citation
Lionel Galliano,
"La situation juridique de l’étranger en France ou l’insécurité juridique comme moyen de régulation de l’immigration ",
REVUE Asylon(s),
N°4, mai 2008
ISBN : 979-10-95908-08-1 9791095908081, Institutionnalisation de la xénophobie en France,
url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article761.html
résumé
Avec la Vème République s’ouvre une nouvelle période de l’immigration en France. Les politiques migratoires s’appuyèrent sur un arsenal juridique initié par l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui resta longtemps le texte fondateur et fondamental du droit des étrangers. Cependant s’ensuivirent une multitude de réformes, de textes se surajoutant au précédent à tels points qu’ils devinrent surabondants au même titre que l’immigration réoccupa une place particulière dans la sphère politique. Dans cette dynamique, un discours politique clairement xénophobe, faisant de l’étranger le responsable de tous les malheurs s’est peu à peu banalisé pour se traduire en axes de politique publique. Ce mouvement s’est traduit par un nombre considérable de textes législatifs et réglementaires (français et communautaires) qui s’empilant les uns derrière les autres, se contredisant parfois rendent de plus en plus difficile l’appréhension du cadre juridique régissant l’étranger. Le cadre juridique est devenu de plus en plus flou et digne d’un véritable bric à brac normatif. Cette multiplicité normative a ainsi placé l’étranger dans une situation d’insécurité juridique. Le droit des étrangers institue ainsi l’insécurité juridique comme un instrument de la politique migratoire en organisant un droit d’exclusion qui vise à satisfaire les besoins nationaux de la France.
Mots clefs
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« La recherche sur l’immigration souffre de la surcharge idéologique de son objet. Les enjeux politiques tournant autour de celui-ci ont contribué à le rendre difficile à aborder de manière authentiquement scientifique » [1].
Si l’on ne peut que souscrire à l’idée que le droit est un instrument du politique, il est tout aussi indéniable que le droit des étrangers est aussi un enjeu politique, un enjeu de la politique. Le constat que formulaient J. BAROU et H.K. LE en 1993 est donc encore et toujours d’actualité. Nous veillerons donc tout d’abord à établir le cadre conceptuel de cette étude.
L’appel à contribution lancé par les membres de l’Observatoire pose clairement les bases de ce que nous devons entendre ici par xénophobie à savoir « l’ensemble des discours et des actes tendant à désigner l’étranger comme un problème, un risque ou une menace pour la société d’accueil et à le tenir à l’écart de cette société, que l’étranger soit au loin et susceptible de venir, ou déjà arrivé dans ce pays ou encore depuis longtemps installé ».
Se pose dès lors la question de s’accorder sur ce que nous devons entendre par étranger. A ce stade de notre examen nous nous en tiendrons à la définition qu’en donne le droit français. En particulier, l’article L 111-1 du Code général de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui énonce : « Sont considérées comme étrangers, au sens du présent code, les personnes qui n’ont pas la nationalité française, soit qu’elles aient une nationalité étrangère, soit qu’elles n’aient pas de nationalité » [2]. Le critère juridique de l’étranger repose donc sur la nationalité ou devrions-nous dire sur la non-nationalité. Le droit sert ainsi à différencier en catégorisant.
L’étranger doit donc être distingué de l’immigré qui est l’individu qui est né hors de France mais « est venu s’y fixer, y a immigré » [3], de sorte qu’il pourra acquérir la nationalité française et perdra alors sa qualité d’étranger mais restera un immigré. Cette distinction, au-delà de la sémantique, revêt une importance toute particulière pour le juriste dans la mesure où le texte fondateur du droit des étrangers de la Vème République est l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, appellation reprise par le nouveau Code en 2004 [4] alors que les diverses lois intervenues dans les années 2000 visaient la maîtrise de l’immigration.
Ces deux textes que sont l’ordonnance de 1945 et le Code de 2004 sont les deux grands instruments juridiques d’une Vème République qui a tenté de mettre en place une véritable gestion des flux migratoires par le droit. En effet, si la seconde moitié du XXème siècle fut la plus riche en matière de droit des étrangers, on peut dater l’apparition d’un droit moderne spécialisé en matière d’étrangers au XIXème siècle. En effet, ce fut d’abord sous la Restauration puis sous la Monarchie de Juillet qu’apparurent les premiers textes par lesquels le législateur entendait mettre en place une réglementation spécifiquement consacrée aux étrangers et donc encadrer le pouvoir de police des autorités administratives en la matière.
Ce fut en premier lieu la loi du 21 avril 1832 qui permettait au gouvernement de rassembler, y compris par la contrainte, dans les villes de son choix, les étrangers réfugiés résidant en France tout en prévoyant la possibilité d’expulser ceux qui ne s’y conformaient pas ou venaient à troubler l’ordre public [5]. D’ailleurs la loi du 3 décembre 1849 vint renforcer ce pouvoir d’expulsion en posant la possibilité offerte au pouvoir exécutif d’expulser tout en réprimant le refus de s’y conformer par de l’emprisonnement et une reconduite à la frontière [6]. Ce fut alors la première institutionnalisation d’une double peine.
Dans les premiers temps de la IIIème République, les autorités eurent essentiellement, pour ce qui nous intéresse ici, à réglementer le travail des étrangers en France [7] et les règles d’acquisition de la nationalité [8]. A partir des années 1930 la législation se fixa pour but de limiter la main d’œuvre étrangère pour faire face à la crise économique provoquée par le Jeudi noir. Ce fut notamment l’objet de la loi du 10 août 1932 « protégeant la main-d’œuvre nationale » : elle contingenta la main-d’œuvre étrangère par profession, branche industrielle et commerciale et fut suivie de nombreux autres textes pris dans un contexte de xénophobie exacerbée et influencés par lui.
Ce fut évidemment le régime de Vichy qui, ouvertement, s’attacha à institutionnaliser la xénophobie. En effet, les premiers actes du nouveau gouvernement eurent pour objectif de limiter l’accès à certaines professions [9]. Le régime revint même sur les naturalisations antérieures en mettant en place par la loi du 22 juillet 1940, sous l’égide du ministère de la Justice, une commission chargée de réviser les naturalisations depuis la loi du 10 août 1927, la nationalité française devant être retirée à ceux qui seraient jugés indésirables, ce qui renforçait une loi du 16 juillet 1940 relative à la procédure de déchéance de la qualité de Français. L’Etat français organisa même un régime de travaux forcés pour les étrangers « en surnombre dans l’économie nationale » en vertu d’une loi du 27 septembre sans parler des nombreux camps où l’on cantonnait les étrangers et les Juifs ni du statut des Juifs publié par la loi du 3 octobre 1940.
Ces textes furent abrogés par l’ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine et c’est avec l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et portant création de l’Office national d’immigration que s’ouvrit l’ère contemporaine du droit des étrangers à laquelle nous accorderons l’essentiel des développements qui suivront.
C’est effectivement avec l’avènement de la Vème République que s’ouvre une nouvelle période de l’immigration en France. Ce nouveau régime se veut, à bien des égards, une synthèse des diverses expériences passées notamment d’un point de vue normatif et institutionnel. En matière d’étrangers, la France mit alors en place de véritables politiques migratoires qui s’appuyèrent sur un arsenal juridique initié par l’ordonnance du 2 novembre 1945 qui resta longtemps le texte fondateur et fondamental du droit des étrangers. Cependant s’ensuivirent une multitude de réformes, de textes se surajoutant aux précédents à tel point qu’ils devinrent surabondants au même titre que l’immigration réoccupa une place particulière dans la sphère politique.
Il s’agira alors de montrer comment depuis plusieurs années le discours politique clairement xénophobe, faisant de l’étranger le responsable de tous les malheurs s’est peu à peu banalisé pour se traduire en des axes d’une véritable politique publique. Cela eut alors pour effet de durcir les conditions d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire français tout en facilitant leur éloignement de celui-ci. Une des dernières évolutions majeures de notre droit en la matière est assurément la catégorisation des étrangers et le thème de l’immigration choisie après celui de l’immigration zéro.
Ce mouvement s’est traduit par un nombre considérable de textes législatifs et réglementaires (français et communautaires) qui, s’empilant les uns derrière les autres, qui, se contredisant parfois, rendent de plus en plus difficile l’appréhension du cadre juridique régissant l’étranger. Le rapport de P. WEIL estimait en 1997 : « 20 modifications en 23 ans : cette inflation de textes n’a pas été forcément le signe de la confusion ou du désordre. L’ordonnance du 2 novembre 1945 avait été conçue en temps d’expansion économique et devait dorénavant s’appliquer en temps de restriction de l’immigration de travailleurs non qualifiés. Tous les pays démocratiques ont procédé depuis le milieu des années 1970 à des adaptations successives de leurs législations en raison même de ce changement de conjoncture, mais aussi pour un autre motif : ils ont dû apprendre les limites de la souveraineté de l’Etat dans le domaine du droit de l’immigration ». En d’autres termes, cette inflation législative ne serait donc qu’un ajustement normal aux contingences notamment économiques.
Certes, et nous nous efforcerons de le montrer plus loin, la politique migratoire de la Vème République est fondée sur une législation d’adaptation des flux aux besoins économiques du pays. Il n’en reste pas moins que le cadre juridique est devenu de plus en plus flou et digne d’un véritable bric-à-brac normatif. Cette multiplicité normative a ainsi placé l’étranger dans une situation d’insécurité juridique tout à fait contraire aux exigences actuelles de notre droit. Ce principe [10] de sécurité juridique « implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles » [11]. Loin de correspondre à ces impératifs, le droit des étrangers semble bien au contraire instituer l’insécurité juridique comme un instrument de la politique migratoire en organisant un droit d’exclusion (I) qui vise à satisfaire les besoins nationaux de la France (II).
I – Le droit français des étrangers : un droit de l’exclusion
Qu’est-ce que l’étranger ? L’étranger est un autre [12]. Pour le professeur D. LOCHAK, « l’étranger est celui qui n’appartient pas à la communauté politiquement constituée, qui est différent, et dont l’altérité et la différence provoquent une réaction instinctive de méfiance, de rejet, voire de haine à son égard de la part des membres du groupe » [13]. C’est précisément parce qu’il est un autre que l’Etat lui appliquera un droit différent de celui qu’il applique à ses nationaux. Le droit des étrangers vise, par nature, celui qui est étranger à la société qu’il entend régir ; dès lors, il ne peut être qu’un droit de l’exclu au sens où l’étranger est nécessairement un autre que l’on ne veut pas reconnaître comme un des nôtres et qui doit nécessairement se voir assujetti à un traitement différent notamment du point de vue juridique.
A – L’appréhension normative de l’extranéité : entre textes épars et codification
Faisant un parallèle avec l’institution qu’est l’Etat, Ph. RAIMBAULT montre « que la stabilité est au cœur du processus d’institutionnalisation qui marque clairement une inscription dans le temps ». Il poursuit en expliquant que « la stabilité est dès lors un élément fondamental pour que les normes puissent s’affirmer dans l’ordre juridique et être intériorisées dans la conscience des citoyens » [14]. Si nous ne pouvons que souscrire à cette proposition, il nous semble que l’évolution du droit des étrangers ces dernières années tend à montrer que l’institutionnalisation peut également mobiliser, pour se réaliser, une forme d’insécurité juridique. En ce qui concerne le droit des étrangers, cela nous semble transparaître des différentes réformes qu’a connues l’ordonnance de 1945 mais aussi de celles que connaît actuellement le nouveau code.
1°) D’une ordonnance réformée
Il ne s’agira pas ici de dresser l’inventaire exhaustif de l’ensemble des textes intervenus en droit des étrangers depuis 1945 mais d’étudier un mouvement de fond (constitué par pas moins de trente réformes) qui tend à établir une véritable politique maîtrisée des flux migratoires en France par le biais de modifications en particulier législatives.
L’ordonnance du 2 novembre 1945 n’inaugure pas véritablement quant au fond du droit des étrangers qui reste un droit de police visant à régir l’entrée et le séjour des étrangers en France. La nouveauté est de rassembler dans un texte d’ampleur l’ensemble des dispositions dans ce domaine en donnant une définition officielle de l’étranger, première codification en quelque sorte. C’est en effet l’article 1er de cette ordonnance qui posa la définition reprise en 2004 par l’article L 111-1 du Code général de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
La définition négative qu’elle en donne est donc celle d’un non-national. Il faut néanmoins ne pas s’y tromper. Il ne s’agit pas ici d’appréhender l’étranger comme un autre face à la communauté nationale [15] mais comme un exclu du lien juridique qui unit un individu à un Etat. Peu importe dès lors que l’étranger souhaite ou pas s’intégrer à la société du pays qui l’accueille, qu’il entende participer au projet collectif, au contrat social. Il restera un étranger tant que l’Etat n’en décidera pas autrement, tant qu’il ne lui reconnaîtra pas, en application des procédures préétablies par le droit, la qualité de national. Le droit joue alors un rôle de catégorisation : l’étranger constitue une catégorie juridique [16], l’ordonnance comportant d’ailleurs un chapitre II consacré aux « différentes catégories d’étrangers d’après leur séjour en France ». Aussi en adoptant cette définition de l’étranger, le Gouvernement provisoire inscrit-il dans le marbre froid du droit le principe de l’exclusion de l’étranger, de cet autre.
S’agissant de l’encadrement juridique de la situation de l’étranger posé par ce premier texte, il faut à ce stade de notre étude souligner qu’il régit en particulier le séjour et l’expulsion des étrangers. Ainsi, elle créa trois types de titre de séjour autorisant l’étranger à demeurer, pour une durée plus ou moins longue, sur le territoire national.
Dans la lignée traditionnelle d’un droit de police, l’ordonnance prévoit encore les procédures permettant l’expulsion [17]. Il est à noter à cet égard que le texte vient là aussi pour la première fois fixer, dans une norme et une seule, les règles régissant le renvoi de l’étranger. Il s’agit bien ici d’une mesure de police administrative et non de police judiciaire puisqu’elle vise alors à prévenir une atteinte à l’ordre public et non à réprimer une infraction pénale.
Le droit des étrangers ne connut pas de grandes modifications jusque dans les années 1970. Face à la crise économique enclenchée par le choc pétrolier de 1973, le gouvernement Messmer prit tout d’abord des mesures d’ordre réglementaire au titre desquelles il convient de citer les circulaires prises les 26 janvier et 23 février 1973 prises conjointement par J. FONTANET, ministre de l’Education Nationale, et R. MARCELLIN, ministre de l’Intérieur, qui subordonnaient la délivrance d’une carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail et d’un logement décent et mirent fin aux régularisations automatiques.
C’est en 1980 qu’apparaît la première législation en matière d’immigration avec la loi du 10 janvier [18] qui vint modifier l’ordonnance de 1945. Cette loi dite Bonnet (du nom du ministre de l’Intérieur qui l’avait élaborée) entendait mettre en place les instruments d’une lutte efficace contre l’immigration. Aussi pose-t-elle en premier lieu l’obligation de présenter des garanties de retour dans le pays d’origine pour l’étranger entrant au titre du tourisme ou d’une visite.
Elle fit également passer le droit de l’expulsion d’une logique préventive à une logique répressive (tout en maintenant la menace à l’ordre public comme motif d’expulsion). Il s’agissait de punir l’entrée ou le séjour irrégulier de l’étranger en l’expulsant. Toujours dans cette logique, les autorités légalisèrent la pratique des centres de rétention [19] où les étrangers étaient retenus dans l’attente de leur retour lorsque leur était opposé un refus d’entrer sur le territoire national. Le Conseil constitutionnel sanctionna partiellement ces dispositions dans la mesure où elles prévoyaient une intervention judiciaire tardive dans le cadre d’une privation de liberté [20].
L’alternance de 1981 revint pour une majeure partie sur la loi Bonnet par celle du 29 octobre 1981 [21]. Elle avait pour objectif de mettre en place les principes clairement établis d’une nouvelle politique migratoire :
- maintien de la fermeture des frontières aux nouveaux migrants,
- intégration [22] des étrangers séjournant régulièrement.
Le premier de ces principes entraîna un durcissement des conditions d’entrée sur le territoire. Ainsi, de nouveaux documents y furent nécessaires ; mais la détention créait surtout un droit d’entrer et non une simple possibilité laissée à l’appréciation de l’administration. Par ailleurs, la loi vint redéfinir, en son article 5, l’expulsion qui ne pouvait intervenir qu’en cas de « menace grave pour l’ordre public » et était alors rigoureusement encadrée, excepté l’expulsion « en cas d’urgence absolue » et de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l’Etat ou la sécurité publique », qui concernait en fait les terroristes, les espions et les trafiquants de drogue. Cependant la nouvelle loi maintint le dispositif de la rétention administrative qu’elle soumit tout de même à l’intervention d’un magistrat de l’ordre judiciaire.
Par ailleurs la loi installa la criminalisation des transgressions à la législation et à la réglementation en matière de droit des étrangers : les infractions aux règles sur l’entrée et le séjour, ainsi que l’insoumission à un arrêté d’expulsion ou à une interdiction du territoire, furent institués en délits.
Le second principe, celui de l’intégration, ne fut mis en place que trois ans plus tard avec la loi du 17 juillet 1984 [23] qui créa un titre unique de séjour et de travail de dix ans : la carte de résident de « plein droit » [24].
Une nouvelle étape fut franchie, lors de l’alternance de 1986, avec la loi du 9 septembre [25], dite loi Pasqua qui renforça encore les exigences pour pénétrer en France : tout étranger devait, outre les conditions déjà posées, pouvoir justifier de moyens d’existence pendant son séjour. De plus, le législateur maintint la carte de résident de plein droit mais en redéfinit les catégories en y ajoutant des conditions restrictives.
Le retour aux affaires de la gauche fut l’occasion de nouvelles modifications de l’ordonnance de 1945 : pas moins de cinq lois intervinrent durant la législature. Ainsi, la loi du 2 août 1989 [26], dite loi Joxe, revint sur la précédente notamment en redéfinissant lesdites catégories. Vint ensuite la loi du 10 janvier 1990 [27] introduisant un recours suspensif d’exécution contre les décisions de reconduite à la frontière. La loi du 31 décembre 1991 [28] renforça la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l’organisation de l’entrée et du séjour irréguliers d’étrangers en France. Quelques mois plus tard, la loi du 26 février 1992 [29] dite loi Marchand, adapta la législation française aux obligations résultant de la Convention de Schengen du 19 juin 1991 notamment concernant les obligations des transporteurs maritimes, aériens et routiers acheminant des étrangers en France. Enfin la loi du 6 juillet 1992 [30], dite loi Quilès, permettait de maintenir dans des « zones d’attente » en milieu portuaire et aéroportuaire les étrangers non admis sur le territoire et les demandeurs d’asile pendant un délai pouvant aller jusqu’à vingt jours.
Ce fut une nouvelle fois avec des lois dites Pasqua que l’ordonnance fut réformée. Elles furent néanmoins précédées d’une loi Méhaignerie qui introduisit, dans le code de la nationalité, une condition d’accès à la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers : la « manifestation de volonté », tout en retirant le bénéfice du double jus soli aux enfants nés en France de parents nés eux-mêmes dans les anciennes colonies.
Les lois des 24 août [31] et du 30 décembre 1993 [32] devaient tendre vers une « immigration zéro » (Charles Pasqua dans Le Monde du 2 juin 1993). Aussi elles facilitèrent les contrôles d’identité aux abords des frontières intérieures de l’espace Schengen, fixèrent des conditions restrictives à la délivrance des certificats d’hébergement, prévoyèrent des dispositions visant à lutter contre les mariages blancs et prirent une série d’autres mesures restrictives [33]. Par ailleurs, une loi de décembre 1994 [34] autorisa la création de zones d’attente dans les « gares ferroviaires ouvertes au trafic international ». Enfin, la loi du 24 avril 1997 durcit les dispositions des lois Pasqua. Cette loi dite loi Debré autorisa la confiscation du passeport des étrangers en situation irrégulière, la mémorisation des empreintes digitales des étrangers qui sollicitaient un titre de séjour et restreignit les pouvoirs du juge en matière de rétention.
L’alternance n’entraîna pas, comme certains s’y attendaient, l’abrogation des lois Pasqua–Debré ni de régularisation massive. Elle fut l’occasion de deux nouvelles réformes introduites par les lois Chevènement [35] et Guigou [36]. Cette dernière restaura, en partie, le droit du sol en matière d’acquisition de la nationalité française par la suppression de la manifestation de volonté. La loi Chevènement quant à elle, rétablit les catégories d’étrangers pouvant obtenir de plein droit un titre de séjour, mais non la carte de résident. Ainsi l’ordonnance du 2 novembre 1945 consacrait l’existence de deux listes de catégories d’étrangers ayant vocation à recevoir une carte de séjour : les « plein droit » de la carte « vie privée et familiale » et les « plein droit » de la carte de résident. Par ailleurs, la loi mit en place une sorte de sélection des étrangers, par la création de nouveaux titres de séjour tels ceux portant la mention « scientifiques », « professions littéraires et artistiques ». Elle imposa également la motivation du refus de visa dans certains cas, supprima le certificat d’hébergement remplacé par une simple attestation d’accueil et prévit des mesures spécifiques en faveur des retraités.
L. JOSPIN, le 1er juillet 1997 déplorait : « Notre législation en ce domaine a été rendue complexe, parfois incohérente, et surtout incompréhensible, par trop de modifications successives. […] La République accueille ses hôtes selon ses lois qui doivent être claires et précises » [37]. En effet, nous pouvons partager avec lui ce constat d’une législation devenue tellement changeante que le premier intéressé, l’étranger, ne pouvait plus savoir exactement de quel régime il relevait.
Le principe de sécurité juridique ne s’appliquant pas exclusivement au citoyen mais plus largement au destinataire de la norme, on pouvait considérer que cette multiplication des lois (à s’en tenir aux seules lois et donc sans prendre en compte les divers règlements intervenus dans ce domaine sous l’égide de telle ou telle législation) contrevenait à ce principe et créait donc une insécurité juridique condamnable. C’est pourquoi le législateur est à nouveau intervenu pour remettre de l’ordre dans l’ordre juridique grâce à une codification des règles concernant les étrangers en France.
2°) A un code voulu réformateur
Pour le professeur D. BUREAU, « le terme de codification désigne l’action de codifier aussi bien que le résultat de cette action. Sous son acception la plus générale, la codification évoque ainsi le rassemblement de textes juridiques ordonnant les règles relatives à une certaine matière déterminée au sein d’un ouvrage, le Code » [38]. Cette technique juridique correspond donc, pour une part, à un souci de clarté de la norme et donc répond, de la sorte, au principe de sécurité juridique.
Les multiples réformes de l’ordonnance du 2 novembre 1945 l’ayant en grande partie déformée, outre le peu de rigueur en matière de numérotation, le sens même de ses dispositions était devenu relativement obscur, de sorte qu’elle péchait par un manque véritable de lisibilité. Aussi, la commission supérieure de codification décida de la création d’un « code de l’entrée, du séjour et du travail des étrangers » par son programme général du 4 décembre 1995.
Constamment repoussée depuis, cette codification fut prévue par la loi du 26 novembre 2003 [39], dite loi Sarkozy, dont l’article 92 autorisait le gouvernement à adopter, par voie d’ordonnance, la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers. La loi imposait une codification « à droit constant » [40], sous réserve toutefois des modifications nécessaires « pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l’état du droit ».
Par ailleurs et paradoxalement, cette loi vint modifier encore une fois et de façon importante l’ordonnance de 1945 dans un sens plus restrictif et répressif. Il s’agissait pour le gouvernement de combler les failles [41] de la loi du 11 mai 1998 conformément à ce qu’affichait l’exposé des motifs du projet de loi présenté par N. SARKOZY. Ainsi peut-on citer au titre des diverses mesures prises par cette loi : l’augmentation de la durée de la rétention qui passe de douze à trente-deux jours, l’aggravation des peines pour les infractions à la réglementation sur l’entrée et le séjour (en particulier l’aide au séjour irrégulier), la mise, ou devrait-on dire, la remise en place des attestations d’accueil (reprise pour une large part du dispositif prévu par la projet de loi Debré mais auquel le gouvernement avait dû renoncer), l’accentuation du contrôle des mariages mixtes. Par ailleurs, la condition d’intégration républicaine conditionnait la délivrance d’une carte de résident. Enfin si la loi aménagea la « double peine », elle ne l’abolit pas pour autant [42].
En revanche, là où la loi innova, ce fut par l’instauration d’un contrôle des mesures en matière d’immigration. En effet, l’article préliminaire de cette loi prévoyait que chaque année, le gouvernement devait établir et déposer devant le Parlement « un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration » comportant des données chiffrées dans le domaine des titres de séjour, des mesures d’éloignement, des étrangers admis au titre du regroupement familial, des moyens de lutte contre l’immigration clandestine etc. Il s’agissait donc bien là de la volonté de mettre en place une politique publique de l’immigration évaluable. Au-delà des risques de dérive vers « une politique du chiffre », on peut estimer qu’une telle mesure était susceptible de renforcer la sécurité juridique des étrangers en imposant au gouvernement d’évaluer ses propres mesures dans ce domaine et d’en référer au législateur. Dès lors, il devient possible d’estimer s’il est ou non nécessaire d’adopter de nouvelles mesures réglementaires afin de remplir les objectifs imposés par la loi ou de modifier la législation elle-même si nécessaire ou bien d’assurer le statu quo lorsque les mesures sont jugées suffisantes.
Il semble donc que l’on s’achemine en 2003 vers une amélioration de la sécurité juridique des étrangers par une législation clarifiée grâce à la codification mais aussi par une évaluation gouvernementale et parlementaire de la politique migratoire de la France.
Et en effet, en 2004, l’ordonnance du 2 novembre 1945 céda la place au Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) puisque l’ordonnance du 24 novembre [43] en son article 4 abroge l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France et la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile. Le Code entra en vigueur le 5 mars 2005, excepté pour ce qui concernait les dispositions de l’ordonnance de 1945 jugées réglementaires. Sa partie réglementaire fut, quant à elle, adoptée le 14 novembre 2006 [44].
La structure du code est bien plus claire et compréhensible que celle de la « vieille ordonnance ». En outre, le code reprend certaines dispositions du code du travail et du code du commerce applicables aux étrangers exerçant une activité professionnelle en France, ce qui facilite l’appréhension du régime juridique auquel sont assujettis ces étrangers. Il semble donc que le Ceseda entendait inscrire le droit des étrangers dans une nouvelle donne. La question n’est alors pas d’examiner si le droit est ou non plus favorable aux étrangers mais de constater que ces derniers sont mis en mesure, grâce à cette codification, de connaître les règles qui s’appliquent à eux.
Néanmoins, ce Code ne put échapper, au même titre que l’ordonnance qu’il vint remplacer, à la réforme. La première intervint le 24 juillet 2006 par la loi Sarkozy 2 [45]. Outre l’instauration d’une nouvelle orientation donnée à la politique de l’immigration qui, selon les dires du ministre de l’Intérieur, doit passer d’une « immigration subie » à une « immigration choisie », cette loi raffermit encore la situation juridique de l’étranger en France. Cela se traduisit d’un côté, par un durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour, un allongement des délais permettant aux étrangers d’obtenir certains droits, des restrictions apportées au regroupement familial, la création d’une obligation de quitter le territoire français, une nouvelle modification des modes d’acquisition de la nationalité. D’un autre côté, d’autres dispositions répondaient en revanche à l’objectif d’« immigration choisie » : généralisation de la condition d’intégration ; création d’une catégorie de bénéficiaire du droit au séjour en raison de leurs « compétences et talents », etc.
Loin de renoncer aux réformes successives du passé dans un objectif de sécurité juridique, le législateur s’inscrivait par cette nouvelle loi dans la tradition antérieure au Ceseda. Tout d’abord, c’était la première fois qu’un ministre présentait, au cours d’une même législature, deux lois consécutives visant à la maîtrise de l’immigration. De plus, le nouveau texte vint modifier, par cent vingt articles, le Ceseda mais aussi une dizaine d’autres codes. Enfin il est à signaler que le ministre devant les préfets réunis expliquait alors que « malgré l’ampleur du travail accompli depuis quatre ans, la remise en ordre de la politique française de l’immigration n’en est qu’à ses débuts », annonçant ainsi d’autres réformes à venir.
C’est ainsi qu’une nouvelle loi est intervenue le 20 novembre 2007 [46]. Elle s’insère dans le dispositif légal inauguré par la loi de 2003 et constitue une quatrième réforme de la législation en matière de droit des étrangers en quatre ans et la deuxième du Ceseda. Outre le volet consacré à l’asile, cette loi agit en particulier sur trois axes :
- le renforcement du contrôle de l’immigration familiale (à laquelle est consacrée la première partie de la loi) par un nouvel affermissement des conditions nécessaires à l’entrée au titre du regroupement familial ;
- le soutien d’une immigration de travail par la facilitation accrue de l’entrée et du séjour des étrangers immigrant pour des raisons professionnelles ;
- et la politique de l’intégration.
Dernière réforme d’ampleur en date et, s’il en est, une révision constitutionnelle devrait voir le jour afin d’adapter notre loi fondamentale aux évolutions du droit des étrangers jugées nécessaires par l’Exécutif. En effet, par arrêté du 7 janvier 2008, le ministre de l’immigration a créé une commission sur le cadre constitutionnel de la nouvelle politique d’immigration, chargée de mener « une réflexion sur le cadre constitutionnel des réformes envisagées par le gouvernement ». Elle a notamment pour mission d’étudier les adaptations nécessaires à la définition de quotas d’immigration ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour unifier le contentieux de l’entrée, du séjour et l’éloignement de l’étranger.
A l’instar de ce qui s’était produit en 1993 où, suite à l’annulation par le Conseil constitutionnel des dispositions de la loi relative à la maîtrise de l’immigration concernant l’application des accords de Schengen sur le droit d’asile, une révision constitutionnelle [47] était intervenue pour pouvoir passer outre la décision du Conseil, le gouvernement envisage donc de procéder de façon similaire afin notamment de passer outre l’annulation [48] des quotas ethniques institués par la loi du 20 novembre 2007.
Toutefois, dans ce foisonnement législatif, il convient de relever une constante : le durcissement des conditions d’entrée et de maintien sur le territoire français face à une facilitation des procédures d’éloignement. Effectivement, malgré les alternances politiques la ligne générale de la gestion des flux migratoires resta celle d’une maîtrise de l’immigration, appellation qu’empruntèrent nombre de lois intervenues dans le domaine à compter des années 1980. Ainsi en va-t-il de la rétention administrative qui depuis son institutionnalisation ne fut jamais remise en cause dans son principe.
L’insécurité juridique dans laquelle se trouve l’étranger malgré les codifications confirme son extranéité qui se trouve saisie, elle-même, par le droit.
B – L’extranéité du droit : la stigmatisation normative de la différence
Le droit est aussi un moyen de catégoriser l’étranger, d’en faire un être à part, en marge de la société. L’étranger saisi par le droit se voit alors stigmatisé en tant qu’autre de deux façons : il est d’une part exclu du droit, de l’accès à certains droits mais il est, d’autre part, particularisé par le droit qui lui accorde certains droits ou certaines garanties en tant que tel.
1°) L’étranger exclu de l’accès aux droits des nationaux
Pour Ph. Braud, « d’après le droit positif, les étrangers ne peuvent se prévaloir des libertés publiques proclamées, en ce sens que leurs droits ne sont jamais la contrepartie d’obligations authentiques de l’Etat dont aucun organe, et notamment le législateur, ne pourrait l’affranchir » [49].
Cette citation pourrait suffire à résumer l’idée que nous entendons développer ici. Les étrangers ne sont pas titulaires de droits et de libertés, ils n’en sont qu’attributaires. Le bénéficiaire est celui qui jouit d’un avantage ou d’un droit. L’attributaire est celui qui se voit reconnaître un droit. En effet, ni la Constitution ni les autres textes fondamentaux ne mentionnent, outre le droit d’asile, des droits dont les étrangers auraient le bénéfice.
Le droit français établit donc un régime d’exclusion. Si le Conseil constitutionnel a accepté de voir en l’étranger une personne susceptible de se voir appliquer les garanties fondamentales tirées du bloc de constitutionnalité, il n’a en revanche pas voulu aller aussi loin s’agissant des droits politiques et du droit de la fonction publique.
Les droits politiques se décomposent en deux branches : le droit de vote et le droit d’être élu [50]. Si le cadre régissant la participation des nationaux à l’électorat comme à l’éligibilité est homogène quant aux différentes élections, il n’en est pas de même pour les étrangers. En effet, si le principe est l’exclusion des étrangers des droits politiques, ce principe connaît deux exceptions. Ainsi, il y a une exclusion absolue s’agissant des élections législatives et intermédiaires alors que l’exclusion est relative concernant les élections municipales et européennes.
L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation » or la qualité de citoyen est réservée au national, de sorte que les étrangers quels qu’ils soient sont exclus de la participation aux élections législatives, élections ayant pour but d’élire lesdits représentants. De même, ils sont exclus de l’éligibilité puisque l’article LO 127 du Code électoral précise que « tout citoyen qui a [...] la qualité d’électeur peut être élu à l’Assemblée nationale ».
Il semble que cette position soit particulièrement critiquable de deux points de vue. Tout d’abord, comme l’a indiqué, D. Lochak, la participation des étrangers aux élections ne serait qu’un retour aux sources en ce sens que la Constitution du 24 juin 1793 ouvrait la qualité de citoyen à tous ceux qui partageaient un même projet révolutionnaire. Par ailleurs, en vertu de l’adage américain « No taxation without représentation », le paiement de l’impôt ouvre le droit à participer au choix des représentants. L’article 14 de la Déclaration de 1789 prévoit ainsi que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique... ». Or les étrangers sont soumis à l’impôt en particulier à l’impôt sur le revenu en vertu de l’article 4 bis 2°) du Code général des impôts. Il paraît donc nécessaire que les étrangers puissent eux aussi consentir à l’impôt par le biais de l’élection de leurs représentants.
S’agissant des élections intermédiaires à savoir cantonales et régionales voire professionnelles, le régime est identique à celui des élections législatives. Pour ce qui est des élections cantonales et régionales, il peut paraître assez curieux de les avoir assimilées au régime étatique plutôt qu’au régime municipal. En effet, départements et régions sont des collectivités territoriales au même titre que les communes. Les communes, elles (nous le verrons plus loin), admettent dans une certaine mesure la participation des étrangers à l’électorat et à l’éligibilité. Néanmoins les articles L 194 et L 339 du Code électoral prévoient que ne sont éligibles aux conseils généraux et régionaux que les citoyens, écartant ainsi les étrangers.
En ce qui concerne les élections professionnelles, nous tenons ici à faire mention des élections aux conseils de prud’hommes. En vertu de la décision n° 78-101 DC du 17 janvier 1979, l’article 3 de la Constitution s’applique à ces élections. On peut donc logiquement considérer que les fonctions de conseiller prud’hommal sont elles aussi réservées aux nationaux.
Le régime des élections municipales et européennes est quelque peu différent puisque la participation de certains étrangers y est admise. Il s’agit ici d’opérer une distinction entre deux catégories d’étrangers : les ressortissants de l’Union européenne d’une part et ceux qui ne le sont pas d’autre part. Ainsi, seuls les ressortissants de l’Union européenne se voient reconnaître la possibilité de participer, les autres restent exclus du champ électoral. C’est en cela que l’on peut considérer qu’il s’agit en la matière d’une exclusion relative : elle est relative à la condition de ressortissant de l’Union européenne.
S’agissant de l’accès à la fonction publique, notons tout d’abord que pour M. Hauriou, l’administration publique est « un organisme public accomplissant avec un pouvoir de nature publique, la fonction administrative ». Il souligne ainsi l’unité du régime de la fonction publique du fait de l’unité du régime administratif. Cette unité est assurée par les conditions uniformes quant au recrutement. C’est dans cette perspective que la nationalité a été posée comme condition à l’accès à l’administration.
Cette condition peut s’expliquer de deux façons. D’abord, elle s’éclaire à la lumière de la préférence nationale et du protectionnisme qui consistent à préférer employer des nationaux particulièrement en période de chômage. Surtout, cette condition de nationalité trouve son fondement dans la volonté de l’Etat de ne pas mettre ses fonctions de souveraineté et de gestion dans les mains d’étrangers. L’exclusion des étrangers dans l’accès aux emplois publics peut s’analyser en deux temps : en premier lieu du point de vue des fonctions juridictionnelles ensuite de celui des autres emplois publics.
C’est dans sa décision du 17 juillet 1980 que le Conseil constitutionnel posa le principe selon lequel les fonctions juridictionnelles relèvent de la souveraineté nationale et ne saurait, pour cette raison, être exercées par des étrangers, d’autant que les juges français rendent leurs décisions au nom du peuple français. Comment un étranger pourrait-il en faire autant alors qu’il n’est pas membre de ce peuple et qu’il ne peut exercer aucune fonction de souveraineté ?
L’exclusion est en revanche aménagée quant aux autres emplois. L’article 6 de la Déclaration de 1789 dispose « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux [ceux de la loi] sont également admissibles, à certaines dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents ». En vertu de cet article, le principe d’égale admissibilité aux emplois publics ne s’applique qu’aux seuls citoyens c’est-à-dire aux seuls ressortissants français, dispositif repris par la loi du 13 juillet 1983 [51].
Néanmoins, il faut ici encore distinguer les ressortissants de l’Union européenne des autres étrangers. En effet, une certaine évolution a permis aux premiers d’accéder à certaines fonctions de l’administration. L’article 39 (ex-article 48) du Traité instituant la Communauté européenne pose le principe de la libre circulation des travailleurs mais pour y apporter dès son quatrième paragraphe une limite concernant les emplois publics. La loi du 26 juillet 1991 avait pour objet de transposer ce dispositif et son interprétation par la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après CJCE) en droit français. A cet égard, nous nous appuierons sur sa décision Commission contre Royaume de Belgique de 1990. Selon cet arrêt, « seuls sont réservés les emplois qui portent une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et celles qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques » [52].
C’est par sa décision du 23 juillet 1991 que le Conseil constitutionnel s’est prononcé en la matière. L’article 2 de la loi déférée insérait dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires un article 5 bis dont le premier alinéa énonçait : « Les ressortissants des Etats membres de la Communauté économique européenne autres que la France ont accès, dans les conditions prévues au statut général, aux corps, cadres d’emplois et emplois dont les attributions soit sont séparables de l’exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique de l’Etat ou des autres collectivités publiques ». Le Conseil en admit la constitutionnalité [53].
L’étranger se voit donc exclu des attributs de la citoyenneté (elle-même attribut de la nationalité) que sont les droits politiques et l’accès à la fonction publique mais il se voit en revanche particulariser dans sa qualité d’étranger par des droits qui lui sont propres.
2°) L’étranger titulaire de droits propres
Outre certains droits que les étrangers se sont vus reconnaître en commun avec les ressortissants de l’Etat français [54], le droit français s’est également vu fixer comme objectif de sanctionner diverses formes de racisme et de xénophobie. Le cadre strict de notre étude nous obligeant à nous en tenir à la xénophobie, nous en exclurons donc les textes s’attachant uniquement à condamner le racisme en particulier la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 1er juillet 1972et le Code pénal.
Si la liberté d’opinion et d’expression, consacrée par la loi modifiée du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse constitue une liberté fondamentale au titre de la Déclaration française des droits de l’homme de 1789 et de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, elle peut faire l’objet de certaines limites conformément à l’article 10§2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ainsi, la loi sanctionne-t-elle les propos ou écrits de type discriminatoire qui portent atteinte à l’ordre public.
La loi modifiée du 29 juillet 1881 réprime donc la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, la diffamation et l’injure à raison de l’origine ou de l’appartenance raciale, ethnique, nationale ou religieuse, l’apologie et la contestation des crimes contre l’humanité. Par ailleurs, l’article 24 alinéa 5 de la loi de 1881 sanctionne de peines correctionnelles « ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupement de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Le but de la provocation doit être d’amener ceux à qui elle est adressée à adopter à l’encontre des victimes protégées un comportement discriminatoire prohibé par les articles 225-1 et suivants et 432-7 du Code pénal [55]. Si ces dispositions sont le plus souvent utilisées pour réprimer des actes à caractère raciste, on peut considérer que le terme de nation en leur sein renvoie bien quant à lui à la xénophobie qui peut donc, sous certains aspects, être pénalement réprimée.
Outre les dispositions spécifiques figurant dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, le Code pénal punit certains actes discriminatoires dans la vie courante. Il en va ainsi des discriminations commises par des particuliers. Précisons qu’il faut ici entendre par discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques ou morales à raison de « de leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Le Code pénal en ses articles 225-1 à 225-4 punit les discriminations, lorsqu’elles consistent notamment à refuser d’embaucher (une loi de 2001 renversa notamment la charge de la preuve dans un cas de discrimination au travail qui passa alors à l’employeur), à sanctionner ou à licencier une personne, à subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition discriminatoire.
Il punit également les discriminations commises par des représentants de l’autorité publique. Ainsi, est puni tout dépositaire de l’autorité publique ou citoyen chargé d’un ministère de service public qui, à raison de l’origine ou de l’appartenance d’une personne à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, lui aura, par exemple, refusé le bénéfice d’un droit accordé par la loi.
Par ailleurs, une certaine catégorie particulière d’étrangers s’est vue reconnaître un droit très spécifique : le droit d’asile.
La notion d’asile est particulièrement ancienne : elle remonte à l’Antiquité grecque où l’asile se définissait comme un lieu de refuge où l’ennemi ne pouvait entrer. La personne qui trouve asile est ainsi protégée des poursuites dont elle a été victime qu’elles proviennent d’un Etat ou d’individus. A cette époque, l’asile était d’abord sacré : c’était les dieux qui l’accordaient à ceux qui pénétraient dans leurs temples. Puis il prit un caractère civil lorsque ce furent les cités qui, au nom d’une divinité, l’accordèrent. Ainsi, l’asile se dédoubla : un asile sacré et un asile politique. De l’asile sacré, ne persiste plus aujourd’hui en France qu’un asile de principe dans les églises ou les universités. Le seul asile véritablement reconnu est l’asile politique, en ce sens que c’est le territoire de l’Etat qui accueille qui est tout entier terre d’asile.
L’asile recouvrait deux formes : l’asile territorial institué par la « loi Chevènement » de 1998 et l’asile diplomatique. Le premier est la protection accordée par un Etat à un individu sur son territoire. Le second est celui « qu’un Etat accorde hors de son territoire dans une ambassade, [...] en un lieu bénéficiant de certaines immunités et où les autorités locales n’ont pas la faculté de venir arrêter une personne sans l’accord du diplomate en poste ou de son représentant » [56].
La loi du 10 décembre 2003, dite « loi Villepin », modifia profondément la loi du 25 juillet 1952 : en particulier, elle supprima l’asile territorial et le remplaça par la protection subsidiaire, institua une procédure unique devant l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (ci-après OFPRA) et, en cas de recours, devant la Commission des recours des réfugiés et transposa en droit interne la directive du Conseil du 29 avril 2004 relative à la protection temporaire.
Aujourd’hui, en droit français, selon l’article L 721-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’OFPRA reconnaît la qualité de réfugié (article L711-1) à [57] :
- toute personne sur laquelle le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) exerce son mandat. C’est un droit que l’on désigne par l’appellation de "mandat HCR" ;
- toute personne qui répond à la définition de l’article 1er, A, 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 c’est-à-dire qui, « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays , ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ». Ce droit est appelé « asile conventionnel » ;
- ainsi qu’à celle qui est « persécutée pour son action en faveur de la liberté » qui correspond à l’asile constitutionnel. En référence à l’alinéa 4 du préambule de la Constitution de 1946, peuvent notamment y prétendre les militants politiques, les syndicalistes, les artistes et intellectuels persécutés en raison de leur engagement en faveur de l’instauration d’un régime démocratique et des valeurs qui y sont attachées (libertés et droits fondamentaux).
Par ailleurs et toujours en vertu du même article L 721-1, l’OFPRA admet au bénéfice de la protection subsidiaire qui équivaut à l’asile territorial (article L 712-1) : « toute personne qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié [...] et qui établit qu’elle est soumise dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : la peine de mort, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants » et, s’agissant d’un civil, à « une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».
Pour autant, ce droit spécifiquement reconnu à ces étrangers subit lui aussi les assauts de la restriction générale qui touche les candidats à l’entrée notamment sous l’influence des accords de Dublin en 1990 et Dublin II en 2002 qui visaient à harmoniser les procédures d’asile. Ainsi la France modifia son droit de l’asile dans un sens de plus en plus restrictif en assimilant leur politique de l’asile avec la maîtrise des flux migratoires, les lois diverses sur la maîtrise de l’immigration modifiant régulièrement l’asile ou se voyant associées une loi sur le droit d’asile. Par exemple, la notion de pays d’origine sûrs a été créée par la loi du 10 décembre 2003. Depuis, l’article L.741-4,2° du Ceseda, un pays est considéré comme sûr « s’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Fixée par le Conseil d’administration de l’OFPRA, l’existence d’une telle liste affecte la situation des demandeurs d’asile : les ressortissants des Etats qui y figurent ne peuvent bénéficier d’une admission au séjour au titre de l’asile ni percevoir l’allocation temporaire d’attente. Leur demande est donc instruite par l’OFPRA dans le cadre d’une procédure dite prioritaire et leur recours éventuel devant la Commission des recours des réfugiés n’a pas de caractère suspensif. La politique de l’asile semble être devenue à présent un instrument de la politique migratoire, soumise donc aux mêmes aléas de changement que celles des autres étrangers.
A l’issue de ces premiers développements, on constate que l’étranger est maintenu dans une insécurité juridique certaine. Une seule certitude pour l’étranger résidant en France ou pour celui qui souhaiterait y immigrer : des conditions de plus en plus restrictives l’attendent. En cela effectivement on pourrait considérer que le droit des étrangers correspond à une exigence de prévisibilité ; mais elle y répond moins lorsque la cadence des changements légaux et réglementaires s’accélère, ce qui crée, par ailleurs, un véritable imbroglio normatif qui, lui, contredit la clarté de la norme. Cette insécurité juridique est sous-tendue par un droit qui, par nature, pointe du doigt cet autre auquel il ne reconnaît de droits particuliers qu’en mettant en exergue sa différence, son extranéité. Ceci s’explique par une vision utilitariste de l’immigration qui doit permettre la satisfaction de besoins nationaux.
II – Le droit français des étrangers : un droit de satisfaction des besoins nationaux
Si l’on a pu constater jusque-là que le droit français est soumis à une certaine insécurité juridique dans le domaine du droit des étrangers, il faut noter que cela n’est pas seulement le fait de gouvernements ou de ministres plus ou moins enclins, pour des raisons notamment idéologiques, à ouvrir ou fermer les frontières de la France. Il apparaît que cette insécurité juridique assise sur une variabilité de la norme n’est en fait qu’un instrument aux mains des autorités politiques afin de gérer la politique migratoire du pays, ce qui se vérifie tout particulièrement avec la dernière évolution affichée d’une immigration dite « subie » vers une immigration dite « choisie ».
A – La variabilité des normes, instrument de politiques migratoires fluctuantes
Une fois encore il faut en revenir au texte de base constitué par l’ordonnance du 2 novembre 1945. En effet celle-ci est sous-tendue par deux préoccupations politiques : reconstituer la population et la main d’œuvre de la France qui sortait en ces domaines particulièrement affaiblie de la seconde guerre mondiale.
Ainsi, on peut constater que de façon constante, le droit des étrangers joue tel un levier à la fois démographique et économique, de sorte que la succession des textes en la matière constitue un véritable instrument d’une politique étatique de la politique migratoire, elle-même au service de la politique démographique et surtout économique de la France.
1°) La modification du droit, variable d’ajustement démographique
« La France, hélas ! manque d’hommes et ce vide terrible se fait sentir, non seulement quant au nombre brut, mais encore quant à la qualité […]. De quelque façon que nous organisions notre travail national, nos rapports sociaux, notre régime politique, notre sécurité même, s’il est acquis que, décidément, le peuple français ne se multiplie plus, alors la France ne peut plus rien être qu’une grande lumière qui s’éteint » [58]. C’était le constat que faisait C. de GAULLE, alors président du Gouvernement provisoire, devant l’Assemblée consultative le 2 mars 1945. A la suite de la seconde guerre mondiale, la France connut de lourdes pertes humaines. Les démographes estimaient à cinq millions le nombre d’étrangers nécessaires au repeuplement de la France, alors que les économistes considéraient qu’un million et demi d’étrangers étaient nécessaires sur le marché du travail.
Une des solutions à ce problème démographique consista donc à favoriser l’immigration. L’ordonnance du 2 novembre 1945 avait ainsi pour but « d’introduire, au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d’immigration dans la collectivité française ». Aussi visait-elle à favoriser l’étranger qui entendait s’installer durablement en France grâce à la distinction qu’elle opéra entre les trois titres de séjour :
- la carte de « résident temporaire » qui autorisait les touristes, les étudiants, les travailleurs saisonniers et les autres étrangers « qu’il ne paraît pas opportun d’autoriser à séjourner comme résidents » à rester sur le territoire français pour une durée maximale d’un an ;
- la carte de « résident ordinaire » qui permettait aux étrangers de s’établir en France pour une durée de trois ans renouvelable ;
- la carte de « résident privilégié » qui admettait l’installation durable [59] des étrangers « qui justifient en France d’une résidence non interrompue d’au moins trois années et qui étaient âgés de moins de trente-cinq ans au moment de leur entrée en France ».
Surtout, l’ordonnance du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française facilita l’acquisition de la nationalité que ce fût par la naissance ou d’autres moyens. Ainsi, est Français de naissance, quel que fût le lieu de sa naissance :
- l’enfant légitime dont le père était Français, ou celui dont la mère est Française et dont le père était soit sans nationalité, soit de nationalité inconnue ;
- l’enfant naturel dont le parent, à l’égard duquel la filiation a été établie en second lieu, était Français, si l’autre parent n’a pas de nationalité ou est de nationalité inconnue ;
- l’enfant légitime né d’une mère française et d’un père de nationalité étrangère, ou l’enfant naturel dont le parent à l’égard duquel la filiation a été établie en second lieu est Français, si l’autre parent était étranger.
De même fut réaffirmé avec vigueur le jus soli dans la mesure où était Français en raison de la naissance en France ou bien l’enfant né en France de parents inconnus, ou le nouveau-né trouvé en France ainsi que l’enfant légitime ou naturel né en France, dont un des parents y est lui-même né.
Visant à favoriser la fixation durable de l’étranger sur le territoire, l’ordonnance rendait plus facile l’acquisition de la nationalité par la femme étrangère épousant un Français qui l’acquerrait dès son mariage, par l’enfant d’étrangers qui né en France devient Français à sa majorité s’il y résidait depuis l’âge de seize ans ainsi que par la naturalisation en ce qui concerne l’étranger résidant en France depuis cinq ans s’il satisfaisait à des conditions d’assimilation et de respect de l’ordre public. Ce mouvement se doubla, toujours dans le but de favoriser une immigration d’installation, d’une volonté assimilationniste [60] voyant dans l’étranger un citoyen en devenir : « L’immigré doit être regardé comme un futur citoyen du pays dont il a mérité la nationalité par son travail » (A. BAYET). Tout était mis en œuvre pour attirer des étrangers dont on souhaitait alors qu’ils finissent par s’installer sur le territoire national.
La France se fit alors véritable pays d’accueil, favorable à l’entrée d’étrangers sur son territoire. A tel point que cette entrée se faisait dès les années 1960 en dehors des procédures, jugées trop contraignantes, de l’Office national de l’immigration (qui était pourtant l’organisme chargé de façon monopolistique de les gérer) au profit des entreprises demandeuses de main-d’œuvre. L’Etat perdit alors la main et n’intervenait plus qu’une fois les étrangers installés sur le territoire en particulier par le biais de régularisations.
Pour autant, cette législation « généreuse » en termes de facilitation des conditions d’entrée l’était moins en termes de conditions d’accueil notamment en ce qui concerne le logement de ces nouveaux arrivants qui ne trouvaient souvent à se loger que dans un parc immobilier détérioré, créant des bidonvilles. Face à une France économiquement florissante se dresse une toute autre réalité sociale de l’étranger. Même si l’Etat prit en considération ces difficultés notamment par la multiplication des foyers pour travailleurs étrangers, il n’en mit pas moins du temps à mettre en place une politique sociale adressée à ceux qu’il avait fait entrer pour repeupler le pays. Etait-ce là la mise en œuvre d’une politique d’assimilation ? N’était-ce pas plutôt là le but utilitariste de cette politique migratoire mis à jour ?
Dans un même temps, cette nouvelle immigration devait combler un besoin en main-d’œuvre au même titre que la situation contemporaine de la France semblerait justifier un tel recours à un afflux de main-d’œuvre notamment pour des raisons démographiques. C’est en particulier ce que pose un rapport sur « Les perspectives démographiques de la France et de l’Europe à l’horizon 2030 » en expliquant que « le recours à l’immigration extra européenne pourrait en effet compenser certains effets négatifs du vieillissement démographique à condition de mettre en place des politiques proactives d’intégration et d’égalité des chances » [61] .
2°) La modification du droit, variable d’ajustement économique
Afin de favoriser l’essor d’une main-d’œuvre immigrée, l’ordonnance du 2 novembre 1945 facilitait aussi l’accès des nouveaux arrivants au marché de l’emploi. Aussi nationaux et étrangers furent placés sur un pied d’égalité quant à leur droit d’y accéder dès lors que le premier détenait un titre de séjour régulier et une autorisation de travail. Aucune « préférence nationale » ne fut alors instaurée. Par ailleurs, l’Office national d’immigration veillait à satisfaire les demandes des employeurs en main-d’œuvre étrangère.
L’immigration était bien alors perçue, durant les Trente Glorieuses, comme une variable d’ajustement de l’économie française. G. POMPIDOU expliquait d’ailleurs en 1963 que « l’immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale ».
En revanche la donne changea avec la crise économique qui surgit dans les années 1970 et ce fut alors qu’apparurent les premières modifications du statut des étrangers en France. La crise économique que traversait le pays rendit une partie de l’opinion particulièrement sensible aux thèses xénophobes qui faisaient de l’étranger le bouc-émissaire de cette situation économique et sociale dégradée mettant fin à la période d’opulence que constituait les Trente Glorieuses. De nombreuses exactions furent commises à l’encontre d’étrangers. Ainsi, P. MENDES FRANCE déplorait-il : « On a compté certains mois une dizaine de meurtres de Nord-Africains, sans que jamais il y ait eu des suites judiciaires. […] Ce côté sanglant mis à part, il y a tout le problème social. Les immigrés constituent un sous-prolétariat mal rémunéré, parqué dans des taudis, affecté aux postes les plus pénibles, les plus salissants » [62].
En effet, A. SAYAD explique : « Le travail […] étant la justification même de l’immigré, cette justification, c’est-à-dire en dernière analyse l’immigré lui-même, disparaissent sitôt que disparaît le travail qui fait être l’une et l’autre. On comprend dès lors la difficulté, qui n’est pas seulement technique, qu’il y a à définir le chômage dans le cas de l’immigré […], la difficulté qu’il y a à penser la conjonction de l’immigré et du chômage : être immigré et chômeur est un paradoxe » [63].
L’étranger (parfois même l’immigré) devient ainsi un bouc-émissaire à double titre : il est celui qui est susceptible d’occuper un poste de travail plutôt qu’un national mais il est aussi celui qui, lorsqu’il est chômeur, bénéficie des aides sociales accordés à cette catégorie d’individus exclus du monde du travail. En effet l’étranger qui travaille a droit aux prestations qui sont y sont attachées en vertu de textes internationaux auxquels la France est partie prenante [64] mais aussi de textes nationaux. Le préambule de la Constitution de 1958, par son renvoi à celui de 1946, ne pose-t-il pas : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
La politique et le droit se firent l’écho de cette xénophobie rampante et grandissante tout d’abord par les circulaires Marcellin - Fontanet, des 26 janvier et 23 février 1973. Face aux nombreux événements xénophobes et racistes, le Président de la République déclarait en septembre 1973 : « Je crois que la seule solution, c’est un contrôle commun et réel de l’immigration, et c’est d’autre part un effort français du gouvernement, du patronat, pour la répartition des immigrés sur le territoire national ». L’étranger devint alors doublement victime : subissant la crise économique au même titre que le national, il faisait aussi l’objet de ressentiments de la part de ceux-ci pouvant se traduire par des violences à son encontre mais c’était finalement lui que l’on sanctionnait puisque l’Etat mit en place une incitation au retour, une politique de non-renouvellement des titres de séjour et ferma les frontières. En effet, l’arrêt officiel de l’immigration de travail fut décidé par le Conseil des ministres du 3 juillet 1974. Enfin, le décret du 10 novembre 1977 conditionna l’entrée en France au titre du regroupement familial au renoncement des entrants à y occuper un emploi.
La politique des années 1980 resta de ce point de vue dans la même veine. La loi Questiaux du 29 octobre 1981 continua à durcir les conditions d’entrée sur le territoire. En particulier, elle ne remit pas en cause l’opposabilité de l’emploi c’est-à-dire l’impossibilité d’employer un étranger primo-arrivant si un autre candidat au poste convoité est français. Le contexte politique était alors la scène d’un retour de propos clairement xénophobes tels ceux du maire de Toulon M. ARRECKX selon lequel « notre pays est devenu une poubelle où sont recueillis des révolutionnaires, des anarchistes et des délinquants de tout poil. Il faut les chasser ». Sans parler de la montée en puissance des propos et des idées du Front National. au même titre que la loi Pasqua de 1986.
Dès lors le droit des étrangers n’eut de cesse d’encadrer le travail et la faculté de travailler des étrangers notamment par l’obligation de détenir un titre de séjour, d’effectuer un séjour régulier qui devait se coupler (si ce titre le permettait) à une autorisation de travail délivrée par les administrations compétentes à condition que l’on ne lui opposât pas la situation de l’emploi en privilégiant l’emploi de nationaux.
Aujourd’hui de nombreux observateurs considèrent que la France nécessite à nouveau un afflux d’étrangers pour faire face aux difficultés économiques que représentent dans l’immédiat le vieillissement de la population française. B. PAVY précise ainsi : « À l’enjeu démographique s’ajoute un enjeu économique lié à la globalisation ». A cet égard, la loi du 24 juillet 2006, quant à elle, marque un tournant important en la matière puisqu’elle signe le retour volontariste d’une immigration de travail dans le cadre de ce que N. SARKOZY, alors ministre de l’Intérieur appelait « l’immigration choisie ».
L’adaptation de la législation et de la réglementation aux aléas des besoins économiques de la France a créé un droit flou et inaccessible en particulier pour ses destinataires, les étrangers. Plus encore, cette insécurité juridique, tirée de l’inaccessibilité de la norme, constitue un instrument particulier de la politique économique appuyée sur des frontières plus ou moins perméables à l’immigration. En d’autres termes, le changement trop fréquent des diverses normes applicables aux étrangers en matière d’entrée révèle un besoin plus ou moins grand de la France en main-d’œuvre. Association entre politique migratoire et politique économique qui trouve un écho tout particulier dans l’affirmation d’une « immigration choisie ».
B – Une politique de l’immigration choisie fondée sur la variabilité des normes
L’idée de choisir « ses » immigrés n’est pas une innovation des années 2000 [65]. En effet, C. de GAULLE expliquait en juin 1945 : « Dès à présent il importe que les naturalisations soient effectuées d’après des directives d’ensemble. Il conviendrait notamment de ne plus les faire dépendre exclusivement de l’étude des cas particuliers, mais de subordonner le choix des individus aux intérêts nationaux dans les domaines ethnique, démographique, professionnel et géographique » [66].
Ce qui est nouveau, c’est l’affichage clair d’une telle volonté par les autorités publiques de passer d’une politique de contrôle des flux à une « immigration choisie » par une méthode aujourd’hui bien établie en droit des étrangers : la réforme législative et réglementaire au coup par coup.
1°) Le passage d’un contrôle des flux à une immigration choisie
Afin de pouvoir contrôler ses flux migratoires, la France d’après-guerre se dota d’organismes, d’institutions. Si les souhaits de C. de GAULLE ne furent pas suivis par la loi, par l’ordonnance de 1945, en matière de contrôle « ethnique, démographique, professionnel et géographique », l’Office national de l’immigration, première de ces institutions, choisit en revanche librement des Etats dans lesquels elle implanta ses agences qui devaient inciter tels ou tels étrangers à immigrer en France. Par ce biais, une première forme de choix pouvait s’opérer : en installant ses agences dans tel pays plutôt que dans un autre, l’ONI favorisait bien l’immigration des ressortissants du premier au détriment du second. Cependant, cette volonté politique affichée fut vite dépassée par la pratique patronale.
Ce fut ensuite sous la présidence de V. GISCARD d’ESTAING que fut créé un secrétariat d’Etat aux travailleurs immigrés. Il s’agissait là pour le gouvernement de se doter d’un cadre institutionnel visant à régir l’entrée et le séjour des étrangers en France du point de vue particulier du travail. Le premier à occuper ces fonctions, A. POSTEL – VINAY, se donna pour objectif d’améliorer les conditions des étrangers présents sur le territoire en particulier en matière de logement mais faute de moyens budgétaires, il ne put mettre en œuvre une telle politique (ce qui entraîna sa démission). La priorité n’était pas à la satisfaction des besoins des étrangers sur le territoire national. Aussi, s’il n’occupa ce poste que quelques mois, il prit néanmoins deux mesures décisives : une circulaire du 5 juillet 1974 qui suspendait effectivement l’immigration de travail et une autre du 19 juillet qui visait à arrêter l’immigration familiale.
Son successeur, P. DIJOUD, mit en place une authentique politique migratoire puisqu’après avoir maintenu la suspension de l’immigration, il adopta un plan de vingt-cinq mesures ambitionnant d’organiser et contrôler les flux dont l’exécution fut orchestrée par le VIIème Plan qui tentait par la même occasion de substituer des travailleurs français aux travailleurs étrangers.
En 1977, ce Secrétariat changea d’appellation et L. STOLERU fut nommé Secrétaire d’Etat au travail manuel puis à la Condition des travailleurs immigrés. La situation juridique des étrangers se dégrada alors avec le décret du 10 novembre 1977 confirmant la suspension de l’immigration économique et par la circulaire du 2 décembre qui supprimait toute possibilité de travail pour les étrangers entrant au titre du séjour familial. L’objectif était de réduire annuellement la population étrangère de deux cent mille personnes grâce à une prime de retour. S’ensuivirent des interpellations massives dans certains quartiers débouchant sur la reconduite immédiate à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Il est en effet une tendance constante des diverses réformes du droit des étrangers que de criminaliser et de réprimer de plus en plus durement l’immigration dite clandestine.
Cette politique institutionnelle fut confirmée avec l’alternance de 1981 puisque le premier gouvernement Mauroy comptait parmi ses rangs un Secrétariat d’Etat chargé des immigrés. On assista alors à des régularisations massives et à l’énoncé d’une politique migratoire en deux volets comme nous l’avons décrit ci-dessus. Avec le tournant de la rigueur de 1983 – 1984 puis le retour aux affaires de la droite en 1986, c’en fut terminé de l’institutionnalisation spécifique de la politique migratoire. Celle-ci releva dès lors pour l’essentiel des ministères de l’Intérieur et du travail.
L’institutionnalisation de la politique migratoire trouva un écho nouveau dans la création du Haut Conseil à l’Intégration en 1989 et la mise en place d’un Secrétariat d’Etat à l’Intégration afin de répondre à l’objectif d’intégration et non plus d’assimilation ou de simple insertion des étrangers dans la société française. Si les années 1990 furent l’occasion d’un maintien de la fermeture des frontières, elles furent donc aussi celles d’un souhait de politique intérieure : faire en sorte que ceux des étrangers qui sont entrés régulièrement et résident sur le territoire vivent en bonne entente avec les nationaux, qu’ils soient intégrés à la communauté nationale d’une communauté qui émet le vœu de vivre ensemble.
Cependant la politique migratoire ne cesse de se durcir pour atteindre en 1993 l’objectif d’une « immigration zéro » affiché par C. PASQUA alors ministre de l’Intérieur. S’ensuivirent de nouvelles restrictions apportées au regroupement familial et un renforcement des contrôles aux frontières ainsi que des contrôles d’identité. A cette politique on associa les maires qui se virent reconnaître de nouveaux pouvoirs en particulier en ce qui concernait la délivrance du certificat d’hébergement dont l’obtention était une des conditions à l’entrée. Fut ainsi créé un authentique réseau institutionnel entre les autorités de l’Etat (en particulier les préfectures) et les communes afin de mieux contrôler la population étrangère. De même on soumit la délivrance de titre de séjour à la régularité de l’entrée. On jouait également sur la nationalité en instaurant par exemple la déclaration de volonté.
D’un autre côté, la politique communautaire devait faire face à un déclin démographique de la « vieille Europe » et poussa donc les instances françaises à mettre un terme à cet objectif d’immigration zéro. L’arrivée à Matignon de L. JOSPIN conduisit à une nouvelle inflexion : d’un côté, on procéda à une grande régularisation de quatre-vingt-dix mille étrangers mais d’un autre, on facilita l’entrée de certaines catégories d’étrangers tels des hommes d’affaires, des universitaires, des malades nécessitant un traitement adapté car les premiers étaient porteurs d’un intérêt économique pour la France et les derniers n’avaient pas vocation à s’installer durablement.
La seconde présidence CHIRAC vit N. SARKOZY arriver à l’Intérieur. Celui-ci posa clairement qu’il entendait bien ne pas s’inscrire dans l’objectif d’une immigration zéro puisqu’il estimait, le 3 juillet 2003, qu’il « serait […] nuisible pour notre pays et impossible à satisfaire. Les chiffres de l’immigration régulière annuelle montre que ce dogme n’a pas de contenu réel ». Cela se traduisit pourtant par un nouveau durcissement des conditions d’entrée et la création d’un contrat d’accueil et d’intégration.
L’intégration qui jusque-là avait pour objectif de permettre une meilleure cohésion sociale se transforma en une exigence. En effet, la délivrance de certains titres devint conditionnée par l’intégration républicaine de l’étranger demandeur d’un titre de séjour. Ce projet de loi fut également et surtout l’occasion pour le ministre d’exposer l’opposition qu’il jugeait nécessaire entre une « immigration subie » et une « immigration choisie ».
2°) Un passage par une instabilité normative choisie
Lorsqu’il exposa son projet de loi devant l’Assemblée Nationale, le 3 juillet 2003, N. SAROKOZY expliqua : « J’estime enfin que notre pays doit retrouver une politique migratoire. Depuis de trop nombreuses années, il n’en a plus, si bien que la délivrance des visas n’obéit pas à une orientation délibérée, et le volant d’immigration légale est entièrement alimenté par des flux que nous subissons, comme le regroupement familial et les demandeurs d’asile. Je ne propose pas de revenir sur le regroupement familial, mais je dis qu’il ne s’agit pas d’une immigration choisie : moins d’un immigrant sur dix est choisi en fonction des besoins de notre économie et de nos capacités d’intégration ». Ainsi étaient posés les principes de la nouvelle politique migratoire de la France : favoriser une certaine immigration économiquement utile au détriment d’une immigration familiale « subie ». Ce sont ces deux axes qui orientèrent les diverses mesures adoptées depuis. L’immigration choisie fut donc favorisée par une forme d’insécurité juridique.
Cette volonté se traduit par une institutionnalisation d’une immigration utile amorcée déjà par les instances communautaires notamment dans le Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques paru en 2005 et dans lequel la Commission proposait une réflexion sur « les implications que la stratégie de migration économique aurait sur la compétitivité ». Cette volonté politique s’appuie notamment sur des rapports préconisant de faciliter l’entrée de certains étrangers, plus précisément de certaines catégories d’étrangers. Ainsi, le rapport PAVY précité expliquait : « Il importe en effet de faciliter et attirer la venue de ces travailleurs qui peuvent avoir un effet de levier sur le développement économique, par exemple dans le domaine des hautes technologies. Il s’agit là d’une immigration bien ciblée que notre pays doit rapidement promouvoir afin de pouvoir attirer les travailleurs actifs. Cette politique est d’ailleurs préconisée par la Commission européenne, dans l’objectif de faire venir en Europe les « cerveaux » étrangers » [67].
On peut également citer un rapport du 14 janvier 2006 : « Si l’immigration de travailleurs très qualifiés est susceptible de résoudre le problème de rareté de la main d’œuvre qualifiée, l’immigration de travailleurs qualifiés peut aussi constituer la réponse à d’autres défis auxquels l’économie française fait face. D’ici deux ou trois ans, certains secteurs vont devoir embaucher massivement pour remplacer les départs à la retraite des baby-boomers. L’immigration de travailleurs qualifiés est-elle une piste à envisager pour éviter que les entreprises ne rencontrent des difficultés de recrutement. Si oui, quels sont les secteurs et les métiers concernés ? Depuis plusieurs années, avant même le départ à la retraite des baby-boomers, dans certains secteurs ou pour certains types de métiers, les entreprises déclarent rencontrer des difficultés à recruter. L’immigration de travailleurs qualifiés est parfois avancée comme l’un des moyens de résoudre ces difficultés » [68]. L’immigration de certains apparaît encore une fois comme une solution à des problèmes démographiques et économiques auxquels la France se trouve confrontée et c’est encore une fois par des changements successifs de la législation que cette nouvelle politique a été mise en place.
Alors que le Ceseda adopté en 2004 et entré en vigueur en 2005 venait de consacrer les diverses mesures accumulées depuis les réformes successives qui suivirent les années 1970 et de plus en plus restrictives en matière d’accès des étrangers au travail, la loi de 2006 instaura des régimes variables, au gré de l’intérêt que telle ou telle catégorie d’étrangers pouvait représenter pour l’économie française. C’est donc cette loi de 2006 qui concrétisa la distinction entre une « immigration choisie » qui devait être favorisée et une « immigration subie » qui devait être contrôlée, son exposé des motifs précisant : « C’est pour mieux réguler l’immigration, lutter contre les détournements de procédure, promouvoir une immigration choisie et une intégration réussie, dans l’intérêt de la France comme dans l’intérêt des pays d’origine, que de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires ». Dans un premier souci, la loi va alors faciliter cette immigration « choisie ». Elle agit dans ce cadre sur trois axes : favoriser le séjour et le travail de certains étrangers soit en raison de leurs compétences particulières soit en raison d’un besoin de main-d’œuvre ainsi que la l’entrée de certains étudiants.
C’est tout d’abord cette loi qui crée la carte de séjour « compétences et talents ». En effet, son article 15 introduit un nouveau chapitre dans le Ceseda qui est consacré à la carte de séjour portant mention « compétences et talents ». Ainsi en vertu de l’article L. 315-1, « La carte de séjour "compétences et talents" peut être accordée à l’étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et du pays dont il a la nationalité. Elle est accordée pour une durée de trois ans. Elle est renouvelable. Lorsque son titulaire a la nationalité d’un pays membre de la zone de solidarité prioritaire, son renouvellement est limité à une fois ».
Cette carte est délivrée « au vu du contenu et de la nature du projet de l’étranger et de l’intérêt de ce projet pour la France et pour le pays dont l’étranger a la nationalité » et il revient à une Commission nationale des compétences et des talents de déterminer les critères à prendre à compte pour apprécier cette condition. C’est un décret du 21 mars 2007 [69] qui met en place cette nouvelle institution chargée d’établir ce qui permettra de choisir tel ou tel étranger au titre de cette nouvelle carte. Elle rendit, le 11 décembre 2007, sa première délibération à partir de laquelle fut prise une circulaire conjointe du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement et du ministre des affaires étrangères et européennes du 1er février 2008 qui précise les conditions dans lesquelles cette carte peut être délivrée.
Valable trois ans (ce qui contrevient au principe général de l’annualité du titre délivré aux primo-arrivants), elle permet à son titulaire d’exercer toute activité professionnelle de son choix, dans le cadre du projet au vu duquel elle a été attribuée. Elle vaut donc à la fois titre de séjour et autorisation de travail. Elle lui permet par ailleurs d’être accompagné de son conjoint et de ses enfants dès son entrée sur le territoire, ou d’y être rejoint par eux, sans qu’ils ne se voient opposer les conditions prévues pour le regroupement familial (conditions de ressource et de logement en particulier).
Ce titre de séjour créé par la loi de 2006 constitue donc un titre de séjour dérogatoire au régime habituel précisément afin de faciliter l’entrée et le séjour de ceux à qui elle s’adresse, ceux qui sont susceptibles de venir enrichir la France de leurs compétences ou talents particuliers. Dans le même esprit que certaines législations précédentes, elle tente d’attirer ceux-ci notamment en facilitant l’entrée et le séjour de leur famille alors que cette immigration familiale est considérée, dans l’esprit même de cette loi, comme une « immigration subie » à contenir si ce n’est à combattre.
Dans le même esprit économique, la loi de 2006 signe, en rupture avec la politique menée depuis plus de trente ans, un retour à l’immigration de travail afin de combler des « difficultés de recrutement » constatées dans certains secteurs d’activité ou pour certaines professions. Ainsi, l’article L 313-10 du Code prévoit notamment : « La carte de séjour temporaire autorisant l’exercice d’une activité professionnelle est délivrée : 1o A l’étranger titulaire d’un contrat de travail visé conformément aux dispositions de l’article L. 341-2 du code du travail. Pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée dans un métier et une zone géographique caractérisés par des difficultés de recrutement et figurant sur une liste établie au plan national par l’autorité administrative, après consultation des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives, l’étranger se voit délivrer cette carte sans que lui soit opposable la situation de l’emploi sur le fondement du même article L. 341-2 ».
Cet étranger n’est donc autorisé à entrer et à séjourner sur le territoire français que pour une seule raison : combler le manque de main d’œuvre nationale. Cela se confirme quant à la répartition des compétences pour déterminer des critères permettant la délivrance d’un tel titre de séjour. En effet, il ne revient pas aux autorités du ministère du travail de décider des professions et zones géographiques déficitaires en terme de main-d’œuvre mais au ministre chargé de l’immigration. C’est ainsi un arrêté interministériel du 18 janvier 2008 signé par la ministre de l’économie, des finances et de l’emploi et le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement qui a déterminé cette liste, qui avait été précédé par une circulaire du 20 décembre 2007.
Par ailleurs le principe selon lequel un étranger doit bénéficier d’une autorisation de travail pour exercer, sur le territoire français, une activité professionnelle n’est pas applicable aux détenteurs :
- de la carte « compétences et talents » puisqu’il s’agit d’un titre unique ;
- la carte de résident, ou certificat de résidence algérien, valable 10 ans ainsi qu’à celui de la carte de séjour temporaire, ou certificat de résidence algérien, portant la mention « vie privée et familiale »en vertu d’un accord bilatéral ;
- la carte de séjour temporaire portant la mention « scientifique » ;
- la carte de séjour portant la mention « étudiant » qui autorise son titulaire à exercer une activité professionnelle en France dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle.
Ces exceptions, outre celles qui entrent dans le cadre d’un accord bilatéral ou d’une obligation communautaire, confirment bien la règle d’une immigration choisie : sont dispensés d’une telle autorisation ceux qui sont susceptibles d’apporter une valeur ajoutée à la France par leur travail et non ceux qui sont appelés à servir de main-d’œuvre ; mais ceux-ci ne pourront pas en revanche se voir opposer la situation de l’emploi. Ainsi se crée y compris au sein des « immigrants choisis » différentes catégories qui se voient appliquer des régimes plus ou moins favorables.
Enfin, toujours dans l’optique de choisir « ses »immigrés, le législateur en 2006 a fait évoluer le statut des étudiants étrangers. Certes, les conditions de fond auxquelles ils sont subordonnés restent inchangées : une inscription dans un établissement d’enseignement et des moyens d’existence suffisants (article L 313-7 du Ceseda). Néanmoins, la loi vient officialiser la sélection aux frontières des étudiants puisque ce sont les autorités consulaires qui seront chargées d’examiner les conditions requises pour obtenir une carte de séjour temporaire « étudiant ».
Par ailleurs l’étudiant, à l’issue d’une formation -conduisant à un diplôme au moins équivalent au master- suivie dans un établissement d’enseignement supérieur, obtiendra une autorisation provisoire de séjour de six mois non renouvelable s’il souhaite, « dans la perspective de son retour dans son pays d’origine », compléter sa formation par une première expérience professionnelle participant au développement économique de la France et du pays dont il a la nationalité (Article L. 311-11 du Ceseda). Afin d’éviter la critique du « pillage de cerveaux », le législateur a bien pris soin de préciser qu’il s’agissait simplement de permettre une première expérience mais en vue d’un retour de l’étudiant diplômé et hautement qualifié dans son pays d’origine. Néanmoins, il est à noter qu’il pourra alors exercer un emploi en relation avec sa formation et, à la fin de ces six mois, se maintenir en France s’il obtient un emploi sans que lui soit opposé la situation de l’emploi sur le fondement de l’article L. 341-2 du code du travail. Nous sommes encore ici bel et bien dans l’exception confirmant le principe : l’étudiant étranger doit retourner dans son pays d’origine mais l’on offre aux plus qualifiés d’entre-eux la possibilité de travailler en France sans même que leur soit opposable la situation de l’emploi.
Les autorités françaises ne peuvent qu’être confortées dans cette vision utilitariste de l’immigration puisque la Commission européenne explique clairement : « Pour ce faire, la Commission identifie une opportunité et deux défis. L’immigration constitue tout d’abord une opportunité pour atteindre les objectifs européens en terme de croissance et d’emploi dans la mesure où elle contribue à l’augmentation de la main-d’œuvre, au rééquilibrage des conséquences budgétaires dues au déclin démographique et au développement économique des États membres […]. C’est donc à une relance de l’immigration économique que la Commission invite les acteurs européens de l’immigration » [70] et que celle-ci a proposé l’adoption d’une directive en ce sens.
Cet objectif clairement affiché par les motifs de la loi est ainsi réalisé par le choix politique institutionnalisé dans le droit de favoriser certains étrangers susceptibles de servir, d’une façon ou d’une autre, les intérêts de la France. Quel sort alors sera réservé à ceux des étrangers dont la France « subit » la présence ?
La loi va en ce qui les concerne conditionner de façon encore plus stricte leurs conditions d’entrée et de séjour, l’immigration d’installation. Nous retrouvons ici notamment l’intégration dont I. MICHALOWSKI estime qu’elle devient un instrument afin de « réguler l’octroi de titres de séjour » [71]. Ainsi le législateur fit-il de l’intégration républicaine un critère de renouvellement de la carte de séjour temporaire et de la carte de résident. C’est ce que précise désormais l’article L 311-9 du Ceseda en vertu duquel : « L’étranger admis pour la première fois au séjour en France ou qui entre régulièrement en France entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans, et qui souhaite s’y maintenir durablement, prépare son intégration républicaine dans la société française ».
La loi du 26 novembre 2003 soumettait déjà la première délivrance d’une carte de résident qui est valable dix ans à « l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française » qui devait être examinée au regard tout particulièrement de la connaissance suffisante de la langue française et des principes républicains. La loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale généralisa le contrat d’accueil et d’intégration expérimenté par la loi de 2003. Dès lors ce fut tout logiquement que la loi du 24 juillet 2006 renforça cette condition en faisant de la signature de ce contrat une obligation pour tous les nouveaux entrants.
Le Code explicite lui-même ce qu’il faut entendre par « intégration républicaine ». Ainsi, l’article L 314 – 2 pose-t-il : « La délivrance d’une première carte de résident est subordonnée à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, appréciée en particulier au regard de son engagement personnel à respecter les principes qui régissent la République française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance suffisante de la langue française dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. Pour l’appréciation de la condition d’intégration, l’autorité administrative tient compte de la souscription et du respect, par l’étranger, de l’engagement défini à l’article L. 311-9 et saisit pour avis le maire de la commune dans laquelle il réside ».
Une nouvelle étape fut franchie après les élections présidentielles de 2007. Le nouveau gouvernement compte ainsi dans ses rangs un ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement. Nous avons vu que d’autres avaient déjà mis en place de tels départements ministériels mais c’est la première fois sous la Vème République que ce membre du gouvernement a rang de ministre. Affaire de symbole seulement ? Certainement pas. Le symbole est déjà très fort : plus que détacher la politique migratoire de l’Intérieur, il s’agit de mettre l’accent sur une politique qui se veut résolument restrictive à l’égard d’une certaine immigration. D’ailleurs ce ministre occupe le sixième rang protocolaire au sein du gouvernement certes après le ministre de l’Intérieur et des affaires étrangères mais avant le ministre de la Justice. La donne est là encore une fois posée clairement : le contrôle de l’immigration sera une des priorités de la nouvelle majorité. Le président de la République l’exprime lui-même dans sa lettre de mission adressée le 9 juillet 2007 à B. HORTEFEUX, chargé de ce ministère : « L’immigration est un sujet crucial pour notre nation et un enjeu d’envergure planétaire ».
La mission du ministre est très explicitement de continuer le mouvement amorcé par la loi de 2003. Plus précisément encore, son action devra être mue par deux objectifs : « Fixer chaque année des plafonds d’immigration selon les différents motifs d’installation en France » et « l’objectif que l’immigration économique représente 50% du flux total des entrées à fin d’installation durable en France ». Il s’en est suivi, nous aurions tendance à dire naturellement, une nouvelle loi venant modifier le Code entré en vigueur à peine deux ans avant.
La loi du 20 novembre 2007 [72] contient ainsi soixante-cinq articles qui modifient pour la quatrième fois en quatre ans le tout nouveau code. Elle vise à une intensification du programme établi par la loi de 2006 et correspond pleinement aux objectif fixés au nouveau ministre qui, selon la même lettre de mission, devait veiller à la diversification de l’origine des étudiants étrangers et à l’accroissement du recrutement scientifique, à faciliter « la vie des affaires » tout en faisant du contrat d’accueil et d’intégration une condition plus contraignante.
C’est pourquoi « Le premier chapitre du projet de loi a pour objet de commencer la mise en œuvre de la nouvelle politique d’immigration concertée voulue par le président de la République en améliorant les dispositifs déjà mis en place lors de la précédente législature » [73]. Dans cet esprit, la loi pose-t-elle la nécessité d’une bonne connaissance de la langue française et la soumission au contrat d’accueil et d’intégration pour l’immigration familiale. En effet, l’article 1er de la loi ajoute un article L 411-8 au Ceseda en vertu duquel « le ressortissant étranger âgé de plus de seize ans et de moins de soixante-cinq ans pour lequel le regroupement familial est sollicité bénéficie, dans son pays de résidence, d’une évaluation de son degré de connaissance de la langue et des valeurs de la République ». Si le niveau de l’étranger s’avère insuffisant, il est dans l’obligation de suivre une formation d’une durée maximale de deux mois au terme de laquelle lui sera remise une attestation de formation nécessaire à l’obtention du visa de long séjour sollicité. Certes la loi ne pose pas un niveau standard de français comme une condition de fond du visa. Dès lors un étranger qui aura suivi ladite formation mais qui n’en aura pas pour autant acquis un bon niveau ne pourra se voir, à ce titre, refuser l’entrée. Le problème réside bien dans la possibilité de suivre cette formation qui pose des difficultés matérielles pour nombre de candidats à l’immigration familiale puisqu’elle impliquera un déplacement parfois coûteux et éventuellement hors d’atteinte pour ces étrangers vers les lieux où seront dispensées ces formations par les autorités consulaires.
Dans la même logique, l’article 6 de la loi modifie l’article L 311-9-1 du Code, de sorte que, lors de leur séjour, les bénéficiaires du regroupement familial devront conclure un « contrat d’accueil et d’intégration pour la famille » par lequel ils s’obligent à suivre une formation sur les droits et les devoirs des parents et à respecter l’obligation scolaire. C’est donc un contrat qui s’ajoute dans l’arsenal du droit des étrangers.
On doit alors s’interroger sur ce nouveau phénomène : la contractualisation du rapport entre l’étranger et l’Etat. Serait-ce ici une réminiscence du contrat social au fondement des sociétés libérales modernes ? Certains, à l’instar du Haut commissariat à l’intégration [74], l’estiment en effet. Le contrat d’accueil et d’intégration serait ainsi un moyen pour l’étranger qui désire s’installer durablement en France de passer un pacte avec l’Etat et de participer de la sorte à la société dont cet Etat garantit l’intégrité, en le contraignant à s’y intégrer. Il nous semble que cette argumentation appelle deux objections.
N’est-ce pas, d’une part, une bien curieuse façon d’intégrer les étrangers dans la société française en leur réservant un pacte social particulier, propre à eux et à eux seuls ? La véritable intégration ne résiderait-elle pas plutôt dans le fait d’inclure ceux-ci au pacte qui a donné naissance à l’Etat français ? A cet égard le contrat d’accueil et d’intégration semble être une nouvelle façon de stigmatiser l’étranger par son extranéité, ce qui ne nous paraît pas, loin sans faut, le meilleur moyen de mettre en place une politique d’intégration digne de ce nom. Par ailleurs, il y a un contre-sens à associer contrat d’accueil et d’intégration et contrat social. Dans la théorie du pacte social que ce soit celle de Hobbes, de Locke ou de Rousseau, il existe une constante : ce sont les individus qui se regroupent et annihilent une partie de leur souveraineté, de leur liberté dans une institution qu’ils créent à cette occasion, l’Etat, et avec laquelle, ils passent un contrat, celui par lequel les individus (qui font alors société) transfèrent leur souveraineté à un Etat qui doit les protéger et assurer la paix sociale. Une fois ce principe rappelé, il apparaît très clairement que le contrat d’accueil et d’intégration n’entre pas dans cette logique. L’Etat préexiste à ce contrat. Mieux, c’est lui qui le crée, c’est lui qui en est l’auteur principal. Nous pouvons même considérer qu’il en est le seul auteur, l’étranger ne faisant que le signer. Dès lors, loin de s’assimiler à une nouvelle forme de contrat social, ce contrat d’accueil et d’intégration correspond à un contrat d’adhésion. En effet, le contrat est rédigé par les services de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations puis signé par le préfet qui a accordé le titre de séjour. Ensuite, il est présenté à l’étranger par un agent de la même agence au cours d’un entretien individuel et, si nécessaire, traduit dans une langue qu’il comprend. A l’issue de l’entretien, l’étranger (ou son représentant légal s’il est mineur) doit signer le contrat. Il s’agit donc bel et bien d’un contrat d’adhésion si l’on accepte que celui-ci puisse se définir comme un contrat dans la formation duquel « le consentement de l’une des parties […] consiste à se décider, à saisir une proposition qui est à prendre ou à laisser sans discussion, adhérant ainsi aux conditions […] établies unilatéralement à l’avance par l’autre partie », unilatéralité qui pousse certains membres de la doctrine à remettre en cause l’appellation même de contrat de ce type de convention.
Par ailleurs et pour en terminer, certains expliquent que par ce contrat il y a un double engagement : d’un côté, l’étranger s’engage à respecter les valeurs républicaines ainsi qu’à participer aux formations prévues au contrat et à se rendre aux entretiens fixés pour son suivi, d’un autre l’Etat s’engage à lui permettre de suivre diverses formations pour lui permettre de s’intégrer. Certes, les termes de la loi sont à cet égard très précis. Néanmoins, dans la théorie du contrat, il est admis que les deux parties sont sur un pied d’égalité, d’une part dans leur échange de volontés (nous avons vu que ce n’est pas le cas), d’autre part dans leurs obligations l’un envers l’autre, de sorte que si l’un ne remplit pas ses obligations, il peut être sanctionné. L’Etat dispose bien de telles sanctions : refus d’entrée si l’étranger ne signe pas préalablement le contrat, possibilité d’éloignement si l’étranger contrevient aux principes républicains. En effet, le préfet peut tenir compte, lors du renouvellement de la carte de séjour temporaire, du non respect par l’étranger du contrat d’accueil et d’intégration. De même, la souscription et le respect du contrat par l’étranger sont également pris en compte pour l’appréciation de la condition d’intégration républicaine nécessaire à certains cas de délivrance de la carte de résident [75]. Le non-renouvellement ou le refus d’un titre de séjour place donc l’étranger dans une situation irrégulière qui peut conduire à son éloignement.
De même la condition d’intégration est devenue une condition supplémentaire à l’obtention de la carte de séjour « vie privée et familiale » puisque son obtention sur le fondement de l’article L 313-11, 7°qui peut être notamment délivrée à celui « dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son insertion dans la société française » selon la loi du 20 novembre, doit être à présent examinée au regard de sa connaissance des valeurs de la République.
Par ailleurs, elle pousse un peu plus le contrôle de l’immigration familiale aux frontières notamment par la mise en place de tests génétiques. L’objectif de l’amendement introduit par le rapporteur MARIANI était de lutter contre la « filiation de complaisance » [76] permettant l’entrée irrégulière de certains étrangers au titre du regroupement familial mais était présenté par le ministre HORTEFEUX comme un moyen d’accélérer la procédure aux frontières pour les étrangers de « bonne foi ».
La demande d’un visa de long séjour pour raison familiale nécessite en effet que le lien de famille soit prouvé entre l’étranger déjà en France et l’étranger candidat à l’entrée. L’article 13 de la loi modifie donc l’article L 111-6 du Ceseda en ces termes : « Le demandeur d’un visa […] ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l’un de ses parents […] ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d’inexistence de l’acte de l’état civil ou lorsqu’il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l’existence d’un doute sérieux sur l’authenticité de celui-ci qui n’a pu être levé par la possession d’état […], demander que l’identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l’identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli ».
Suite à de vives polémiques, ce dispositif a été encadré soigneusement par le Sénat. Cet encadrement ne semble pas suffisant pour le Comité consultatif national d’éthique qui considère : « L’erreur est de laisser penser qu’en trouvant le gène, la filiation serait atteinte. La filiation passe par la parole, pas par la science […]. Cette inscription dans la loi d’une identification biologique réservée aux seuls étrangers […] introduit de fait une dimension symbolique dans la représentation d’une hiérarchie entre diverses filiations, faisant primer en dernier lieu la filiation génétique […] comme étant un facteur prédominant, ce qui est contraire avec l’esprit de la loi française » [77]. Le Conseil constitutionnel a à son tour encadré ce dispositif qu’il n’a validé que sous réserve mais sans remettre en cause le principe même [78]. Il n’en reste pas moins que s’il ne porte pas atteinte au principe d’égalité selon le Conseil, il crée un contrôle particulièrement étendu de l’état civil et constitue en cela une restriction supplémentaire aux possibilités offertes pour pénétrer sur le territoire français au titre du regroupement familial. Par ailleurs cette disposition, non soumise à l’appréciation du Conseil d’Etat puisqu’issue d’un amendement, ouvre une brèche, brèche encadrée certes, mais elle ouvre une voie qui pourrait être suivie à l’avenir comme nombre d’autres en matière de droit des étrangers.
Toujours dans une optique d’immigration choisie, la loi mettait en place, en son article 63, des quotas d’immigration. Issu d’un amendement, cet article était soutenu par le ministre qui expliquait « que, selon l’enquête d’opinion Le Figaro–LCI publiée ce matin, 74 % des Français seraient favorables à la mise en place de quotas en matière d’immigration ». Le Conseil constitutionnel a néanmoins censuré cette disposition en « considérant que, si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race ».
Cependant notons que la Commission Mazeaud constituée afin de proposer les révisions nécessaires de la Constitution doit avoir pour objectif de mettre en œuvre une régulation quantitative des flux migratoires par une politique de quotas qui devrait mettre en adéquation le nombre de migrants avec « les besoins et [les] capacités d’accueil de la Nation ». Par ailleurs ces quotas devront permettre que l’immigration de travail constitue au moins cinquante pour cent de l’immigration globale. La lettre de mission va même jusqu’à préciser que la commission étudiera « la possibilité de décliner ce quota global et ces quotas catégoriels selon les grandes régions de provenance des flux migratoires ».
D’un autre point de vue et qui nous semble tout aussi significatif au regard de la problématique qui est la nôtre, cette nouvelle loi vise à corriger, de l’aveu même du ministre et du rapporteur du projet de loi, les erreurs disséminées dans la législation antérieure. Il en va d’abord ainsi de l’introduction par l’article 24 de la loi d’un recours suspensif contre le refus d’entrée opposé à un candidat à l’asile suite à une condamnation quelques mois avant de la France par la Cour européenne des droits de l’homme [79]. Certes la législation fait un pas dans ce domaine mais il est permis de s’interroger sur son effectivité et son efficacité. En effet, le recours doit être formé dans un délai très bref (quarante-huit heures), rédigé en français et motivé, c’est à dire qu’il doit indiquer les arguments de faits et de droit que l’étranger formule contre le refus d’entrée. Par ailleurs, l’étranger faisant déjà l’objet d’une mesure de privation de liberté pouvant s’étendre jusqu’à quatre jours, ce recours peut se traduire par un allongement de quatre jours supplémentaires de sa privation de liberté. Au-delà du droit, la mise en pratique paraît difficile dès lors qu’en quarante-huit heures, l’étranger doit pouvoir se doter d’un avocat ou du moins un juriste spécialisé (étant inimaginable qu’un étranger puisse former une telle requête sans le secours d’un spécialiste, le droit des étrangers étant de plus en plus complexe) ainsi qu’un interprète, le cas échéant, afin de préparer ledit recours puis le déposer. Quid du refus intervenu un vendredi…
De même la loi a corrigé le dispositif d’éloignement mis en place par la loi de 2006 : l’obligation de quitter le territoire français accompagnant le refus d’admission au séjour exécutable d’office après un mois. Tout d’abord l’article 40 de la loi de 2007 pose clairement que cet acte administratif n’a pas à être motivé, ce que n’avait pas précisé la précédente loi et avait amené à une controverse jurisprudentielle. En effet, le Conseil d’Etat avait considéré que constituant une mesure de police, cette obligation de quitter le territoire devait faire l’objet d’une motivation. Cependant la Haute assemblée estimait que cette motivation se confondait avec celle du refus ou du retrait de titre de séjour dont elle découlait [80]. Le principe était donc bien d’une motivation obligatoire de ces mesures. La loi Hortefeux pallie à ce problème, à cet oubli de la loi de 2006 en posant le principe inverse d’une non-motivation.
Comble de l’insécurité juridique : la loi peut se permettre la précipitation, l’imprécision, l’oubli. Peu importe puisque le législateur corrigera lui-même ses propres erreurs ultérieurement. Ainsi la modification de la loi ne correspond plus seulement à une adaptation de la loi comme le posait P. WEIL mais conduit aussi et tout simplement à compléter des dispositifs de plus en plus répressifs et restrictifs. Comment prévoir la norme si celle-ci peut être prise avec tant de précipitation qu’elle crée des vides juridiques ? « Dans ce bilan en demi-teinte, les facteurs qui ont présidé à l’ouverture-fermeture des frontières ont donc changé. De la recherche de bras et de soldats (1880), on est passé aux besoins de main-d’œuvre à rotation rapide (1918) et aux impératifs démographiques (1945), puis aux frilosités et inquiétudes de l’opinion publique (1980), pour en revenir aux impératifs de population active et de remplacement des générations (années 2000) » [81]. C’est particulièrement la loi qui sert d’instrument à ce passage d’une loi à l’autre de ces politiques.
Bien entendu la loi sert à poser des règles juridiques qui traduisent ou impulsent des règles sociales. Elle a donc vocation à changer avec la société. Néanmoins, peut-on soumettre l’individu, ici l’étranger, à des modifications législatives de son statut qui porte la législation hors d’atteinte des objectifs d’accessibilité et de clarté de la norme ? Les règles françaises en particulier depuis 2003 posent une seule véritable politique migratoire : celle d’une immigration « choisie ». Toutefois ce n’est pas par une réforme d’ampleur et d’ensemble que ce plan est mis en place mais par touches successives permettant, par la technique des petits pas, d’avancer plus ou moins lentement mais sûrement.
Dès lors il nous semble bien que loin de constituer de simples adaptations, les modifications en question créent une insécurité juridique néfaste pour l’ordre juridique mais utile pour le politique afin de gérer, comme il l’entend, la présence sur le territoire national de cet autre qu’est l’étranger dont l’extranéité se trouve doublement institutionnalisée par le droit : un droit restrictif qui vise en lui-même à différencier l’étranger du national et un droit mouvant, incertain, qui vise à placer l’étranger dans une situation de plus en plus précaire.
Lionel GALLIANO
ATER en droit public à l’Université Toulouse 1,
Membre du TACIP
NOTES
[1] J. BAROU et H.K. LE (sous la direction de), L’immigration entre loi et vie quotidienne, Editions L’Harmattan, 1993
[2] Peu importe alors que l’individu ait la nationalité française depuis sa naissance ou qu’il l’ait acquise notamment par déclaration ou par naturalisation.
[3] F. JULIEN-LAFERRIERE, Droit des étrangers, PUF, 2000, 1ère édition, p. 15
[4] Ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, publiée au Journal officiel le 25 novembre 2004.
[5] « Article 1er. Le gouvernement est autorisé à réunir dans une ou plusieurs villes qu’il désignera, les étrangers réfugiés qui résideront en France.
Article 2. Le gouvernement pourra les astreindre à se rendre dans celle de ces villes qui leur sera indiquée ; il pourra leur enjoindre de sortir du royaume, s’ils ne se rendent pas à cette destination, ou s’il juge leur présence susceptible de troubler l’ordre et la tranquillité publique ».
[6] « Article 7. Le ministre de l’intérieur pourra, par mesure de police, enjoindre à tout étranger voyageant ou résidant en France, de sortir immédiatement du territoire français, et le faire conduire à la frontière. Il aura le même droit à l’égard de l’étranger qui aura obtenu l’autorisation d’établir son domicile en France ; mais après un délai de deux mois, la mesure cessera d’avoir effet si l’autorisation n’a pas été révoquée suivant la forme indiquée dans l’article 3. Dans les départements frontières, le préfet aura le même droit à l’égard de l’étranger non résidant, à la charge d’en référer immédiatement au ministre de l’intérieur.
Article 8. Tout étranger qui se serait soustrait à l’exécution des mesures énoncées dans l’article précédent ou dans l’article 272 du code pénal, ou qui, après être sorti de France par suite de ces mesures, y serait rentré sans la permission du gouvernement, sera traduit devant les tribunaux et condamné à un emprisonnement d’un mois à six mois. Après l’expiration de sa peine, il sera conduit à la frontière [...] ».
[7] La loi du 9 août 1893 relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail national, instituait un registre d’immatriculation des étrangers et interdisait l’embauche d’étrangers n’ayant pas satisfait aux formalités légales. Plus tard le décret du 21 avril 1917 mit en place la carte d’identité d’étranger. La loi du 11 août 1926, quant à elle, vint à nouveau réglementer le travail des étrangers en France.
[8] Lois du 26 juin 1889 du 22 juillet 1893.
[9] La loi du 17 juillet 1940 limitait l’accès aux emplois publics aux citoyens nés d’un père français tandis que celle du 16 août 1940 réservait l’accès à la profession médicale aux seuls Français nés d’un père français.
[10] Né en Allemagne, ce principe a été reconnu par la Cour de justice des Communautés européennes dès 1962, dans un arrêt Bosch du 6 avril 1962 puis par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans ses arrêts Sunday Times du 26 avril 1979 et Hentrich c/ France du 22 septembre 1994. Le Conseil d’Etat semble avoir, lui aussi, consacré un tel principe dans son arrêt KPMG du 24 mars 2006.
[11] Rapport annuel du Conseil d’Etat pour 2006, p. 281.
[12] Pour une vision plus nuancée sur l’étranger comme Autre, nous renvoyons à M. SANCHEZ-MAZAS, Racisme et xénophobie, PUF, 2004.
[13] D. LOCHAK, Etrangers : de quel droit ?, PUF, 1985, p.14.
[14] Ph. RAIMBAULT, Recherche sur la sécurité juridique en droit administratif français, Thèse Toulouse 1, 2002, p. 39.
[15] Fondée aujourd’hui sur une conception volontariste, la nation apparaît comme « une communauté humaine composée de citoyens manifestant la volonté de vivre ensemble dans le but de réaliser un projet politique partagé » (S. MOUTON, « Nation », in Droit constitutionnel, Ellipses, 2004, 2ème édition, p. 38).
[16] Nous renvoyons ici à la contribution de S. BARBOU DES PLACES, « La catégorie en droit des étrangers : une technique juridique au service d’une politique de contrôle ».
[17] « L’expulsion est la décision d’une autorité publique agissant au nom de l’Etat qui enjoint à un étranger de quitter le territoire national pour des motifs d’ordre public ou de sécurité nationale », Dictionnaire permanent Droit des étrangers, Editions législatives.
[18] Loi 80-9 du 10 janvier 1980, relative à la prévention de l’immigration clandestine.
[19] En 1978 se fit jour le centre d’Arenc où des étrangers étaient retenus en attendant leur éloignement durant des semaines et dans des conditions choquantes d’autant plus qu’aucune décision judiciaire n’y autorisait l’administration.
[20] DC 79-109 du 9 janvier 1980 : « Considérant, toutefois, que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ; que, s’il en est ainsi dans le cas prévu à l’article 3 de la loi qui subordonne à la décision du juge le maintien, au-delà de quarante-huit heures, de l’intéressé dans les locaux où il est retenu, il n’en va pas de même dans le cas prévu à l’article 6 de la loi dès lors que, dans cette dernière éventualité, l’intervention du juge n’est déclarée nécessaire que pour prolonger, au-delà de sept jours, le régime de détention auquel l’étranger est soumis ; qu’ainsi, du fait qu’il prévoit que la personne expulsée, en application des dispositions du 1 au 4 dudit article 23, peut être maintenue en détention pendant sept jours sans qu’un juge ait à intervenir, de plein droit ou à la demande de l’intéressé, le sixième alinéa de l’article 23 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, tel qu’il résulte de l’article 6 de la loi soumise au Conseil constitutionnel, n’est pas conforme à la constitution ».
[21] Loi 81-973 du 29 octobre 1981, relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Elle est la première et la dernière issue d’un projet de loi préparé par le ministre de la solidarité nationale et non par le ministre de l’Intérieur.
[22] Le Haut conseil à l’intégration explique : « Le terme d’intégration (généralement référé à la situation des immigrés installés de façon durable dans le pays d’accueil) désigne à la fois un processus et les politiques qui ont pour objet de faciliter sa mise en oeuvre. Note : Le processus, inscrit dans la durée, est celui d’une participation effective de l’ensemble des personnes appelées à vivre en France à la construction d’une société rassemblée dans le respect de principes partagés (liberté de conscience et de pensée, égalité entre homme et femme par exemple) telles qu’elles s’expriment dans des droits égaux et des devoirs communs ».
[23] Loi 84-622 du 17 juillet 1984 portant modification de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
[24] Attribuée automatiquement à certaines catégories d’étrangers parmi lesquelles : les conjoints étrangers d’un ressortissant français, l’étranger justifiant d’une résidence habituelle en France de quinze ans.
[25] Loi 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.
[26] Loi 89-548 du 2 août 1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée des étrangers en France
[27] Loi 90-34 du 10 janvier 1990 modifiant l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.
[28] Loi 91-1383 du 31 décembre 1991 renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l’organisation de l’entrée et du séjour irréguliers d’étrangers en France.
[29] Loi 92-190 du 26 février 1992 portant modification de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.
[30] Loi 92-625 du 6 juillet 1992 sur la zone d’attente des ports et des aéroports et portant modification de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.
[31] Loi 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France.
[32] Loi 93-1417 du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration et modifiant le code civil.
[33] allongement de la durée de rétention et limitation du pouvoir du juge, possibilité pour le préfet d’assortir la reconduite à la frontière d’une interdiction du territoire, restriction des catégories protégées contre l’éloignement, restriction du droit à vivre en famille, suppression du droit à la protection sociale pour toute personne en situation irrégulière.
[34] Loi 94-1136 du 27 décembre 1994 portant modification de l’ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.
[35] Loi 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile.
[36] Loi 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité.
[37] Lettre de mission du Premier ministre pour le professeur P. WEIL, président de la Mission d’étude des législations de la nationalité et de l’immigration.
[38] D. BUREAU, « La codification », D. ALLAND et S. RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, p. 225.
[39] Loi 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.
[40] La codification à droit constant constitue une rupture dans les textes, mais pas dans le droit positif. Les textes antérieurs sont expressément abrogés mais leur contenu est repris dans le code.
[41] N. SARKOZY : « La loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile a créé, de ce point de vue, des failles dans le dispositif de contrôle des flux migratoires qu’il est urgent de combler » le 3 juillet 2003.
[42] La loi limita en fait les situations dans lesquelles un étranger pouvait être expulsé à la suite de l’accomplissement d’une peine de prison sans pour autant toucher véritablement au régime de l’interdiction du territoire.
[43] Ordonnance 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
[44] Décret 2006-1377 du 14 novembre 2006.
[45] Loi 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration.
[46] Loi 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile.
[47] Loi constitutionnelle 93-1256 du 25 novembre 1993 relative aux accords internationaux en matière de droit d’asile.
[48] DC 2007-557 du 15 novembre 2007.
[49] Ph. BRAUD, La Notion de liberté publique en droit français, LGDJ, 1968, p. 191.
[50] Selon Carré de Malberg, l’électoral est « la faculté pour le citoyen - électeur de participer par l’émission de son suffrage personnel, aux opérations par lesquelles le corps électoral procède à la nomination des autorités à élire ». L’éligibilité quant à elle est l’aptitude à être élu, le droit de se porter candidat aux élections c’est-à-dire le mode de nomination des titulaires du pouvoir politique.
[51] Article 5 prévoit que « nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire [...] s’il ne possède la nationalité française ».
[52] CJCE 17 décembre 1990, Commission cl Royaume de Belgique (149/79).
[53] « Considérant que les dispositions de l’article 2 de la loi n’autorisent l’accès des personnes qu’elles visent qu’à ceux des corps, cadres d’emplois et emplois dont les attributions sont "séparables de l’exercice de la souveraineté" ; que se trouve par là-même exclue toute atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ».
[54] Nous pensons notamment à la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 qui précise que « s’ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif à valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ».
[55] Refus des droits auxquels peut prétendre l’intéressé, refus d’un bien ou d’un service, licenciement ou refus d’embauche.
[56] M. Bettati, L’Asile politique en question, PUF 1985.
[57] Le bénéfice du statut de réfugié peut être étendu, au titre du principe de l’unité de famille (principe général du droit des réfugies), au conjoint ou au concubin du réfugie (condition de communauté de vie effective et nationalité identique au moment du dépôt de la demande d’asile du réfugié à titre "principal"), ainsi qu’à ses enfants mineurs à leur date d’entrée sur le territoire français.
[58] Charles de Gaulle, Discours et messages, tome 1, Pendant la guerre, juin 1940-janvier 1946, Plon, 1970, p. 530.
[59] Elle était valable dix ans et « renouvelable de plein droit ».
[60] Le terme d’assimilation « désigne le processus ou l’état par lequel l’étranger disparaît en tant que tel, se fond dans la collectivité nationale, comme un aliment est assimilé par l’organisme » (P. Broudic, La notion d’intégration, Échanges santé social, no 84, déc. 1996).
[61] B. PAVY, Les Perspectives démographiques de la France et de l’Europe à l’horizon 2030 : analyse économique, rapport d’information n° 2831 déposé le 25 janvier 2006 pour la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, p. 9.
[62] P. MENDES France, Choisir, Stock, 1974, p. 374
[63] A. SAYAD, L’Immigration ou les paradoxes de l’altérité, De Boeck, 1991, p. 61
[64] Par exemple, la Convention de l’OIT du 28 juin 1952 relative à la norme minimum de sécurité sociale (ratifiée le 14 juin 1974 par la France) pose le principe de l’égalité des droits entre résidents nationaux et non nationaux sous certaines conditions.
[65] D. LOCHAK, « Le tri des étrangers : un discours récurrent », Plein droit, n°69, 2006
[66] Lettre de C. de GAULLE, président du Gouvernement provisoire, à P-H. TEITGEN, Garde des Sceaux, 12 juin 1945
[67] Rapport précité, p. 12.
[68] Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, Immigration sélective et besoins de l’économie française, 2006, p. 4
[69] Décret 2007-372, 21 mars 2007
[70] COM (2007) 780 final, 5 décembre 2007.
[71] I. MICHALOWSKI, « Expansion ou disparition des dispositifs d’intégration des étrangers en Europe ? », Hommes et migrations, n°1261, mai- juin 2006.
[72] Loi 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile.
[73] Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile (urgence déclarée) par T. MARIANI, déposé le 12 septembre 2007, p. 9.
[74] Haut commissariat à l’intégration, Le contrat et l’intégration, Rapport à Monsieur le Premier ministre, 2003.
[75] Membres de famille entrés dans le cadre du regroupement familial, parents d’enfants français, conjoints de français, carte de résident longue durée - CE.
[76] « La fraude documentaire est devenue un phénomène endémique dans certaines régions du monde, pouvant atteindre entre 30 à 80 % des documents d’acte civil présentés dans certains pays d’Afrique. […] Afin que le doute portant sur ces actes d’état civil n’entraîne pas un rejet systématique des demandes, il est proposé de permettre au demandeur d’un visa la faculté de solliciter la comparaison, à ses frais, de ses empreintes génétiques ou de celles de son conjoint avec celles des enfants mineurs visés par la demande de regroupement familial. Cette procédure […] est utilisée par onze de nos partenaires européens », T. MARIANI lors de la discussion du projet de li le 12 septembre 2007.
[77] CCNE, « Migration, filiation et identification par empreintes génétiques », Avis n°100 du 4 octobre 2007.
[78] La preuve de la filiation par test génétique au moyen de la possession d’état ne pourra être accueillie que si, en vertu de la loi applicable aux étrangers concernés, un mode de preuve comparable est admis. Par ailleurs, les étrangers concernés devront avoir la possibilité de justifier du lien de filiation par d’autres modes de preuve, obligeant ainsi les autorités consulaires à vérifier les actes d’état civil produits avant de recourir auxdits tests.
[79] CEDH, 26 avril 2007, req. n° 25389/05, Gebremedhin c/ France.
[80] CE avis, 19 octobre 2007, M. Youssef B, req. n° 306821 : « L’obligation de quitter le territoire français est une mesure de police qui doit, comme telle, être motivée en application des règles de forme édictées, pour l’ensemble des décisions administratives, par l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979. Toutefois, la motivation de cette mesure se confond avec celle du refus ou du retrait de titre de séjour dont elle découle nécessairement et n’implique pas, par conséquent, dès lors que ce refus ou ce retrait est lui-même motivé et que les dispositions législatives qui permettent d’assortir le refus de séjour d’une obligation de quitter le territoire français ont été rappelées, de mention spécifique pour respecter les exigences de l’article 1er de la loi du 11 juillet 1979 ».
[81] C.WIHTOL DE WENDEN, « Ouverture et fermeture de la France aux étrangers. Un siècle d’évolution », Vingtième siècle, n°73, 2002, p. 38.