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citation
Martin Deleixhe,
"L’hospitalité, égalitaire et politique ? ",
REVUE Asylon(s),
N°13, Novembre 2014-Septembre 2016
ISBN : 979-10-95908-17-3 9791095908173, Trans-concepts : lexique théorique du contemporain ,
url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1326.html
résumé
L’hospitalité est généralement associée à une vertu personnelle plutôt qu’à une politique collective. Générosité dans l’accueil d’autrui, partage de la maison ou de la table, ouverture à la différence ou tolérance, elle prend plus volontiers les traits d’une débauche altruiste d’amabilité que d’une provision légale ou d’un projet politique. Cette définition étroitement morale a cependant été battue en brèche par Kant. Dans son "Projet de paix perpétuelle", ce dernier a fait du droit à l’hospitalité la pierre angulaire de la construction juridique du cosmopolitisme. Néanmoins, lorsque Kant confronte l’hospitalité aux contingences empiriques de la politique, il est contraint de dissocier celle-ci de la générosité d’une ouverture inconditionnelle à autrui. Une politique de l’hospitalité doit nécessairement prévoir des restrictions, inégalitaires par définition, dans l’application de son principe. Cette exclusion mutuelle des deux caractéristiques principales de l’hospitalité délimite l’espace de notre questionnement dans cet article : l’hospitalité peut-elle échapper à l’alternative qui fait d’elle soit une politique inégalitaire de l’accueil, soit un principe moral égalitaire mais apolitique ?
Mots clefs
L’hospitalité est généralement associée à une vertu personnelle plutôt qu’à une politique collective. Générosité dans l’accueil d’autrui, partage de la maison ou de la table, ouverture à la différence ou tolérance, elle prend plus volontiers les traits d’une débauche altruiste d’amabilité que d’une provision légale ou d’un projet politique. Cette définition étroitement morale a cependant été battue en brèche par Kant. Dans son Projet de paix perpétuelle, ce dernier a fait du droit à l’hospitalité la pierre angulaire de la construction juridique du cosmopolitisme. Son exposition des moyens de réalisation du cosmopolitisme démontre non seulement que l’hospitalité peut et même doit être politique mais elle présente également celle-ci comme la force motrice de la propagation des normes juridiques en mesure d’assurer une paix républicaine. Cependant, l’octroi de ce rôle primordial se paie d’une contrepartie. Sitôt que Kant confronte l’hospitalité aux contingences empiriques de la politique, il est contraint de dissocier celle-ci de la générosité d’une ouverture inconditionnelle à autrui. Une politique de l’hospitalité doit nécessairement prévoir des restrictions, inégalitaires par définition, dans l’application de son principe. Cette exclusion mutuelle des deux caractéristiques principales de l’hospitalité délimite l’espace de notre questionnement dans cet article : l’hospitalité peut-elle échapper à l’alternative qui fait d’elle soit une politique inégalitaire de l’accueil, soit un principe moral égalitaire mais apolitique ?
En s’appuyant sur les travaux de Kant et de Derrida, cet article a pour ambition d’offrir l’ébauche d’une politique égalitaire de l’hospitalité. Pour ce faire, il procèdera en trois temps. Après avoir élucidé la première formulation du complexe qui lie cosmopolitisme et hospitalité chez Kant, il se penchera sur la critique radicale que lui adresse Derrida. Il proposera enfin de circonscrire son interrogation autour de la question plus étroite de l’institution étatique de la frontière afin de recouvrer le potentiel démocratique d’une conception politique de l’hospitalité.
Le troisième article définitif du Projet de paix perpétuelle kantien – qui stipule que « le droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l’hospitalité universelle » [1] – amorce une profonde rénovation de la pensée cosmopolitique. Certes, il n’est pas le premier à lier la question de la pacification des relations internationales à celle de l’accueil des étrangers – l’universalisme de la charité chrétienne, pour ne citer que lui, ayant déjà creusé ce sillon – mais il se singularise par le poids incomparable des responsabilités qu’il attribue à l’hospitalité. Suivant la systématique juridique organisée sur trois niveaux que Kant développe dans son Projet de paix, c’est en effet à l’hospitalité – principe actif du niveau de droit le plus immédiatement universel, à savoir le droit cosmopolitique – qu’échoit désormais la lourde tâche de combler l’imperfection d’un droit des gens cruellement dépourvu d’autorité de surplomb et donc incapable d’assurer seul la publicité et, par voie de conséquence, la positivité de ses normes pacificatrices [2].
Puisque Kant rejette la thèse selon laquelle le salut cosmopolitique pourrait venir de l’instauration d’un État mondial (ce qu’il juge être une dangereuse solution de facilité en raison de sa propension à basculer dans un despotisme d’autant plus irréversible qu’il serait impossible à fuir [3]), il doit également rompre avec la symbolique de l’ordonnancement du monde sous l’autorité d’une figure tutélaire. Il lui faut abandonner la reconduction de la logique contractualiste du jusnaturalisme au niveau des États et renoncer à une structure institutionnelle pyramidale où un État universel se tiendrait au-dessus des États particuliers de la même façon que ceux-ci surplombent leurs citoyens. En ce sens, sa conception originale du droit cosmopolitique voit désormais dans l’humanité l’espace d’un échange, le lieu indéterminable de la réalisation d’une coexistence politique plutôt que la projection fantasmatique d’une communauté totalisante [4]. Cette rupture avec l’espoir d’une unification du monde sous une autorité unique charrie avec elle deux implications. D’une part, le droit international doit fonder une autorité capable de sanctionner ceux qui contreviendraient à ses provisions sans pour autant reproduire la structure de l’Etat à une échelle nouvelle, ce qui requiert qu’il fasse preuve d’une certaine créativité institutionnelle. D’autre part, le projet cosmopolitique ne peut désormais plus se restreindre à la juridicisation pacificatrice des relations interpersonnelles (au sein de la République) et des relations interétatiques (au sein d’une Société des Nations aux contours institutionnels imprécis). En raison du pluralisme irréductible du monde politique, il lui incombe également de fournir un cadre juridique aux relations qui résultent de la migration et qui mettent en rapport des individus étrangers avec leur État d’accueil.
L’ingéniosité de Kant tient à la façon dont il surmonte la première difficulté au moyen de la seconde. Loin de ne faire de cette relation d’hospitalité qu’un cas marginal des relations juridiques, il va l’élever au rang de relation paradigmatique de son cosmopolitisme. Il fait du droit subjectif à l’hospitalité, entendu au minimum comme un droit de visite en territoire étranger et de libre participation aux activités de la société civile [5], le noyau normatif du droit cosmopolitique et, partant, du cosmopolitisme juridique dans son ensemble. Ce statut prépondérant du droit à l’hospitalité découle du fait que ce dernier a pour mérite de court-circuiter l’étatisme qui prévaut dans les relations internationales par la mise en contact immédiate de citoyens issus de différentes communautés politiques. Autrement dit, si l’hospitalité joue un rôle primordial dans le projet cosmopolitique, c’est parce qu’elle permet que se communiquent capillairement les normes juridiques préalables à la pacification des relations internationales selon un mouvement ascendant et polycentrique qui part des communautés politiques locales pour remonter vers la Société des Nations. En rendant possible l’intensification des interactions entre sociétés étrangères par l’intermédiaire de ses migrants selon une logique transnationale qui échappe à la souveraineté étatique, le droit à l’hospitalité permet au projet cosmopolitique d’échapper au schème autoritaire de sa construction verticale selon un plan pyramidal et lui substitue le schème démocratique de la dispersion horizontale de ses normes. La libéralisation partielle de la migration, corollaire de la généralisation de la pratique étatique de l’hospitalité, est l’instrument privilégié de cette progression. Elle aménage une répartition distributive de la communication politique, créant l’embryon d’un demoi, soit d’un demos constitué d’une pluralité de demos [6]. Le droit cosmopolitique est en ce sens la condition de sa propre réalisation. Il rend opératoire la communication nécessaire à la positivisation de son droit.
Moyennant l’expression de sérieuses réserves à l’encontre de la foi inébranlable de Kant en une téléologie historique du progrès qui mènerait immanquablement au cosmopolitisme, force est de reconnaître que le rôle pivot qu’il attribue au droit subjectif à l’hospitalité – dont le contenu a priori modeste est pourtant crucial – pose les bases d’une définition politique de l’hospitalité. Sous sa plume, l’hospitalité acquiert une dimension collective dans la mesure où le droit subjectif de visite en territoire étranger a pour envers le devoir d’assouplir le contrôle des frontières. En somme, la politique de l’hospitalité est une politique de relativisation de la souveraineté de l’État. Ce qui explique en partie la difficulté à arrêter une définition définitive de ce que recouvrerait une politique de l’hospitalité. Car lorsque l’accueil d’autrui devient un projet collectif, sa conséquence paradoxale est de rendre trouble les démarcations de la collectivité. En ce sens, l’hospitalité est un projet politique qui brouille les limites du sujet collectif qui le porte, laissant craindre qu’elle ne devienne la fossoyeuse de sa propre tombe. Kant, conscient de cette contradiction, choisit d’y voir une force plutôt qu’une faiblesse. Certes l’hospitalité force l’ouverture des collectivités jusqu’à troubler leur identité mais elle ne le fait que pour mieux préserver ces dernières de la menace de la guerre en les faisant entrer dans des relations égalitaires de partage de leur souveraineté au sein d’une étrange (con)fédération politique, tout à la fois polycentrique et acéphale mais néanmoins capable de garantir durablement la positivité du droit international [7].
S’il faut donc faire crédit à Kant d’une articulation de l’hospitalité et du cosmopolitisme qui impressionne tant par sa cohérence que par son ambition, il importe également de relever que celle-ci n’est pas dépourvue de contradiction. Trois objections mettent en évidence le fait qu’une définition proprement politique de l’hospitalité s’obtient aux dépens de son caractère inconditionnel et, par voie de conséquence, de sa dimension égalitariste. La première objection sera formulée depuis l’intérieur même du raisonnement de Kant tandis que les deux suivantes emprunteront à des réflexions de Derrida.
Si la fonction du droit à l’hospitalité lui confère une place de choix dans l’élaboration du cosmopolitisme, son contenu est pourtant modeste. Kant prend soin de préciser que, dans le vocable de l’hospitalité, « il s’agit ici non de philanthropie, mais de droit » [8]. Par quoi il entend que le droit à l’hospitalité, précisément parce qu’il est un droit, n’est pas généreux. Il n’est que le point de rencontre entre ce que des libertés conflictuelles se reconnaissent comme obligations réciproques [9]. Il en va là de la possibilité de sa perpétuité. Car, alors que l’altruisme s’épuise dans son unilatéralisme, la réciprocité raisonnable maintient indéfiniment son équilibre. Toute la question dès lors est de savoir précisément où la raison publique situe ce point de rencontre entre des volontés divergentes, voire opposées. Pour le découvrir, il faut mettre au jour le contenu possible d’un accord contractuel.
Or, sur ce dernier point, Kant juge clairement que le droit à l’hospitalité fera l’objet d’un accord contractuel d’autant plus stable entre États et migrants (et sera donc d’autant plus effectif) que son contenu sera minimal. Par conséquent, il insiste sur un partage clair à opérer au sein du droit à l’hospitalité entre le droit de visite et le privilège de la résidence. Si le droit de visite (qui correspondrait peu ou prou dans le vocable contemporain au droit de séjour) [10] est à ses yeux un droit individuel inaliénable qui s’impose à la souveraineté étatique comme une méta-norme contraignante, il n’en va pas de même pour la résidence. N’étant pas coulée dans le moule d’un droit subjectif, l’« installation » de l’étranger reste suspendue à un consentement étatique souverain. Elle peut être quémandée comme une faveur auprès de l’État mais aucune obligation ne contraint ce dernier à accéder à la demande de l’étranger. Cette discontinuité entre visite et installation met radicalement à distance le droit à l’hospitalité de l’accueil inconditionnel.
L’hospitalité ne devient donc une politique chez Kant que sous la prémisse de la reconnaissance d’un droit étatique à l’exclusion (bien que la portée de ce dernier se limite à la question de l’installation). Ce qui contredit au moins partiellement notre premier jugement selon lequel la politique kantienne de l’hospitalité consisterait en une relativisation de la souveraineté étatique. Alors que le droit de visite semble bel et bien restreindre les prérogatives souveraines de l’Etat et préparer le terrain d’une construction cosmopolitique plus large en rendant la communication transnationale possible, le caractère conditionnel de la résidence nous ramène brusquement sous l’autorité de la souveraineté étatique. On serait en droit de voir dans cette inconsistance une contradiction qui mine depuis l’intérieur la définition que Kant donne de la politique de l’hospitalité. Ainsi qu’on va le découvrir avec Derrida, cette première objection s’articule à deux autres réserves qui ensemble forment une critique systématique du caractère conditionnel et limité de la politique kantienne de l’hospitalité.
Dans le courant des années ’90, Derrida s’est pris d’intérêt, tant dans son activité de recherche que dans son implication militante [11], pour la thématique de l’hospitalité qu’il n’a cessé de lier à une relecture étroite de textes de Kant [12]. Pour le philosophe de la rue d’Ulm, l’approche kantienne de l’hospitalité est riche de potentialités théoriques mais ultimement minée par une tension théorique qui devient manifeste lorsque l’on contraste son Projet de paix perpétuelle avec une autre de ses interventions dans le débat public, aussi courte que polémique, D’un prétendu droit de mentir par humanité. Dans ce texte, Kant résiste avec acharnement à l’introduction d’une quelconque considération empirique ou pragmatique dans la détermination pratique de l’action et défend le principe selon lequel seul le mobile qui préside à l’exécution d’une action mérite d’être jugé moralement et non ses répercussions escomptées. Selon l’exemple retenu et depuis lors passé à la postérité, même si un assassin devait se présenter sur le pas de ma porte pour réclamer que je lui livre une personne qui s’abrite chez moi, je ne serais pas en droit de lui mentir. Le respect inconditionnel de la véracité me commanderait de ne rien cacher de la présence de mon hôte. Car, autoriser le mensonge sur base de considérations pragmatiques et contextuelles ruinerait l’assise de la moralité. Le recours au mensonge, en suscitant le doute sur la fiabilité de la parole d’autrui, mettrait alors par extension en péril rien de moins que le contrat social. Pour cette raison, l’impératif moral ne tolère aucun accommodement prudentiel [13].
Or, l’exemple choisi par Kant n’est pas anodin. Alors même qu’il est engagé dans une discussion du rapport entre véracité et moralité, c’est bel et bien la supplique de l’hospitalité qui rejaillit. Le fond de la question porte autant sur la rigueur du devoir moral que sur la question de savoir si le devoir d’hospitalité peut voire doit supplanter celui-ci [14]. Derrida observe que la défense d’une morale déontologique ne mène pas simplement à une subordination de l’hospitalité à la véracité. Ses conséquences sont bien plus drastiques. L’interdiction du recours au mensonge, fut-ce par humanité, prive l’individu de l’intimité de son chez-soi. Plus aucun stratagème ne permet de soustraire le for intérieur à l’inspection publique, de garder quelque chose pour soi [15]. Puisque finalement plus rien ne le distingue de l’espace public, c’est l’espace privé en tant que tel qui disparaît. Or, sans lieu intérieur, sans un foyer dans lequel accueillir l’étranger, la possibilité de l’accueil disparaît [16]. Selon Derrida, ce n’est pas la moindre des ironies que de constater que l’auteur du Projet de paix perpétuelle est également celui qui en vient à abolir la possibilité de l’hospitalité. La chaîne d’équivalence qui fait de la véracité l’assise de la moralité et à sa suite le fondement du contrat social relègue l’hospitalité dans une position irrémédiablement seconde. Ce qui corrobore l’idée, déjà développée dans la première objection, qu’une politique de l’hospitalité ne se confondra jamais avec un accueil inconditionnel.
Le caractère subordonné et donc contingent de l’hospitalité se redouble aux yeux de Derrida d’un dernier défaut : sa propension à l’inégalité. Fidèle à son style philosophique, ce dernier illustre son propos au moyen d’un détour littéraire qui jouit d’une grande force d’évocation mais qui laisse planer un certain flou sur l’articulation analytique des deux éléments de sa critique. Pour ce faire, il se réfère à un petit conte cruel de Pierre Klossowski, intitulé Roberte ce soir [17]. Dans ce bref roman, le narrateur décrit l’étrange manège qu’entretiennent dans leur auberge son oncle Octave, sa tante Roberte et des étrangers de passage. Le maître des céans, l’oncle, a rédigé une sommaire Constitution familiale, nommée « Les Lois de l’hospitalité », qu’il a encadrée et disposée en évidence dans la maison. Celle-ci proclame que l’hôte des lieux n’a pas de désirs plus ardents que d’accueillir l’inconnu de passage et lui témoigner une générosité extravagante. Fidèle à cette déclaration de principes, l’oncle Octave ne se contente pas de partager son toit et sa table avec le premier venu, mais il lui offre également de partager la couche de sa femme. Devant cet excès d’amabilité, les rôles prédéfinis tanguent et se troublent jusqu’à menacer de s’inverser [18]. En lui ouvrant au-delà de toute convention les portes de sa maison, est-ce Octave qui accueille l’étranger ? Ou est-ce ce dernier qui, en comblant le désir d’Octave, en fait un invité dans sa propre maison ? Dans sa prose inimitable, Derrida commente les implications possibles d’un tel imbroglio : « Et l’hôte, l’otage invité (guest), devient l’invitant de l’invitant, le maître de l’hôte (host). L’hôte devient l’hôte de l’hôte. L’hôte (guest) devient l’hôte (host) de l’hôte (host) [19] ».
En somme, ce que l’excentrique accueil de l’oncle Octave met en lumière, c’est que l’hospitalité souffre d’une structure inégalitaire. Pour qu’elle puisse avoir lieu, il faut d’abord qu’un étranger se présente sur le seuil, qu’il soit à la lisière du chez-moi et qu’il manifeste l’envie d’y pénétrer. La relation d’hospitalité est donc d’emblée déterminée par sa configuration. L’accueillant est installé dans le confort de son pouvoir souverain sur sa demeure tandis que l’étranger est à la merci d’un refus qui l’exposerait à la précarité du dehors. Le seuil de la maison n’est pas une simple ligne de démarcation entre invitant et invité, c’est une marche à franchir, un différentiel de niveau qui distribue asymétriquement les rôles [20]. La pratique de l’hospitalité, si elle abolit bien le seuil en faisant pénétrer l’étranger à l’intérieur, n’en nivelle pas pour autant l’inégalité. Car c’est toujours dans une débauche de générosité, voire de magnanimité, que l’accueillant ouvre sa porte à l’étranger [21]. La dissymétrie des positions, loin de s’effacer, en ressort au contraire confortée. L’hospitalité perverse de l’oncle Octave déplace plus qu’elle ne renverse cette perspective. L’invité dont il fait aussitôt le maître des lieux se soumet toujours à son désir puisque les fameuses « Lois de l’hospitalité » encadrées sous verre dans l’auberge commandent qu’il agisse de la sorte. Mais en troublant ainsi la répartition des rôles, on efface dans un même geste l’inégalité. Ce jeu littéraire de Klossowski sur l’ambivalence de l’hospitalité peut ne sembler être rien de plus que cela, un jeu de déconstruction des concepts. Mais le réduire à une ludique acrobatie conceptuelle reviendrait à masquer les lourds enjeux qu’il recèle. Car sous le commentaire littéraire, on perçoit que la critique derridéenne de l’hospitalité fait analytiquement système. Sa cheville ouvrière est la dénonciation d’une compromission de l’hospitalité avec la contingence du monde. Pour Derrida, l’hospitalité ne peut remplir son office que si elle est un principe pur, détaché de tout ce qui peut le conditionner. L’hospitalité ne peut donc ni trouver à se subordonner au contrat social, ni se concevoir autrement que comme un accueil hyperbolique qui inverse et brouille les pôles de l’accueillant et du visiteur. Dès lors, tant que l’hospitalité sera une politique contingente placée sous l’autorité souveraine de l’Etat, elle ne pourra jamais avoir cette dimension transcendantale qui en ferait l’instrument d’une correction des inégalités.
Si Derrida s’en tenait à cette conclusion intermédiaire, il ne nous serait pas d’un grand secours pour la définition d’une politique égalitaire de l’hospitalité. Tout au plus devrait-on en déduire qu’une politique étatique et égalitaire de l’accueil est impossible. Derrida ne conclut pourtant pas aussi brusquement en ce sens. Nuançant sa première critique, il avance qu’il faudrait plutôt dire de la conditionnalité de l’hospitalité politique qu’elle est incompréhensible si elle ne porte inscrite en contrepoint le principe d’une hospitalité pure, d’une hospitalité qui se situe au-delà de toute contingence empirique et dont le commandement est impératif. Autrement dit, l’irruption de la positivité juridique incarnée par l’État dans la relation d’hospitalité scinde irrémédiablement cette dernière en deux régimes de loi hétérogènes. Il y a désormais, d’un côté, la Loi unique et inconditionnelle d’une l’hospitalité aussi pure qu’elle est hyperbolique et, de l’autre, les lois de l’hospitalité conditionnées par les politiques étatiques [22].
Derrida pense trouver la formulation théorique la plus aboutie de cette hospitalité emphatique dans l’œuvre d’un de ses proches amis. Commentant les travaux d’Emmanuel Levinas peu de temps après son décès, il écrit : « L’a-t-on déjà remarqué ? Bien que le mot n’y soit ni fréquent, ni souligné, Totalité et infini nous lègue un immense traité de l’hospitalité. » [23] Son originalité consisterait en un « renversement : Levinas propose de penser l’ouverture en général à partir de l’hospitalité ou de l’accueil – et non l’inverse. » [24] Son éthique, dont on ne mesure l’importance qu’en gardant à l’esprit qu’il la considère comme une « philosophie première » plus originaire encore que l’ontologie [25], s’organise toute entière autour de la thématique de l’accueil de l’altérité. Selon lui, le geste éthique initial, si fondamental qu’il précède toute intentionnalité et s’exprime par une responsabilité qui n’accède pas encore à la conscience, s’illustre dans l’hospitalité inconditionnelle. L’éthique requiert l’abandon de soi dans une ouverture totale à l’altérité.
L’éthique ainsi redéfinie trouve à se loger sous l’autorité d’une loi implacable de l’hospitalité. Mieux, l’éthique est coextensive à l’hospitalité [26]. On est alors en droit de s’interroger sur l’origine d’une exigence aussi intransigeante. D’où nous vient cette obligation incontournable d’accueillir le visiteur ? La dimension théologique de cet accueil inconditionnel ne peut être ignorée. Levinas le reconnaît explicitement dans la conclusion de Totalité et infini : « Dans l’accueil d’autrui, j’accueille le Très-Haut auquel ma liberté se subordonne. » [27] À bien des égards, l’éthique lévinassienne n’est qu’une reformulation de la tradition de la visite divine dont on trouve déjà de nombreux exemples dans la mythologie grecque lorsque les dieux s’invitent à l’improviste dans le monde des mortels pour mettre à l’épreuve leur sens de l’accueil [28]. Cette tradition s’est poursuivie dans chacun des monothéismes en la personne des prophètes, ces émissaires divins rendus étrangers à leurs contemporains par leur proximité avec le sacré. Enfin, ce récit atteint sans conteste son paroxysme dans la figure christique : non plus émissaire ou représentant, mais Dieu fait homme de chair et de sang, venu éprouver à ses dépens l’hospitalité des hommes [29].
Paul Ricœur abonde dans le sens de Levinas et voit également dans l’hospitalité un héritage biblique. Mais il tente de fournir une justification de cette pratique aux connotations plus immanentes [30]. Il inaugure son raisonnement par la citation du Lévitique 19, 34 : « L’étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte. » L’injonction à observer une hospitalité d’une extrême exigence n’émane pas, selon lui, d’une réminiscence du sacré dans l’humanité de chaque homme, comme si la visite des dieux se renouvelait dans chaque rencontre, mais tient plutôt à la puissance du souvenir. Le rappel de la condition étrangère du peuple juif en terre égyptienne universalise l’extranéité. La trace de cet épisode douloureux a pour fonctions de désamorcer les craintes à l’égard de l’étranger ainsi que de témoigner de l’instabilité de l’identité et du statut. Tout comme le visiteur contemporain, le peuple de l’Ancien Testament a connu massivement la condition d’étranger. Ayant été autres parmi les autres, les anciens étrangers doivent aujourd’hui faire l’effort de fonder leur hospitalité sur le souvenir (fictif ou réel) de leur exil. Si la justification théologique de l’hospitalité est dès lors plus latérale qu’horizontale, si elle émane du souvenir d’une condition partagée plus que de la transcendance à l’œuvre dans la singularité d’autrui, elle se conclut cependant toujours sur la même prescription exorbitante.
En dépit des efforts de Ricœur, cet héritage théologique confirme donc que l’hospitalité hyperbolique n’est pas de ce monde. La démesure d’un accueil dépourvu de toutes conditions correspond à l’expérience-limite de l’ouverture à la transcendance, de la découverte du sacré dans l’humanité de l’autre homme. Or, il apparaît assez clairement que l’éthique qu’elle décrit se situe à un niveau infra- ou supra-politique, selon le point de vue. La découverte de la transcendance dans le visage d’Autrui prend place dans le huis clos d’un face-à-face [31]. Chez Levinas, l’éthique confronte Ego à Autrui dans le vertige d’une exigence impondérable, tandis que la question de la justice ne se pose que lorsque surgit le Tiers. L’éthique exclut tout calcul, toute mesure et commande coûte que coûte de donner lieu à autrui [32]. En revanche, lorsque se multiplient les responsabilités et les exigences dans la foulée de l’apparition d’une tierce personne étrangère au face-à-face, surgit corollairement la question de la distribution et de la hiérarchisation des obligations. La réintroduction d’une question quantitative, d’un calcul et d’une mesure de la part qui revient à chacun interrompt la logique inconditionnelle de l’hospitalité.
Toutefois, les deux régimes juridiques de l’hospitalité ne peuvent être disjoints abruptement. Car, à y regarder de plus près, leurs protocoles sont aussi complémentaires qu’ils sont contradictoires [33]. D’une part, la Loi impérieuse de l’hospitalité est effectivement vidée de son contenu lorsqu’elle est confrontée aux lois étatiques de l’accueil. En imposant des limites, en restreignant l’accès, en opposant des obstacles à la venue, les frontières qui déterminent les modalités de l’accueil étatique sapent irrémédiablement le principe de l’hospitalité inconditionnelle. Il serait donc tentant d’en faire l’illustration par excellence de la vacuité d’une loi si exigeante qu’elle en devient inapplicable. Mais ce serait perdre de vue que la Loi inconditionnelle de l’hospitalité requiert des lois de l’hospitalité pour s’actualiser. Même si cela doit être sous le mode de la transgression de son principe intrinsèque, voire de la trahison de son motif, la Loi ne peut se matérialiser qu’à travers des lois positives. S’il y a donc une collision entre deux lois, et donc antinomie au sens technique du terme, il y a également dans une certaine mesure collusion. Les lois positives transgressent autant qu’elles épaulent la Loi éthique – excessive et impossible, mais nécessaire – qui les surplombe. Les deux régimes de loi sont donc aussi inséparables qu’ils sont aporétiques. Derrida qualifie alors l’hospitalité d’« antinomie non dialectisable » [34]. Non dialectisable car impossible à relever, impossible à convertir en une unité supérieure à partir du travail du négatif en son sein, autre façon de dire qu’on ne sortira pas du dilemme de l’hospitalité, mais que c’est de l’intérieur de sa tension qu’il faudra le travailler [35].
Derrida offre donc une défense qualifiée de l’hospitalité conditionnelle mais n’en laisse pas moins le concept dans une situation théorique instable, voire précaire. En effet, on perçoit mal comment faire reposer une pratique politique durable de l’hospitalité sur le mouvement d’une dialectique, à plus forte raison quand celle-ci est dépourvue de tout espoir de relève. Que faire d’une Loi qui ne peut paradoxalement se réaliser que dans la transgression des lois qui l’actualisent ? Cette objection n’est pas insurmontable mais elle appelle un correctif majeur à l’approche derridéenne de l’hospitalité. Pour penser politiquement l’hospitalité, il est indispensable de nouer la destinée de cette vertu avec l’institution qui la détermine au niveau étatique, à savoir la frontière.
Comment pourrait se présenter une politique de l’hospitalité tout à la fois mondaine, égalitaire et institutionnelle ? Ainsi qu’on l’a vu, le rôle cosmopolitique attribué par Kant à la politique de l’hospitalité a une importante répercussion au niveau institutionnel : il relativise la souveraineté étatique. Car la reconnaissance d’un droit de visite contraint l’Etat à relâcher partiellement son emprise sur l’un des marqueurs les plus importants de sa souveraineté, à savoir le contrôle de ses frontières. Kant semble cependant s’effrayer de sa propre audace et ne pousse pas sa logique jusqu’à son point de rupture. Il concède volontiers que le droit individuel de la visite s’arrête là où commence la décision étatique d’accorder à titre de privilège un droit de résidence à certains étrangers. La souveraineté étatique ne cesse donc de délimiter les pourtours de la citoyenneté. Bien qu’il ne le fasse pas dans une référence explicite à Kant [36], Étienne Balibar a cherché à démontrer qu’une pratique politique de l’hospitalité devrait précisément se construire sur le mouvement inverse, celui de la déconstruction des limites de la souveraineté par la pratique de la citoyenneté.
Selon Balibar, la frontière est, à l’image de l’hospitalité, inégalitaire en soi. Car, en tant qu’institution, elle est parvenue à forcer une interprétation tronquée de la citoyenneté qui mène à une corruption de sa signification. Schématiquement, la citoyenneté se réfère en effet à deux situations distinctes bien qu’intrinsèquement liées. D’une part, la citoyenneté peut être un statut juridique. Elle définit alors la situation de celui qui a pleinement « droit de cité », autrement dit de celui qui est formellement autorisé à prendre part à la vie politique de la communauté [37]. D’autre part, la citoyenneté est une activité politique. Elle est la production par le biais de l’engagement individuel d’un « commun », c’est-à-dire d’un espace public de la discussion égalitaire. Balibar s’inspire en cela du fameux « droit à avoir des droits », conçu originairement par Arendt [38]. Selon cette dernière, les années ’30 nous ont enseigné que les droits fondamentaux, les droits de l’homme, avaient eux-mêmes besoin d’être protégés et que cette protection ne pouvait venir que de la communauté créée par une pratique des droits du citoyen vécue comme un engagement politique [39]. En ce sens, la citoyenneté n’appartient en droit à personne puisqu’elle n’est que le fruit d’une volonté et d’une participation créatrice. Dans cette perspective, le « droit de cité » est saisi par les acteurs politiques plutôt que distribué par une entité politique surplombante.
Ces deux déclinaisons de la citoyenneté mènent à différentes conséquences. D’une part, un statut est toujours la marque d’une distinction et la citoyenneté n’échappe pas à cette règle. Elle prend effectivement une partie de son sens dans la division hiérarchique qu’elle opère [40]. Comme l’exprime Balibar : « [...] ceci ne ferait que mieux ressortir la permanence d’une règle de fermeture ou d’autarcie associée à la citoyenneté. Par définition, il n’y a de citoyenneté que là où il y a cité, c’est-à-dire où les ’’concitoyens’’ et les ’’étrangers’’ sont clairement distingués en termes de droits et d’obligations sur un territoire donné. » [41] Le hiatus c’est que cette citoyenneté qui se veut close et hermétique est dépourvue de critères légitimant son autarcie en des termes compatibles avec la grammaire des droits fondamentaux. Pour combler cette absence, la citoyenneté s’est historiquement attachée à une autre position statutaire : la nationalité [42]. Mais comme ce statut hiérarchise les individus en fonction de leur familiarité avec la culture nationale, il se révèle être intrinsèquement inégalitaire, raison pour laquelle Balibar refuse d’en faire le principe organisateur de la communauté démocratique.
Heureusement, nous dit le philosophe français, il est possible de bâtir une citoyenneté alternative et ouverte sur base de sa définition en tant qu’activité. Cette redéfinition de la citoyenneté ne s’encombre pas de questions identitaires car elle postule qu’elle n’est rien d’autre que la « capacité collective de ’’constituer l’État’’ ou l’espace public. En d’autres termes, elle exprime un lien social dans lequel les droits et libertés reconnus aux individus, et les obligations qui en sont la contrepartie, si limités soient-ils, n’émanent pas d’un pouvoir transcendant, mais uniquement de la ’’convention’’ des citoyens [...]. D’où le lien entre l’idée de citoyenneté et celle d’égalité. » [43] Néanmoins, Balibar concède qu’il est inévitable que la citoyenneté comme statut soit réintroduite à terme dans cette équation. Car une fois l’espace public collectivement instauré, l’inégalité resurgit entre citoyens et étrangers, gouvernants et gouvernés, capitalistes et travailleurs, etc. [44] Mais la citoyenneté ne peut faire abstraction de cette référence à la création collective et égalitaire de l’espace public, car c’est depuis celle-ci que la citoyenneté comme activité redessine perpétuellement les contours de la citoyenneté comme statut [45].
Ramenée à la question de l’hospitalité, cette dernière définition de la citoyenneté comme productrice de statuts laisse entrevoir la possibilité d’une citoyenneté des étrangers qui contribue à « démocratiser l’institution de la frontière » [46], c’est-à-dire à relativiser son action en la soumettant au contrôle de contre-pouvoirs issus d’un peuple qui ne se limite pas aux seuls citoyens. Car la citoyenneté n’est plus seulement créée d’en haut par un État qui dispense le privilège de sa protection à ses membres mais elle est également construite d’en bas par l’engagement politique individuel au quotidien. Dans ce contexte, rien ne s’oppose à ce que des étrangers militent pour une redéfinition des droits fondamentaux adossée à une critique de la distribution des statuts opérée par l’État. En termes conceptuels, cela nous mène à la situation, salutaire selon Balibar, où les « sans-parts » [47], les exclus, les déchus de l’intégration se réapproprient la citoyenneté comme activité pour mieux déconstruire la citoyenneté comme statut. Balibar y voit l’espoir d’un remaniement de l’institution historique qui la pousserait à plus de perméabilité, mais également l’opportunité d’un renouveau de la démocratie qui s’enracinerait dans la souveraineté d’un peuple à la composition originale car potentiellement transnationale [48].
En ce sens, une politique de l’hospitalité correspondrait à un engagement citoyen certes local mais dont la visée serait cosmopolitique [49]. Celui-ci se donnerait pour objectif la contestation de l’arbitraire frontalier. Contrairement à ce soutient parfois Balibar [50], cette politique ne s’oppose donc pas au cosmopolitisme kantien mais vient plutôt en compléter le dispositif. Car si Balibar radicalise le propos de Kant, il n’en trahit pas pour autant le motif. Son invitation à se ressaisir d’une citoyenneté « activiste » fait écho à la résidence kantienne qui préconise l’intégration de l’étranger à la communauté politique par le biais de sa préoccupation pour le bien public. Cependant, à la différence de ce dernier, Balibar assume pleinement la part de conflictualité que la politique de l’hospitalité, influencée par son origine éthique, avait eu tendance à réprimer. La citoyenneté, lorsqu’elle est envisagée comme une pratique agonistique et revendicatrice, parvient alors à tenir ensemble ces deux exigences a priori peu compatibles de l’hospitalité : inscrite de plain-pied dans la sphère du politique, elle maintient néanmoins un lien consubstantiel avec l’égalité.
Titre : L’hospitalité, égalitaire et politique ?
Résumé : L’hospitalité est généralement associée à une vertu personnelle plutôt qu’à une politique collective. Générosité dans l’accueil d’autrui, partage de la maison ou de la table, ouverture à la différence ou tolérance, elle prend plus volontiers les traits d’une débauche altruiste d’amabilité que d’une provision légale ou d’un projet politique. Cette définition étroitement morale a cependant été battue en brèche par Kant. Dans son Projet de paix perpétuelle, ce dernier a fait du droit à l’hospitalité la pierre angulaire de la construction juridique du cosmopolitisme. Néanmoins, lorsque Kant confronte l’hospitalité aux contingences empiriques de la politique, il est contraint de dissocier celle-ci de la générosité d’une ouverture inconditionnelle à autrui. Une politique de l’hospitalité doit nécessairement prévoir des restrictions, inégalitaires par définition, dans l’application de son principe. Cette exclusion mutuelle des deux caractéristiques principales de l’hospitalité délimite l’espace de notre questionnement dans cet article : l’hospitalité peut-elle échapper à l’alternative qui fait d’elle soit une politique inégalitaire de l’accueil, soit un principe moral égalitaire mais apolitique ?
Mots-clés (auteur) : Hospitalité – Cosmopolitisme - Immigration – Frontière – Démocratie – Kant - Derrida
Title : Hospitality, egalitarian and political ?
Abstract : Hospitality is more often associated with a personal virtue than with a collective policy. It is supposedly more about hosting generously a stranger, sharing a table or a house or remaining tolerant to the differences than a community’s goal. In a nutshell, it is an individual display of altruism rather than a legal rule or a political project. However, this conception of hospitality – narrowly defined as an ethical trait – has been breached by Kant. In his Perpetual Peace Project, Kant turns the right to hospitality into the cornerstone of his cosmopolitanism. Nevertheless, whenever Kant confronts hospitality to the contingent aspects of the empirical politics, he tends to dissociate hospitality from a pure openness to the foreigner. A policy of hospitality must include some restrictions, unequal by nature, in the implementation of its principle. This mutual exclusion of hospitality’s two main features defines the parameters of our question : can hospitality escape this deceptive alternative ? Can hospitality avoid being either an unequal host policy or an egalitarian moral principal doomed to remain apolitical ?
Keywords (author) : Hospitaly – Cosmopolitanism – Immigration – Border – Democracy – Kant - Derrida
NOTES
[1] Kant, Immanuel, 1991, « Vers la paix perpétuelle », dans Vers la paix perpétuelle - Que signifie s’orienter dans la pensée ? - Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Flammarion, p. 93.
[2] Notre lecture du droit cosmopolitique kantien s’appuie dans une large mesure sur Stéphane Chauvier, 1996, Du droit d’être étranger. Essai sur le concept kantien d’un droit cosmopolitique, Paris, L’Harmattan, et sur Cheneval, Francis, 2005, La Cité des peuples. Mémoires de cosmopolitismes, Paris, Cerf.
[3] Kant, Immanuel, « Vers la paix perpétuelle », loc. cit., p. 106.
[4] Lefort, Claude, 1992, « L’idée d’humanité et le projet de paix universelle » dans Écrire. A l’épreuve du politique, Paris, Calmann-Levy, p. 243.
[5] Ou, de façon plus polémique, comme un droit d’accès à la citoyenneté ainsi je l’ai défendu dans : Deleixhe, Martin, 2014, « Une réévaluation du droit cosmopolitique kantien. De la discontinuité entre le droit de visite et le droit de résidence », Revue Française de Sciences Politiques, vol. 64, n°1, pp. 79-93.
[6] Cette intuition kantienne a été développée avec une grande rigueur analytique dans Bohman, James, 2007, Democracy across Borders. From Dêmos to Dêmoi, Cambridge, MIT Press, pp. 59-99.
[7] Ferry, Jean-Marc, 2005, Europe la voie kantienne. Essai sur l’identité postnationale, Paris, Cerf, pp. 151-6.
[8] Kant, Immanuel, « Vers la paix perpétuelle », loc. cit., p. 93.
[9] Ce qui explique notamment qu’il fasse de l’asile un cas à part. Car l’asile ne confronte pas deux libertés (celle de l’Etat et celle du migrant) mais une liberté et une nécessité (la liberté de l’Etat contrastant avec un individu contraint de migrer.)
[10] Chauvier, Stéphane, Du droit d’être étranger. Essai sur le concept kantien d’un droit cosmopolitique, op. cit., p. 43.
[11] Ramond, Charles, 2007, « Présentation. Politique et déconstruction », Cités, numéro spécial « Derrida politique », n° 30, pp. 11-6.
[12] Voir, pour la seule année 1997 : Derrida, Jacques, 1997, Le droit à la philosophie du point de vue cosmopolitique, Paris, UNESCO/Verdier ou Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, 1997, De l’hospitalité, Paris, Calmann-Levy et Derrida, Jacques, 1997, Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !, Paris, Galilée.
[13] « Il y a donc un commandement sacré de la raison, qui commande inconditionnellement et qu’aucune convenance ne doit restreindre : être véridique (honnête) dans toutes ses déclarations. », cf. Kant, Immanuel, 1994, Théorie et pratique - D’un prétendu droit de mentir par humanité - La fin de toutes choses, trad. et introduction par Proust, Françoise, Paris, Flammarion, p . 100.
[14] Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l’hospitalité, op. cit., p. 63.
[15] Raison pour laquelle Derrida s’inquiète dans ce même texte d’un phénomène a priori fort distant du centre de gravité de ses préoccupations, à savoir l’intrusion de l’État dans la régulation des télécommunications. Il rapproche ces observations, car elles lui semblent répondre à une logique similaire de nivellement de l’espace privé et de la sphère publique. Au vu des révélations d’Edward Snowden sur l’ampleur de l’espionnage par la NSA des télécommunications de ses propres citoyen, cette remarque prend une tonalité quasi-prophétique : cf. Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l’hospitalité, op. cit., p. 45-51.
[16] Ibid., p. 53.
[17] Klossowski, Pierre, 1954, Les lois de l’hospitalité, Paris, Gallimard, pp. 105-73.
[18] Voir également Montandon, Alain, 2004, « Pierre Klossowski. Un rituel érotique » dans Montandon, Alain (dir.), Le livre de l’hospitalité. Accueil de l’étranger dans l’histoire et les cultures, Paris, Bayard, pp. 1374-8.
[19] Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l’hospitalité, op. cit., p. 111.
[20] Cusset, Yves, 2010, Prendre sa part de la misère du monde. Pour une philosophie politique de l’accueil, Chatou, Les Éditions de la Transparence, pp. 19-21.
[21] Ibid., pp. 36-9.
[22] Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l’hospitalité, op. cit., p. 29.
[23] Derrida, Jacques, 1997, Adieu – à Emmanuel Levinas, Paris, Galilée, p. 49.
[24] Ibid., p. 44.
[25] Levinas, Emmanuel, Éthique comme philosophie première, Paris, Payot & Rivages.
[26] Derrida, Jacques, 1997, Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !, Paris, Galilée, p. 42.
[27] Levinas, Emmanuel, 1990, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, Paris, Le Livre de Poche, p. 335. On pourra également lire le chapitre qu’il consacre aux ville-refuges dans Levinas, Emmanuel, 1982, L’Au-delà du verset. Lectures et discours talmudiques, Paris, Les Éditions de Minuit. Derrida reconnaît également sa dette à l’égard du cosmopolitisme de Saint Paul dans Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !, op.cit., pp. 48-9.
[28] Létoublon, François, 2004, « Grèce archaïque. Les dieux à la table des hommes » dans Montandon, Alain (dir.), Le livre de l’hospitalité, op. cit., pp. 468-506.
[29] Pottier-Thoby, Anne-Cécile, 2004, « Bible. De la trahison à la rédemption » dans Montandon, Alain (dir.), Le livre de l’hospitalité, op. cit., pp. 118-43.
[30] Ricœur, Paul, 1997, « Étranger, moi-même », conférence donnée lors des Semaines sociales de France.
[31] Ce que Derrida conteste dans Adieu – à Emmanuel Levinas, op. cit., p. 111. Pour lui, « Levinas reconnaît cette ’’présence du tiers’’ et cette question de la justice dès le premier instant, si on peut dire, du visage, sur le seuil du face-à-face. »
[32] Levinas, Emmanuel, Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, op. cit., p. 185.
[33] Derrida, Jacques ; Dufourmantelle, Anne, De l’hospitalité, op. cit., p. 75.
[34] Ibid., p. 73.
[35] Sur le travail infini de l’aporie, voir Balibar, Étienne, 1995, « The Infinite Contradiction », Yale French Studies, n° 88, pp. 142-64.
[36] A notre connaissance, Balibar ne glose l’œuvre politique de Kant de façon explicite que dans « Cosmopolitisme et Internationalisme. Deux modèles, deux héritages » dans Moufida, Goucha (dir.), 2006, Philosophie politique et horizon cosmopolitique. La mondialisation et les apories d’une cosmopolitique de la paix, de la citoyenneté et des actions, Paris, UNESCO, pp. 37-64.
[37] Balibar, Étienne, 2002, « Une citoyenneté européenne est-elle possible » dans Droit de cité, Paris, Quadrige/PUF, p. 53.
[38] Balibar, Étienne, 2001, « Violence et mondialisation : une politique de la civilité est-elle possible ? » dans Nous, citoyens d’Europe ? Les frontières, l’État, le peuple, Paris, La Découverte, p. 183.
[39] Il existe de très nombreuses (et diverses) interprétations du « droit à avoir des droits » qui attribuent à Arendt des visées couvrant un large spectre politique. A titre de comparaison, dans le seul cadre des questions d’hospitalité, on peut se reporter à Beltran, Cristina, 2009, « Going Public. Hannah Arendt, Immigrant Action, and the Space of Appearance », Political Theory, vol.37, n°5, pp. 595-622 ou à Krause, Monika, 2008, « Undocumented Migrants. An Arendtian Perspective », European Journal of Political Theory, vol. 7, n°3, pp. 331-348 voire à Benhabib, Seyla, 2004, The Right of Others. Aliens, Residents and Citizens, Cambridge, Cambridge University Press.
[40] Balibar, Étienne, 2002, « Une citoyenneté européenne est-elle possible ? » dans Droit de cité, op. cit., p. 54.
[41] Ibid., p. 47.
[42] Balibar, Étienne, 2001, « Une citoyenneté sans communauté ? » dans Nous, citoyens d’Europe ? Les frontières, l’État, le peuple, op. cit., pp. 95-7. Balibar critique vertement dans un autre texte l’équation, à ses yeux foncièrement erronée, qui pose que (citoyenneté = nationalité) = souveraineté, cf. Balibar, Étienne, 2002, « Une citoyenneté européenne est-elle possible ? » dans Droit de cité, op. cit., p. 46.
[43] Balibar, Étienne, 2001, « L’Europe des citoyens » dans Nous, citoyens d’Europe ? Les frontières, l’État, le peuple, op. cit., pp. 251-2.
[44] Ibid., p. 252.
[45] Balibar, Étienne, 2005, « Europe, pays de frontières » dans Europe, Constitution, Frontière, Bègles, Éditions du Passant, p. 155.
[46] Projet relativement vague mais occasionnellement formulé dans des termes plus précis. Il s’agirait de « la mettre au service des hommes et la soumettre à leur contrôle collectif, en faire un des objets de leur ’’souveraineté’’, au lieu qu’elle serve essentiellement à les assujettir à des pouvoirs sur lesquels ils n’ont aucun contrôle[...]. », cf. Balibar, Étienne, 2001, « Frontières du monde, frontières de la politique » dans Nous, citoyens d’Europe ? Les frontières, l’État, le peuple, op. cit., pp. 173-4. Les modalités pratiques de l’exercice de ce contre-pouvoir restent malheureusement inexplorées dans la suite de son œuvre.
[47] Balibar, Étienne, 2010, « Ouverture : L’antinomie de la citoyenneté » dans La proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, p. 16. Balibar emprunte le terme à Jacques Rancière, qui en a fait la clef de voûte de sa charpente théorique. Selon ce dernier, la politique ne diffère de la « police » qu’à partir du moment où les « sans-parts », les exclus de la distribution des postes, professions et autres statuts, s’élèvent pour réclamer, au nom d’une égalité présupposée, leur inclusion dans cette répartition. Cf. Rancière, Jacques, 1998, « Dix thèses sur la politique » dans Aux bords du politique, Paris, Gallimard, pp. 240-1.
[48] Balibar, Étienne, 2005, « Europe, pays de frontières » dans Europe, Constitution, Frontière, op. cit., pp. 159-60.
[49] Dans un même ordre d’idées, voir Tassin, Étienne, 2003, Un monde commun. Pour une cosmo-politique des conflits, Paris, Seuil, pp. 265-91.
[50] Balibar, Étienne, « Cosmopolitisme et Internationalisme. Deux modèles, deux héritages », loc. cit., pp. 37-64.