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Références

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17

août 2023

Jérôme Valluy

Sur « L’âge du capitalisme de surveillance » (2019) de Shoshana Zuboff et sa difficile réception

auteur

Professeur au Département de science politique (Ufr11) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Chercheur au centre de recherche COSTECH de l’Université de Technologie de Compiègne. Livre : Jérôme Valluy, Humanité et numérique(s) – De l’histoire de l’informatique en expansion sociétale… au capitalisme de surveillance et d’influence (1890-2023), Collection HNP, TERRA-HN-éditions, 2023, 255 p. (+ Allemand, Anglais, Espagnol, Grec, Italien, Portugais) : (...)

résumé

Cet article était, à l’origine, l’extrait d’un cours sur les dimensions numériques de la science politique donné en 2022 au Département de science politique (UFR 11) de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, destiné au format « Support de formation » dans la typologie documentaire des Cahiers Costech. Mais les commentaires de relecture m’ont amené à modifier largement les premières versions proposées à la revue et à introduire une hypothèse d’interprétation des difficultés de reconnaissance du capitalisme de surveillance ; par suite, l’article ci-dessous est inédit, relève plus de la recherche que de l’enseignement et prend donc la forme éditoriale d’un « working paper » dans les Cahiers Costech. Ce texte doit beaucoup aux conseils qui m’ont été donnés par les relecteurs de la rubrique « Capitalisme cognitif », qu’ils en soient très sincèrement remerciés. Source : http://www.costech.utc.fr/CahiersCOSTECH/spip.php?article153

à propos

Article paru dans : Valluy, Jérôme. "Sur « L’âge du capitalisme de surveillance » (2019) de Shoshana Zuboff et sa difficile réception.", 24 novembre 2022, Cahiers COSTECH numéro 6. http://www.costech.utc.fr/CahiersCOSTECH/spip.php?article153

*Introduction

Le capitalisme numérique change très vite. La fameuse « Loi de Moore », depuis 1965, donne une idée de la vélocité constante des évolutions technologiques en matière informatique. Mais les évolutions du système économique semblent aussi rapides et ce capitalisme instable a défié les grilles d’analyse de sciences sociales pendant plusieurs décennies comme l’illustre la prolifération conceptuelle et théorique : « capitalisme informationnel », « capitalisme numérique », « capitalisme cognitif », « capitalisme de plateforme », « capitalisme de surveillance », « capitalisme rentier », « capitalisme racial » figurent parmi les expressions fréquemment employées. Ces syntagmes sont souvent utilisés en des sens différents. Le « capitalisme informationnel » de Manuel Castells (1998) n’est pas celui de Christian Fuchs (2014). Le « capitalisme numérique » de Dan Schiller (1999) n’est pas celui de Philipp Staab (2019). Le « capitalisme cognitif » de Carlo Vercellone (2008) n’est pas exactement celui de Yann Moulier Boutang (2007). Le « capitalisme de plateforme » de Nick Srnicek (2018) est plus large que celui de Sarah Abdelnour et Sophie Bernard (2018). Le « capitalisme de surveillance » de John Bellamy Foster et Robert W. McChesney (2014) a peu à voir avec celui de Shoshana Zuboff (2020). Le « capitalisme rentier » de Marianna Mazzucato (2018) n’est pas tout à fait celui de Brett Christophers (2020). Le « capitalisme racial » de Tressie McMillan Cottom (2020) n’est pas vraiment celui de Jonathan Beller (2021) [1].

L’interprétation de cette prolifération conceptuelle et théorique n’est pas évidente. Elle pourrait être liée à l’instabilité des structures capitalistes dans une période transitionnelle, la variété des concepts reflétant alors la diversité des formes capitalistes successives. Elle pourrait être liée aussi au caractère « sans précédent » du capitalisme numérique connectant 5 milliards d’individus sur 8 en 2022 et défiant toutes les grilles d’analyse produites par les sciences sociales depuis qu’elles existent. Elle pourrait être liée aussi à des divergences de valeurs éthico-politiques entre les auteurs. Elle pourrait être liée enfin à un embarras culturel face à la défense de la « vie privée » devenue centrale pour combattre la captation de données personnelles, clef de voûte du nouveau capitalisme.

Sans prétendre trancher entre ces diverses interprétations – qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement exclusives les unes des autres – le présent article explore ce domaine à partir d’une lecture de « L’âge du capitalisme de surveillance » (2019) de Shoshana Zuboff. C’est logiquement dans la rubrique « Capitalisme cognitif » des Cahiers Costech qu’une présentation de l’œuvre majeure de Shoshana Zuboff trouve sa place, tant sa théorisation du capitalisme de surveillance confirme, sous plusieurs aspects, celle du « capitalisme cognitif » telle que présentée dans cette rubrique dès ses quatre premiers articles : Pascal Jollivet-Courtois, Yann Moulier Boutang, Which economic model for Google Books ? From the user-producer to the pollen society" [2], Yann Moulier Boutang « La crise financière sonne-t-elle le glas d’un capitalisme cognitif mort-né ? » [3] et « Pollinisation, capitalisme cognitif et nouvelle économie de production » [4] ainsi que Frédéric Huet « Introduire et problématiser le capitalisme cognitif » [5].

Plusieurs convergences apparaissent entre les deux ensembles théoriques mais la plus importante me semble se trouver dans la métaphore de l’abeille et de la pollinisation comme modèle économique du « capitalisme cognitif » – notamment dans l’ouvrage intitulé L’abeille et l’économiste (2010) [6] de Yann Moulier Boutang – qui trouve un écho parfait dans le concept de « pouvoir instrumentarien » forgé par Shoshana Zuboff, d’abord pour le distinguer du totalitarisme, et ensuite pour montrer que le « capitalisme de surveillance » réduit l’être humain au rang d’animal (tel les grands singes, les termites ou les abeilles…) à observer et à manipuler afin d’optimiser ses comportements tendanciels dans un sens favorable à l’augmentation des bénéfices issus de la captation des données personnelles et de la vente de retraitements algorithmiques (par « I.A. ») de ces données. Elle consacre à cela son chapitre 16 : « La vie dans la ruche ».

C’est à partir de 2011, nous dit Zuboff, que les données empiriques sur le capitalisme de surveillance commencent à sortir dans la presse via les lanceurs d’alerte et les investigations journalistiques. Yann Moulier Boutang écrit son livre près d’une décennie avant celui de Zuboff et à une époque (2010) où les connaissances empiriques étaient rares… et pourtant ses analyses se trouvent confirmées aujourd’hui et prennent même une allure pionnière si l’on compare les deux ouvrages : « On s’aperçoit aujourd’hui que le modèle le plus performant économiquement repose sur le secret. Il s’appelle Google. Le secret de la réussite économique de Google ne repose ni sur un brevet, ni sur des droits d’auteur, ni sur une marque, mais sur la combinaison du secret de l’algorithme et de la gratuité, sur l’invention d’une prestation gratuite, qui fait que les utilisateurs se révèlent, grâce aux algorithmes de data mining, être des fournisseurs d’informations qui seront vendues aux acteurs économiques. » [7] A quelques petits correctifs près (1. Neuf brevets seront déposés par Google entre 2003 et 2014 ; 2. Google ne revend pas les informations des utilisateurs mais le retraitement algorithmique de ces informations) Shoshana Zuboff approuverait cette analyse produite dix ans avant la sienne. Le secret dont parle Yann Moulier Boutang a en effet été bien gardé de 2001 à 2011 par ce que Shoshana Zuboff nomme « les douves autour du château » auxquelles elle consacre son quatrième chapitre.

Le constat de cette convergence ne doit pas pour autant estomper les différences entre les deux théories :
- Il y a accord sur l’idée d’une inflexion voire d’une rupture dans la trajectoire historique du capitalisme, mais la date et la nature de ce changement de régime économique varient : 1975 pour l’inflexion vers la financiarisation du « capitalisme cognitif » ; 2001… comme date de changement radical de business model par découverte du « surplus comportemental » chez Google fondant le « capitalisme de surveillance ».
- Les socio-économies du « capitalisme cognitif » et de « l’économie de la connaissance » se sont concentrées sur la crise financière de 2008 tandis que la sociologie du « capitalisme de surveillance » se focalise sur celle des « dot-com » en 2001 et surtout sur ses conséquences, observables seulement dix ans après, dans l’évolution des entreprises et du système économique.
- Le « capitalisme cognitif » semble à bout de souffle en 2008, s’effondrant dans la crise financière (« Ne risque-t-il pas d’avoir duré une trentaine d’années en tout et pour tout (1975-2007) ? » [8]) ; le « capitalisme de surveillance » commence à prospérer en 2001 et poursuit sa prospérité bien au-delà de 2008 - si l’on en juge par l’évolution des capitalisations boursières des GAFAM - mais sa prospérité, spectaculaire depuis l’explosion des taux d’équipements en smartphone dans le monde entre 2005 et 2010, est logiquement à situer dans la décennie 2010. De ce fait les deux théories pourraient correspondre à des moments différents du capitalisme.

Pour contribuer à ce dialogue entre les deux ensemble théoriques – dialogue qui pourrait trouver place dans les débats de l’équipe de recherche « C.R.I. - Complexité, Réseaux et Innovation » du Costech-UTC) – je voudrai présenter d’abord la biographie et la trajectoire scientifique particulière (près de quarante ans de recherche sur ce domaine) de Shoshana Zuboff (1) ainsi que son approche sociologique, résolument durkheimienne, du capitalisme de surveillance (2) avant de tenter une esquisse de son modèle général (3) suivi de son résumé par Zuboff (4) et de faire apparaître un certain embarras dans la réception de l’œuvre (5) dont l’origine me semble se trouver dans un impensé culturel ancien face à la protection de la vie privée telle qu’on l’entend aujourd’hui comme sphère d’intimité individuelle constitutive de la dignité humaine et de la démocratie libérale (6).

*1 – Biographie et trajectoire scientifique de Shoshana Zuboff

« L’âge du capitalisme de surveillance » est aujourd’hui l’ouvrage le plus récent et célèbre de Shoshana Zuboff. Il a déjà été traduit dans une vingtaine de pays d’après l’éditeur français. Il paraît un peu plus tôt en traduction allemande (4 octobre 2018, campus Verlag) que dans sa langue d’origine, l’anglais (15 janvier 2019, Public Affairs) et le 15 octobre 2020 pour la traduction française (Zulma) ; j’utilise l’édition de 2022 (Zulma). C’est un ouvrage volumineux de 700 pages et complexe, qui ne peut pas être lu en lecture rapide sauf en première lecture pour vérifier l’utilité d’une deuxième lecture, approfondie avec prise de notes ou marquages. Une troisième lecture guidée par mes marquages a été nécessaire ; l’ensemble s’étalant sur plusieurs mois de travail. Au vu de certaines critiques dans la réception française du livre, celle-ci semble problématique (cf. ci-dessous) mais certaines personnes parlent du livre, de toute évidence, sans l’avoir lu sérieusement.

Shoshana Zuboff avait publié en 1988 un premier livre intitulé « L’ère de la machine intelligente » (« In the Age of Smart Machine : The Future of Work and Power » ) et déjà très critique, ce qui est rare à cette époque. Cela atteste à la fois de la continuité de ses enquêtes de terrain et du caractère non seulement pionnier mais aussi cumulatif de ses travaux sur les relations entre capitalisme et informatique : Shoshana Zuboff le relie elle-même [9] à L’âge du capitalisme de surveillance. Sur L’ère de la machine intelligente, une présentation particulièrement soignée [10] permet de prendre rapidement connaissance de l’objet d’étude. Cela confirme (ainsi que toutes ses autres publications intermédiaires) que l’auteur travaille bien sur ce domaine depuis cette époque :

Notice biographique
Shoshana Zuboff est détentrice d’un bachelor [11] en philosophie de la psychologie de l’University of Chicago et d’un doctorat en psychologie sociale de la Harvard University. Elle a joint les rangs du corps professoral de la Harvard Business School (HBS) à titre de professeure adjointe en comportement organisationnel et en gestion des ressources humaines, en 1981, où elle est la Charles Edward Wilson Professor of Business Administration émérite et professeure associée au Beckman Center for Internet and Society (Harvard University). Elle fut la première professeure permanente et la plus jeune à détenir une chaire financée par un fonds de dotation de la HBS. La professeure Zuboff est devenue célèbre de par le monde à la suite de la parution du livre In the Age of Smart Machine : The Future of Work and Power (Zuboff, 1988), pour lequel les plus grands honneurs lui ont été réservés dans les cercles académiques et du monde des affaires (page frontispice de la revue littéraire The New York Times Book Review [*] ; surnommée « véritable prophète de l’ère de l’information »). Elle est la fondatrice en 1993 d’un programme de formation novateur ODYSSEY : School for the Second Half of Life à la HBS, qu’elle a dirigé pendant douze ans, et dont la mission pédagogique visait à préparer la deuxième partie de la carrière et même au-delà de cadres d’entreprises, et qui fut reconnu le meilleur dans le monde parmi ce type de formation. La parution en 2002 d’un second livre majeur The Support Economy : Why Corporations Are Failing Individuals and the Next Episode of Capitalism, en collaboration avec James Maxmin (détenteur d’un Ph. D. en philosophie) (Zuboff et Maxmin, 2002), récoltera les plus grands honneurs. En 2004, strategy+business décrira la professeure Zuboff comme un « esprit créateur » (Creative Mind) “A maverick management guru…one of the sharpest most unorthodox thinkers today”, et en 2006, la désignera parmi les onze penseurs les plus influents dans le monde. C’est surtout comme suite à la parution de ce second livre que Zuboff a consacré une part considérable d’écrits additionnels et d’activités à la diffusion de travaux et de réflexions se rapportant aux développements et rôles futurs des TIC dans l’évolution du capitalisme, notamment, à titre de chroniqueuse dans des revues et magazines (Fast Company, BusinessWeek, The New York Times, Fortune, Inc., U.S. News & World Report, CIO, The Financial Times…), de même qu’à des émissions de télévision (CNBC, Reuters International, Today Show), et de radio (Marketplace à National Public Radio (NPR), TechNation, Sound Money, Morning Edition, BBC, BBC World Series…). La professeure Zuboff a été membre de conseils de revues savantes (Havard Business Review, The American Prospect, and Organization) et a reçu de nombreux prix et reconnaissances internationales. Il est possible d’accéder aux derniers articles et de visionner des vidéos extraits de conférences de Shoshana Zuboff à partir de son site personnel.
Source : voir le site www.shoshanazuboff.com/new/about/ pour de plus amples détails, site consulté le 3 janvier 2018.

Comme l’observe Olivier Aïm dans son beau manuel sur « Les théories de la surveillance – Du panoptique aux Surveillance Studies  » (Armand Colin, 2020), l’ouvrage de Zuboff connaît un succès mondial impressionnant : En 2019 paraît The Age of Surveillance Capitalism de Shoshana Zuboff. Le succès est retentissant, au point que l’expression même de « capitalisme de surveillance » entre dans le langage courant, notamment médiatique. La notion semble fédérer l’ensemble des questionnements actuels, d’autant plus que son auteure réunit ici un grand nombre de réflexions qu’elle mène sur le sujet depuis près de quarante ans. L’accolement des termes de surveillance et de capitalisme a également suscité quelques débats sur lesquels nous reviendrons à la fin. [12].

*2 – L’approche sociologique du capitalisme numérique

L’approche sociologique de Zuboff est durkheimienne comme elle l’indique explicitement en construisant son objet d’étude à la recherche des causes de ce nouveau capitalisme. Elle évoque le phénomène de spécialisation dans la division du travail par adaptation aux nouvelles conditions de vie :

« Le grand sociologue Emile Durkheim l’a démontré à l’aube du XXe siècle, et son enseignement sera pour nous une pierre angulaire tout au long de ce livre ».

Et plus loin : « si nous nous spécialisons, ce n’est pas pour produire plus, mais c’est pour vivre dans les conditions nouvelles d’existence qui nous sont faites » [13]

Quelques pages plus tôt (42-43) elle précise ses sources d’inspiration intellectuelle : Durkheim, Marx, Weber, Hannah Arendt, Theodore Adorno, Karl Polanyi, Jean-Paul Sartre, Stanley Milgram. Elle précise aussi les caractéristiques de son énorme corpus bibliographiques de sources diverses, principalement scientifiques et journalistiques, mais aussi institutionnelles, administratives, associatives… auxquelles s’ajoutent de longues séries d’entretiens semi-directifs notamment avec des salariés d’entreprises et des « data scientistes » : « En étudiant les pratiques capitalistes de surveillance de Google, Facebook, Microsoft et d’autres groupes, j’ai été très attentive aux interviews, brevets, appels de fonds, discours, conférences, vidéos, ainsi qu’aux programmes et aux politiques des entreprises. » (p.45).

Zuboff est modeste : en réalité son travail porte sur un beaucoup plus grand nombre de groupes, principalement les cinq « GAFAM » (Google (Alphabet), Apple, Facebook (Meta), Amazon et Microsoft) en raison de leurs capitalisations boursières qui attestent de l’efficacité économique de leur business model mais aussi sur beaucoup d’autres groupes qui interfèrent ou montent en puissance ainsi que les start-up régulièrement rachetées par les grands groupes, ce que j’appelle « GAFAM+ ». Elle critique l’acronyme GAFAM avec raison : « Les cinq géants du web – Apple, Google, Amazon, Microsoft et Facebook – sont souvent considérés comme une seule entité aux stratégies aux intérêts similaires, mais quand il s’agit du capitalisme de surveillance, ce n’est pas le cas. » (p.43). Effectivement les modèles économiques d’Amazon et d’Apple sont un peu différents (la part publicitaire des revenus est moindre) des trois autres principaux inventeurs et bénéficiaires du capitalisme de surveillance. Par convention « GAFAM+ » signifiera donc, dans le présent article, extension au-delà-des cinq GAFAM et différenciation selon leurs sources de revenus.

Naturellement Zuboff n’a pas tout découvert à elle-seule : elle rend hommage au journalisme d’investigation de la presse américaine qui apporte l’essentiel des bases empiriques notamment au début des années 2010 et elle s’appuie en permanence sur un très impressionnant état des recherches scientifiques en anglais, français et allemand actualisé jusqu’en 2019. Les articles scientifiques qu’elle utilise pour l’analyse empirique sont très récents (souvent moins de cinq ans, généralement moins de dix ans et rarement plus de quinze ans). Comme le capitalisme de surveillance est né aux USA et que ses développements là-bas précédent généralement ceux observables en Europe quelques années après, nous bénéficions d’un petit avantage lié à ce « retard » pour comprendre grâce à Zuboff dans quelle société nous vivons.

Fidèle à la méthodologie durkheimienne, elle commence par préciser sa « définition préalable » du capitalisme de surveillance :

« Le capitalisme de surveillance revendique unilatéralement l’expérience humaine comme matière première gratuite destinée à être traduite en données comportementales. Bien que certaines de ces données soient utilisées pour améliorer des produits ou des services, le reste est déclaré comme surplus comportemental propriétaire, qui vient alimenter des chaînes de production avancées, connues sous le nom d’« intelligence artificielle », pour être transformé en produits de prédiction qui anticipent ce que vous allez faire, maintenant, bientôt, plus tard. Enfin, ces produits de prédiction sont négociés sur un nouveau marché, celui des prédictions comportementales, que j’appelle les marchés des comportements futurs. Les capitalistes de surveillance se sont énormément enrichis grâce à ces opérations commerciales, car de nombreuses entreprises sont enclines à miser sur nos comportements futurs. » [14]

En ce qui concerne le cadre chronologique d’étude de ce nouveau régime capitaliste, Zuboff concentre ses analyses sur la période qui va de la naissance du capitalisme de surveillance en 2001 (avec un encadrement 2000/2002) à 2019. Et elle accumule les faits et analyses montrant que l’essentiel se joue entre la fin des années 1990 et, surtout, au tout début des années 2000 : nous retiendrons avec elle 2001 comme date de naissance du capitalisme de surveillance & d’influence tant l’expérience du premier Ipod d’Apple en 2001 a été propice, avec d’autres facteurs conjoncturels (la « bulle Internet » et les attentats du World Trade Center), à la découverte du « surplus comportemental » chez Google fin 2001 début 2002 : les deux processus sont concomitants voire articulés ainsi que leurs fulgurants succès boursiers durant la première décennie. Les revenus de Google « qui étaient de 347 millions de dollars en 2002, bondirent pour atteindre un milliard et demi de dollars en 2003 et 3,2 milliards de dollars en 2004, l’année où l’entreprise entra en bourse. La découverte du surplus comportemental avait produit en moins de quatre ans une stupéfiante augmentation de 3590% dans les revenus de Google. » [15]

Attention, le titre de son chapitre 2 dans « L’âge du capitalisme de surveillance » (Zelma 2019 et 2022) prête à confusion : «  9 août 2011 : où l’on pose les bases du capitalisme de surveillance  » (p.49) traduction de «  August 9, 2011 : setting the stage for surveillance capitalism  » (Profile Books Ltd, 2019). « Setting the stage for » signifie « préparer le terrain pour » mais « setting the stage » se traduit par « mettre/mise en scène ». « Préparer le terrain pour » n’aurait pas été très clair en français, mais la traduction par « où l’on pose les bases de » donne l’impression d’une deuxième date de naissance, alors incompréhensible au regard de celle de 2001. Le sens est à trouver dans le premier paragraphe de ce chapitre : « Le 9 août 2011, trois évènements (…) ont révélé que » (je souligne) et plus loin « Cette date marquante avertissait le monde (…) » (je souligne) que les rêves numériques pour plus de justice et de démocratie « viraient au cauchemar ». Or Zuboff indique page 45 « entre 2012 et 2013 j’ai interviewé 52 data scientists de 19 entreprises différentes, cumulant 586 années d’expérience au sein de groupes et de start-ups de haute technologie, principalement dans la Silicon Valley. » La date du 9 août 2011 est donc une date de révélation publique de certains effets du capitalisme de surveillance sur les sociétés, notamment pour Zuboff, alors qu’elle mène des recherches (critiques) sur ce domaine depuis 1988. Etant donné son haut niveau de spécialisation thématique depuis vingt-trois ans, à la date de 2011, la reconnaissance de cécité qu’elle assume en dit long sur l’ampleur des cécités mondiales de la part de tous les acteurs sociaux moins spécialisés et moins compétents que Zuboff… (hormis, bien sûr, les principaux opérateurs).

Shoshana Zuboff n’a pas traité de l’histoire de l’informatique et du numérique durant le 20ème siècle alors qu’il paraît certain – et elle le reconnaît à plusieurs reprises – que les structures industrielles, technologiques, commerciales mises en place pour l’informatique durant plus d’un siècle d’histoire sont toujours présentes dans le monde numérique. Si le capitalisme numérique, de surveillance & influence, nait bien en 2001 en revanche ses racines structurelles plongent dans une histoire séculaire que Shoshana Zuboff n’a pas décrite… ce dont on ne saurait lui faire reproche tant l’énormité du travail qu’elle a déjà accompli au bénéfice de tous est impressionnant et précieux. Certes elle n’a écrit « que » ( !) 700 pages (en petites caractères / version française) sur le capitalisme de surveillance en se concentrant sur les 18 années aujourd’hui les plus importantes sans retracer les 132 dernières années que j’évoque dans mon cours « Dimensions numériques du politiques » (Paris 1, M1 scpo)… Peut-on lui en faire le reproche ? A mon avis non. A d’autres de la compléter. Ce sont les changements économiques du début des années 2000 qui justifient pleinement la délimitation de son « objet d’étude » de 2001 à 2019, comme sait le faire tout bon sociologue, et d’approfondir l’analyse de cet objet comme personne ne l’avait fait avant elle.

*3 – Un capitalisme « sans précédent » de surveillance et d’influence

Pour introduire à l’ouvrage, j’évoquerai le «  pouvoir instrumentarien  » ou «  instrumentarisme  » de «  Big Other  », dont parle Shoshana Zuboff en troisième partie de son ouvrage, en le différenciant – en ce qui concerne les faits observables jusqu’à aujourd’hui – du totalitarisme analysé par Hannah Arendt (que Zuboff connaît parfaitement et utilise) mais plus souvent évoqué par référence au « Big Brother » du roman «  1984  » de George Orwell publié en1949. Cette référence littéraire est la seule à être omniprésente non seulement dans les débats médiatiques mais aussi dans les travaux scientifiques sur l’informatique et le numérique depuis soixante-dix ans. C’est pour bien différencier les deux types de pouvoirs (totalitarisme / instrumentarisme) que Shoshana Zuboff crée le néologisme de Big Other  : celui-ci n’entend déployer aucune violence physique ou terreur psychologique caractéristique des phénomènes totalitaires mais en est venu à considérer les humains comme de simples instruments, des moyens, équivalents à des animaux, tels les chimpanzés, les termites ou les abeilles, que l’on peut observer et orienter dans leurs comportements à la fois individuels et tendanciels pour les faire prospérer… mais ici dans le sens des intérêts financiers des plateformes. En faisant de l’être humain la matière première animalière de leurs monétisations, et en persévérant aujourd’hui encore dans l’optimisation de leur business modèle, les nouveaux capitalistes du numérique ont créé des systèmes d’interactions sociales qu’ils n’optimisent (par variations de vitesses de viralités ou reconfigurations algorithmiques ou autres moyens …), que pour préserver ou augmenter leurs bénéfices et non pour réduire les effets latéraux que produisent ces systèmes sur les sociétés de la planète.

Ces systèmes sont issus du modèle inventé par Google surtout, Facebook et Microsoft aussi, mais plus largement par les « GAFAM » et toutes les entreprises et acteurs sociaux bénéficiant financièrement du système et le soutenant (« GAFAM+ »). Ces entreprises sont fréquemment nommées « plateformes numériques » (après d’autres intitulés et probablement avant d’autres…). Ces plateformes sont conçues pour faire interagir les individus de certaines façons propices à l’expression et à la captation de leurs « données personnelles » (émotions, réactions, amitiés, préférences, géolocalisations, études, loisirs, professions, dépenses, consommations…) pour analyser leurs personnalités et prédire leurs attitudes et comportements que ce soit d’achat ou de vote. Ces prédictions comportementales permettent de sélectionner automatiquement les individus-cibles. Elles sont très précises, portant sur des dizaines de milliers de catégories analytiques de données comportementales par individu. Ces sélections (non les « données personnelle » dans le cas de Google) sont vendues à des publicitaires, clients primaires, qui amortissent leurs achats de listings – permettant des campagnes de diffusions ciblées – et constatent la satisfaction lucrative de leurs propres clients, clients secondaires ; ceux-ci valident le cycle par de nouvelles demandes de services. En effet, ces clients secondaires constatent à leur tour, sur leurs chiffres d’affaires et bénéfices, l’efficacité nouvelle des services marketing issus des plus grosses bases de données mondiales et approuvent cette efficacité publicitaire en revenant à la source du nouveau marketing numérique.

Contre l’adage populaire sur l’Internet «  si c’est gratuit, c’est que tu es le produit  » Zuboff met en lumière une erreur collective : « les utilisateurs ne sont pas des produits, mais plutôt des sources d’approvisionnement en matière première » (p.104). Si c’est gratuit, c’est que tu es seulement une source de matière première, pourrait-on dire… la matière première d’une production de ciblages publicitaires individualisés sans précédent historique puisqu’elle passe par l’usage d’automates, dits « intelligences artificielles », permettant d’observer et de « traiter » des milliards d’individus sur les cinq milliards actuellement connectés ; sans précédent historique également si l’on observe la diversité des finalités apparentes de systèmes d’interactions sociales ou sociotechniques (jeux, musiques, vidéos, réseaux, marchés, livres, traductions, politique, voyages, villes, voitures, maisons, cuisine, réfrigérateurs, électricité, jouets, santé, rencontres, sexualité…) permettant de capter ces données personnelles et d’orienter les attitudes et comportements des utilisateurs. Le « sans précédent » du capitalisme de surveillance, sous de nombreux aspects (ce qui ne veut pas dire tous), a été et demeure un obstacle cognitif majeur à la compréhension de ce qui s’est passé depuis 2001 explique Shoshana Zuboff : « Une explication des nombreux triomphes du capitalisme de surveillance domine : le sans-précédent . Ce qui est sans précédent n’est pas reconnaissable. Quand on est confronté à du jamais vu, on l’interprète automatiquement à travers le prisme de catégories familières, rendant ainsi invisible précisément ce qui est sans précédent. » (p.30).

Bien qu’elle ne les distingue pas explicitement, le livre de Zuboff nous conduit à distinguer deux types d’influences : 1) l’influence commerciale ou influence directe, par exemple pour vendre des savonnettes en usant des « big data » captées par exemple par Facebook-Meta ; 2) l’influence systémique ou influence indirecte de Facebook-Meta elle-même sur la société globale en raison d’une configuration algorithmique et de régulations automatiques conçues non pour le bien des sociétés ou l’émancipation des individus mais pour maximiser les captations de données à d’autres fins (vendre des savonnettes ou d’autres biens ou services…) que celles, apparentes, des plateformes (échanger et interagir avec les autres sur des jeux, vidéos, réseaux, marchés, administrations…) ! Pour placer sous leur dépendance des milliards d’individus, les GAFAM+ les accoutument à agir selon l’intérêt des plateformes c’est-à-dire les forment ou plutôt les déforment en leur apprenant le contraire de ce que la famille et l’école tentent de leur apprendre : parler très vite pour réagir avant de réfléchir donc de façon émotionnelle plutôt que rationnelle et divulguer le plus de données personnelles possible sans se préoccuper de règles de droit. Les expressions d’internautes ont plus de valeur prédictive si elles sont ; 1) rapides voire immédiates c’est-à-dire sans temps de réflexion ou presque ; 2) émotionnelles plutôt que rationnelles ; 3) courtes, idéalement binaires : I like/I d’ont like. Réagir de cette façon est une facilité et une tendance infantilisante contre laquelle lutte – ou luttait…– les processus éducatifs, familiaux et scolaires, qui, au contraire des Gafam+, apprenait aux enfants à réfléchir longtemps avant de réagir, à utiliser leur raison plutôt que leurs émotions dans cette réaction et aussi à rédiger des textes longs pour développer des idées complexes (sur la socialisation numérique des enfants, cf. : Michel Desmurget La fabrique du crétin digital – Les dangers des écrans pour les enfants, Seuil 2019). Zuboff parle d’ « engourdissement de l’esprit » là ou un scientifique marxiste parlerait d’ « aliénation » puisque cette formation intellectuelle des enfants, adolescents et jeunes adultes vise à leur faire accepter leur propre exploitation, celle de leur vie privée volée et monétisée sans même que la valeur marchande revienne au propriétaire réel : l’individu tracé.

L’influence à laquelle prétend, nécessairement et toujours, tout business de marketing et publicité a souvent été mise en doute par le passé autant que l’influence supposée de la propagande politique : depuis la critique classique du contre-modèle de la « seringue hypodermique » comme forme de propagande jusqu’à la « théorie des effets limités » des mass-médias de Paul Lazarfeld (The People’s Choice, 1948) et Elihu Katz (Personal influence 1955 ). D’autres théories, cependant, leurs répondaient en sens contraire et montraient les effets puissants de la fameuse « spirale du silence » (Elisabeth Noelle-Neuman 1978) subie par les opinions minoritaires dans les mass-médias classiques ou encore les effets puissants de « mise sur agenda » imposant non ce qu’il faut penser mais ce à quoi il faut penser (McCombs et Shaw 1972, G. Ray Funkhouser 1973, Cobb et Elder 1983) ainsi que les phénomènes culturels et stratégiques de « déni d’agenda » (Cobb et Ross 1997) conduisant à l’éviction de certains sujets de l’agenda politique. On peut dire que de 2001 à 2011, le déni d’agenda a été complet quant à la genèse en cours du capitalisme de surveillance.

Ces débats scientifiques anciens restent intéressants mais nous sommes confrontés aujourd’hui à autre chose dès lors que l’influence publicitaire dont il est question n’est plus seulement celle – immensément décuplée par les « big data » – des marchands utilisant le marketing numérique dans leurs affaires courantes (influence commerciale/directe) mais aussi et peut-être surtout l’influence des systèmes eux-mêmes dans leurs effets latéraux et délétères sur les sociétés, que ses effets soient recherchés ou non (influence systémique/indirecte). Aucune théorie du complot n’est nécessaire à l’analyse mais la théorie du « medium » de Mac Luhan et celle du « déni d’agenda » de Cobb et Ross conservent toute leur utilité pour étudier les effets systémiques des plateformes dans la société globale d’une part et la dissimulation des opérations les plus illégitimes du capitalisme de surveillance d’autre part. Aussi pourrait-on reformuler le titre de l’ouvrage et son concept central en parlant de « capitalisme de surveillance et d’influence » tant ce que Shoshana Zuboff montre en l’analysant vise autant à la surveillance (marchande & policière, étroitement imbriquées et collaborant en permanence) qu’à l’influence des comportements de consommation, des attitudes politiques et plus profondément culturelles. Ce nouveau pouvoir d’influence est déjà efficient mais il n’est maîtrisé par les propriétaires milliardaires et salariés millionnaires (stocks-options) que dans la visée d’augmentation de leurs bénéfices nullement quant aux effets que produisent ces systèmes dans les sociétés de la planète. Sans sous-estimer le poids de l’influence directe notamment sur des campagnes électorales ou des débats médiatiques, c’est l’influence indirecte et systémique, plus complexe à analyser, qui est probablement la plus délétère et qui se trouve logiquement au cœur des problématiques contemporaines de recherches en sciences sociales.

*4 – « Résumer la logique et les opérations du capitalisme de surveillance » (Zuboff)

A la fin de son troisième chapitre sur « La découverte du surplus comportemental » – à mon avis l’un des chapitres les plus importants du livre – Shoshana Zuboff fait un résumé global de sa théorie… et il serait bien difficile de résumer mieux que cela le modèle dans son ensemble :

VIII. RÉSUMER LA LOGIQUE ET LES OPÉRATIONS DU CAPITALISME DE SURVEILLANCE

Avec Google en tête, le capitalisme de surveillance est rapidement devenu le modèle par défaut du capitalisme de l’information sur la toile et, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, a peu à peu attiré des concurrents de tous les secteurs. Cette nouvelle forme de marché déclare que servir les besoins véritables des utilisateurs est moins lucratif et, par conséquent, moins important que vendre les prédictions de leur comportement. Google a découvert que nous avons moins de valeur que les paris sur notre comportement futur. Ce qui a tout changé.

Le surplus comportemental définit les profits extraordinaires de Google. En 2016 89% des revenus de la société mère Alphabet provenaient des campagnes de publicité ciblée de Google (89). L’échelle des flux de matière première se reflète dans la souveraineté de Google sur Internet qui, en 2017, a traité en moyenne 40000 requêtes de recherche par seconde soit plus de 3,5 milliards par jour et 1,2 milliards de milliards par an dans le monde (90).

En vertu de ses inventions sans précédent, dès 2014, c’est-à-dire seulement seize ans après sa fondation, Google a vu sa valeur de marché, soit 400 milliards de dollars, surpasser celle d’ExxonMobil et conquis ainsi la deuxième place en termes de capitalisation boursière, ce qui en fait la plus riche entreprise du monde derrière Apple (91). Et dès 2016 ; Alphabet/Google a de temps à autre arraché la première place à Apple pour être classé globalement numéro 2 à partir du 20 septembre 2017(92).

Il est utile de prendre du recul par rapport à cette complexité afin de saisir le modèle global et la manière dont les pièces du puzzle s’assemblent.

1. La logique. Google ainsi que d’autres plateformes de surveillance sont parfois décrites comme des marchés « bifaces » ou « multifaces », mais les mécanismes du capitalisme de surveillance suggèrent quelque chose de différent (93). Google avait découvert une manière de convertir ses interactions non commerciales avec les utilisateurs en surplus de matière première pour fabriquer des produits destinés à de véritables transactions commerciales avec ses véritables clients : les annonceurs (94). La transposition du surplus comportemental de l’extérieur à l’intérieur du marché a finalement permis à Google de convertir l’investissement en chiffre d’affaires. L’entreprise a ainsi créé de toutes pièces et à un coût marginal nul une catégorie d’actifs composés de matières premières essentielles provenant du comportement en ligne non marchand des utilisateurs. Au départ, il s’agissait simplement de « trouver » ses matières premières ; c’est un sous-produit des requêtes de recherche des utilisateurs – lequel donna lieu par la suite à une traque agressive et fut fourni en abondance par le biais du capitalisme de surveillance. L’entreprise créa simultanément un nouveau type de marché où l’on pouvait acheter et vendre des « produits de prédiction » fabriqués à partir de ces matières premières.

On pourrait résumer ces développements en disant que le surplus comportemental sur lequel repose la fortune de Google peut être considéré comme des actifs de surveillance. Ces actifs sont des matières premières décisives en quête des revenus de surveillance et de leur conversion en capital de surveillance. La logique entière de cette accumulation de capital s’entend plus exactement au sens de capitalisme de surveillance, lequel constitue ce cadre fondateur d’un ordre économique basé sur la surveillance, soit une économie de surveillance. Le grand modèle ici est un modèle de subordination et de hiérarchie où les relations de réciprocités antérieures entre l’entreprise et ses utilisateurs sont subordonnés à un projet dérivé, celui de la captation de nos données comportementales pour atteindre les objectifs d’autres que nous. Nous ne sommes plus les sujets de la réalisation de la valeur. Nous ne sommes pas non plus, comme quelques-uns l’ont répété, le « produit » des ventes de Google. Bien au contraire, nous sommes les objets d’où sont extraites les matières premières et que s’approprient les usines de prédiction de Google. Les prédictions relatives à notre comportement sont les produits de Google, et ces produits sont vendus à ses véritables clients et non à nous. Nous sommes les moyens permettant à d’autres d’atteindre leurs objectifs.

Le capitalisme industriel a transformé les matières premières de la nature en marchandise, et le capitalisme de surveillance revendique la nature humaine comme matériau pour créer une nouvelle marchandise. Aujourd’hui, c’est la nature humaine qui est raclée, lacérée, et dont on s’empare pour le nouveau projet du siècle. Il est choquant de supposer que ce préjudice peut être réduit au fait évident que les utilisateurs ne reçoivent aucune rétribution pour la matière première qu’ils fournissent. C’est un formidable fourvoiement que de recourir au mécanisme de fixation des prix pour institutionnaliser et donc légitimer l’extraction du comportement humaine dans un objectif de fabrication et de vente. C’est aussi ignorer le point-clé de l’affaire, à savoir que l’essence de l’exploitation ici est la restitution de nos vies sous forme de données comportementales destinées à améliorer le contrôle que d’autres ont sur nous. Les questions les plus remarquables qui se posent ici concernent d’abord le fait que nos existences soient restituées sous forme de données comportementales ; ensuite, le fait que l’ignorance est une condition de cette restitution omniprésente et que le droit de décider s’évanouit avant même que l’utilisateur ait eu connaissance qu’il y avait une décision à prendre ; enfin, le fait que cette réduction de nos droits entraîne des conséquences que nous ne pouvons ni voir, ni prévoir ; qu’il n’y aucune issue, aucune voix, aucune loyauté à attendre que seuls l’impuissance, la résignation et l’engourdissement psychique sont notre lot. Ajoutons que le cryptage est l’unique action positive dont nous pouvons encore discuter quand nous sommes assis autour d’une table à réfléchir négligemment à la manière dont nous pourrions nous dissimuler aux forces qui se soustraient à notre regard.

2. Les moyens de production. Le processus de fabrication de Google à l’âge d’Internet est un élément crucial du sans-précédent. Ses technologies et ses techniques spécifiques, que je résume sous le nom d’intelligence machine (intelligence artificielle), ne cessent d’évoluer, et l’on est facilement intimidé par leur complexité. Le même terme peut signifier une chose aujourd’hui et quelque chose de très différent dans un an ou dans cinq ans. Ainsi Google a été décrit comme développant et déployant une « intelligence artificielle » depuis au moins 2003, mais le terme lui-même est une cible mouvante, ses capacités étant passées des premiers programmes permettant de jour au morpion (tic-tac-toe) à des systèmes susceptibles de faire fonctionner des parcs entiers de voitures sans conducteur.

Les capacités d’intelligence artificielle de Google se nourrissent du surplus comportemental : plus elles consomment de surplus comportemental, plus les produits de prédictions qui en résultent sont exacts. Le fondateur et rédacteur en chef du magazine Wired, Kevin Kelly, a laissé entendre un jour que, même si Google semble engagé à développer ses capacités d’intelligence artificielle pour améliorer Search, il est plus vraisemblable qu’il développe Search comme moyen d’exercer continuellement ses capacités d’IA en constante évolution (95). Telle est l’essence du projet d’intelligence artificielle. Comme ultime ver solitaire, l’intelligence artificielle dépend du nombre de données qu’elle dévore. Dans cette perspective décisive, les nouveaux moyens de production diffèrent fondamentalement du modèle industriel dans lequel il y a une tension entre qualité et quantité. L’intelligence artificielle est la synthèse de cette tension, car elle atteint son plein potentiel de qualité seulement quant elle approche la totalité.

Tandis qu’un nombre accru d’entreprises recherchent les profits de surveillance à la manière de Google, une fraction importante du génie mondial de la science des données et les domaines qui lui sont liés se consacre à la fabrication de produits de prédiction qui augmentent le taux de clics pour la publicité ciblée. Ainsi les chercheurs chinois employés par l’unité de recherche de Bing (Microsoft) à Pékin ont publié des conclusions capitales en 2017. « Estimer exactement le taux de clics (TDC) des annonces publicitaires a un impact important sur le chiffre d’affaire des moteurs de recherche ; même une amélioration d’exactitude de 1% dans notre production rapporterait des centaines de millions de dollars supplémentaires », commencent-ils. Puis ils font la démonstration d’une nouvelle application de réseaux de neurones artificiels qui promet 0,9% d’amélioration sur une seule mesure d’identification et des « gains importants de clics dans le trafic web » (96). De même, une équipe de chercheurs de Google a introduit un nouveau modèle de réseau de neurones profonds, aux fins de capter des « interactions de fonctions prédictives » et d’offrir une « performance de pointe » pour améliorer les taux de clics (97). Des milliers de contributions comme celles-ci, certaines graduelles et certaines spectaculaires, équivalent à un « moyen de production » du XXIe siècle coûteux, sophistiqué, opaque et exclusif.

3. Les produits. L’intelligence artificielle transforme le surplus comportemental en produits de prédiction destinés à prédire ce que nous sentirons, penseront et feront – aujourd’hui, prochainement et par la suite. Ces méthodologies sont parmi les secrets les mieux gardés de Google. La nature de ses produits explique la raison pour laquelle Google ne cesse de proclamer qu’il ne vend pas de données personnelles. Quoi ? Jamais ! Les dirigeants de Google aiment clamer leur pureté en matière de confidentialité, car ils ne vendent pas leur matière première. Par contre, l’entreprise vend les prédictions qu’elle peut seulement fabriquer à partir de sa réserve privée de surplus comportemental, unique au monde.

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Les produits de prédiction réduisent les risques pour les clients en leur conseillant où et quand placer leurs mises. La qualité et la compétitivité du produit constituent une fonction de son approche de la certitude : plus le produit est prédictif, plus le risque couru est bas et plus le volume des ventes est important. Google a appris à être une voyante des bases de données en remplaçant l’intuition par la science à grand échelle afin de prédire et de vendre notre avenir à ses clients pour leur grand profit, mais non le nôtre. Initialement, les produits de prédiction de Google avaient en grande partie pour objectif la publicité ciblée, mais comme nous le verrons, si la publicité était au commencement du projet de surveillance, elle n’en était pas la fin.

4. Le marché. Les produits de prédiction sont vendus sur un nouveau genre de marché qui négocie exclusivement des comportements futurs. Les profits du capitalisme de surveillance proviennent principalement de ces marchés de comportement futurs. Bien que les annonceurs aient été les acteurs dominants dans les premières années de ce nouveau genre de marché, il n’y a aucune raison pour que de tels marchés se limitent à ce groupe. Les nouveaux systèmes de prédiction ne sont appliqués qu’accessoirement aux annonces publicitaires, tout le nouveau système de production de masse de Ford n’était appliqué qu’accessoirement aux automobiles. Dans les deux cas, les systèmes peuvent être adoptés dans beaucoup d’autres domaines. La tendance déjà visible comme nous le verrons dans les chapitres suivants, est que tout acteur ayant intérêt à acheter des informations probabilistes à propos de nos comportements et/ou à influencer les futurs comportements peut payer pour jouer dans des marchés où les données comportementales des individus, des groupes ou des organisations sont énoncées et vendues (voir Figure 2).

Notes bibliographiques : 89. « Selected Financial Data for Alphabet Inc. », Form 10-K, Commission File, United States Securities and Exchange Commission, December 31, 2016. D’après les rapports d’activité d’Alphabet portant sur l’année 2016, ses revenus se montaient à 90 272 000 000 dollars. Ce qui comprend « les revenues de Google Segment, soit 89.5 milliards de dollars – et une croissance de 20% d’une année sur l’autre : et 0.8 milliards de dollars pour Other Best – et une croissance de 82% d’une année sur l’autre ». La part des revenus de Google Segment imputable à la publicité était de 70 383 000 000 Dollars, soit 88,7% des revenus de Google Segment. 90. « Google Search Statistics – Internet Live Stats », Internet Live Stats, Septembre 20, 2017 ; Greg Sterling, « Data : Google Monthly Search Volume Dwarfs Rivals Because of Mobile Advantage », Search Engine Land, February 9, 2017. Ce qui correspond à 76% des recherches sur ordinateur fixe et 96% des recherches sur appareils mobiles aux Etats-Unis ; pourcentages qui s’établissent respectivement à 87 et à 95 pour le monde entier. 91. Roben Farzad, « Google at $400 Billion : A New n° 2 in Market Cap », BusinessWeek, February 12, 2014. 92. « Largest Companies by Market Cap Today », Dogs of the Dows, 2017. 93. Jean-Charles Rochet et Jean Tirole, « Two-Sided Markets : A Progress Report », RAND Journal of Economics 37, n°3 (2006) : 645-67/ 94. Pour une discussion sur ce point et son rapport avec la publicité ciblée sur Internet, voir Katherine J. Strandburg, « Free Fall : The Online Market’s Consumer Preference Disconnect » (working paper, New York University Law and Economics, October 1, 2013). 95. Kevin Kelly, « The Three Breakthoughs That Have Finally Unleashed AI ont he World », Wired, October 27, 2014. 96. Xiaoliang Ling et al., « Model Ensemble for Click Prediction in Bing Search Ads », in Proceedings of the 26th International Conference on World Wide Web Companion, 689-98.

Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, Zulma 2022, p.134-140.

*5 – Une réception embarrassée de l’ouvrage notamment en France

Shoshana Zuboff a été peu interrogée par les journalistes français. Outre des compte-rendu et des extraits dans divers journaux, cinq interviews ont quand même été publiés [16]. Tant dans la presse que dans les revues de sciences sociales [17], l’accueil de l’ouvrage en français est demeuré minimaliste voire empreint de réticences [18]. De multiples facteurs peuvent expliquer ce peu d’intérêt en France pour un livre pourtant salué mondialement. Le caractère exceptionnel du travail de Shoshana Zuboff suscite des jalousies professionnelles (sa soudaine célébrité internationale est rare dans la profession des universitaires et même dans celle des journalistes). Le fait qu’elle inscrive son travail davantage dans le prolongement de Durkheim que de Marx est peut-être un élément de difficulté pour certains chercheurs face à cet ouvrage. Le fait que ses données empiriques et sa théorie générale du capitalisme de surveillance (que beaucoup rêvaient de faire sans y parvenir) rendent caduques aujourd’hui beaucoup de travaux antérieurs en sciences sociales explique aussi probablement certains malaises.

La critique est ouverte par la Monthly Review - An Independent Socialist Magazine, qui conteste à Shoshana Zuboff la paternité du concept de « surveillance capitalism ». La revue a publié en 2014, un article de John Bellamy Foster et Robert W. McChesney intitulé « Surveillance Capitalism » [19]. Mais la lecture de l’article montre que les auteurs prolongent une analyse marxiste du capitalisme en situant l’inflexion en 1945, à une époque où ce dont parle Zuboff n’existe pas. Quant à l’expression « surveillance capitalism », il suffit de faire des recherches dans diverses bases – dont Google-Scholar 1900/2013 – pour retrouver l’expression dans de multiples textes antérieurs à l’article de la Monthly Review. Shoshana Zuboff n’a donc volé ni l’expression ni le concept. Il est étonnant de retrouver cette critique comme une sorte de rumeur, dans des livres et articles écrits par des chercheurs qui n’ont pas contrôlé la validité de la position exprimée par la revue.

Par ailleurs, Evgueni Morozov, en 2019, dans le magazine The Baffler reproche à Shoshana Zuboff d’expliquer et de dénoncer ce qu’il y a de neuf dans le capitalisme de surveillance… et ainsi de banaliser le capitalisme lui-même [20]. Si on le suivait aucune recherche en sciences sociales ne serait possible sur « ce qu’il y a de neuf » et il faudrait se contenter d’un hommage perpétuel aux anciens. Sébastien Broca dans le journal Le Monde adopte la même orientation : « L’une des faiblesses de l’ouvrage de Shoshana Zuboff est qu’en voulant montrer que le « capitalisme de surveillance » constitue un nouveau capitalisme qui est perverti par rapport au capitalisme fordiste, elle oublie d’inscrire cette réalité contemporaine dans une histoire plus large, qui permettrait d’apercevoir un certain nombre de continuités » [21]. L’hypothèse d’un « oubli » est démentie par les travaux de Zuboff qui, depuis les années 1980, portent sur la relation entre capitalisme et informatique.

Christophe Masutti dans son ouvrage « Affaires privées – Aux sources du capitalisme de surveillance » (C&F Editions, 2020, p.387 et s., « Une lecture de Shoshana Zuboff ») conteste également le découpage chronologique de Zuboff et étudie pour sa part « soixante ans de capitalisme de surveillance » remontant ainsi aux années 1960 là où Zuboff voit émerger le système au début des années 2000. On retrouve encore cette critique d’une discontinuité historique dans l’évolution du capitalisme dans l’ouvrage de Cédric Durand [22], économiste marxiste, qui ne rejette pas pour autant l’analyse de Zuboff ou encore dans le compte-rendu de Fabien Granjon [23] qui met l’accent sur les inégalités sociales face à la surveillance et l’importance des rapports de classes : « Dans cette propension à faire du capitalisme de surveillance une révolution faisant table rase de ce qui lui préexistait (un nouvel ordre économique), S. Zuboff (A. C. : 415) en vient à considérer que la lutte pour le pouvoir et le contrôle tient à la capacité à masquer l’efficience de l’extractivisme numérique et non plus seulement à masquer les rapports sociaux de classe » [24].

Cory Doctorow reproche [25] aussi à Shoshana Zuboff de prendre un peu trop au pied de la lettre les discours des GAFAM+ sur eux-mêmes et leur surpuissance – alors qu’ils ont un intérêt économique à faire croire cela pour attirer des clients. Cependant, la plupart du temps, Zuboff illustre ses hypothèses par des propos de ce type, puis contrôle ses hypothèses avec d’autres sources. En outre les GAFAM+ ont aussi un autre intérêt, depuis environ dix ans aux USA et environ cinq ans en Europe : celui du secret face aux risques de réactions sociétales, comme les procès en cours aux USA et le « désenchantement de l’Internet » [26] en Europe.

La principale critique qui semble être adressée à Zuboff est finalement de ne pas être marxiste. Mais il faudrait un attachement très identitaire aux marxismes pour accorder à leur promotion plus d’importance qu’à la compréhension de la société du 21ème siècle. En outre, Zuboff qui place Marx dans son « Panthéon » des grands auteurs, n’est pas antimarxiste :

S. Rose : À l’ère numérique, diriez-vous que les outils conceptuels employés par l’auteur du Capital sont loin d’être obsolètes  ?
Sh. Zuboff. : Accumulation des données, division du savoir et du pouvoir, plus-value ou ce que j’appelle « surplus comportemental ». Ces nomenclatures analogues expliquent le fonctionnement du système. Au fond, le capitalisme de surveillance, étant autoréférentiel et parasitaire, fait renaître l’image donnée par Karl Marx du capitalisme comme vampire qui se nourrit du travail, mais avec un tour inattendu. Au lieu du travail, le capitalisme de surveillance se nourrit de chaque aspect de l’expérience humaine. [27]

Dominique Plihon [28], membre des « Economistes atterrés », s’appuie sur l’œuvre de Zuboff dans une tribune publiée dans le journal Le Monde , intitulée « Il ne faut pas confondre le capitalisme de surveillance avec les technologies numériques, qui n’en sont que l’instrument », ce que confirme Zuboff : « La confusion entre le capitalisme de surveillance et les technologies dont il se sert lance un premier défi à la compréhension. Le capitalisme de surveillance n’est pas une technologie, c’est une logique qui imprègne la technologie et la met en œuvre » (p.33). Dominique Plihon réclame de nouvelles réglementations et affirme « qu’il est possible de lutter contre le capitalisme de surveillance, en ne souscrivant pas à une vision néolibérale de la société ». Cette position ne serait probablement pas démentie par Shoshana Zuboff qui critique la logique néo-libérale tout au long du livre et place ses espoirs, comme beaucoup d’américains à l’époque, dans une réglementation contraignante que l’Union Européenne parviendrait à promulguer (les Etats-Unis d’Amérique n’y parvenant pas) : c’est le « RGDP » adopté en 2016 avec une date d’entrée en vigueur au 1er mai 2018. Elle l’évoque sur la base des informations disponibles à la date de rédaction finale du livre (été 2018) et avec une prudence suffisante pour ne pas créer d’illusions. On ne peut pas lui reprocher d’ignorer en 2018 ce que nous savons seulement quatre ans après : la plupart des entreprises ne sont pas en conformité avec le RGDP qui est donc un relatif échec de politique publique.

*6 – Protéger la vie privée : un embarras général ou anticapitaliste ?

Les embarras apparus dans la réception de « L’âge du capitalisme de surveillance » sont particulièrement marqués dans le champ doctrinal des marxismes. Mais l’écart entre l’ampleur du fait social étudié (la reconfiguration brutale et profonde du système économique mondial à partir de 2001) et les faibles réactions médiatiques, politiques et intellectuelles relatives à l’objet d’étude a aussi de quoi surprendre, suggérant l’hypothèse d’un embarras beaucoup plus général, alors culturel. Celui-ci pourrait concerner la notion même de « vie privée » qui se trouve au centre politique du capitalisme de surveillance, clé de voûte du système de captation & monétisation généralisées des données personnelles, et donc angle d’attaque principal d’un tel système pour qui voudrait revendiquer un « anticapitalisme » du 21ème siècle.

**Un embarras général

La notion de « vie privée », en effet, est un impensé des doctrines du libéralisme politique issues de la philosophie des Lumières. Comme l’observe Georges Duby, de façon générale sur la période de la Renaissance, la notion est anachronique : « Nous n’avons dons pas hésité à user du concept, aussi anachronique sinon plus, de vie privée, nous avons cherché à discerner dans la société médiévale une frontière entre ce qui était tenu pour du privé et ce qui ne l’était pas, à isoler un champ de sociabilité correspondant à ce que nous appelons aujourd’hui la vie privée. » [29] Madeleine Foisil, étudiant les « Mémoires » et autres « journaux personnels » des écrivains du 17ème siècle, va dans le même sens : « Il n’y a pas chez ces auteurs du XVIIe siècle une prise de conscience du moi privé tel que nous l’entendons actuellement. » [30] Lynn Hunt pour la même recherche sur la période de la révolution française confirme : « Il est très difficile d’exposer la conception de la vie privée des révolutionnaires eux-mêmes » [31]. Des recherches dans les doctrines politiques aboutissent au même constat.

Cette notion apparaît dans les débats politiques et le droit seulement après les révolutions libérales des 17ème et 18ème siècles avec un sens très restrictif : protéger la vie privée des personnes publiques vis-à-vis des investigations journalistiques. Typiquement, la constitution de la première République Française ne reconnaît pas la vie privée dans les droits humains fondamentaux mais seulement comme un dispositif de protection des personnes, dispositif opposable principalement à la presse : « (…) Les calomnies et injures contre quelques personnes que ce soit relatives aux actions de leur vie privée, seront punies sur leur poursuite » (Titre III – Chap.V – art.17 al.3). La protection de la vie privée des personnes publiques apparaît comme un dispositif de censure durant tout le 19ème siècle tant en France qu’aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il en reste probablement des traces (peu favorables à la « vie privée ») dans la culture professionnelle du secteur journalistique.

Les jurisprudences des cours constitutionnelles sont aussi tardives au regard des autres droits humains fondamentaux reconnus ces derniers siècles : 1965 aux Etats-Unis, 1982 en France. Et dans les deux décisions, de la Cour suprême américaine (1965) et du Conseil constitutionnel français (1982), les juges constitutionnels vont « découvrir » un « implicite » passé inaperçu depuis plus d’un siècle et demi ( !) : la vie privée comme droit fondamental. La cour américaine trouvera ainsi une protection dans le premier amendement de la constitution américaine (1791) : « Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »… Le conseil constitutionnel français fera de même avec l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. »… Dans l’un et l’autre article, point de vie privée et il est bien difficile de ne pas lire ces décisions comme des créations de normes constitutionnelles nouvelles.

C’est essentiellement l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU qui pose en 1948 la première pierre d’un droit humain fondamental encore à inventer. « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. ». La Convention européenne des droits de l’homme le relaie dans son article 8 en 1950, suivie par divers textes internationaux. Le droit français intégrera dans le Code Civil la phrase « Chacun a droit au respect de sa vie privée » (art. 9, al.1) seulement en 1970, par une loi n° 70-643 du 17 juillet 1970 qui révèle à elle seule l’impensé doctrinal et historique depuis que le code civil français existe : 1804.Dans l’histoire des droits humains fondamentaux, la « vie privée » est peut-être le dernier en date à être reconnu et il semble toujours en cours d’invention doctrinale et constitutionnelle tant les définitions sont variables et volatiles. Le temps de diffusion dans les cultures voire d’imprégnation des cultures politiques reste aujourd’hui très, trop bref (quelques décennies) pour que la conscience de l’enjeu soit généralisée.

**Un embarras anticapitaliste spécifique

Les embarras face à la défense de la vie privée sont donc généraux. Mais ils sont particulièrement marqués et cruciaux dans les courants doctrinaux de l’anticapitalisme depuis le milieu du 19ème siècle. Les critiques socialistes puis marxistes ont assimilé « propriété privée » et « vie privée » en embarquant la seconde dans la critique de la révolution de 1789 comme révolution bourgeoise, et dans les régimes bourgeois et autoritaires qui lui succèdent.

Cette critique perdure jusqu’à aujourd’hui dans les analyses post-marxistes les plus célèbres, dont celle de Jürgen Harbermas, dans son ouvrage fameux «  L’espace public – Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise  ». L’objet d’étude d’Habermas concerne principalement le développement de la sphère publique, et il ne semble avoir besoin d’évoquer l’autre sphère, privée, que par défaut, faute de pouvoir s’en passer, essentiellement pour affirmer une relation entre tout aspect de la sphère privée bourgeoise et les logiques marchandes : « La sphère du marché, nous l’appelons sphère privée : la sphère de la famille, noyau de la sphère privée, est la sphère d’intimité. Celle-ci semble indépendante de la première bien qu’en vérité elle soit profondément solidaire des intérêts du marché. » [32] De façon surprenante, Jürgen Harbermas affirme en 1962 l’existence de droits fondamentaux protecteur de la vie privée alors que les recherches récentes nous démontrent leur inexistence à cette époque : « Ces droits fondamentaux garantissent la sphère publique et la sphère privée (ainsi que son noyau : la sphère de l’intimité) ; les institutions et les organes (presse, partis) du public d’une part, et les fondements de l’autonomie privée (famille et propriété) d’autre part ; (….) » [33] Et il confirme la confusion entre propriété privée et « vie privée » :

Cette idée que la famille restreinte se fait de la sphère d’intimité qu’elle représente entre toutefois en conflit avec les fonctions réelles assumées par la famille bourgeoise, et ce, jusque dans la conscience des bourgeois eux-mêmes. Car, bien évidemment, la famille n’est pas épargnée par la nécessité à laquelle se soumet la société bourgeoise, comme tout société avant elle. Au cours du processus d’accumulation capitaliste, elle joue le rôle précis qui lui y a été assigné : elle apporte la garantie d’une cohésion généalogique en tant que continuité des personnes, ce en quoi consiste concrètement l’accumulation du capital, et que corrobore le droit d’hériter librement de la propriété. Mais surtout, en tant que mandataire de la société, elle assume la tâche difficile d’être le médiateur, qui sous l’apparence de la liberté, assure néanmoins la stricte observance des nécessités sociales. Freud a mis à jour le mécanisme d’intériorisation de l’autorité paternelle ; en psychologie sociale, ses disciples ont attribué ce mécanisme au modèle que constitue la famille restreinte de type patriarcal (…). Quoi qu’il en soit, à l’indépendance du propriétaire sur le marché et dans sa propre entreprise correspondait la dépendance de l’épouse et des enfants vis-à-vis du père de famille ; ce qui là était autonomie privée, se traduisait ici sous la forme de l’autorité et rendait illusoire cette volonté de l’individu prétendue libre. » [34]

La « vie privée » apparaît comme une notion reflétant les préférences bourgeoises de vie familiale et personnelle repliée sur une sphère intime pour ceux qui ont les moyens d’acheter des logements assez spacieux pour qu’un tel repli soit possible. A contrario les modes de vie populaires et prolétaires sont inscrits dans la collectivité des logements exigus et des banlieues denses.

Karl Marx reflète ces perceptions dès 1843 dans son texte sur « La question juive » par une virulente critique des droits de l’homme, sous cet angle [35] : « Nous constatons que les droits dits de l’homme, les droits de l’homme par opposition aux droits du citoyen, ne sont rien d’autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la collectivité. » et « aucun des droits dits de l’homme ne dépasse donc l’homme égoïste, l’homme tel qu’il est comme membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et sur son bon plaisir privé et séparé de la communauté. » [36] L’embourgeoisement des prolétaires ne faisant pas partie des finalités politiques marxistes, la notion de « vie privée » devient un objet de mépris voire de haine et, surtout, un tabou langagier qui va s’étendre à l’ensemble des organisations mutualistes, syndicales, partisanes, journalistiques, doctrinales qui se rallieront au marxisme ainsi qu’à l’ensemble des pays en Europe, en Asie et en Afrique qui expérimenteront une forme communiste de régime politique.

A partir de la révolution 1917 en Russie mais aussi dans tous les pays communistes, la « vie privée » devient non seulement un tabou langagier [37] mais surtout un objet de combat : « Le programme révolutionnaire des Bolcheviks s’est explicitement défini contre ces distinctions et entendait remettre en cause la distinction traditionnelle entre public et privé, vue comme un fondement de la société civile bourgeoise » [38] .

Dans le camp capitaliste, la réduction du temps de travail a certes une histoire séculaire, depuis 1848, mais elle vise, dans les doctrines de gauche, à partager le travail (face au chômage) et à protéger la santé des plus faibles (enfants…), non à libérer du temps pour autre chose… Comme l’analyse Marion Fontaine dans « Travail et loisirs », contribution à l’Histoire des gauches en France (Becker, Candar, dir., 2005), la gauche a développé une culture politique industrielle favorable au travail tant celui-ci est omniprésent dans le quotidien ouvrier. A contrario, le temps non professionnel – qui s’entendrait alors comme temps de « vie privée » (encore opposée à la « vie professionnelle » dans les dictionnaires de l’époque) – est considéré comme un stigmate du parasitisme bourgeois… ce qui ne facilitera pas la revendication pour les travailleurs de temps non-professionnels équivalents.

Même si le gendre de Karl Marx, Paul Lafargue, a publié en 1883 un ouvrage au titre provocateur - Le Droit à la paresse – Réfutation du droit au travail de 1848 - en défense d’un temps libre et d’une émancipation en dehors du travail pour les prolétaires… La culture du travail continue de prévaloir sur celle du temps libre, à gauche, et les mobilisations pour la « journée de huit heures » donneront naissance à une « fête du travail » à partir du 1er mai 1890 mais pas à une fête du temps libre. A cette époque de séparation de l’Eglise et de l’Etat, la vie privée est souvent associée à la religion dans les débats politiques : la séparation étant faite, l’Etat n’a pas à s’exprimer sur le domaine privé. Les mêmes arguments se retrouvent contre les tentatives de création d’un ministère de la culture [39].

Les premières mairies communistes arrivées à la tête de municipalités dans les années 1920, notamment dans les banlieues parisiennes, ont dévié dans un sens collectif la notion de « vie privée » en développant des politiques publiques d’accès aux biens culturels et sportifs communs (stades, maisons du peuple, salles des fêtes, associations ouvrières, chorales et clubs de football, ciné-clubs et associations théâtrales…). Il faudra attendre l’entre-deux-guerres pour que les gauches (communiste et socialiste) se dotent d’une doctrine en la matière : ce sera celle des « congés payés » du gouvernement Blum en 1936. Mais l’ensemble des doctrines de gauche va faire prospérer ce sens collectif de la vie privée comme « bien commun ».

Les expériences totalitaires du 20ème siècle, notamment le nazisme et le stalinisme, changent les visions du monde. L’article 12 de la Déclaration universelle de 1948 donne le ton dans le camp capitaliste. Dans le camp communiste, il faudra attendre 1956 et le rapport Khrouchtchev lançant la déstalinisation pour voir réapparaître une notion approchante, celle de « vie personnelle », directement liée aux nouveaux « biens personnels » autorisés (le fameux petit « lopin de terre », privé) et permettant de dégager des revenus privés susceptibles de financer une vie privée.

*Conclusion

La critique globale du capitalisme de surveillance par Zuboff apporte une compréhension qu’aucun autre auteur n’a apporté avant elle ; et il est plus important scientifiquement de comprendre la société massivement numérisée du 21ème siècle que de défendre, de façon identitaire, tel ou tel courant ou auteur, sociologue ou économiste. Les quarante années de recherches conduites par Shoshana Zuboff aboutissent à un chef d’œuvre exceptionnel : « L’âge du capitalisme de surveillance » première grille d’analyse, globale, d’un capitalisme numérique que l’on subissait depuis vingt ans sans bien le comprendre. La grille d’analyse est féconde : elle ouvre des perspectives de recherches futures très nombreuses, notamment pour relier l’histoire séculaire de la technologie informatique devenue numérique à ce nouveau capitalisme et pour relier ce capitalisme de surveillance et d’influence aux autres domaines encore peu explorés par Zuboff comme la socialisation numérique des enfants et jeunes adultes (qu’elle évoque en chapitre 16), les forces et faiblesses des contestations connectées (cf. : Z.Tufekci)… et bien d’autres.

Dans cette perspective, et pour revenir au dialogue introductif entre « capitalisme cognitif » et « capitalisme de surveillance », les deux théories intègrent des analyses communes : la conviction d’un renouvellement profond du capitalisme et de l’émergence d’un nouveau stade d’évolution de ce régime économique ; le constat d’un rôle déterminant de la financiarisation de l’économie et de ses bulles spéculatives dans cette évolution ; le passage à un nouveau capitalisme dont la base de création de valeur est à trouver dans les informations et productions liées aux contributions numériques des personnes connectées…

En revanche, les préoccupations centrales des auteurs ne sont pas les mêmes : 1) : les deux livres de Yann Moulier Boutang [40] et les chercheurs du C.R.I. qui les discutent lors de l’ouverture de la rubrique « captalisme cognitif » des Cahiers Costech [41] accordent une grande importance à la biosphère, à l’écologie et au changement climatique ; Shoshana Zuboff n’en parle pas ou peu et accorde une plus grande importance à la démocratie libérale, aux libertés fondamentales. 2) les théoriciens du « capitalisme cognitif » sont soucieux des inégalités sociales notamment celle d’une monétisation par pollinisation dont la valeur ne revient pas à l’abeille ; cela incite à envisager un revenu universel justifié par la nouvelle production individuelle de valeur par chacun en se connectant et en contribuant à Internet. A contrario, l’auteur du « capitalisme de surveillance » rejette le principe même de captation généralisée des données personnelles, ainsi que les discours « inévitabilistes », et défend le droit humain fondamental à la vie privée individuelle perçue par elle un peu comme les tribunaux allemands qui le relient au concept de « dignité humaine ».

Mais l’ouvrage de Shoshana Zuboff pose, par ailleurs, un gros problème… moins par son analyse, extrêmement rigoureuse, empiriquement et théoriquement, que par ce qu’elle nous fait découvrir : la « vie privée », en cours d’invention tardive, face à l’informatisation de la société et à la captation des « données personnelles » devient l’enjeu central tant de l’analyse de ce nouveau capitalisme que des actions militantes ou étatiques visant à reprendre une maîtrise politique et démocratique du système économique. Le problème ne vient donc pas de Zuboff mais de l’histoire culturelle et politique : la « vie privée », telle que nous commençons à l’entendre face aux captations de données personnelles, c’est-à-dire comme sphère d’intimité individuelle potentiellement à protéger du regard des autres, est un impensé historique :
- un impensé du libéralisme classique fondateur des démocraties au 18ème siècle et des doctrines politiques du 19ème siècle,
- puis un dispositif de censure des mass-médias qui laisse de grandes méfiances dans le champ professionnel des journalistes durant tout le 19ème et et une large part du 20ème siècle,
- puis une cible d’hostilité politique de l’ensemble des courants doctrinaux de gauche défendant les plus pauvres (socialismes, marxismes…) aux 19ème et 20ème siècles jusqu’en 1936,
- puis un secteur de politiques publiques fondées sur une conception collective de la vie privée (congés payés, accès aux services publics de sports, loisirs, cultures, tourismes..) allant en sens contraire des besoins actuels ceci depuis les années 1920 et durant tout le 20ème siècle,
- puis un sujet de définitions disputées, floues et oscillantes d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre et d’un courant à l’autre depuis la Déclaration universelle de l’ONU en 1948.

Il n’est donc pas très étonnant que la mise sur agenda politique au 21ème siècle des problèmes publics de protection de la vie privée individuelle que pose ce capitalisme de surveillance & d’influence soit si difficile. Aux facteurs historiques évoqués, il faut ajouter le cumul des facteurs de non reconnaissance : de nouveaux capitalistes numériques très puissants politiquement aux USA et en Europe et capables de faire obstacles aux régulations étatiques par des activités de lobbying ; une convergence d’intérêt entre ce business model et les activités policières de surveillance des populations, les collaborations étroites entre marchands et polices augmentant la puissance politique des deux types d’acteurs dans le lobbying. Par ailleurs, pour des raisons historiques, une partie du champ journalistique est réticente à faire prospérer une idée politique perçue comme un obstacle à la liberté de la presse. Les gauches sont désarmées sur le plan doctrinal face à cette nouvelle réalité économique, où pour combattre le capitalisme, il faut défendre un vie privée individuelle. A cela il faut ajouter les générations montantes de « digital natives » ignorantes du monde pré-numérique et résolument enthousiasmées par la collaboration avec le capitalisme numérique quand il s’agit d’utiliser ses outils mais sans esprit critique quant à leurs effets sociétaux. Les sciences sociales, quant à elles ont longtemps été dépassées par les évènements et les vitesses de changement des sociétés, même si des avancées notables comme celles des théories du « capitalisme cognitif » et du « capitalisme de surveillance », font progresser la compréhension de nos sociétés depuis quelques années…

NOTES

[1] BROCA Sébastien, « Le capitalisme numérique comme système-monde. Éléments pour une métacritique », Réseaux, 2022/1 (N° 231), p. 167-194 : https://www-cairn-info.ezpaarse.uni...

[2] Jollivet-Courtois, Pascal., Moulier Boutang, Yann. "Which economic model for Google Books ? From the user-producer to the pollen society.", 6 June 2017, Cahiers COSTECH numéro 1. http://www.costech.utc.fr/CahiersCO...

[3] Moulier Boutang, Yann. "La crise financière sonne-t-elle le glas d’un capitalisme cognitif mort né ?. Chapitre 8 de l’ouvrage « Cognitive Capitalism » (version d’auteur, en français)", 8 juin 2017, Cahiers COSTECH numéro 1. http://www.costech.utc.fr/CahiersCO...

[4] Moulier Boutang, Yann. "Pollinisation, capitalisme cognitif et nouvelle économie de production. Chapitre 3 de l’ouvrage « L’abeille et l’économiste » © Ed. Carnets Nord 2010", 18 juin 2017, Cahiers COSTECH http://www.costech.utc.fr/CahiersCO...

[5] Huet, Frédéric. "Introduire et problématiser le capitalisme cognitif.", 20 juin 2017, Cahiers COSTECH numéro 1. http://www.costech.utc.fr/CahiersCO...

[6] (Ed. Carnets Nords, 2010, 254 p.) Voir aussi : Yann Moulier Boutang, “L’abeille comme modèle économique : économie classique”, Labyrinthe, 40 | 2013, 81-85 : http://journals.openedition.org/lab...

[7] Moulier boutang Yann, L’abeille et l’économiste, op.cit., p.145.

[8] Moulier-Boutan, Yann « La crise financière sonne-t-elle le glas d’un capitalisme cognitif mort né ? », op.cit. : http://www.costech.utc.fr/CahiersCO...

[9] Cf. son interview par Sen Rose dans la revue Etudes : ROSE Sean (Entretien recueilli et traduit de l’anglais par Sean Rose) : « Un capitalisme de surveillance - Entretien avec Shoshana Zuboff », Études, 2021/2 (Février), pages 57 à 66 : https://www-cairn-info.ezpaarse.uni...

[10] L. Martin Cloutier, « XVII. Shoshana Zuboff – La clairvoyance de l’influence des TIC sur la transformation du capitalisme », dans : Isabelle Walsh éd., Les Grands Auteurs en Systèmes d’information. Caen, EMS Editions, 2018, p. 330-345 : https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-systemes-d-information—9782376871309-page-330.htm

[11] L’expression « d’un baccalauréat » dans le texte d’origine a été remplacée par « d’un bachelor », le baccalauréat étant un diplôme français, certes « universitaire » mais marquant surtout la fin des études secondaires au lycée français.

[12] AÏM Olivier, op.cit., p.128

[13] Citation extraite de : Durkheim Emile, De la division du travail social, dans :Zuboff, ibid., op.cit., p.55

[14] Zuboff, ibid., op.cit., p.25

[15] Zuboff, ibid., op.cit., p.126-127 – Note 72 : « Amendment n°9 to Form S-1 Registration Statement Under the Securities Act of 1933 for Google Inc. », Securities and Exchange Commission, August 18,2004.

[16] ● Shoshana Zuboff : « Larry Page, cofondateur de Google, a découvert rien de moins que le capitalisme de surveillance » Par Marc-Olivier Bherer, Le Monde, 26 novembre 2020 : https://www.lemonde.fr/idees/articl... ● La revue Etudes a publié un interview : « Un capitalisme de surveillance », Entretien avec Shoshana Zuboff, Entretien recueilli et traduit de l’anglais par Sean Rose, dans : Études 2021/2 (Février), pages 57 à 66 : https://www-cairn-info.ezpaarse.uni... ● Shoshana Zuboff : « La société démocratique se transforme en autocratie numérique » Par Adrien Jaulmes, Le Figaro, 24/06/2021 : https://www.lefigaro.fr/vox/monde/s... ● Interview croisée avec Cédric O et Shoshana Zuboff - Géants du Net : « Nous devons bâtir les lois pour un siècle numérique démocratique » par Amaelle Guiton, Libération, 12 nov. 2021 : https://www.liberation.fr/economie/... ● ZUBOFF Shoshana, « « Les entreprises vendent à notre insu des prédictions de nos comportements » », L’Économie politique, 2022/2 (N° 94), p. 8-22. URL : https://www.cairn.info/revue-l-econ...

[17] La recension de plusieurs textes, par David Forest, éclaire utilement ces discussions : FOREST David, “Le « capitalisme de surveillance - et sa critique - Cédric Durand, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique. Christophe Massuti, Affaires privées. Aux sources du capitalisme de surveillance. Evgueni Morozov, « Capitalism’s new Clothes ». Shoshana Zuboff, L’Âge du capitalisme de surveillance. » ”, Quaderni, n°105, 2022, p.125-129 : http://journals.openedition.org/qua...

[18] ● DOCTOROV Cory, « Détruire le capitalisme de surveillance », Framalang (pour la traduction et l’édition en ligne) 23 janvier 2021 : https://framablog.org/?s=detruire%2... et compilé sous PDF https://framablog.org/wp-content/up... ● Propos de Sébastien Broca recueillis par Frédéric Joignot, « Shoshana Zuboff oublie d’inscrire le “capitalisme de surveillance” dans une histoire plus large - Le sociologue Sébastien Broca reproche notamment à l’universitaire américaine de s’en tenir à des préconisations générales en matière de lutte contre la surveillance. », Le Monde, Rubrique « Idées », 14 juillet 2019.

[19] John Bellamy Foster et Robert W. McChesney : « Surveillance Capitalism - Monopoly-Finance Capital, the Military-Industrial Complex, and the Digital Age », Monthly Review – An Independent Socialist Magazine, 66/3, juin 2014 : https://monthlyreview.org/2014/07/0...

[20] « By seeking to explicate, and denounce, the novel dynamics of surveillance capitalism, Zuboff normalizes too much in capitalism itself. » MOROZOV Evgeny, « Capitalism’s New Clothes - Shoshana Zuboff’s new book on “surveillance capitalism” emphasizes the former at the expense of the latter », The Baffler, February 4, 2019 : https://thebaffler.com/latest/capit...

[21] Propos recueillis par Frédéric Joignot, « Shoshana Zuboff oublie d’inscrire le “capitalisme de surveillance” dans une histoire plus large - Le sociologue Sébastien Broca reproche notamment à l’universitaire américaine de s’en tenir à des préconisations générales en matière de lutte contre la surveillance. », Le Monde, Rubrique « Idées », 14 juillet 2019.

[22] DURAND Cédric, Techno-féodalisme. Critique de l’économie numérique, Editions Zones, 2020 256 p. : https://www.editions-zones.fr/lyber...

[23] GRANJON Fabien, « Sur L’Âge du capitalisme de surveillance. Le combat pour un avenir humain face aux nouvelles frontières du pouvoir de Shoshana Zuboff », Questions de communication, 2021/2 (n° 40), p. 455-472 : https://www-cairn-info.ezpaarse.uni...

[24] Ibid., op.cit., §21.

[25] DOCTOROW Cory, ibid., op.cit.

[26] BADOUARD Romain, Le désenchantement de l’internet. Désinformation, rumeur et propagande, FYP Editions, 2017, 179 p.

[27] ROSE Sean, ibid., op.cit, § 10 – 11 : https://www-cairn-info.ezpaarse.uni...

[28] PLIHON Dominique, « Il ne faut pas confondre le capitalisme de surveillance avec les technologies numériques, qui n’en sont que l’instrument », Le Monde (Idées), 12 oct. 2021 : https://www.lemonde.fr/idees/articl...

[29] DUBY Georges, « Avertissement », in : P.Ariès, G.Duby, Histoire de la vie privée – Tome 2. De l’Europe féodale à la Renaissance, Paris : Seuil/Points, 1999 (2d ed.), p.7.

[30] Ibid., p.321.

[31] HUNT Lynn, « Révolution française et vie privée », dans : P.Ariès, G. Duby, (dir.), Histoire de la vie privée – 4. De la Révolution à la Grande Guerre, Seuil, 1987, p. 36.

[32] IbId., op.cit., p.65.

[33] Ibid., op.cit., p.93

[34] Ibid., op.cit., p. 57

[35] En ligne : http://classiques.uqac.ca/classique...

[36] Cité par MORANGE Jean, « La Déclaration et l’évolution des droits de l’homme », dans : Jean Morange éd., La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. (26 août 1789). Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2002, p. 55-86. : https://www-cairn-info.ezpaarse.uni...

[37] KHARKHORDINE Oleg. « Révéler, dissimuler. Une généalogie de la vie privée en Russie soviétique ». In : Politix, vol. 8, n°31, 1995. pp. 203-227

[38] CHRISTIAN Michel, KOTT Sandrine, « Introduction. Sphère publique et sphère privée dans les sociétés socialistes. La mise à l’épreuve d’une dichotomie », Histoire@Politique, 2009/1 (n° 7), p. 1-1 : https://www-cairn-info.ezpaarse.uni...

[39] DUBOIS Vincent, Les politiques culturelles – Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris : Belin, 1999.

[40] Moulier Boutang Yann, Le capitalisme cognitif ou la nouvelle grande transformation, éditions Amsterdam, 2008, L’abeille et l’économiste, Carnets Nord, Paris, 2010.

[41] Huet, Frédéric "Introduire et problématiser le capitalisme cognitif.", 20 juin 2017, Cahiers COSTECH numéro 1. http://www.costech.utc.fr/CahiersCO...