C’est connu, Nicolas Sarkosy actuel Président français et Président de l’Union européenne jusqu’à fin décembre 2008, a constitué son fonds de commerce électoral au Ministère de l’Intérieur [1] de son pays, en orientant son action et sa virulence, principalement sur le thème de la sécurité et la question migratoire [2].
A la veille d’être élu à l’Elysée, il soutenait en particulier que ‘’La politique de l’immigration doit être au premier rang sur notre agenda national, sur notre agenda européen, sur notre agenda méditerranéen, sur notre agenda international’’, il annonçait par la même occasion, le 5 mars 2007 à Marseille - ville symbole du ‘’problème’’ qu’il veut résoudre - que, en tant justement que ministre de l’intérieur de la France, il était parvenu à réaliser 3 ‘’ruptures’’ [3] :
* Première rupture : la procédure de demande d’asile n’est plus une "fabrique à clandestins".
* Deuxième rupture : nous avons raccompagné dans leurs pays d’origine plusieurs dizaines de milliers d’étrangers.
* Troisième rupture : nous avons commencé à choisir les flux d’immigration légale vers notre pays, en réorientant la politique de délivrance des visas et des cartes de séjour.
Devenu Président à partir de mai 2007, son bilan à ce sujet est conforme à ses projets, autant sur le plan national que européen.
A l’échelle de la France, 3 éléments/réalisations sont à relever [4] :
a/ Au niveau institutionnel, il crée dès son arrivée à l’Elysée un nouveau ministère, celui de « la Migration et de l’identité nationale ». Pour la première fois dans l’histoire de la France, un ministère de plein exercice s’est vu ainsi confier la responsabilité de gérer l’ensemble du parcours d’un « étranger candidat à l’immigration ». En réalité, en faisant un amalgame entre migration et identité nationale, ce Ministère – chargé dans les faits de la police et de la « chasse » des migrants - paraît être d’abord un gage vis-à-vis de l’extrême droite, dont les voix ont beaucoup compté dans l’élection de N. Sarkosy.
b/ Le deuxième élément a consisté, en vertu du « principe de souveraineté », de mettre en place les moyens d’une ‘’immigration sélective’’ pour que la France puisse « choisir qui elle veut et qui elle peut accueillir sur son territoire ».
c/ La troisième réalisation est d’ordre quantitatif. Elle se rattache à une « performance » numérique, celle qui fait du nombre de « reconduites à la frontière » un indicateur de bonne politique. Ainsi, du 1er juin 2007 au 31 mai 2008, 29.729 immigrés clandestins ont été reconduits dans leur pays d’origine, soit une augmentation sans précédent – selon les termes du Ministre français de l’Immigration et de l’identité nationale - de 31 % par rapport à la période précédente. Et « la tendance est similaire pour les cinq premiers mois de l’année (2008) ». En outre, toujours selon le même ministre, « le nombre d’étrangers en situation irrégulière acceptant un départ volontaire progresse : il a été multiplié par près de cinq en un an - plus 374 %. Outre l’encouragement financier, les intéressés comprennent qu’ils ont intérêt à respecter les règles et à repartir dans leur pays avec un projet professionnel, dans la dignité » [5].
Au niveau européen, le président français va mettre une plus grande pression sur ses pairs de l’UE – sur l’Italie et l’Espagne, notamment – pour accélérer la cadence en matière de politique migratoire européenne, pour aller dans le même sens que le nouveau exécutif français
A/ La « Directive retour » :
En ce sens, les 27 ministres de l’Intérieur de l’Union européenne, réunis le 5 juin à Luxembourg, sont tombés d’accord sur la « Directive retour ». Celle-ci – qui va provoquer un tollé de protestations au sein de la société civile européenne et de la part de nombreux chefs d’Etat africains et latino-américains [6] - prévoit notamment "l’unification des normes et des procédures relatives au retour des ressortissants des pays tiers résidant illégalement sur le territoire des Etats membres".
Ce texte fixe, entre autres, à dix-huit mois la durée maximale de détention des immigrés illégaux avant leur expulsion : un maximum de six mois, dans un premier temps, pouvant être prolongé de douze mois dans certaines circonstances, par exemple le manque de coopération du pays d’origine du migrant qui refuserait d’accepter son retour. Il fixe aussi à cinq ans l’interdiction de pénétrer à nouveau sur le territoire de l’UE pour les immigrants illégaux.
Préalable au « Pacte européen pour l’immigration et l’asile », la Directive retour a été adoptée le 18 juin au Parlement européen [7]
B/ Le « Pacte européen pour l’immigration et l’asile »
Le Gouvernement français ayant fait de l’unification de la politique européenne en matière d’immigration une de ses priorités, la France souhaitait parvenir à un "pacte sur l’immigration" dès son accession à la Présidence de l’UE le 1er juillet 2008 [8].
Finalisé par tous les ministres de l’Intérieur de l’UE, les 7 et 8 juillet, à Cannes en France, le texte du dit Pacte a été adopté par le Conseil européen le 16 octobre 2008, à Bruxelles.
Partant de la volonté de ‘’protéger l’Europe’’ – selon le président français, ‘’contre le réchauffement climatique, l’énergie chère et l’immigration irrégulière’’, notamment – ce texte se place dans une position de ‘’fermeture’’ – vis-à-vis des pays de départ des migrants irréguliers - en retenant la prééminence du principe de la ‘’Préférence communautaire’’ comme fondement politique et base de la nouvelle politique migratoire unifiée de l’Europe.
Se voulant un texte équilibré entre la volonté de ‘’lutte contre l’immigration illégale’’ et le souhait de ‘’favoriser les synergies entre les migrations et le développement’’, le projet de Pacte tel qu’il a été retenu se décline en 5 objectifs :
- Organiser l’immigration légale : il s’agit ici pour les concepteurs du projet de tenir compte des besoins, des priorités et des capacités d’accueil déterminés par chaque Etat membre et de favoriser l’intégration. Le pacte appelle donc les 27 pays de l’Union à développer l’immigration professionnelle et à renforcer l’attractivité de l’UE pour les travailleurs très qualifiés. En matière d’emploi, la préférence communautaire devra être respectée. Enfin, avant d’accueillir des immigrés, les Etats devront s’assurer que ces derniers disposent de revenus nécessaires pour s’installer dans le pays d’accueil et d’un niveau de langue suffisant pour s’y intégrer.
- Lutter contre l’immigration illégale : l’objectif est d’assurer le retour des étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine ou vers un pays de transit. Les pays de l’UE devront ainsi coordonner leurs actions et renoncer aux "régularisations générales". Par ailleurs, des accords de réadmission seront conclus "avec les pays pour lesquels c’est nécessaire".
- Renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières : dans cette optique, la France a demandé à ses partenaires européens de s’engager à généraliser la délivrance de visas biométriques au plus tard le 1er janvier 2012 et de renforcer les moyens de l’agence Frontex [9], chargée de coordonner l’action des polices aux frontières.
- Bâtir une "Europe de l’asile" : à partir de 2009, un bureau dont la mission sera de faciliter les échanges d’information sera mis en place. La Commission est par ailleurs invitée à formuler des propositions afin d’instaurer en 2012 une "procédure d’asile unique" et d’adopter "des statuts uniformes de réfugiés".
- Mettre l’accent sur le co-développement : le Conseil européen s’engage à soutenir le développement des pays concernés et à bâtir avec eux un partenariat étroit pour favoriser les « synergies entre les migrations » et le développement harmonieux des pays d’origine.
Une lecture rapide des clauses de ce pacte induit les principaux commentaires suivants :
- Ce pacte porte très nettement le sceau de l’ancien ministre de l’Intérieur et actuel président français ; il est fortement teinté d’idéologie ‘’sécuritaire’’ et basé sur une approche unidimensionnelle, où, par exemple, les effets négatifs sur les pays de départ des migrants de la mondialisation et/ou des accords d’association signés par l’UE avec différents pays du sud ne sont nulle part pris en considération, ou à tout le moins mentionnés.
- Ce pacte va à l’encontre du cours de l’histoire et des appels à l’ouverture et à la libéralisation des échanges, économiques, financiers et humains théoriquement inscrite dans la philosophie qui est à l’origine, par exemple, de la constitution de l’Organisation mondiale du commerce. La référence qu’il comporte à la « préférence communautaire » en plus d’être politiquement et idéologiquement dangereuse, est erronée dans les faits. Un pays comme la France, par exemple, reçoit près de 3 fois de ressources financières de ses résidents à l’étranger que n’en reçoit le Maroc [10]. Elle pourrait aussi impliquer une réponse des parties ainsi visées, particulièrement en Afrique. Que dirait-on ainsi en Europe si des pays comme le Maroc, le Sénégal ou l’Egypte, arguant de la « préférence nationale » commencent à revenir sur les opérations de privatisation, par exemple ? Les « dents » [11] ne suffiraient pas alors pour trouver les points de croissance qui manqueraient aux économies européennes après le déclenchement d’un tel processus un peu partout où des pays de l’UE ont des intérêts.
- Ce pacte est, dans le même sens, fortement déséquilibré. L’objectif du co-développement avancé comme un moyen de résorber les migrations irrégulières directement dans les régions de départ ne figure que pour quelques lignes dans un document de 7 pages. Par ailleurs, ce même objectif comporte dans sa rédaction une contradiction centrale puisque, alors que le pacte dans son ensemble voudrait réduire dans l’absolu les flux de migrations des hommes du sud vers le nord, il fait paradoxalement des migrations un instrument de développement. Ainsi, alors même qu’on demande explicitement aux gouvernements des pays du sud – africains, en l’occurrence - de tout mettre en œuvre pour réduire l’émigration de leurs citoyens, on leur conseille de fonder leurs politiques de développement sur les ressources transférées par leurs mêmes migrants.
- Ce pacte est fondé sur une approche extrêmement égoïste des relations internationales, y compris entre pays riches et pays pauvres. Il voudrait – sans contrepartie sérieuse sur le plan, par exemple, du rééquilibrage des relations économiques et financières entre ces mêmes pays – que les pays de départ et de transit opèrent, s’agissant de la question migratoire au seul profit de l’UE et de ses pays membres.
17 octobre 2008
Mehdi Lahlou