citation
Marion Fresia,
"De l’exil au retour : le rapatriement des Mauritaniens réfugiés au Sénégal en perspective ",
REVUE Asylon(s),
N°3, mars 2008
ISBN : 979-10-95908-07-4 9791095908074, Migrations et Sénégal.,
url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article710.html
résumé
Le 28 Janvier 2008, 103 Mauritaniens ont été rapatriés dans leurs villages d’origine par le Haut Commissariat aux Réfugiés et accueillis en grandes pompes par les autorités mauritaniennes. Après 19 ans d’exil et de silence autour de leur existence, les réfugiés mauritaniens, installés au Sénégal et au Mali depuis 1989, sont revenus sur le devant de la scène politique et médiatique mauritanienne. Cet article se propose de restituer cette actualité brûlante dans une histoire longue. Revenant sur les « événements de 1989 » et leurs causes, l’auteur rappelle dans un premier temps que la question du retour des Mauritaniens s’inscrit dans une histoire migratoire ancienne, faite de mouvements de flux et de reflux des populations halpulaaren de part et d’autre du fleuve Sénégal. Il revient ensuite sur la première tentative de rapatriement organisée par le HCR en 1996 et sur les méthodes informelles alors utilisées par l’agence onusienne et les autorités mauritaniennes pour faciliter les retours en tout « discrétion ». A la lumière du passé, l’auteur apporte enfin un éclairage sur le processus de rapatriement en cours aujourd’hui, en soulignant sa dimension sur-politisée, à la fois pour le HCR, les autorités mauritaniennes et les représentants des réfugiés. Constatant que, comme en 1996, des actions de visibilité et de court-terme ont été privilégiées sur la résolution des enjeux fonciers et politiques sous-jacents à la crise de 1989, cet article s’interroge finalement sur la capacité des acteurs internationaux comme des acteurs locaux à tirer les leçons du passé.
Mots clefs
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Note de présentation de l’auteur
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Introduction [1]
En Juin 2007, les autorités mauritaniennes ont, pour la première fois en 18 ans, reconnu l’existence de milliers de mauritaniens réfugiés au Sénégal et au Mali, dont la plupart sont des Haalpulaaren originaires du Sud de la Mauritanie. Pour la première fois également, le gouvernement a sollicité l’aide du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) pour trouver une « solution durable » à leur situation en organisant leur rapatriement collectif vers la Mauritanie. Longtemps restée taboue au sein des cercles diplomatiques, la question du retour de ces quelques 60,000 Mauritaniens expulsés par le régime Ould Taya en 1989 fait, depuis lors, l’objet d’une attention médiatique et politique sans précédent.
A l’heure où les premiers rapatriés ont été acheminés par le HCR vers leurs villages d’origine et accueillis en grandes pompes par les autorités mauritaniennes, cet article restitue cette actualité brûlante dans une histoire longue. Revenant sur les « événements de 1989 » et leurs causes, l’auteur rappelle dans un premier temps que la question du retour des Mauritaniens s’inscrit dans une histoire migratoire propre à la vallée du fleuve Sénégal, faite de flux et de reflux des populations haalpulaaren de part et d’autre de la frontière sénégalo-mauritanienne. L’auteur rappelle ensuite que l’enjeu du rapatriement des Mauritaniens remonte à 1992, lorsque le HCR et les autorités mauritaniennes ont tenté de faciliter les retours des réfugiés de manière informelle, en dehors de tout cadre juridique. Revenant sur les raisons de l’échec de cette première tentative, qui s’est heurtée aux stratégies de survie transfrontalières des réfugiés, il met en évidence les limites de la notion de « solution durable » sur laquelle le droit international des réfugiés se fonde. Enfin, au regard du passé, l’auteur analyse le processus de politisation dont le rapatriement fait aujourd’hui l’objet, et met en évidence les décalages d’attendus et de logiques d’action qui se creusent entre le HCR, les autorités mauritaniennes et les représentants des réfugiés.
1989 : retour sur le « passif humanitaire » de la Mauritanie
Les événements de 1989
En avril 1989, un incident frontalier entre éleveurs peuls mauritaniens et agriculteurs soninké sénégalais entraîne la mort de deux personnes et la prise d’otage de 13 autres. Exploité par les leaders d’opinion, il entraîne un déchaînement de violence contre les boutiques de commerçants maures installés à Dakar depuis des décennies, et des représailles sanglantes contre les Sénégalais installés à Nouakchott. Pour mettre un terme à ces violences intercommunautaires, les gouvernements sénégalais et mauritaniens décident d’organiser un pont aérien pour procéder au plus vite au rapatriement des Sénégalais et des Mauritaniens vers leur pays d’origine respectif. Plus de 50 000 commerçants maures installés au Sénégal sont ainsi ramenés en Mauritanie et autant de Sénégalais résidant en Mauritanie regagnent Dakar. Les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues et la frontière mauritano-sénégalaise fermée pour la première fois depuis les indépendances des deux pays.
Le gouvernement mauritanien, alors dirigé par le Colonel Ould Taya [2] et monopolisé par la tribu maure des Smassid, profite néanmoins du chaos général pour procéder en même temps à l’expulsion de milliers de ses propres citoyens vivant dans le Sud du pays et appartenant aux même groupes ethniques que les Sénégalais (wolof, haalpulaaren, soninké, etc.). 120 000 Mauritaniens « noirs » sont ainsi chassés de leurs terres natales et contraints de trouver refuge au Sénégal et au Mali. Dans les centres urbains, les fonctionnaires, cadres civils et militaires de l’administration, appartenant au groupe ethnique haalpulaar et soupçonnés d’appartenir à une formation politique clandestine, les Forces de Libération Africaines de Mauritanie (FLAM), sont les premières cibles des autorités. Convoqués par les autorités et dépouillés de leurs pièces d’identité, ils sont renvoyés à Dakar par voie aérienne en même temps que les Sénégalais. Dans les communes de taille moyenne (Tidjikja, Aleg, Kahedi etc.), l’expulsion s’effectue également de manière sélective : petits fonctionnaires, civils, militaires et salariés d’entreprise privée sont visés, convoqués par la préfecture et parfois emprisonnés. Leurs résidences et leurs papiers d’identité sont saisis avant qu’ils ne soient forcés de monter dans des véhicules les conduisant jusqu’au fleuve Sénégal. Dans les zones rurales du Sud du pays, majoritairement habitées par des agriculteurs et des éleveurs haalpulaaren, mais aussi par des Soninké et des Wolofs, les Mauritaniens sont chassés par village entier par les autorités de chaque circonscription administrative. Ces expulsions s’accompagnent souvent de violences et de spoliations dont les Haratîn [3] seront les fer de lance. Dépossédés de leurs biens, de leur cheptel, de leurs terres et de leurs papiers d’identité, les haalpulaaren sont acheminés jusqu’à la frontière et expulser vers le Sénégal et le Mali. Ce processus se poursuit jusqu’en 1991 et s’accompagne d’une multiplication d’arrestations arbitraires (3000 en juin 1991). Parmi les prisonniers, environ 500 militaires, soupçonnés d’être affiliés au FLAM, trouvent la mort à la suite de tortures et 28 à la suite de pendaisons (Human Rights Watch, 1994). Ces tueries resteront longtemps gravées dans les mémoires. Avec les expulsions, elles sont aujourd’hui désignées par les formations politiques mauritaniennes, les médias et la communauté internationale sous le terme générique du « passif humanitaire de la Mauritanie » [4].
Violences « interethniques » ou enjeux politiques et fonciers ?
Le « passif humanitaire » de la Mauritanie a souvent été expliqué à la lumière de ce que le discours politique mauritanien appelle « la question nationale ». Cette expression fait référence aux difficultés de cohabitation entre les deux grandes composantes de la population mauritanienne : les populations maures d’origine arabo-berbère, de tradition nomade, installées historiquement au Nord du pays (les Beydan), et les populations noires d’origine peule et soudanaise, de tradition pastorale et sédentaire, habitant le Sud de la Mauritanie (les Sudan) et regroupant par ordre d’importance les Haalpulaaren (comprenant des agro-pasteurs peuls et des populations sédentaires parlant le peul), les Soninké et les Wolofs. Médias, associations de défense des droits de l’homme et analystes politiques ont souvent interprété le conflit de 1989 comme l’aboutissement de rapports d’oppositions historiques entre les « Maures » d’un côté, et les « Noirs », de l’autre, les premiers souhaitant dominer et assujettir les seconds. Cette interprétation ethnique voire raciale des événements de 1989, opposant des Arables à des Noirs, simplifie néanmoins une réalité bien plus compliquée.
Depuis l’époque précoloniale, l’ensemble des groupes vivant de part et d’autre du fleuve Sénégal ont en effet toujours entretenu d’étroites relations politiques, économiques et matrimoniales, caractérisées par des jeux d’alliances et d’oppositions complexes, et ce jusqu’à ce jour (Sall, 1978 ; 1999). Les rapports entre ces groupes n’ont eu cesse de se recomposer au gré de l’histoire mais se sont, à l’échelle des élites, progressivement détériorés avec le lent processus de désertification ayant causé une compétition accrue pour les ressources, l’expansion du commerce transatlantique qui altéra les solidarités verticales sur lequel le commerce transsaharien se basait, mais aussi les contradictions de la politique coloniale basées sur la mobilisation des particularismes locaux. Avec l’accession de la Mauritanie à l’indépendance, la compétition entre les élites s’exprima au grand jour autour de la question du contrôle des ressources étatiques et naturelles du pays, dans un contexte de grande fragilité du nouvel Etat mauritanien. Convoité par le Maroc, qui refusa de le reconnaître jusqu’en 1967, la Mauritanie fut dès sa naissance perméable aux influences extérieures ; très vite se formèrent ainsi des mouvements politiques pro-arabes d’un côté, et des mouvements sudistes, défenseurs du panafricanisme, de l’autre.
A ce contexte politique s’ajouta dès les années 70 des conditions économiques difficiles liées à l’aggravation de la sécheresse, qui obligea plus de 60% de la population nomade maure à se sédentariser et se reconvertir partiellement à l’agriculture. Ce mouvement de repli des nomades vers le Sud du pays entraîna une pression accrue sur les seules terres fertiles du pays, situées le long du fleuve Sénégal et contrôlées par les populations sédentaires noires. De plus, l’introduction de l’agriculture irriguée liée à la mise en valeur de la vallée du fleuve Sénégal déstructura au même moment les systèmes locaux de gestion des ressources agro-halio-pastorales, qui permettaient autrefois aux éleveurs, aux agriculteurs et aux pêcheurs d’accéder aux terres du waalo à tour de rôle (Schmitz, 1989 ; Lerservoisier, 1994). Les relations entre les différents groupes se cristallisèrent ainsi en rapport de concurrence tandis que la mise en valeur des cuvettes de décrue attirait toutes les convoitises. Dans les années 80, ce climat foncier très tendu se doubla d’un autoritarisme politique croissant du régime mauritanien avec l’avènement au pouvoir du Colonel Ould Taya, suite à un coup d’Etat en 1984. Contrôlé par la tribu maure des Smassid, le nouveau gouvernement fut encore plus perméable aux influences extérieures que ses prédécesseurs, en particulier aux groupes bassistes (affiliés à l’idéologie du parti Baas irakien), puis nasséristes (affiliés à l’idéologie nationaliste arabe de l’ancien Président égyptien Nasser). Ceci accéléra la mise en œuvre d’un politique d’ « arabisation » de la société mauritanienne commencée dès la fin des années 60 qui, si elle avait au départ un caractère avant tout anti-français, eut en pratique pour conséquence de marginaliser les populations mauritaniennes noires majoritairement francophones dans l’accès à la fonction publique et à la direction des grandes entreprises.
Dans l’arène politique mauritanienne, les jeux de pouvoir entre les différentes élites politiques s’exprimèrent dès lors autour de l’ethnie puis de la race sur une opposition entre partisans d’une arabisation du pays et défenseurs de la revalorisation des cultures « négro-africaines ». Comme l’administration coloniale autrefois, chaque partie eut recours à ce type de discours identitaires et ethno-nationalitaires, basés sur les particularismes locaux, pour mobiliser des partisans et maintenir leurs acquis politiques et économiques et/ou en négocier de nouveaux. Parmi les groupes d’origine peule et soudanaise, les Haalpulaaren se montrèrent particulièrement bien organisés et constituèrent une formation politique clandestine très active, les FLAM. Ils publièrent en 1986 un « Manifeste du Négro-mauritanien opprimé » dénonçant les discriminations subies par les Mauritaniens noirs dans toutes les sphères de la société et se basant sur une opposition entre une identité « négro-mauritanienne opprimée » et un « système ethno-fasciste Beydan (maure) ». C’est cette ethnicisation voire cette racialisation des enjeux politiques et fonciers qui aboutit finalement à l’expulsion forcée de milliers de Mauritaniens noirs en 1989 (Fresia, 1999) [5]. L’objectif des autorités mauritaniennes était donc double : d’une part, elles souhaitaient récupérer les seules terres fertiles de la Mauritanie en chassant les populations qui les contrôlaient historiquement. Ces terres, désertées, furent ensuite principalement redistribuées à des Haratîn, appartenant aux clientèles politiques au pouvoir en place. Ces-derniers furent également installées dans les villages autrefois occupés par les populations haalpulaaren. D’autre part, le gouvernement souhaitait miner une opposition politique devenue gênante depuis le début des années 80, parce que dénonçant sans relâche les « pratiques esclavagistes et discriminatoires du système beydane ».
Des réfugiés sur leur propre territoire
Dépossédés de leurs papiers d’identité, de leurs biens, de leur cheptel et de leurs terres, la plupart des Mauritaniens furent chassés vers le Sénégal et les autres vers le Mali [6]. Du point de vue de l’histoire longue, ce mouvement de repli des populations noires vers le Sud du fleuve n’était toutefois pas nouveau. Il faisait tristement écho à celui de la fin du 18ème siècle, lorsque les populations riveraines du fleuve, fuyant les razzias des tous nouveaux émirats maures, durent renoncer à leurs terres côté mauritanien pendant presque un siècle. En fait, l’histoire de la vallée du fleuve Sénégal a toujours été marquée par des mouvements de flux et de reflux des populations haalpulaaren de part et d’autre du fleuve. On peut ainsi distinguer trois grandes périodes : une période de domination peule (dynastie DenyankooBe) sur toute la moyenne vallée du fleuve Sénégal, rive gauche et rive droite comprises, entre le 16ème et le 18ème siècles ; une période de repli partiel sur la rive gauche du fleuve entre la fin du 18ème et la moitié du 19ème siècle consécutive au renversement de la dynastie DenyankooBe par le mouvement religieux des torooBe ; et enfin un mouvement massif de réoccupation des terres sur la rive droite, encouragé au début du 20ème siècle par l’administration coloniale du tout nouveau protectorat de Mauritanie [7]. A l’exception de la première moitié du 19ème siècle, les familles haalpulaaren avaient toujours été réparties sur les deux rives du fleuve et faisaient sans cesse des aller-retour d’une rive à l’autre pour rendre visite à des parents, s’approvisionner ou vendre des marchandises, cultiver des terres ou encore rechercher des espaces de pâture. Lorsque le fleuve fut reconnu comme frontière internationale en 1960 avec l’accession de la Mauritanie et du Sénégal à l’indépendance, ces pratiques ne disparurent pas : elles devinrent simplement « transfrontalières » du point de vue des Etats-Nations. Même si elles jouaient sur le cadre national et sur l’existence des frontières pour négocier ou cumuler des droits fonciers ou politiques, et ce depuis l’émergence des protectorat de Mauritanie en 1904 (Leservoisier, 1999), dans leur quotidien, les populations riveraines du fleuve ne tenaient pas compte des entités étatiques nouvellement constituées. Dans la langue peule, les termes de « Mauritanie » et « Sénégal » n’existent d’ailleurs pas, ces deux pays étant désignés respectivement comme le « Nord » (rewo) et le « Sud » (worgo), du Fuuta Tooro, le pays des Haalpulaaren.
Au Sénégal, les Mauritaniens chassés par leur gouvernement n’arrivaient donc pas en terre inconnue puisqu’ils comptaient parmi les populations de leur zone d’accueil de proches parents et avaient, pour certains, des terres ou du cheptel. En 1989, le contexte est toutefois radicalement différent de celui qui prévalait lors du mouvement de reflux de la fin du 18ème siècle : les Etats-Nations sont nés et, contrairement à leurs ancêtres, les Haalpulaaren ne se replièrent pas sur la partie Sud de leur territoire politique, ils franchirent cette fois-ci une frontière internationale. Ce simple fait sera lourd de conséquences. Dans le cadre contemporain des Etats-Nations, le passage d’une frontière justifie en effet l’attribution du statut de « réfugié » à toute personne ayant perdu la protection de son pays. De fait le gouvernement sénégalais leur accorda une protection de prima facie et fit également appel au HCR pour leur apporter une assistance matérielle. Ainsi, les Mauritaniens furent regroupés dans plus de 280 sites de réfugiés le long de la vallée du fleuve Sénégal où ils reçurent une aide humanitaire du Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) pendant presque dix ans dans des domaines aussi divers que l’alimentation, l’eau, la santé, l’éducation, l’agriculture et le micro-crédit. Ils bénéficièrent également de la protection internationale du HCR, leur garantissant de ne pas être refoulés vers leur pays d’origine.
Pour avoir traversé cette frontière, les haalpulaaren deviendront donc des « réfugiés » sur leur propre territoire historique. Ce statut les placera au cœur d’un dispositif institutionnel complexe, comprenant des administrations gouvernementales, inter-gouvernementales et non gouvernementales, chargées d’assurer leur protection, leur survie mais aussi leur devenir. Or d’après les textes internationaux, qui se basent sur une conception nationale et souveraine de l’identité (Coulter, 2001 ; Malkki, 1995) le devenir de tout réfugié doit être de retrouver dès que possible la protection juridique de son pays (via le rapatriement) ou à défaut celle d’un pays tiers (via la naturalisation). Dans cette perspective, il ne peut donc y avoir que trois « solutions durables » à l’exil des réfugiés : le rapatriement, l’intégration dans un premier pays d’accueil ou à défaut la réinstallation dans un deuxième pays d’accueil.
Le HCR et ses bailleurs de fonds définissent aujourd’hui le rapatriement comme la « solution durable » prioritaire à rechercher. Comme ailleurs en Afrique, l’institution se donnera ainsi pour priorité d’organiser dès que possible le retour des Mauritaniens dans leur pays d’origine. En accord avec son mandat, elle contribuera ainsi à faciliter un nouveau mouvement de réoccupation de la rive droite mauritanienne par les populations haalpulaaren, comme l’administration coloniale l’avait fait un siècle plus tôt.
1996 : l’encouragement aux retours « informels »
Un climat politique défavorable
Dès 1992, le rétablissement des relations diplomatiques entre le Sénégal et la Mauritanie, la réouverture de la frontière et la « démocratisation du pouvoir » en Mauritanie [8] laissent entrevoir la possibilité d’organiser le retour des réfugiés. Le HCR commence à subir des pressions de la part de la France et des Etats-Unis pour diminuer l’aide alimentaire donnée aux réfugiés et les encourager à regagner leurs terres d’origine (HCR, 1992-93). Les principaux bailleurs de fonds craignent en effet que l’activisme politique des réfugiés dans les sites de la vallée du fleuve Sénégal n’entraîne une nouvelle déstabilisation de la région où d’importants capitaux avaient été investis dans le cadre de la construction de deux grands barrages et de la mise en valeur des terres. De fait, le regroupement de populations d’origine diverses dans des sites de réfugiés permit aux FLAM d’élargir considérablement leur base militante et de sensibiliser leurs habitants à leurs thèses. Dans les camps, les réunions politiques étaient alors nombreuses et fréquentes. Des entraînements militaires étaient effectués en toute discrétion dans les zones pastorales, et des actions ciblées contre les bâtiments de l’Etat mauritanien étaient organisées de nuit, avant qu’elles ne se transforment en des razzias transfrontalières peu coordonnées consistant à voler le bétail et les biens des populations mauritaniennes (Fresia, 2003).
Pour faire cesser ces activités, le HCR s’évertue pendant trois années à persuader les différents protagonistes - gouvernement mauritanien, gouvernement sénégalais et représentants des réfugiés – d’organiser le rapatriement des Mauritaniens sous son égide. Toutefois, ses efforts se heurtent au refus du gouvernement mauritanien de reconnaître l’existence des réfugiés et de s’engager dans des négociations avec le Sénégal autour de la signature d’un accord tripartite (entre le Sénégal, le HCR et la Mauritanie), devant servir de base juridique à l’organisation de tout retour officiel. Pour le Président Ould Taya, alors toujours au pouvoir, accepter le retour officiel des Mauritaniens aurait en effet signifié l’aveu public de sa responsabilité dans l’exil forcé de milliers de ses citoyens. Le Président mauritanien se contente alors de déclarer que « si des réfugiés mauritaniens existent, qu’ils rentrent, les frontières sont ouvertes ». Loin d’être neutre, cette position signifiait en réalité qu’il laissait au HCR la possibilité de faciliter les retours, à condition que le processus reste informel et discret.
Malgré ce feu vert tacite, le HCR n’arriva pas à convaincre les réfugiés de rentrer chez eux. La majorité d’entre eux, membre des FLAM, réclamait en effet que certaines conditions soient au préalable réunies pour leur assurer le droit à un retour « digne », à savoir : un retour organisé de manière officielle sous l’égide du HCR, la reconnaissance de la citoyenneté mauritanienne, la restitution des terres et des biens spoliés ou à défaut une juste indemnisation, la réinsertion des fonctionnaires dans l’administration publique et le jugement des auteurs des crimes de 1989. Bien qu’officiellement opposés à un retour sans garantie, de nombreux Mauritaniens décidèrent néanmoins dés 1993-1994 de retourner dans leur village d’origine pour tenter d’y récupérer leurs terres et leurs habitations. Ces retours « spontanés », qui se sont étalés jusqu’en 98 et après, se faisaient toutefois en toute discrétion, sans en avertir le HCR. Les Mauritaniens souhaitaient en effet conserver leur statut de réfugié au Sénégal qui leur donnait la possibilité de se faire entendre auprès de la communauté internationale pour réclamer la reconnaissance des préjudices subis en 1989 et la restitution de leurs droits. Or, déclarer leur retour aurait impliqué la perte automatique de leur statut, le droit international des réfugiés considérant qu’une situation d’exil prend fin dès lors que le réfugié retrouve la protection de son pays d’origine.
Organiser le retour à tout prix
Devant le blocage de la situation, des moyens plus informels sont alors déployés par le HCR à partir de 1995 pour faciliter et accélérer ces retours « spontanés », et ceci avec l’accord tacite du gouvernement mauritanien et des bailleurs de fonds. La première mesure consista à diminuer puis arrêter la distribution des vivres, perçue par le HCR et les gouvernements comme un facteur de rétention des réfugiés dans les camps. Elle fut officiellement justifiée par les conclusions d’une mission conjointe PAM/HCR, qui établit que les réfugiés auraient atteint « un niveau d’autosuffisance alimentaire globalement satisfaisant » (HCR, 1997). Les raisons politiques du retrait de l’assistance (mettre un terme au processus de politisation des camps) furent donc tues au profit d’un critère « nutritionnel ». La seconde mesure consista à mener une campagne informelle de sensibilisation des réfugiés pour les informer de la situation qui prévalait en Mauritanie. Sur la base de données recueillies par un consultant, la délégation du HCR au Sénégal expliqua aux réfugiés que la sécurité était rétablie en Mauritanie et que l’administration se montrerait conciliante pour faciliter leur réinsertion dans leur village d’origine et leur délivrer de nouveaux papiers d’identité. Il est néanmoins précisé aux anciens salariés qu’ils ne pourront probablement pas réintégrer leurs fonctions du fait des « conditions imposées par la Banque Mondiale et le FMI » en Mauritanie (HCR, 1997). Là encore, le discours officiel est aseptisé afin de ne pas accuser directement le gouvernement mauritanien d’avoir une politique discriminante envers les cadres haalpulaaren appartenant à l’opposition politique. Sont enfin soulignées quelques difficultés concernant la possibilité de retrouver « toutes » les terres.
Mais c’est surtout de l’autre côté du fleuve que la délégation du HCR en Mauritanie joua un rôle très actif dans l’encouragement aux retours et dans leur facilitation. A défaut de pouvoir organiser un rapatriement officiel sous son égide, l’organisation obtint du gouvernement mauritanien l’autorisation d’offrir aux populations déjà revenues chez elles spontanément des projets devant faciliter leur réinsertion plus connus sous le nom de « programme spécial de réinsertion rapide » (PSIR). Elle obtint de la part des ambassades représentées en Mauritanie un total 1,5 millions de dollars pour la mise en œuvre du programme. Les projets concernaient à la fois une assistance juridique pour aider les Mauritaniens à obtenir une reconnaissance de leur citoyenneté et des papiers d’identité, et la mise en place de projets « communautaires à impact rapide » dans les secteurs de l’habitat, de l’hydraulique, et surtout de l’agriculture (HCR, 2000). Sa mise en œuvre fut néanmoins limitée à seulement 5000 rapatriés du fait de la difficulté pour le HCR à trouver des « bénéficiaires », la plupart des réfugiés n’ayant pas souhaité se déclarer auprès de l’institution, mais aussi parce que les villages de retour étaient souvent dispersés et/ou difficiles d’accès. Malgré ses faiblesses, bien connues du personnel du HCR, le PSIR était finalement le seul moyen acceptable pour les autorités mauritaniennes, pouvant permettre une implication du HCR dans le processus de retours spontanés des réfugiés. Or pour la représentation du HCR en Mauritanie, cette implication était décisive : elle mettait en jeu sa réputation en tant qu’institution mandatée à trouver des solutions durables à des situations d’exil et donc supposée montrer aux bailleurs de fonds des actions visibles allant dans ce sens ; elle permettait aussi à la délégation du HCR de Mauritanie de s’accroître en taille et en nombre de personnel [9] ; enfin, la réussite de l’opération pouvait déterminer l’évolution positive des carrières du personnel impliquées dans la gestion de ce programme.
Alors que le HCR encourageait les retours depuis la Mauritanie, les autorités mauritaniennes promirent de leur côté aux réfugiés qu’ils seraient aidés dans toutes leurs démarches pour retrouver leurs biens et leurs terres. Selon certains réfugiés, le gouvernement aurait ainsi dépêché de manière tout à fait informelle certains haalpulaaren de parenté très proche avec les réfugiés pour les diviser entre eux et les convaincre de revenir « sans faire de bruit », en échange d’avantages divers. De fait, les réfugiés se divisèrent autour de la question du retour, certains –les FLAM - affirmant qu’il ne fallait pas accepter un retour sans condition ; et d’autres – les FRUIDEM, autre grand parti implanté dans les sites de réfugiés et affilié au MND (mouvement national démocratique) appartenant à l’opposition mauritanienne officiellement reconnue (UFD/EN) – pensant au contraire qu’il fallait se saisir de la première opportunité pour rentrer au pays et se battre de « l’intérieur ».
Ainsi, les retours furent encouragés de toutes parts, et plus particulièrement en Mauritanie où les intérêts du HCR-Mauritannie, du gouvernement tout comme des bailleurs de fonds convergeaient vers la volonté de faciliter les retours spontanés pour éviter que la situation politique ne s’envenime dans la vallée du fleuve Sénégal. Toutefois, devant le refus du gouvernement mauritanien d’officialiser sa position, ces retours se firent en dehors de tout cadre juridique et par des méthodes informelles pour le moins contestables (promesses de dons inexistants, information biaisée sur les conditions prévalant en Mauritanie, etc.). Seul un recensement des candidats au rapatriement effectué un an après le début du PSIR devait marquer une tentative d’officialisation de l’opération, mais non seulement il provoqua la colère du gouvernement mauritanien, mais en plus, ses résultats annonçaient l’échec inévitable d’une telle entreprise avec seulement 2922 « candidats officiels au retour » identifiés sur les 50 à 60 000 réfugiés recensés par le HCR (HCR, 1996).
Les limites de la notion de « solution durable »
Il reste difficile d’établir combien de réfugiés exactement sont revenus spontanément au cours de cette première vague de retours étant donné leur caractère informel et politiquement sensible, et par conséquent le manque de fiabilité des statistiques officielles. Selon le HCR, sur les 70 000 réfugiés arrivés en 1989, 35 000 personnes seraient rentrées spontanément (HCR, 2000). Les réfugiés indiquent de leur côté qu’environ la moitié d’entre eux est rentrée, mais ils précisent qu’une majorité parmi ces « retournés » a laissé certains membres de leur famille dans les camps et continue de faire des allers-retours entre le Sénégal et la Mauritanie comme ils l’avaient toujours fait. D’après nos propres enquêtes, il semble en effet que certains (une minorité) sont repartis définitivement, accompagnés de toute leur famille et que d’autres (une majorité) ont laissé une partie de leurs proches dans les sites de réfugiés afin de maintenir leur positionnement politique vis à vis du gouvernement mauritanien. Parmi ceux rentrés avec leurs proches, on distingue au moins deux catégories de personnes qui se trouvent à l’opposé de l’échiquier social : ceux qui n’ont pas réussi à trouver une activité économique leur permettant d’assurer leur survie au Sénégal. Attirés par les promesses du HCR, leur retour était lié à l’espoir de retrouver leurs terres, d’améliorer leur situation et/ou d’obtenir une assistance de la part du HCR. A l’inverse, on trouve également des notables, plutôt aisés, qui sont repartis dans leur village d’origine pour des questions politiques, et non économiques, afin de s’affranchir du pouvoir des chefs de site de réfugiés ou bien de leurs parents sénégalais. Dans ce cas, ces personnes avaient encore des parents ou connaissances susceptibles de les soutenir dans leurs démarches côté mauritanien. Rentrer était donc une stratégie de dissidence.
La plupart des familles élargies ont néanmoins choisi de se disperser de part et d’autre du fleuve Sénégal, afin de conserver leur statut de réfugié et leurs acquis fonciers et économiques sur la rive gauche, tout en essayant de récupérer leurs terres et leurs habitations sur la rive droite. Si pour le HCR, tout retour volontaire dans le pays natal entraine l’activation des clauses de cessation du statut de réfugié, du point de vue des Mauritaniens, il n’était donc pas contradictoire de maintenir et défendre leur statut de réfugié, tout en rentrant de manière définitive ou temporairement dans leur pays d’origine. Pour eux, la dispersion de leurs familles de part et d’autre du fleuve s’inscrivait dans une histoire longue et dans une volonté de conserver un patrimoine foncier et économique sur leur territoire historique, le Fuuta Tooro.
Outre la dimension historique des va-et-vient entre les deux rives du fleuve, ce mouvement de retour ne pouvait pas non plus être « durable » au sens où le HCR l’entendait du fait des nombreuses difficultés que les Mauritaniens rencontrèrent dans les zones de retour. D’après le peu de documentation disponible sur la question [10], nous savons que les Haalpulaaren devaient s’adresser au gouverneur ou au préfet pour retrouver leurs terres et au tribunal pour obtenir des papiers d’identité. En pratique, ils n’ont néanmoins pas obtenu de reconnaissance officielle de leur citoyenneté mauritanienne ou bien ont du attendre des délais souvent très longs (Gnusci & Trémoilières, 2004 ; Ciavollela, 2008 : 456). La plupart d’entre eux, n’ayant pas souhaité, ou pas pu, recevoir une assistance juridique du HCR, ont ainsi activé leurs réseaux de relations pour obtenir des papiers par voie informelle, réseaux qu’ils n’avaient pas toujours. En ce qui concerne les terres agricoles et villageoises, seule une minorité a été rendue aux intéressés. La plupart ont été réoccupées et exploitées par d’autres, et en particulier par les Haratîn qui y ont acquis des droits fonciers en les valorisant. Certains réfugiés ont introduit des réclamations faisant valoir leurs droits « coutumiers » sur ces terres mais certains litiges restent non résolus jusqu’à ce jour tandis que d’autres ont trouvé une issue positive grâce à des arrangements informels ou au soutien de certaines notabilités, dont les rapatriés sont devenus les clients.
Mais dans une majorité de cas, les autorités ont préféré éviter les conflits en allouant aux réfugiés de nouvelles terres non aménagées, situées le plus souvent loin du fleuve, dans des zones où les sols sont plus pauvres et la pression foncière moins importante (Niakyar, Fass, Keur Madiké et Falakone dans le Trarza et, Ganki Dombudji ou Paliba dans le Gorgol). Toutefois, leurs nouveaux villages ne furent pas toujours reconnus par les autorités ce qui affaiblissait leur représentativité politique et leur possibilité de s’intégrer dans les réseaux politiques et clientélistes locaux. Au sujet des réfugiés rentrés du Mali (FulaaBe et FulBe jeeri), Ciavollela note ainsi qu’ils ont été au mieux considérés comme de simples « hôtes » sur la terre d’autrui mais le plus souvent comme des « envahisseurs » (Ciavollela, 2008 : 457-458).
Enfin, les projets du HCR dans le cadre du PSIR ont été insuffisants pour appuyer le retour des réfugiés puisque d’une part, ils n’ont concerné qu’une minorité, et que d’autre part, ils ont connu d’importants blocages administratifs du fait de l’absence de volonté politique du gouvernement de recenser les rapatriés et reconnaître leur nationalité. Ainsi, tout dépendait du bon vouloir des autorités locales : d’après les rapports internes au HCR (1998), la situation était particulièrement difficile dans certaines régions telles que le Gorgol ou le Kankossa [11] tandis que les autorités semblaient plus conciliantes dans le Brakna ou la Trarza. La possibilité de retrouver ses terres ou ses habitations variait finalement selon le bon vouloir des gouverneurs, eux-mêmes soumis aux exigences du Ministère de l’Intérieur.
A la lumière de cette première tentative de retour organisé des Mauritaniens mais aussi au regard de l’histoire longue, on peut dors et déjà percevoir les limites de la notion de « solution durable » telle qu’elle est prônée par le HCR.
D’une part, on constate que les haalpulaaren de Mauritanie n’ont pas « attendu » le HCR et l’application du droit international pour rejoindre leur pays d’origine. Dès la réouverture de la frontière, les Mauritaniens ont commencé à rentrer eux-mêmes, sans se déclarer auprès des autorités. Ils ont tenté de sécuriser leur situation et de récupérer leurs biens en Mauritanie, non pas en s’en remettant aux institutions internationales, mais avant tout en s’appuyant sur des réseaux de parenté et d’amitié transfrontaliers. Dans certains cas, ces réseaux leur ont permis d’obtenir, par voie informelle, des papiers d’identité sénégalais et/ou mauritaniens tout en conservant leur statut de réfugié et de négocier un accès aux ressources locales, tant côté mauritanien que sénéglais (Fresia, 2007). Si le droit international des réfugiés s’appuie sur le cadre des Etats-Nations et sur la citoyenneté « formelle » pour mettre un terme à des situations d’exil, les Haalpulaaren se sont eux appuyés sur un cadre qui dépasse les frontières nationales et sur des normes de citoyenneté « locale » qui reposent sur les appartenances parentales et amicales, et non pas nationales. Les solutions durables, définies dans le cadre rigide des Etats-Nations, semblent donc ne pas correspondre aux réalités des pratiques.
D’une part, on constate que, d’un point de vue du droit moderne, le HCR n’a pas non plus réussi à clarifier le statut juridique des Mauritaniens en l’absence de cadre juridique formel et de volonté politique du gouvernement de réintégrer ses citoyens sur son territoire. En souhaitant à tout prix participer au processus de retours spontanés des réfugiés pour des questions de visibilité, l’agence onusienne a même fragilisé leur situation en accentuant l’écart entre une minorité (5000 personnes) qui ont bénéficié de ses services, et une majorité qui est restée dans un entre-deux juridique incertain, pouvant faire à tout moment l’objet d’une exploitation politique. En Mauritanie, la majorité des réfugiés mauritaniens n’a en effet pas obtenu de reconnaissance officielle de leur citoyenneté mauritanienne mais uniquement, dans certains cas, des papiers d’identité par voie informelle ou frauduleuse. Quant à ceux restés au Sénégal, ils n’ont jamais été naturalisés officiellement par le gouvernement, tandis que leur statut de réfugié ne leur est plus reconnu collectivement depuis 2001 [12]. Les autorités mauritaniennes et leurs homologues sénégalais ont largement participé à ce processus : le premier en acceptant de facto que les réfugiés rentrent tout en leur excluant l’accès à la citoyenneté, et le second en acceptant de facto qu’ils s’installent au Sénégal tout en revenant sur leur décision de leur octroyer l’asile de manière collective et a priori.
Ainsi, même si les réfugiés disposent de réseaux sociaux transfrontaliers pour sécuriser leur situation, d’un point de vue du droit formel (moderne), celle-ci n’est pas clarifiée que ce soit en Mauritanie ou au Sénégal ; or l’absence d’une clarification de leur statut ou d’une reconnaissance officielle de leur citoyenneté nationale laisse la porte ouverte à toutes sortes de récupérations politiques à l’échelle locale, quant à leurs origines, leurs droits d’installation et leurs droits d’accès aux ressources locales (Fresia, 2006). Avec le coup d’Etat d’août 2005 et l’avènement d’un nouveau pouvoir en Mauritanie, une opportunité de sortir de cette situation d’entre-deux juridique s’est néanmoins offerte aux Mauritaniens réfugiés au Sénégal et au Mali.
2008 : l’organisation du rapatriement « officiel »
Un climat politique plus favorable mais surpolitisé
En Août 2005, le Président Ould Taya, au pouvoir depuis 1984, est renversé par un coup d’Etat militaire sans effusion de sang. Un gouvernement transitoire, dirigé par Ely Ould Mohamed Vall, se met en place et annonce l’organisation d’élections démocratiques dans les deux années à venir. Dès le mois de Mai 2006, Ould Vall annonce publiquement son intention d’amorcer un processus de résolution de la question des réfugiés mauritaniens installés au Sénégal et au Mali. Pour la première fois en 17 ans, les autorités mauritaniennes reconnaissent ainsi implicitement l’existence d’un « passif humanitaire » ayant causé l’exil de milliers de Mauritaniens. La question du retour des réfugiés est placée au cœur des débats qui précéderont les élections municipales et législatives de novembre 2006 et surtout les présidentielles de mars 2007. Le 29 Juin 2007, trois mois seulement après son élection, le nouveau Président Mauritanien Sidi Ould Cheikh Abdallahi annonce de son côté, dans un message adressé à la Nation, sa volonté d’organiser le retour au pays de ses concitoyens mauritaniens réfugiés au Sénégal et au Mali avant la fin de l’année 2007. Cette déclaration s’accompagne d’une série de mesures très concrètes devant faciliter ce retour : la sollicitation officielle des services du HCR pour encadrer le processus, la mise sur pied d’une commission interministérielle chargée du suivi de ce dossier, l’envoi d’une délégation ministérielle au Sénégal et au Mali pour rencontrer les réfugiés, l’annonce de l’organisation de Journées Nationales de Concertation entre les différents composantes de la société civile mauritanienne, ayant pour objectif de fixer un calendrier ainsi que les modalités concrètes du retour.
La donne politique change ainsi complètement par rapport au contexte qui dominait lors de la première vague de retours en 1996 : pour la première fois en 17 ans, la problématique des Mauritaniens réfugiés au Sénégal et au Mali est placée au cœur de la scène politique et médiatique mauritanienne. On peut dès lors s’interroger sur les motivations des autorités mauritaniennes : pourquoi, après tant d’années de silence autour de cette question, avoir choisi de redonner autant de visibilité au « passif humanitaire » de l’Etat mauritanien. La réponse semble se trouver du côté des engagements pris par le gouvernement transitoire d’Ould Mohamed Vall auprès de l’Union Européenne pour obtenir son soutien politique et financier. En ce qui concerne le respect des droits de l’homme, le gouvernement s’était engagé à « lancer immédiatement le processus de création d’une Commission Nationale Indépendante des Droits Humains, et à faciliter le retour des réfugiés dont la nationalité mauritanienne est établie et à prendre des mesures nécessaires pour leur réintégration dans leurs droits y compris dans le cas des fonctionnaires » (engagement n°14). Plusieurs mois plus tard, dans une décision datée du 15 Mai 2006, le Conseil de l’UE demande explicitement au premier ministre mauritanien de respecter ses engagements et mentionne, en particulier, celui relatif au retour des réfugiés et à la restauration de leurs droits (Décision 8902/06). C’est donc deux semaines seulement après avoir reçu ce premier « avertissement » de l’UE que le gouvernement transitoire promet d’organiser le rapatriement des Mauritaniens. Celui-ci est alors contacté au même moment par le HCR qui, pris de cours, souhaitait se positionner dans un débat qui le concernait en premier lieu en offrant aux autorités mauritaniennes ses services.
Comme en 1996, les bailleurs de fonds, et en particulier l’UE, ont donc joué un rôle important en posant les premiers la question du rapatriement des exilés et du rétablissement de leurs droits. Toutefois, contrairement au contexte politique de 1996, les nouvelles autorités mauritaniennes ont cette fois-ci accepté de se plier aux exigences de l’UE et ont manifesté une réelle volonté politique d’organiser le rapatriement. Mais cette position n’était pas dénuée de tout intérêt puisque le nouveau gouvernement recherchait avant tout à redorer l’image du pays, dégradée par 20 ans de pouvoir du Président Ould Taya, afin d’obtenir le soutien de l’UE. La question du rapatriement des réfugiés restait donc malgré tout aussi politisée qu’avant. Elle fit très vite l’objet d’inévitables processus de récupération par une diversité d’acteurs à la fois dans les arènes gouvernementales et non gouvernementales mais aussi au sein des cercles onusiens et parmi les représentants des réfugiés. Ainsi, certains mouvances pro-arabes se montrent fortement réticents au processus, prétextant que le retour des Mauritaniens pourrait entrainer un afflux de nouveaux « migrants clandestins » mais craignant en réalité de perdre certains de leurs acquis politiques et économiques (Walfadjri, août 2007). Parmi les exilés, la question a également entraîné de nouvelles divisions. Au sein de la diaspora mauritanienne basée dans les pays occidentaux, on assiste ainsi à une scission historique au sein du mouvement des FLAM avec la création des FLAM/Rénovation qui décide de rentrer au pays afin de participer, sur place, aux négociations autour de la question du retour des Mauritaniens, tandis que l’aile « dure » du parti décide d’attendre encore pour voir quelles sont les intentions réelles du nouveau gouvernement. En Mauritanie, au sein de la coalition des partis de l’opposition, la formation ADJ/MN créée autour du candidat haalpulaar Ibrahima Sarr, adopte une position plus conciliante encore : elle soutient le mouvement de retour tout comme en 1996, les FUIDEM (alors affiliés à l’UFD/EN) encourageaient les réfugiés à rentrer chez eux. Les divisions politiques parmi les élites haalpulaaren s’accompagnent parallèlement d’une multiplication de mouvements associatifs parlant au nom des réfugiés, en France, au Sénégal et au Mali, mais constituant bien souvent des coquilles vides. En Mauritanie, de nouvelles associations de victimes voient par ailleurs le jour afin de réclamer leur part dans la réparation des préjudices liés au passif humanitaire : ceux rentrés spontanément entre 92 et 96 se constituent ainsi en association, de même que les Haratîn chassés du Sénégal en 1989, aussi appelés les « Moussafrines », ou bien encore les femmes veuves, les orphelins, etc.
Cet émiettement politique et associatif a finalement contribué à rendre les négociations autour du retour extrêmement complexes et politisées dans un contexte d’incohérences et de contradictions observées autour dans la mise en œuvre concrète du processus de retour des Mauritaniens par le HCR et les autorités mauritaniennes.
Un rapatriement à plusieurs vitesses
A peine sept mois après la déclaration présidentielle de Juin 2007, le premier convoi de rapatriés est organisé conjointement par les autorités mauritaniennes, le HCR-Sénégal et le HCR-Mauritanie. Toutefois, ce convoi ne compte pas plus d’une centaine de personnes, alors que les chiffres du HCR annonçaient le rapatriement d’au moins 7000 personnes avant fin 2007 tandis que les autorités avaient promis que « tous » les réfugiés rentreraient avant la fin de l’année. Les premières familles sont accueillies en grandes pompes par les autorités mauritaniennes et la toute nouvelle Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés (ANAIR). Mais très vite, les espoirs sont déçus. Les familles de réfugiées, constituées en majorité de femmes veuves ou divorcées, peu politisées et mal informées, sont installées dans leur village ou leur quartier d’origine [13] qui, soit, ont été réoccupés par d’autres, soit, sont dépourvus de toutes infrastructures (eau potable, latrines, dispensaires, écoles). Elles sont abritées provisoirement sous des bâches du HCR au sein desquelles la chaleur est insoutenable et reçoivent une dotation en vivres ainsi qu’une petite somme de 3500 ouguiyas, (environ 10 euros) faisant office d’ « indemnisation » pour les préjudices subis en 1989. Modique, cette somme est jugée inacceptable et ne permet de vivre que quelques jours. Outre cette dimension économique, les questions d’ordre politique et juridique étaient par ailleurs loin d’être résolues : l’enjeu, crucial, d’obtenir des titres fonciers permettant de récupérer en toute légalité les terres agricoles, pastorales mais aussi villageoises réoccupées par d’autres restait en suspens de même que la question de la reconstruction des habitats et de l’accès aux services publics. Pourtant, pour avoir envoyé plusieurs missions sur le terrain et ouvert des bureaux dans les zones de retour, le personnel du HCR savait bien que la situation dans les villages et les quartiers d’origine des réfugiés n’était pas encore viable. Alors pourquoi tant d’empressement de la part de l’agence onusienne ?
Pour le personnel du HCR, la main tendue du gouvernement fut analysée comme une chance ultime de trouver enfin une solution « durable » à l’exil des réfugiés mauritaniens. Il s’agissait donc de la saisir et d’agir vite tant que les bailleurs et les médias avaient leur attention portée sur le dossier mauritanien et que les autorités manifestaient leur volonté de résoudre la question du « passif humanitaire ». L’institution avait, de plus, déjà essuyé de nombreuses critiques pour n’avoir pas réussi à assurer la protection des Mauritaniens au Sénégal (le gouvernement refusant aujourd’hui de les reconnaître comme tels) ni à organiser leur rapatriement sous son égide. Il lui fallait donc à tout prix réussir cette opération pour sauver sa crédibilité. Sous pression (à la fois politique et médiatique), le HCR s’est ainsi mobilisé rapidement aussi bien à Dakar qu’à Nouakchott pour coordonner une opération, qui n’avait à ses yeux, aucune dimension humanitaire mais une dimension avant tout politique et juridique. A cela s’ajoutaient les motivations personnelles des représentants du HCR basés au Sénégal et en Mauritanie : étant en poste pour durée de 4 ans maximum - le personnel du HCR étant soumis à un système de rotation - ils espéraient s’attribuer la réussite éventuelle de cette opération de rapatriement inespérée. A Genève, au siège de l’organisation, le dossier mauritanien est également suivi de très près. Dès le mois de Juillet 2007, il est décidé, sur demande du Haut Commissaire, de constituer une cellule spéciale de coordination de l’opération « mauritanienne », regroupant les représentants des bureaux régionaux pour l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb, ainsi que des représentants du département pour la protection et du département pour les opérations. Procédure inhabituelle pour une opération de cette (petite) taille, la création de cette cellule marquait toute l’importance attachée au suivi du processus considéré comme extrêmement délicat et risquant à tout moment de « déraper » du fait de la sur-politisation de la problématique des réfugiés en Mauritanie depuis 1989.
Dès la fin du mois de juillet, une équipe d’ « urgence » est déployée pour plusieurs semaines dans la vallée du fleuve Sénégal pour rencontrer les chefs des principaux sites de réfugiés côté sénégalais, identifier l’état des infrastructures dans les zones de retour côté mauritanien, et recenser les points de passage au niveau de la frontière et les difficultés logistiques qu’entraînerait l’acheminement des réfugiés jusqu’à chez eux (HCR, Juillet 2007). En Août, un exercice de « profilage » des réfugiés est ensuite effectué pour mieux connaître leur profil socio-économique et permettre un premier recensement des personnes candidates au retour (HCR, août 2007a). Le recueil de ces données était indispensable pour la planification de l’opération de retour et l’élaboration d’un budget indicatif. A cet exercice, les Mauritaniens répondent en majorité par des déclarations d’intention de retour positives. Peu informés les intentions du HCR, ils pensaient que le recensement annonçait la possibilité de bénéficier de vivres, de terres, d’indemnisations pour la réparation des préjudices subis et de projets de réinsertion. Les statistiques indiquent alors que 7000 réfugiés sont prêts à rentrer chez eux en 2007 et 17 000 en 2008.
Sur la base de ces chiffres, le HCR lance alors un appel à financements, détaillant les projets qui seront mis en œuvre pour faciliter la réinsertion des Mauritaniens : sept millions de dollars sont demandés aux bailleurs de fonds, pour organiser le retour de 24,000 personnes en 2007-2008 par pirogues et camions, leur apporter une aide alimentaire pendant trois mois, un soutien pour la reconstruction des abris et des aménagements hydrauliques ainsi que pour faciliter l’accès aux soins et à l’éducation (HCR, août 2007b). Lancé fin Août, l’appel restera néanmoins sans réponse pendant plusieurs semaines. En Octobre, le HCR n’avait reçu que 500 000 dollars sur les 7 millions demandés (HCR, Nov 2007). Les bailleurs restent frileux, en particulier la France mais aussi ECHO (service d’aide européenne de la commission européenne), tous deux convaincus que la plupart des réfugiés ne rentreront pas du fait de leur bonne intégration économique et sociale au Sénégal. Alors que le siège peine à récolter des fonds et s’engage dans un gros travail de sensibilisation des bailleurs de fonds, notamment en leur demandant de se mettre en accord avec la politique de l’UE, sur le terrain, la situation se complique également. La signature de l’accord tripartite prend plus de temps que prévu, la Mauritanie exigeant que la clause de cessation du statut de réfugiés s’applique à ceux qui décideraient de ne pas rentrer. Or cette exigence est inacceptable du point de vue du droit international et de l’engagement du HCR en matière de protection internationale des populations réfugiées. Au HCR, l’inquiétude gagne d’autant que l’accord reste relativement vague sur les points les plus délicats tels que la question des terres, la question des indemnisations ou encore celle de la réinsertion des fonctionnaires. Après de long moins de négociations, la Mauritanie s’incline sur la clause de cessation, et l’accord est signé lors d’une grande cérémonie le 12 Novembre à Nouakchott. Rassurés par ce geste, certains bailleurs de fonds (Japon, USA, France, Espagne, UE et CERF) commencent à réagir pour soutenir le financement de l’opération.
Pour le HCR, il devient dès lors urgent d’organiser au plus vite les premiers convois de rapatriement. Ayant annoncé dans son appel et son budget prévisionnel que 7000 réfugiés rentreraient d’ici la fin 2007, il était impératif qu’une action visible soit entreprise ne serait-ce que pour montrer aux donateurs que le processus était en route. Toutefois, en Décembre, seule une centaine de réfugiés confirme vouloir rentrer avant la fin de l’année, la majorité préférant attendre encore que les questions les plus délicates – à savoir la possibilité de retrouver leurs biens, leurs habitations et leurs terres – soient résolues. Au sein du HCR-Mauritanie, certains sont contre l’idée de précipiter les retours, sachant que les villages d’origine des réfugiés ne disposent pas encore du minimum d’infrastructures pour recevoir les premières familles ou bien sont réoccupées par d’autres, tandis que le gouvernement n’a pas encore mis en place une structure ou une commission chargée de faciliter la réinsertion des rapatriés. Toutefois à Genève, c’est la crédibilité de l’institution devant ses donateurs qui reste le critère le plus important : « les familles pourront ensuite participer elles-mêmes à la reconstruction de leurs villages, ce sera un moyen pour elle d’être impliquées et de s’approprier leurs infrastructures plutôt que d’arriver et de trouver tout sur place », expliquent certains. Mais des conflits entre le HCR-Mauritanie et le HCR-Sénégal, ainsi que des erreurs dans les formulaires de retour (documents signés par les réfugiés afin que les autorités mauritaniennes puissent vérifier leurs identités) retarderont l’organisation de ce premier convoi. A Genève, la situation est jugée catastrophique : « nous avons honte », confie un fonctionnaire impliqué dans le suivi du dossier « à la fois vis-à-vis des donateurs auprès desquels nous avons insisté pour avoir des fonds, mais aussi vis-à-vis des autorités mauritaniennes qui comptaient sur notre professionnalisme pour que tout se passe bien ». Finalement l’institution ne réussira pas à organiser le premier convoi des rapatriés avant la fin de l’année comme elle l’avait annoncé, mais elle le fera symboliquement en Janvier 2008, juste après la période des fêtes.
La « dignité » au cœur de la problématique du retour
Si le processus de rapatriement semble s’engager rapidement, voire même dans la précipitation du côté du HCR, du côté des autorités mauritaniennes, la mise en place du dispositif institutionnel devant encadrer le retour des réfugiés et faciliter leur réinsertion, est beaucoup plus lente. Si des missions officielles de reconnaissance furent envoyées dans les sites de réfugiés au Sénégal et au Mali dès le mois de septembre, la signature de l’accord tripartite, et surtout l’organisation des Journées Nationales de Concertation prendront beaucoup de retard du fait d’une situation économique instable, liée à la hausse des prix en septembre 2007. Alors qu’elle aurait du être un préalable à tout le processus de rapatriement, puisqu’elle devait définir les modalités concrètes du retour des réfugiés, ces Journées n’auront lieu qu’en fin Novembre 2007. Organisées autour de quatre ateliers portant respectivement sur les « structures d’encadrement et de gestion du retour », « l’organisation matérielle du retour », « les programmes d’insertion » et le « passif humanitaire », elles se sont conclues par une série de recommandations. Il est ainsi prévu de mettre en place pas moins de six commissions, à l’échelle nationale, régionale, départementale et locale ainsi qu’une agence autonome pour encadrer le processus de rapatriement, c’est-à-dire : identifier les candidats au retour, vérifier leur citoyenneté et faciliter leur réinsertion locale par le biais d’indemnisation et de projets dans les domaines tels que l’élevage, l’agriculture, le micro-crédit, la santé, l’eau et l’éducation. Les recommandations indiquent également que les terres devront être restituées aux rapatriés « dans la mesure du possible » et qu’à défaut des parcelles au moins équivalentes devront leur être attribuées (Rapport de synthèse des Journées Nationales, Novembre 2007). Considérées comme un succès par la plupart des acteurs locaux (Nouakchott info, 2007), ces journées seront néanmoins critiquées par certains représentants associatifs et politiques des réfugiés qui soulignent que les questions de l’indemnisation des réfugiés des éleveurs peuls ainsi que de la réinsertion des fonctionnaires restent floues, de même que celle de la participation des représentants des réfugiés au processus décisionnel. Ils s’inquiètent également que l’attribution de nouvelles parcelles aux rapatriés ne constitue un obstacle au processus de réconciliation nationale si elle venait à être systématique :
Plus significatif encore, ces Journées ont prévu la mise en place d’un système administratif très lourd ayant pour tâche d’encadrer un processus de vérification des identités des candidats au retour et de facilitation de leur réinsertion déjà largement entamé, de facto, par le HCR. De fait, alors qu’aucune de ces commissions n’existe encore, on sait que le HCR-Sénégal avait déjà procédé de son côté à l’identification des candidats au retour depuis le mois d’Août, suivant ses propres procédures internes. De même, avait-il déjà planifié avec le gouvernement mauritanien l’organisation du premier convoi pour la fin de l’année, tous deux cherchant à montrer aux bailleurs de fonds leur volonté politique d’effectuer ce rapatriement. Enfin le HCR et les autorités mauritaniennes avaient également prévu la mise en place d’une autre commission chargée de coordonner les retours : la commission tripartite Sénégal-Mauritanie-HCR qui tiendra sa première réunion le 14 Janvier 2008 afin de coordonner l’arrivée des premiers rapatriés. On a ainsi l’impression que se met en place un système à plusieurs vitesses, avec d’un côté un processus « opérationnel » enclenché par le HCR et le gouvernement mauritanien suivant les protocoles classiques des opérations de rapatriement dirigées par le HCR, et de l’autre un processus « politique » enclenché à l’échelle nationale en Mauritanie et impliquant l’ensemble des acteurs politiques et associatifs, beaucoup plus lent à se mettre en place de par sa lourdeur bureaucratique et ayant avant tout pour objectif de servir de « vitrine » en donnant de la Mauritanie l’image d’un pays démocratique. De plus, dans cette configuration à plusieurs vitesses disparaît la question du retour des réfugiés mauritaniens installés au Mali, moins visibles parce que moins bien organisés politiquement que ceux installés au Sénégal.
L’annonce de l’arrivée d’une centaine de Mauritaniens en Janvier 2008 provoqua ainsi une grande incompréhension parmi les associations représentant les réfugiés (notamment le CAREM) mais aussi les ONG mauritaniennes et les partis politiques d’opposition (FLAM, AJD-MR) accusant le HCR et le gouvernement de ne pas respecter le calendrier prévu par les Journées Nationales de Concertation et de leur imposer une « politique du fait accompli » [14]. Plusieurs communiqués de presse seront ainsi diffusés par le Collectif des Mauritaniens réfugiés au Sénégal (voir ci-dessus), pour dénoncer le caractère trop précipité de ces retours et invitant les réfugiés de « rester sur leur garde » et de continuer à réclamer un retour dans la « dignité » (dimaagu en peul). Centrale dans le discours des représentants politiques et associatifs des Mauritaniens, cette notion de dignité se retrouve également largement répandue dans les discours des populations exilées les moins politisées vivant dans les sites de la vallée du fleuve :
Un retour avec honneur (dimaagu) signifie donc que la personne doit être bien traitée par les autorités mauritaniennes. Son « importance » ou encore « sa place » - c’est à dire son statut social lui-même lié à sa descendance et son groupe d’appartenance – doit être reconnue sans quoi elle ne pourra pas obtenir ce qui lui est du (ses terres, son troupeau ou l’équivalent sous forme d’indemnisations). Dans la langue pulaar, dimaagu vient de rim, qui signifie de condition libre ou « noble » (Mohamadou, 1991 : 87). Ce statut s’oppose à celui des populations esclaves ou des groupes castés auxquels les réfugiés ne souhaitent pas être assimilés. Dans l’arène politique de la diaspora, et en particulier au sein des forums de discussions des FLAM, la manière dont les réfugiés ont été accueillis en Mauritanie est interprétée dans un langage politique très violent. Alors qu’en 1996, le HCR comme les autorités mauritaniennes étaient fustigées de la même manière, aujourd’hui, c’est surtout le HCR qui est accusé de « sabotage » et de « complot » tandis que l’on dénonce l’existence « d’extrémistes Maures du système politique raciste Mauritanien qui empêchent Sidi Med Ould Cheikh Abdallahi de rapatrier dignement nos compatriotes déportés au Sénégal et au Mali » (flamnet, Février 2008). Dans un communiqué de presse, les FLAM sont explicites :
Les autres partis de l’opposition, et en particulier l’AJD /MR, ne tardent pas non plus à se positionner autour de la question en allant visiter les trois sites de rapatriés. Se démarquant du discours plus radical des FLAM, le parti déclare pour sa part que « s’il y a la volonté politique, quelque part elle n’a pas été appliquée strictement au niveau local ». (Eveil Hebdo, 20 Fev 2008)
Face à ces critiques, le HCR, les autorités mauritaniennes mais aussi certaines notabilités locales ne perdront pas de temps à réagir. Le premier procède à la distribution de quelques brebis et de quelques médicaments aux femmes, tandis que le 22 Février, le Ministre de l’Intérieur est dépêché par les autorités mauritaniennes pour visiter les sites de retour et rassurer les rapatriés sur les intentions du gouvernement de résoudre les questions de fond (Actalité de rosso, 22 Février 2008). A cette occasion, l’Agence Nationale d’Appui et d’Insertion des Réfugiés (ANAIR) procède également à une distribution de vaches laitières, et annonce le lancement de son programme d’aide d’urgence, destiné à alimenter les sites de retour en infrastructures de base, à mener une étude détaillée pour le développement de l’ensemble de la vallée du fleuve Sénégal, et à œuvre ainsi pour la reconstruction de l’unité du pays (Discours du directeur de l’ANAIR, Moussa Fall, 22 Février 2008). De son côté, un député mauritanien Ould Bellali annonce l’octroi d’un terrain de 400 hectares aux réfugiés de Madina Salame suivi du sénateur de Rosso qui annonce pour sa part un donation de vivres (Actualité de Rosso, 25 Février 2008). Qualifié d’ « acte patriotique exemplaire » par les autorités, ces gestes laissent présager les relations de clientèles qui s’établiront très vite entre les rapatriés et de grands notables qui se proposeront d’en être les « protecteurs », tout comme au Sénégal, certains Mauritaniens étaient devenus les « dépendants » de notabilités sénégalaises ou de leurs propres parents (Fresia, 2006). Depuis lors, les actes de ce genre ne cessent de se succéder, les rapatriés devenant un réservoir de clients politiques potentiels et un nouvel enjeu politique local, comme national.
Conclusion
S’il est encore bien trop tôt pour apprécier la portée de cette nouvelle vague de retours, et en particulier ses répercussions sur les enjeux fonciers et politiques locaux, il est possible de faire d’ores et déjà un certain nombre de remarques conclusives. D’un point de vue de l’histoire longue tout d’abord, il apparaît que ce mouvement de retour est à replacer dans une continuité de mouvements de flux et de reflux des populations haalpulaaren de part et d’autre du fleuve Sénégal. Il s’inscrit dans une volonté, de la part du HCR, des bailleurs de fonds et des autorités mauritaniennes, de canaliser des mouvements de population qui sont en réalité incessants entre la rive droite et la rive gauche du fleuve du fait de la dispersion des mêmes familles élargies entre la Mauritanie et le Sénégal. Si ces retours ont été suscités par des acteurs extérieurs, tout comme ce fut déjà le cas au début du 20ème siècle lorsque l’administration coloniale encourageait les populations du Fuuta à réoccuper la rive droite du fleuve Sénégal, ils ne font donc qu’officialiser et rendre visibles des mouvements déjà existants. Toutefois, par leur dimension classificatoire et normative, ils en changent profondément le sens et la signification. Alors que ces mobilités sont de facto circulaires et transfrontalières, leur officialisation et leur institutionnalisation se présentent comme une tentative de leur donner un sens linéaire en les replaçant dans le cadre des Etats-Nations et des citoyennetés nationales. Or, bien qu’elles s’appuient sur des réseaux sociaux informels et transfrontaliers pour sécuriser leur situation, les populations haalpulaaren peuvent de moins en moins ignorées ce cadre national, ne serait-ce que pour clarifier leur statut juridique d’un point de vue du droit moderne et avoir accès à la citoyenneté nationale.
Deuxième remarque : comme par le passé, cette volonté de canaliser les mouvements migratoires de la vallée du fleuve Sénégal, si elle est imposée par l’extérieur, fait l’objet d’un processus de politisation et de ré-appropriation instantané par les acteurs politiques et associatifs tant locaux que nationaux. Le « rapatriement » devient dès lors avant tout un enjeu politique autour duquel de nombreux acteurs institutionnels et non institutionnels vont se positionner mais suivant des logiques d’action et des objectifs tout à fait différents. Cela explique aussi pourquoi l’histoire semble à certains égards se répéter : si le contexte politique de la vague de retour de 1996 est radicalement différent de celui d’aujourd’hui, les logiques d’action des différents acteurs n’ont pas changé. Il en va ainsi de la précipitation du personnel HCR qui, en 1996 comme en 2008, a agi suivant une logique de court-terme et de visibilité, dans l’objectif de servir l’image et la réputation de l’institution, d’exécuter son mandat et de répondre aux exigences de ses bailleurs de fonds. Il en va de même pour les représentants politiques et associatifs des réfugiés pour qui la question du retour représente avant tout un moyen de se repositionner dans l’arène politique mauritanienne dans des périodes de transition politique tel qu’en 1992 dans le cadre du processus de « démocratisation » (scission FLAM/FUIDEM), puis en 2005 dans le contexte du gouvernement transitoire (scission FLAM/FLAM-Rénovation). Pour les notabilités locales, les populations « rapatriées » font, en 1996 comme en 2008, avant tout fait figure de clientèles politiques potentielles comme elles l’ont été, dans certains cas, au Sénégal. Enfin, pour les exilés, les motivations à « officialiser » ou non leurs mouvements migratoires restent guidées aujourd’hui comme hier par des considérations d’ordre à la fois socio-économique, politique et affective qui les amènent généralement à préférer la dispersion de part et d’autre du fleuve et le cumul des citoyennetés nationales et des statuts juridiques (réfugié ou autochtones) comme stratégie de sécurité.
Bibliographie
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http://www.unhcr.org : “Briefing Notes” and “New Stories”, Mauritanie – Sénégal (Août 2007 à Février 2008)
http://www.mairie-rosso.org Marie de Rosso (Mauritanie), Actualités
NOTES
[1] Cet article se base principalement sur des recherches passées menées auprés des Haalpulaaren de Mauritanie réfugiés au Sénégal, entre 2001 et 2004 (Fresia, 2008). Les réfléxions portant sur l’actualité récente se fondent sur des recherches en cours. Elles se basent principalement sur une analyse documentaire (presse, rapports du HCR, forum de discussions de la diaspora mauritanienne) et sur des observations effectuées au sein du HCR à Genéve entre Mai 2007 et Décembre 2007.
[2] Le Colonnel Ould Taya est arrivé au pouvoir en 1984 à la suite d’un coup d’Etat militaire contre le Colonnel Haidallah. Ould Tayah est resté au pouvoir jusqu’en août 2005 où il a été destitué par un autre coup d’état militaire.
[3] Population d’origine servile de la société maure souvent toujours liée à leurs anciens maîtres par des relations de clientèle.
[4] Dans certains cas, cette expression peut également comprendre les persécutions liées à l’esclavage.
[5] Pour une lecture détaillée des causes profondes des événements de 1989, voir Fresia, M. (1999). “La crise mauritano-sénégalaise : la rupture d’une alliance interethnique”, Mémoire, Institut d’Etudes Politiques, Aix-en-Provence.
[6] La situation des Mauritaniens expulsés vers le Mali n’a pas fait l’objet de recherches approfondies et n’est donc pas prise en compte dans cet article. Pour plus d’informations à leur sujet, voir la thèse de Riccardo Ciavollela (2008)
[7] Il faut toutefois noté que le mouvement de réoccupation des terres sur la rive droite avait comencé dès le milieu du 19ème siècle (Santoir, 1990). La colonisation a néanmoins participé à accélérer et généraliser ce processus.
[8] En juillet 1991, le gouvernement mauritanien entreprend un processus de démocratisation en adoptant une nouvelle Constitution instaurant un régime démocratique, de type présidentiel, et en autorisant la liberté de la presse (Marchesin, 1992). La démocratie sera toutefois seulement « décrétée » par le Président Ould Taya, et les réformes prises de manière unilatérale, sans qu’elles résultent de la convocation, comme ailleurs en Afrique de l’Ouest, d’une « conférence nationale » réunissant toutes les formations politiques du pays. La nouvelle Constitution met fin au régime des militaires qui avaient pris le pouvoir en 1978 à la suite d’un coup d’Etat contre le premier Président Moktar Ould Daddah. Toutefois, ce processus de démocratisation et de libéralisation n’a pas empêché aux pratiques néo-patrimoniales, clientélistes et répressives de survivre.
[9] Ainsi, avec le PSIR, le HCR-Mauritanie ouvrira deux bureaux locaux à Kaédi et recruta 12 personnes supplémentaires. Des accords furent également passés avec une ONG local (le Croissant Rouge Mauritanien) et trois ONG internationales (Pharmaciens sans frontières, Caritas, la Fédération luthérienne Mondiale).
[10] Voir notamment le rapport de mission de Gnusci D. et Trémoilières (2004) et la thèse de R. Ciavolella (2008) qui comprend un chapitre sur les retours des FulaaBe et de FulBe jeeri réfugiés au Mali.
[11] Dans le Kankossa, le HCR fut d’ailleurs interdit d’accès par les autorités.
[12] Sous pression des autorités mauritaniennes, alors toujours contrôlées par le Président Ould Taya, le gouvernement sénégalais exige en effet depuis 2001 que les Mauritaniens fassent des demandes d’asile individuelles pour bénéficier du statut de réfugié. Or celles-ci sont systématiquement rejetées pour des raisons essentiellement politiques et diplomatiques vis-à-vis de la Mauritanie.
[13] PK6 (sur l’axe routier Rosso-Nouakchott), Toulel Dieri (dans les zones pastorales), Demal Digué et Madina Salame (dans les zones agricoles du waalo).
[14] Voir dans la bibliographie les nombreuses déclarations de presse à ce sujet faites par le CAREM, le forum des ONG mauritaniennes, les FLAM et l’AJD/MR.