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Recueil Alexandries

< 7/80 >

Fabrice Dhume

Communautarisme

Enquête sur une chimère du nationalisme français

| Demopolis |

à lire sur Terra

Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur F. Dhume-Sonzogni, Communautarisme. Enquête sur une chimère du nationalisme français, Paris, Éditions Demopolis (préface E. Fassin) 226 p., septembre 2016, ISBN 978-2-35457-092-7 21 euros

Sommaire

Introduction

Chapitre III (extraits) : de la lecture politique à sa mise en pratique

présentation de l'éditeur

Présentation de l’éditeur : L’idée de communautarisme prolifère depuis quelques années dans les discours politiques, distillant l’idée qu’une menace plane sur « l’identité nationale » et les « valeurs de la République ». Appelant à une réaction musclée face à un ennemi fou, ce discours a finalement dérivé dans l’idée de « guerre au terrorisme ». Comment en est-on arrivé là, à cette définition de la situation sous le prisme d’un vaste champ de bataille ? Et quels sont les effets de cette grille de lecture sur la définition du commun ? L’enquête sociologique retrace la généalogie de ce mot, et analyse la manière dont il redéfinit les règles du jeu. Jouant des peurs pour imposer une représentation de la société française et de ses enjeux à travers le prisme d’une lecture nationaliste à la fois protectionniste et guerrière.

Mots clefs

Introduction

Sous le consensus, un certain ordre du monde

Communautarisme [1]… Dans la langue française, ce mot est un néologisme. Il n’existait quasiment pas il y a encore trente ans. Et pourtant, chacune ou chacun a sans doute le sentiment de savoir de quoi il retourne, car ce mot s’impose aujourd’hui comme s’il s’agissait d’une évidence. Dans les discours politiques, dans les médias ou encore dans la littérature grise prolifère l’idée que « les fractures communautaristes (...), chaque jour davantage, paraissent fragmenter la société française [2] ». Et d’aucuns de prétendre en conséquence dresser un « état des lieux en France [d]es tentations communautaristes », pour immédiatement préciser qu’en fait, « en France, le phénomène communautariste occupe indiscutablement un espace médiatique exagéré à l’aune de son épaisseur réelle dans la société [3] ». Alors quoi : l’on joue à se faire peur ?
L’écart entre la dramatisation rhétorique et la minimisation pratique est une constante de ce discours, comme on le verra. De réalité factuelle il n’y a guère, ou alors rien qui ressemble à ce que le mot semble désigner, mais le discours apeuré ou effrayant, lui, est néanmoins incessant. Communautarisme a d’abord pour réalité (et peut-être pour unique réalité ?) d’être un discours qui annonce un scénario-catastrophe en affirmant l’urgence de réagir ou en déplorant qu’il soit déjà trop tard. Aussi, si l’on veut être conséquent, s’intéresser au communautarisme c’est se pencher ni plus ni moins sur les discours qui utilisent et ce faisant légitiment cette catégorie, comme sous l’effet d’une impérative nécessité de l’ère du temps. Que veut dire que l’on fasse de communautarisme un motif si central des discours publics ? Que se joue-t-il plus largement dans la circulation et la diffusion de ce terme de peur dans le langage politique contemporain ? De quoi communautarisme est-il réellement le nom ? Tel est l’objet de cet ouvrage.
Dans l’époque, la forme en -isme suggère d’emblée que l’on a affaire à une figure négative - « un vilain mot pour une vilaine chose [4] ». Elle indique au moins un excès, si ce n’est un présupposé de radicalisation. Avec ladite « fin des idéologies », autant ces mots n’ont plus bonne presse, autant ils prolifèrent comme jamais. Leur inflation dans les discours politiques traduit une substitution et une captation : le temps n’est plus au combat pour des idées et pour leur internationalisation, ce sont plutôt des "combats ordinaires", dans un cadre national représenté par l’État (ou un cadre européen représenté par son administration), qui occupent nos attentions quotidiennes. Comme si l’État-nation ou son émanation inter-nationale devait être la fin de toute politique. La « lutte contre le communautarisme » a-t-elle vocation à prendre place dans la grande série des petites "maladies sociales" d’une société sécuritaire : lutte contre le tabagisme, l’illettrisme, l’immobilisme, etc. ? Ou ce mot témoigne-t-il d’autre chose, plus massif, d’une figure scandaleuse et effrayante, qui pourrait figurer un nouvel ennemi dans l’ère post-communiste ?
Pour répondre à ces questions, il faut investiguer la catégorie communautarisme, ses usages dans les discours politiques, sa diffusion dans l’arène publique, et les effets sociaux que ce discours a sur l’organisation et la représentation de la réalité sociale. Travailler sur une catégorie signifie s’intéresser à la façon dont la réalité est définie, et dont les faits sont nommés, construits et classés. La catégorisation ordonne le monde social, au double sens du terme : elle met en ordre et prescrit des places, elle organise et donc contribue à produire le réel. Aussi, déconstruire la notion de communautarisme doit permettre de comprendre non seulement d’où elle vient et quel sens elle véhicule, mais également de quelle conception du monde ce terme est l’empreinte et le vecteur. Qu’est-ce que le discours du communautarisme fait au monde ? Comment dispose-t-il les places et les forces, au service de quelle conception politique de la société ?
En conséquence, la question n’est nullement de savoir si la catégorie est pertinente ou non, pour désigner tel ou tel type de situations. On verra chemin faisant le lien entre la catégorie et les réalités sociales qu’elle prétend recouvrir et désigner, mais la question n’est pas d’en arbitrer le juste emploi, d’autant que « les critères permettant de trier le bon grain communautaire de l’ivraie communautariste [sont] tout sauf précis » (Levy, 2005, p.110). La pertinence d’une catégorie dépend de la croyance que l’on a dans les cadres qu’elle présuppose. Autrement dit, c’est d’abord le référentiel  [5], la grille de lecture sous-jacente dans laquelle la catégorie prend sens, qui détermine le sentiment qu’elle serait pertinente et que le problème serait tel qu’on le dit. Derrière la catégorie et son fonctionnement, c’est la sorte de paire de lunettes sociales qu’il s’agit de saisir, celle qui fait voir et envisager la réalité, de façon particulière, comme une question de communautarisme.

Une enquête sociologique sur les rapports sociaux

La transformation des représentations du monde ne découle jamais d’une "génération spontanée" ni de la naissance en soi de nouveaux faits sociaux qui imposeraient d’eux-mêmes de nouveaux enjeux. Elle est toujours liée au fait que certains acteurs, certains réseaux d’acteurs se mobilisent pour faire valoir leur point de vue et leur définition des enjeux comme devant être la bonne manière de voir, de dire et de traiter des choses. Une question est donc de savoir qui a quel(s) intérêt(s) à présenter la réalité sociale sous l’angle du communautarisme. Mais par-delà des gens et des groupes éventuellement identifiables, la question qui guide cette enquête sociologique sera de comprendre quel front se dessine à travers ce discours, pour opposer quoi à quoi et qui à qui.
Le seul fait de titrer par exemple « Communautarisme. Menace sur l’école », comme le faisait en 2003 Le Monde de l’éducation, traduit une représentation du monde organisée par une frontière, et une réalité implicitement bonne – ici, celle de l’institution scolaire – risquant d’être débordée ou pervertie par une autre réalité, définie négativement. Qui ou quoi ce discours représente-t-il comme une « menace » ? Et menace d’invasion ou de perversion supposée concerner qui ou quoi ? Autrement dit, quel ordre social ce discours sert-il à défendre ? ordre reposant toujours sur l’idée d’un "chacun à sa place", et donc de places distinctes, attribuées aux un.e.s et aux autres, en dépit ou à travers l’affichage formel des principes supposés communs de « liberté, égalité, fraternité ».
A travers ce mot de communautarisme et ses usages, il s’agit ainsi d’observer l’espace (du discours) politique du point de vue des rapports sociaux. L’idée de rapport social est une abstraction théorique. Elle fait imaginer l’existence d’acteurs collectifs existant à une échelle historique et globalement opposés : « la bourgeoisie versus le peuple » dans les rapports sociaux de classe, « l’Occident versus l’Orient » dans l’orientalisme, « les femmes versus les hommes » dans le sexisme, les « Français versus les étrangers » dans le nationalisme,... le nationalisme désignant la « disposition à considérer que l’identité nationale prévaut sur toutes les autres identités sociales et que l’allégeance nationale a plus de valeur que toute autre allégeance » (Lorcerie, 2003, p. 60). De façon générale, un rapport social est « une tension qui traverse le champ social et qui érige certains phénomènes sociaux en enjeux autour desquels se constituent des groupes sociaux aux intérêts antagoniques » (Pfefferkorn, 2012, p.95-96). Ces groupes tendanciellement opposés ne sont pas naturels et ne préexistent pas à ces rapports de pouvoir, ils en sont le produit social et politique. En assignant de fait les individus à des places distinctes, et en les confrontant à des expériences répétées qui marquent des différences de statut dans la société, ces rapports sociaux « déterminent des places et des chances et imposent des "communautés de destin" telles que, par elles-mêmes, elles produisent des solidarités et des rivalités » (De Rudder et alii, 2000, p.38-39).
Les rapports sociaux opposent des groupes ainsi produits en fonction d’un principe hiérarchique, qui se traduit de façon verticale (domination de certains par d’autres) et/ou de façon plus horizontale (exclusion ou marginalisation à l’égard de certaines sphères d’activité ou de ressource). Les groupes en position dominée sont dit minoritaires - soit, ceux qui sont considérés comme moins légitimes, et/ou qui sont par exemple couramment exposés aux discriminations. Les groupes en position dominante sont dits majoritaires et regroupent ceux qui exercent ces discriminations et/ou qui tirent les bénéfices potentiels de cette situation de relatif privilège. Majoritaire désigne le groupe non nécessairement le plus nombreux mais ayant de fait le pouvoir d’édicter ses propres normes comme constituant la référence pour tous et toutes (le « normal » ou le « neutre »). En conséquence, ces normes ont pour effet de minoriser d’autres groupes, de les faire apparaître comme anormaux, moins capables ou moins légitimes, ce qui justifie en retour leur maintien dans une position subalterne.
La présente enquête repose sur l’idée que communautarisme se réfère à des « communautés » présumées distinctes et plus ou moins légitimes en fonction de ces hiérarchies sociales, et donc que le discours du communautarisme est ni plus ni moins celui du groupe majoritaire visant à maintenir les minorisés à « leur » place. Si tel est bien le cas, il faudra se demander jusqu’où le Majoritaire est prêt à aller pour maintenir sa domination, et donc en l’occurrence vers quoi nous conduit en réalité le discours du communautarisme.

Présentation de l’enquête et de l’ouvrage

Ce livre reprend le cours d’une analyse que j’avais entamée il y a plus de dix ans. Au plus fort du discours sur le communautarisme et le repli communautaire, alors que se jouait la face la plus visible de l’entreprise politique visant l’interdiction du voile à l’école (2003-2004), j’avais conduit une enquête sociologique touchant à ces questions dans le cadre scolaire. Menée entre 2004 et 2006 à la demande du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) et du Ministère de l’éducation nationale, cette recherche [6] portait sur un intitulé qui posait sociologiquement problème : « racisme, antisémitisme et communautarisme ». Si ce triptyque semblait ne pas faire problème pour les institutions publiques commanditaires, elle générait de la perplexité chez le sociologue.
En effet, travaillant notamment sur la discrimination raciale, j’étais familier de la catégorie racisme. Je pouvais aussi comprendre que l’on associe et dissocie en même temps « racisme et antisémitisme » – quoique, surtout dans le contexte où l’institution scolaire était préoccupée par les éventuelles répercussions en France de la « seconde Intifada [7] », dans la guerre israélo-palestinienne, cela prenait un sens très particulier, et constituait un cadre politiquement et sociologiquement problématique pour aborder la question du racisme à l’école. Par contre, hormis les préjugés ambiants que je partageais – qui me faisaient comprendre implicitement ce que les commanditaires voulaient dire et ce qu’ils attendaient -, je ne voyais pas quoi faire sociologiquement de la catégorie "communautarisme", qui ne prolonge et ne valide malgré moi un prisme analytique que je supposais poser problème. J’entrepris alors une analyse spécifique et une historicisation de cette catégorie de discours, de façon distincte de la recherche sur le racisme à l’école. Cette enquête sur le terrain des discours politiques et médiatiques constitue le corpus premier de cet ouvrage.
Cette recherche a depuis été publiée, notamment sous la forme de deux livres distincts : Racisme, antisémitisme et “communautarisme” ? L’école à l’épreuve des faits (L’Harmattan, 2007), et Liberté, égalité, communauté ? L’État français contre le communautarisme (Homnisphère, 2007). C’est ce second titre que les éditions Démopolis m’ont proposé de republier. Ceci dit, l’analyse et le corpus de départ datant de plus de dix ans, il a fallu replonger dans ces questions pour voir si l’analyse tenait toujours, et pour l’actualiser. C’est donc ici un texte largement inédit.
Je retiens de ce retour au matériau trois choses principales. La première est que l’analyse faite à l’époque, ainsi que les intuitions formulées pour la suite, se sont amplement confirmées. Plus encore, le discours du communautarisme semble avoir joué pleinement comme une prophétie auto-réalisante. La deuxième est que j’ai néanmoins avancé dans la compréhension de certaines dimensions du problème ; l’évolution du titre de l’ouvrage témoigne que j’accordais il y a dix ans une place plus centrale à la question de l’État en lui-même, tandis qu’il m’apparaît plus clairement aujourd’hui que la question se joue dans le rapport du nationalisme à l’État et ses institutions (entre autres). Le dernier constat est que le champ de discours sur ce thème a tout de même évolué, et notamment sur deux points importants. Premièrement, depuis 2005, cette notion a fait l’objet d’un nombre croissant d’écrits, parmi lesquels on peut voir rétrospectivement le rôle actif joué par une série de chercheurs ou d’intellectuels dans l’entreprise politique et morale de légitimation de cette grille de lecture. Deuxièmement, là où il semblait clair – dans ma propre analyse comme dans toutes celles que j’ai lues – que communautarisme était un mot à charge que nul ne revendiquait pour lui-même, force est de constater que ce n’est plus entièrement le cas aujourd’hui, et que certains auteurs revendiquent désormais ce terme. Cela est inédit, et me semble témoigner du fait que l’invention de cette catégorie de dénonciation a depuis produit d’étonnants contre-effets.
Ce livre répond a un triple projet de connaissance. Premièrement, il s’agit d’analyser un ensemble de discours, réuni et circonscrit par un mot : communautarisme. Partant du constat que ce mot est récent dans le vocabulaire politique, mais qu’il s’est imposé très rapidement et massivement, il s’agit de comprendre ce qui se dit dans ce nom, sous l’apparente évidence partagée. Deuxièmement, il s’agit de prendre communautarisme comme un analyseur d’une époque, saisie à travers ses discours médiatiques et politiques. Ce livre repose sur le pari que la trajectoire de ce terme permet de saisir et de comprendre bien des évolutions politiques qui se jouent depuis au moins les années 1980. Troisièmement, il s’agit d’éclairer des formes de raisonnement et d’action dans l’espace politique, en prenant ce mot tout à la fois comme un produit, un véhicule et un opérateur actif d’une certaine représentation sociale de la société. Du point de vue de l’analyse des rapports sociaux, il s’agit d’observer et de comprendre comment, dans une époque d’importante mise en question des manières de "vivre ensemble", le groupe majoritaire tente de maintenir un certain ordre social fondé sur la disqualification de certains groupes et le déni de certaines réalités.
L’analyse qui suit est rythmée par ces trois faces du projet. Le premier chapitre nous fait entrer dans le nom de communautarisme, sans passer par la case "définition". Il vise à écouter ce qui se dit dans les discours publics (presse, ouvrages, blogs, discours politiques et institutionnels...) qui utilisent cette catégorie, pour comprendre de l’intérieur comment ce mot amène à voir la réalité sociale, et comment il fonctionne. Dans un deuxième chapitre, une enquête spécifique au sein de la presse quotidienne nationale permet de retracer la généalogie du mot. Il s’agit cette fois de comprendre dans quel contexte il est apparu, comment il s’est imposé dans le temps, et à travers cela comment il témoigne d’une transformation de l’espace des discours médiatiques et politiques. Enfin, le troisième chapitre porte sur une double question : comment interpréter à la fois le fonctionnement de cette catégorie et les transformations du discours public qu’elle contribue à produire ? Et quels sont les effets concrets de ce discours, à la fois sur les acteurs (ceux qui tiennent ces discours, leurs destinataires, et leurs cibles), et plus largement sur le contexte social et politique actuel de la société française ?

Chapitre 3 – De la lecture politique à sa mise en pratique

Après avoir analysé le fonctionnement de la catégorie communautarisme, ainsi que les ressorts de la dissémination et de la banalisation de ce discours, il faut approfondir l’interprétation des processus à l’œuvre. Comment comprendre les dynamiques qui se jouent sous nos yeux de lecteurs de la presse quotidienne ? Il s’agit également de se pencher sur les effets de l’installation dans le discours politique et médiatique français de cette grille de lecture. Car, si communautarisme n’est au départ qu’un mot, si ce n’est le nom que d’une chimère, le langage et les peurs chimériques ont des effets. Toute improbable que soit cette catégorisation, elle n’en finit pas moins par constituer « un régime de vérité qui sépare le vrai du faux » (Foucault, 2004, p.22). Que produit alors cette grille de lecture ? Comment façonne-t-elle l’action publique ? Et comment reconfigure-t-elle l’espace politique en actualisant les rapports sociaux ?

Voiler les faits pour forcer l’interprétation de la réalité

Nous avons vu que le « débat » qui se dessine à travers le prisme du communautarisme ne se confond pas avec une ancienne controverse philosophique sur le bon modèle d’État. Même si l’on oppose sociologiquement communauté et société pour rejouer politiquement l’opposition modernité/archaïsme, même si l’on emprunte au débat entre liberals et communautarians pour se figurer la « résistance gauloise » à « l’invasion américaniste », même si l’on distingue philosophiquement au sein de la nation l’ethnique du civique pour justifier l’hystérisation des signes ethnico-religieux, même si l’on convoque la question juridico-philosophique du statut des corps intermédiaires pour incriminer ce que l’on croit être une demande de reconnaissance des « communautés »... le mot de communautarisme ne fait pas que réitérer sur un mode dramatisant des questions du passé qui resurgiraient brusquement à l’époque « post-moderne ». Ce mot n’incarne pas seulement la réaction à un phénomène social interprété par certains comme un « retour des tribus » [8].
Certes, il y a bien dans cette affaire la réouverture de questions politiques que l’on a voulu croire réglées par le compromis d’un État social, ou que la sociologie a cru solder en traitant exclusivement du social (et en renvoyant l’ethnique à l’ethnologie, ou le sexe et la sexualité à des questions de nature). Sur ce plan, l’époque contemporaine ne fait pas que remettre en cause un compromis historique, mais oblige à affronter des questions jusque-là maintenues dans l’ombre. Certes, aussi, la question qui se pose en filigrane à travers la rhétorique du communautarisme est bien celle du cadre politique et de ses évolutions, pour pouvoir prendre en charge les enjeux qui se dessinent et qui sont, sinon inédits, du moins formulés à nouveaux frais. La nouveauté de la catégorie ne recouvre ni une situation en soi inédite, ni un retour du passé, mais une redéfinition de la grille de lecture dominante, face à l’insistance de questions que les promoteurs de ce néologisme ne semblent pas vouloir affronter. Sans doute pensent-ils de la sorte pouvoir y échapper, ou au moins pouvoir contrôler la situation...
D’un côté, les différents thèmes que les discours sur le communautarisme mobilisent sont relativement anciens, sans que cela signifie qu’ils se réfèrent au passé. C’est le cas des mouvements d’individualisation, par exemple, qui travaillent de longue date la société – par seulement depuis mai 68... Sur ce plan, la question des affiliations est autant une extension qu’un retour du refoulé libéral. Idem pour les identifications au religieux, qui se produisent partout dans le monde, en renouvelant l’offre sur un marché des croyances en expansion. L’identification religieuse ou ethnique n’a en elle-même guère à voir avec le passé, et l’on sait par exemple que le recours à l’islam chez les jeunes en France est nettement liée à une expérience dégradée des institutions, de celle, scolaire, tout particulièrement (Kapko, 2005). Les processus qualifiés de mondialisation, qui mettent en question les compétences des États-Nations, ne sont pas, eux non plus, nouveaux. Même si l’époque immédiate est une nouvelle configuration d’une ancienne dynamique de mondialisation des échanges et d’impérialisme (du temps de la traite et de la colonisation, au moins), cette phase nouvelle remonte elle-même à plusieurs décennies. C’est dans les années 1970 au moins que se noue l’emprise du néo-libéralisme, œuvrant à moins d’État social en même temps qu’à plus d’État sécuritaire, et favorisant des régulations sociales par la concurrence et non plus seulement par le marché (Jobert, 1994 ; Foucault, 2004). Par ailleurs, le recours à l’ethnicisation et même la gestion des populations par l’intermédiaire des représentants religieux ne date pas d’hier. Cette stratégie politique a été structurante des méthodes de maintien de l’ordre aux temps de la colonisation. Le recrutement « communautaire » (par réseaux ethniques, régionaux, familiaux...) est une constante des stratégies patronales de gestion des immigrations, depuis l’exode rural dans le 19è siècle des « petites patries » jusqu’à l’organisation de l’immigration internationale d’après la seconde guerre mondiale.
Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a rien de nouveau dans les temps actuels, ni qu’aucune dynamique originale n’est à l’œuvre à travers ces questions. Mais ces processus objectivables prennent sens en grande partie comme un effet de miroir, tourné notamment vers l’État et les institutions, pointant de fait de ce qu’ont été les stratégies politique de gestion jusque-là. La part éventuellement objective de ce qui est dénoncé par le discours du communautarisme relèverait donc tout à la fois des pratiques éventuellement héritées de ces routines de gestion politique, ou, à l’opposé, d’une critique politique de ces formes patriarcales, paternalistes ou colonialistes de gestion avec lesquelles il s’agirait de rompre, au nom même des idéaux communs. Ce sont deux formes de retour de balancier, en quelque sorte. Ainsi, « le communautarisme serait au fond le retour du refoulé : la formulation tardive et, évidemment, un peu excessive, de la prise en compte d’une réalité qui a toujours été là » (Belorgey, Guénif et Simon, 2005). Sur bien des plans, si le discours du communautarisme avait quelque visée d’objectivité, il pointerait vers les logiques politiques et institutionnelles pour en dénoncer les présupposés et ressorts ethnicisant et sexisant... Et sans nul doute trouverait-il alors un allié de poids dans la plupart des mouvements sociaux actuels qui réclament l’égalité et la fin des discriminations.
Or, il est clair que ce n’est pas de ça dont parle le discours du communautarisme. Bien qu’il utilise les mêmes référents idéaux pour fonder sa critique (liberté, égalité...), qu’il dénonce parfois les mêmes logiques d’ethnicisation dans le mode de gouvernance étatique ou municipale [9], c’est le plus souvent contre des exigences d’égalité et de liberté. Et contre la parole des minorisé.e.s. Par exemple, lorsque certains groupes dénoncent la discrimination, leurs propositions sont sans cesse renvoyées au thème de la « discrimination positive » (honnie pour être supposée typiquement américaine), en dépit et au mépris de ce que disent celles et ceux qui les formulent. Communautarisme est ainsi, d’un bout à l’autre, un discours de la mésentente (Rancière, 1995), un discours du pouvoir qui ne peut et surtout ne veut pas entendre la parole de certains groupes en tant que discours politique et que voix légitime. D’où leur disqualification comme « infra-politique ou anté-politique [10] ». Le discours du communautarisme utilise donc les idéaux communs non pour les promouvoir, mais pour faire barrage et délégitimer certaines voix. Il joue ainsi objectivement contre ces idéaux.
L’argument de la menace communautariste est dont curieux, s’il fallait entendre dans ce mot une prétention à désigner objectivement la réalité. Il accompagne en effet une bien étrange lecture de l’histoire : celle-ci est convoquée pour légitimer la République, mais révoquée dans le même mouvement pour affirmer des valeurs présentées comme anhistoriques ; la question du passé est attribuée à l’Autre soupçonné d’archaïsme, alors qu’elle est sans cesse convoquée par le discours dominant qui use de commémorations pour rejouer la communion nationale, etc. Et ces contradictions mêmes alimentent le discours en boucle du communautarisme. Cette réécriture de l’histoire est appliquée au mot lui-même, dont les promoteurs veulent faire une des « notions clés qui fondent l’idée républicaine », ou qui posent que « la bataille laïque contre le communautarisme est constante depuis le XVIIIe siècle et la grande Révolution française » [11]… Le mot fait également un curieux usage de la sociologie. Il attribue une ethnicité et une communauté à certains groupes, mais par cette imputation-même, ethnicise la réalité. Le mot produit ce qu’il dénonce.
Face à ces détournements, l’effort des historiens ou des sociologues pour rationaliser le débat n’a pas vraiment d’autre portée que de contribuer à alimenter une glose incessante autour de ce mot, et donc à lui donner chemin faisant une épaisseur croissante. Il faut en tirer la conséquence qui s’impose : ce n’est pas du côté de l’objectivité, de la rationalité et de l’observation de la réalité, que ce mot prend sens. Car fondamentalement, ce discours ne s’intéresse pas aux choses, aux gens, aux faits. Il imprime une lecture en idéalité, qui écrase littéralement les significations autonomes. Nous avons vu sans arrêt combien les faits importent peu : ils ne sont que la surface sur laquelle prend appui un réseau de discours qui les relie en généralité et en surplomb, pour légitimer le recours à de grandes figures mythologiques sacralisées.
Plus encore, ce discours voile les faits ; il les enveloppe d’un foulard trans-lucide, au double sens du terme : un voile qui ne laisse filtrer que le contour des faits, mais qui croit précisément faire la lumière à partir de leur ombre. Ce discours qui pense savoir à la place des gens qui font et qui vivent, croit voir dans une série hétérogène de faits une ombre menaçante, sans voir que celle-ci n’est qu’une ombre projetée (le fruit de préjugés racisant) doublée d’un auto-aveuglement (à force de vouloir incarner les Lumières). A strictement parler, ce discours révoque l’analyse des faits – en combinant un anti-intellectualisme ciblé et une survalorisation d’intellectuels médiatiques. Le commentaire des faits doit effacer leur analyse, pour ne pas affaiblir la théorie. C’est ni plus ni moins ce que formulait le premier ministre Manuel Valls :
« Pour ces ennemis qui s’en prennent à leurs compatriotes, qui déchirent ce contrat qui nous unit, il ne peut y avoir aucune explication qui vaille  ; car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. (…) J’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques à ce qu’il s’est passé. [12] »
Les faits servent de prétexte pour se présenter en gardien du « contrat qui nous unit ». Ils sont en quelque sorte les objets transitionnels permettant d’imaginer une formidable généalogie éternelle et continue : de la mythologie grecque aux Lumières, de la révolution française aux héros de la Troisième république, etc. A travers cela, ce discours opère en réalité une radicale inflexion du référentiel politique, pour ramener au centre du « débat » une logique de réaction, en particulier vis-à-vis d’un islam considéré sous l’angle d’une menace fondamentale [13]. Mais, comme pour les « races » avec le racisme, tout chimérique que soit la figure du communautarisme, son imposition dans le discours public a des effets bien réels. Et ce, d’autant qu’elle mobilise des affects, emprunte et détourne des peurs pour organiser une réaction.

L’exploitation néoconservatrice des peurs d’une époque

Le discours du communautarisme prospère sur un thème identitaire, qui veut présenter une société française en quête ou en doute d’identité. Il est un réservoir de figures adversaires voire ennemies, supposées fournir des identités alternatives conduisant au délitement du lien social, et contre lesquelles il cherche à réactiver la flamme hégémonique de l’identité nationale. L’arrivée de ce thème sur le devant de la scène politique, à l’occasion dudit « Grand débat sur l’identité nationale » en 2010, n’a fait que capter une dynamique que l’on a vu s’imposer à travers la banalisation du langage du communautarisme. Que ce débat ait été jugé « "pas constructif" pour 63,1 % des Français. "Électoraliste" pour 53,4 %. "Utile" pour 38,5 % d’entre eux [14] » tend certes à montrer que « l’opinion publique » n’est globalement pas dupe des stratégies de flatterie électoraliste. Mais la lecture journalistique sous l’angle du degré de conviction montre en même temps combien ne fait pas débat l’idée que le problème serait là, que c’est d’identité (nationale ou autre) dont il s’agirait. Or, on peut voir dans la question de l’identité un effet plutôt qu’une cause : la thèse de l’identité comme problème, qui structure le discours du communautarisme, est surtout un produit de cette grille de lecture.
Il a en effet lieu d’entendre ce discours d’abord pour ce qu’il manifeste – tant à travers les arguments que par la fantasmagorie qu’il mobilise. Communautarisme exprime des peurs. Il y a pour partie des objets réels à ces peurs, mais le langage de la peur fabrique aussi ses mauvais objets. Parmi les peurs fondées, il y a probablement différentes strates : l’angoisse immédiate, pour des millions de personnes évincées d’un monde du travail qui assurait, même minimalement, ressources, sentiment d’utilité sociale, reconnaissance et assurance, ou encore réseaux de sociabilité ; l’incertitude des lendemains, caractéristiques d’une époque néolibérale qui fragilise les solidarités instituées et entretient l’insécurité sociale ; l’inquiétude à l’égard de dynamiques sociales qui mettent en question des croyances acquises (dans la naturalité du genre, par exemple) ; une peur liée au contexte de concurrence et de crise de la représentation politique, qui génère un sentiment de perte de contrôle sur sa vie, donc d’insécurité, un sentiment de perdre « sa » place et de ne plus être un membre à part entière de la société politique. S’ajoute à cela une logique de la terreur, utilisée par quelques groupes dérivés des rapports géostratégiques mondiaux, qui utilisent la violence notamment pour faire montre de leur (im)puissance – groupes qui empruntent aujourd’hui [15] le nom d’« islamique » pour se justifier, bien qu’ils ne trouvent pas leur sens premier dans l’islam en soi.
Ces craintes, angoisses ou peurs, toutes subjectives qu’elles soient, ont un ancrage matériel et immédiat pour les personnes qui les éprouvent ici et maintenant. Elles témoignent d’une dégradation des conditions de vie et de travail, d’un durcissement des rapports sociaux, d’une souffrance sociale croissante, et donc clairement d’une société qui va mal. Mais ces peurs font l’objet d’une instrumentalisation, d’une forme de re-symbolisation qui a pour effet de les dé-matérialiser et les dé-localiser pour les transférer sur un autre plan et les attribuer à d’autres causes supposées. Communautarisme est l’opérateur de ce déplacement.
Cette instrumentalisation repose sur trois logiques argumentaires, étroitement imbriquées, et liées immédiatement à l’imaginaire politique ethnonationaliste. Je parle d’un imaginaire (ethno-)nationaliste, bien que cela ne soit pas le propre de la situation française, et qu’il y a toute raison de voir dans ce processus un caractère transnational s’exprimant dans le passage récurrent de ce discours de « la France » à « l’Europe » à « l’Occident » ou à la « Civilisation ». En effet, bien que l’identification circule entre des échelles différentes selon le niveau auquel est défini la « menace », l’une des clés du discours du communautarisme réside dans le statut conféré au concept d’Etat-Nation, avec la manière centralisatrice et unitariste de concevoir le corps politique – c’est ce qui explique en bonne part le caractère typiquement français du mot. Ces trois logiques argumentaires sont les suivantes :
L’époque connait une affirmation des singularités, à la fois individuelles (parfois individualistes) et ancrées dans des réseaux ou des affiliations diverses voire changeantes. Elle se traduit notamment par des exigences de démocratie directe et plus localisée, qui témoigne d’une évolution des subjectivités politiques. Cela s’accompagne, dans la philosophie, par un retour de l’idée de multitude - la multitudo spinozienne – qui s’est historiquement affirmée contre la logique du « citoyen » tel que conçu par Hobbes (Virno, 2002) [16], c’est-à-dire comme une collection d’individus unifiée et subjectivée dans le Peuple, et représentée par l’État : c’est l’État-Nation. De même, comme on l’a vu concernant le débat liberals/communautarians, la problématique de la pluralisation concrète des sociétés, avec l’accélération de la mondialisation, interroge la philosophie politique quant aux conditions de vivre-ensemble dans de tels contexte. Cette réouverture de la question du modèle politique est prise comme une menace pour l’imaginaire de l’État-Nation, surtout dans son expression française centralisatrice. Au sens strict, au plan des idées, il n’y a aucun doute : le modèle historique de l’État-nation est bien mis en question, dans sa capacité ou son incapacité à nous aider à affronter les défis de l’époque. Mais le discours sur le communautarisme vise à empêcher le débat en agitant le spectre du chaos et en forçant une représentation binaire dramatisante : ce serait « la République ou le communautarisme ».
L’époque est aussi celle d’une nouvelle dynamique de mondialisation, qui s’exprime tout à la fois dans des stratégies économiques néolibérales (affaiblissant les droits et protections étatico-nationales), dans des rapports géostratégiques renouvelés (déplaçant les centres de gravité géopolitiques), dans des processus migratoires en partie inédits (migrations climatiques, par exemple). Elle s’exprime également par un développement de mouvements sociaux, politiques et intellectuels qui renouvellent les cadres de pensée, au point que « l’histoire et les choses se tournent vers nous [ici, un « nous » africain, et que] (...) l’Europe ne constitue plus le centre de gravité du monde » (Mbembe, 2013, p.9). Cette transformation percute le narcissisme politique français, idéalisant une grandeur aujourd’hui déchue, une centralité mondiale progressivement provincialisée. Depuis la seconde guerre mondiale, en effet, le continent européen a été « destitué par son propre universalisme, et destitué par conséquent purement et simplement de son universalisme, voué à redevenir une partie du Globe comme les autres, et peut-être moins importante que certaines autres comme la Chine ou l’Inde, une simple partie du monde qui fut le sien, qu’il s’appropria matériellement et culturellement, condamné à redevenir une simple fraction de cette humanité qui fut son projet. La France éprouve plus douloureusement cette banalisation parce qu’elle s’est voulue le centre de la modernité européenne, son inspiration politique et philosophique, écrivant son histoire à travers le mythe de son exception » (Liogier, 2012, p. 209). Le discours du communautarisme exploite cela pour fabriquer des rancoeurs, en transformant des peurs ancrées en un fantasme de guerre des civilisations, qui menacerait une France grandiose de sombrer dans la décadence et la petitesse (supposée être la marque des Autres).
Avec les deux logiques précédentes, et avec la fin du temps des colonies, l’immigration est devenue une question politique importante dans les sociétés contemporaines. Cela représente d’un côté un enjeu concret pour faire société, puisqu’il s’agit de passer d’un modèle de club fermé à une situation plus ouverte, et donc à repenser les façons de réguler les conflits liés au « vivre ensemble » et de négocier le commun. Mais cette question est d’emblée prise dans le discours fantasmatique du « problème de l’immigration », qui domine depuis les années 1970. Cette lecture sous l’angle de la menace s’est imposée par la conjugaison d’une offensive de l’extrême-droite et par le prisme économique et sécuritaire construit par une nouvelle génération d’agents de l’État chargés de ces questions (Bonnafous, 1991 ; Laurens, 2009). L’« intégration » et le contrôle des frontières ont été les réponses politiques à cette conception d’une menace, visant à maintenir une logique de club fermé en posant des conditions exorbitantes d’entrée. L’effet de cette approche sécuritaire et assimilationniste a été de renvoyer sans cesse certains groupes à une altérité, en repoussant toujours la reconnaissance d’une pleine citoyenneté. Les visées nationalistes, normalisatrices et sécuritaires de cette politique se sont accrues au fur et à mesure que ses effets pervers devenaient plus patents, et que des résistances politiques s’affirmaient – en empruntant parfois le langage de l’ethnique ou du religieux. Progressivement depuis les années 1980, cette logique s’est doublée d’une incrimination de l’islam. Le thème de la « visibilité » et l’« ostentation » (du voile) témoigne que, dans le contexte de rancœurs liées à la perte symbolique de place dans le monde, les préjugés racistes concernant les Musulmans et les Arabes (présumés « communautaires », « sûr d’eux-mêmes », « agressifs »...) se sont sédimentés dans une grille de lecture : celle du communautarisme. Celle-ci tend vers une lecture obsessionnelle en termes de « colonisation à l’envers », de « Grand Remplacement », d’ « islamisation ».
Le discours du communautarisme transforme donc des questions politiques concrètes en thématiques fantasmatiques. Il alimente un discours de la peur, en désignant de façon imprécise « des choses aussi inquiétantes que la montée du communautarisme » [17]  ; « l’affirmation de l’islam dans la société française, vécue par beaucoup comme l’un des ratés de l’intégration, et la montée des communautarismes sont en grande partie à l’origine de cette résurgence et nourrissent les inquiétudes » [18]. Ce mot sert à figurer, et à travers cela à « administrer la peur », selon l’expression de Paul Virilio (2010). Il force à voir dans diverses micro-manifestations la marque larvée et cachée d’un Grand Danger.
Communautarisme est un discours d’instrumentalisation des peurs pour tenter d’enclencher un effet de panique morale, situation favorable à un maintien de l’ordre. La notion de panique morale désigne une réaction collective hors de proportion face à des pratiques minoritaires jugées dangereuses pour la société. Ce phénomène surgit lorsqu’« une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d’une société » (Cohen, 1972). L’idée d’une menace Majeure qui serait véhiculée par des groupes minoritaires, adversaires ou ennemis, est concrètement le fruit d’un amalgame et d’un transfert de questions : de rapports minorités/Majorité dans une lecture de la menace sur l’ordre social (représenté par les figures Majuscules de l’État, la République, la Laïcité, etc.). Il s’agit d’un transfert de questions d’égalité politique dans la peur liée à la crise politique, la peur que la représentation politique de la propriété collective ne représente plus les « simples citoyens ». Cette peur, efficacement manipulée, est transmutée en fantasme d’expropriation, d’être subalterne « chez soi ». Le discours du communautarisme incite et produit donc une crispation sur la question de la propriété politique, en légitimant un registre réactionnel [19], non pas à une réalité en soi, mais à sa radicale surinterprétation. Ce mot impose une lecture « nécessairement conservatrice » (Lorcerie, 1992) de la situation politique, et veut produire un consensus sur cette base.

Produire un consensus, rendre le débat impossible

C’est un fait objectif que des groupes minorisés s’affirment comme des acteurs politiques, se ressaisissent de l’histoire, réinventent les règles des mouvements sociaux, exigent « reconnaissance » – une reconnaissance en tant qu’acteurs ayant une voix légitime, ayant une expérience collective singulière de la domination, et pas nécessairement une reconnaissance comme entité forclose objet de droits propres, comme veut le laisser croire une certaine interprétation du communautarianism. C’est un fait que ces critiques et exigences appellent à réinterroger profondément la manière de fonctionner du « Nous » national et étatico-national, les manières de faire et de penser, ainsi que les héritages impensés (nationalistes, colonialistes, masculinistes, infantilisants...) de l’État, des institutions et des groupes dominants. Mais ces voix et questions légitimes sont seulement disqualifiées par l’étiquette de communautarisme.
De fait, toute exigence démocratique et égalitariste est toujours potentiellement une menace à l’égard des privilèges des groupes dominants. C’est toujours une mise en cause des stratégies des groupes sociaux qui tirent directement bénéfice de l’occupation des réseaux, des lieux et des sphères du pouvoir. Ces groupes en situation dominante n’ont donc objectivement guère d’intérêt à une transformation du système politique. C’est pourquoi ils instrumentalisent des craintes pour entraîner, au-delà de leurs cercles restreints, la société si possible toute entière dans une logique de réaction conservatrice. Ils le font, comme on l’a vu, en présentant la menace comme portant sur la propriété collective, dont ils se posent en garant.
Ici, le ressort de puissance du discours du communautarisme, c’est d’imposer un consensus. Si le mot agite le spectre de la « guerre civile », c’est autant sinon plus pour forcer l’adhésion que pour faire réellement taire les voix divergentes par le gigantisme de la menace : « Si on laisse dériver le communautarisme, oui il y a un risque fort de guerre civile en France » ; « laxisme et communautarisme mènent à la guerre civile » [20]. Ce discours du pathos vise la défense du sentiment communautaire national. Le consensus, l’idée de consentir, c’est étymologiquement « être d’un même sentiment », car « le consensus est, avant tout, un partage de sentiments (cum-sensualis) » (Maffesoli et Strohl, 2015) [21]. Le consensus n’a pas grand chose à voir avec un compromis réfléchi, discuté, négocié, dans lequel l’objet de l’accord est partagé. Produire le consensus, c’est faire en sorte que tout le monde se sente d’accord sans préciser sur quoi porte vraiment cet accord et ce qu’il implique, c’est seulement exiger une adhésion affective inconditionnelle portant sur des principes et non sur des problèmes communs.
Dans les temps où la représentation politique est en crise, communautarisme est un recours à la menace par défaut de séduire et de convaincre. En jouant affectivement sur la scène publique la tragédie d’une régression sociale, d’une « décivilisation » en marche résultant de « la régression des Etats [22] », il s’agit de faire peur, de terroriser les spectateurs pour qu’ils continuent à adhérer au « modèle de l’Etat-Nation républicain » et à ses représentants qui occupent la scène. Le thème omniprésent et structurant de la menace doit donc être entendu de façon littérale. Oui, le communautarisme menace : communautarisme est en effet le nom d’un discours qui menace ceux qui sont supposés pouvoir être « séduits » par « les sirènes du communautarisme [23] », et qui par l’invention d’un ennemi veut refaire l’adhésion collective.
Cette production de consensus suppose l’interdiction de fait du débat. Pour ce faire, le discours intellectuel pose une lecture binaire et asymétrique des enjeux politiques, afin de présenter une fausse alternative. « Quel type de société voulons-nous pour demain ? Celle du pluralisme communautariste ou celle de l’unité républicaine ? [24] », fait ainsi mine d’interroger Cynthia Fleury. La rhétorique du communautarisme a son côté habile, qui mime la discussion pour mieux l’empêcher. Dans le discours politique, cela passe aussi par des affirmations péremptoires qui signifient qu’aucune discussion n’est possible sur le modèle politique : «  La République est le destin commun de tous ceux qui ont choisi la France, quelle que soit leur origine ou leur religion [25] ». Ou alors, dans un renversement dramatique, on pose comme évidence que :
« le constat semble partagé par tous, quelles que soient les orientations idéologiques : la France se trouve à un carrefour. L’avenir de son modèle politique, qu’il est possible de définir comme un "républicanisme civique", ne paraît plus assuré. Au contraire, le pessimisme se répand. La cohérence du système républicain est contestée. Certains lui reprochent son inefficacité relative, tandis que d’autres attaquent ses principes mêmes. Frontalement. [26] »
C’est qu’il s’agit d’imposer une norme de ce qui « va de soi », ce qui vaut « à coup sûr », et surtout ce qu’« on ne peut pas dire ». Communautarisme est de ce point de vue l’outil d’une police du langage et de la pensée, pour des représentants politiques qui veulent se poser en détenteurs monopolistiques des labels « républicain », « laïc », etc. :
« On ne peut pas dire que l’on est pour la République et témoigner de l’indulgence pour le communautarisme ou pour ceux qui ne respectent pas les lois. On ne peut pas dire que l’on est pour la République et contre l’interdiction du voile à l’école ou de la burqa dans la rue. On ne peut pas se dire républicain et avoir peur du mot assimilation ou vouloir les droits sans les devoirs ou être contre la nation et contre l’État. [27] »
« Le voile islamique à l’école ne constitue, cela va de soi, que le totem du communautarisme. Il implique directement la revendication d’une identité religieuse qui n’a pas sa place à l’école publique, voire (...) une volonté de différenciation, incompatible à coup sûr avec les principes jumeaux de la laïcité et de l’intégration. [28] »
Ce discours normatif force celles et ceux qui veulent prendre part au débat à faire allégeance à une logique du consensus, et par exemple à insister expressément sur le fait qu’ils ne seraient animés par aucun esprit de conflictualité. « La concorde, un consensus, ont régné dans nos débats sur le racisme et le communautarisme qui suscitent pourtant des controverses si tranchées et définitives dans le débat public [29] », peut-on lire dans un rapport public qui tente de poser autrement la problématique, sans pour autant échapper à l’accréditation de fait de la catégorie. C’est là l’un des puissants effets du discours du communautarisme  : il impose un cadre auquel il est à peu près impossible d’échapper. Le consensus opère ainsi, au moins dans l’espace public, en bornant le champ des possibles, en réduisant l’espace du dicible et en contrôlant autant que possible le registre du pensable.
Comme l’avait noté Laurent Lévy (2005, p.14), « qui n’adhère pas à la rhétorique républicaine se voit interdire toute légitimité politique ». Même les chercheurs qui veulent diffuser dans l’espace public leurs travaux sur des questions sujettes à ce contrôle, se sentent manifestement contraints à justification. Comme si l’on ne pouvait pas parler de l’interculturel ou de l’histoire des minorités sans préalablement faire montre d’allégeance à ces bornes normatives, si ce n’est y adhérer :
« La reconnaissance des différences implique-t-elle un éclatement du consensus social ? Les sirènes du communautarisme ne risquent-elles pas de déboucher sur une conception mosaïque de la société et donc vers une pluralisation, (...) au sens d’une différenciation par atomisation (...) ? (…) Toute négation de la dimension universelle ne peut que sombrer dans un "différentialisme" construit lui-même sur le binôme inclusion/exclusion. [30] »
« Je regarde tout cela, je l’avoue, comme une Juive de France. Une Juive qui n’a jamais nié son appartenance de groupe, mais qui abhorre tout nationalisme, tout communautarisme, et que sa connaissance de l’histoire des minorités aussi bien que son expérience propre préservent peut-être de certains excès. Mon itinéraire est celle d’une femme qui a évité, au prix de nombre d’écueils, tout ce qui pouvait s’apparenter à cet entre-soi étouffant et limitateur. [31] »
Cette norme de discours contraint tout le monde. Mais certes pas tous de la même manière, selon que l’on est promoteur de cette grille de lecture ou que l’on risque à l’inverse d’être épinglé par elle. Les promoteurs de communautarisme sont surtout contraints par une logique de concurrence qui les incite à en rajouter dans le pathos, pour affirmer par exemple à heure de grande écoute radiophonique leur « horreur du multiculturalisme [32] ». Lorsqu’on est promoteur de cette norme, l’argument de la Raison tant valorisé comme « valeur républicaine » ne tient pas : ni justification, ni rationalité, ni mesure ne sont nécessaires, au contraire, puisque l’enjeu est d’ordre affectif. Il faut donc être particulièrement démonstratif, pour gagner sa légitimité à représenter plus que tout autre le consensus.
Mais logiquement, cette norme contraint bien plus et bien plus violemment les paroles des groupes minoritaires, et dans une moindre mesure celle de leurs alliés. Les intermédiaires associatifs qui travaillent avec des publics minorisés doivent se démarquer de cette étiquette, en justifiant que leurs « actions s’opposent aux tendances au repli sur soi, au repli identitaire sectaire, communautariste, nationaliste [33] », comme ici ATD Quart-monde. Alors que les personnes susceptibles d’être directement stigmatisées sont contraintes, pour prendre la parole, à une double justification : elles doivent elles-aussi démontrer un engagement pathétique visible contre le communautarisme ; mais elles doivent dans le même temps convoquer leurs affiliations (ou ce qui peut être lu comme tel) afin de mettre publiquement en scène leur rejet ou du moins leur inocuité. Ainsi, lorsqu’on est susceptible d’être assigné aux catégories « gay » ou « musulman », par exemple, il faut commencer par affirmer sans nuances :
« En tant qu’homosexuel, depuis le début de mon engagement je ne me bats pas (...) pour une communauté. Je hais le communautarisme [34] »
« Rejetant le repli communautariste, les musulmans de France projettent tous leurs efforts dans une communauté de destin portée par une intégration juste, loyale et solidaire. [35] »
« Je suis musulmane pratiquante, faisant le ramadan et la prière et pourtant je ne me voile pas, bien au contraire, je mets des minijupe, je me maquille et la laïcité est pour moi la preuve que la France est tolérante car on ne m’a jamais obligé à épouser une autre religion. (…) Je hais le communautarisme qui est clairement contraire à la religion musulmane [36] »
On voit ici que le discours de la république ne rechigne pas à parler d’identité ethnique ou sexuelle, bien au contraire. Par contre, l’usage public « républicain » de ces registres vise à mettre en scène de façon maximale ces dites appartenances pour en nier avec vigueur la validité, et embrayer sur une déclaration d’amour à la « France républicaine et laïque ». Là encore, le consensus s’exprime comme une norme obligeant un discours pathétique. Cette norme conditionne la légitimité à parler ou écrire à une démonstration d’adhésion et à un concours de rhétorique sur le thème de l’opposition Nation vs communautarisme.
« J’ai choisi la France pour y vivre, parce qu’elle est la patrie de la liberté de pensée et de l’égalité des chances. Citoyen communautaire malgré moi dans ma patrie d’origine [le Liban], j’avais aspiré à être citoyen d’une France républicaine et laïque. Depuis quelques mois, j’ai l’impression de me retrouver au Liban. [37] »
« Je suis française, née en Tunisie, alors protectorat français. Au “petit lycée français”, (...) j’avais deux livres d’histoire. Dans l’un, mes ancêtres étaient gaulois, francs, dans l’autre, phéniciens, berbères, sans oublier Didon, reine de Carthage. Cela ne me gênait pas du tout. (…) [Je garde] d’autres images : enlèvement du voile des femmes par Bourguiba (…) Bourguiba libère les femmes en leur enlevant le voile, il fait respirer l’être humain étouffé par des millénaires d’archaïsme. (…) Le problème a été l’apparition, en 1989 en France, de trois jeunes filles voilées dans un collège. Fantômes, réincarnations de l’obscurantisme régressif. [38] »
Ceci dit, les auteur.e.s qui mettent leur verve au service de cet exercice de soumission peuvent escompter une rétribution symbolique, notamment à travers un accès accru à l’espace médiatique. Ils acquièrent le droit de parler, comme les représentants politiques, au nom de la « conception commune de notre République [39] ». Et ainsi de monopoliser le débat pour réduire les possibilités de controverses. La parole n’est dès lors autorisée qu’à condition de se placer d’emblée sous le signe du consensus. C’est donc un puissant processus de contrôle de l’espace du discours public qui opère à travers le nom de communautarisme, et tend vers l’adhésion consensuelle à une lecture nationaliste.

Forcer une lecture national(ist)e et sécuritaire des enjeux

Globalement, la diffusion d’une lecture consensuelle suppose que les faits soient voilés et réduits à un rôle de figurant, afin de composer une trame de fond à un discours qui se déploie en idéalité et en surplomb. Ceci dit, est-ce le cas sur toutes les scènes ? N’est-ce pas là le cadrage déformé de la presse nationale ? Pour vérifier cela, j’ai procédé à un second niveau d’analyse, cette fois dans la presse locale, à travers l’exemple des deux quotidiens alsaciens : les Dernières nouvelles d’Alsace (DNA) et L’Alsace [40]. La question est de savoir si le mot communautarisme est susceptible de parler plus directement d’une réalité matérielle de façon, non pas forcément indépendante, mais moins immédiatement rattachée à la dimension nationale.
Prenons l’exemple du quotidien L’Alsace, le plus « localiste » des deux titres régionaux [41]. En 2001 et 2004, seuls 20% des articles recueillis portent spécifiquement sur une situation locale. A l’inverse, 80 % des occurrences du mot ont trait à la reprise, dans le quotidien régional, d’informations de niveau national. Parmi les situations locales où le terme apparaît, la plupart concernent des tags racistes dans des établissements scolaires, donc dans un contexte où le local illustre une politique nationale. En effet, au début des années 2000, le ministère de l’Éducation nationale a affiché une politique sur « le racisme, l’antisémitisme et les dérives communautaristes [42] », par laquelle le thème du racisme s’est vu systématiquement couplé avec la dénonciation d’un communautarisme. Dans ce contexte, la notion est censée constituer un réceptacle pour la dénonciation de violences présumées intercommunautaires, comme si le racisme et l’antisémitisme étaient principalement la traduction en France de la guerre israélo-palestinienne (Dhume-Sonzogni, 2007b). Pour le reste, deux articles mentionnent le terme par la négative, sous la forme « ceci n’est pas du communautarisme », donc pour distinguer les situations locales de cette étiquette péjorative. Enfin, 1/5 des articles sont liés au vocable communautarisation, entendu dans le sens de développement de services intercommunaux. Très clairement, communautarisme n’a pas de sens comme qualification locale, alors que le mot a systématiquement un lien avec une définition nationale des problèmes.
Dans la presse locale analysée, le mot apparaît surtout dans des rubriques nationales et dans des discours d’hommes politiques exerçant des responsabilités à ce niveau. Par exemple, le Garde des Sceaux en 2004, Dominique Perben, présente une « politique de “lutte contre le communautarisme” en milieu pénitentiaire  [43]  » ; le président Jacques Chirac plaide pour la loi interdisant le voile, en affirmant que ne pas la promulguer « serait laisser ouverte la voie dangereuse du communautarisme  [44]  »  ; le ministre Luc Ferry présente le « guide républicain » destiné aux enseignants « afin d’aider à lutter contre la violence scolaire communautariste  [45]  », etc. Le journal se fait l’intermédiaire entre le niveau national et le local, d’une part en relayant simplement les informations nationales, mais aussi en donnant la parole aux représentants nationaux des territoires locaux, avec des articles consacrés aux positions des députés locaux quant à la loi sur le voile [46]. Le terme apparaît encore dans une dizaine d’articles ou de brèves consacrés à des conférences autour de la laïcité, dans un contexte de « débat national ». Les rares cas où le mot se retrouve dans des rubriques cantonales, c’est encore en liaison avec des thèmes inscrits dans l’actualité nationale ou internationale (« voile islamique », etc.). A chaque fois, le référent reste national.
Plus remarquable encore, pour bien démarquer le niveau local des enjeux nationaux, la Maire de Strasbourg de l’époque, Fabienne Keller, prend le soin de préciser, lors de ses vœux à la presse pour la nouvelle année 2004 : « Mohamed Latrèche, dont le Parti musulman de France est basé dans sa ville [Strasbourg], “est une création médiatique récente au niveau national” (…)  [47]  ». Le terme nationalise donc clairement des enjeux, au sens où il en fait des questions relevant forcément du niveau national, et impliquant le cas échéant de se distancier de cette catégorie pour préserver une représentation locale des problèmes. Le mot a donc des effets sociaux, parmi lesquels celui de déposséder le local de ses questions spécifiques pour les inscrire dans des enjeux de niveau « supérieur ». Dans les cas exceptionnels d’application du terme à une situation locale particulière, communautarisme a pour effet de transmuter la situation locale en impératif national, et l’enjeu spécifique en affaire d’Etat. C’est ce que montre l’exemple ci-dessous, tiré de ma recherche dans des établissements scolaires alsaciens (Dhume-Sonzogni, 2007b, pp.69-71).

Déplacement des significations, nationalisation des enjeux

A proximité d’un collège situé dans le nord de l’Alsace, qui accueille une importante population venue de Turquie, a été ouvert au début des années 2000 un internat géré par une association qui se dit « culturelle », requalifié par les agents de l’Éducation nationale d’« internat musulman ». Ceci génère des demandes de dérogation, provenant y compris du département voisin, pour scolariser des élèves dans cet établissement, compte-tenu de cette spécificité de l’offre locale. L’étiquetage de la situation comme communautarisme n’est pas le fait des professionnels de l’établissement, mais de l’Inspection académique, soit l’administration qui relaie... des référentiels nationaux. Les acteurs locaux, eux, sont divisés quant à l’interprétation des faits, et s’interrogent sur d’éventuels effets sur les élèves. D’un côté, le principal dit n’avoir pas d’indicateurs de la « gravité » de la situation, hormis un flux de demandes de dérogation auquel il n’a pas les moyens de répondre toujours positivement. Il s’interroge. D’un autre côté, certains enseignants d’Histoire ont le sentiment que les élèves accueillis à l’internat y entendent un discours religieux sur l’islam, qui éventuellement les oblige à mieux argumenter quand leurs cours ont trait à ce thème. Les surveillantes et la CPE, quant à elles, ne relèvent rien de particulier et estiment qu’il n’y a aucun « problème d’intégration ». On voit donc que cette situation pose des questions diverses, selon la position professionnelle de chacun ou chacune. Le motif de dérogation est-il légitime ? Peut-on toutes les accepter ? Et cette situation a-t-elle des conséquences scolaires ? Le débat demeure ouvert et incertain.
Sous le coup de la catégorisation comme communautarisme, par contre, l’Inspection académique décide d’interpeller le Préfet, qui envoie les renseignements généraux (RG). Ces derniers « en ont conclu qu’il y avait un danger, mais moi je n’en sais rien » explique le principal. Résultat, le préfet a dessaisi l’éducation nationale du dossier, en imposant la fin des dérogations. Le problème échappe alors à la réalité scolaire dans laquelle il existait (comme incertitude, comme nécessité de clarifier le travail), pour être redéfini comme urgence d’ordre national (la protection de l’État).« Maintenant, est-ce que ça représente un danger ? Je n’en sais rien. Mais les RG ont dit que oui, et donc la préfecture a interdit. Ça devient secret d’État. C’est devenu mystérieux. Ça a disparu comme ça, je ne sais pas où, mais maintenant, c’est secret… », conclut le principal. D’une incertitude locale impliquant une réflexion sur le sens de l’action scolaire, la situation a été transmutée, par le pouvoir de la catégorie communautarisme, en apparente certitude nationale impliquant une dépossession des acteurs locaux. Apparente certitude, car les acteurs de l’école, eux, restent avec leurs doutes, avec l’amertume d’une déscolarisation des questions, et aussi, face à une disparition quasi fantomatique sous couvert de « secret d’État », avec leurs propres projections fantasmatiques sur la réalité. Communautarisme dépossède le local et ses acteurs de leurs prérogatives, et ne laisse derrière lui que les brumes impalpables du soupçon.

Cet exemple confirme ce que l’on observe dans la presse : en même temps qu’elle les nationalise, la catégorie a pour effet de dé-localiser les questions. Elle force une interprétation en termes de danger national, de question d’État soumise aux secrets de police, générant une échappée par en haut de la réalité tangible. Cette catégorie produit donc de la violence, ici notamment sur les agents locaux, en les dépossédant d’une partie de leurs activités et de leurs responsabilités, mais surtout en les privant de la possibilité de réfléchir collectivement leur action pour inventer des compromis locaux face à des situations complexes. C’est par ce même processus qu’a été imposée l’idée qu’il fallait légiférer sur le voile, en lieu et place de régulations locales : « Ce texte est nécessaire. Il protège notre école contre le communautarisme. (…) Ne rien faire serait irresponsable. Ce serait une faute. Ce serait laisser les enseignants et les chefs d’établissements seuls face à des difficultés croissantes [48] ». Face à un travail certes difficile, communautarisme simplifie et déforme la réalité , afin de « l’exfiltrer » - comme dit le jargon militaire - vers un niveau supérieur. Ce faisant, cette catégorie nie la réalité du travail, ainsi que l’intelligence et le savoir-faire des acteurs pour résoudre les problèmes qui se posent à eux. Elle opère sur les situations un droit de préemption, qui confisque le sens local des faits et des processus locaux de régulations, pour les resignifier à travers des procédures nationales et sécuritaires, au nom d’une menace supérieure et floue sur l’État-nation.

Du flou de la menace (musulmane) à l’autorisation du racisme

Le référentiel national-sécuritaire n’a pas besoin d’être appliqué de façon précise à une situation pour fonctionner. C’est ce qui explique le maintien de communautarisme comme notion floue dans les discours politiques et journalistiques. Sa fonctionnalité tient justement à ce flou, qui autorise une lecture nationale – nationaliste, souvent - de situations de niveaux très divers : du local à l’international, des banlieues à la construction européenne, etc. Le terme se prête à toutes les variations, et ceci d’autant mieux qu’il n’est pas défini. L’indéfinition, loin de représenter un obstacle, renforce au contraire son caractère de certitude, voilée de mystère, et elle sert donc un potentiel fantasmatique. « C’est la fonction du mot politique que d’être flou et plein de menaces d’autant plus terribles qu’elles sont moins précises » (Delphy, 1997). C’est bien parce qu’il joue avec les fantasmes de la société française, notamment en matière d’immigration et d’islam, que le terme a pu se déployer aussi rapidement et aussi largement. L’indéfinition accentue la certitude de l’accroissement d’un phénomène qui se nourrit de sa propre insaisissabilité.
En ce sens, communautarisme unifie l’ennemi, dans un flou et une globalisation qui servent surtout l’unification réciproque du « Nous » étatico-national censé être menacé. Le flou de la menace sert à rendre plus limpide et plus direct l’antagonisme que ce discours produit. Cette stratégie d’univocisation, déjà évoquée, se décline dans les divers thèmes que ce discours mobilise [49], reformulant chaque fois la question nationale à partir de diverses réalités - sans s’y appliquer réellement. Cela va de pair avec le fait que l’ennemi n’a pas de visage ni de personnalité propre. Comme typiquement, dans la représentation raciste, « Eux » sont dépossédés de l’individualité supposée caractéristique du « Nous » (Guillaumin, 2002), et sont renvoyés à une figure collective indistincte, supposée justement communautaire. L’ennemi est donc sans visage, mais bien sûr pas sans faciès.
Depuis les années 2000, quelques noms ont fait l’objet d’une construction singulière, pour suggérer un visage au « côté obscur de la force » : c’est particulièrement le cas de Tarik Ramadan, campé en figure-type de l’« authentique théocrate communautariste [50] ». Après 2012, des noms incarnant le « terrorisme » servent aussi de référence, mais pour figurer moins directement le communautarisme que la possibilité d’une « dérive ». Le terme de dérive permet d’établir une infinité de liens flous, sans avoir à préciser le rapport entre l’une et l’autre chose. Le lien est seulement fait par amalgame et glissement : « les communautaristes (…) constituent le terreau de toutes les dérives, celles-là-mêmes qui ont donné les Mohamed Merah ou, plus récemment, les Mehdi Nemmouche [51] ». C’est que communautarisme doit toujours désigner une menace diffuse, un « terreau » enfoui dans lequel il faudrait supposer que des « racines » étrangères et contraires aux « valeurs de la République » puisent leur insaisissable puissance. L’incarner c’est s’exposer au risque d’une contradiction [52], si ce n’est au risque juridique de la diffamation [53]. Néanmoins, le choix de quelques figures censées être, non pas en soi représentatives du communautarisme, mais en constituer la pointe avancée, l’extrémité radicale, confirme s’il en était besoin la cible première et principale qu’est l’islam.
Pour réduire les velléités de transformation du système politique, ce discours néoconservateur à la française [54] utilise de façon privilégiée un registre de disqualification ethnico-racial ou religieux. Mais, pour ne pas paraître trop directe, la lecture racialisante utilise fréquemment la bande - pour utiliser une métaphore du billard. Elle recourt par exemple à la figure des Juifs pour incriminer celle des Musulmans, en recyclant et en instrumentalisant implicitement la guerre israélo-palestinienne, tout en se référant formellement d’une histoire de « l’intégration » supposée distincte.
« L’exemple des Juifs de France, depuis deux siècles, montre que le maintien d’une identité communautaire est compatible avec une intégration harmonieuse dans la communauté nationale, que la persistance de l’ethnicité n’est pas vouée à entrer en conflit avec le système républicain d’assimilation. [55] »
« Le débat sur le communautarisme aussi s’éclairerait autrement si, à partir de l’expérience juive de signifier pour autrui, on pariait que chaque groupe, chaque peuple n’existe pas seulement pour lui-même mais comme participant d’un échange dont l’humanité est l’horizon [56] »
Dans ces discours, les Juifs de France sont censés incarner la synthèse enchantée d’une nation française tolérant l’ethnicité ou la religiosité privée, et d’une religion ayant atteint le stade universaliste grâce à l’alchimie assimilationniste « républicaine ». En célébrant ainsi l’exceptionnalité supposée du judaïsme, il s’agit d’attribuer en retour des qualités distinctives au « modèle républicain ». D’où cet effort du discours intellectuel pour extraire la figure des Juifs de l’accusation de communautarisme  : ces « fous de la République » seraient unilatéralement victimes (d’un antisémitisme musulman et/ou de la violence palestinienne), et risqueraient de l’être doublement si l’idée de communautarisme devait leur être appliquée :
« On a longtemps répondu par les mots d’"affrontements intercommunautaires" (…) Or, s’il faut deux adversaires pour qu’il y ait affrontement, il n’y a ici qu’un agresseur et un agressé en situation d’infériorité [57] »
« La controverse sur le communautarisme est ainsi l’indice d’une (…) crise du lien social, quand le terme (...) désigne ce facteur étranger, [il] est appliqué à des parties constituantes de la société. Je fais référence ici avant tout à la "communauté juive", soupçonnée d’être en marge de la nation malgré deux siècles de l’histoire que l’on sait. Il faut y inclure aussi ce que les journalistes appellent désormais : "la communauté homosexuelle". [58] »
En excluant de la définition également « la communauté homosexuelle », il s’agit simultanément de se prémunir d’une critique visant un parti-pris, et visant une lecture trop visiblement ethnicisante, tout en gardant au mot son caractère unilatéral, afin de désigner sans avoir nécessairement à le nommer « ce facteur étranger » qui ne serait pas une « partie constituante de la société ». Cela permet enfin d’identifier très clairement par la négative la figure supposée faire problème, l’islam.
Le fait que ces discours soient ceux d’intellectuels familiers des médias est à comprendre plus généralement du point de vue de la responsabilité des élites dans la fabrication et la légitimation du racisme et de l’islamophobie (Noiriel, 2010 ; Hajjat et Mohammed, 2013). Ces discours intellectuels légitiment la division des causes politiques (la question de l’antisémitisme contre celle de l’islamophobie, celle de la race contre celle de la classe, l’opposition entre l’islam et « l’égalité entre les hommes et les femmes », etc.) pour forcer l’adhésion, notamment des classes populaires, à une logique de défense de style « petit propriétaire » face à un islam et une immigration figurés en envahisseurs. Ce discours n’a pour effet que de crédibiliser l’offre politique de l’extrême-droite, en banalisant l’une de ses grilles de lecture les plus constantes. La médiatisation considérable de ces discours et de leurs promoteurs les plus virulents contribue à faire effondrer les frontières du dicible public, en plaçant le racisme et l’islamophobie sous le signe d’une défense de la liberté (d’opinion, de parole, de critique, de blasphème, selon les registres de justification). C’est ainsi qu’un Patrick Declerck peut écrire dans Le Monde :
« En attendant, en face [du camp de la démocratie] on s’organise. On s’organise et on planifie, on égorge et on décapite… Je hais l’islam… Mais on ne critique pas l’islam. Ou alors seulement avec une très prudente obséquiosité et mille précautions langagières. En s’entortillant, confus, dans la périphrase, le néologisme et la litote : ce n’est pas d’islam, mais d’islamisme dont il s’agirait. Pas de religion, mais de fanatisme. Pas de contre-racisme, mais de communautarisme… [59] »
On voit que communautarisme offre l’opportunité de parler haineusement sans limite, en toute banalité et légitimité « républicaine », de l’islam en général. Selon la position des locuteurs sur l’échiquier politique, cela permet de parler autant et de la même façon des « homosexuels », des « féministes » ou des « juifs » - car tous les discours ne cherchent pas à les abstraire du communautarisme -, dans la mesure où cette catégorie floue autorise simplement de libérer des grilles de lectures ouvertement racistes et sexistes [60]. La catégorie conduit à disposer la scène sociale sur le registre de l’affrontement pour sauver la civilisation, à appeler au réveil des ardeurs et au rassemblement des troupes pour renforcer l’unité et combattre les déviances.

Soumettre ou disqualifier les minorités : assimilation, stigmatisation

Communautarisme est une catégorie de condamnation, dans une logique de procès social. À travers elle, sont distribuées par avance les responsabilités de ce qui est appelé « l’échec de l’intégration » : « Bien sûr, les problèmes d’intégration sont liés au problème des filiations communautaires [61] ». En cela, il ne s’agit en rien d’un modèle hétérogène à celui de l’intégration. Bien au contraire, c’en est le corollaire, l’autre face, tel Janus (puisque nous sommes dans le récit mythologique). Communautarisme désigne la face sombre, stigmatisant comme modèle étranger ce qui n’est pas conforme à la doxa de la face lumineuse. A la fiction de l’intégration [62] qui se veut être un récit « éclairé » (par les Lumières) est adjointe une contre-face supposée n’être qu’« obscurantisme » et « archaïsme », dont la monstration doit servir idéalement à convaincre, et par défaut à stigmatiser.
Avec le discours de la « crise », la positivité du terme d’intégration qui avait fait à peu près consensus dans les années 1990 tend à s’inverser : non seulement cette logique est dénoncée de longue date par celles et ceux qui en font les frais, et qui chantent, comme Zebda, « intégré je le suis, où est la solution ? [63] », mais ce mot est depuis une dizaine d’années vigoureusement attaqué aussi par la droite, dans sa stratégie de démarcation politique et de concurrence ethnonationaliste. Celle-ci vise à lui substituer le terme d’« assimilation », pour durcir le discours intégrationniste, montrant au passage que le modèle proposé est le même, qui repose sur une exigence sans fin. C’est donc logiquement encore au nom du communautarisme que cette démarcation se justifie :
« M. Claude Bodin a présenté un amendement visant à substituer au terme d’“intégration” celui plus juste à ses yeux d’“assimilation”. Il a estimé que l’intégration porte en elle le risque de dérive vers le communautarisme, où diverses cultures cohabitent sur un même territoire en conservant leurs spécificités au risque que ne se constituent des ghettos. [64] »
Le nom de communautarisme est le bâton qui accompagne la carotte de l’intégration. Il faut entendre par là que la seule manière proposée d’échapper au risque de l’accusation négative est de faire allégeance à une logique assimilationniste. En échange, le discours de l’intégration offre pour rétribution symbolique au moins de pouvoir vivre sans être trop inquiété, du moins si l’on s’efforce d’être « invisible » dans l’espace public. Cela n’est toutefois jamais définitivement garanti, car la logique de stigmatisation opère sans cesse, comme un soupçon jamais complètement levé. La stigmatisation n’est pas un "dommage collatéral" d’une guerre identitaire qui ne se déclare pas, c’est un motif constant qui accompagne le modèle nationaliste impliquant une allégeance sans condition ni fin. Par contre, on peut distinguer une stigmatisation courante, de faible intensité et de portée générale, d’autres usages, plus ciblés et violents.
La stigmatisation courante est le premier effet politique du discours du communautarisme  : précariser le sentiment de normalité des membres des groupes minoritaires pour qu’ils se rappellent continûment la prescription qui leur est faite de se montrer conforme à la norme assimilationniste. La tolérance apparente du discours d’intégration – comparativement au mot assimilation - ne signifie pas que les gens se voient reconnaître les mêmes droits politiques réels et sont considérés définitivement comme légitimes. Ils ne paraissent tels que tant qu’ils ne prennent pas politiquement la parole pour exiger les mêmes droits. Dans le cas contraire, la stigmatisation change de régime et devient un outil de forte intensité, visant à disqualifier la légitimité de pratiques politiques, à leur dénier tout caractère politique pour les assigner à du communautaire ou à de l’ethnique – comme s’il s’agissait là d’un ordre anti-politique.
La presse locale, du fait de son positionnement singulier, peut exacerber la visibilité de ce passage vers une stigmatisation à forte intensité. Elle restitue en effet – de façon elle-même non symétrique – des polémiques qui témoignent comme à ciel ouvert de ces processus de recadrage identitaire effectués par les représentants du groupe majoritaire. Pour disqualifier à défaut de pouvoir faire taire des voix politiques minoritaires. Communautarisme opère alors comme insulte spécifique et comme motif de discrédit politique, donnant lieu à des conflits qui se terminent parfois en affaires judiciaires, comme le montre l’exemple suivant.

Communautarisme , une arme de disqualification politique

Le journal L’Alsace a relaté comme un feuilleton à épisode (pas moins de 6 articles, soit 1/6 du corpus de 2001 dans ce journal) la cabale montée par deux conseillers généraux RPR du territoire de Belfort (Cédric Perrin et Damien Melot) contre l’association Civisme, Participons Ensemble (CPE). Selon le quotidien local, le point de départ est un fait divers appelé « l’affaire de Boron », c’est-à-dire « la fusillade au cours de laquelle le propriétaire d’un bar-tabac de la commune a légèrement blessé un jeune Dellois âgé de 17 ans et les dégradations commises par des jeunes dans la nuit qui a suivi [65] ». Dans ce contexte, l’association CPE a mis en place un « comité de vigilance et de suivi de l’affaire », selon les termes du quotidien. C’est ici que se noue la polémique : « Dans un communiqué, les deux élus se déclarent “extrêmement choqués par l’initiative de l’association CPE de constituer un comité de soutien aux jeunes voyous qui ont attaqué le commerçant de Boron et qui ont essayé d’incendier son établissement avec des cocktails Molotov”. Et les deux conseillers de reprocher à l’association “proche des milieux intégristes”, selon eux, de pratiquer le communautarisme : “Il semble que pour CPE il doit y avoir une différence de traitement entre les citoyens suivant leur origine.” »
Toute l’affaire repose sur une lecture biaisée et asymétrique de la situation, pour opposer de « jeunes voyous » (à condamner) à un « commerçant de Boron » (à soutenir), et transformant pour la cause un « comité de vigilance » en « soutien aux jeunes voyous ». Ce qui est au fond reproché à l’association, c’est justement son initiative visant, sinon à rééquilibrer les charges, du moins à observer l’éventuelle partialité de traitement. Sans le dire, on lui reproche de ne pas prendre parti inconditionnellement pour le Majoritaire et d’exiger des droits élémentaires pour les minoritaires. Communautarisme est alors l’outil du discrédit, qui permet d’inclure l’association CPE dans la criminalisation des « voyous ». L’accusation permet un double transfert de charge : elle reformule le discrédit sur un mode général et non plus lié aux évènements ; elle discrédite en conséquence non sur des faits mais sur « l’origine » attribuée aux protagonistes. Le caractère diffamatoire n’a pas échappé au journal : « Les deux conseillers, enfin, “s’étonnent qu’une association qui prône le civisme puisse faire l’apologie d’actes de violence (…) NDLR – Rappelons, tout de même, que les représentants de l’association présents lors de la réunion ont souligné que jeter des cocktails Molotov n’était pas “un acte tolérable” (Le Pays du 5 août) et que durant toute la soirée, le trésorier de l’association n’a cessé de répéter qu’il ne s’agissait pas de prendre parti pour l’une ou pour l’autre des personnes impliquées dans cette histoire “mais seulement de rappeler que personne, ni le commerçant, ni les jeunes, ne peut se faire justice soi-même, ou de substituer aux autorités judiciaires.” »
Le discrédit n’est pas pour autant affaibli, car la définition de la situation glisse sans arrêt entre deux plans : la diffamation porte sur les faits, alors que la péjoration porte sur les origines. Pour ce qui concerne la diffamation, elle est traitée par la justice [66]. Mais elle donne lieu à un rapport de force, dans lequel les conseillers généraux prennent à parti « l’opinion » en lançant une pétition de soutien, suite à la plainte dont ils font l’objet [67]. Une autre association, Génération Républicaine, a rejoint CPE dans le combat, et formule clairement les présupposés racistes qu’elle prête à l’accusation des conseillers généraux : « Le mot “intégriste” est le mot moderne de “Bougnoule” et qui est allègrement utilisé en direction des Français de référence maghrébine quand ils dérangent lorsqu’ils s’organisent pour participer à la vie publique. » De son côté, CPE contre-attaque en rappelant que : « le RPR a participé à deux reprises à des réunions impliquant les soi-disant communautaristes. Notre sentiment est que lorsqu’une association tente de pousser une catégorie de population vers le haut de façon à ce que chacun s’identifie comme citoyen à part entière, soit elle suscite un intérêt en période propice, soit elle est discréditée. Ne pouvant utiliser à des fins de profit, on l’assimile à des adjectifs qualificatifs tels que extrémiste ou communautariste, qui ont toujours inspiré la crainte du citoyen.  [68]  »
L’association a été à plusieurs reprises la cible de telles stratégies [69], de sorte que l’étiquette de communautarisme finit par devenir un stigmate indétachable, sans cesse réutilisé contre elle. Le journal entretient cette mise en continuité, en rappelant qu’« en avril 2000, la Codac, présidée par le Préfet, avait qualifié l’association de “groupe de pression communautariste” [70] ». Effectivement, la Commission départementale d’accès à la citoyenneté (CODAC) avait employé le même ressort pour disqualifier la parole des premiers concernés sur la discrimination, afin de garder le monopole de la représentation et de la définition du problème public. CPE lui reprochait de détourner l’attention des enjeux de fond pour focaliser sur des dimensions secondaires du problème : « “Nous avons autre chose à faire que de nous occuper de la ségrégation à l’entrée des discothèques”, indique ainsi le président de CPE. Et Slimane Gharbi d’ajouter : “la Codac devrait plutôt se prononcer sur le racisme institutionnel, tel l’accueil au bureau des étrangers” [71] ». Face à cette exigence politique, l’Etat a choisi la disqualification : « Sur cette association, la Codac est très claire (…) Elle ne voit qu’un “groupe de pression communautariste dont le mode d’action renforce une identité construite sur une base ethnique ou religieuse”. La Commission (…) ajoute que CPE, “dont les statuts énoncent des objectifs similaires à la Codac (…) a très vite recueilli une audience forte auprès de la population d’origine maghrébine. Cependant, il est apparu aux membres de la Codac que la revendication religieuse fondée sur des exigences au demeurant légitimes, brouillait totalement le message républicain”. (…) Cette façon de faire va à l’encontre des intérêts mêmes de la communauté maghrébine et la Codac ne peut cautionner une telle approche”. »
Face à l’insoumission, la stigmatisation intensive vise à dépolitiser pour conserver le monopole du thème des discriminations, lui-même réduit à un élément du « message républicain ». L’argument du communautarisme découle de ce déplacement du débat vers la scène des « valeurs », qui permet d’attribuer à l’association petitesse et partialité, au point de lui reprocher de mal représenter « les intérêts de la communauté maghrébine ». Cet argument est typique du groupe majoritaire – qui saurait par définition mieux que les autres ce dont ils ont besoin et quel sont les problèmes. La stigmatisation sert ainsi à déposséder ses cibles des qualités qui légitiment l’accès à la représentation politique, et plus encore l’accès au commun et au droit commun.

NOTES

[1] Pour ne pas alourdir le texte, je ne reproduirai pas systématiquement les guillemets qui conviendraient à ce mot, dont le sens comme la substance constituent un problème, et sont l’objet de cette enquête.

[2] KESLASSY E., « La république à l’épreuve du communautarisme », Les Notes de l’Institut Diderot, 2011, p.8.

[3] Ibid, p.11.

[4] ARFI J., Les enfants de la république. Y a-t-il un bon usage des communautés ?, Paris, Editions de la Martinière, 2004, p.7.

[5] En sociologie politique, un référentiel est un ensemble d’images, de représentations du monde, qui constituent une « grille de lecture » de la société et orientent l’action publique (Muller, 1990).

[6] Dhume F., « Racisme, antisémitisme et “communautarisme”. Manifestations publiques et significations sociales à l’école », Rapport pour le FASILD et le ministère de l’Éducation nationale, ISCRA, 2006.

[7] Ce terme désigne la série des événements relatifs au soulèvement des Palestiniens contre la domination israélienne, sur la période qui va approximativement du mois de septembre 2000 au printemps 2006.

[8] MAFFESOLI M., « Les communautés sont de retour et c’est une bonne nouvelle ! », Eléments, n°155, 2015, p.56-57 ; BEL HADJ L., « Le communautarisme : Le temps des tribu(t)s », Oumma.com, 18 octobre 2013 ; VELLILA P., La République et les tribus. Essai sur le communautarisme politique, Paris, Buchet-Chastel, 2014.

[9] Voir par exemple l’auto-critique publique d’un élu local PS après les attentats de janvier 2015, qui pointe bien des tensions qui traversent le travail d’élu, mais toujours interprétées sous l’angle biaisé d’un communautarisme supposé déboucher sur le terrorisme. BOUCHACOURT P., « Quand le communautarisme municipal se heurte au fondamentalisme religieux », Huffington post, 1er février 2015.

[10] TAGUIEFF P.-A., La république enlisée. Pluralisme, « communautarisme » et citoyenneté, Paris, Éditions des Syrtes, 2004. L’auteur parle en l’occurrence du multiculturalisme.

[11] Respectivement : FILLON F., « Préface », in Guide républicain. L’idée républicaine aujourd’hui, Scéren/Delagrave, 2004, p.20 ; TEPER B., « Sécularisation, communautarisme et intégrisme », UFAL Flash, n°88, 3 septembre 2009.

[12] FAURE S., DAUMAS C., VECRIN A., « "Culture de l’excuse" : les sociologues répondent à Valls », Libération, 12 janvier 2016. Il parle du « djihadisme », mais on voit que la rhétorique est strictement identique à celle du communautarisme

[13] On peut entendre ici comment ce discours renverse systématiquement ses propres référents pour les imputer à ceux qu’il altérise : le « fondamentalisme » et la « radicalisation » sont traités comme les attributs de l’islam, l’ethnicité et la communauté comme le propre des Autres, etc.

[14] VANTIGHEM V., « Le débat sur l’identité nationale n’a pas convaincu les Français », 20 minutes, 31 janvier 2010.

[15] On peut estimer, avec Raphaël Liogier (2012, p.205), que d’une certaine façon, « l’eschatologie sociale islamique s’est substituée au communisme révolutionnaire ».

[16] Le rapport historique entre les deux concepts est celui d’une alternative entre deux modèles, et le discours qui situe l’un comme supérieur à l’autre est un parti-pris, en général attaché au discours républicaniste français. Ainsi de l’idée que : « le délitement du lien social républicain entraîne une désintégration par laquelle le peuple redevient multitude et où chacun se replie sur ses identités premières », comme mode d’explication du communautarisme (HCI, 2005, p.109).

[17] MANDELBAUM J., « Une comédie contre les préjugés avec Jospin en invité », Le Monde, 24 novembre 2010.

[18] LE BARS S., « Les politiques contraints de se positionner sur la laïcité », Le Monde, 15 décembre 2010.

[19] L’attribut de « réactionnaire », selon la thèse de Daniel Lindenberg [Le rappel à l’ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires, Paris, Seuil/La république des idées, 2002], ne me paraît pas pertinent. D’une part, je ne vois pas l’enjeu d’attribuer à des figures individuelles ce qui est un mouvement toujours collectif. D’autre part, cette catégorie morale brouille l’analyse politique en opposant deux camps. Il est significatif que certains auteurs qualifient de « réactionnaires » et de « communautaristes » des groupes qu’ils supposent, contre toute analyse des rapports de pouvoir, être « partisans du voile à l’école » (BARREAU J.-M., L’école et les tentations réactionnaires. Réformes et contre-réformes dans la France d’aujourd’hui, La Tour d’Aigues, éditions de L’Aube, 2005). Enfin, cette attribution a des contre-effets extrêmement pervers, de l’ordre du retournement du stigmate, mais par des intellectuels médiatiques qui se posent en victimes d’une bien-pensance, et renforcent par là la légitimation du discours dominant (voir par exemple : RIOUFOL Y., De l’urgence d’être réactionnaire, PUF, 2012). La proposition d’Achille Mbembe (2005, p.149) d’appréhender ce phénomène de réaction en termes de processus de « clôture intellectuelle »- et donc de stratégies de jeu avec les frontières du pensable - me semble infiniment plus féconde.

[20] DEVECCHIO A., « Jacques Myard : "Oui, il y a un risque de guerre civile en Corse et ailleurs" », Le Figaro, 28 décembre 2015 ; « F. Philippot : "laxisme et communautarisme mènent à la guerre civile" », iTélé, 28 décembre 2015.

[21] Ce n’est qu’au 19ème siècle que ce mot prend valeur, sous la plume des premiers sociologues, Auguste Comte ou Émile Durkheim, le sens d’un accord raisonné fondateur de l’intégration sociétale. Le mot a donc dérivé, pour ainsi dire, de la communauté à la société, faisant croire que ce sont des ressorts distincts qui produisent le sentiment unitaire, et que l’unité nationale n’a rien à voire avec celle dite communautaire.

[22] LAROCHE J., La brutalisation du monde, Du retrait des États à la décivilisation, Éditions Liber, 2012.

[23] DELMAS L., « Mad Max et Le Pen sont à Cannes », France inter/Le blog de Laurent Delmas, 14 mai 2015 ; MONZANI P., « "Les Républicains" : non, les socialistes n’ont pas le monopole de la République », Le Figaro, 5 mai 2015.

[24] FLEURY C., Les pathologies de la démocratie, Paris, Fayard, 2005, p. 66.

[25] SARRE G., « Déclaration de M. Georges Sarre, porte-parole du Mouvement républicain et citoyen, sur la défense de la laïcité et des valeurs républicaines contre la montée des intégrismes et des communautarismes », Meeting de la LICRA et du GOF, Paris, 6 mai 2003. (« http://mrc-france.org)

[26] LANDFRIED J., Contre le communautarisme, op. cit., p.11.

[27] FRESSOZ F., LEPARMENTIER A., « Henri Guaino : "Tout concourt insidieusement à affaiblir notre modèle républicain" », Le Monde, 13 décembre 2010.

[28] DUHAMEL A., « Le totem du communautarisme », Libération, 26 novembre 2003.

[29] LOZES P., WIEVIORKA M., « Lutte contre le racisme et le communautarisme », op. cit., p.8.

[30] ADBALLAH-PRETCEILLE M., « Pour une éducation à l’altérité », Revue des sciences de l’éducation, vol. 23, n°1, 1997, p. 123-132.

[31] BENBASSA E., La République face à ses minorités. Les Juifs hier, les Musulmans aujourd’hui, Paris, Mille et une nuits, 2004, p.12.

[32] SLAMA A.-G., dans sa chronique du 30 mars 2005 (à 7h55) sur France Culture.

[33] CNCDH, La lutte contre le racisme et la xénophobie, Paris, La Documentation Française, 2006, p.145.

[34] DELAUME-MYARD J.-P., « Je suis homo, contre le mariage gay : M. Hollande, arrêtez, la démocratie a déjà perdu », leplus.nouvelobs.com, 22 avril 2013.

[35] Conseil français du culte musulman, « Convention Citoyenne des Musulmans de France pour le vivre-ensemble », juin 2014, p.1.

[36] Il s’agit d’un commentaire à l’article de : QUILLET « Shabbat, ramadan et examens le dilemme des pratiquants », etudiant.lefigaro.fr, 25 mars 2013.

[37] SFEIR A., ANDRAU R., Liberté Egalité Islam, op. cit., 4e de couverture. Antoine Sfeir est rédacteur en chef de la revue Les cahiers de l’Orient. Il fait partie de ceux que V. Geisser (2004) nomme les « nouveaux experts de la peur ».

[38] VIANES M., Un voile sur la République, Paris, Stock, 2004, Avant-propos, pp.13 à 15. La 4ème de couverture précise : « Michèle Vianès, née en Tunisie en 1946, a été enseignante. Elle est conseillère municipale à l’égalité hommes-femmes à Caluire (Grand-Lyon). »

[39] Selon les mots de l’ancien président Jacques Chirac.

[40] Ce choix résulte du cadre initial de la recherche conduite entre 2004 et 2006, dans lequel la méthode a visé à suivre le fil du discours sur le communautarisme, qui faisait à cette époque de l’Alsace une région supposée particulièrement concernée (pour des précisions : Dhume-Sonzogni, 2007b, annexe 1, pp.297-301). Je travaille ici à partir d’un sous-corpus issu de ces deux titres, soit les 159 articles publiés au cours des années 1997, 2001 et 2004 comprenant la base-clé communautar*. Pour des détails sur le corpus et le traitement, voir les annexes.

[41] Les deux journaux considérés ont une position éditoriale différente. Journal local qui laisse une place majeure à l’information cantonale et villageoise, L’Alsace reprend (de l’AFP, notamment) des informations classées en rubrique nationale et traitées comme telles. Les DNA, eux, fonctionnent en quatre feuillets distincts (France/International ; Sport ; Région ; Pages locales), permettant de combiner un niveau de micro-information locale avec un prisme majoritairement national ; du coup, leur position se rapproche plus nettement des constats établis pour Le Monde.

[42] FERRY L., DARCOS X., « Contre les dérives communautaristes, réaffirmer les principes de la laïcité républicaine », Conférence de presse du 27 février 2003.

[43] N.s., « Antisémitisme : un fonds pour la sécurité des sites sensibles », L’Alsace, 28 janvier 2004.

[44] N.s., « Loi contre le communautarisme », L’Alsace, 29 janvier 2004.

[45] N.s., « Le “guide républicain” des profs », L’Alsace, 11 mars 2004.

[46] Y. B., « Députés alsaciens. Un vote quasi unanime », L’Alsace, 10 février 2004 ; J. B., « Députés Francs-comtois. Sur la même longueur d’onde », L’Alsace, 10 février 2004.

[47] « Keller dénonce une manipulation », L’Alsace, 24 janvier 2004.

[48] CHIRAC J., « Principe de laïcité dans la République. Intervention du Président de la République en Conseil des ministres », Paris, 28 janvier 2004.

[49] L’usage de « laïcité » en est exemplaire : alors que les pratiques comme les débats ne cessent de mobiliser diverses conceptions, parfois antagoniques, de l’idée de laïcité (Baubérot, 2015), les promoteurs de communautarisme veulent réduire celle-ci à une vérité univoque et indiscutable.

[50] FLEURY C., LEMIEUX E., « L’entrisme de Tarik Ramadan », Libération, 19 novembre 2003.

[51] GUIROUS L., « "Allah est grand, la République aussi" : nos décideurs politiques cèdent à la tentation communautaire par peur d’être traités de raciste », Atlantico.fr, 13 décembre 2014.

[52] DURAND J.-M., « Raphaël Liogier : “Le jihadisme ne vient pas du communautarisme mais de la désocialisation” », Les Inrocks, 7 février 2015 ; TINCQ H., « La radicalisation djihadiste est-elle une “dérive sectaire “ ? », Slate.fr, 16 novembre 2015.

[53] Rédaction/AFP, « Claude Bartolone va porter plainte contre des élus de droite qui l’accusent de "communautarisme" », Huffington post, 26 octobre 2015.

[54] « A la française » parce que le mot tient lieu de particularité locale. Mais les termes angoissés du débat se retrouvent ailleurs, par exemple aux États-Unis dans la bouche d’Arthur Schlesinger : « Si la république se détourne du vieil idéal washingtonien d’un “peuple unique”, quel est son avenir ? La désintégration de la communauté nationale, l’apartheid, la balkanisation, la tribalisation », cité par TAGUIEFF P.-A., « Communauté et "communautarismes" « , op. cit., p.97.

[55] TAGUIEFF P.-A., « Communauté et "communautarismes" « , op. cit., pp.117-118.

[56] BERNHEIM G., FINKIELKRAUT A., DE FONTENAY E., DE LARA P., RAYNAUD P., THIBAUD P., ZAOUI M., « Les Juifs de France et la France, une confiance à rétablir », Le Monde, 30 décembre 2003.

[57] BRENNER E. (dir.), (2002), Les territoires perdus de la République, op. cit., p.9.

[58] TRIGANO S., « Les non-dits du débat français sur le communautarisme », op. cit., pp.64-65.

[59] DECLERCK P., « Je hais l’islam, entre autres… », Le Monde, 12 août 2004.

[60] De ce point de vue, le discours intellectuel visant à trier le bon grain de l’ivraie vise à en restreindre l’usage pour garder le contrôle de cette disqualification et en tirer profit, mais la colonisation de ce mot et jusqu’à sa reprise par l’extrême-droite en montre l’échec ; nul ne contrôle les logiques racistes et les pulsions archaïques qu’il libère.

[61] MOINET J.-P., « Communautarisme et intégration en France », op. cit.

[62] SCHNAPPER D., « La communauté des citoyens », in Académie universelle des cultures, Communauté, éditions Unesco/Grasset, 2006, pp.58-64.

[63] ZEBDA, « Quinze ans », in Essence ordinaire, Barclay, 1998.

[64] MARIANI T., « Rapport relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile (urgence déclarée) », Assemblée nationale, 12 septembre 2007.

[65] « Boron : toujours la polémique », L’Alsace, 7 août 2001. Ibid, pour les citations suivantes.

[66] « Plainte contre Damien Meslot et Cédric Perrin », L’Alsace, 28 octobre 2001 ; « Damien Meslot et Cédric Perrin contre-attaquent », L’Alsace, 30 octobre 2001.

[67] MAZEAU C., « La guerre des plaintes », L’Alsace , 31 octobre 2001.

[68] « Boron : entre convictions et clientélisme politique », L’Alsace, 9 août 2001.

[69] CPE milite en particulier pour une représentation politique des minorités maghrébines, et pour une inscription des jeunes sur les listes électorales, ce qui est la raison profonde de cette stratégie de discrédit (Dhume et alii, 2000).

[70] MAZEAU C., « La guerre des plaintes », L’Alsace, 31 octobre 2001

[71] BODIN L., « Belfort. L’association CPE sur la sellette », L’Alsace, 13 avril 2000. Idem pour la citation suivante.