avril 2010
Yves PoirmeurL.G.D.J
978-2-275-03432-4
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Introduction et chapitre 3
à propos
Chapitres publiés en ligne avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. Copyright © 2010 L.G.D.J.
présentation de l'éditeur
La justice politique n’est-elle qu’une survivance du passé, vouée à disparaître ? Incompatible avec les exigences de l’Etat de droit, de la démocratie libérale, et des droits de l’homme, dont le droit à un procès équitable est une pièce maîtresse, elle a connu un incontestable déclin : quand les juridictions politiques ne sont pas purement et simplement supprimées, leur composition et leur fonctionnement sont normalisés, tandis que les régimes juridiques exorbitants applicables, tant aux gouvernants qu’aux activités politiques, voient leur portée limitée.
Cette érosion doit cependant être nuancée : il existe encore des juridictions politiques par nature - le Conseil constitutionnel et la Cour de justice de la République - ainsi que des privilèges de juridiction et des immunités au profit des gouvernants. Quant à la justice internationale qui a pris son essor au cours du XXe siècle, elle conserve un caractère foncièrement politique, même si elle est de plus en plus inspirée par le souci de protéger les droits de l’homme et de mettre fin à l’impunité des auteurs des crimes internationaux les plus graves, ce qui relativise les prérogatives traditionnelles attachées à la souveraineté et à l’exercice du pouvoir d’Etat.
Enfin, alors que les juridictions politiques sortent peu à peu de l’Histoire judiciaire s’amplifient des phénomènes de néo-politisation de la justice ordinaire tenant aux interventions gouvernementales, aux agissements des magistrats eux-mêmes, ou à l’action des justiciables transformant leur procès en forum politique. Moins qu’à une disparition pure et simple, c’est plutôt à une profonde mutation de la justice politique que l’on assiste.
Cet ouvrage s’attache ainsi, après avoir dégagé les critères qui permettent de l’identifier, à en suivre et à en expliquer les métamorphoses aux niveaux national et international.
F. Bussy, Professeur de droit privé à l’Université de Versailles Saint-Quentin.
Y. Poirmeur, Professeur de science politique à l’Université de Versailles Saint-Quentin.
Mots clefs
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TABLE DES MATIÈRES
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CHAPITRE 1 - Les critères de la justice politique
Section 1 - La justice politique au prisme du critère organique
Section 2 - La justice politique révélée par l’existence d’un régime exorbitant
Section 3 - La justice politique à l’aune du critère matériel
CHAPITRE 2 - Les raisons d’être de la justice politique
Section 1 - La justice politique comme instrument de protection de l’État
Section 2 - La justice politique comme instrument d’assujettissement du politique
§ 1 Les raisons de soumettre la politique au droit
§ 2 Les raisons d’instituer une justice spéciale
CHAPITRE 3 - Analyser la justice politique
Section 1 - La dépolitisation de la justice politique
Section 2 - Les logiques de néo-politisation de la justice
Section 3 - L’étude d’une justice de l’entre-deux
CHAPITRE 1 - La dépolitisation organique des juridictions
Section 1 - Le mouvement de dépolitisation
§ 1 La dépolitisation des juridictions judiciaires
§ 2 La dépolitisation des juridictions administratives
§ 3 La marginalisation des juridictions d’exception
Section 2 - Les limites de la dépolitisation
§ 1 La mutation juridictionnelle inachevée du Conseil constitutionnel
§ 2 La composition mixte de la Cour de justice de la République
§ 3 La présence des personnalités extérieures au Conseil supérieur de la magistrature
CHAPITRE 2 - Le déclin des procédures spéciales
Section 1 - La généralisation des garanties procédurales ordinaires
§ 1 La contradiction
§ 2 L’égalité des armes
§ 3 La publicité des débats
§ 4 Le référé administratif et le droit à obtenir une réponse rapide en cas d’urgence
Section 2 - La persistance de l’influence du pouvoir politique
§ 1 Les moyens d’action formels d’intervention dans le cours de la justice
§ 2 Les obstacles à l’action de la justice
§ 3 Les pressions et influences politiques informelles
CHAPITRE 3 - Le recul des règles de fond exorbitantes du droit commun
Section 1 - La juridicisation de l’action politico-administrative
§ 1 La réduction des prérogatives de l’exécutif et du législatif
§ 2 La conservation d’une sphère d’action exorbitante
Section 2 - La juridicisation de la compétition politique
§ 1 L’évolution vers une compétition équitable
§ 2 L’autolimitation du juge électoral
Section 3 - Déclin et renouveau de l’infraction politique
CHAPITRE 1 - La recherche d’une neutralité organique et procédurale
Section 1 - Les techniques de dépolitisation des juridictions internationales
§ 1 La désignation consensuelle de juges aux compétences notoires
§ 2 Les garanties d’indépendance statutaire
§ 3 Les garanties d’un procès équitable
Section 2 - La difficile dépolitisation du système de la compétence universelle
CHAPITRE 2 - L’emprise persistante des États sur la mise en œuvre de la justice internationale
Section 1 - L’atténuation de la maîtrise étatique des saisines
Section 2 - L’érosion des moyens d’intervention politique dans l’exercice de la justice internationale
CHAPITRE 3 - L’encadrement international de l’exercice de la politique
Section 1 - L’humanisation du droit international
Section 2 - La criminalisation des atteintes politiques à l’ordre public international
Section 3 - La prévention internationale de la criminalité politique
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
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CHAPITRES CHOISIS
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S’intéresser à la justice politique aujourd’hui peut paraître incongru, tant les deux termes sont devenus antinomiques en renvoyant à une forme d’exercice de la justice sinon révolue, du moins illégitime. Cette incompatibilité n’a pourtant pas toujours existé : elle est le fruit d’un long processus de construction et de démocratisation de l’État au cours duquel les activités politiques et juridictionnelles ont été peu à peu dissociées et confiées à des organes spécialisés soumis à des règles de fonctionnement et de recrutement très différentes. Si la justice relève incontestablement du politique, en tant qu’il désigne le gouvernement des sociétés, elle est progressivement devenue une sphère d’activité à part entière à mesure que, dans les sociétés modernes, le politique se centrait sur les fonctions législatives et exécutives. On a ainsi assisté à la spécialisation « des rôles de gouvernement » et à leur attribution à des institutions dont les modalités de recrutement et le statut des membres, l’organisation et le fonctionnement ont été nettement différenciés. Cette opposition de la justice et de la politique a été conceptualisée par la théorie de la séparation des pouvoirs, distinguant idéalement l’indépendance des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire2. Les régimes démocratiques ont consacré cette distinction en créant des voies d’accès différentes aux positions de pouvoir politiques et aux fonctions juridictionnelles : les premières impliquent en effet une compétition électorale reposant sur une concurrence partisane nécessairement politisée, tandis que les secondes supposent la possession de compétences juridiques évaluées lors d’un concours professionnel en principe soustrait aux considérations politiques.
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Justice politique : accoler ces deux termes, c’est déjà faire apparaître l’ambivalence de la notion travaillée par l’indépendance recherchée des pouvoirs politique et judiciaire. Justice de l’entredeux, elle offre une vaste palette de procédés se déclinant sur des registres variés en fonction de la place respectivement attribuée à la justice de droit commun et aux considérations politiques. Ce riche nuancier ne peut donc être ramené à une typologie construite à partir de quelques paramètres institutionnels tant les combinaisons concrètes sont variées et tributaires des pratiques suivies : à structure constante, la politique jurisprudentielle comme la politique pénale peuvent sensiblement changer, au point de ne plus permettre la caractérisation d’une justice comme étant politique. Ces évolutions, procédant de chaînes causales différentes mais convergentes, sont difficiles à démêler1. Le sens général de cette dynamique est lui aussi particulièrement compliqué à saisir : alors que la juridiction administrative se rapproche, par touches successives, depuis le début de la IIIe République, de la justice ordinaire, l’année 1958 voit l’apparition d’une justice constitutionnelle fondamentalement politique ; et si cette dernière a engagé un mouvement similaire à celui de la juridiction administrative à partir de 1972, elle est très loin d’être arrivée à un niveau de dé-particularisation aussi avancé qu’elle. Quant aux juridictions pénales, leur politisation évolue en fonction des rapports de force très fluctuants existant entre l’exécutif et le judiciaire, et de la conception que magistrats et gouvernants se font de leurs missions respectives. Reste que la justice politique gagne en extension, tout en perdant progressivement son caractère politique (Sect.1), tandis que la justice, dans son ensemble, connaît des formes de néo-politisation liées aux stratégies des juges, des justiciables, de leurs conseils et de leurs soutiens (Sect. 2). Ces dynamiques contradictoires sont au coeur de l’approche retenue pour cerner l’état actuel de la justice politique (Sect. 3).
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