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Mémoires de l’exil des républicains espagnols sédentarisés dans la Loire

Pascale Moiron
Pascale Moiron est Professeur agrégée en Histoire dans l’enseignement secondaire, Docteur en histoire contemporaine. Elle est en quatrième année de thèse, dirigée par Gérard Noiriel, à l’EHESS (Ecole des Hautes Etude en Sciences Sociales). Sa thèse s’intitule : L’histoire d’un oubli, les républicains espagnols réfugiés en France, à travers l’exemple de la (...)

citation

Pascale Moiron, "Mémoires de l’exil des républicains espagnols sédentarisés dans la Loire ", REVUE Asylon(s), N°12, Juillet 2014

ISBN : 979-10-95908-16-6 9791095908166, Expériences migratoires et transmissions mémorielles, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1318.html

résumé

L’absence de mémoire collective quant à l’histoire du parcours migratoire des républicains espagnols sédentarisés en France, et notamment dans la Loire, pose question. Pourtant, ce département accueille plus d’un millier de réfugiés espagnols et plusieurs groupes producteurs de mémoire ont existé. Ils produisent des mémoires collectives par le biais de ritualisation, d’événementialisation et d’historisation et grâce aux mémoires familiales. Néanmoins, la transmission à la seconde génération semble être mise en échec par la forte politisation de ces groupes et par le besoin d’autonomie des enfants par rapport à l’histoire familiale.

Mots clefs

Après trois années de combats acharnés contre les franquistes soutenus par l’Allemagne nazie et l’Italie mussolinienne, les républicains espagnols sont contraints à la retraite militaire : Barcelone tombe le 26 janvier 1939 et Madrid, le 28 mars. Ils quittent leur pays, sous la contrainte, mais avec le projet de revenir rapidement le reconquérir. L’État français doit alors gérer une vague déferlante d’exilés espagnols : 500 000 réfugiés espagnols, totalement démunis, dépendent de l’accueil organisé par l’administration française. Dans la précipitation, elle met en place des camps afin que les hommes soient concentrés et sous contrôle militaire [1]. Femmes et enfants sont, quant à eux, éparpillés dans les différents départements du territoire. La préfecture de la Loire organise plusieurs centres d’hébergement pour plus d’un millier d’Espagnols, dont les arrivées sont échelonnées du 31 janvier au 2 juin 1939. Puis, pendant la Seconde Guerre mondiale, d’autres républicains espagnols se dirigent vers ce département pour répondre au manque de main d’œuvre dans l’agriculture, les mines et la sidérurgie. Certains sont libres avec un contrat de travail, d’autres sont enrôlés dans des GTE (Groupements de travailleurs étrangers). Nombre de ces hommes parviennent à ce que leur épouse les y rejoigne afin de réunir, de nouveau, leur famille. Tous ces éléments sont au fondement de la mémoire de l’exil. Dans la Loire, elle est portée par 1000 à 1200 réfugiés espagnols sédentarisés dans le département [2].

Aujourd’hui, il ne reste localement aucune trace visible de cette migration politique : pas de monument, ni d’association à la mémoire des républicains espagnols ayant vécu dans la Loire… Cette absence de traces interpelle. Il est vrai que les républicains espagnols n’étaient pas aussi nombreux que dans les départements du Sud-Ouest. Mais d’autres migrations politiques, avec des groupes aux effectifs semblables, comme les Arméniens, ont généré des traces visibles de leur présence dans l’histoire locale du département [3]. À Saint-Étienne, la préfecture, « le paysage urbain s’est “imprégné” de la présence arménienne, pourtant minuscule en comparaison d’autres communautés [4] ». Alors pourquoi cette absence de traces ? Qui plus est, « l’oubli par effacement des traces », c’est « l’oubli radical », « l’oubli irrémédiable [5] ». Ceci est d’autant plus surprenant que la mémoire collective portée par les républicains espagnols sédentarisés dans la Loire fut, un temps, omniprésente. La difficulté à oublier le pays auquel on ne peut plus prétendre, et l’impossibilité d’oublier les opinions politiques pour lesquelles un combat a été mené et perdu, sont à la genèse de la mémoire de l’exil. Elle a pour contenu les parcours des réfugiés espagnols de la guerre civile à la retirada [6], des camps en France aux regroupements des familles, des GTE à la poursuite du combat antifranquiste avec la Résistance et la tentative de reconquête de l’Espagne. Pour comprendre ce contraste entre l’absence de traces aujourd’hui et une mémoire collective omniprésente hier, seront analysés progressivement le ou les groupes producteurs de mémoire, l’activation de cette mémorisation au sein de chaque groupe, puis la réceptivité de la deuxième génération face à cette mémoire.

En histoire, le concept de génération « se structure autour d’un “grand événemenent”, d’un événement fondateur [7] ». La génération de l’exil est donc celle qui a vécu la guerre d’Espagne jusqu’à la défaite et qui a subi la perte d’un territoire, d’une culture : l’Espagne républicaine. Le concept de deuxième génération s’appuie plus sur la définition première du terme : ce sont les descendants directs de la génération de l’exil. Les fils et filles de républicains espagnols sont héritiers d’une mémoire collective : ils ont peu ou pas vécu les événements, mais ils ont été intégrés, à des degrés divers selon les familles, au groupe producteur de mémoire. Ainsi, les enfants apprennent, comprennent le passé de leurs parents, collectent une multitude d’informations sur l’exil, sur le territoire perdu et la culture hispanique ou régionale qu’il soutient.

Afin d’analyser la diversité de ces mémoire collectives, une trentaine de fils et filles de réfugiés espagnols a été interviewée. Les questions composant les grilles d’interviews [8] étaient larges et les témoins pouvaient y répondre de la façon qu’ils le souhaitaient, avec ce qu’évoquait pour eux le sujet posé. Mais tous étaient confrontés aux mêmes questions. Les contours de mémoires distinctes se dessinent alors. Elles ont été produites par les parents appartenant au groupe formé par les réfugiés espagnols dans la Loire, puis, par la transmission à la deuxième génération. Et, le premier fait marquant dans l’analyse de ces témoignages, est la forte politisation des mémoires et des processus de mémorisation. Sans doute constitue-t-elle un facteur d’explication de l’oubli, de même que l’émancipation de la deuxième génération vis-à-vis de ce passé traumatique.

1. La production de mémoire

La mémoire collective repose sur le travail d’un groupe producteur. Dans la Loire, quel groupe forment les républicains espagnols réfugiés ? Quelles stratégies sont mises en place dans la production d’une mémoire de l’exil ?

1.1 Une bipolarisation du groupe

Sous le terme englobant de « républicains espagnols » se cachent, en fait, une grande diversité et de fortes tensions. Pendant la guerre d’Espagne, les défenseurs de la IIème République appartenaient à des tendances politiques très diverses et en opposition : les républicains, les socialistes, les communistes, les anarcho-syndicalistes. Et dans les premiers temps de l’exil, chacun conserve ses opinions politiques, les divisions demeurent.

Puis, la progressive perte de confiance en un éventuel retour en Espagne provoque une baisse de la mobilisation idéologique. Seule une minorité reste active. En 1947, les renseignements généraux tiennent à jour une documentation concernant la colonie espagnole présente dans le département de la Loire. Ils constatent « divers groupements ou clans ». « Cet État de chose provoque des rivalités personnelles ». Mais, «  leur influence sur la masse de la colonie espagnole est à peu près nulle [9] ». La gauche républicaine (IR), le PSOE, aux effectifs réduits, vont progressivement s’effacer, ne générant pas ou peu de mémoires collectives localement. Seuls deux groupes restent influents : le PCE avec 250 membres et la CNT avec 200 membres. Cette dernière a phagocyté l’Amicale des antifascistes ; les renseignements généraux concluent : « Des dissentiments d’ordre politique seraient à l’origine de l’indifférence manifestée par certains » et l’activité « s’est considérablement réduite [10] ». Le nouveau siège, en juillet 1947, se trouve au 24 rue Rouget de Lisle, dans un local prêté par la mairie. Son président est alors Prudencio Burillo.

Ainsi, communistes et anarcho-syndicalistes forment-ils les deux groupes producteurs de mémoire. « La mémoire collective tire sa force et sa durée de ce qu’elle a pour support un ensemble d’hommes [11] ». Et, l’isolement des Espagnols des autres tendances conduit à une moindre remémorisation. En effet, « nos souvenirs demeurent collectifs, et ils nous sont rappelés par les autres [12] ». Les situations où, entre républicains espagnols, la guerre, les camps, l’exil sont évoqués, sont alors moins fréquentes que pour les communistes ou anarcho-syndicalistes espagnols qui se rencontrent de manière hebdomadaire. Charles Garcia dont le père, Luis Garcia Mayo, socialiste, a combattu pendant toute la durée de la guerre d’Espagne de 18 à 21 ans, explique : «  Il n’en a pas parlé pendant des années. Et puis, nous, on ne l’a pas questionné. » En conséquence, peu d’éléments sur l’exil de son père sont connus de son entourage qui pensait d’ailleurs qu’il était communiste. «  C’est vrai qu’à Saint Genest-Lerpt, quand il est mort, on le voyait encore comme “rouge”, alors qu’il était “rose”. Il a porté cette étiquette toute sa vie [13] ». La non-appartenance à un groupe producteur de mémoire génère un manque de transmission de connaissances sur l’exil, et dans le même temps, un manque d’identité politique : l’opinion politique socialiste est gommée et devient invisible du fait de la quasi-absence du PSOE dans la Loire. Ainsi, la mémoire de l’exil n’est-elle pas portée par un unique groupe, soudé et moteur. Elle est construite par deux pôles, deux groupes que les idées politiques et leur analyse de la guerre d’Espagne opposent : communistes et anarcho-syndicalistes. Ceci conduit à une mémoire éclatée, divergente, incompréhensible pour toute personne étrangère à ces événements.

1.2 Une ritualisation comme support

Anarcho-syndicalistes et communistes espagnols se réunissent régulièrement afin de parler politique. Ces réunions ne concernent que les hommes et sont, selon les périodes plus ou moins licites. Aller à ces réunions, toutes les semaines, est un marqueur d’identité.

À Saint-Étienne, les fils et filles d’anarcho-syndicalistes espagnols expliquent tous que leur père part tous les dimanches matin à la CNT. Ce rituel marque la mémoire familiale, aller à la CNT devient un acte identitaire. Parfois, les enfants les accompagnent et jouent ensemble, dehors. Suzanne Noiry-Grousson, la petite-fille de Prudencio Burillo raconte : « Il m’emmenait, tous les dimanches matins, à la CNT. Ils discutaient, ils recevaient beaucoup de presse d’Amérique latine, de Cuba. Je ne peux pas te dire de quoi ils parlaient. Nous, les enfants, on jouait ensemble, dehors [14] ». Une autre CNT existe à Roanne. « Le matin, les militants, bon, il y avait beaucoup d’hommes, qui se retrouvaient. C’était leur réunion politique. Il faisait le programme pour la semaine : la distribution des journaux, des tracts… [15] ». D’autres sections plus petites existaient, par exemple, à Saint-Chamond où il n’y avait pas de local. Les réunions se faisaient, selon les témoignages, dans les logements des anarcho-syndicalistes, à tour de rôle.

Plusieurs cellules du PCE existent également dans la Loire. À La Ricamarie, Rosita Cros explique que son père, Francisco Gonzalez Artero, « allait aux réunions tous les dimanches, à La Ricamarie. C’était dans un local en face de la mairie. Je pense que la mairie étant communiste, ils avaient dû être aidés pour obtenir ce local. Il continuait la lutte. [16] ». Une cellule existe également à Roanne. Juan Bustillo Barreno, le père de Rosita Berchoux, participe à des réunions, distribue des journaux. Il en est de même pour Jesus Herrero Martinez qui fait circuler le Mundo Obrero à Saint-Chamond [17]. À Saint-Étienne, le père de Vidal Martin, Vidal Martin Aguado, participe à la formation d’une cellule du PCE : «  À la libération, ça a été plus ou moins autorisé. Je pense que certaines réunions ont pu se faire à la Bourse du Travail. C’est là qu’il retrouvait M. Thomas, par exemple [18] ».

Ces réunions hebdomadaires de réfugiés espagnols communistes ou anarcho-syndicalistes constituent un rituel. Le travail organisé, comme la distribution de journaux, permet de conserver vivant son engagement politique. D’autres actions, plus clandestines, comme la collecte de fonds à envoyer en Espagne, poursuivent le combat et transforment les mémoires collectives en mémoire vive : le passé, ce passé du territoire et des combats perdus, est joint au présent.

1.3 La mémoire familiale comme ciment

Parallèlement à ces activités politiques qui concernent uniquement les hommes, des temps sont consacrés aux familles.

1.3.1 Des spectacles pour mémoire

Cette instrumentalisation de la mémoire familiale semble plus le fait du groupe producteur cénétiste. Comme l’explique Carmen Montet, la famille participe activement à la propagation et à l’application des valeurs libertaires : « Ces jeunes hommes, qui ont connu trois ans de guerre et l’exil, cette génération a eu pour première préoccupation de former une famille, pour que la vie l’emporte, pour que ce soit plus fort que le destin. Et ils ont raison, si on n’était pas là, qui parlerait d’eux ? C’est un modèle très communautaire, très familial [19] ». Par le biais de spectacles, les enfants appréhendent le groupe auquel ils appartiennent par filiation et endossent leur identité d’enfants de réfugiés espagnols. Ces événements identitaires participent à la transmission de la mémoire collective de chaque groupe. En effet, « l’identité sociale ou collective est la conscience d’appartenir à une collectivité [20] ». À la CNT de Saint-Étienne, par exemple, les après-midis sont consacrés aux familles avec des spectacles construits autour de chants, de lectures de poèmes, de danses. Ces temps festifs, joyeux, où la grande majorité des réfugiés espagnols libertaires sont réunis, impriment des empreintes profondes au sein des mémoires familiales. Chaque CNT a sa troupe de théâtre : El Progresso à Saint-Étienne, la Iberia à Roanne. Le père d’Azucena Espigares y joue, il a gardé en mémoire la troupe de Lorca à Grenade, la Barraca. Le théâtre fait partie de la culture anarcho-syndicaliste.

Ces temps redonnent vie, pour un temps, au territoire perdu de l’Espagne républicaine : la seule langue parlée est l’espagnol, des démonstrations de danses régionales, d’Andalousie ou d’Aragon, ont lieu. Des chants traditionnels cohabitent avec les chants révolutionnaires comme Las barricadas. Carmen Montet, dont seulement le père est réfugié, n’a pas grandi dans cette ambiance. Elle explique : « J’ai des amies qui sont filles aussi de républicains espagnols, et qui ont systématiquement vécu dans ce milieu bien fermé. Nous, nous y allions pas, parce que ma mère n’avait pas envie d’y aller [21] ». Elle témoigne de la première fois qu’elle s’est rendue à la CNT de Saint-Étienne et apporte un regard extérieur : « Donc, on arrive : il y avait plein de gens et ils parlaient tous en espagnol. On écoute les jeunes qui récitaient des poésies, c’était superbe ! C’était complètement irréaliste. Ensuite, ils ont dansé des jotas aragonaises. C’étaient des danses du pays de mon père. C’était la première fois que j’en voyais. J’avais 20 ans. C’était la première fois que je découvrais cette ambiance [22]. » Ainsi, ce temps collectif fait découvrir à Carmen Montet le territoire auquel appartient son père, sa culture, son ambiance. Si c’est une découverte pour elle, pour les enfants dont les parents sont cénétistes, c’est un quotidien : le territoire perdu se mélange au territoire réel.

Ces événements contribuent à la transmission de la mémoire de l’exil à la deuxième génération par la reviviscence du territoire perdu. Par ces temps familiaux, le groupe producteur de mémoire devient alors une somme de familles, une somme de mémoires familiales. Selon Anne Muxel, elles sont comme une « mise en scène de l’existence du sujet entre la restitution d’une histoire collective originelle, donc fondatrice, et la reconnaissance d’une destinée propre [23] ». Elles relient un individu à une histoire familiale, reliée à l’histoire d’un groupe, « c’est le lien entre soi et une antériorité [24] ». Elles participent à la construction de l’identité sociale de l’individu, avec la transmission d’un statut, de l’appartenance à un groupe.

1.3.2 Des spectacles pour s’étendre

Ces spectacles organisés sont ouverts à toute la communauté espagnole. À ce sujet, une distinction apparaît entre les mémoires portées par les enfants de réfugiés espagnols communistes et celles portées par ceux dont les parents étaient anarcho-syndicalistes. En effet, les enfants des cénétistes savent que ces festivités sont organisées soit par la CNT, soit par le PCE, les enfants des communistes ne voient pas cette politisation. Il semble néanmoins que, dans la Loire, les structures organisatrices de fêtes espagnoles soient toutes politisées.

Par exemple, à Roanne, deux structures espagnoles génératrices de festivités existent : l’Iberia anarcho-syndicaliste et l’Iberica communiste. Il est à noter qu’aucune autre structure festive n’existe et que les deux présentes sont politisées par les républicains espagnols. L’Iberica est, à l’origine, une association d’entraide espagnole créée en 1931 par Vicente More. Dans la mémoire cénétiste, l’Iberica est, par la suite, infiltrée par les communistes et sert à étendre l’influence du PCE parmi les Espagnols en exil, mais également, parmi ceux qui arrivent dans les années 1950 et 1960, souvent peu politisés en raison de la dictature de Franco. Dans la mémoire des enfants de communistes, l’Iberica est ouvert à tous. Pour Rosita Berchoux, « ils ne parlaient plus politique quand ils étaient à l’Iberica, à Roanne [25] ». Seule demeure l’ambiance : « Ils avaient un local rue Alexandre Raffin. Ils se réunissaient tous les dimanches. Ils jouaient aux dominos, aux cartes. Il y avait un groupe de théâtre, de chants. Ma sœur, Maria, y a chanté. J’y allais avec plaisir. On parlait espagnol. On retrouvait une ambiance espagnole. » Mais, certains éléments dans son témoignage prouvent une politisation de l’Iberica : « La famille Morales, ils n’allaient pas dans le même cercle », ce qui sous-entend l’existence de groupes distincts. « Après, je ne sais pas ce qu’il y a eu, mais mon père s’est retiré de la Iberica. » Des tensions politiques entre communistes existent donc. Mais, ces différences, ces divisions sont gommées dans les mémoires familiales communistes. Le contraste est fort avec la mémoire cénétiste d’Azucena Espigares pour qui l’Iberica est décrit comme le quartier général des communistes espagnols de Roanne : « L’Iberica était plus un lieu de rencontre convivial. À l’origine, ça avait été créé par les communistes. Nous, on n’y allait très peu parce qu’il y avait quand même des tensions. Il y avait bien deux mondes qui ne se côtoyaient pas trop. Je ne connais pas de réfugiés communistes. Je pense qu’ils devaient se disputer entre eux. Je l’ai compris avec son neveu. Il ne lui parlait pas. Mon père était très, très dur avec les communistes [26]. »

À Saint-Étienne, le constat est le même. Cristina Arce, petite-fille de communiste espagnol, n’a également pas ressenti l’existence de clivages politiques :

« Je me souviens être allée plusieurs fois à la Bourse du Travail. Je ne sais pas qui organisait, il y avait des chants espagnols. Je ne sais pas si c’était sous une bannière politique précise, je pense que c’était organisé par des réfugiés espagnols. Moi, je n’ai pas senti tant ce clivage entre les différentes tendances politiques. Mais, ce dont je me souviens, c’était dans les années 60. Autour de ma famille, il y avait toutes les tendances politiques. Mais je pense que les tensions qui ont existé pendant la guerre civile étaient encore présentes dans l’exil. Je te parle de souvenirs d’enfance. Je me souviens de discussions très animées sur le plan politique. On sentait qu’il y avait des distensions [27]. Mais bon, ils vivaient quand même ensemble. Mais cette amitié était sincère. Quand un Espagnol mourait… Pour mon grand-père par exemple, sur la tombe il y a un livre en marbre où il est écrit “Recuerdos de tus amigos españoles” [28]. »

La réalité est peut-être là. Les réfugiés espagnols constituent un groupe d’un millier de personnes dont seule une minorité reste politisée. Les fêtes que chaque groupe organise, ainsi que les conférences, pouvaient être transmuées par le groupe des réfugiés dans son ensemble comme un événement communautaire. Ces événements constituent une occasion de produire de l’entre-soi : l’occasion de reparler de l’Espagne, de retrouver une ambiance, un folklore, de parler sa langue… L’origine politique de l’événement doit alors être gommée, peut-être même de manière volontaire par les organisateurs, afin d’entrer en contact avec les migrants économiques nouvellement arrivés pour qui ces temps « d’entre-soi » étaient également primordiaux. Sauveur Cuadros, qui semble plus au fait des méthodes de recrutement du PCE, explique que les spectacles servent de prétexte pour nouer de nouveaux liens et étendre l’influence du parti. Mais, il témoigne également du regroupement des réfugiés espagnols de Saint-Chamond, malgré leurs divisions politiques :

« Très vite après, il va y avoir une amicale espagnole, traversée par le parti communiste espagnol, qui avait été créée pour ça, faire du recrutement. En dehors de ça, ils montaient des pièces de théâtre, ils faisaient des choses. Mais le but, c’était de recruter pour le PCE. Ça se savait. Je ne sais pas si ça a provoqué des disputes. Ici, les communistes et les anarchistes se parlaient, se fréquentaient. Les pièces de théâtre réunissaient près de 200 personnes. [29] »

Personne n’est dupe des objectifs du PCE qui cherche, à travers ces temps de regroupement, à étendre son influence sur les réfugiés espagnols. Tout le monde passe outre. Dans un groupe relativement restreint, la cohabitation est inévitable. Azucena Béal, fille de Gonzalo et Dolores Garcia, adhérents à la CNT, explique que les grands amis de ses parents, les Martin, étaient communistes. Ce sont les mères qui sont à l’origine de ce lien, s’étant entraidées pendant la guerre lorsque leurs maris étaient enrôlés dans des GTE. Elles sont devenues comme sœurs. Leurs maris, quant à eux, évitaient de parler politique. Toutefois, les deux familles ne participent aux mêmes festivités. Vidal Martin explique : « Nous n’allions pas au théâtre, aux marches organisées par les Espagnols (les rigas de la CNT). Je pense parce que c’était organisé par la CNT. [30] » Les femmes semblent plus conciliantes. Suzanne Noiry explique : « Pour ma grand-mère, il n’y avait pas de différence. Elle s’entendait très bien avec la grand-mère de Paquito Thomas, Rafaela, alors que le grand-père était communiste. Mon grand-père lui aurait arraché les yeux ! Ils ne pouvaient pas se supporter [31]. » Ainsi, quand elle dit : « Il y avait vraiment d’un côté, les communistes, de l’autre, les anarchistes [32] », il faut y voir l’expression de la pérennité chez certains réfugiés espagnols de leurs opinions politiques et de leur avis sur les responsabilités de chacun dans la défaite face aux franquistes. Des lignes de fracture persistent donc, mais seulement entre les hommes politisés. Ceci résulte de la contrainte de la petitesse du groupe. Pour faire revivre le passé commun aux républicains espagnols, les réfugiés espagnols de la Loire festoient ensemble, oubliant pour un temps ce qui les divise.

Les reproches faits aux communismes quant à leur prosélytisme ne font donc pas partie de la mémoire communiste, ni même de son pendant positif qui serait un certain dynamisme de l’engagement. La deuxième génération semble être sortie de l’héritage de la guerre d’Espagne. D’ailleurs, elle ne se revendique pas de l’idéologie communiste. La majorité des témoins se sent davantage en lien avec le PS, et ceux qui ont suivi l’engagement de leurs parents se sont plutôt tournés vers le syndicalisme. Ceci est certes à mettre en lien avec la faiblesse du PC en France aujourd’hui.

1.4 Une événementialisation comme principe actif

La mémoire collective des anarcho-syndicalistes repose sur d’autres événements organisés dans le but de reformer le groupe régulièrement et de construire une représentation vivante du groupe. Ces temps forts permettent de résister à l’usure générée par la prolongation de l’exil. Ainsi, la CNT met-elle en place des rigas, des sorties à la campagne. À Saint-Étienne, une fois par an, une riga est organisée pour le 1er mai, au Puits de l’Alouette, à la sortie de la ville, vers Michon. Encore une fois, les familles sont associées à ces temps forts. C’était l’occasion de préparer une grande paëlla pour tout le monde. Après le repas, la fête se termine par des chants, des matchs de foot… Ces événements, par contre, étaient réservés aux cénétistes, à la différence des spectacles. De même, des concentraciones étaient organisées : toujours à la campagne, l’objectif était de camper et de mettre en application les idées libertaires dans l’organisation du camp.

« Là, nous étions entre Espagnols. On pouvait faire un petit peu ce qu’on voulait, dans la mesure où je ne gênais pas le voisin. Concrètement, on allait acheter en gros chez le producteur. On ouvrait un économat. Chaque jour, une équipe le gérait, faisait la liste des achats à prévoir… Les prix n’étaient pas libres. Seulement, les familles modestes ne payaient pas, mais c’était fait en toute discrétion. [33] »

Enfin, les conférences sont un autre temps forts du groupe. Les conférenciers sont Louis Lecoin sur l’objection de conscience au service militaire, les frères Payre sur l’idéologie libertaire, Jean Cassou. Ce sont tous des Français, sans que cela soit souligné par les témoins. Seul le nom de Federica Montseny est donné pour les conférenciers espagnols et elle fait l’objet d’une réelle admiration. Cela devrait permettre de conclure quant à un éventuel contact entre les libertaires espagnols et français. Pourtant, quand la question est posée, tous les témoins répondent qu’il n’existait aucun lien avec les mouvements anarchistes français. La CNT reste tournée vers l’Espagne, l’activation de la mémoire combattante n’alimente que des actions clandestines au profit de réseaux espagnols.

Ainsi, tous ces temps forts de la CNT dans la Loire, les rigas, les concentrations, les conférences, confèrent un rythme, une énergie au groupe. Ils constituent un événement en soi, un événement marquant facilement mémorisable. Et dans le même temps, leur répétition produit un rituel facilitant la mémorisation. Néanmoins, la fermeture de ce cercle aux personnes étrangères à l’histoire des républicains espagnols en exil constitue un élément d’explication de la genèse de l’oubli.

1.5 Une historisation pour socle

Dans la mémoire communiste espagnole, l’histoire tient une place prédominante. Cette mémoire collective trouve son ancrage dans les événements historiques, ce qui lui confère une certaine stabilité. La mémoire savante, les écrits produits par les historiens, mettent en exergue des événements sur lesquels s’appuie la mémoire collective des communistes espagnols en exil. Ceci est en lien avec un des aspects du parti communiste pour qui, selon Marie-Claire Lavabre, « l’histoire est un des matériaux privilégiés de l’idéologie : les significations données au passé, les tracés, les fils qui régissent l’intelligibilité des événements, sont étroitement liés aux représentations qui permettent l’analyse du présent [34] ».

Ainsi, pour les fils et filles de communistes espagnols, les éléments mémorisés de la guerre d’Espagne relèvent-ils plus de une histoire militaire. Le plus souvent, les pères ont été enrôlés dans l’armée et sont devenus communistes en son sein. Cristina Arce raconte que son père, Jesus Arce Garcia Calvo, « avant la guerre, va aux réunions du parti socialiste. Puis, en mars 1938, à 18 ans, il entre dans le bataillon Modesto. C’est ce qui l’a fait pencher dans le communisme. Il me semble que dans l’armée il y avait un fort embrigadement [35]. » Pour la majorité, le communisme et l’armée vont de pair. Francisco Herrero l’exprime clairement en parlant de l’engagement de son père, Jesus Herrero Martinez : « Mais, je pense que quand il s’engage dans la milice, il est déjà membre du PC. Parce qu’il est recruté assez rapidement dans les gardes d’assaut avec une carte du PC [36]. » Ces exilés ont donc participé à toutes les batailles de la guerre d’Espagne. Et force est de constater que la mémoire communiste est plus porteuse de souvenirs précis de faits de guerre que celle anarcho-syndicaliste, les anecdotes sur les batailles de Madrid, de Teruel, de l’Ebre y sont plus nombreuses.

La mémoire collective communiste repose, ensuite, sur une participation à la Résistance. Pour un nombre conséquent de témoins, les pères prolongent leur combat antifasciste en France. Pour le père de Rosita Cros, Francisco Gonzales Artero, la résistance commence même avant l’occupation allemande, elle s’organise contre la IIIe République et le gouvernement Daladier qui accueillent les ex-miliciens en les plaçant dans des camps. Francisco Gonzales Artero est en contact avec Désiré Houg, anarchiste italien, antiquaire à Saint-Étienne : « Désiré faisait partie de la Résistance et mon père aussi. Et Désiré, il allait toutes les semaines dans le Midi et il sortait des gens des camps. Et je pense que c’est comme ça que papa et Désiré se sont rencontrés. Papa descendait, il trouvait des contrats, il allait dans les camps en disant qu’il avait des contrats pour un tel ou un tel… C’est qu’il n’y avait personne pour les sortir, soit on les mettait dans la légion étrangère, soit ils retournaient en Espagne [37]. » Il est intéressant de voir que, dans cette mémoire, d’une part, une filiation se fait entre la résistance contre l’internement dans les camps français et la Résistance contre l’occupation allemande, et d’autre part, l’absence d’évocation du pacte germano-soviétique signé en août 1939 constituant une rupture dans ce temps de Résistance. Les communistes sont, en effet, dans l’embarras et ne rentrent ouvertement dans la Résistance qu’avec l’attaque de l’URSS par l’Allemagne. Marie-Claire Lavabre a analysé cette mise sous silence des années 1939 à 1942 par les dirigeants du PCF : en 1968, Jacques Duclos, à l’occasion du livre Le Parti communiste français dans la Résistance explique que le parti avait eu raison de ne pas appeler à soutenir la guerre « mais au contraire à l’arrêter avec la conclusion d’un règlement général [38] ». Ainsi, cette période d’août 1939 à juin 1941 est-elle occultée tant par les communistes français que par les exilés communistes espagnols en France. Localement, les entrées en Résistance de républicains espagnols sont majoritairement constatées suite aux prélèvements de l’Organisation Todt dans les GTE ligériens, à partir de novembre 1942 [39].

Cette imbrication des parcours des réfugiés espagnols communistes dans l’Histoire génère donc une pérennité à cette mémoire collective. Cette héroïsation des pères repose sur une histoire savante, une histoire qu’aucun ne remet en question.

2. La transmission des mémoires de l’exil

Malgré les diverses stratégies mises en place par les groupes producteurs de mémoire, le constat est que la mémoire collective produite est peu visible et n’est portée que par quelques enfants de républicains espagnols, communistes ou anarcho-syndicalistes. Comment l’expliquer ?

2.1 Des mémoires en conflit

Des groupes producteurs, émanent des mémoires de l’exil en opposition ce qui affaiblit leur portée. Dans la mémoire anarcho-syndicaliste, le rapport à l’histoire est nettement plus conflictuel. En effet, apparaît fréquemment dans les témoignages le sentiment de devoir lutter contre l’histoire savante afin que les éléments conservés dans la mémoire collective soient connus de tous. Ainsi, une forte importance est-elle donnée aux applications concrètes de l’idéologie libertaire qui ont eu lieu lors de la guerre d’Espagne. Pour les cénétistes, la force se trouve dans le groupe. Toutes les décisions doivent émaner de lui, de la base, sans hiérarchie aucune. Avec les collectivisations, le groupe prend en charge la gestion des terres ; avec l’autogestion, celle des entreprises. Les parents ont vécu ces expériences. Tel est le cas de Manuel Garcia dont le père, Gines Garcia Martinez, était dans le syndicat de la Santé et de l’Hygiène de la CNT à Barcelone. Il participe à l’autogestion de l’entreprise qui s’occupe du nettoyage des rues de la ville. De nombreux témoignages concernent également les collectivisations en Andalousie et en Aragon, comme celui du père de Michel Paul, Rafaël Paul Lomero, pour le village d’Angües : « Mon père participe à la collectivisation, il était secrétaire du syndicat. Comme il sait bien lire et écrire, on a pensé à lui pour être le secrétaire du syndicat. Il ne cherchait pas à monter dans la hiérarchie, à devenir préfet de région, c’est juste un militant de base. Et il a été élu [40] ». Or, ces expériences ont pris fin, en 1937, suite à la répression organisée par les communistes pour qui ces collectivisations devaient venir après la victoire sur Franco. C’est dans ce contexte de guerre civile dans la guerre civile qu’ont eu lieu les « Journées de mai » à Barcelone [41]. Pour les anarcho-syndicalistes, les communistes ont tenté d’effacer les preuves de leurs réalisations libertaires, prouvant que leur modèle fonctionnait. Conséquemment, un sentiment d’isolement, de rejet, de trahison exprimé par les parents hantent la mémoire de la deuxième génération. La mère de Francisco Herrero, Maria Casado Belmonte, l’exprime à maintes reprises : « Elle a eu le sentiment d’avoir fait des sacrifices énormes pour aboutir… Un sentiment très fort d’abandon. L’impression que tout le monde s’était ligué contre eux, ça l’incitait à valoriser encore plus ce qu’elle avait vécu. Ils avaient quelque chose qui était très novateur, qui pouvait déstabiliser l’ordre établi avec de nouvelles valeurs et on s’est ligué contre eux pour stopper leur projet [42]. » Un anticommunisme se retrouve donc chez tous les anarcho-syndicalistes, comme le père d’Azucena Espigares :

« Il est extrêmement anticommuniste d’emblée. Il les a vus faire à tous les niveaux, en France ou ailleurs. Pour lui, il m’en a toujours parlé comme d’un ennemi. Il m’a dit : “non seulement on avait les franquistes, les caciques, les curés contre nous, et en plus il y avait les communistes”. Pour lui, c’était des traîtres qui ne défendaient pas le peuple, qui répondaient à Moscou, qui essayaient d’obtenir des grades… [43] »

À cette anticommunisme des libertaires répond l’antianarchisme des communistes. Les libertaires sont victimes de railleries. Ils ne sont que des utopistes, sans aucun sens des réalités. Certes, le groupe est à la base, mais il doit être organisé, hiérarchisé et obéissant à un chef, notamment dans un contexte de guerre. Francisco Herrero explique :

« Pour mon père, il fallait faire un service militaire, apprendre à manier un fusil, “On sait jamais ça peut servir !”. C’était quelqu’un de rigueur, d’ordre... Alors que pour les anarchistes, c’était plus basé sur l’engagement personnel. Mon père se moquait souvent d’eux : ‘‘Comme ils remettent en cause la hiérarchie, ils se débandaient facilement, ils partaient en courant…’’ Je ne sais pas si c’est vrai, mais il nous en parlait tout le temps [44]. »

2.2 L’affaiblissement des groupes producteurs de mémoire

À cette faible portée de mémoires en opposition, s’ajoute la dislocation des groupes producteurs de mémoire, conduisant à un effacement progressif des mémoires collectives qu’ils soutenaient.

Tout d’abord, dès 1945, une scission divise l’anarcho-syndicalisme : la MLE-CNT, avec Federica Montseny, regroupe les apolitiques, qui ne veulent aucune participation au gouvernement espagnol en exil au Mexique, alors que la CNT réformiste défend l’idée de faire des compromis. Ainsi, à Roanne, il existe deux CNT : l’une se trouve rue Pasteur, l’autre rue du Centre. Cette division a pu décourager des cénétistes. Tel est le cas du père de Josefa Siève, Francisco Guilera Rosello :

« Mon père cotisait pour la CNT de Clermont-Ferrand. Quand on est venu dans la région, il est allé voir la CNT de Roanne. Mais la CNT s’était coupée en deux. Et mon père se serait retrouvé contre son frère. Alors, il les a tous envoyés courir. Il leur a dit : “Laissez-moi tranquille à Régny” et il a arrêté de cotiser. Mon oncle, lui, a continué [45]. »

Les Espagnols communistes voient, quant à eux, leur parti frappé d’interdiction. Dans un contexte de Guerre froide, le Ministère de l’Intérieur a la conviction que : « Le but secret du PCF est de se servir des groupes communistes espagnols sur notre sol au moment opportun et non de les diriger sur l’Espagne [46]. » Le PCE serait alors instrumentalisé par le PCF afin de venir, le cas échéant, soutenir la révolte, les manifestations et les grèves des travailleurs français. En 1950, le PCE est alors interdit en France. La clandestinité a pu rebuter les moins motivés d’autant qu’une importante opération de police est lancée, sous l’appellation de l’opération « Bolero-Paprika ». Plusieurs centaines d’Espagnols communistes sont arrêtés. Dans la Loire, dès le mois de mars 1950, les contrôles sont multipliés, des rondes sont organisées dans les garnis, les hôtels, les débits de boissons. 1 270 personnes sont interpellées, 47 individus sont emmenés au commissariat pour un examen plus approfondi. Néanmoins, des Espagnols poursuivent leur engagement politique dans la clandestinité. Elle peut expliquer en partie la mémoire collective peu politisée de la deuxième génération, la mémoire familiale ayant été tenue à l’écart de ces activités clandestines.

Enfin, la politique définie par l’URSS provoque une autre déstabilisation. Nombreux sont ceux à avoir été exclus du PCE lors de la déstalinisation instaurée par Brejnev au 20e congrès du PCUS en 1956. Tel est le cas de Francisco Gonzales Artero : «  Ils sont venus, une femme et un homme espagnols. Ils venaient pour l’exclure. Et mon père était… Il s’est retrouvé vide. Pour lui, c’était comme une religion [47]…. » Il en est de même pour le père de Francisco Herrero : « Puis, sur une discussion politique, il a exprimé un désaccord, il n’a plus jamais eu d’invitation (rires). Je pense qu’il a dû évoquer l’action de Staline pendant la guerre d’Espagne, de rappeler qu’il avait sauvé Madrid [48]. » La déstalinisation déstabilise donc fortement le PCE alors que le PCF louvoie avec des « dirigeants français soucieux de ne pas affaiblir ni diviser le parti ». En effet, à l’occasion du compte rendu des travaux du 20° congrès, « contraint et forcé par la froideur de la salle », Jacques Duclos rappelle « les mérites de Staline dans la lutte contre le fascisme [49] ».

2.3 La deuxième génération, un relais ?

L’adhésion aux structures politiques est le meilleur moyen de pérenniser la mémoire collective en transmettant le travail du groupe producteur de mémoire à la deuxième génération. Pour les anarcho-syndicalistes, seuls les enfants nés en Espagne de mon corpus de témoins vont faire partie de la FIJL (Federacion Iberica de la Juventud Libertaria) : Francisco Larrea (né en 1922), Manuel Garcia (1924), Antoine Jartin (1932). Mais, les deux premiers n’appartiennent pas réellement à la deuxième génération. Ils sont ce que Pierre Milza a nommé la « génération 1 bis » du fait qu’ils étaient jeunes adolescents pendant la guerre d’Espagne et ont donc des souvenirs restés vivants de cette période [50]. Antoine Jartin n’avait que sept ans lors de l’exil mais son père l’a fortement intégré à la CNT. Il est un membre actif de la FIJL : responsable de la presse, il participe également à l’organisation des meetings de la CNT. Mais, les membres de la FIJL sont peu nombreux : « Il y avait quantité d’adultes qui venaient à la CNT mais qui n’emmenaient pas leurs enfants aux syndicats, soit parce que les enfants ne voulaient pas, soit parce qu’ils n’ont pas fait pression ni rien. Mon père, lui, nous y a emmenés [51]. » Antoine Jartin exprime clairement la pression parentale à rester dans le groupe producteur de mémoire. De même, chez les familles communistes, l’engagement politique de la deuxième génération n’est pas forcément désiré. Rosita Cros explique : « Mon père n’a jamais voulu que l’on soit politisé. Ils sont venus à la maison pour que Marie-Rose rentre dans les jeunesses communistes. Mon père n’a pas voulu [52]. » Ainsi, certains parents ne tiennent-ils pas à ce que leurs enfants s’engagent politiquement. Les enfants doivent, certes, conserver des valeurs issues des tendances politiques des parents (la solidarité, l’entraide, la liberté, l’égalité…), mais l’engagement politique est mis à distance. Les sacrifices qu’il a provoqués ont été trop lourds de conséquences, et les déceptions trop nombreuses.

Enfin, la deuxième génération a tenté de produire sa propre structure, son propre groupe, afin de s’émanciper de la forte influence des groupes producteurs de mémoire. En 1966, Ange Guevara, fils de socialiste, avec Jaime Martin, républicain, crée la Casa de España : « Cette association était celle des fils et filles de réfugiés espagnols, les parents ne venaient pas, ils pensaient que c’était aux jeunes de s’en occuper. Notre but était d’aider les nouveaux immigrés espagnols, de leur donner des cours de Français. C’était un lieu de jeunesse, de rencontres entre enfants d’Espagnols et Français hispanisants [53]. » Ainsi, la Casa de España répond plus à un besoin d’entre-soi : se retrouver entre jeunes, enfants de réfugiés espagnols, loin des tensions politiques et du passé omniprésent des parents. Cette association permettait d’être proche de l’Espagne, du territoire perdu, tout en mettant à distance la guerre d’Espagne. Mais, la première génération est omniprésente : Prudencio Burillo, anarcho-syndicaliste, à la fondation, Francisco Thomas, communiste, par la suite. L’émancipation de la deuxième génération a été un échec. Le rôle qu’ils auraient pu jouer, par la suite, dans la pérennisation de la mémoire de l’exil leur a été spolié. L’association entre alors sous l’influence des communistes espagnols. Dans le témoignage de Cristina Arce, la politisation du lieu apparaît à son insu : « C’était un lieu de rencontres, de fêtes… Je me souviens de réunions très animées, ça chantait, ça parlait très fort ! Je sais que le frère de mon père y allait très fréquemment. Il était très coco [54]. » Cet épisode met en exergue l’inévitable politisation des structures espagnoles par les républicains espagnols.

Au final, la première génération garde le contrôle sur les groupes producteurs de mémoire. La deuxième génération ne peut s’émanciper de la politisation des aînés. C’est comme si la guerre civile continuait comme un jeu de pantomime, comme si la guerre n’était pas perdue. Faisant ainsi, ils condamnent la mémoire collective à la disparition. Elle les suivra dans la mort.

2.4 Un nécessaire oubli

Enfin, pour la deuxième génération, la mémoire familiale devient encombrante. « Le passé devient alors un carcan et la mémoire fait souffrance [55] ». La mémoire familiale se vit alors comme un trop-plein. Les enfants entendent mais n’écoutent pas ce que répètent les parents quant à leurs parcours d’exilés : « Si, ils en parlaient. Mais quand on est enfant, on se dit : “Oh là là ! Ils remettent ça !” [56] ». Le traumatisme de l’exil conduit à une mémoire pathologique. Paul Ricœur, afin d’expliquer l’organisation de la mémoire d’un événement traumatique, cite alors Freud : « Le deuil est toujours la réaction à la perte d’une personne chère ou d’une abstraction érigée en substitut de cette personne, telle que : patrie, liberté, idéal, etc. » La perte d’un territoire, de son pays, la défaite du combat antifasciste, l’abandon de sa famille, ses amis, son village, sa région provoquent un blocage. Le deuil est impossible de par le « surinvestissement des souvenirs ». L’absence de travail de deuil provoque une « compulsion de répétition » avec des évocations sans fin du passé ou, à l’opposé, un silence total, une non-évocation et une absence de passé. Ces deux rapports pathologiques à la mémoire sont la résultante d’une étape manquante dans le processus de deuil, le « travail de remémoration [57] » et d’acceptation de la perte. Or, cette dernière étape semble être impossible à dépasser pour les exilés qui perdraient alors leur identité, une identité de la perte. La conséquence est, pour la deuxième génération, de vivre dans un passé omniprésent, un territoire perdu et fantasmé, ou dans un silence morbide.

Mais, cette mémoire collective, nouée à la mémoire familiale, définit l’identité sociale de la deuxième génération. L’individu partage l’ensemble des représentations et éléments symboliques communs aux membres du groupe. Le « besoin d’attachement » de l’individu au groupe répond à la recherche d’une continuité intergénérationnelle, d’une inscription dans un temps historique et d’une identité sociale. Dans le même temps, une autre besoin psychologique est fondamental, le « besoin d’autonomie [58] ». Afin de s’accomplir personnellement, l’individu ressent la nécessité de se différencier, de s’individualiser. Pour se faire, un recul est nécessaire afin d’avoir un esprit critique vis-à-vis du groupe qui fournit l’identité sociale. Cette extériorisation permet de se diriger vers d’autres groupes, d’en devenir membre et, de ce fait, obtenir différentes identités sociales [59]. Ce besoin d’extériorité est d’autant plus fort quand l’ambiance familiale paraît alourdie par un passé difficile, par une déchirure restée vivante en l’absence de travail de deuil.

De plus, ce besoin d’extériorité prend appui sur l’acculturation scolaire, puis professionnelle et relationnelle qui génère, de fait, une distance. L’oubli devient alors nécessaire. Il permet à la deuxième génération de s’émanciper du cercle, du groupe des réfugiés espagnols. Force est de constater que tous, sans exception, se sont mariés à des Français, même si quelques-uns ont conservé la nationalité espagnole. Tous ont placé leur énergie afin d’accéder à une réussite sociale, accès facilité par le contexte des Trente Glorieuses. Ils ont alors tous, même les plus engagés, mis un temps de côté leur appartenance au groupe des réfugiés espagnols. Ainsi, la FIJL a fermé ses portes à Saint-Étienne, dans les années 60, car il ne restait plus qu’une quinzaine de membres : « On s’est sabordé nous-mêmes parce que nous avons tous été pris par l’ambiance française. Nous avons délaissé nos racines, on s’est séparé de nos racines [60]. » En effet, Antoine Jartin épouse une institutrice française, fonde une famille, achète un terrain et fait construire une maison dont le financement est assuré par une activité professionnelle intense. La CNT, son engagement politique hérité de son père, est alors mis de côté. Une réelle culpabilité se ressent, celle de ne pas avoir gardé vivant le groupe formé par la première génération. Il en découle que la mémoire portée collectivement par le groupe devient une mémoire individuelle, dont le poids en est accru. Le nombre important de documents gardés par chacun sur l’exil est d’ailleurs une expression de ce devoir de mémoire. C’est ce qu’exprime très bien Carmen Montet dans son témoignage : « Si on n’était pas là, qui parlerait d’eux ? [61]. »

En conclusion, les deux groupes producteurs de mémoires de l’exil dans la Loire, anarcho-syndicaliste et communiste, ont utilisé tous les supports à leur portée pour générer, chacun, une mémoire collective pérenne : la ritualisation, l’événementialisation, l’historisation et la mémoire familiale. Pourtant, au final, ces deux mémoires ont laissé peu de traces. En plus des tensions politiques qui divisaient le groupe des républicains espagnols, l’explication se trouve également dans la transmission à la deuxième génération. Certains membres de la première génération tiennent à rester les gardiens de cette mémoire et de la politisation qu’elle engendre. D’autres parents encouragent leurs enfants à réussir et acceptent, de fait, leur émancipation et la distance qui en découle. Les groupes producteurs de mémoire se désagrègent et la mémoire collective s’étiole. Contre l’oubli, seules résistent les mémoires individuelles de la deuxième génération avec un devoir de mémoire, parfois, culpabilisant.

Orientation bibliographique

LAVABRE Marie-Claire, 1994, Le fil rouge, sociologie de la mémoire communiste, Paris, Presses Fondation Sciences Politiques.

LE GOFF Jacques, 1985, Histoire et mémoire, Paris, éditions Folio Histoire.

DREYFUS-ARMAND Geneviève, 1999, L’exil des républicains espagnols en France. De la guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel.

FERENCZI Thomas, 2002, dir. Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, Paris, éditions Complexes.

HALBWACHS Maurice, 1997, La mémoire collective, Albin Michel, Bibliothèque de l’Evolution de l’Humanité, Paris.

MANÇO ALTAY A., 1999, réédition de 2006, Processus identitaires et intégration, approche psychosociale des jeunes issus de l’immigration, Paris, L’Harmattan, Compétences interculturelles.

RICŒUR Paul, 2000, La Mémoire, l’histoire, l’Oubli, Editions du Seuil, Points Essai, Paris.


Titre : Mémoires de l’exil des républicains espagnols sédentarisés dans la Loire

Résumé : L’absence de mémoire collective quant à l’histoire du parcours migratoire des républicains espagnols sédentarisés en France, et notamment dans la Loire, pose question. Pourtant, ce département accueille plus d’un millier de réfugiés espagnols et plusieurs groupes producteurs de mémoire ont existé. Ils produisent des mémoires collectives par le biais de ritualisation, d’événementialisation et d’historisation et grâce aux mémoires familiales. Néanmoins, la transmission à la seconde génération semble être mise en échec par la forte politisation de ces groupes et par le besoin d’autonomie des enfants par rapport à l’histoire familiale.

Mots-clés (auteur) : Réfugiés espagnols - La Loire - Mémoire collective - Groupe producteur de mémoire

Title : The history of an oblivion : Spanish republicans refugees in France through the example of a French department, the Loire (1936-1945)

Abstract : The lack of collective memory about the story of Spanish republicans refugees in France makes sens. In the french department of the Loire, one thousand had settled down. But, no one know while memory producing groups worked hard to keep alive their history. They used ritualisation, historisation, making events. But, the transimission to the second generation have been limitated by various reasons : the politisation of this memory, the need of autonomy.

Keywords (author) : Spanish refugees - the Loire - Collective memory - Memory producing group

NOTES

[1] Voir Émile Témime, Geneviève Dreyfus-Armand, 1995, Les camps sur la plage : un exil espagnol, Paris, Autrement, Français d’ailleurs, peuple d’ici, 141 p. ; Geneviève Dreyfus-Armand, 1999, L’exil des républicains espagnols en France. De la guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 475 p.

[2] Les effectifs des réfugiés espagnols dans la Loire augmentent dans les années 1950. En décembre 1951, 1097 réfugiés espagnols sont présents dans le département, dont 591 hommes et 265 femmes pour 4106 Espagnols, ils représentent donc un quart des étrangers de cette nationalité (AD Loire, 624 VT 22). En 1959, ils sont au nombre de 1530 (769 hommes, 378 femmes, 383 enfants) pour un total de 4572 Espagnols dans le département. Puis, ils connaissent un fléchissement avec 1382 individus en 1962 (624 VT 23).

[3] Il existe un monument à la Mémoire des victimes du génocide arménien de 1915, inauguré en 1989, à l’angle de la rue de Voltaire et de la rue des francs-maçons à Saint-Étienne, et un autre dans la ville de Saint-Chamond.

[4] Lauras Clarisse, 2006, Les Arméniens à Saint-Étienne, Une escale dans un parcours migratoires ?, Publication de l’Université de Saint-Étienne

[5] Les trois citations sont extraites de Ricœur Paul, 2002, Esquisse d’un parcours de l’oubli, in Devoir de mémoire, droit à l’oubli ?, sous la direction de Thomas Ferenczi, Paris, Editions Complexe, p. 23

[6] La retirada (retraite militaire) est provoqués par la défaite de l’armée républicaine en Catalogne. Poursuivis par l’armée franquiste, les républicains catalans se réfugient de l’autre côté de la frontière franco-espagnols qui s’ouvre le 28 janvier 1939 pour les civils et le 5 février pour les miliaires.

[7] Milza Pierre, 1999, La notion de génération, in Enfants de la guerre civile espagnole, vécus et représentation de la génération née entre 1925 et 1940, Paris, L’Harmattan, p. 13.

[8] Les témoins ont été interviewés lors de trois entretiens, chacun étant organisé par une grille : grille 1 sur la guerre d’Espagne et le passage en France, grille 2 sur la Seconde Guerre mondiale et la sédentarisation des parents dans la Loire, grille 3 sur le parcours du témoin qui le plus souvent appartient à la deuxième génération.

[9] AD Loire, 624 VT 22 : dossier des renseignements généraux réalisé le 31 décembre 1947

[10] AD Loire, 2 W 796 : Associations espagnoles

[11] idem, p 94

[12] Halbwachs Maurice, 1950, réédition de 1997, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, Bibliothèque de l’Evolution de l’Humanité, p. 52

[13] Entretien avec Charles Garcia, le 12 novembre 2009. Son père, Luis Garcia Mayo, socialiste, est milicien pendant toute la durée de la guerre d’Espagne. En février 1939, il est dans le camp d’Argelès-sur-Mer d’où il est transféré pour travailler dans les mines du bassin ligérien. Il y reconstruit un quotidien.

[14] Entretien avec Suzanne Noiry-Grousson en octobre 2009 et mars 2010. Son grand-père, Prudencio Burillo, anarcho-syndicaliste, est responsable de la collectivisation du village d’Ariño en Aragon pendant la guerre civile. Il s’exile avec sa femme et ses deux enfants. La famille éclate : Prudencio Burillo est envoyé au camp d’Argelès-sur-mer, sa famille va à Saint-Étienne, accueillie par des parents. Sa femme arrive à lui trouver un contrat de famille afin qu’il les rejoigne. Résistant, il œuvre pour le groupe Ange de Neuwirth, lié au réseau Buckmaster des services secrets britanniques. À la fin de la guerre, il est l’un des responsables de la CNT de Saint-Étienne.

[15] Entretien avec Azucena Espigares, en mars 2010. Son père, Rafael Espigares Avila, est responsable (Commissario) d’un groupe de miliciens anarcho-syndicalistes vers Grenade. Il est fait prisonnier à Alicante. Après 7 ans d’emprisonnement, il poursuit la lutte. Mais, en 1948, il est obligé de se réfugier en France. Sa femme et ses enfants le rejoignent en 1949. Il poursuit son engagement avec la CNT de Roanne.

[16] Entretien avec Rosita Cros en mars 2010. Elle est la fille de Francisco Gonzales Artero et Leonor Gonzales Vives. Le père, communiste, gère le transport des armes entre les zones républicaines pendant la guerre. Lors de la retirada, la famille est séparée : le père est à Argelès, la mère et la fille aînée à Clermont-Ferrand. Le frère qui est mineur à La Ricamarie est à l’origine du regroupement de la famille dans la Loire. Francisco Gonzales entre dans les FFI en 1944.

[17] Entretien avec Francisco Herrero en mars 2010. Il est le fils de Jesus Herrero Martinez. Communiste et milicien, il participe aux batailles de Belchite, de l’Ebre. Après la retirada, il est envoyé aux camps d’Argelès, puis, de Saint-Cyprien. Il est enrôlé dans la 106° CTE et part pour la ligne Maginot où il est pris par les Allemands. Il reste quatre ans dans le camp de Mauthausen. Il choisit de s’installer à Firminy où vivent ses deux frères qui avaient migré avant guerre. Il y rencontre son épouse, Maria Casado Belmonte, réfugiée espagnole anarchiste. Ils ont alors deux enfants.

[18] Entretien avec Vidal Martin en mars 2010. Il est le fils de Vidal Martin Aguado et de Vincenta Diez Benito. Communiste, son père travaille comme électricien pour l’aviation républicaine. Avec la retirada, la famille éclate : le père est envoyé au camp d’Argelès, Saint-Cyprien, Gurs, la mère et les deux garçons sont transférés en Bretagne Le père est ensuite envoyé dans un GTE dans la Loire. Il fait venir sa famille en mai 1940.

[19] Entretien avec Carmen Montet en février 2010.

[20] Manço Altay A., 1999, réédition de 2006, Processus identitaires et intégration, approche psychosociale des jeunes issus de l’immigration, Paris, L’Harmattan, Compétences interculturelles, p. 124.

[21] Entretien avec Carmen Montet en février 2010. Elle est la fille d’Antonio Orensanz Belzuz. Anarchiste, il rejoint la colonne Ortiz et fait toute la campagne militaire en Aragon jusqu’à la bataille de l’Ebre. Après la reddition, il est emprisonné 7 ans. Il vient en France clandestinement en 1946. Il trouve du travail dans la Loire où il rencontre sa femme, fille d’immigrés espagnols, et fonde sa famille.

[22] Entretien avec Carmen Montet en mai 2010.

[23] Muxel Anne, 1996, réédition 2002, Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, collection « Essais & Recherches », p. 7.

[24] Muxel Anne, op. cit., p. 15.

[25] Entretien avec Rosita Berchoux en mars 2011. Elle est la fille de Juan Butillo Barreno et Maria Cabello Gil. Son père, communiste, s’engage dans l’armée en 1936. En 1939, ils décident quitter Alicante pour le Mexique. Mais, le père se retrouve à Oran et la mère avec sa fille aînée de 3 ans échoue à Marseille, puis dans un centre d’hébergement dans la Loire, à Saint symphorien-de-Lay. La mère arrive à trouver un travail et à financer le voyage de son mari afin qu’ils soient de nouveau réunis, en mars 1940. Par la suite, la famille s’installe à Roanne et s’agrandit.

[26] Entretien avec Azucena Espigares en mars 2010.

[27] Sans doute le témoin a-t-il voulu dire dissension, vu le sens de la phrase.

[28] Entretien avec Cristina Arce en février 2010. Elle est la fille de Jesus Arce Garcia Calvo. Communiste, il s’engage dans l’armée. Après la bataille de l’Ebre et la retirada, il se retrouve dans les camps d’Argelès, de Saint Cyprien et de Barcarès. Il est enrôlé dans un GTE toute la durée de la guerre dans le Puy-de-Dôme. Il rencontre sa femme, Maria-Cruz de la Cruz de la Vega, en Haute-Loire car il est en contact avec son père, réfugié espagnol, communiste et résistant sédentaire pour le réseau FTPF de Théo Vial-Massat. Après-guerre, le couple s’installe à Roche-la-Molière où Jesus Arce travaille dans les mines. Ils ont une fille, Cristina, née dans les années 1950.

[29] Entretien avec Sauveur Cuadros en avril 2010. Il est né à Valence. Son père, José Cuadros Rosales, communiste, s’engage dans l’armée et participe aux batailles de Teruel, de Madrid. Il vit, ensuite, clandestinement sur Valence. Sa mère, Maria Escamilla Gomez, fuit l’Espagne et se retrouve dans un centre d’hébergement, une ancienne briqueterie, vers Dijon. Son père meurt à Argelès, elle est rapatriée en septembre 1939, avec sa sœur, sur Valence où de la famille pouvait les accueillir. C’est t là qu’ils se rencontrent, fondent leur famille. Ils prennent la décision de partir pour la France en 1958. Un contrat de travail est obtenu dans les Forges de la Loire, à Saint Chamond.

[30] Entretien avec Vidal Martin en mars 2010.

[31] Entretien avec Suzanne Noiry en mars 2010.

[32] idem

[33] Entretien avec Antoine Jartin en avril 2010. Il est le fils d’Antonio Jartin de Castron et de Tomasa Peña Martinez. Le père, anarcho-syndicaliste, participe à l’autogestion des ateliers des chemins de fer de Tarragone. En février 1939, le père est placé dans les camps d’Argelès, de Saint Cyprien, de Barcarès et de Septfonds. De là, il est envoyé sur Saint-Étienne pour travailler à la SCEMM. Sa femme et ses trois enfants sont dans un centre d’hébergement, un entrepôt de ciment près de Gap. La famille est réunie en avril 1940. Puis, en juin 1940, le père est enrôlé dans un GTE de la Loire, et en avril 1941, il est réquisitionné par les Allemands pour la construction du mur de l’Atlantique. La famille n’est réunie qu’avec la Libération.

[34] Lavabre Marie-Claire, 1994, Le fil rouge, sociologie de la mémoire communiste, Paris, Presses Fondation Sciences Politiques, p 226

[35] Entretien avec Cristina Arce en octobre 2009.

[36] Entretien avec Francisco Herrero en novembre 2009.

[37] Entretien avec Rosita Cros en décembre 2009.

[38] Lavabre Marie-Claire, op. cit., p 215

[39] En effet, les républicains espagnols sont sous forte surveillance. Mais, le refus de partir sur les chantiers de l’Organisation Todt en charge de la construction du Mur de l’Atlantique pousse certains à rejoindre les maquis.

[40] Entretien avec Michel Paul en octobre 2009. Il est le fils de Rafael Paul Lomero et de Crisitina Barrangua de Cabovodebilla. Le père, anarchiste, participe à la collectivisation des terres de son village, Angües en Aragon. Quand la collectivisation prend fin, il rejoint la colonne Durruti. En janvier 1939, la famille doit fuir et franchit les Pyrénées. Le père échoue dans le camp d’Argelès, la mère et les enfants sont au centre d’hébergement du Chambon-Feugerolles. Le père les y rejoint en novembre 1939 grâce à un contrat de travail aux mines. Ensuite, ils trouvent un logement dans un ferme de la commune de Saint-Paul.

[41] Du 2 au 7 mai 1937, anarchistes et communistes s’affrontent à Barcelone pour le contrôle du central téléphonique. Conséquemment à l’inaction du Gouvernement, les ministres anarchistes démissionnent.

[42] Entretien avec Francisco Herrero en novembre 2009.

[43] Entretien avec Azucena Espigares en mars 2010.

[44] Entretien avec Francisco Herrero en novembre 2009

[45] Entretien avec Josefa Siève en décembre 2010. Elle est la fille de Francisco Guilero Rosello et Magdalena Crespo Camarasa. Le père, anarchiste, conduit les camions qui transportent les miliciens. Après la retirada, le père fait plusieurs camps : Saint-Cyprien, Agde, Barcarès, Septfonds, et Josefa et sa mère vont dans le centre d’hébergement de Chemillé dans le Maine-et-Loire, une usine abandonnée. En janvier 1940, le père est embauché dans les forges de Firminy. Sa femme le rejoint. En septembre 1940, il est enrôlé dans un GTE. En 1946, la famille s’installe à Riorges, puis à Régny, au Nord de la Loire, pour travailler dans le textile.

[46] Dreyfus-Armand Geneviève, op. cit., p 264.

[47] Entretien de Rosita Cros en mars 2010.

[48] Entretien avec Francisco Herrero en mars 2010.

[49] Lavabre Marie-Claire, op. cit., p 103.

[50] Pierre Milza, op. cit., p 15.

[51] Entretien avec Antoine Jartin en avril 2010.

[52] Entretien avec Rosita Cros en mars 2010.

[53] Entretien avec Ange Guevara en mars 2010.

[54] Entretien avec Cristina Arce en octobre 2009.

[55] Muxel Anne, 1996, Individu et mémoire familiale, Paris, Nathan, Collection Essais et Recherches, p 33.

[56] Entretien avec Rosita Berchoux en mars 2011.

[57] Ricœur Paul, op. cit., p 85-87.

[58] Manço Altay A., op. cit., p 124.

[59] Idem, p 85 à 125.

[60] Entretien avec Antoine Jartin en avril 2010.

[61] Entretien avec Carmen Montet en décembre 2009.