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La pratique de l’excision chez les Dan de Logoualé (Côte-d’Ivoire) : pourquoi et comment ?

Jean-Claude Oulai
Dan Oulia poursuit des recherches sur le fondement anthropologique de l’excision chez les Dan de Côte-d’Ivoire dans une approche de la communication pour le changement de comportement (C.C.C). Ses thèmes généraux de travail sont la communication sociale et l’anthropologie sociale et (...)

citation

Jean-Claude Oulai, "La pratique de l’excision chez les Dan de Logoualé (Côte-d’Ivoire) : pourquoi et comment ? ", REVUE Asylon(s), N°1, octobre 2006

ISBN : 979-10-95908-05-0 9791095908050, Les persécutions spécifiques aux femmes. , url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article488.html

résumé

Malgré la connaissance générale du phénomène de l’excision dans certains pays, il faut reconnaître que l’on trouve très peu de données systématiques et fiables sur la fréquence de cette pratique à l’échelle nationale des pays. Certes, une littérature abondante existe sur l’excision, mais très peu de travaux sont consacrés aux considérations médicales. L’accent est plutôt mis sur les volets des coutumes et tradition, sur les motivations culturelles et actuellement sur les aspects juridiques dans l’optique de lutter en faveur de son abolition. Le but de notre étude est de souligner l’importance du problème, ses répercussions sur la santé de la femme et de proposer quelques voies de sorties. C’est ainsi que nous avons planifié notre projet de recherche chez les Dan de Logoualé pour mieux comprendre la logique locale de cette pratique et l’expérience personnelle des femmes dans ce processus. Nous voulons explorer le contexte social dans lequel on fait l’excision pour mieux comprendre les objectifs et aussi les conséquences de cette pratique pour les populations concernées. Pour mieux comprendre ce phénomène si complexe, on ne peut pas se contenter des chiffres de fréquence et de forme de la pratique. Il faut aussi examiner le phénomène en tant qu’événement et l’aborder comme acte social.

INTRODUCTION

Les populations dont il est ici question dans la pratique de l’excision vivent en Côte d’Ivoire dans une région semi montagneuse située dans la partie Ouest.

Quelles sont les particularités géographiques, historiques et socioculturelles de cette région ?

1- Aperçu géographique :
La partie occidentale de la Côte d’Ivoire est la plus montagneuse du pays. Elle est aussi la plus pluvieuse. A cause de son relief, les populations sont organisées en petites communautés. Les sous-affluents du Niger tels que La Bagoé à l’Est et Le Bafing à l’Ouest circonscrivent un territoire placé tout au long de cette rivière Bafing qui les abrite.

Les Dan de Logoualé habitent donc la Sous-préfecture du même nom qui s’étend sur une superficie 1824 Km2 et se situe à environ 538 kilomètres à l’Ouest d’Abidjan, et à 32 kilomètres du Chef-lieu de la région administrative la plus importante qu’est la ville de MAN.
Quelle est l’histoire de ce peuple et celle de son peuplement ?

2- Aperçu historique :
C’est à partir des légendes que l’on reconstitue une bonne partie de l’histoire des DAN de Logoualé. Ces légendes racontent la provenance des DAN de la région de SAMATIGUILA (dans le Département actuel d’ODIENNE dans le Nord-ouest de la Côte d’Ivoire). Ce peuple serait fondé par un chasseur émérite d’éléphant, chasseur du nom de MAH LOH DENDEH. Son activité cynégétique va être à l’origine du nom de son unité résidentielle. Séchant la viande d’éléphant sur les pics granitiques appelés GOUALEH, lui et les membres de son campement finissent par être désignés LOH GOUALEH, c’est-à-dire le rocher de LOH.
Ainsi naît le campement, le village et puis la ville, et la Sous-préfecture de LOGOUALE.

Quels sont les points de repères de l’excision dans cette région montagneuse (accidentée) où la nature est rendue hostile par des luttes intestines entre clans rivaux ?

3- Données socioculturelles :
L’influence des Manding du KABADOUGOU, de la Haute Guinée et du MAHOU va grandement jouer sur les populations locales pour créer une acculturation dans les populations DAN. La nécessité d’un contrôle social sur la population, la formation initiatique des jeunes gens à l’art guerrier et à la conquête du milieu naturel, par des alliances inter groupes vont converger vers l’adoption de cette pratique initiatique féminine qu’est le BONH ou l’excision féminine des DAN de Logoualé.
Pour les DAN, qu’est-ce qu’est l’excision ?

L’EXCISION CHEZ LES DAN DE LOGOUALE

En dehors des conceptions « partisanes » d’organisations militantes (Droits de l’homme, de la femme, de l’enfant), comment les Dan perçoivent-ils le phénomène de l’excision ?

Pour les DAN en général, l’excision est un phénomène culturel attaché à leur mode de vie. Elle fait partie intégrante de leur organisation sociale et constitue une donnée sociale de leur genre de vie collective propre au monde féminin de leur communauté.

Cette perception dans sa présentation générale ne donne pas encore la pleine mesure de cette pratique culturelle, si l’on ne s’intéresse pas aux principaux acteurs sociaux de la pratique excisionniste.

1. Les prêtresses de l’excision :
Il convient de dire que le BONH (excision) est une institution sacrée. Elle est rangée du côté des institutions religieuses féminines. De ce fait, elle est gérée par une gérontocratie féminine chargée de veiller à la sauvegarde des « intérêts » de l’institution.

De leur point de vue, l’excision est une création des ancêtres ; les prêtresses n’en sont que les dépositaires et à ce titre, elles sont chargées d’en administrer le bon fonctionnement et en perpétuer l’existence. Son origine lointaine ne leur permet pas de situer avec précision les repères dans le temps. Il s’agit d’une tradition, c’est-à-dire la manière dont les parents, les grands-parents et avant eux, les ancêtres…faisaient qui continue à travers les autres générations.

2. Les excisées :
Les filles et jeunes femmes considèrent l’excision comme une pratique coutumière des DAN. A ce titre, elle est obligatoire et s’impose à elles. Elles sont tenues de la subir à la demande des parents. En fait, la pratique excisionniste est vécue comme une donnée de l’éducation de la jeune fille DAN et fait partie des composantes de sa formation physiologique, psychologique et culturelle. A la limite s’y soustraire, serait préjudiciable à son éducation, celle-ci serait incomplète et la non-excisée serait marginalisée parce que ne répondant pas aux critères internes d’une initiation éducative complète. Cela est-il envisageable ?

3. Les jeunes gens :
Les groupes des jeunes DAN de Logoualé voient l’excision comme une institution symétrique, comparable à leur propre initiation masculine dans les Confréries de masques (masques sacrés, masques récréatifs, masques de la gestion de l’ordre social…), et les Associations des cultures agricoles… Les filles doivent subir l’excision pour qu’elles soient formées et sachent les « secrets des femmes ». Ces jeunes gens ne conçoivent pas des filles DAN hors de l’excision, donc incultes et ignares.

4. Les hommes :
Pour les hommes qui exercent une autorité prégnante sur l’ensemble des lignages, l’excision est un mécanisme incontournable d’accès à la maturité féminine, au mariage et à la reproduction sociale en pays DAN. Tout en relayant l’institution au monde à part de la Société femme, l’homme DAN ne tient pas moins à cette institution dont il contribue en assurer la permanence et le bon fonctionnement. Le caractère androcratique de la communauté DAN explique le poids constant de l’homme dans la perpétuation du fait excisionniste.

Pourquoi considère t-on que la pratique de l’excision doit-elle continuer ? En dehors de son statut de patrimoine culturel des ancêtres, de sa gestion par le monde des femmes, malgré les coups de boutoirs du modernisme, pourquoi continue t-on à pratiquer à Logoualé l’excision ?

POURQUOI L’EXCISION ?

Cette question a une importance capitale dans la réflexion sur la pratique de l’excision en pays DAN de Logoualé. Les différentes réponses collectées et analysées à cette question centrale peuvent aider au plan interne à mieux comprendre la portée de ce phénomène social.

Ces réponses peuvent s’ordonner en quatre rubriques relatives aux fonctions de l’excision :

les fonctions culturelles et sociales ;
les fonctions matrimoniales et maternelles ;
les fonctions religieuses et juridiques ;
les fonctions économiques et politiques.

1. Les fonctions culturelles et sociales :
L’excision en milieu DAN est d’abord vécue comme un fait de culture, c’est-à-dire comme une donnée naturelle de la vie des populations (femmes). Pratiquement chaque année, un village ou un groupe de villages procède à des cérémonies initiatiques relatives à l’excision. Ce sont des cérémonies qui mobilisent les communautés pendant plusieurs jours avec des cortèges, des défilés, des danses, des festivités, une animation et une mobilisation exceptionnelles.

Hommes, femmes, jeunes, adultes et vieux, autochtones et allogènes viennent de partout prendre part aux cérémonies. Les cérémonies de l’excision ponctuent ces périodes de vitalité exceptionnelle dans les villages de la Sous-préfecture de Logoualé.

A cette occasion, s’activent les jeux de solidarité inter familiale, et inter lignagère. Les solidarités horizontales (camarades de même classe d’âge) et verticales (entre aînés et cadets) s’expriment par des dons (en nature et en espèces) et des contre dons [1]. L’occasion que donnent les phases finales de la sortie des initiées (excisées) du bois sacré permet des retrouvailles, des réconciliations, et des manifestations joyeuses croisées.

C’est pourquoi, au-delà de l’excision elle-même, comme opération biologique faite dans les parties génitales des filles, il y a toute une organisation et une dynamique de société qui marquent les esprits et qui se rattachent à la pratique de l’excision en tant que phénomène social de rapprochements sociaux.

2. Les fonctions matrimoniales et maternelles :
La pratique de l’excision est un point de départ de l’ouverture des fiançailles officielles et des mariages. Une fille non excisée en pays DAN ne peut prétendre à un mariage. Aucune famille ne pensera à demander la main d’une telle fille pour leur garçon. Les non excisées sont des exclues.
Aussi comprend-on la sanction de l’excision comme licence à l’accès au mariage. Qui parle de mariage parle de maternité. En fait, l’excision réussie, donne droit à la maternalité dans son principe procréateur. Quelle peut être la vocation d’une femme sans la maternité ? L’importance de la reproduction sociale est telle qu’on n’envisage pas une alliance matrimoniale sans enfantement.

L’épreuve de l’excision est donc assortie de plusieurs ouvertures sociales : les fiançailles, le mariage, la maternité et partant la considération sociale et l’honneur des familles (époux et conjoints).

3. Les fonctions religieuses et juridiques :
Dans la mesure où le BONH s’inscrit résolument dans une perspective religieuse et sacrée, une de ses fonctions majeures est de prolonger la dimension spirituelle de cette pratique sociale. Les prêtresses officient en invoquant toujours les ancêtres, les esprits de la terre, les génies des eaux, des forêts et des montagnes. L’univers est un réceptacle de divinités et celles-ci sont constamment sollicitées pendant chaque cycle initiatique.

La portée spirituelle de l’initiation consacre aussi sa valeur juridique car le droit en la matière est consacré par le pouvoir religieux. Ce sont les divinités qui autorisent l’acte d’excision et en valident la valeur juridique, c’est-à-dire que l’autorisation des divinités vaut caution légale. Le refus des divinités et des ancêtres signifie non validation et toute invalidation est sanctionnée par la mort.

Ainsi tout échec dans le bois sacré est considéré comme un signe de refus des divinités et est sanctionné juridiquement par une invalidation dont la rançon est la mort. Sacré et Droit sont étroitement associés dans la pratique excisionniste et constituent une direction de réflexion importante dans la mentalité des hommes et des femmes DAN de Logoualé.

4. Les fonctions économiques et politiques :
Au-delà de l’excision, des alliances matrimoniales et de leurs sanctions sacrées et juridiques, se profilent d’autres fonctions auxquelles se rattachent les pratiques de l’excision.

Le mariage permet d’augmenter en quantité et en qualité les ressources humaines indispensables à la croissance des capacités économiques. Dans le mariage, les femmes représentent une main-d’œuvre pour la mise en valeur des champs de riz, de manioc, d’igname et d’autres cultures vivrières.

La polygamie appuie directement cette perception socio-économique des activités productrices (agriculture, petit-élévage) et génératrices de revenus (petit commerce de produits vivriers dans les marchés des villages et au Chef-lieu de la Sous-préfecture de Logoualé).

Au plan politique, la pratique de l’excision permet de renforcer, par le jeu des alliances matrimoniales, le potentiel des pouvoirs des chefs de lignages, de cantons et de villages. Ces entités renforcent le nombre des effectifs grâce aux mariages exogamiques. Prendre femme dans un village B renforce au village A le nombre de « parents sociaux » puisque le mariage crée une nouvelle famille sociale et élargit les limites de la première famille.
Les alliés deviennent frères et à ce titre, ils se doivent obligation d’assistance et de solidarité. En cas d’attaque d’un village, par des ennemis, les alliés sont tenus de lui porter secours. Le mariage assure cette parenté par l’alliance et compte dans les stratégies de défense et de secours mutuel. L’autorité gagne en force grâce à cette stratégie sociale.
Si à travers ces différentes fonctions, l’on peut comprendre le recours à l’excision dans ses manifestations et significations sociales, culturelles, religieuses, politiques et économiques, reste la pratique de l’excision elle même dans ses modalités concrètes.
Comment se fait l’excision et où ?

COMMENT SE FAIT L’EXCISION ?

La pratique de l’excision est à inscrire dans des cadres institutionnels qui en tracent les contours et précisent les modalités de ses phases d’exécution.

1. Les cadres institutionnels
Par cadres institutionnels, il faut entendre l’environnement physique, les hommes et femmes (mandatés par la coutume), les familles dont sont issues les néophytes et les rites périphériques.

1.1. Le bois sacré :
L’initiation est une pratique qui se déroule en dehors de l’enceinte villageoise. Cela se passe à l’intérieur d’un bois sacré. Celui-ci est un enclos forestier situé à environ 2 à 3 kilomètres du village. A l’intérieur sont aménagés des abris, des espaces de vie communautaire, des enclos secrets et sacrés, des structures des soins de santé.

L’éloignement des bois sacrés s’explique, selon les anciens, par le fait qu’il faut séparer le village lieu de culture du bois où se jouent les destins des néophytes. Le dialogue entre les esprits, les ancêtres, les génies se fait dans le bois sacré où tout se négocie. Par ailleurs au moment de la pratique de l’excision, les cris des filles à exciser ne doivent pas parvenir au village. D’ailleurs de grandes clameurs se font entendre à chaque passage de néophyte, suivis de battements de tam-tams et des chants.

Chaque objet de l’enclos est considéré comme sacré et tout geste ou tout acte ou comportement inconvenant est frappé d’amende et doit faire l’objet d’une sanction à régler. Il revient aux marraines de s’acquitter de ces amendes (en nature ou en espèces) argent, poulets, boisson….

1.2. Les opératrices
Elles sont composées par un collège de plusieurs femmes âgées (de 40 à 60 ans). Ce sont elles qui, procèdent à l’ablation partielle du clitoris des candidates et donnent la composition des mixtures phytopharmaceutiques destinées aux soins des plaies corporelles. En cas de maux collatéraux (fièvres, infections…), ce sont ces mêmes prêtresses qui sont commises aux thérapies appropriées pour obtenir guérison.

1.3. Les anciens
Logiquement, l’excision est une affaire de femmes. Ce sont les femmes qui gèrent pratiquement l’ensemble de la chaîne de l’excision, y compris les sacrifices rituels qui y ont cours. Toutefois, en cas de gravité, il est fait secrètement appel à un collège d’anciens (hommes) réputés pour leurs aptitudes en matière de médecine traditionnelle.

En réalité, il s’agit de tradithérapeutes, doublés de capacités spirituelles, intercesseurs auprès des ancêtres et des génies et à même de situer des cas limites de guérison ou de mort. Ce sont eux, qui en dernier ressort, agissent, soit pour sauver les cas graves, soit pour statuer sur les peines irrémédiables. Leur présence et action sont très mystérieuses et secrètes.

1.4. Les familles
C’est avec beaucoup de soins que l’on prépare l’entrée des filles (5 à 18 ans) à la cérémonie du BONH . Pour beaucoup de familles, ce sont de longues années de sacrifices, d’économie et de préparation psychologique. Des cotisations sont levées, des réunions secrètes organisées [2]. Les parents des environs, des autres localités (villages et villes) sont informés et priés de manifester leur solidarité à l’évènement.

En effet, au-delà des dépenses directes qu’engage l’excision, les cérémonies sont une occasion pour les membres de la famille d’exhiber leurs richesses et leur pouvoir économique face aux autres familles. Il se crée un véritable concours de démonstrations, de prestige et d’étalage de ces richesses : tenues vestimentaires, bijoux, pagnes d’apparat, bétail, beuveries…
Tout doit concourir à prouver que les néophytes sont soutenues par une famille capable de leur assurer appui et soutiens de tous genres.

1.5. Les rites sacrificiels
Le contexte rituel et sacrificiel amplifie et prolonge la portée religieuse de l’évènement qui ne se limite plus aux dimensions géographiques du bois sacré. C’est l’ensemble des membres des familles qui sont concernées à deux niveaux : interne et externe.

Au niveau interne
Les jours qui précèdent l’opération de l’excision, il est demandé aux membres des familles qui ont des griefs, les uns contre les autres, de les effacer, par des confessions internes directes. Cette opération de nettoyage morale et psychologique a pour but, dit-on, de disposer les ancêtres et les génies des villages et ceux du bois sacré à autoriser des cérémonies sans incident. Cette quête de paix intra familiale a rapport avec la consanguinité, car le sang à verser dans le bois sacré est en partie celui de tous les membres ascendants et collatéraux de la grande famille. Il faut donc en cette circonstance que les esprits soient concordants et que le «  noir  » (symbole du mal, de la rancœur, de la jalousie ou des palabres antérieurs) soient évacués par des reconnaissances publiques à l’intérieur des unités familiales ; des sacrifices et/ou amendes sont requis pour ceux qui ont tord et ainsi l’absolution est obtenue pour tous.

Au niveau externe
La même opération est ordonnée par les anciens des lignages qui procèdent aux règlements des litiges de portée inter familiaux impliquant l’ensemble de la communauté villageoise ou clanique. A ce niveau, les notables et chefs sont impliqués et procèdent au règlement d’usage des palabres et les rites d’expiations sont accomplis, soit aux masques sacrés, lorsqu’ils sont en cause, soit à une rivière sacrée lorsque son génie est concernée, soit aux ancêtres (défunts) pour que le climat général soit à l’apaisement et garantisse les succès dans les familles ayant présenté des candidats du BONH .

C’est le lieu de rappeler l’importance des sacrifices animaliers qui vont du poulet au bœuf en passant par les moutons. Le sang des jeunes filles est précédé par le sang rituel des animaux qui est censé apaiser tout esprit maléfique avant le sang humain.

Cette dimension de paix sociale exigée des individus et des familles n’est pas la moindre des importances et significations attachées à l’institution de l’excision en pays DAN de Logoualé.
2. Le déroulement de l’opération
La cérémonie proprement dite se déroule par une nuit noire de saison sèche. Les néophytes rassemblées depuis une semaine sont préparées psychologiquement à l’épreuve par des discours d’endurance, des leçons de choses de la vie, des discours matérialistes sur leur future fonction et rôle de mère, de responsable, sur les perspectives heureuses de la maternité et des fastes du mariage, l’honneur et la joie des familles.

Leurs corps sont préparés en conséquence avec des produits onctueux spéciaux, des macérations et autres pommades. Au jour J, c’est par un bon matin que commencent les cérémonies. Tout est censé se passer dans l’anonymat, (opératrices et soignantes) ; seules les marraines sont identifiées pour soutenir le moral de leurs filleules respectives.

Les chants, les clameurs sont produits à profusion pour masquer les gémissements, les pleurs, les cris, afin d’éviter que les dernières ne soient effarouchées par les lamentations des premières. Des potions « magiques » sont données au fur et à mesure aux filles en vue de calmer la douleur. Il en est de même après l’opération ; des plantes cicatrisantes sont prévues pour soigner les plaies et éviter hémorragies et infections consécutives à l’excision.

3. L’implication de la société Dan dans la consommation du BONH
En dehors des filles, du Clergé des prêtresses et de leurs acolytes dans la gestion de l’excision, il faut à l’observateur, reconnaître, que cette institution dans son fonctionnement, implique la société DAN dans sa totalité.
Le rôle des hommes qui présente une ambiguïté est en réalité un subterfuge qui ne les tient jamais loin des opérations à leurs différents échelons :

A l’échelon matériel
Les hommes adultes aident à la préparation des cérémonies même s’ils sont interdits de séjour à l’intérieur de l’enclos sacré ;

A l’échelon juridique et religieux
Les anciens, aînés sociaux sont commis aux règlements des questions juridiques, (palabres) ; ils officient les cérémonies à caractère religieux en leur qualité de chef de famille ;

A l’échelon financier
Ce sont les chefs de ménage, gestionnaires des biens patrimoniaux qui autorisent la sortie des biens des familles, biens patrimoniaux, bijoux, pagnes d’apparat et autres biens. Ils donnent l’argent pour les dépenses de circonstance quitte à être aidés par d’autres contributions additionnelles internes et externes provenant d’autres parents et amis de la famille ;

A l’échelon social villageois
Les différentes générations et classes d’âges d’excision sont mobilisées pour apporter leur concours actif aux préparatifs et aux succès des familles par une organisation soutenue. Dans ces conditions, il faut voir en l’excision des DAN de Logoualé un véritable phénomène social, certes affecté par les innovations d’origines diverses, mais anthropologiquement fondé sur des valeurs sociales de solidarité, de croyances et d’organisation communautaire.

Avec l’école, le pouvoir monétaire, l’urbanisation, les campagnes médiatiques à l’encontre du BNOH , que devient cette institution ? Quelles sont ses perspectives ?

LES PERSPECTIVES DE LA PRATIQUE DE L’EXCISION CHEZ LES DAN

A l’instar de beaucoup d’autres institutions socioculturelles et religieuses de la Côte d’Ivoire, l’excision connaît depuis quinze ans environ, un véritable siège psychologique, militant pour sa déstructuration et son élimination.

En effet, de l’intérieur de la Société DAN comme de l’extérieur (lois de l’Etat, Associations, Organisations Non Gouvernementales (ONG)…), nombreux sont les coups de boutoir que connaît cette institution. Certes, les poches ethnoculturelles où l’on pratique encore l’excision sont concernées : les pays DAN, GUERE, WOBE, BAOULE, SENOUFO, MAHOU, sont soumis à la rigueur de la loi. L’excision est interdite sur l’ensemble du territoire de la Côte d’Ivoire.

Cette mesure législative qui n’a pas encore entièrement franchie toutes les limites des villages, n’est plus ignorée. C’est pour cela que l‘institution du BONH perd chaque année de sa « splendeur » et de « son faste » dans les foyers rebelles où elle survit encore, avec la complicité des anciens.

Depuis un (1) mois, des émissions télévisuelles de la Télévision Ivoirienne continuent de dérouler des bandes passantes où l’on peut lire ceci : «  l’excision est une pratique interdite en Côte d’Ivoire Elle est punissable d’amende pouvant aller de 1 à 5 ans d’emprisonnement  ».

Combien sont-ils les Ivoiriens à pouvoir lire une bande passante ? Encore faut-il avoir un poste téléviseur en bon état de fonctionnement. Combien de familles à Logoualé ont-elles lu cette bande passante du Ministère de la Santé Publique et de l’Hygiène Sociale ?

Certes, la radiodiffusion plus accessible aux populations s’y est mise, il est de même des ONG, des Associations des jeunes, des Groupements coopératifs. Mais l’évolution dans le changement des mentalités est lente.

1. Les murailles des anciens
Les aînés sociaux, vieux ou vieilles qui constituent la gérontocratie villageoise y ont encore un poids non négligeable. Leur influence s’exerce encore lourdement sur le maintien de l’institution. Les privilèges qu’ils en retirent en termes financiers, de dons, de considération sociale et d’honneur justifient sans doute les amarres qu’ils tiennent encore.

Toutefois, il y’a lieu de croire au caractère irréversible de la chute de l’excision non seulement en pays DAN, mais partout en Côte d’Ivoire.

2. Les raisons de l’optimisme
Les raisons de la perte de vitesse de l’excision sont de plusieurs ordres :

La classe des anciens ne se reconstitue pas sur ses acquis
Avec la disparition programmée des vieux, des préjugés et positions sociales s’écroulent et avec eux, ce sont de véritables pans socioculturels décriés qui tombent.

Le pouvoir de l’argent
Avec le phénomène migratoire, des jeunes générations acquièrent un pouvoir économique qui contrebalance le pouvoir des aînés et leur droit à la parole. Ce nouveau droit permet de sensibiliser les populations et les familles, dans le sens du changement des mentalités et des pratiques négatives. Ce nouveau pouvoir peut aider à la lutte contre l’excision.

Les mass médias
Ils jouent un rôle important dans le procès de l’excision et autres attitudes et comportements à proscrire. Principalement, la radiodiffusion avec l’explosion des radios de proximité, il y a cinq (5) ans environ, chaque Chef-lieu de région a ses centres de diffusion. Cela permet en plus des stations à réseau national, de renforcer l’action de l’information, l’éducation et de la communication (IEC) en langues locales grâce à ces radios de proximité.

Les mariages mixtes
Les fondements de l’excision s’ébranlent avec les mariages mixtes entre excisées et non excisées, circoncis, non circoncis, DAN, BAOULE et BETE… Ce brassage ethnoculturel lève de nombreux tabous naguère considérés comme irréductibles et dans lesquels l’excision jouait un rôle de base.

Les religions révélées
Elles apportent par endroits des explications plus objectives que subjectives et contribuent aussi à éclaircir l’horizon religieux en la matière. L’excision n’a pas de fondement religieux révélé.

L’école
Elle a une fonction non moins importante dans la lutte indirecte contre l’excision. Le départ ou le maintien prolongée de la fille à l’école l’affranchi de l’enclos initiatique. Par ailleurs, sa culture scolaire occidentalisée la prédispose moins à l’initiation. Elle lui confère des attitudes et des comportements qui la rendent sourde (la jeune fille) aux besoins d’une excision.

L’aide de l’entourage, amies, oncles ou tantes finit par constituer un front de refus face à la mère biologique et à la famille du village pour la sauver définitivement du « supplice du couteau ».

CONCLUSION

L’excision en pays DAN de Logoualé à l’Ouest de la Côte d’Ivoire est une pratique initiatique comme on en rencontre dans beaucoup d’autres régions du pays, dans l’Ouest, le Centre, le Nord et le Nord-Est. Cette pratique héritée des ancêtres l’a probablement été sous les effets conjugués des Mandings et des emprunts socioculturels des groupes sociaux dans leurs différentes pérégrinations.

Depuis des décennies, les DAN de Logoualé pratiquent l’initiation qui est devenue un véritable phénomène de société. Malgré ses dangers, ses drames, les populations DAN continuent de la pratiquer. Chaque année, elle mobilise des centaines de personnes et donne lieu à de véritables festivités avec leurs interférences religieuses et effets économiques et culturels.

Avec les mesures de l’Etat de Côte d’Ivoire, l’on assiste à un véritable coup de frein (certes lent), mais d’autre facteurs croisés (école, économie marchande, migrations) vont accélérer sa déchéance et lever bien de mythes concernant cette pratique discriminatoire et mutilatoire.

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NOTES

[1] A l’image des Potlatch décrit et analysé par Marcel MAUSS dans Sociologie et Anthropologie (Essai de don), PUF, Paris.

[2] Les contributions des parents immigrés sont exigées pour réussir les fêtes que s’impose la grande famille.