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Rencontres TERRA

Rencontre n°38 : "Le travail du commun"

autour de P. Nicolas-Le Strat et de son ouvrage
"Le travail du commun" aux Éditions du commun, 2016
Journée d’étude du séminaire "TRANSCONCEPTS"
animation : Marc Bernardot
Avec les interventions de Pascal Nicolas-Le Strat, Arnaud Le Marchand, Jérôme Valluy et Marc Bernardot

évènement soutenu par le Pôle de recherche en sciences sociales (https://prsh.univ-lehavre.fr/)
et le réseau TERRA-Humanités Numériques (http://www.reseau-terra.eu/)

mardi 6 septembre 2016
PRSH
Université du Havre
de 10 h à 16. 30 h
(entrée libre)

extraits de l’ouvrage de P. Nicolas-Le Strat disponibles ici : http://reseau-terra.eu/article1358.html

documents associés à l’ouvrage sur le site des éditions du commun disponibles ici : http://www.editionsducommun.org/le-...

Programme et résumé des interventions

Pascal Nicolas-Le Strat, sociologie, sciences de l’éducation, Experice-Paris 8 « Commun(s) au travail »

En traitant les enjeux du commun sous le signe du travail – Le travail du commun – j’avais d’abord pour intention de mettre en valeur la portée processuelle, en fabrication et, donc, au travail des enjeux du commun, avec l’objectif de les articuler aux pratiques dès à présent engagées par de nombreux collectifs (DIY, communauté de pratique, habitat collectif, logiciel libre, co-création, recherche en coopération, occupation...). Quand on parle de commun, qu’est-ce qui est mis effectivement au travail ? ; qu’est-ce qui s’agence, se conçoit, s’expérimente ? ; qu’est-ce qui se met à fonctionner sur le plan organisationnel, politique, intellectuel… ? Je souhaitais interroger « le » commun à cet endroit spécifique : dans l’espace-temps collectif où quelque chose qui est nommé « commun » s’élabore – un commun à l’épreuve des pratiques qui se revendiquent de lui, un commun au risque des idéaux qui se formulent en lui et par lui. Ce travail du commun ouvre alors trois registres d’action : celui de l’agir en commun (coopération, co-création), celui de l’institution d’un commun (son agencement, sa gouvernementalité) et celui de la constitution du commun (le mode d’agir démocratique sur la multiplicité et la diversité des communs. Agir le commun). Si l’on part de l’hypothèse qu’un commun est au travail à l’occasion des luttes contemporaines et de multiples expérimentations (dans l’habitat, la création, l’urbain, le travail paysan, l’architecture, le numérique...), comment cette mise au travail d’un commun s’opère ? Quelles sont les tensions et les contradictions qui émergent ? Ce commun au travail possède toujours une portée critique. Il est à la fois contributif – du commun se crée, s’agence et se manifeste dans une production – et critique ; la « production » qui s’institue dans les termes du commun se met en tension et en contradiction, possiblement en lutte, vis-à-vis des fonctionnements dominants. Un commun au travail agit en tant que « commun oppositionnel ». Ce commun au travail ouvre donc trois épreuves démocratiques : celle de l’agir en nombre (micro-politiques de la coopération), celle de l’institution d’un commun (l’administration démocratique d’un commun. Le pouvoir instituant) et, enfin, celle de la constitution du commun (la démocratie du commun. Le pouvoir constituant). Au final, ce commun (possiblement) au travail, que vient-il déplier / déployer ? Quelles ligne de fuite dessine-t-il ? Quelles lignes institutantes / constituantes ? Quelles lignes de tension ? De composition / recomposition ? Que met-il effectivemnent en mouvement, en fonctionnement ? « Travail du commun » et « commun au travail » représentent donc avant tout un point de vue de méthode (politique) afin d’éviter de réifier la catégorie (le nouvel eldorato de la transformation sociale), de l’héroïser (sur un mode avant-gardiste) ou, plus sûrement, de la neutraliser (un supplément d’âme pour des politiques publiques en fin de cycle) et de la pacifier (l’abstraire de sa portée critique). Si « commun » laisse espérer une transformation elle se vérifiera (possiblement) dans les pratiques et les luttes, si « commun » réengage des volontés d’emancipation elles se manifesteront (possiblement) dans des expériences et des activités, si « commun » actualise une pensée critique elle se lira (possiblement) dans la densité et l’intensité des agencements collectifs et des modes de subjectivation. « Commun » transversalise nombre de questions qui se posent aux collectifs militants (sur une ZAD, par exemple) et aux communautés de vie et d’activité. Sur ce terrain du « commun » de nombreuses expériences peuvent alors s’informer / se documenter entre elles, s’éprouver démocratiquement les unes les autres, s’interpeller égalitairement, se former réciproquement – chacune pouvant alors se constituer en « petite école mutuelle » pour toutes les autres. Qu’est-ce qui peut transiter, se latéraliser, se transposer, se traduire, par exemple entre les pratiques démocratiques expérimentées dans le cadre d’une ZAD et les formes démocratiques d’administration d’une coopération ou d’organisation collective d’un lieu de vie ? Quels sont les espaces démocratiques au sein desquels ces multiples façons de « mettre au travail un commun » peuvent se débattre et se contreverser ? En ce sens, le travail du commun suppose bien un travail d’institution (inventer les dispositifs, les protocoles, les agencements… pour administrer et organiser un commun dans sa spécificité) et un travail de constitution (un ordonnancement démocratique du commun favorisant l’interaction entre expériences et leur délibération, y compris leur confrontation car, à n’en pas douter, la constitution du commun devra faire face à des conflits entre communs).

Valluy Jérôme, Science politique, Sc. info-com, Costech-UTC / Paris 1 « Du numérique dans "Le travail du commun" (P.Nicolas-Le Strat) au travail du commun en humanités numériques plurielles »

Le numérique n’est pas l’objet central de l’ouvrage de Pascal Nicolas-Le Strat sur "Le travail du commun" (Ed. Du Commun, 2016) mais, parmi d’autres dimensions (luttes sociales, art, travail social, militantisme, économie collaborative...), en constitue une qui réapparaît de façon allusive mais récurrente tout au long de l’ouvrage, notamment par référence à l’univers du logiciel libre, amenant à se demander si il existe un lien entre le tournant numérique des sociétés aisées et la réapparition récente de débats sur la question (ancienne) des communs. On testera l’hypothèse d’une réponse positive sur le domaine dit des "humanités numériques" dans l’éducation, la recherche et la culture en analysant ce champ de tensions entre logiques étatiques et logiques de marché, où certaines logiques tierces, à équidistance critique des deux dominantes, sont présentes depuis longtemps, bien avant l’institutionnalisation du label. "Micrologies" éparses, elles orientent néanmoins, ensemble, une vaste activité de "travail du commun", intellectuel, autonome, pluraliste qui semble à la recherche d’un espace de libertés démocratiques et d’universalités humanistes, dans une dimension numérique de la société où ni le marché ni l’État, ne semblent aujourd’hui en mesure de les faire prospérer. Ces humanités numériques plurielles, dans leurs relations aux deux autres logiques (humanités numériques marchandes et humanités numériques étatiques), semblent osciller entre besoin de distance et besoin de ressources, volonté de critique et volonté d’influence, posant sous ces deux points de vue, la question du degré de clôture du travail du commun vis à vis du marché et de l’État, dans ce domaine comme dans bien d’autres.

Arnaud Le Marchand, économie, UMR-IDEES Normandie-Le Havre « Rationnement et contestations, comme préliminaires à la constitution du commun » La contestation de principes de rationnement, considérés comme inefficaces ou illégitimes, peut être le prélude à la constitution du commun. On le verra à travers un exemple historiquement situé et certaines crises de marché contemporaines.

Marc Bernardot, sociologie, UMR-IDEES Normandie-Le Havre « The Tragedy of the Communs, Oceanization, The Birth of the Aquarium, Cyborgfish : de quelques supports métaphoriques et aquatiques de liquidation des biens communs »

A partir de la relecture du texte de l’écologue américain G. Hardin « The Tragedy of the Communs » (Science, 1968), nous évoquerons la place de l’eau, et des ressources aquatiques, comme machine théorique dans les constructions narratives (allégories, abstractions et structures rhétoriques) et les régimes de management (modèles de travail, de production et de distribution) contemporains justifiant la privatisation de l’environnement et des biens communs et la surexploitation jusqu’à l’épuisement des ressources rares.