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Femmes réfugiées, un enjeu des camps : L’exemple sahraoui

Alice Corbet
Alice Corbet est docteur en anthropologie, sa thèse s’intitule « Nés dans les camps : changements identitaires de la nouvelle génération de réfugiés sahraouis et transformation des camps » (2008, CEAf -EHESS). Ses recherchent portent sur le dispositif humanitaire, dans les camps sahraouis et en (...)

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Alice Corbet, "Femmes réfugiées, un enjeu des camps : L’exemple sahraoui ", REVUE Asylon(s), N°9, juin 2012

ISBN : 979-10-95908-13-5 9791095908135, Reconstructions identitaires et résistances, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1247.html

Une plaine morne, vide, rocailleuse, couleur arène. Le soleil est cuisant et l’on n’entend que le vent siffler ; par terre roulent sacs plastiques, bouteilles d’eau et packs de lait ; le sable soulevé fouette le visage. Tout proche, de petits enclos faits de bric-à-brac abritent de jeunes agneaux, autour, les moutons sont affairés à chercher une substance comestible dans les tas d’ordures dispersés. Plus loin, s’étale un immense groupe de maisons rectangulaires, faites de briques de sable, aux fenêtres basses. Et, de temps en temps, une tente parsème ce paysage aux couleurs lunaires. Il est midi. Tout semble abandonné. L’heure est trop chaude et chacun se repose, car ici, on se lève très tôt pour échapper à la fournaise et les journées se partagent en quatre temps : la nuit, la matinée, la longue sieste et la fin d’après-midi s’éternisant en interminable soirée. Nous sommes dans les camps de réfugiés sahraouis, et cette vie rude, quotidiennement marquée par le soleil, le sable et l’attente, ce sont les femmes qui l’administrent : les Sahraouiyats.

Lorsqu’en 1976 les réfugiés sahraouis sont arrivés sur l’aride Hamada de Tindouf, plateau désertique situé au sud-ouest de l’Algérie, les hommes participaient activement à « l’effort de guerre » [1]. Sous la bannière du Front Polisario, ils combattaient les Forces armées royales marocaines (FAR) qui, suite à la Marche Verte organisée par le roi Hassan II en novembre 1975, occupaient le Sahara Occidental. Les combats violents provoquèrent la fuite de groupes de civils qui traversèrent la frontière pour trouver refuge en Algérie, dans ce qui ne devait être qu’une installation temporaire de tentes.

L’arrivée massive des réfugiés au Sud de la ville algérienne de Tindouf a donné l’occasion au Front Polisario d’ajuster son système politique sur un groupe défini et unitaire : les camps sahraouis ont pour particularité d’avoir articulé l’opportunité spatiale d’un projet de faire peuple et de faire nation (Caratini, 2003). Ainsi en février 1976, une République, en exil de fait, a été formulée : la RASD (République arabe Sahraouie démocratique). C’est le Front Polisario qui en alimente le personnel et les idéaux, aujourd’hui encore dédiés à la projection de la RASD dans un Sahara Occidental indépendant. L’aide humanitaire y est prise en compte et intégrée au projet : le Front Polisario tente de coordonner et de réunir l’aide internationale, de la suppléer, puis de la redistribuer aux réfugiés. Cette prise de relais de l’aide par le Front Polisario a aussi une double fonction politique : celle d’encadrer l’approvisionnement et donc la population, et celle de se représenter en tant qu’acteur légitime, démontrant aux yeux de la communauté internationale sa capacité à s’organiser.

Trente-trois ans après leur fondation, les camps sont toujours là : au nombre de cinq, plus une « capitale » où sont regroupés les ministères de la RASD, ainsi que les stocks et le personnel de l’aide humanitaire. Le UNHCR [2], l’Algérie [3], plusieurs pays amis, ainsi que de nombreuses ONG et associations militantes diverses les soutiennent [4]. Le nombre de réfugiés est difficile à connaître, donnant lieu a des enjeux politiques (nombre d’électeurs possibles en cas de referendum d’autodétermination [5], nombre de rations alimentaires à distribuer…), mais est généralement estimé de 120 000 à 160 000 personnes [6]. Et, passé le temps de l’urgence, alors que le conflit s’est enlisé, les tentes ont progressivement disparu au profit des bâtiments en dur, des panneaux électriques alimentent des réfrigérateurs et des télévisions, les voitures fourmillent en soulevant des vagues de poussière, et hommes et femmes cherchent un nouvel équilibre social.

Comment y a-t-il eu rééquilibrage des rôles sexués à travers les camps ? Quelle a été l’attitude des divers acteurs (organisations humanitaires, politiques...) envers les femmes ? Quelle est la place des femmes sahraouies aujourd’hui, quelles évolutions sont en cours [7] ?

Les femmes, le nœud cohérent de la vie des camps

L’omniprésence toujours actuelle des femmes dans les camps est la traduction d’un déséquilibre démographique consécutif au décès des hommes lors de la guerre, et à l’absence des militaires aujourd’hui encore dispersés dans les « territoires libérés » [8]. Ces derniers sont nombreux à être encore mobilisés, que ce soit le long des murs de défense, dans la gendarmerie, ou même dans des ministères où ils gèrent « l’effort de guerre » de la RASD. Mais cet effacement de la gente masculine est surtout l’expression de la prise de pouvoir des femmes ; ou plutôt, de la perte de pouvoir des hommes : la sédentarisation forcée dans les camps a bouleversé la répartition des rôles sexués, en enlevant aux hommes les moyens d’exercer leurs activités. En effet s’ils, auparavant, avaient pour occupation toutes sortes de charges telles que le commerce, la chasse et la fonction guerrière, ces dernières ont soit disparues (en raison des conditions du conflit et des camps), soit été soustraites par la nouvelle organisation sociale, c’est-à-dire par la gestion bureaucratique du Front Polisario. Et pour les jeunes hommes comme pour ceux plus âgés qui résident dans les camps, les occupations quotidiennes sont rares.

Ainsi, contrairement à de nombreux camps ou conflits armés où les femmes subissent de nombreuses violences spécifiques et sont enfermées dans ces violences par la mise en camps (Gagné, 2005), c’est la gente féminine qui représente le socle du dispositif des camps, à travers son aptitude à organiser le présent, en animant la vie quotidienne qui structure le rythme des camps : les femmes distribuent et récupèrent l’aide humanitaire, constituent une grande part du corps infirmier et professoral, s’occupent de l’entretien des tentes, du petit bétail… Maîtres du domaine domestique, les Sahraouiyats détiennent également le pouvoir sur tout ce qui est matériel, et notamment sur la tente, qui demeure le cœur du foyer bien que son visage ait évolué au fil des années (Caratini, 1996).

La gestion quotidienne demeure donc féminine, que ce soit en ce qui concerne la maisonnée, comme l’organisation sociale le veut, ou en ce qui concerne la gestion des camps, comme l’organisation historique et politique l’a imposée. En effet, l’arrivée dans les camps, alliée à l’habitude bédouine d’un certain sens des responsabilités [9], a donné l’opportunité aux femmes d’organiser l’espace-temps des camps. Or, ce dernier est spécifique : c’est un présent interminable et in(dé)fini, dans l’attente, où le futur est indéterminé car dépendant des aléas politiques, et où le passé est transformé en référent quasi mythifié : celui d’un territoire et d’un mode de vie perdu.

Conscient de l’importance des femmes, le gouvernement de la RASD articule diverses organisations de masse, dont l’Union nationale des femmes sahraouies (UNFS), incarnée entre autre dans des Maisons des femmes présentes dans tous les camps. Ce sont des structures très dynamiques et investies, proposant de nombreuses activités, soutenues par des personnes bénévoles qui dispensent gratuitement des cours divers : cours de langue, de couture, d’informatique (les ordinateurs fonctionnent grâce à des générateurs)... Une école, dite « École des femmes » (mais ouverte à tous), fonctionne aussi très bien et s’est autonomisée au point d’avoir fondé un nouveau camp, dans lequel beaucoup d’investissements et d’activités fonctionnent autour des Sahraouis les plus érudits [10]. D’ailleurs, de tels liens et associations pour faire fonctionner la solidarité, partager les informations, mettre en place des projets, garder les enfants, etc, sont des formes classiques d’organisation féminine dans les camps [11] : souvent spontanées (et ici reprisent par le Front Polisario), ces organisations permettent aux femmes de s’installer dans la vie des camps sans trop en subir la condition « réfugiée », tout en ancrant leurs valeurs culturelles de manière transversale (communauté de traditions, de pratiques, perpétuation de savoirs…).

C’est grâce à cette émancipation féminine à travers les camps que les Sahraouiyats sont devenues des symboles, des exemples qui représentent, en quelque sorte, la « vitrine » de la bonne volonté du Front Polisario et de la société sahraouie [12].

Ainsi, les droits et évolutions qui ont été octroyés aux femmes dans les camps sont une constituante de la lutte et de l’indépendance, mais sont aussi un véritable engagement si le Sahara Occidental devient indépendant. Cela complète les réformes du Front Polisario dites de la « Révolution sociale », qui modèlent la société sur des préceptes égalitaires et tiers mondistes issus des années 1970 : elles comprennent l’abolition du tribalisme [13] et de l’esclavage, l’interdiction de l’excision, la prohibition du « gavage » [14], et le droit de vote. Aujourd’hui, les filles, à partir de leur puberté, sont relativement libres et indépendantes, et leurs droits sont reconnus, particulièrement au sujet de leur mariage [15]. Dans l’idéologie de la RASD, au même titre que les hommes (frères ou pères), les femmes sont des sœurs et mères, des « camarades » (rifaq) [16]. La participation des femmes est donc requise dans tous les axes de la société (un proverbe rappelle à ce propos : « pour applaudir, il faut deux mains »), et elles se font souvent élire par les habitants aux postes de députées ou de maires [17] à tel point que, lors des dernières élections, l’administration a fortement incité des hommes à se présenter, pour rompre avec la mainmise des femmes.

Ceci dit, on observe un manque de présence des femmes au niveau étatique institutionnel supérieur, national ou international (ministres, représentants du front Polisario… malgré certains efforts récents). Pourquoi ce manque de parité ? D’une part, parce que la plupart des dirigeants de la RASD actuelle ont obtenu leur position grâce à leur attitude lors de la guerre : nombre d’entre eux sont co-fondateurs du Front Polisario. Leur présence politique s’adosse à leur prestance militaire. Or, ces hommes ont pour la plupart eu un rôle de chefs de guerre majeur, ce que les femmes ne pouvaient avoir (même si beaucoup d’entre elles ont appris à se servir des armes). C’est donc le renouvellement des élites qui est à remettre en cause pour expliquer cette iniquité.

De plus, les femmes sont tellement impliquées dans la gestion des camps au jour le jour que, même si idéalement elles pourraient s’investir à plein temps dans une activité de haute fonction ou politique, concrètement cela demanderait un changement radical d’organisation. Il leur faudrait soit pouvoir déléguer, soit que les hommes s’occupent de la gestion familiale.

La sédentarité imposée dans l’exil se traduit aussi par un phénomène social nouveau, celui de la matrilocalité (Caratini, 2000a, 2000b). En effet, dans la structure patrilinéaire précédent le conflit, la femme mariée allait vivre dans le groupe familial de son mari, même si elle accouchait généralement chez ses parents. Mais aujourd’hui, les nouveaux couples s’installent de plus en plus indépendamment, près des parents les plus proches et les plus aptes à les intégrer dans leur ensemble familial, c’est-à-dire généralement près du foyer de la mère de la femme [18]. Plusieurs explications permettent de comprendre cette évolution : d’abord, les filles préfèrent rester non loin de leur cercle familial plutôt que de vivre près d’une famille et un milieu inconnu, surtout en l’absence du mari qui peut repartir souvent loin ou travailler dehors du foyer. Afin d’éviter de se retrouver seule avec sa belle-mère et les femmes de la famille de son mari, la jeune mariée porte son choix sur la proximité avec sa propre mère. Mères et sœurs sont aussi heureuses de conserver près d’elles les filles, qui les soulagent dans les tâches quotidiennes, par exemple pour l’acheminement des sacs d’aide alimentaire jusqu’aux cuisines (ces derniers font parfois cinquante kilos). En contrepartie, les jeunes mariées peuvent également se décharger de la prise en charge leur nouveau foyer auprès de leur famille, en faisant garder leurs enfants en bas-âge par exemple.

De plus, comme l’habitat est traditionnellement un bien féminin pour les Sahraouis et que, depuis les années 1990, les bâtiments qui accompagnent la tente sont construits en briques de sable [19], il est difficile pour un jeune couple de s’installer tout de suite, car il doit réunir des moyens nécessaires à la construction de sa bâtisse et de son aménagement. Demeurer près de la maison de la mère signifie, pour la jeune fille, bénéficier de ses installations, continuer à être aidée de ses sœurs, et partager un temps la cuisine familiale avant de prendre progressivement son indépendance au fil de la construction de sa propre maison. La matrilocalité d’aujourd’hui ne contredit pas la patrilinéarité du système de filiation, mais est une marque concrète des réadaptations sociales liées à l’arrivée dans les camps et au nouvel équilibre entre les sexes.

Les hommes, qui sont dépendants du foyer de leur femme, sont alors placés dans une situation délicate quant à leur présence dans leur demeure. En effet, comme un homme marié doit adopter une attitude d’évitement envers son beau-père, ainsi que le veut les stratégies de respect des Maures, les hommes passent leur temps à essayer de se dissimuler aux yeux de celui qu’ils doivent éviter… et qui se retrouve être leur voisin. Tout cela explique que l’on rencontre beaucoup d’hommes désœuvrés dans les camps, ou monopolisant les marchés ou petites boutiques, comme seuls lieux pour se retrouver et être « chez eux ».

Qu’en est-il des divorces ? Ces derniers sont devenus plus nombreux avec la nouvelle idéologie conséquente à la restructuration sociale du Front Polisario ainsi qu’avec la sédentarisation qui aide les partenaires à retrouver facilement leur foyer d’origine ou un autre conjoint, bien que ce soit généralement les hommes qui partent et retournent dans leur famille. Avec cette nouvelle structure, ce sont donc les hommes qui « tournent » au cours des multiples mariages (Caratini, 2003 [20]). D’ailleurs, les femmes étant souvent plus connues que les hommes, c’est en indiquant le nom de jeune fille de l’une d’elles, et non celui de son mari, qu’on peut trouver leur foyer.

L’importance numérique des femmes dans les camps tout comme leur prise en main de l’organisation a donc influé sur l’évolution conjoncturelle liée à la sédentarisation. La pression sociale associée à la promiscuité des camps peut aussi expliquer la quasi-absence de violences conjugales dans les foyers sahraouis [21]. En outre, la connaissance de leurs droits par les femmes, apprise grâce à l’éducation, au Front Polisario, ou à l’UNFS, et confortée par des séances de sensibilisation organisées par les ONG, permet à l’ensemble de la société d’éviter les abus. Enfin, rappelons que les discours de la RASD, lors de son émergence, étaient basés sur des préceptes internationaux telles que la parité, le droit des femmes, la fin des violences envers elles, etc. Ces discours sont opportunément repris auprès des acteurs extérieurs aux camps pour qui ils sont souvent au centre d’une démarche essentielle et positive de la part des réfugiés. Dans ce cadre, l’existence même de l’UNFS, par exemple, est favorable aux sahraouis, car elle valorise les femmes et montre que la société considère les femmes comme nécessaires, ce qui correspond aux attentes extérieures [22].

Malheureusement, certains programmes d’information produits par les instances internationales en direction des femmes sont souvent assez mal conçus, notamment au niveau de l’éducation sur la sexualité et les maladies sexuellement transmissibles. En effet, ils sont établis sur des généralités culturalistes (et on retrouve ces programmes à travers toute la région maghrébine en dehors des particularismes et évolutions propres aux camps sahraouis) ; ou alors leur message, inadapté, est dévié par l’interprétation spécifique aux Sahraouis. Par exemple, une affiche de prévention contre le sida placardée dans les centres de soin en 2008 se décomposait en plusieurs images : la première montrait un homme sahraoui blanc, non malade, qui a une relation avec une femme noire, laquelle est atteinte du sida. La dernière image figurait le même homme, malade, contaminant sa femme et ses enfants. Beaucoup de réfugiés interprétèrent le message comme « lorsque l’on va en Mauritanie [23], nous (les hommes) ne devons pas coucher avec les noires qui sont toutes malades », ce qui non seulement ne faisait pas comprendre le fonctionnement de la maladie, mais aussi consolidait les préjugés racistes [24]. On retrouve ici Hamid (2006) qui note la méconnaissance du monde local, musulman, et réfugié par de nombreux intervenants internationaux, lesquels appliquent des processus établis en dehors des spécificité locales et n’ont donc qu’un impact limité dans leurs tentatives d’aide aux populations. En outre, les femmes ne sont pas un groupe social homogène, à considérer de manière uniforme (Gagné et Rioux, 2005) : la culture, l’origine, l’histoire individuelle lors de la guerre façonnant parfois des personnes qui échappent complètement au profil « type » de la femme réfugiées (par exemple, certaines femmes qui bénéficient d’une origine tribale prestigieuse, de richesses familiales et de réseaux tenus dirigent des associations, font partie de l’élite politique, etc, et échappent donc à l’image habituelle associée à leur sexe).

La femme, soutien majeur de la planification humanitaire

La lutte nationale pour l’indépendance du Sahara occidental s’appuie matériellement sur les camps, qui la soutiennent et la légitiment : la population sahraouie, substance d’un nouveau corps électoral sédentarisé, en est l’enjeu primordial. Le corps de la femme est donc d’une importance majeure, car il est synonyme de naissance et de reproduction de la population. Or, la naissance, c’est l’origine, et l’origine, c’est ce vers quoi tend le Front Polisario : le retour au Sahara Occidental. C’est donc l’avenir de la résistance qui se joue avec les femmes.

C’est ainsi que, symboliquement, le corps de la femme est devenu le vecteur qui « implante » une population, une « base en exil » permettant d’allier la persistance symbolique et héritée du territoire à des évolutions nouvelles et radicales : celles de la révolution sociale et, plus largement, de la lutte nationale. Mêlant tous ces rôles en elle, et liant le temporel au spatial, la femme est donc aujourd’hui la « caution sahraouie » de l’identité des camps : cette part assurée, stable, qui incarne dans l’épouse et la mère les valeurs de la société.

Les organisations humanitaires ont d’ailleurs tendance à privilégier les Sahraouiyats dans leur coopération, car elles sont considérées comme principales garantes du tissu social, en maintenant une certaine continuité dans l’exil et en organisant la famille. Proches des catégories établies par les organisations internationales pour distinguer les groupes qui doivent être au cœur de leur sollicitude [25], elles sont aussi censées être plus directement préoccupée par les besoins essentiels auxquels se proposent de répondre l’aide internationale : la nourriture, l’hygiène, l’attention aux jeunes enfants, etc. Forcément victimes [26], elles sont alors naturellement représentantes de l’humanité et aptes à comprendre et à suivre les préceptes internationaux. Enfin, jugées plus « fiables » que les hommes, et moins prises dans les réseaux violents ni « instrumentalisées » par le combat politique et le conflit armé, les femmes seraient plus impliquées dans les processus de construction et d’engagement humanitaire. La plupart de l’aide est donc prévue pour les femmes et mises en place ou utilisée par elles, comme par exemple la nourriture pour les repas, les kits hygiéniques, les machines à coudre pour confectionner des petits habits ou réparer les tentes, etc.

Cet atout des femmes sahraouies dans leur rapport avec le dispositif humanitaire est décelable quand elles s’entretiennent avec le personnel des ONG. En effet, ce sont elles qui savent accueillir et (ra)conter leurs parcours de vie, mêlant histoire personnelle et histoire collective, c’est à dire - à l’image des femmes palestiniennes, martyrs et engagées (Peteet, 1991)-, souffrance de leur corps (la fuite, les blessures, la mort d’un proche) et souffrance de l’exil (donc plaidoyer politique). Ce message intime et militant, elles le transmettent tant à leurs enfants qu’aux représentants internationaux, ce qui permet d’associer une revendication à un récit personnel et culturel (« nous les Sahraouis »). Elles savent ainsi au mieux transmettre un message militant autant qu’orienté vers le besoin de secours, et, dans l’échange entre les femmes et les représentants extérieurs, chacun joue de son rôle pour obtenir la meilleur « transaction » possible : les femmes, reconnaissance et réclamation ; les organisations d’aide, des interlocuteurs répondant à leurs critères (Bob, 2005).

Les femmes sont donc les garantes de l’histoire collective et de sa représentation, à la fois subjectives dans leurs récits et communautaires dans leurs complaintes : pour le Front Polisario, ce sont d’essentielles médiatrices entre le passé -l’ici, et l’avenir -les relations internationales. Cette mise en avant des femmes est d’autant plus appréciée par la communauté internationale qu’elle n’est pas toujours aussi affirmée, voire inexistante, dans d’autres cas d’interactions entre les instances internationales et les camps (Shami, 1996), et cette correspondance entre les critères, attentes, et représentations des réfugiés, donne aux discours des femmes sahraouies un pouvoir accru (Fiddian-Qasmiyeh, 2010a). On pourrait faire un parallèle avec ce que rada Ivekovic analyse en Ex-Yougoslavie vis-à-vis de « l’anti-occidentalisme » qui pousse la société à se replier sur ses femmes, consolidant la valeur refuge de la « tradition » (devenue « retraditionalisation ») et de l’« ordre moral » (Ivekovic, 2003, pp. 173-175). Les femmes, alors, fondent et reproduisent l’identité de la nation. Ceci dit, la comparaison avec l’analyse d’Ivekovic s’arrête là car elle considère que ce mouvement est associé à l’abandon, la perte ou la destructuration de l’État régalien. Pour les Sahraouis, si le phénomène est apparu par et lors de la guerre, il n’en demeure pas moins qu’il est parallèle et bras constitutif de la création de l’État sahraoui et de l’organisation des camps. Les femmes réfugiées, à l’image des palestiniennes, ont la responsabilité déclarée de transmettre l’identité sahraouie, par le biais de la tradition et de la culture (Latte Abdallah, 2006)

L’investissement des ONG envers les femmes peut s’illustrer par la « guerre des maisons des femmes » à laquelle j’ai assisté en 2007, dans le camp de Dakhla. Ce dernier a la particularité d’être étalé autour d’une piste centrale, et prend une forme générale ovale. Les bâtiments administratifs (de la RASD et de la distribution de l’aide humanitaire) ainsi que les petites boutiques du marché qui s’est développé au cours des ans, se disposent donc autour d’un axe central : la « piste » qui traverse le camp. C’est autour de cette dernière qu’une zone inexploitée du terrain fut repérée par deux organisations qui y lancèrent chacune la construction de deux « maisons des femmes », pour « permettre aux femmes de se retrouver, leur offrir un lieu de discussion, de formation, etc ». Or, dans les camps sahraouis, il s’avère que les femmes n’ont pas vraiment besoin d’un tel espace, se retrouvant en effet constamment sous les tentes, lors des distributions de l’aide, etc. De plus, comme on l’a vu, des centres de rencontre et d’activité existent déjà, tels ceux de l’UNFS : ces derniers sont soutenus par les ONG mais animés par les Sahraouiyats. N’y aurait-il pas plutôt fallut créer une « maison des hommes », ces derniers se retrouvant souvent désœuvrés et se rencontrant dans les boutiques du marché ou dans les cours des bâtiments administratifs, exclus de fait par la possession féminine de tout ce qui est matériel et structurel ?

On peut aussi évoquer les kits hygiéniques distribués aux femmes, qui n’ont pas compris de serviettes hygiéniques jusqu’aux années 2000, où elles n’étaient fournies qu’aux femmes mariées, délaissant adolescentes, veuves et divorcées. Malgré les protestations, les Sahraouiyats n’ont pas réussi à faire admettre que toutes nécessitaient de ces bien essentiels à leur hygiène et à leur dignité, se voyant confrontées à des arguments financiers (restrictions budgétaires), culturalistes (« vous n’en aviez pas avant, donc vous êtes habituées sans »), et écologiques (le même débat eu lieu pour les couches-culottes des nouveau-nés).

Ces exemples sont révélateurs de nombreuses incohérences du dispositif humanitaire [27] basé sur l’idée d’un besoin intrinsèque aux femmes. En outre, avec les années et ces « missions » qui échouent, les Sahraouiyats se découragent, et, comme elles ne sont pas soutenues dans la durée pour la bonne réalisation du programme (par exemple, les intervenants ne sont plus payés après que le « lancement » du projet ait eu lieu), on assiste aujourd’hui à un réel désengagement des réfugiées dans les projets les concernant.

D’ailleurs, ce rôle des femmes dans les instances gouvernementales de la RASD et dans la représentation des réfugiés, bien compris par le Polisario et encouragé par les instances internationales, valorise la femme, sur l’idée égalitariste, quitte à créer parfois des tensions. En effet les femmes peuvent être imposées là où elles n’avaient habituellement pas accès, et alors subirent diverses pressions voire manipulations qui permettent aux autorités de garder le contrôle de leurs paroles –dans quelles cas elles ne deviennent plus qu’une « vitrine » illusoire, rassurante pour les acteurs internationaux, mais peu crédibles et traductrices d’enjeux décidé au-delà d’elles ; enjeux souvent masculins [28]. En outre, sous ce couvert humaniste de la femme « universelle », s’instaure un véritable risque de manipulation : au-delà de l’idéalisation, les problèmes, incompréhensions, voire violences, proviennent tant des éventuels dysfonctionnements du dispositif humanitaire que des tensions et évolutions internes [29]. Ainsi, si par son sexe et par sa parole la femme reflète le passé, l’identité et le plaidoyer, il ne faut pas oublier que cela en fait le corps d’un enjeu qui mérite d’observer la société des camps de manière transversale et approfondie afin d’en saisir toute la complexité.

Ainsi donc, si les femmes sahraouies « actives » sont mises en avant bien plus que dans d’autres cas de figure de camps, et si cela fait des camps sahraouis une exceptions par rapport à d’autres situations de mise en camp (Voutira, Harrell-Bond, 2000, Williams, 2005)-, il n’en reste pas moins qu’elles s’inscrivent dans cette distorsion entre, d’une part, l’image internationale inhérente à leur sexe et à leur catégorie de « faibles, passives, voire muettes », et d’autre part leur mise en avant correspondant aux attentes extérieures, politisée par le Polisario, relayée avec enthousiasme et parfois aveuglement par des journalistes ou des ONG.

À l’image des camps palestiniens au Liban, la question du genre s’est donc politisée et transformée dans les camps pour devenir un élément « central » dans la résistance populaire contre la perte de la culture et l’aliénation (Sayigh, 1996, p. 148). Or, dans le phénomène de mise en avant des femmes, il y a repli et politisation sur le corps des femmes, comme mères, comme actrices de la production de l’identité, de la tradition, et donc comme agents reproducteurs et continuateurs de lutte ; ces divers phénomènes étant somme toute l’expression typique de la masculanisation du nationalisme (Rubenberg, 2001, p 258), et n’éludant pas les problèmes internes à la société des camps.

Le rééquilibrage de la nouvelle génération et les évolutions des camps

Depuis 1991 [30] et le cessez-le-feu qui a fait passer le conflit dans un temps figé, les réfugiés sortent régulièrement des camps (de manière plus ou moins légale) pour diverses occupations : le commerce, les études, et le travail. Le commerce demeure généralement informel et s’étend jusqu’en Algérie et en Mauritanie (achat de tissus, d’essence, de cigarettes...). Les études concernent les étudiants les plus doués et peuvent les mener loin des camps et pour longtemps [31]. Le travail, enfin, est une activité croissante chez les réfugiés qui utilisent souvent le tremplin des études pour saisir l’occasion de partir s’installer dans un pays tiers, tout en gardant un attachement fort avec les camps et en déclarant vouloir regagner le Sahara s’il devient indépendant. Ces migrations, ce « second exil » (Corbet, 2008) qui vise à trouver du travail comme stratégie de survie, sont communes dans les cas d’exil à long terme : elles sont par exemple nommées « coping stratégies » par Seteney Shami (2001), évoquant le cas réfugiés palestiniens au Liban qui, dans un second temps, émigrent dans d’autres pays arabes où ils sont mieux considérés et où ils trouvent une activité. Mais hommes et femmes sont inégaux face à ces diverses formes de départ des camps.

D’abord, comme on l’a vu, les femmes sont d’une façon générale plus liées à la famille que les hommes, matériellement comme culturellement. Cela les incite moins à partir, personnellement et en accord avec le contrôle social général, alors que les jeunes garçons sont dès leur jeune âge habitués à plus d’indépendance, en jouant dehors et en suivant leur père lors de ses déplacements.

Ensuite, les garçons restent plus longtemps à l’étranger après leurs études en Algérie, en Mauritanie, mais aussi à Cuba qui soutien le Front Polisario depuis son origine, ainsi qu’en Espagne. Les filles ont-elles plus de contraintes, tant avant qu’après leur retour d’études : s’occuper de leurs frères et sœurs ou de la famille proche, s’occuper de leurs parents lorsqu’ils vieillissent [32], etc.

De plus, certains hommes bénéficient de leur collaboration avec des ONG. En effet, ces dernières sont envisagées comme pourvoyeuses d’activité, de monnaie et de savoir, et comme agents de liaison avec « l’extérieur », ce qui prépare les sahraouis « coopérants » à partir à l’étranger grâce à l’expérience et l’apprentissage des codes occidentaux et du domaine humanitaire. C’est ainsi que ceux qui réussissent à travailler avec les ONG entrent dans le circuit de nouvelles élites, légitimées par les organisations internationales qui façonnent de nouvelles hiérarchies sociales établies à partir de nouveaux critères (dont la capacité à interagir avec elles). Or, cette formation d’élite « par le haut », qui choisit ses interlocuteurs et exclut la responsabilité et l’initiative personnelle, favorise les hommes parce qu’ils sont moins imbriqués que les femmes dans les relations sociales internes aux camps. On peut donc dire que hommes et femmes ont un rapport différent avec le dispositif humanitaire : là où les femmes prennent le relais du dispositif humanitaire, les hommes ont plus tendance à travailler avec ce dernier. Dans le processus de distribution de l’aide, ils sont plus acteurs que receveurs.

La maternité, enfin, « enchaîne » les femmes car, même si elles habitent en dehors des camps, l’enfant doit de préférence naître dans le désert [33]. Or, dans la symbolique des camps, ces derniers sont assimilés au territoire du Sahara Occidental de manière projetée, en exil : une naissance en dehors des camps est donc une naissance en dehors du Sahara, au sens large, et une perte de l’origine au moment de la naissance.

Ainsi, si l’organisation des camps et les changements entre les générations influencent le devenir des jeunes filles, qu’elles aient ou non étudié à l’extérieur, elles se voient souvent « rattrapées » par les attributs sociaux liés à leur sexe. Le genre sexuel demeure donc un élément important face aux évolutions générationnelles et aux évolutions des camps.

On observe également de nouvelles transformations liées à ces mutations matérielles et sociales : comme, dans l’imaginaire des camps, la femme est synonyme de la terre et de « l’âme » sahraouie, donc de l’identité fondatrice et de la « pureté » de l’origine associée à la capacité d’évolution quotidienne, elle fait figure de gardienne de l’identité spirituelle et de l’authenticité. D’où un renouveau de l’investissement sur le corps féminin que l’on veut contrôler, parfois par le truchement de la notion d’honneur, et qui se traduit par un phénomène récent dans les camps [34] : celui où le (jeune) frère a la responsabilité de sa sœur, la surveille ou jalouse ses relations masculines, et finit par créer des problèmes lors des fêtes (en entraînant des bagarres notamment) et par restreindre sa liberté d’action.

De même, la dot, qui avait été réduite par le Front Polisario à un demi-dinar symbolique afin d’éviter l’appauvrissement des réfugiés et d’ouvrir le jeu des relations entre les tribus [35], redevient aussi essentielle. Cette résurgence permet aux femmes d’éviter d’être trop « divorcée » par leur conjoint et de s’assurer une stabilité (ainsi qu’à leurs enfants), et aux hommes de consolider leur autorité sociale par une démonstration financière, et de contrôler le choix de leur épouse. Les époux s’assurent ainsi le renforcement de leurs pouvoirs financiers (les personnes qui coopèrent avec des ONG s’épousent) ou de leurs prestiges (certains hommes se « rachètent » une position tribale en épousant une femme d’une origine plus noble, choisie en fonction de l’alliance qu’elle autorise avec son groupe d’appartenance). Ces nouveaux « jeux » de réajustement sociaux politiques, financiers, et souvent tribaux (à cause de la mainmise de certaines tribus sur les réseaux d’accès à la coopération humanitaire), sont permis par la sédentarité des camps et par la distribution fluide et aléatoire d’argent de la part des ONG.

Les hommes engagent donc mouvements, changements, évolutions et liens avec l’extérieur des camps où demeurent les femmes, qui incarnent la pérennité : ils complètent la dynamique sociale sexuée. Par le travail, ou par leur simple présence à l’étranger, ils retrouvent une occupation, un statut et un rôle social qu’ils avaient perdu avec l’arrivée dans les camps et qui est souvent plus assuré, constant, et empreint de leur propre volonté que celui dépendant des ONG. En quelque sorte, avec ce départ des camps, le schéma culturel bédouin se perpétue : l’homme circule, commerce, et ramène le fruit de son travail pour approvisionner sa famille. Il navigue autour de l’unité de base : ses parents, puis sa femme.

Ainsi, les Sahraouiyats qui s’étaient accordé toutes les responsabilités des camps, n’en laissant plus beaucoup aux hommes, rejouent aujourd’hui plus que jamais leur rôle de « permanence identitaire ». Permanence, parce que ancrées de façon stable dans le sol, par le matériel – elles gèrent l’habitat– mais aussi par leur corps, qui les attache symboliquement à la terre. Identitaire, parce qu’elles sont les héritières de tout un savoir traditionnel, au niveau des modes de vie, des croyances, et de la culture : elles assurent la continuité culturelle sociale sahraouie. Les femmes jouent donc le rôle de pivots dans les camps (Kreitzer, 2002, et Ross-Sheriff, 2006). Et avec le retour de la pression sur leur rôle, réel comme symbolique, on peut dire que l’on assiste maintenant à un phénomène de repli sur le corps de la femme.

Enfin, quand leurs époux sont à l’étranger parce qu’ils y ont trouvé un travail, il arrive parfois que les femmes les rejoignent pour fonder leur famille. Mais alors, elles demeurent généralement plus que les hommes dans la communauté sahraouie et encore un peu en dehors du pays d’accueil, là où leurs époux tentent de s’intégrer par et pour le travail, et interfèrent plus avec les Espagnols. En effet, si les jeunes filles sont parfois amenées à travailler pour aider leur famille, ce sera souvent un travail demandant peu d’interactions (comme faire des ménages) [36]. Les hommes, eux, travaillent sur des chantiers, dans la mécanique, etc. ; donc essentiellement dans des travaux manuels qui leurs demandent plus d’engagement dans la société. Et le reste de la famille, demeuré dans les camps, profite des apports des expatriés et de leurs nombreux allers-retours dans le Sahara, notamment lorsque les femmes retournent y accoucher.

La gente masculine, plus destinée à partir des camps, plus tournée vers « l’extérieur », se voit donc accorder un rôle actif dans les évolutions des camps et de la lutte ; elle retrouve aujourd’hui une importance qu’elle avait perdue en dehors du rôle militaire et politique. L’homme redevient même un maillon indispensable, autour duquel s’adaptent ses proches : femmes et enfants viennent ou non le rejoindre s’il s’installe à l’extérieur. Et, dans les camps, la vie change totalement selon l’envoi d’argent et les objets que ramène le « coopérant » ou l’expatrié [37]. Ainsi, les agglomérations informelles que sont devenus les camps se transforment grâce à eux en de petites structures organisées et équipées, électrifiées, où des voitures (souvent amenées d’Europe de l’Est par voix routière et maritime !) roulent sur des routes plus que des pistes, et où le ciment importé consolide les murs des maisons. C’est ainsi que, paradoxalement, le départ des camps consolide l’intérieur des camps [38]. Alors que les organisations internationales s’occupent d’une gestion urbanistique collective des camps (réseau de pipeline pour l’eau, entretien des routes, de l’électricité, etc), les sahraouis adoptent des tactiques d’abord appuyées sur les ONG puis sur des projets plus personnelles pour développer le confort de leurs familles (voitures, télévisions, machine à laver…).

On peut donc dire que l’émigrant est réintégré dans sa société d’origine car son départ lui apporte une dimension économique et symbolique collective, comme une dimension personnelle valorisante. En effet, fortement entouré par la diaspora et empreint d’idéaux qui guident nombre de ses actions, le fils qui part n’est pas associé à la dislocation de la famille. Il y a donc là un rééquilibrage social : la femme incarne l’ « être en camp », c’est-à-dire la cause et la condition pour poursuivre la lutte, et l’homme incarne le « dehors des camps », le changement.

La femme, enjeu des camps

Une étude de genre, dans un cadre anthropologique, a surtout du sens en ce qu’elle révèle les rapports entre les sexes et les processus dynamiques d’assignation identitaire au sein d’une société. Parler des femmes sahraouies, c’est nécessairement parler des hommes, de leurs rapports, et des évolutions sociales et identitaires, collectives et individuelles, dans le grand chamboulement de l’exode, de l’exil, et de la vie quotidienne tournée aujourd’hui vers l’extérieur des camps.

Au cours de cet article, on a vu que si la femme représentait l’archétype de la généalogie, de la mémoire, de l’identité, que ce soit dans le processus étatique de la RASD ou dans le dispositif humanitaire. Pourtant la femme est, dans un même temps, le support de toute l’organisation des camps et de nombreux projets humanitaires. Elle est celle qui soutien les camps et celle sur qui s’appuie le futur des Sahraouis : toujours mises en avant, les femmes sont cependant consolidées dans leurs qualités « traditionnelles » ; comme si, garantes du passé et de l’avenir, elles devaient avant tout s’ancrer dans la stabilité et l’obéissance à leur rôle, lien transcendant le temps et les évolutions intrinsèques aux camps. Parmi les réfugiées, les femmes sont à la fois considérées comme celles à protéger et celles sur lesquelles il faut de préférence s’appuyer pour la réalisation de tout projet. Elles sont la destinée d’une action, le support d’un travail.

On a aussi vu que les femmes, par leur corps, leur savoir et leur investissement, sont le support de l’identité des camps telle qu’elle se construit dans le projet du Front Polisario, afin de formuler une société nouvelle qui puisse être projetée sur le territoire du Sahara Occidental après l’hypothétique indépendance. Perçues comme essentiels agents de maintien de la stabilité, elles se voient support de nombreuses intentions, surtout quant à l’image qu’elles renvoient à l’extérieur. Elles adoptent alors diverses « stratégies de survie » (Karimumuryango, 2000, p 21) qui leurs permettent d’être incluses dans le système des camps, véritables forces motrices qui améliorent les conditions de vie à l’échelle de la famille comme à celle de la communauté, dans le but d’arriver à un équilibre et à un bien-être minimum physique, moral, économique et social ; stratégies vers lesquelles les individus comme les groupes extérieurs ou le Front Polisario viennent puiser des ressources. Pourtant, elles restent soumises à ces divers rôles qui leurs sont imposés, et leur émancipation s’arrête quand l’évolution des camps réajuste le rôle des hommes. Si la nouvelle société sculptée dans les camps a permis aux femmes de s’organiser, de commencer une vie sédentaire et plus paritaire, et ainsi de changer les mentalités et certaines habitudes (comme la matrilocalité), elles demeurent néanmoins ancrées dans les idéologies comme garantes du passé et d’une certaine vision de la stabilité. Mais la nouvelle génération de réfugiés redistribue les rôles de manière plus « équitable » entre les sexes et réajuste le rôle des hommes. Après un déséquilibre dans les camps, la redéfinition des « rôles sexospécifiques » dans la sphère publique comme privée continue d’évoluer Holt (2007, p. 258).

On voit donc bien dans les campements sahraouis qu’il y a adaptation de la société au « monde » des camps, alors que ces derniers évoluent et s’apparentent aujourd’hui à des villes. Leur gestion quotidienne demeure féminine, que ce soit en ce qui concerne la maisonnée, comme l’organisation sociale le veut, ou en ce qui concerne la gestion des camps, comme l’organisation historique et politique l’a imposée. Mais les plus jeunes interagissent plus habilement avec le monde politique, humanitaire et extérieur. Ils développent un rapport plus éduqué à l’origine, mais néanmoins très fort, et une perception plus utilitaire des ONG au sens personnel, au dépend du sens collectif. Les camps de réfugiés sahraouis sont donc des lieux d’interaction et de recomposition sociale incessante, qui s’adaptent en fonction des évolutions propres à l’intérieur des camps, tout comme à celles dues aux relations entre les camps et l’extérieur, ainsi qu’aux évolutions internationales –lesquelles sont en grande partie médiatisées par les liens avec les organisations humanitaires. Et les sahraouiyats sont le maillon central de toutes ces évolutions et représentations des camps.

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NOTES

[1] Pour une histoire détaillée du conflit, consulter entre autre Hodges, 2000, Mohsen-Finan, 1997, ou Barbier, 1982.

[2] UNHCR : Agence des Nations Unies pour les réfugiés.

[3] Les camps se trouvent sur le territoire algérien, mais il y a non ingérence de l’Algérie sur le territoire de l’espace défini par les camps. Les réfugiés bénéficient d’une carte de la RASD qu’ils utilisent pour circuler entre les camps et voyager en Algérie ou dans les pays amis (qui reconnaissent la RASD) ; et les algériens ou toute personne extérieure doivent obtenir une autorisation pour accéder à l’espace des camps sahraouis. Pour voyager dans les pays ne reconnaissant pas la RASD, les réfugiés ne disposent pour la plupart que de leurs papiers de l’UNHCR ou des vieux papiers d’identité espagnols, mauritaniens… Ils doivent en outre obtenir un visa, par l’intermédiaire des Ministères de la RASD, ce qui restreint les déplacements (sauf en Mauritanie, où les allers-retours sont fréquents).

[4] Vis-à-vis des femmes, ils suivent les recommandations de l’UNHCR, même si ces dernières sont parfois en décalage avec la réalité ou le contexte, et doivent être adaptées (UNHCR, 2003).

[5] Ce référendum d’autodétermination doit être organisé par l’ONU, mais comme il est difficile d’établir la liste des personnes qui peuvent y participer, il n’est toujours pas envisagé aujourd’hui.

[6] Le UNHCR se base sur 90 000 personnes présentent de manière permanente dans les camps : 2011 UNHCR country operations profile – Algeria, en ligne sur www.unhcr.org (consulté le 1. 01. 2012)

[7] Très peu d’études ont été menées sur les camps sahraouis d’un point de vue des sciences humaines, et la plupart sont militantes ou orientées. Cet article se base sur un travail de terrain conduit de 2003 à 2007, lors de différents séjours menés de manière interne et indépendante, en vivant avec diverses familles des camps. Un voyage à Cuba a permis de compléter la recherche, afin d’y rencontrer les jeunes sahraouis partis y étudier.

[8] Dénomination donnée aux territoires reconquis par le Front Polisario, situés à l’Est des murs de défense marocains construits à partir de 1980, et qui ont mis fin au conflit direct. À l’Ouest des murs se trouve la partie marocaine dite « territoires du Sud », et à l’Est celle dite « territoires libérés », sous l’autorité sahraouie.

[9] En effet, les Sahraouiyats sont très autonomes, ce qui s’explique en partie par la longueur des voyages caravaniers des hommes lors des échanges commerciaux passés : les excursions pouvaient durer plusieurs mois et, pendant l’absence des hommes, c’était aux femmes d’administrer et de veiller sur les tentes, les biens communautaires et privés, les réserves, etc.

[10] Cette école, dite du « 27 février » (date de la proclamation de la RASD, en 1976), se trouve aujourd’hui au centre d’un camp : les femmes se sont progressivement installées autour de l’école, suivies de leurs familles, puis des jeunes intéressés par ses services et par l’attrait de bénéficier d’un système de distribution électrique depuis 2006. Ainsi, on observe depuis récemment des migrations entre les camps, du plus éloigné vers celui de l’école par exemple.

[11] Par exemple, on retrouve ce genre d’organisations d’impulsion féminine dans les camps palestiniens, au Rwanda : El-Bushra et Mukurubuga, 1995, et en Afghanistan : Ross-Sheriff, 2006.

[12] Bien qu’elle vienne du Sahara Occidental occupé, et non dans les camps, il est notable que la personnalité sahraouie résistante et pacifique la plus connue aujourd’hui est une femme : Aminatou Haidar (nommée au Prix Nobel de la Paix en 2008, elle a aussi reçue plusieurs prix d’organisation des droits de l’homme). Si elle ne se défini pas comme appartenant au Front Polisario, elle trouve cependant légitime ce représentant et sa lutte.

[13] On ne modifie par une société sur décret… Après les premiers temps où tous se conformaient à ces préceptes, on voit aujourd’hui une résurgence des revendications tribales, même si elles ont été brouillées, et on constate que la société sahraouie des camps répond encore à des ordonnances tribales, dans lesquelles forgerons et anciens esclaves sont toujours au bas de l’échelle hiérarchique. Le Front Polisario, qui répond aujourd’hui à un schéma autocratique hérité de l’époque guerrière, est d’ailleurs conscient du problème et a entamé une campagne de « retour » à la mémoire tribale, afin d’en parler pour mieux l’absorber. Voir Corbet, 2008.

[14] Pratique encore d’actualité en Mauritanie, qui vise à faire grossir au plus les jeunes filles, l’opulence étant un gage de sa valeur sociale et lui assurant donc un mariage respectable.

[15] « Ce sur quoi la tresse a passé la nuit, la barbe y sera au matin », déclare un dicton hassanya : ce qu’une femme a décidé la nuit, l’homme devra l’exécuter le lendemain. Un autre dicton indique : « Si ta femme te dit de te jeter dans un puits, espère seulement qu’il n’est pas profond » !

[16] Mais les Sahraouis ne s’appellent pas ainsi entre eux ; cette notion reste idéologique.

[17] Les diverses recommandations du Front Polisario suivent les préceptes de la démocratie et de la responsabilisation des réfugiés, en tant que citoyens de la RASD. Ainsi, les camps sont partagés en quartiers, ou des représentants sont élus par les habitants : ils s’occupent, dans la mesure du possible, de leur gestion quotidienne.

[18] La formation de ce phénomène a été observée par Sophie Caratini, 2010 a, et il est aujourd’hui confirmé : les foyers s’accroissent par extension de l’installation de la fille mariée.

[19] Ces bâtisses sont plus fraîches que la tente en été, offrent une relative intimité, et permettent d’enfermer le matériel et les papiers importants. Ceci dit, la tente demeure toujours la base de chaque foyer, fort adaptée au climat, ouverte à tous, résistant mieux aux vents et pluies que les maisons qui s’écroulent.

[20] Caratini Sophie, 2003, « Sans domicile fixe, les hommes sahraouis sont donc condamnés à tourner dans cet univers de femmes dont ils sont dépossédés », p125.

[21] Les femmes sont protégées à l’intérieur des camps sahraouis, même si il arrive que, ailleurs, ces espaces deviennent plus ou moins rapidement le lieu de dangers divers (viols, difficulté dans l’accès à la nourriture face à des « chefs de quartier » qui exploitent l’aide humanitaire, prostitution) Agier, 2008, Gagné, Rioux, 2005.

[22] Rubenberg qualifie les centres pour femmes palestiniens de « astucieusement adopté le discours concernant les besoins des femmes » (Rubenberg, 2001, p157).

[23] Il y a beaucoup d’échanges avec la Mauritanie, tolérés car incontrôlables (les frontières sont peu ou pas marquées). Ces échanges peuvent être d’ordre économique mais aussi familiaux, car beaucoup de Sahraouis ont de la famille installée en Mauritanie, souvent depuis le conflit.

[24] L’identité maure s’est longtemps établie à partir d’un clivage entre les maures blancs et les maures noirs, ainsi qu’en fonction de la présence d’esclaves ou de serviteurs issus des régions pauvres de Mauritanie, du Sénégal et du Mali (comme en le voit encore en Mauritanie aujourd’hui). Dans les camps, le Front Polisario a décrété l’abolition de l’esclavage et les idéaux sont égalitaires.

[25] Comme les enfants seuls, les personnes âgées, les femmes avec enfants… Au-delà de ces critères de diverses organisations, dont le UNHCR, il est vrai que ces groupes sont vulnérables à de nombreuses violations de leurs droits humains en temps de conflits : Bemak, F., Chung, R. C-Y., Pedersen, P. B., 2003.

[26] C’est la catégorie générique et passive décrite par Enloe, 1990, p. 166, sous le terme de « womenandchildren » ; voir aussi les « figures de madones » de Malkki, 1995, p11.

[27] Les recherches sur le « dispositif humanitaire », son fonctionnement, ses effets, les présupposés qu’il sous-entend et ce qu’il représente se multiplient aujourd’hui.

[28] Par exemple, sur l’imposition des femmes dans les Conseils des anciens dans les camps de réfugiés kenyans : Mwengi Kagwanja, 2002.

[29] On s’éloigne alors de la thèse de Hyndman, 2000, qui sous-entend que les violences faites aux femmes dans les camps sont en partie conséquentes du dysfonctionnement de l’aide humanitaire : la société qui s,est structurée dans les camps peut aussi être violente envers les femmes, indépendamment de la condition réfugiée.

[30] En septembre 1991, un cessez-le-feu bilatéral a été décrété, qui a transformé la forme du conflit et permis le retour de nombreux combattants dans les camps. Cette année fut aussi celle du versement des soldes des anciens combattants par l’ancien colonisateur espagnol, et de l’arrivée de l’argent dans les camps (avec en particulier la formation de marchés, devenus importants aujourd’hui).

[31] Filles et garçons vont à l’école de façon égale, et assistent à divers cours dispensés par des professeurs sahraouis en arabe et en espagnol. Puis, des visas leurs sont délivrés pour aller étudier dans les pays amis, le temps qu’ils effectuent leurs études, avant de revenir dans les camps chercher une activité. En effet, certains pays (actuellement une soixantaine) reconnaissent la RASD en tant que République autonome, et entretiennent des liens diplomatiques avec.

[32] D’ailleurs, si il est toujours valorisé d’avoir un nouveau-né garçon, les plus âgés insistent sur le fait que les jeunes filles sont plus fiables que les garçons lorsqu’ils envisagent leur vieillissement, car elles ont tendance à plus rester dans les camps et à plus s’occuper d’eux.

[33] Être « nés dans les sables » est très important : les enfants naissent souvent sous la tente, sur un matelas de sable spécialement aménagé. Cela « enracine » l’enfant dans sa généalogie saharienne, dans la culture Sahraouie. C’est symboliquement très important, et, pratiquement, c’est aussi une façon pour les jeunes mères de rester proches de leurs parents lors de l’accouchement et des premiers jours de l’enfant.

[34] Le retour massif des jeunes partis à l’extérieur et la nouvelle génération a perturbé le fonctionnement des camps ces dernières années, avec la naissance d’une petite délinquance et de problèmes divers, tels que ceux liés à l’alcool (importé de Cuba ou de Mauritanie). La réponse du Front Polisario est une police interne plus présente dans les camps, ainsi que l’interdiction des rassemblements au centre des camps et la prohibition de la circulation entre minuit et 6 heures du matin.

[35] Le Front Polisario paie aussi les frais de noce et fournit une tente au nouveau couple et le matériel de base pour son installation, afin d’éviter l’endettement des familles.

[36] Ceci dit, ces toutes dernières années, l’émigration des Sahraouis s’est tellement accrue que l’intégration dans les pays d’accueil doit s’accroître. Pour une description de l’installation des Sahraouis en Espagne, consulter Gomez Martin, 2010.

[37] La migration, trop assimilée au déplacement, cette base pour les nomades, n’est pas désignée comme telle par les sahraouis : il n’y a pas de mot, en hassaniya, qui traduirait ce terme.

[38] Sur la formation de camps-villes, consulter les travaux de Michel Agier, 2008, ainsi que Corbet, 2008.