnet Ferdinand, 1858, Souvenirs d’un chef de bureau arabe, Paris, Michel Lévy frères, p.189.

[47] Pour une critique incisive des postulats qui animent l’écriture de l’histoire coloniale et postcoloniale, voir Chakrabarty Dipesh, 2000, Provincializing Europe. Postcolonial Thought and Historical Difference, Princeton, Princeton University Press.