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Livres choisis

Recueil Alexandries

< 76/80 >

novembre 2009

Sylvain Laurens

Une politisation feutrée

Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France

Pages : 352 - Format : 13.5 x 21.5 cm - Prix : 24 €

Belin

978-2-7011-5364-3

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Chapitre 9

Texte du chapitre 9 Notes infrapaginales du chapitre 9

à propos

Chapitre publié en ligne avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. Copyright © 2009 Belin

présentation de l'éditeur

De l’indépendance algérienne à l’accession au pouvoir de François Mitterrand, cet ouvrage revient sur une séquence historique fondamentale pour comprendre l’actualité des débats publics autour de l’immigration. Pour ce faire, il propose au lecteur d’adopter le temps d’un livre le point de vue de ces hauts fonctionnaires qui n’ont pas eu nécessairement à « croiser » des travailleurs étrangers pour prescrire un cadre législatif, refuser le financement de logements sociaux, signer des accords de circulation avec des pays d’émigration, ou même couper au montage une émission télévisée sur le racisme pouvant potentiellement « choquer », selon eux, un public français… Cette enquête s’attache à décrire la contribution de ces « grands commis » mais aussi de ces fonctionnaires plus anonymes à des décisions qui ont marqué tout à la fois l’histoire des politiques d’immigration et l’histoire du militantisme de solidarité en faveur des travailleurs étrangers : circulaires Marcellin-Fontanet de 1972, suspension de l’immigration de 1974, regroupement familial de 1975, lois du retour (Bonnet-Stoléru) de 1977-1979… S’inscrivant dans une perspective socio-historique, cet ouvrage entend ainsi porter au jour comment ce qui se joue dans le champ du pouvoir peut avoir des effets sur ceux qui, à l’autre extrémité de l’échiquier social, se voient assignés à l’arbitraire du droit des étrangers et à des discours potentiellement stigmatisants.

Sylvain Laurens -, sociologue, est maître de conférences à l’université de Limoges. Ses recherches se situent au croisement de la socio-histoire de l’Etat, de la sociologie de l’immigration et de la sociologie des élites. Le REDIMI (Réseau d’études et de documentation sur les migrations) soutient la publication de cet ouvrage.

- Le blog du livre : http://hautsfonctionnairesimmigrati...

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- Sur le site de la revue Contretemps

- Sur le site Liens Socio

- Dans "Alternatives libertaires"

- RFI : Interview par Sylvie Koffi

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Table des matières

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

S’interroger sur une mise en récit classique de l’histoire des politiques d’immigration
Les hauts fonctionnaires : un chaînon essentiel dans les rapports entre « État, nation et immigration » ?

  • Un groupe à la charnière d’un mode de domination étatico-national
  • Utiliser la diversité des espaces occupés par les « grands commis »
  • Des « hauts fonctionnaires » acteurs de la re-politisation de certains dossiers ?
    Mettre au jour les effets d’un travail de formulation

PREMIÈRE PARTIE. S’INTÉRESSER À CELUI QU’ON NE CROISE PAS

■ Chapitre 1. Une « technocratisation » de l’administration des étrangers

La photo de famille floue d’un espace administratif en mutation

  • Le poids des affectations ministérielles
  • Une distribution des signes d’importance qui recoupe une division généraliste / spécialiste

La relégation des anciens « anciens bureaucrates » et l’émergence de nouvelles figures

  • La fin de carrière des rédacteurs « méritants »
  • L’arrivée d’un personnel formé à l’ENA
  • La mainmise des grands corps sur les nouveaux postes de direction

La détermination d’une nouvelle illusion administrative

  • Au-delà du « hasard » : le corps et la prescription d’un champ des possibles
  • La masculinisation et la stigmatisation progressive’ du bureaucrate « procédurier »
  • La multiplication des instances interministérielles

Une nouvelle division du travail social de domination

  • Des micro-dépendances vis-à-vis des très « grands commis »
  • Des conseillers et des cabinets spécialisés sur l’immigration
  • La création de groupements partiels

Les effets d’une revalorisation symbolique de l’administration des étrangers

■ Chapitre 2. En venir « aux étrangers » dans le sillage de la décolonisation

Un ennoblissement de l’immigration induit par la structuration d’une nouvelle diplomatie

  • Une histoire de l’immigration à l’aune d’un nouveau « face-à-face » bureaucratique
  • Une nouvelle représentation consulaire en position « d’alerter » le gouvernement
  • La noblesse d’État face à l’émigration des « nationaux français »
  • Un plaidoyer pour l’abandon des objectifs d’Évian
  • Une nouvelle diplomatie qui détermine un nouveau rapport coût / avantage autour de « l’immigration algérienne »

Le redéploiement des structures de surveillance des indigènes et la duplicité des lexiques durant la période de transition

  • La bi-latéralisation définitive des rapports franco-algériens de main-d’oeuvre
  • La suppression du SAMAS et la transmission des « dossiers »

De la question algérienne à la « compétence immigrée » : une reconversion délicate

  • Faire vivre, au-delà de 1962, le besoin de ses propres compétences en matière de migration algérienne
  • Des reconversions en ordre dispersé
  • La conversion au lexique de l’immigration

■ Chapitre 3. Quand l’intendance ne suit plus

Au Trésor : des foyers alternatifs à l’idéal monétariste

  • La CCCE : le laboratoire de nouveaux dispositifs en direction des travailleurs immigrés (1960-1970)
  • De la formation-réinsertion à l’invention de l’aide au retour
  • Des foyers alternatifs pour travailleurs immigrés
  • Le tiers-mondisme à l’épreuve du néo-monétarisme
  • Comment les économies des immigrés deviennent « un problème » à la direction du Trésor
  • L’éviction des « anciens » résistants et l’homogénéisation d’une perception des rapports Nord / Sud
  • Faire valoir une « compétence en matière d’immigration » pour contrer l’argument technique

La mainmise sur les comités interministériels sur l’immigration (1970-1974)

  • La mise à l’écart des experts et la monopolisation du discours économique sur líimmigration
  • La circonscription du champ des financements possibles
  • Le déplacement des frontières entre politique et technique

La promotion d’une « rationalisation budgétaire » au FAS (1971-1977)

  • Un « moine-soldat » au FAS : portée et conséquences sur l’immigration d’un nouveau rapport au rôle
  • Importer une terminologie gestionnaire
  • « On ne peut pas tout financer »
  • La politique d’immigration réinscrite dans un nouveau champ des possibles

DEUXIÈME PARTIE. S’INSTITUER EN AGENT NÉCESSAIRE D’UNE « POLITIQUE NÉCESSAIRE »

■ Chapitre 4. La création d’une Directiondes Migrations

Le boulversement des routines et le réagencement d’un ordre institutionnel

  • La matrice d’un « discours maison » prônant la « nécessaire organisation » de l’immigration
  • L’évolution d’un discours anti-algérien ou l’effet d’une position minoritaire mais dominante
  • La rencontre improbable de deux histoires administratives
  • Les « jeunes énarques » au service de l’élaboration d’une rhétorique savante à finalité « restrictive »

La mise en alerte du pouvoir politique

  • « Devancer l’histoire » et promouvoir l’arrêt de l’immigration
  • Un investissement au-delà du simple « respect des règlements »
  • « When the tail wags the dog » : ou les limites des analyses par « l’impulsion politique »

■ Chapitre 5. Des entreprises convergentes de conversion du pouvoir politique à la maîtrise des flux (1970-1972)

À l’intérieur : l’actualisation d’une logique de police

  • La surchauffe de la Direction de la Réglementation
  • Se faire après « 1968 » le porte-voix du spectre de « la manipulation des travailleurs arabes par les gauchistes »
  • Limiter l’immigration comme le réclame « l’esprit public »

Les circulaires Marcellin-Fontanet : l’aboutissement de deux formes d’influence au long cours

Des circulaires décisives dans l’enclenchement d’un « registre de crise »

■ Chapitre 6. Entretenir la flamme d’une politique restrictive (1972-1974)

Atténuer le coû politique et diplomatique des décisions prises

  • Attester du « racisme » des Français

À la DPM : garder le cap et faire des « tensions » un argument supplémentaire

■ Chapitre 7. « 1974 » et la suspension provisoire de l’immigration

« Fermer les frontières en temps de crise » : les limites de l’explication par l’acteur rationnel

La décision de 1974 comme sous-produit de l’émergence d’une « avant-garde » administrative

  • Des acteurs qui portent la décision et parviennent à contourner des contradictions structurelles
  • Défendre la décision au nom de son « effet spectaculaire », des « problèmes de logement » et d’un éventuel « nouveau mai 68 »

Une alliance de circonstances derrière un unanimisme apparent

TROISIÈME PARTIE. SE MUER EN GARDIEN DU NATIONAL ET PROCLAMER UN « ÉTAT DE CRISE » (1975-1981)

■ Chapitre 8. La mise en mots d’un problème de société intégré à l’offre politique

« Il fallait exister » : la composition d’un cabinet ministériel à la hauteur d’une ambition politique

  • La valorisation de profils conformes aux nouveaux canons de la haute fonction publique
  • Rédiger pour son ministre un « livre-programme »
  • Légitimer l’intervention du politique en clamant la nécessité d’une remise en ordre (symbolique)
  • Participer à la réactualisation des figures sociales d’un problème de l’immigration

De l’état d’esprit prêté aux foules aux « bains de foule » : l’autolégitimisation d’un intérêt porté aux immigrés

  • L’immigration remise au centre des débats publics

■ Chapitre 9. Valoriser le travail ouvrier pour les « Français » & organiser « le retour » des étrangers

Revaloriser le travail ouvrier pour le réserver aux français (1976-1981)

  • Légitimer le « nécessaire » retour des Français vers l’usine et la fin d’une ascension sociale collective
  • La fin d’un compromis historique : il n’y a plus de « sot métier » Un discours sur le travail manuel lié à la « suspension de l’immigration »
  • Convaincre le patronat d’embaucher des Français
  • « Cela nous est tombé dessus comme une maladie »
  • La réactivation d’un lien historique entre anti-communisme et un « problème de l’immigration »

Promouvoir l’aide au retour en dénonçant le « racisme populaire »

  • « Pour Stoléru, l’arsenal législatif… tout ça c’était de la tringlerie »
  • Un appareil d’État mobilisé pour s’assurer que « des Français remplacent les travailleurs immigrés »

■ Chapitre 10. Les hauts fonctionnaires face aux politiques de retours forcés (1977-1981)

Les résistances à la formalisation juridique d’un projet politique

S’opposer au « Président des Français » au nom de « l’intérêt de la France »

  • Le haut fonctionnaire militant contre les mesures anti-immigrés ?

Des oppositions feutrées convergentes avec des oppositions publiques

CONCLUSION. AU-DELÀ DE LA PENSÉE D’ÉTAT… VERS UNE HISTOIRE EN PRATIQUES DE LA POLITISATION D’UN PROBLÈME PUBLIC DE L’IMMIGRATION

Les conséquences d’un « ennoblissement » de l’administration des étrangers

L’émergence d’une avant-garde administrative en mesure de (re)faire de l’immigration un « problème »

La nécessité de dissocier l analyse de l état d esprit prêté aux foules de l analyse des registres de légitimation des politiques migratoires

Les conditions sociales de possibilité de contre-pouvoir

LISTE DES ABRÉVIATIONS

NOTES

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Chapitre choisi

CHAPITRE 9

Valoriser le travail ouvrier pour les « Français » & organiser « le retour » des étrangers

« La France, qui avait fait sa révolution industrielle sans joie, qui n’avait jamais aimé son industrie, qui rêvait de faire de ses enfants des fonctionnaires ou des employés de bureau, refusait de donner leur juste place et leur juste considération à ses 10 millions d’ouvriers […]. Il y va pourtant de l’épanouissement de notre jeunesse chez qui le goût du travail manuel reste ancré et la fierté du travail bien fait demeure pourvu qu’un certain nombre de barrières sociales soient cassées. » Lionel Stoléru, 1980

« Ce que fait Lionel Stoléru est bien. Il a réduit le nombre de régularisations et selon un sondage à paraître dans France Soir et qui sera repris par le journal de TF1 demain soir les Français sont largement favorables à la diminution du nombre d’étrangers en France ». Note d’Olivier Fouquet, conseiller technique du président de la République, 1977. Annotation du président de la République dans la marge : « Cela est fait bien et courageusement, dites le lui ! » .

La période qui s’ouvre avec la démission de Jacques Chirac en août 1976 constitue une étape supplémentaire dans la médiatisation et l’instrumentalisation d’un « problème de l’immigration » par le gouvernement. Non seulement la situation économique impose alors aux pouvoirs publics d’afficher la priorité accordée à la lutte contre le chômage, mais l’évolution du champ politique transforme totalement la donne et relègue au second plan les discours de séduction en direction de l’électorat socialiste. Malgré la succession de mesures dites « progressistes », les résultats catastrophiques obtenus par la majorité aux élections cantonales de mars 1976 et aux élections municipales de mars 1977 n’ont d’égal, en effet, qu’un succès grandissant des partisans du Programme commun qui laisse entrevoir une éventuelle défaite du clan présidentiel lors des élections législatives de mars 1978. Dans ce contexte politique nouveau, la stratégie d’ouverture à gauche des giscardiens ne fait pas toujours mouche et les centristes sont bien souvent pris entre deux feux. Sur leur droite, le tout nouveau R.P.R, dirigé par Jacques Chirac, multiplie les interventions hostiles aux travailleurs immigrés, tandis que, sur sa gauche, le clan présidentiel subit parallèlement les attaques du Parti Socialiste et du Parti Communiste contre les mesures libérales prises par le gouvernement en matière de politique économique et les secrétariats d’État « gadgets » de l’Élysée.

C’est sans doute la nécessité de s’adapter à ce contexte politique changeant qui légitime pour Valéry Giscard d’Estaing la mise à l’écart feutrée de son secrétaire d’État à l’Immigration. La situation a profondément changé en seulement quelques mois et dans le contexte des années 1977-1978 « la politique de Paul Dijoud ne « rapporte » sans doute pas assez : ni la légitimité supplémentaire que l’on attendait auprès de la gauche pour sa dimension libérale, ni la faveur du reste de l’opinion ». Nommé secrétaire d’État à la Condition des travailleurs manuels en janvier 1976, puis secrétaire d’État aux Travailleurs manuels et aux travailleurs immigrés en avril 1977, Lionel Stoléru cristallise alors ce repositionnement politique. Polytechnicien, et jusque-là conseiller pour les questions économiques à l’Élysée, ce haut fonctionnaire, tout juste passé en politique, va assurer la mise en oeuvre d’une aide au retour (timidement initiée par Paul Dijoud) puis va tenter, à compter de 1978, la mise en place un programme de retours forcés des travailleurs immigrés.

Dans une certaine mesure, comme lors de la Grande Dépression ou de la crise des années 1930, la droite de gouvernement tente de réactiver les lignes de partage entre travailleurs nationaux et étrangers et essaie de séduire les électeurs en « politisant leur identité nationale ».

Logiquement, ces changements politiques ne sont pas sans effet sur les sommets de l’État et sur un processus de domination bureaucratique. L’enchevêtrement des rôles dits « administratifs » ou « politiques  » est plus que jamais de mise. Les hauts fonctionnaires de la DPM, tout comme les conseillers de Lionel Stoléru, vont se trouver enrôlés dans la mise en oeuvre et la justification de ces décisions. Là encore, à la charnière de différents mondes sociaux, ces fonctionnaires- gouvernants vont jouer un rôle fondamental de « passeurs » mais aussi de « conciliateurs » en participant, d’un côté, à l’actualisation du vocabulaire et des discours mobilisables pour légitimer auprès de l’opinion publique le retour des immigrés dans leur « pays d’origine » et en assurant, d’un autre côté, le va-et-vient entre les desiderata des employeurs, du ministre et ceux des services. (...) - Lire la suite :

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