Lui, il est perdu, on ne peut plus rien faire pour lui, mais il ne faut plus que ça arrive à d’autres, y compris ceux qui viennent d’ailleurs que du Sri-Lanka".

" /> Lui, il est perdu, on ne peut plus rien faire pour lui, mais il ne faut plus que ça arrive à d’autres, y compris ceux qui viennent d’ailleurs que du Sri-Lanka".

" /> Lui, il est perdu, on ne peut plus rien faire pour lui, mais il ne faut plus que ça arrive à d’autres, y compris ceux qui viennent d’ailleurs que du Sri-Lanka".

" /> Lui, il est perdu, on ne peut plus rien faire pour lui, mais il ne faut plus que ça arrive à d’autres, y compris ceux qui viennent d’ailleurs que du Sri-Lanka".

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Reflets

Recueil Alexandries

< 8/22 >

mai 2007

Simone Fluhr

En mémoire de Mr. Elanchelvan Rajendram

résumé

Je me suis entretenue aujourd’hui avec la famille de Elanchelvan, réfugiée en France, au sujet de votre demande. Ils sont tout à fait d’accord pour que vous publiez sur TERRA les documents ayant trait aux différentes démarches que Elanchelvan avait faites lorsqu’il était en France dans la mesure où, comme vous, ils ont voulu rendre son assassinat public afin d’éviter que d’autres personnes comme lui ne soient renvoyées à la mort. Avec leurs mots, c’est "Lui, il est perdu, on ne peut plus rien faire pour lui, mais il ne faut plus que ça arrive à d’autres, y compris ceux qui viennent d’ailleurs que du Sri-Lanka".

citation

Simone Fluhr, "En mémoire de Mr. Elanchelvan Rajendram", Recueil Alexandries, Collections Reflets, mai 2007, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article572.html

Je me suis entretenue aujourd’hui avec la famille de Elanchelvan, réfugiée en France, au sujet de votre demande. Ils sont tout à fait d’accord pour que vous publiez sur TERRA les documents ayant trait aux différentes démarches que Elanchelvan avait faites lorsqu’il était en France dans la mesure où, comme vous, ils ont voulu rendre son assassinat public afin d’éviter que d’autres personnes comme lui ne soient renvoyées à la mort. Avec leurs mots, c’est "Lui, il est perdu, on ne peut plus rien faire pour lui, mais il ne faut plus que ça arrive à d’autres, y compris ceux qui viennent d’ailleurs que du Sri-Lanka".

Concernant ce qui s’est passé depuis son retour au Sri-Lanka, sa famille témoigne de ceci :

Quelques semaines avant son assassinat, l’épouse de Elanchelvan avait eu la visite d’hommes en tenue militaire et civile à la maison en l’absence de son mari qui était à l’université. Ils lui ont posé des questions quant à ses activités mais aussi quant à ses activités lorsqu’il était absent. Ils ont évoqué le fait qu’ils n’ignoraient pas que son frère avait appartenu aux Tigres.

Consciente du danger qui se rapprochait, la famille avait décidé de quitter Chavakathachcheri pour s’installer chez les parents de Elanchelvan qui résident à Ilavaley. Au moment de l’assassinat, leur déménagement était quasi effectif. Elanchelvan ayant déménagé son ordinateur et les principaux effets, ils avaient vécu déjà deux semaines à demeure chez les parents. Ils étaient retournés à Chavakathachcheri parce que leur bébé devait y faire des vaccinations. C’est à cette occasion qu’il a été assassiné.

Tout cela, la famille ne l’a appris qu’ultérieurement à sa mort au travers des propos de sa femme et de ses parents. Au tout début, vu l’embrasement du conflit au Sri-Lanka, ils avaient cru à un "meurtre accidentel", motivé par la peur des soldats qui ont les nerfs à vif. Mais il leur semble évident aujourd’hui que Elanchelvan était visé en raison de l’engagement de son frère chez les Tigres car ils n’auraient pas abattu par panique un homme totalement désarmé de façon visible, comme c’était le cas, et pas en déchargeant 16 balles.

David Balathas, son ami, culpabilise énormément parce qu’il se dit qu’il l’a laissé partir alors qu’il le sentait en danger car "au moindre contrôle, les autorités allaient de toute façon tomber sur l’engagement notoire de son frère chez les Tigres". Il culpabilise d’autant plus que pour lui éviter d’être détenu (retenu faudrait-il dire), il s’était engagé à l’emmener à l’aéroport en proposant sa carte d’identité française en caution. Aujourd’hui, il se dit qu’il aura participé à son destin tragique. Il est inconsolable, son sentiment de culpabilité se rajoutant au deuil d’un ami avec qui il aura partagé toutes ces années en France.

Sa cousine (et son mari) sont eux dans un état de sidération, le même que celui qu’ils exprimaient à ne pas comprendre que personne ne croyait à son histoire "alors qu’il avait toujours dit la stricte vérité". Ce sentiment était d’autant plus fort qu’ils avaient été, eux, reconnus réfugiés dès l’OFPRA et qu’ils faisaient ainsi totalement confiance dans le jugement des autorités françaises en matière de protection.

Que pouvais-je leur dire alors ? Que ce n’était pas le premier ni assurément le dernier que je connaissais qui était débouté de sa demande d’asile même s’il avait toujours dit la vérité, même si le risque pour sa vie en cas de retour était réel ? Même si, en l’occurrence, il pouvait appuyer ses dires par les cicatrices laissées par les tortures subies, même s’il avait pu prouver la disparition de ses deux frères par un acte de décès et une cassette vidéo ? Même si toutes les attestations qu’il avait pu obtenir confirmaient, point par point, son parcours ? Ils ne pouvaient comprendre cela alors je n’ai rien dit sauf que moi non plus je ne pouvais pas comprendre.

Lorsque le Tribunal Administratif de Strasbourg a confirmé l’Arrêté de Reconduite à la Frontière émis par la Préfecture du Bas Rhin, il a encore formulé un recours auprès de la Cour d’Appel de Nancy mais ce recours n’était pas suspensif et « l’affaire » ne serait pas jugée avant un an. En attendant, Elanchelvan savait qu’au moindre contrôle d’identité, il serait mis en rétention pour être renvoyé au Sri-Lanka.

Il ne sortait plus de la maison, il ne pouvait plus accompagner les enfants de sa cousine à l’école comme il le faisait depuis des années. La police pouvait venir le chercher à tout moment et d’autant plus facilement qu’il avait indiqué son adresse chez sa cousine dans toutes ses demandes administratives. A partir de là, Elanchelvan était littéralement malade d’angoisse, il attendait jour et nuit le coup de sonnette à la porte. De toute évidence, les cauchemars qui le réveillaient la nuit prenaient corps dans le réel. Il lui fallait arrêter cette attente, cette torture de l’attente, l’attente de la torture : il a préféré se livrer lui-même à la police pour « éviter d’être escorté dans l’avion par la police française, cela lui laisserait plus de chance de passer inaperçu à l’arrivée à Colombo ».

Le jour où il m’a demandé comment procéder, j’ai encore tenté de lui indiquer une autre voie, sachant qu’elle ne le protégerait pas non plus d’une expulsion. Vous ne connaîtriez pas une Tamoule bénéficiant de papiers qui voudrait se marier avec vous ? Il sourit, non, j’ai une fiancée là-bas. Et ce n’est pas lui qui allait démontrer suffisamment de « ruse et de détermination pour détourner les procédures afin de pouvoir se maintenir sur le territoire » comme le croient nos autorités. Aujourd’hui, je lui en veux pour cela, cela m’évite de m’en vouloir de lui avoir donné très consciencieusement les coordonnées des services qui allaient « l’aider » à rentrer.

Quand j’ai rencontré sa famille après l’annonce de son décès, elle m’a demandé d’écrire à l’OFPRA et aux différentes instances auxquelles Elanchelvan avait demandé de l’aide en France pour les informer de ce qui était arrivé. Ils m’ont alors demandé s’il fallait présenter un acte de décès indiquant sa cause pour le prouver. J’avoue que je n’ai pu retenir alors des larmes de colère : Elvanchelvan avait tout fait pour pouvoir présenter les documents utiles pour prouver ce qu’il disait. Cela n’a servi à rien, tout a été jugé « insuffisant ou sans garantie suffisante d’authenticité », les attestations et les courriers de ses parents « rédigés en termes convenus », les certificats médicaux « ne pouvant établir un lien entre les constatations médicales et les sévices dont le requérant se déclare avoir été victime ». Tout a été vain et maintenant qu’il est mort, il faudrait à nouveau tenter de le prouver ?

Je revois Elanchelvan, son visage, sa réserve, son incapacité à trouver les ressources pour se faire entendre haut et fort. Tout son être respirait la peur au point où, au début, il avait un mouvement de recul quand je lui tendais la main pour le saluer (et pourtant je n’ai pas l’allure d’un tortionnaire). David me raconte qu’il avait pleuré longuement après le rejet de la CRR et qu’il lui avait dit que c’est peut-être devant la CRR qu’il aurait fallu exprimer sa détresse. Mais non, sa pudeur, et même sa peur de passer en jugement, ne pouvait permettre aucune expression manifeste sauf d’attendre que ça se passe, comme une bête sacrifiée d’emblée. Oui, Elvanchelvan n’aurait pas fait de mal à une mouche, il aurait trop souffert pour elle. Il était cette mouche qu’on écrase et même pas un cri.

En reparlant de lui avec sa famille, je me suis rendue compte d’une méprise. Quand Elanchelvan m’avait parlé d’une fiancée, j’avais cru que ce projet de mariage était, comme souvent dans leur pays, convenu entre leurs familles respectives. Or, ce n’était pas le cas : Elanchelvan et cette jeune femme étaient amoureux depuis longtemps, ils s’étaient rencontrés à l’université et s’étaient promis l’un à l’autre. J’imagine ainsi leur vie déchirée par la guerre et la fuite des persécutions. Mais du coup, j’imagine aussi leurs retrouvailles. J’imagine leur bonheur de se marier et de mettre au monde une petite fille, même si elle ne connaîtra jamais son père.

Voilà, j’ai envie d’en finir là dessus.

Merci de votre travail en sa mémoire et qui relaye l’espoir de sa famille de rendre consciente nos autorités du risque de mort encouru par ceux qui ont fui leur pays d’origine en raison de persécutions.

Simone FLUHR, CASAS Strasbourg, 24 avril 2007

Exilé, débouté, expulsé, assassiné...
Dossier sur l’accueil en France de feu Mr. Elanchelvan RAJENDRAM

01) La demande d’asile de à l’OFPRA (06.08.2002)
02) Extraits de pièces versées au dossier à l’appui de la demande
03) Le premier rejet de l’OFPRA (30.01.2003)
04) Le recours à la Commission des Recours des Réfugiés (03.03.2003)
05) Le premier rejet de la CRR (04.11.2004)

06) La demande de réexamen à l’OFPRA (14.06.2004)
07) Extraits de pièces versées au dossier à l’appui de la demande
08) Le second rejet de l’OFPRA (12.07.2004)
09) Le second recours à la CRR (10.08.2004)
10) Le second rejet de la CRR (20.04.2005)
11) Décision du Tribunal Administratif sur le recours contre l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (29.06.2007)

12) Dépêches d’agences tamouls sur le meurtre (28.02.2007)
13) Article des Dernières Nouvelles d’Alsace (16.03.2007)
14) Faire part de décès envoyé aux institutions françaises (25.03.2007)
15) Lettre ouverte de l’association CASAS
16) Appel à un rassemblement Place de Broglie (26.03.2007)
17) Articles du journal "20 Minutes" (27.03.2007)
18) Campagne nationale "Cette France-là, vous l’aimez ? vous pouvez la changer" (10.04.2007)
19) Lettre de Simone FLUHR du CASAS à TERRA (24.04.2007)

La demande d’asile de à l’OFPRA (06.08.2002)

Je m’appelle Elanchelvan RAJENDRAM et je suis né le 29 août 1976 à MANIPPAY au Sri-Lanka. Je suis de nationalité sri-lankaise et d’appartenance tamoule.

Avec ma famille, nous résidions dans le village ILAVALAY dans la région de Jaffna jusqu’en 1992. Mon père travaillait dans une usine de confection de tissus et ma mère s’occupait de mes trois frères, mes deux sœurs et moi.

J’ai effectué mes études primaires et une partie de mes études secondaires au village avant que nous soyons obligé de fuir les bombardements.

Le 5 juillet 1992, l’armée sri-lankaise a attaqué notre village et l’a sévèrement bombardé. Nous avons fui jusqu’au village de UDIVIL où nous sommes restés environ un an, avant devoir à nouveau fuir, suite à de nouveaux bombardements, vers la ville de THIRNALVELI, toujours dans la région de Jaffna.

Le 10 août 1995, durant la période où nous habitions à Thirnalveli, un de mes frères, Ilankumaran (né en 1979) a rejoint le mouvement des Tigres. Ce jour-là, il n’était pas rentré à la maison. Mes parents sont allés le chercher et ils ont appris que ce même jour s’était tenu un meeting des Tigres (propagande tenue par des membres des Tigres dans les écoles). Comme d’autres jeunes, mon frère avait ainsi rejoint la guérilla. Par la suite, nous n’avons plus jamais eu le moindre contact avec lui.

Le 30 octobre 1995, les Tigres ont sillonné les rues de la ville avec des porte-voix pour prévenir la population qu’elle devait quitter la région de Jaffna car l’armée sri-lankaise allait arriver.

Notre famille est donc partie à MIRISIVIL, une ville sous le contrôle du LTTE. Nous y sommes restés seulement un mois car nous avions peur de pouvoir être persécuté par l’armée sri-lankaise en raison de l’engagement de mon frère dans le mouvement des Tigres. Nous avons préféré nous installer dans une autre zone contrôlée par le LTTE, dans le village de MAKULAM. Mais les conditions de subsistance dans ce village en pleine forêt étaient extrêmes, le manque de nourriture et de médicaments, le manque d’hygiène, l’impossibilité d’aller à l’école… Tous les membres de ma famille sont tombés malades. En outre, les Tigres venaient régulièrement à notre domicile pour y exercer des pressions afin que d’autres membres de notre famille rejoignent leurs rangs. Mais nous avons toujours résisté et refusé.

En raison des ces pressions constantes et des difficultés de vie, nous voulions retourner dans la région de Jaffna. Mais pour sortir de la région sous le contrôle des Tigres, il fallait qu’ils nous délivrent un laissez-passer et ils refusaient de nous le donner.

C’est pourquoi, nous avons été contraints de partir, discrètement, en nous cachant des contrôles. Nous avons pris une barque jusqu’à la petite ville de MANNAR où nous sommes arrivés le 18 décembre 1996. Nous résidions chez mon cousin, Santhirakumaran ULAKANATHAN, qui travaillait comme comptable dans un bureau. Nous nous sommes déclarés aux autorités gouvernementales contrôlant Mannar. Mais ils ne voulaient pas nous donner une autorisation permanente en nous disant qu’il nous fallait retourner à Jaffna dont nous sommes originaires.

C’est ainsi que nous sommes retournés dans la région de Jaffna en date du 5 janvier 1997. Il ne nous fut pas possible de retourner dans notre village de Ilavalaï qui était totalement détruit. Nous sommes allés vivre à THIRNAVELI, le temps de reconstruire notre maison de Ilavalaï. Au mois d’avril 1997, nous avons pu retourner chez nous. A ce moment là, ma sœur était institutrice en primaire et moi, je devais finir de préparer mon baccalauréat à Jaffna. Mon père n’a plus retrouvé une activité professionnelle, il cultivait notre jardin. En association avec un ami, mon frère aîné Isaichelvan a ouvert un magasin d’alimentation à Jaffna. Il devait se rendre tous les matins à son travail en parcourant les dix kilomètres qui nous séparaient de la ville en mobylette.

Le matin du 5 juillet 1997, alors qu’il se rendait au travail avec son ami, des combats ont éclaté entre les Tigres et l’armée sri-lankaise à la périphérie de la ville. Ils ont été pris en étau dans ces combats et ils ont été tués tous les deux.

Le corps de mon frère a été transporté à l’hôpital par des militaires. Lorsque mes parents s’y sont rendus, les militaires ont voulu leur faire avouer que mon frère travaillait pour les Tigres. Bien que mes parents leur ont expliqué qu’il se rendait juste à son travail, ils n’ont rien voulu entendre. Pour récupérer son corps et pouvoir l’enterrer, ils ont été obligés de déclarer que mon frère aîné appartenait aux Tigres.

A ce moment là, j’avais terminé mes études secondaires et obtenu mon baccalauréat. Je travaillais dans le jardin avec mon père et je donnais quelques cours aux enfants du village.

Le 31 août 1998, une bombe posée par des Tigres a provoqué l’explosion d’un bus. Deux militaires, deux policiers et un civil ont péri dans cet attentat. Beaucoup de passagers de ce bus venaient de notre village, en particulier le chauffeur. Un des militaires qui fut tué était le responsable chargé du contrôle de notre village.

Suite de cet acte de terrorisme, les soldats se sont mis à effectuer des contrôles partout, dans les villages, dans les maisons. Ils entraient partout, frappaient les hommes en leur ordonnant de leur dire qui avait fait cela.

Ils sont arrivés chez nous. Un prisonnier des Tigres les accompagnait et ils lui demandaient des renseignements sur les familles. Il leur a déclaré qu’un de mes frères appartenait au LTTE. Ils se sont alors mis à nous battre, mon père et moi. Puis ils nous ont bandé les yeux et fait monter dans une jeep. Nous avons été conduits dans un centre militaire du gouvernement, je ne sais précisément où. Mon père et moi avons alors été séparés et interrogés chacun de son côté. Pendant toute notre détention, je n’ai eu aucune nouvelle de lui.

En présence d’un traducteur tamoul (un Tigre fait prisonnier qui avait appris le cinghalais), ils m’ont interrogé et battu pour me faire dire où se trouvait mon frère. Mais je n’en savais rien, nous n’avions pas de nouvelles de lui, je ne pouvais de toute façon rien leur apprendre.

J’ai été torturé, attaché par les pieds, la tête en bas, au-dessus d’un feu allumé dont je recevais la fumée dans les yeux. Ils m’ont mis un sac rempli de gaz sur la tête jusqu’à ce que je sois au bord de l’asphyxie. Ils m’ont donné des coups de couteau dans les jambes et ont versé de l’eau salée sur les plaies.

Je suis resté là-bas durant 20 jours. J’étais toujours enfermé seul dans une pièce, là même où ils me torturaient. Ils me donnaient de la nourriture et parfois ils me forçaient à manger, me libérant une main tandis que l’autre restait attachée avec les pieds.

Un jour, le prisonnier tamoul est venu et a traduit que les militaires allaient m’emmener chercher mon frère : nous devions sortir ensemble dans la rue et je devais crier en appelant mon frère dès qu’il se présenterait. J’avais très peur, je savais qu’ils utilisaient cette méthode pour me faire sortir et m’abattre dans la rue d’un coup de revolver. Ils pouvaient plus difficilement m’assassiner à l’intérieur sans raison, mais dehors, il leur était facile de faire passer cette mort pour un acte des Tigres. J’ai refusé. Alors, ils m’ont frappé sur la tête avec un coup de crosse, la plaie saignait, puis je ne sais plus rien, j’ai perdu connaissance.

Quand j’ai repris conscience, il n’y avait plus de soldats, j’étais seul. Environ un quart d’heures plus tard, ils sont revenus. Ils ne m’ont pas soigné mais bien au contraire, ils m’ont à nouveau frappé. Quelques jours plus tard, j’ai quand même reçu quelques soins.

Dans les villages sri-lankais de tamouls, il y des responsables de village dont la fonction est de régler les problèmes de tous les habitants. Celui de mon village, Ponnar RASENTHIRAN, avait appris ma situation, il savait où j’étais détenu. Après ma libération, j’ai su qu’il était venu plusieurs fois accompagné du Directeur de l’école, Sellathuraï SUPRAMANIJAM, pour voir les militaires dans le but d’obtenir ma libération.

Finalement, le 20 septembre 1998, ils ont accepté de me laisser partir à condition que je vienne signer deux fois par mois. Mon père a été relâché au même moment, à condition qu’il vienne signer une fois par mois. Nous sommes rentrés tous les deux à la maison.

En 1999, j’ai commencé un stage de comptabilité à THINALVELI. Je continuais à aller signer deux fois par mois chez les militaires de PANDETHERU. Quand je me présentais, il arrivait souvent qu’ils me menacent ou même me battent pour que je leur dise où se trouvait mon frère.

A la fin de l’année 1999, une attaque des Tigres contre plusieurs centres militaires de la région rendait les militaires particulièrement nerveux. En représailles, ils maltraitaient davantage leurs prisonniers et certains furent même tués. C’est pourquoi, j’étais de plus en plus terrifié de devoir me présenter pour signer et je ne suis plus retourné (mon père, quant à lui, avait obtenu l’autorisation de ne plus se présenter en raison de son âge). J’avais peur de rester chez moi dans l’attente que les soldats viennent me chercher. Il fallait fuir quelque part.

J’avais un ami, Pirakalathan VISUBAMITHIRAR, qui travaillait pour le parti EDPS, un parti politique tamoul collaborant avec le gouvernement sri-lankais. Je lui ai confié mes problèmes et il m’a répondu que je pouvais obtenir leur aide. Ils ont accepté de me cacher dans les locaux de leur Parti à MANNIPAY. J’ai donc vécu là-bas, je les aidais un peu dans la confection de leurs journaux et brochures. Parallèlement, j’effectuais mon stage de comptabilité à Thirnalveli.

A la fin de l’année 2000, lorsque les Tigres ont appris que je résidais au local du parti du EDPS et que je travaillais pour eux, ils se sont présentés chez mes parents pour exiger que j’arrête cette collaboration. Ils ont demandé à mes parents de me transmettre un rendez-vous fixé au village de MALLAKAM. Sur les conseils de mon ami Pirakalathan, je n’y suis pas allé.

Peu de temps plus tard, deux hommes en civil qui avaient l’air d’étudiants, m’ont attendu devant le local du parti. Ils m’ont demandé pourquoi je n’étais pas venu au rendez-vous qu’ils m’avaient donné. J’ai prétexté un mal de tête et ils m’ont alors redonné un nouveau rendez-vous le jour même, en m’ordonnant de venir cette fois-ci. J’ai obtempéré et ils sont partis. Je n’y suis pas allé, j’avais trop peur des représailles. Désormais, j’avais peur de circuler pour me rendre sur le lieu de mon stage et j’ai donc dû arrêter ma formation (ce qui faisait deux ans d’études au lieu de quatre).

Je vivais toujours dans le local du EDPS dont je ne sortais quasiment jamais. J’aidais le parti dans la rédaction de son journal.

Le 15 décembre 2001, il devait y avoir les élections du Parlement du Sri-Lanka. Durant la campagne électorale, des manifestations et des meetings ont été organisés par le parti EDPS. J’ai participé à ces actions dans différentes villes dont la dernière, MANTHILLAI. Nous avions pris un bus pour nous y rendre et sur le chemin du retour, ce bus a été l’objet de tirs. Nous ne savions pas qui étaient les auteurs des tirs mais il y a eu des morts et des blessés. Un de mes amis est mort là. D’autres bus du EDPS revenant d’autres villages ont subi des attentats semblables.

Mes parents étaient très inquiets et à mon retour de Manthillai, ils sont venus me voir au local. Ils m’ont appris qu’ils avaient reçu une lettre les informant du décès de mon frère qui avait eu lieu le 14 novembre 1999. Les Tigres avaient brûlé le corps. Ce sont les parents d’un autre jeune homme décédé qui les avaient prévenus, deux ans après son décès, le temps de trouver notre adresse. Ma mère m’a dit qu’elle avait déjà perdu deux fils et qu’elle ne voulait pas me perdre aussi. Elle m’a dit que si je restais au bureau du EDPS, le même sort m’attendait. Elle voulait que je parte. Elle a parlé au Directeur du Parti pour lui demander son aide pour organiser ma fuite.

Le 5 novembre 2001, je suis allé clandestinement dans le bateau d’un pêcheur jusqu’à NEDUNTHINU, une ville sous le contrôle du EDPS. Le Parti a payé et organisé le voyage. Le même jour, je me suis rendu à MALATHIVU où je suis resté 20 jours. Puis, toujours en barque, j’ai rejoint la ville de RAMESHWARAM, en Inde.

J’ai été accueilli par un cousin de mon père, Nalaija THARMAKULASINGAM, qui résidait dans le quartier tamoul de THIRISY, au n°22, Pourthullovil road Kilaiur.

Mais en Inde, je n’étais pas en sécurité car la police effectue de nombreux contrôles d’identité et il est impossible d’y vivre sans documents. En particulier, les jeunes hommes en situation irrégulière sont suspectés d’appartenir au LTTE et risquent d’être renvoyés immédiatement au Sri-Lanka. C’est pour cela que je n’avais pas d’autre choix que d’essayer de fuir en Europe.

Le cousin de mon père a contacté un passeur qui m’a demandé 5 photos et qui a fait établir un faux passeport indien. Une semaine plus tard, il a téléphoné pour dire qu’il venait me chercher pour me conduire à l’aéroport de MADRAS.

Le 30 mars 2002, j’ai pris l’avion pour l’Arabie Saoudite, puis pour MOSCOU, après deux escales je ne sais pas où. A Moscou, le passeur m’a repris le faux passeport indien et m’a demandé d’attendre une autre personne qui allait s’occuper de moi. Nous étions 4 dans la même situation. Un homme blanc est venu et nous a conduits dans un appartement où se trouvaient 10 personnes qui attendaient comme nous. Ce passeur venait de temps en temps nous apporter à manger. Nous sommes restés là ensemble 25 jours.

Puis, un passeur est venu le soir et il a emmené trois personnes et moi. Nous avons roulé en voiture jour et nuit durant plusieurs jours, puis nous avons été déposés dans une forêt où attendaient déjà une vingtaine de personnes. Nous avons alors marché à pied pendant une vingtaine de jours, nous reposant la journée et reprenant notre marche la nuit. Nous avons été laissés dans une sorte d’étable, puis j’ai fait partie d’un groupe de 5 personnes emmenées dans une voiture pour une étape de 5 jours. Nous avons à nouveau attendu dans un bâtiment durant environ deux semaines.

Puis nous avons été embarqués dans un camion où nous étions cachés dans le noir et où nous respirions difficilement. Au bout de deux jours et demi, je n’en pouvais plus, j’ai crié au secours. Le chauffeur m’a alors déposé au bord de la route. Je ne savais pas où j’étais. J’ai arrêté une voiture et j’ai pu parler au chauffeur en anglais. Il a accepté de me conduire dans la ville la plus proche : c’était Strasbourg. J’ai cherché la gare et j’ai fini par trouver un compatriote qui m’a expliqué quelles démarches il fallait faire pour demander l’asile.

Je sollicite la reconnaissance du statut de réfugié en France parce que je ne peux plus vivre au Sri-Lanka où je crains à la fois par les Tigres qui me reprochent mon soutien au EDPS et par le gouvernement sri-lankais en raison de mes origines et de l’engagement de mon frère dans la LTTE. Je demande à être convoqué à l’Office pour apporter oralement toute précision à mon récit.


Extraits de pièces versées au dossier à l’appui de la demande

- 

Certificat médical établi par Dr Hoibian des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (21.11.2002) - Extrait : "Je soussigné certifie avoir examiné Monsieur RAJENDRAM ELANCHELVAN né le 29.08.76 et avoir contasté : 1 - cicatrice verticale à l’arrière du crâne de 4 cm de long ; 2 - une cicatrice oblique de 7 cm de long à la face externe de l’avant bras gauche ; 3 - une cicatrice de 2 x 3 cm à la face antéro externe de la cuisse gauche ; 4 - une cicatrice de 3 cm longitudinale sur le bord interne de la main droite. Elles seraient en rapport avec des violences, mauvais traitements et tortures subis entre le 31.08.98 et le 20.09.98 - Dr. M. HOIBIAN Praticien Hospitalier - Hôpitaux Universitaires de Strasbourg"

- 

Certificat de décès du frère d’Elanchelvan RAJENDRAM : Isaichelvan - Extrait : " 1. Date et lieu de décès : le 05 juillet 1997 Hôpital d’enseignement, Jaffna - 2. Nom complet : Rajendram Isaichelvan - (...) 7. Cause du décès : Hémorragies causes par coup de fusil (...)"

Le premier rejet de l’OFPRA (30.01.2003)

Extrait : "L’intéressé, d’ethnie tamoule et originaire de Manipay, déclare avoir été arrêté le 31 août 1998 lors d’une rafle dans sa ville natale à la suite d’un attentat. Il aurait été détenu au camp de Pandatherripu pendant vingt jours et y aurait été maltraité. Grâce à l’intervention de plusieurs officiels, il affirme avoir été libéré à la condition de se présenter tous les deux mois devant l’autorité militaire. Pour se protéger des mauvais traitements qu’il aurait subi lors de chaque passage au camp, il aurait rejoint les rangs de l’E.P.D.P. en janvier 2000 sans recevoir de solde et alors qu’un de ses frères, membre du L.T.T.E. , aurait été tué par l’armée le 14 novembre 1999. Il affirme avoir joué un rôle mineur dans son organisation et avoir été menacé par les militants du L.T.T.E. à deux reprises en octobre 2000. Craignant pour sa vie et grâce à l’aide logistique de l’E.P.D.P., il aurait quitté son pays en décembre 2001.

Cependant, le caractère stéréotypé, peu circonstancié et parcellaire de ses déclarations orales ne permet de tenir pour établis les faits allégués et pour fondée sa demande de reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de l’article 2 de la loi du 25 juillet 1952 modifiée.

En conséquence, sa demande en date du 06/08/2002 est rejetée."

Le recours à la Commission des Recours des Réfugiés (03.03.2003)

RAJENDRAM Elanchelvan
Chez M. SINNATHURAI
11, rue Sainte Hélène
67300 SCHILTIGHEIM
n° OFPRA : 2002-08-01119

Objet : recours contre une décision de rejet de l’OFPRA

Commission des Recours des Réfugié
Péripole 2
10, avenue du Val de Fontenay
94138 FONTENAY s/BOIS Cedex

Pièces jointes :
- original du rejet de l’OFPRA + photocopie
- copie de mon acte de naissance + traduction
- copie de ma carte d’identité + traduction
- copie de l’acte de décès de mon frère Isaichelvan + traduction
- copie de l’attestation du prêtre Indou Naguleswara Kurukkal (traduction en cours)
- copie de l’attestation du Principal de l’école, Sellathuraï Supramaniyam (traduction en cours)
- copie de l’attestation de Kandasamy (traduction en cours)
- copie de ma carte médicale datée du 04/10/1998 (traduction en cours)
- copie de l’attestation du "G.S" P. Rajendram (traduction en cours)
- copie du document du Bureau EPDP de la Section de Jaffna + traduction
- copie du certificat de scolarité de l’Institut des Technologies Avancées (traduction en cours)
- copie de la photo de mon frère Ilankumaran
- copie du certificat médical établi par Dr Hoibian des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Strasbourg, le 03/03/2003

Monsieur, Madame,

J’ai déposé une demande d’asile auprès de l’OFPRA enregistrée en date du 06/08/2002. Le 08/02/2003, j’ai reçu une lettre de l’OFPRA m’informant que ma demande était rejetée aux motifs que le caractère stéréotypé, peu circonstancié et parcellaire de mes déclarations orales ne permettraient pas de tenir pour établis les faits allégués et pour fondée ma demande de reconnaissance de la qualité de réfugié.

Or je réaffime que je ne puis retourner dans mon pays où je me trouve en danger. Pour cela, je me permets d’introduire un recours contre cette décision négative de l’OFPRA. Je maintiens mes déclarations écrites auprès de l’OFPRA que je vous soumets afin que vous puissiez prendre connaissance des motifs et des circonstances qui m’ont conduit à devoir fuir le Sri-Lanka. En annexe à ce récit, j’ai rajouté quelques rectifications à ce récit.

Je voudrais également signaler une erreur dans le résumé de mon histoire notifié par l’OFPRA : après ma libération du camp militaire de PANDATHERRIPU, je devais me présenter deux fois par mois devant les autorités militaires, et non tous les deux mois.

Je suis meurtri par les motifs de rejet de l’OFPRA car je considère que le temps d’entretien qui m’a été accordé ne me permettait malheureusement pas de restituer les évènements tragiques qui ont bouleversé ma vie et qui débutent il y a plus de dix ans. En effet, je n’ai été entendu qu’une vingtaine de minutes. Comment est-il possible, sans même compter les temps de traductions, de restituer une telle histoire en si peu de temps ? Comment est-il possible de le faire sans paraître parcellaire et peu circonstancié ?.

C’est une blessure pour moi de lire que mon récit serait stéréotypé car ce sont des évènements que j’ai vécu dans ma chair. Je réaffirme fortement que mon père et moi avons été détenus et torturés atrocement par l’armée durant 20 jours en septembre 1998. Une telle expérience de terreur laisse des traces indélébiles, physiques, mais aussi psychiques. Après cela, je n’avais plus qu’un seul objectif : me protéger de nouvelles tortures, préserver ma vie. J’étais terrifié à l’idée d’une nouvelle arrestation par l’armée. Rallier les Tigres aurait été signer ma propre mort, rajouter de la violence à la violence que je tente de fuir. Je m’en suis déjà expliqué, c’est pour me protéger que je me suis adressé au parti EPDP. Par ailleurs, je réaffirme également fortement que j’ai perdu deux frères, d’abord Isaichelvan alors âgé de 23 ans puis Ilankumaran alors âgé de 20 ans. Ma fuite du pays a été portée par les paroles de ma mère qui m’a dit qu’elle avait déjà perdu deux fils, qu’elle ne voulait pas me perdre aussi, qu’elle voulait que je parte.

J’ai essayé de rassembler le maximum de documents prouvant ma parole mais l’OFPRA n’en a nullement tenu compte. Concernant le décès de mon frère Ilankumaran, il est trop dangeureux pour ma famille de demander à obtenir un acte de décès. Par contre, je possède la cassette vidéo des Tigres "Olivichchu" de novembre 1999 où la disparition de mon frère est mentionnée. J’en avais fait état à l’OFPRA mais ils n’ont pas voulu voir la cassette. Pour mon recours, je ferai en sorte d’en décripter le contenu le concernant, que je vous le ferai parvenir dès que possble.

Je vous demande votre protection. Si je ne me trouvais pas en danger dans mon pays, j’y retrournerais aussitôt car toute ma vie est là-bas, ma famille, mes amis, la terre où je suis né et ai grandi. Malgré les pourparlers, le conflit opposant le LTTE à l’EPDP reste meurtrier. Je ne veux pas compter parmi ses victimes, je veux vivre, ne pas mourir. En cas de retour, qui me protègera ? Je vous demande de me permettre de vivre en sécurité ici. Je vous remercie de me convoquer afin que je puisse répondre de vive voix à toutes vos questions.

Rectifications au récit :

Différents noms de villes ont été mal orthographiés :
MIRUSUVIL (et non Mirisivil)
MANKULAM (et non Makulam)
THIRUNELVELI (et non Thirna)
MANTHIKAI (et non Manthilla).

Une précision page 4 :

Au sein du parti EPDP, je contribuais à la rédaction d’articles du journal MAKKAL KURAL qui est imprimé à Colombo et qui parait deux fois par mois. Nous envoyions nos articles par fax à Colombo.

Une incompréhension page 4 :

Il est écrit "Le 5 novembre 2001, je suis allé clandestinement dans un bateau de pêcheur jusqu’à la ville de NEDUNTHIVU, une ville sous contrôle du EPDP. Le Parti a payé et organisé ce voyage. Le même jour, je me suis rendu à MALATHIVU. Je suis resté là bas 20 jours..."

Or, c’est à NEDUNTHIVU que je suis resté durant 20 jours avant d’arriver à MANNARTHIVU que j’ai quitté le même soir, en barque, jusqu’à la ville de RAMESHWARAM en Indes.

Le premier rejet de la CRR (04.11.2004)

Extrait : "(...) Considérant que, pour demander la reconnaissance de la qualité de réfugié, M. Elanchelvan RAJENDRAM, qui est de nationalité sri-lankaise et d’origine tamoule, soutient qu’il a été contraint de se dépalcer à plusieurs reprises avec sa famille de 1982 à 1996, en raison des attaques de l’armée sri-lankaise ; qu’en 1995 son frère cadet à rejoint les rangs du LTTE ; que son frère aïné a été tué le 5 juillet 1997 alors qu’il se rendait à son travail, lors d’un combat opposant l’armée au LTTE ; qu’à la suite d’un attentat survenu le 31 août 1998, il a été arrêté avec son père par des militaires ; qu’il a été incarcéré dans un centre militaire et qu’il a été maltraité pendant vingt jours durant lesquels il a été interrogé au sujet de son frère membre du LTTE ; qu’après sa libération, il devrait se rendre au centre deux fois par mois afin de signer un registre de présence ; qu’il a cesse de s’y rendre vers la fin de l’année 1999 car il était souvent maltraité par les militaires ; que craignant d’être à nouveau arrêté, il s’est confié à l’un de ses amis qui était membre de l’EPDP et qui a accepté de le cacher dans le local dudit mouvement ; que les tigres, ayant appris qu’il résidait sans ce local, ont exigé qu’il arrête toute collaboration avec l’EPDP ; que ces derniers lui ont fixé à deux reprises un rendez-vous auquel il ne s’est pas rendu ; qu’il a pris part, en faveur de l’EPDP, à la campagne électorale lors des élections législatives de décembre 2001 ; que le bus qui le transportait ainsi que les membres de ce mouvement, a fait l’objet d’une attaque au cours de laquelle plusieurs personnes ont été tuées ; qu’ayant appris le décès de son frère membre du LTTE et craignant pour sa sécurité tant à l’égard de ladite organisation que des autorités sri-lankaises, il a quitté son pays ;

Considérant toutefois que ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique devant la Commission ne permettent de tenir pour établis les faits allégués, en particulier la réalité de l’incarcération alléguée ainsi que les circonstances de son ralliement à l’EPDP et pour fondées les craintes énoncées ; qu’en particulier, les certificats médicaux produits ne peuvent être regardées comme établissant un lien entre les constatations relevées lors de l’examen du requérant et les sévices dont celui-ci déclare avoir été victime ; que les attestations émanant du Grama sevaka, d’un juge de paixn, d’un directeur d’école et d’un aumônier, eu égard aux termes dans lesquelles elles sont rédigées, ne sont pas suffisantes pour confirmer la véracité des allégations de l’intéressé ; que les lettres émanant de membres de la famille du requérant, rédigées en des termes convenus, sont dépourvues de valeur probante ; qu’ainsi le recours en peut être accueilli ; (...)"

La demande de réexamen à l’OFPRA (14.06.2004)

RAJENDRAM Elanchelvan
Chez M. PASHKARAN PALASUNT
17, Place Alfred de Musset
67200 STRASBOURG
n° OFPRA : 2002-08-01119

Objet : réexamen de ma demande d’asile au titre de la nouvelle loi

OFPRA
201, rue CARNOT
94136 FONTENAY s/BOIS Cedex

Pièces jointes :
- Eléments nouveaux :
- copie du courrier de Kurukkal Naguieswara, gouverneur et archiprêtre du temple Sri Nagulambika Sri Nagulaswara Swamy + traduction
- copie du courrier de Kandasumy, Juge de paix, ancien Officier de Grama et Officier d’Etat civil des mariages + traduction
- copie du courrier de Rajendram, Officier de Grama + traduction
- copie de l’enveloppe contenant ces trois documents

- Autres éléments dont votre Office n’a pas encore eu connaissance :
- copies de la transcription (extraits) de la cassette vidéo des Tigres "Olivichchu" de novembre 1999 + documents d’identité de la traductrice et de la rédactrice
- copies de deux courriers de mon père + traductions

Strasbourg, le 14/06/2004

Monsieur, Madame,

J’ai déposé une demande d’asile auprès de l’OFPRA enregistrée en date du 06/08/2002 qui a été rejetée par votre Office en date du 30/01/2003, rejet confirmé par la Commission des recours en date du 04/11/2003.

Depuis lors, je vis terré chez la famille PASHKARAN PALASUNT, réfugiés statutaires à l’OFPRA, qui sont bien placés pour connaître et reconnaître la gravité de ma situation et qui me prennent totalement à leur charge. Vous savez, si je ne me trouvais pas en danger dans mon pays, j’y retournerais aussitôt car toute ma vie est restée là-bas, ma famille, la terre où je suis né et ai grandi. Votre Office n’ignore pas que malgré les pourparlers, le conflit opposant le LTTE à l’EPDP reste meurtrier. Je ne veux pas compter parmi ses victimes, je veux vivre, je ne veux pas mourir.

Je suis entré en contact avec mes parents au Sri-Lanka qui me confirment malheureusement que la situation actuelle ne me permettra pas de vivre en sécurité. Or, j’ai besoin de sécurité. Ni votre Office ni la Commission des Recours n’a cru à la vérité de mon histoire, je ne puis comprendre pourquoi. Je réaffirme fortement que mon père et moi avons été détenus et torturés atrocement par l’armée durant 20 jours en septembre 1998. Une telle expérience de terreur laisse des traces indélébiles, physiques, mais aussi psychiques. Après cela, je n’avais plus qu’un seul objectif : me protéger de nouvelles tortures, préserver ma vie. J’étais terrifié à l’idée d’une nouvelle arrestation par l’armée. Rallier les Tigres aurait été signer ma propre mort, rajouter de la violence à la violence que je tente de fuir. Je m’en suis déjà expliqué, c’est pour me protéger que je me suis adressé au parti EPDP. Par ailleurs, je réaffirme également fortement que j’ai perdu deux frères, d’abord Isaichelvan alors âgé de 23 ans puis Ilankumaran alors âgé de 20 ans. Ma fuite du pays a été portée par les paroles de ma mère qui m’a dit qu’elle avait déjà perdu deux fils, qu’elle ne voulait pas me perdre aussi, qu’elle voulait que je parte.

Je vous remercie de bien vouloir m’accorder le bénéfice d’un entretien car je n’avais été entendu par votre Office qu’une vingtaine de minutes, ce qui ne me permettait pas de restituer les évènements tragiques qui ont bouleversé ma vie. Je pourrai alors vous présenter les originaux des documents que je vous présente aujourd’hui.

A la lumière de ces éléments et à la lumière de la nouvelle loi, je vous demande votre protection, au moins le temps que situation au Sri-Lanka soit suffisamment stabilisée pour me permettre de vivre sans ce sentiment de peur qui ne me lache plus depuis que je sais que je risque une reconduction dans mon pays.

Extraits de pièces versées au dossier à l’appui de la demande

"Je soussigné, FLUHR Simone, permanente de l’association CASAS, déclare avoir été visionné la cassette-vidéo que Monsieur RAJENDRAM tient à votre disposition, en présence de Madame NADARAJAHSARMA Kakaiyarasy, traductrice bénévole, et dont je notifie ci-dessous les extraits concernant directement le frère de Monsieur RAJENDRAM.

Titire : OLI VITCHOU

Une présentatrice annonce : "Nos pensées vont maintenant accompagner des combattants qui sont morts pour regagner notre terre"
images d’un immense cimetière, de prières en effeuillant des fleurs...

nouveau titre : Pensées à nos martyrs
avec voix off : "Novembre 1999 : gens de Jaffna mort en sacrifice"

Suivent une série de visages (photos d’identité) avec au bas le nom correspondant.

Le visage de frère de Monsieur Rajendram apparaît en 28ème position " Capitaine Idayan Ilankumaran Rajendram"

Puis la cassette se poursuit avec la présentation de victimes originaires d’une autre région du Sri-Lanka...

Fait à Strasbourg, le 06/05/2003"

Le second rejet de l’OFPRA (12.07.2004)

Extrait : "(...) A l’appui de sa demande, l’intéressé invoque à nouveau sa détention avec son père en septembre 1988, son ralliement au sein de l’EPDP et la mort de ses deux frères. Toutefois, ces faits sont ceux sur lesquels l’Office et la Commission s’étaient précédemment prononcées. Dès lors ils n’ont pas le caractère de faits nouveaux et ne sont pas recevables. En conséquence, cette demande ayant, par rapport à la précédente, le même objet et pas de cause juridiquement distincte, l’Office ne peut que confirmer sa précédente décision de rejet."

Le second recours à la CRR (10.08.2004)

RAJENDRAM Elanchelvan
Chez PASHKARAN PALASUNT
17, Place Alred de Musset
67200 STRASBOURG
n° OFPRA : 2002-08-01119

Objet : recours contre une décision de rejet de l’OFPRA

A l’adresse de la Commission des Recours des Réfugié
10, avenue du Val de Fontenay
94138 FONTENAY s/BOIS Cedex

Pièces jointes :
- original du rejet de l’OFPRA + photocopie
- copie du courrier de Kurukkal Naguieswara, gouverneur et archiprêtre du temple Sri Nagulambika Sri Nagulaswara Swamy + traduction
- copie du courrier de Kandasumy, Juge de paix, ancien Officier de Grama et Officier d’Etat civil des mariages + traduction
- copie du courrier de Rajendram, Offic ier de Grama + traduction
- copie de l’enveloppe contenant ces trois documents
- original du témoignage sur l’honneur de Palasuntharan Pashkaran et Ulaganathan Chandraveni + copies de leurs cartes de réfugié ;

Strasbourg, le 10/08/2004

Monsieur, Madame,

J’ai déposé une demande de réexamen de ma demande d’asile auprès de l’OFPRA enregistrée en date du 08/07/2004. Le 15/07/2004, j’ai reçu une lettre de l’OFPRA m’informant que ma demande était rejetée aux motifs que les faits sur lesquels je m’appuie sont ceux sur lesquels l’Office et la Commission des Recours des Réfugiés se sont déjà précédemment prononcées. Dès lors, ils n’ont pas le caractère de faits nouveaux et ne sont pas recevables. En conséquence, ma demande ayant par rapport à la précédente, le même objet et pas de cause juridiquement distincte, l’OFPRA confirme sa précédente décision de rejet.

Je ne suis pas juriste et il est vrai que les faits que j’invoque sont les mêmes que ceux que j’avais déjà présenté lors de ma première demande d’asile. Mais je ne veux pas tricher et inventer des faits nouveaux qui n’existent pas en réalité. La réalité sont les faits que j’ai vécu et que l’OFPRA n’a pas tenu pour établis. Or j’ai vraiment subi des tortures qui marqueront toute ma vie. J’ai vraiment perdu mes deux frères. Mes parents me répètent qu’il ne faut surtout pas que je revienne et j’ai vraiment peur de retourner dans un pays où ma sécurité n’est pas assurée. Les trois courriers que j’ai récemment reçu du Sri-Lanka en attestent, de la même manière qu’ils attestent que mes craintes en cas de retour sont toujours justifiés à l’heure actuelle, et tant que la situation ne se sera pas stabilisée suffisamment pour me permettre de vivre en sécurité.

Je suis donc retourné devant l’OFPRA afin que la réalité de mon histoire soit reconnue. Mais l’OFPRA n’a pas voulu me convoquer bien que l’entretien initial n’avait duré qu’une vingtaine de minutes, ce qui ne me permettait vraiment pas de restituer les évènement tragiques que j’ai vécu au Sri-Lanka et qui débutent dès 1992, avec le bombardement de notre village. J’ai tout fait pour réunir des preuves appuyant mes déclarations, mais la Commission des Recours des Réfugiés ne m’a pas cru non plus. Tout cela est incompréhensible pour moi et je ne sais plus quoi faire pour qu’on me croie.

Je suis malheureux en France où je n’ai pas de papiers, pas de droit de travailler et où je n’ai aucune perspective. Je vis totalement à la charge de ma cousine et de son mari qui ont tenu à vous faire part de leur témoignage concernant ma situation. Cette situation ne peut pas durer et il me faut trouver une issue. Si l’issue pouvait être mon retour au Sri-Lanka, cela fait bien longtemps que j’aurais pris ce chemin. Mais la situation actuelle au Sri-Lanka ne me le permet pas. J’ai besoin de vivre en sécurité, je voudrais que vous puissiez l’entendre.

Je vous remercie de bien vouloir réexaminer ma situation et de m’accorder votre protection tant que la situation au Sri-Lanka ne me permettra pas de vivre en sécurité.

Le second rejet de la CRR (20.04.2005)

Extrait : "Considérant que, pour demande l’asile, M. Elanchelvan RAJENDRAM, qui est de nationalité sri-lankaise et d’origine tamoul, soutient qu’il craint toujours d’être persécuté par les membres du LTTE et par les autorités en cas de retour au Sri Lanka ; qu’il demande à bénéficier des dispositions de la loi du 10 décembre 2003 relatives à la protection subsidiaires ;

Considérant que les dispositions nouvelles de la loi du 25 juillet 1952 adoptées postérieurement à la précédente décision de la Commission ne constituent un élément nouveau que dans la mesure où elles sont susceptibles de remettre en cause la qualification juridique de faits que la Commission n’a pas encore écartés comme n’étant pas établis ; qu’en l’espèce, l’intéressé se borne à solliciter le réexamen de sa demande au regard des nouvelles dispositions législatives sans invoquer de faits autres que ceux qui ont été regardés comme non établis dans la précédente décision de la Commission ; que, dès lors, ces circonstances n’ont pas le caractère de faits nouveaux ; qu’ainsi, le recours n’est pas recevable ; "

Décision du Tribunal Administratif sur le recours contre l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (29.06.2005)

Extrait : "Considérant qu’il ressort de la rédaction de l’arrêté litigieux que celui-ci doit être regardé comme comportant une décision de renvoi de M. RAJENDRAM dans son pays d’origine ;

Considérant que la demande d’admission au statut de réfugié présentée par M. RAJENDRAM a été rejetée par une décision de l’office français pour la protection des réfugiés et apatrides en date du 30 janvier 2003, confirmée par la commission des recours des réfugiés le 4 novembre suivant ; que sa demande de réexamen de sa demande d’asile a également été rejetée, dans le cadre de la procédure prioritaire, le 12 juillet 2004, confirmée par la commission des recours des réfugiés le 20 avril 2005 ; que si le requérant soutient qu’il craint pour sa sécurité en cas de retour dans son pays d’origine, il ne fournit aucune précision ni justification à l’appui de ses allégations ; que, par suite, le moyen tiré de sa méconnaissance des stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales doit être écarté ; qu’il suit de là que M. RAJENDRAM n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté attaqué ;"

Dépêches d’agences tamouls sur le meurtre (28.02.2007)

" Civilian shot and killed in Chavakachcheri

Rasenthiram Ilanchelvan aged 32 was shot and killed by the SLA and paramilitary in his house located near Old Police Station.

When he went to the back side of his house around 6.00am he was shot."

Source TERRA : http://www.tamilsydney.com/

"Tamil civilian shot dead in Jaffna

Wednesday, 28 February 2007

Rasenthiram Ilanchelvan, 32, was killed on Wednesday morning at around 6am when Sri Lanka Army (SLA) soldiers occupying the peninsula opened fire at him.

The victim was shot more than a dozen times when he emerged from a lavatory adjourning his house in Chavakachcheri Town, local reports say."

Source TERRA : http://www.tamileditors.com/

"SLA shoots dead civilian in Chavakachcheri

TamilNet, Wednesday, 28 February 2007, 12:08 GMT

Sri Lanka Army (SLA) soldiers on a foot patrol along A9 highway, 300 meters from Chavakachcheri town in Thenmaradchy, shot dead a civilian at 6:00 a.m. Wednesday, sources said. The soldiers panicked and opened fire when the man suddenly emerged from a lavatory adjoining his house, relatives said.

The victim was identified as Rasenthiram Ilanchelvan, 32. More than 15 bullet wounds were found in Ilanchelvan’s body, according to Police.

The Chavakachcheri magistrate visited the scene of the crime, and directed the Police to hand over the body to Jaffna Teaching Hospital for postmortem examinations. SLA soldiers have been psychologically affected by the increasing incidents of claymore and grenade attacks, and the fear of such attacks has resulted in the soldiers opening fire indiscriminately on unsuspecting civilians, civil society sources in Jaffna said.

Source TERRA :http://www.tamilnet.com/art.html?ca...

Article des Dernières Nouvelles d’Alsace (16.03.2007)

© Dernières Nouvelles d’Alsace - 2007 - article paru dans les DNA du 16 03 2007

Faits divers

Strasbourg
Débouté du droit d’asile, expulsé, tué par balles

Arrivé en France en 2002 pour fuir les persécutions dont il était victime au Sri Lanka, Elanchelvan Rajendram a eu moins de chance que les membres de sa famille déjà réfugiés à Strasbourg. Débouté du droit d’asile en 2003, il s’est trouvé sans plus aucune voie de recours en 2004. Il a été expulsé vers le Sri Lanka en août 2005. Membre du Casas (*), Simone Fluhr l’avait accompagné dans ses démarches successives. Ils avaient sympathisé. Elle l’avait regardé partir la mort dans l’âme : « Nous voyons passer beaucoup de Sri Lankais d’origine tamoule. Nous savons ce qu’ils endurent. L’oncle d’Elanchelvan installé à Hautepierre a été torturé en détention. Le certificat médical qui décrit les séquelles fait trois pages. » Pour le nouvel an 2006, Simone a pourtant eu la surprise de recevoir une carte de voeux d’Elanchelvan, avec des petits coeurs et des roses de toutes les couleurs. Elle a appris sa mort la semaine dernière. Le 28 février à l’aube, le jeune homme est ! tombé, le corps criblé de six balles. Exécuté par les militaires de l’armée sri-lankaise alors qu’il sortait des toilettes installées dans la cour de sa maison. Vêtu d’une simple étoffe et désarmé, Elanchelvan a rendu son dernier souffle dans les bras de sa femme. Sous l’oeil goguenard de ses assassins.

« Je savais qu’il serait en danger au Sri Lanka »

C’est David Balathas, un des amis d’Elanchelvan réfugiés à Strasbourg, qui a contacté Simone pour lui raconter. Dans son magasin de retouches du quartier des Halles, il retient encore ses larmes, une photo de son ami disparu posée sur la table. « Je savais qu’il serait en danger là-bas. Il avait déjà perdu deux frères. Et l’un d’eux était membre des Tigres-tamouls (**), appuie David. Je ne comprends pas pourquoi l’Ofpra (***) ne l’a pas cru. » Ebranlée, la famille vient d’envoyer, avec l’aide du Casas, un faire part de décès aux organismes intervenus dans le traitement du « dossier » d’Elanchelvan : l’Ofpra, la Commission de recours des réfugiés, la préfecture du Bas-Rhin, la Police aux frontières, etc. « Il ne s’agit pas de les culpabiliser. Mais de rappeler que, dans le cas de personnes victimes de persécutions, l’expulsion peut être synonyme de mort », précise Simone. Elanchelvan avait 30 ans. Il laisse derrière lui son épouse et une petite fille âgée de trois mois ainsi que des parents brisés par la perte de leur troisième et dernier fils.

Manuel Plantin

(*) Collectif d’accueil pour les solliciteurs d’asile à Strasbourg.
(**) Le LTTE est une organisation indépendantiste tamoule en lutte depuis 1972 contre le pouvoir cinghalais.
(***) Office français de protection des réfugiés et apatrides.

© Dernières Nouvelles d’Alsace : http://www.dna.fr/ - 16.3.2007

Faire part de décès envoyé aux institutions françaises (25.03.2007)

FAIRE PART

Pashkaran PALASUNTHARAM et son épouse Ulaganathan CHANDRAVENI
David BALATHAS
ont la profonde douleur de vous faire part
du décès de leur cousin et ami,

Elanchelvan RAJENDRAM
âgé de 30 ans
assassiné par des militaires de l’armée sri-lankaise
mercredi 28 février 2007 à 6 heures du matin

Arrivé en France le 14/06/2002 pour demander l’asile, Elvanchelvan RAJENDRAM a été débouté de ses demandes successives de protection en dépit des traces de tortures marquant son corps, en dépit aussi des preuves relatives à la disparition de ses frères et à sa propre détention.

_ Elvanchelvan est rentré au Sri-lanka le 30/08/2005 suite à un Arrêté de Reconduite à la Frontière.
A son arrivée à Colombo, il a été détenu et interrogé par les autorités du Sri-Lanka durant six heures. Il a été relâché grâce à un versement d’argent remis par son oncle.
Il a retrouvé ses parents et a décidé de reprendre le cours de ses études universitaires.
Le 25/01/2006, il a épousé une institutrice de l’école du village de Chavakathachcheri.
Ils ont vécu ensemble dans ce même village.
Ils ont eu une petite fille prénommée Kothai qui a trois mois aujourd’hui.

Le 28 février 2007, à l’aube, Elvanchelvan vêtu d’un simple saram, sortait des toilettes de sa cour. En chemin pour rentrer dans sa maison, il a été abattu par des militaires. 16 balles ont été retrouvées sur les lieux : cinq d’entre elles étaient logées dans son corps (deux dans une jambe et trois dans la poitrine). Une sixième balle tirée dans son dos l’a traversé de part en part et a perforé son coeur et ses poumons. Elvanchelvan a eu le temps d’appeler au secours. Sa femme a accouru, a posé sa tête sur ses genoux. Il a hoqueté deux fois et il a expiré. Autour se tenaient six militaires qui ont déclaré sarcastiquement que ce n’était pas eux qui l’avaient tué (ils n’avaient pas eu le temps de déposer une arme auprès de lui selon le procédé habituel leur permettant de déclarer qu’il s’agirait d’un combattant du LTTE). La police est arrivée sur les lieux et le corps a été transporté à l’hôpital. Quand les parents ont demandé la restitution du corps, ils n’ont pu l’obtenir qu’après avoir signé un document attestant que leur fils était un combattant du LTTE. Ils l’ont signé. Ils n’avaient plus rien à perdre : avec Elvanchelvan, ils viennent de perdre leur troisième et dernier fils.

"Cher fils Selvan, tu ne dois à aucun prix rentrer au pays. On a déjà perdu ton grand frère et ton petit frère. Toi seul nous reste et on ne veut pas te perdre. Si cela arrivait, toute la famille sombrerait dans la maladie et la dépression. Reste là où tu te trouves en sécurité. Ton cher papa K. Rajendram"

Extrait d’une lettre de son père écrite en juin 2003 et « rédigée en termes convenus » selon les termes de la dernière décision de la Commission des Recours des Réfugiés.

Lettre ouverte de l’association CASAS

C A S A S
Collectif d’Accueil pour les Solliciteurs d’Asile à Strasbourg
Objet : communiqué de presse Strasbourg, le 12 mars 2007

Madame, Monsieur,

Nous vous remercions de bien vouloir prendre connaissance du communiqué de presse, qui est en fait un faire-part, concernant l’assassinat récent de Monsieur Elanchelvan RAJENDRAM, victime innocente, parmi tant d’autres, du conflit ravageant le Sri-Lanka.

Ce conflit ne fait qu’empirer avec son lot quotidien d’exactions et d’exécutions extrajudiciaires dont la Communauté Internationale a totalement connaissance et, à cet égard, la mort de Monsieur Rajendram est malheureusement un fait tragiquement banal.

Ce qui change pour nous, c’est que nous le connaissions bien puisque nous l’avions accompagné durant plusieurs années au cours de sa procédure de demande d’asile jusqu’à ce que, ayant épuisé tous les recours, il ait été renvoyé dans son pays suite à un Arrêté de Reconduite à la Frontière.

Nous gardons le souvenir d’un jeune homme attachant et intègre qui transpirait la peur et qui n’aspirait qu’à une seule chose : retrouver le sentiment de sécurité.

La famille concernée* et nous-mêmes nous tenons à votre disposition pour toute information complémentaire dont vous auriez besoin.

Nous vous remercions de votre attention

Jacques SCHEER, Président de CASAS

PS : ce faire part a été envoyé à tous les organismes français auxquels Monsieur Elanchelvan RAJENDRAM, a demandé la protection, à savoir :
- l’OFPRA, Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (dossier n°2002-08-01119)
- La Commission des Recours des Réfugiés (dossiers n°435351 et n°507656)
- La Préfecture du Bas-Rhin (dossier n°6703060418)
- Le Tribunal Administratif de Strasbourg (dossier n°0502828) et le Tribunal d’Appel de Nancy
- La Police des Airs et des Frontières
- et l’ANAEM (Agence Nationale de l’Accueil des Etrangers et des Migrations) de Strasbourg

Appel à un rassemblement Place de Broglie (26.03.2007)

Strasbourg : Rassemblement à la mémoire de Elvanchelvan Rajendram âgé de 30 ans assassiné par des militaires de l’armée sri-lankaise mercredi 28 février 2007 à 6 heures du matin

Le rassemblement aura lieu

Place Broglie, devant les marches de l’opéra,

lundi 26 mars 2007 à 9 heures.

La demande adressée au Préfet est l’arrêt de toute expulsion vers le Sri-Lanka.

Articles du journal "20 Minutes" (27.03.2007)

La mort au bout de l’expulsion

Une cinquantaine de membres de la communauté tamoule d’Alsace se sont rassemblés hier matin, place Broglie. En silence, brandissant des pancartes, ils ont réclamé l’arrêt des expulsions de Tamouls vers le Sri Lanka. Une mobilisation décidée à la suite du décès, après son retour forcé au pays, d’un ancien demandeur d’asile qui s’était installé dans la capitale alsacienne. « Expulser les nôtres s’apparente à une peine de mort. Ce que les militaires ont fait à Elanchelvan est malheureusement courant », lâche David, un Tamoul de 43 ans.Le 28 février, Elanchelvan, 30 ans, a été abattu par des soldats dans son village du nord de l’île. Un arrêté de reconduite à la frontière avait entraîné son expulsion d’Alsace en août 2005. Trois ans plus tôt, il avait rejoint Strasbourg où vit une partie de sa famille, pour demander l’asile politique. Soupçonné au Sri Lanka d’être un séparatiste, il pensait obtenir le statut de réfugié, d’autant que deux de ses frères avaient été liquidés par les militaires.« Malgré une page complète de description des tortures qu’il a endurées, et dont il portait les traces, sa demande a toujours été refusée », déplore Simone. Bénévole au collectif d’accueil pour les solliciteurs d’asile à Strasbourg (Casas), elle a accompagné Elanchelvan dans ses démarches administratives. « On espère au moins que ce qu’il a subi servira d’exemple aux autorités, pour qu’elles suspendent les expulsions de Tamouls, comme c’est déjà le cas pour les Tchétchènes. »

Jonathan Barbier
20 Minutes, éditions du 26/03/2007 - 22h43 / dernière mise à jour : 27/03/2007 - 00h28
Source TERRA : http://www.20minutes.fr/

Extraits du journal "20 Minutes" - 27.03.07 :

« L’Ofpra a perdu son indépendance »

Elanchelvan Rajendram, jeune Tamoul de 30 ans, avait demandé l’asile politique en France. Il a été débouté et reconduit dans son pays, au Sri Lanka. Le 28 février au matin, Elanchelvan a été abattu par des soldats dans son village du nord de l’île. Me Gilles Piquois, l’avocat d’Elanchelvan Rajendram, revient sur la politique française de droit d’asile concernant les Tamouls.

Pour quelles raisons Elanchelvan Rajendram a-t-il été débouté ?

Aujourd’hui, le facteur le plus important pour décrocher le droit d’asile, c’est la chance. Nous n’avons reçu qu’une réponse stéréotypée, comme à chaque fois, alors que les Tamouls sont persécutés au regard des critères de la convention de Genève. Ils sont discriminés en raison de leur race, de leur religion et de leurs idées politiques. Le Haut comité aux réfugiés (HCR, émanation des Nations unies) a d’ailleurs réagi en décembre 2006. Il a recommandé aux Etats d’accorder le statut de réfugiés aux Tamouls et de réexaminer le dossier de tous ceux déjà déboutés. Le Royaume-Uni a suivi le HCR, mais pas la France.

Le cas d’Elanchelvan Rajendram est-il isolé ?

Malheureusement non. L’Ofpra (Office français pour la protection des réfugiés et apatrides) a durci sa politique. Elle ne veut plus accorder de statut aux Tamouls depuis le cessez-le-feu de 2002 signés par le gouvernement et les rebelles Tamouls. L’accord a été rompu depuis longtemps, mais l’Office n’a pas changé sa ligne de conduite ! En 2006, seulement 5,1% des Sri Lankais obtenaient l’asile, contre 60% il y a dix ans.

Pourquoi cette évolution ?

C’est une question politique. L’ex-ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, qui voulait s’en servir pour réguler l’immigration, a changé la loi pour pouvoir nommer un préfet en tant que co-directeur de l’Ofpra -un poste traditionnellement dévolu à un diplomate. Résultat, on observe une baisse significative des demandes d’asile acceptées. L’indépendance politique de l’Office n’est plus assurée.

20Minutes.fr, éditions du 27/03/2007 - 20h18 / dernière mise à jour : 27/03/2007 - 20h22
Source TERRA : http://www.20minutes.fr/article/

Campagne nationale "Cette France-là, vous l’aimez ? vous pouvez la changer" (10.04.2007)

http://www.cettefrancela.net/

Depuis 1983, la guerre civile déchire le Sri Lanka. Au terrorisme souvent aveugle des séparatistes tamouls répond la sanglante répression du gouvernement de Colombo. Parmi les 70 000 victimes de ce terrible conflit figure désormais Elanchelvan Rajendram, assassiné devant son domicile le 28 février 2007 par des militaires cinghalais. [...]


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UNE CAMPAGNE À DIFFUSER Les affiches que nous proposons sont conçues pour circuler et être reprises le plus largement possible. Chacun-e est invité-e à s’en emparer :

* collez-les partout où vous le pouvez (sur les endroits autorisés) ;
* affichez-les dans la vitrine de votre magasin et proposez-là à d’autres ;
* distribuez-les à votre entourage ;
* diffusez-les auprès d’organisations susceptibles de les afficher et de les distribuer.

Les affiches que nous proposons appellent à regarder en face, aujourd’hui, cette France-là. « Cettefrancela.net » ne s’adosse ni n’appellera à aucune affiliation partisane, et si certain-e-s d’entre nous sont, par ailleurs, lié-e-s à divers mouvements, associations ou publications, notre participation n’est en rien l’émanation de ces collectifs. Nos matériaux sont conçus pour circuler et être repris le plus largement possible. Chacun-e est invité-e à s’en emparer. Cette France-là, nous ne l’aimons pas, et nous pouvons la changer.

Emmanuelle Cosse, Rachel Easterman-Ulmann, Éric Fassin, Michel Feher, Chloé Forette, Gaëlle Krikorian, Christophe Le Drean, Éric Marty, Philippe Mangeot, Mathieu Potte-Bonneville, Isabelle Saint-Saëns, Antonin Sopena.

http://www.cettefrancela.net/Affich...

Lettre de Simone FLUHR du CASAS à TERRA (24.04.2007)

Je me suis entretenue aujourd’hui avec la famille de Elanchelvan, réfugiée en France, au sujet de votre demande. Ils sont tout à fait d’accord pour que vous publiez sur TERRA les documents ayant trait aux différentes démarches que Elanchelvan avait faites lorsqu’il était en France dans la mesure où, comme vous, ils ont voulu rendre son assassinat public afin d’éviter que d’autres personnes comme lui ne soient renvoyées à la mort. Avec leurs mots, c’est "Lui, il est perdu, on ne peut plus rien faire pour lui, mais il ne faut plus que ça arrive à d’autres, y compris ceux qui viennent d’ailleurs que du Sri-Lanka".

Concernant ce qui s’est passé depuis son retour au Sri-Lanka, sa famille témoigne de ceci :

Quelques semaines avant son assassinat, l’épouse de Elanchelvan avait eu la visite d’hommes en tenue militaire et civile à la maison en l’absence de son mari qui était à l’université. Ils lui ont posé des questions quant à ses activités mais aussi quant à ses activités lorsqu’il était absent. Ils ont évoqué le fait qu’ils n’ignoraient pas que son frère avait appartenu aux Tigres.

Consciente du danger qui se rapprochait, la famille avait décidé de quitter Chavakathachcheri pour s’installer chez les parents de Elanchelvan qui résident à Ilavaley. Au moment de l’assassinat, leur déménagement était quasi effectif. Elanchelvan ayant déménagé son ordinateur et les principaux effets, ils avaient vécu déjà deux semaines à demeure chez les parents. Ils étaient retournés à Chavakathachcheri parce que leur bébé devait y faire des vaccinations. C’est à cette occasion qu’il a été assassiné.

Tout cela, la famille ne l’a appris qu’ultérieurement à sa mort au travers des propos de sa femme et de ses parents. Au tout début, vu l’embrasement du conflit au Sri-Lanka, ils avaient cru à un "meurtre accidentel", motivé par la peur des soldats qui ont les nerfs à vif. Mais il leur semble évident aujourd’hui que Elanchelvan était visé en raison de l’engagement de son frère chez les Tigres car ils n’auraient pas abattu par panique un homme totalement désarmé de façon visible, comme c’était le cas, et pas en déchargeant 16 balles.

David Balathas, son ami, culpabilise énormément parce qu’il se dit qu’il l’a laissé partir alors qu’il le sentait en danger car "au moindre contrôle, les autorités allaient de toute façon tomber sur l’engagement notoire de son frère chez les Tigres". Il culpabilise d’autant plus que pour lui éviter d’être détenu (retenu faudrait-il dire), il s’était engagé à l’emmener à l’aéroport en proposant sa carte d’identité française en caution. Aujourd’hui, il se dit qu’il aura participé à son destin tragique. Il est inconsolable, son sentiment de culpabilité se rajoutant au deuil d’un ami avec qui il aura partagé toutes ces années en France.

Sa cousine (et son mari) sont eux dans un état de sidération, le même que celui qu’ils exprimaient à ne pas comprendre que personne ne croyait à son histoire "alors qu’il avait toujours dit la stricte vérité". Ce sentiment était d’autant plus fort qu’ils avaient été, eux, reconnus réfugiés dès l’OFPRA et qu’ils faisaient ainsi totalement confiance dans le jugement des autorités françaises en matière de protection.

Que pouvais-je leur dire alors ? Que ce n’était pas le premier ni assurément le dernier que je connaissais qui était débouté de sa demande d’asile même s’il avait toujours dit la vérité, même si le risque pour sa vie en cas de retour était réel ? Même si, en l’occurrence, il pouvait appuyer ses dires par les cicatrices laissées par les tortures subies, même s’il avait pu prouver la disparition de ses deux frères par un acte de décès et une cassette vidéo ? Même si toutes les attestations qu’il avait pu obtenir confirmaient, point par point, son parcours ? Ils ne pouvaient comprendre cela alors je n’ai rien dit sauf que moi non plus je ne pouvais pas comprendre.

Lorsque le Tribunal Administratif de Strasbourg a confirmé l’Arrêté de Reconduite à la Frontière émis par la Préfecture du Bas Rhin, il a encore formulé un recours auprès de la Cour d’Appel de Nancy mais ce recours n’était pas suspensif et « l’affaire » ne serait pas jugée avant un an. En attendant, Elanchelvan savait qu’au moindre contrôle d’identité, il serait mis en rétention pour être renvoyé au Sri-Lanka.

Il ne sortait plus de la maison, il ne pouvait plus accompagner les enfants de sa cousine à l’école comme il le faisait depuis des années. La police pouvait venir le chercher à tout moment et d’autant plus facilement qu’il avait indiqué son adresse chez sa cousine dans toutes ses demandes administratives. A partir de là, Elanchelvan était littéralement malade d’angoisse, il attendait jour et nuit le coup de sonnette à la porte. De toute évidence, les cauchemars qui le réveillaient la nuit prenaient corps dans le réel. Il lui fallait arrêter cette attente, cette torture de l’attente, l’attente de la torture : il a préféré se livrer lui-même à la police pour « éviter d’être escorté dans l’avion par la police française, cela lui laisserait plus de chance de passer inaperçu à l’arrivée à Colombo ».

Le jour où il m’a demandé comment procéder, j’ai encore tenté de lui indiquer une autre voie, sachant qu’elle ne le protégerait pas non plus d’une expulsion. Vous ne connaîtriez pas une Tamoule bénéficiant de papiers qui voudrait se marier avec vous ? Il sourit, non, j’ai une fiancée là-bas. Et ce n’est pas lui qui allait démontrer suffisamment de « ruse et de détermination pour détourner les procédures afin de pouvoir se maintenir sur le territoire » comme le croient nos autorités. Aujourd’hui, je lui en veux pour cela, cela m’évite de m’en vouloir de lui avoir donné très consciencieusement les coordonnées des services qui allaient « l’aider » à rentrer.

Quand j’ai rencontré sa famille après l’annonce de son décès, elle m’a demandé d’écrire à l’OFPRA et aux différentes instances auxquelles Elanchelvan avait demandé de l’aide en France pour les informer de ce qui était arrivé. Ils m’ont alors demandé s’il fallait présenter un acte de décès indiquant sa cause pour le prouver. J’avoue que je n’ai pu retenir alors des larmes de colère : Elvanchelvan avait tout fait pour pouvoir présenter les documents utiles pour prouver ce qu’il disait. Cela n’a servi à rien, tout a été jugé « insuffisant ou sans garantie suffisante d’authenticité », les attestations et les courriers de ses parents « rédigés en termes convenus », les certificats médicaux « ne pouvant établir un lien entre les constatations médicales et les sévices dont le requérant se déclare avoir été victime ». Tout a été vain et maintenant qu’il est mort, il faudrait à nouveau tenter de le prouver ?

Je revois Elanchelvan, son visage, sa réserve, son incapacité à trouver les ressources pour se faire entendre haut et fort. Tout son être respirait la peur au point où, au début, il avait un mouvement de recul quand je lui tendais la main pour le saluer (et pourtant je n’ai pas l’allure d’un tortionnaire). David me raconte qu’il avait pleuré longuement après le rejet de la CRR et qu’il lui avait dit que c’est peut-être devant la CRR qu’il aurait fallu exprimer sa détresse. Mais non, sa pudeur, et même sa peur de passer en jugement, ne pouvait permettre aucune expression manifeste sauf d’attendre que ça se passe, comme une bête sacrifiée d’emblée. Oui, Elvanchelvan n’aurait pas fait de mal à une mouche, il aurait trop souffert pour elle. Il était cette mouche qu’on écrase et même pas un cri.

En reparlant de lui avec sa famille, je me suis rendue compte d’une méprise. Quand Elanchelvan m’avait parlé d’une fiancée, j’avais cru que ce projet de mariage était, comme souvent dans leur pays, convenu entre leurs familles respectives. Or, ce n’était pas le cas : Elanchelvan et cette jeune femme étaient amoureux depuis longtemps, ils s’étaient rencontrés à l’université et s’étaient promis l’un à l’autre. J’imagine ainsi leur vie déchirée par la guerre et la fuite des persécutions. Mais du coup, j’imagine aussi leurs retrouvailles. J’imagine leur bonheur de se marier et de mettre au monde une petite fille, même si elle ne connaîtra jamais son père.

Voilà, j’ai envie d’en finir là dessus.

Merci de votre travail en sa mémoire et qui relaye l’espoir de sa famille de rendre consciente nos autorités du risque de mort encouru par ceux qui ont fui leur pays d’origine en raison de persécutions.

Simone FLUHR, CASAS Strasbourg, 24 avril 2007