octobre 2010
Mary D. LewysImmigration et limites de l’universalisme en France (1918-1940)
Agone / Contre-feux
978-2-7489-0127-6
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Avant-propos et introduction
à propos
Extrait publié en ligne avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. Copyright © 2010 Éditions Agone
présentation de l'éditeur
Ce livre étudie les tensions entre administrations et immigrés dans la France de l’entre-deux-guerres confrontée au défi de l’immigration de masse. Mon principal sujet étant les dynamiques d’inclusion et d’exclusion dans les démocraties, j’ai choisi de m’intéresser à la IIIe République. Les politiques migratoires de l’époque ont peut-être préparé le terrain aux lois discriminatoires de Vichy ; mais je mets l’accent sur les aléas historiques de leurs origines plutôt que sur leur caractère censément inévitable. Cette dimension imprévisible de l’histoire doit nous faire réfléchir. Il semble en effet plus important que jamais de prendre conscience de la fragilité des libertés.
S’appuyant sur des sources délaissées, Mary D. Lewis retrace les origines de la politique française en matière d’immigration autant qu’elle donne une chronique de la vie des migrants. Les immigrés ne sont jamais totalement « intégrés », jamais totalement « exclus », et encore moins soumis au principe d’égalité. Dans les années 1930 comme aujourd’hui, leur place dans la société française ne repose pas sur la mise en application de textes où les individus seraient des abstractions. Ainsi interroge-t-elle avant tout la précarité de leurs droits et la diversité des cas, d’une personne à l’autre, d’une ville à l’autre.
Mots clefs
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TABLE DES MATIÈRES
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Avant-propos
La France et le paradoxe libéral dans une époque de contraintes
De la politique à la pratique
De Paris à la province
Les limites de l’universalisme
Les origines des droits des migrants
entre les deux guerres
Des travailleurs « de tous les pays »
Une politique protectionniste ?
Logiques locales et capital social
Les droits politiques et syndicaux à l’épreuve du maintien de l’ordre
Des droits à l’épreuve des risques encourus
De l’expansion économique à la récession
La « délinquance sociale » des migrants
L’adaptation aux enjeux économiques
La question de l’aide sociale
La solution de la naturalisation et ses obstacles
La consolidation du système marseillais
Les naturalisations face au populationnisme et au clientélisme
L’insécurité sociale
Stratégies de survie
Crise sur la Canebière
Une trêve politique ?
Une politique par circulaires
De nouvelles ressources pour les familles immigrées lyonnaises
Le jeu des pouvoirs national et local à Marseille : un printemps des migrants ?
L’impact des négociations d’après-guerre
Les premiers réfugiés, ou l’économie de l’hospitalité
Les réfugiés fuyant le nazisme et le climat d’exclusion en France pendant la crise
Rétablir le « statu quo ante bellum » après la Grande Guerre
Un passeport qui ne dit pas son nom
Une aide sociale distincte et inégalement répartie
Réforme et réaction
Guerre ou paix
D’immigrant à migrant
Quand les sujets deviennent soldats
Les migrants dans la guerre : ennemis ou alliés ?
Les migrants et le mythe de la Résistance
Retracer les aléas de la politique migratoire sous la IIIe République
Prolongements dans l’après-guerre
Annexes
Notes & Liste des abréviations utilisées dans les notes
Index
À propos des fonds d’archives consultés
Remerciements
Table des illustrations
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CHAPITRE CHOISI
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En 1928, mon grand-père, auteur d’un ouvrage défendant le principe de quotas d’immigration pour les États- Unis, en dédicaçait un exemplaire à mon père, alors âgé de six ans : « À Freddy, qui sait déjà que le drapeau ne doit jamais toucher le sol ». La métaphore illustrait parfaitement son argument : l’Amérique, comme son drapeau, ne devait pas être « souillée ». C’est le fondement même de notre démocratie qui était en jeu.
Ce point de vue, que je suis loin de partager, pointe cependant un problème inhérent à la démocratie en général. Tous les régimes démocratiques sont confrontés au « paradoxe libéral », qui consiste à préserver un fragile équilibre entre la défense du principe de libre circulation et le souhait de l’opinion d’y imposer certaines limites 2. Aucune démocratie n’y échappe, et chacune y apporte sa propre solution. Contrairement aux États-Unis, la France n’a jamais instauré de quotas d’immigration. Les dirigeants français ne cessent d’affirmer que la République une et indivisible ne peut tolérer aucune forme de discrimination à l’égard des migrants. Pourtant, la France se trouve aujourd’hui confrontée aux conflits qui déchiraient la société américaine à l’époque de mon grand-père. Comme aux États-Unis, ces questions touchent au coeur de la culture politique.
Ce livre étudie les tensions entre migrants et nationaux dans un pays qui, dans les années 1930, connaît un taux d’immigration supérieur à celui des États-Unis. Mon principal sujet d’investigation étant les dynamiques d’inclusion et d’exclusion dans les démocraties, j’ai choisi de m’intéresser à la IIIe République, et non au régime autoritaire qui lui a succédé. Les politiques migratoires de l’époque ont peut-être préparé le terrain aux lois discriminatoires de Vichy, mais ce livre met l’accent sur les aléas historiques de leurs origines plutôt que sur leur supposé caractère censément inévitable. Cette dimension aléatoire de l’histoire ne doit pas moins nous faire réfléchir. Il semble en effet plus important que jamais de prendre conscience de la fragilité des libertés.
Cambridge (Massachusetts), avril 2006
Boris m. et bruno g. font partie du contingent de près de deux cent cinquante mille étrangers en possession d’un contrat de travail admis sur le territoire français en 1923. Boris, d’origine russe, a été évacué de Sébastopol par les Français à l’arrivée au pouvoir des bolcheviks après plusieurs années de guerre civile. Bruno, un Italien, a laissé son épouse à Rome pour venir chercher en France une source plus stable de revenus.
Depuis le milieu du xixe siècle, la France fait appel aux étrangers afin de combler ses besoins en main-d’oeuvre. Jamais, cependant, elle n’a connu un tel afflux migratoire. En l’espace de vingt ans, sa population d’origine étrangère triple presque, passant d’un peu plus d’un million à près de trois millions d’individus, excédant ainsi en 1931 le taux d’immigration des États-Unis, une évolution démographique inédite dans les nations européennes avant la Seconde Guerre mondiale (...)
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