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La « colonialité du pouvoir » en Polysésie française : de l’institutionnel à l’intime

Laura Schuft
Maître de conférences Laboratoire Motricité Humaine, Education, Sport, Santé (LAMHESS, EA 6309), Unité de Recherches Migrations et Société (URMIS, UMR 205) Université de Nice Sophia Antipolis Contact : schuft@unice.fr

citation

Laura Schuft, "La « colonialité du pouvoir » en Polysésie française : de l’institutionnel à l’intime ", REVUE Asylon(s), N°11, mai 2013

ISBN : 979-10-95908-15-9 9791095908159, Quel colonialisme dans la France d’outre-mer ? , url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article1279.html

résumé

Cet article considère les expressions interactionnelles et discursives de ce qui apparaît comme une « colonialité du pouvoir » en Polynésie française. Il s’agit de considérer l’impact des systèmes institutionnels reliant la Métropole française et sa Collectivité d’Outre Mer – qui participent à distribuer les ressources économiques et les statuts sociaux selon les appartenances sociales (de genre, géographiques et ethniques) – sur les interactions et discours sociaux de tous les jours. Les résultats sont issus de recherches doctorales portant principalement sur les représentations et témoignages des conjoints en union interethnique « métropolitain »-« polynésien » dans les îles de Tahiti et de Moorea. Leurs discours révèlent des (dé)valorisations sociales de catégories ethniques genrées, dont les mécanismes reflètent – tout en participant à (re)produire – les rapports de pouvoir propres aux systèmes politico-économiques hérités de l’époque coloniale.

Mots clefs

Introduction

Au mois d’août 2011, l’Assemblée de la Polynésie française a voté une résolution « pour la réinscription de cette collectivité sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser » de l’ONU, et le président indépendantiste Oscar Temaru a réitéré son appel pour mettre fin à « 170 ans de colonisation » en Polynésie française [1]. Avec ces déclarations, les relations entre les deux territoires de la République française sont de nouveau interrogées : la Polynésie française, serait-elle un contexte « colonial » dans lequel les ressortissants subiraient encore une relation de domination ? Ou bien, serait-elle une région dans une République dont l’histoire coloniale serait entièrement « post » ? Pour apporter des éléments de réponse à cette question, cet article se penche non seulement sur les institutions sociales et politiques qui relient les deux territoires, mais également sur leurs effets sociaux, et plus particulièrement sur leurs manifestations interactionnelles et discursives dans la vie de tous les jours.

Comme dans les débats politiques dans des anciennes colonies, les études sur le « postcolonialisme » sont imprégnées de ce débat sur la question du « post ». Une des fondateurs principaux de ce courant de recherche, Gayatri Spivak, rappelle que la critique postcoloniale consiste bien à critiquer les rapports actuels de domination, à enfin donner une voix aux dominés et anciens colonisés, et donc « à remettre sans cesse en cause ce qui structure notre imaginaire de l’Autre et nous empêche de l’entendre » [2]. Dans la définition proposée par Leila Ahmed, le « postcolonialisme » signifie : « comment le colonialisme s’est reconfiguré après la soi-disant décolonisation : comment les rapports postcoloniaux sont maintenus comme des rapports matériels et discursifs d’antagonisme et de résistance » [3]. Bien que les sens attribués au terme « postcolonial » correspondent en effet aux rapports de pouvoir contemporains dans les anciennes colonies, ce terme lui-même pose problème de par son sens littéral, qui :

« masque les politiques colonialistes et racistes des colons blancs envers les peuples indigènes, non seulement avant l’indépendance mais aussi après la rupture officielle avec le centre impérial, en minimisant les positionnements néocoloniaux des Etats coloniaux de peuplement du premier monde » [4].

Or, on enlevant le « post », on arrive au terme « colonial », qui évoque des relations historiquement et institutionnellement circonscrites. Il est en effet difficile de trancher entre ces deux termes dans la caractérisation politique de la Polynésie française. Car si la période « coloniale » a officiellement pris fin en 1946, et si des statuts d’autonomie de gestion (1977) et d’autonomie interne croissante (1984, 1996) ont désormais été accordés au gouvernement et Assemblée de la Polynésie française, de multiples institutions dans cette Collectivité d’Outre-mer demeurent sous la tutelle de l’Etat français, centralisé à Paris [5]. Le fonctionnement actuel de ces institutions participe à distribuer inégalement les ressources socioéconomiques selon les origines géographiques (métropolitaines ou polynésiennes), ainsi qu’à maintenir un ordre normatif métropolitain qui apparaît comme le « bon » ordre social – bien que cette vision soit activement contestée, par des mouvements de promotion culturelle polynésienne depuis les années soixante et soixante-dix en particulier. Les inégalités socioéconomiques entre ressortissants et les déséquilibres entre ordres normatifs influencent – non sans résistance – les représentations et interactions sociales, dans un « racisme genré » « de tous les jours » [6], et ce jusqu’à l’intime choix du conjoint, comme nous verrons ici.

Ainsi, si ni « colonial » ni « postcolonial » permettent de saisir l’ensemble de la réalité institutionnelle et sociale de la Polynésie française contemporaine, la notion de « colonialité du pouvoir » [7] est utile comme grille de lecture, car « [c]ontournant les ambiguïtés du post dans le postcolonial, qui risque de réaffirmer une vision linéaire du temps (ce qui vient après le colonialisme soit pour y mettre fin, soit pour le prolonger) » [8]. Le terme « colonialité », proposé par le sociologue portoricain Ramon Grosfoguel [9], fait référence à l’idée que les rapports sociaux contemporains sont en partie des reconfigurations des rapports de pouvoir du type colonial, entre détenteurs de pouvoir et dominés. C’est au sein de ces rapports que grand nombre de stigmatisations sociales se sont produites et reproduites au fil du temps.

Sur cette base, Anibal Quijano a élaboré le concept de la « colonialité du pouvoir », qui « renvoie non pas à des liens tissés abusivement entre les contextes et les rapports du passé avec ceux du présent, mais à l’imbrication des rapports de pouvoir multiples à échelle mondiale qui sont en recomposition depuis l’expansion coloniale » [10]. En effet, des différentes formes de domination à l’échelle mondiale dans l’ère contemporaine sont considérées comme multiples, imbriquées et non réductibles les unes aux autres. Elles concernent non seulement la domination ethno-raciale qu’admettaient le colonialisme et l’esclavagisme, mais y combinent également : le patriarcat [11] ; l’organisation économique capitaliste – dont les inégalités se perçoivent à des échelles nationales et mondiales ; et les superstructures idéologiques qui en sont issues. Le concept de la « colonialité du pouvoir » est ainsi autrement conçu comme une « matrice coloniale du pouvoir » des temps modernes [12].

Cet article considère les manifestations sociales, notamment discursives, de ce qui apparait comme la « colonialité du pouvoir » en Polynésie française contemporaine. Il s’agit de considérer l’impacte des systèmes institutionnels et inégalitaires directement hérités de l’appareil colonial, sur les interactions et discours sociaux de tous les jours. Les résultats présentés ici sont issus de recherches doctorales [13], dont le volet principal, qualitatif, porte sur les représentations et témoignages des conjoints en union interethnique « métropolitain »-« polynésien », à Tahiti et à Moorea, les îles les plus peuplées de la Polynésie française. Leurs discours constituent le point d’entrée dans l’analyse des relations interethniques à Tahiti, qui s’avèrent imprégnées de stéréotypes ethniques genrés, non isolés des systèmes de distribution de ressources matérielles et de statut social qui avantagent les ressortissants français « métropolitains », et plus particulièrement les hommes [14].

Dans un premier temps, les systèmes institutionnels qui relient la France métropolitaine et la Polynésie française seront présentés. Car les résultats des recherches suggèrent que ces systèmes, en participant à perpétuer les inégalités sociales et économiques, imprègnent les interactions sociales. Dans un deuxième temps, deux volets des manifestations discursives et interactionnelles des systèmes de pouvoir seront présentées. D’une part, elles seront abordées par certaines « représentations ethniques genrées » [15], en particulier les stigmatisations touchant à la catégorie des « hommes polynésiens ». Ces représentations sont particulièrement révélatrices de « la matrice coloniale du pouvoir » dans laquelle elles se constituent. Car elles dévoilent la manière dont « s’entrecroisent » [16] les catégories imbriquées de genre, d’ethnicité et de statuts socioéconomiques, et la manière dont leurs représentations s’appuient sur les inégalités symboliques et matérielles. D’autre part, les modalités de (dé)valorisation culturelle seront considérées à travers l’exemple des représentations sur les langues – française et tahitienne [17]. Dans l’ensemble, si tous ces mécanismes de hiérarchisation et de (dé)valorisation sociales s’inscrivent dans une multiplicité de contextes et d’échelles microsociales, ils reflètent particulièrement – tout en (re)produisant – la « colonialité du pouvoir » issue du contexte sociohistorique et institutionnel hérité de l’époque colonial [18].

1. Systèmes structurels et institutionnels

Une constante dans les structures politiques, économiques et sociales qui relient la France métropolitaine à la Polynésie française, depuis notamment le début du Protectorat français en 1842, est la position privilégiée des « hommes européens », mais plus généralement celle des « Européen.ne.s ». Depuis le Protectorat, la position dominante de la France et de ses ressortissants est confortée par la mise en place des institutions multiples et de l’infrastructure sociopolitique et économique, dont : l’imposition des lois françaises (1866) [19] ; la mise en place d’un système scolaire français pour les citoyens et « sujets » coloniaux (lois Jules Ferry, 1883) ; l’installation d’une infrastructure phénoménale du Centre d’Expérimentation nucléaire du Pacifique (1963-1995) ; et la mondialisation croissante du système capitaliste économique. La combinaison de ces facteurs de domination, basée sur le modèle économique d’exploitation capitaliste et euro-centrée de la force de travail, la domination ethno-raciale, le patriarcat et « le contrôle des formes de subjectivité » à travers la superstructure culturelle et idéologique qui en découle, rappelle la « matrice coloniale du pouvoir » des temps modernes décrit par Anibal Quijano. Les évolutions sociétales, avant et après ce qui est considéré comme la « période coloniale », ont ainsi donné lieu à des déséquilibres de pouvoir économique et social, divisions qui se dessinent notamment selon les appartenances de genre, d’ethnicité et de statut socioéconomique.

L’ensemble de cette infrastructure, dans son sens littéral et marxiste, maintient les courroies de domination majoritairement dans les mains de l’Etat français métropolitain [20]. En effet, aujourd’hui, plusieurs institutions publiques clés demeurent sous l’égide de l’Etat français, tutelle qui dépasse la centralisation de ses textes et missions, en prenant la forme de ressources humaines envoyées depuis la Métropole. Notamment, le vice-rectorat, l’université, le système judiciaire, l’armée et la gendarmerie relèvent des institutions françaises mises en œuvre par le déplacement temporaire de fonctionnaires métropolitains [21]. Ainsi, il conviendra de revenir sur les populations métropolitaines en Polynésie française, et en particulier sur l’institutionnalisation des flux migratoires depuis la Métropole.

1.1 Popa’a et privilèges

Revenons donc tout d’abord sur l’ensemble des populations regroupées sous les étiquettes ethniques souvent interchangeable de « Français », de « Métro(politain) » et de « popa’a », ce dernier signifiant les personnes de « couleur blanche ». Cet ensemble concerne environ 12% de la population en Polynésie française selon le dernier sondage territorial à comporter des catégories « ethniques » en 1988 [22]. Ce sondage comportait des auto-catégorisations dont 12% se déclarait « Européen et ‘assimilé’ », 82% « Polynésien et ‘assimilé’ », et 5% « Chinois et ‘assimilé’ » [23]. Le pourcentage d’« Européens » auto-déclarés reste stable en 2005 quand on introduit la catégorie ethnique de « Demi » qui connote un métissage notamment européo-polynésien [24]. En effet, l’identité européenne y est conçu comme non-mixte avec les populations locales [25]. Ainsi, dans un sondage conduit en 2005 par l’Institut Louis Harris, à la question « De quelle catégorie vous sentez-vous le/la plus proche ? », 66% se sont déclarés « polynésiens », 19% « demis », seulement 1% « chinois » et toujours 12% « Européens ». Si le métissage « polynésien-chinois » ou « polynésien-européen » est vraisemblablement conçue comme « polynésien », et puisque les familles « européennes » (variablement métissées) installées dans les îles depuis longue date se considèrent comme « demi », il est plausible que les personnes se déclarant comme « Européennes » soient issues de la migration récente depuis la France métropolitaine. A cet effet, environ 9% de la population à Tahiti en 1996 vivait en France métropolitaine seulement sept ans auparavant [26].

Au sein de ces populations de « Métropolitains », catégorisés comme un ensemble, figurent des fonctionnaires métropolitains qui occupent des postes de manière temporaire pour accomplir les missions d’Etat. On compte environ 2000 fonctionnaires « métropolitains » dans les secteurs des services et de l’enseignement [27], la majorité constituant une fraction des 190.000 habitants de l’archipel le plus peuplé, les Iles du Vent : Moorea et Tahiti [28]. Mis à part les magistrats ou les postes permanents à l’Université de la Polynésie Française, les postes des fonctionnaires – enseignants, gendarmes, administratifs – sont généralement occupés pour une durée de deux ou trois ans à la fois, renouvelable une seule fois. Cette temporalité crée des arrivées constantes de fonctionnaires de la Métropole dont la présence temporaire, y compris celle de leurs familles, conforte l’existence dans l’imaginaire sociale d’une « communauté ethnique ».

Cette temporalité permanente et institutionnalisée d’une fraction de la population à Tahiti aurait pu être anodine si ce n’était pas pour les privilèges dont sont dotés ces postes, privilèges qui sont souvent source de tensions et débats [29]. En effet, le fonctionnariat par « expatriation » [30] entraine des majorations salariales d’entre 40 et 120% [31] – étant généralement indexés par un coefficient de 1,84 aux îles du Vent et aux îles Sous-le-Vent, et de 2,08 pour les autres archipels (arrêté du 28 juillet 1967). En outre, « l’expatriation » est communément accompagnée de primes d’installation et d’aides au logement, auxquelles s’ajoutent : « une indemnité d’éloignement correspondant à dix mois de traitement […] payée en deux fractions égales, l’une au départ, l’autre deux ans plus tard, par contrat de deux ans » [32]. Ces facteurs structurels aggravent les inégalités matérielles, influencent les prix immobiliers et créent des taux de rémunération à deux vitesse, souvent au sein d’un même établissement. De ce fait, ils participent également aux inégalités symboliques, en alimentant les stéréotypes qui correllent statut socioéconomique et origine – géographique et ethnique.

Les inégalités socioéconomiques à grande échelle sont en effet indéniables. L’économiste Bernard Poirine, dans son livre Tahiti : Du Melting-Pot à l’Explosion ?, conclut que le système de privilèges dans les migrations et périples depuis la Métropole alimente les clivages ethniques, puisque classe sociale et appartenance ethnique s’avèrent fortement corrélées [33]. S’appuyant sur le recensement territorial de 1988, il montre une répartition inégale des ressources économiques et statutaires selon les appartenances ethniques. En premier lieu, chez les ménages où le « chef de ménage » se déclarait « européen ou assimilé », bien que ne représentant que 20% du nombre total de ménages, les chefs de ces ménages représentaient 72% des cadres et des professions intellectuelles supérieures et 43% des professions intermédiaires. En ce qui concerne les ménages dont le « chef de ménage » se déclarait « polynésien ou assimilé », constituant la majorité ou 58% du nombre total de ménages, ils ne représentaient que 10% des cadres et professions intellectuelles supérieures, mais en revanche 82% des agriculteurs et 76% des travailleurs « cols bleus ».

Selon des données plus récentes depuis la fin des données « ethniques », il semble que perdurent de tels avantages socioéconomiques en rapport avec l’origine européenne. Par exemple en 1996, sur les 12.318 « actifs occupés » qui sont nés en dehors du Territoire, plus de trois quarts occupent des postes dans des secteurs supérieurs [34]. Sachant que la présence de non-Français est bien limité [35], il semble bien que les écarts socioéconomiques de 1988 notés par Bernard Poirine sont encore des divisions largement corrélées à l’origine géographique (polynésienne ou métropolitaine) et ainsi aux catégories ethniques qui s’y associent.

1.2 L’école et privilèges symboliques

En plus de ce système de périples et de privilèges institutionnalisés, les institutions d’Etat participent à un système de domination symbolique. La « violence symbolique » de la domination est plus particulièrement mise en exergue par l’école, reconnu depuis le travail de Bourdieu et Passeron comme lieu de reproduction des rapports de domination et de légitimation des normes et modèles sociaux dominant [36]. La thèse de Pierre Bourdieu, selon laquelle toute pédagogie résulte des relations de pouvoir entre groupes et correspond aux intérêts des groupes dominants, peut s’appliquer au système pédagogique de la Polynésie française, centralisé depuis la France métropolitaine depuis les lois de Jules Ferry en 1883. Dans l’établissement de l’école française comme passage obligatoire pour tout citoyen, y compris pour les « sujets » des colonies, Jules Ferry a voulu y voir un moyen d’instiller les valeurs et la culture françaises « supérieures » à ceux qui ne seraient pas « civilisés ». Ceci faisait partie de la vision de l’Etat comme étant doté de la « mission éducatrice et civilisatrice qui appartient à la race supérieure ». Cette croyance pose la base des rapports coloniaux, qui reposent sur une volonté d’intégrer les populations dominées par l’assimilation, conçue comme un processus d’« évolution » d’un état arriéré à un état plus avancé, tout en maintenant l’idée que certaines catégories de personnes continueraient à être stigmatisées comme « moins civilisées » [37]. On retrouve cette croyance – d’une échelle de civilisation, d’évolution ou de modernité entre cultures, pays et leurs ressortissants – tout le long des entretiens.

La centralisation des structures éducatives et législatives à Paris, depuis le début de l’histoire coloniale, participe à l’institutionnalisation de la légitimité des connaissances, de la langue et des perspectives majoritaires de la France métropolitaines. Ainsi, l’assimilation à ces normes apparaît comme nécessaire pour une réussite sociale. Dans ce système centralisé, « nous, les Gaulois » et l’histoire européenne peuplaient les livres historiques en Polynésie française jusqu’au dernier quart du 20e siècle, tandis que l’histoire des migrations, des transformations et des enjeux de pouvoir dans le Pacifique demeuraient sous silence. Il aura fallu attendre les années soixante-dix pour que l’enseignement primaire et la formation des instituteurs (par l’école normale) tombe sous la compétence territoriale, permettant l’histoire sociopolitique du Pacifique et les langues polynésiennes de trouver enfin une petite place dans le système éducatif [38].

Un élément clé de « la violence symbolique » du système éducatif en Polynésie française depuis la période coloniale concerne en effet l’usage des langues : comme moyen et objet d’enseignement, et comme objet de punition. L’interdiction de parler une langue ma’ohi à l’école a perduré jusqu’en 1980, date à laquelle un nouveau statut politique a permis de mettre la langue tahitienne au même niveau que la langue française [39]. De nombreuses personnes témoignent de la violence de cette règle et des effets jusqu’aux familles, dont nombreuses ont arrêté de communiquer avec leurs enfants dans leur langue native afin de favoriser leur bonne intégration dans l’école française [40]. Deux extraits d’entretiens, de personnes nées dans les années cinquante, soulignent cette violence :

« lorsqu’on entendait parler tahitien à l’école, tu étais puni. Tu devais copier 100 fois ‘Je ne dois pas parler tahitien’ et tu étais envoyé à la cour de l’école, où tu devais enlever la mauvaise herbe [...] Et donc quand on rentrait à la maison, les parents nous parlaient que en français » (Mihiarii).
« Parce que moi, quand je suis arrivée ici [à Tahiti, à 6 ans, chez une tante pour être scolarisée], comme je ne parlais que le paumotu [dialecte de reo ma’ohi dans les îles Tuamotu]. Je ne parlais ni le français, ni le tahitien, quand je suis arrivée ici. Et donc on était frappé à l’époque à l’école et à la maison ; il faut parler le français » (Tita).

Depuis, le système a changé. Parler une langue non-française à l’école n’est plus l’objet de punition, et la violence physique à l’école est bannie. Or, la place des langues ma’ohi demeure restreinte. La langue tahitienne est enseignée comme une langue étrangère optionnelle, ce qui désavantage les enfants nés dans un milieu de langue tahitienne – ou autre langue polynésienne parlée dans la Collectivité. En outre, il semble que le mal est fait, comme nous verrons plus loin. Les restrictions et punitions des langues polynésiennes dans ce contexte (post)colonial ont eu non seulement l’effet d’une transmission réduite aux enfants, mais également l’effet des (dé)valorisations des langues qui, véhiculées dans les propos des acteurs sociaux, participent aux (dé)valorisations ethnoculturelles.

2. Des inégalités systémiques aux inégalités symboliques

Nous verrons deux angles de ces (dé)valorisations microsociologiques dans les discours des conjoints interviewées. En révélant et en reflétant les inégalités systémiques au sein des institutions (post)coloniales, leurs propos apparaissent comme des manifestations discursives et interactionnelles de la « colonialité du pouvoir ». En premier lieu, nous verrons les représentations sur les « hommes polynésiens », en tant qu’angle d’approche des dimensions à la fois ethniques, de genre et de classe sociale que prennent les (dé)valorisations. En deuxième lieu, nous verrons les jeux d’opposition entre les langues française et tahitienne, en tant qu’éléments de revendication et de stigmatisation d’identités culturelles.

2.1 La « modernité » au masculin : une question d’appartenance ethnique et de statut socioéconomique

Les représentations sur les hommes « polynésiens » ou « tahitiens » [41] sont plutôt systématiquement associées à un statut socio-économique moins élevé dans le système de valeurs et de rétributions capitalistes. Si cette représentation n’est qu’une stigmatisation parmi plusieurs, elle sera décrite ici afin d’illustrer une des manifestations interactionnelles de la colonialité du pouvoir. Nous verrons que la description des hommes « polynésiens » s’inscrive dans une « idéologie de la modernité », qui repose sur l’idée d’une échelle d’évolution culturelle qui irait des personnes et cultures les plus « arriérées » (incarnées par des symboles des normes dominées) aux plus « modernes » (incarnées par des symboles des normes dominantes). Ces mécanismes de hiérarchisation en rapport avec la modernité sont en accord avec le sens même de ce terme. Anibal Quijano rappelle que la « modernité » est l’expression de la perspective euro-centrique et capitaliste du monde, dont le mythe fondateur est : « l’idée d’un état originaire de nature dans l’histoire de l’espèce et d’une échelle de développement historique qui va du ‘primitif’ (le plus proche de la ‘nature’) […] jusqu’au plus ‘civilisé’ » [42]. Nous verrons donc comment cette échelle de civilisation s’imbrique avec les représentations ethniques, masculines en particulier, selon les statuts socioéconomiques.

Les représentations sur les hommes « polynésiens » ou « tahitiens » (cette dernière appellation étant plus souvent employées pour faire référence à une appartenance racialisée ou biologisée) prennent forme dans la distinction entre ces appellations et celle du métissage : « demi ». Le basculement entre les classements de « polynésien » et de « demi », en ce qui concerne les hommes plus particulièrement, se fait notamment selon le statut socioéconomique. En effet, la Polynésie française est lieu de métissages transcontinentaux depuis 200 ans, ce qui provoque Michel Panoff à estimer qu’il n’existerait plus de Polynésiens non-métissés [43]. « Tout le monde sait qu’il n’y a plus de Polynésiens purs en Polynésie française et que les ‘demis’ sont une classe sociale » [44]. Ainsi, l’usage social du terme « demi » est révélateur des modalités de catégorisation ethnique, qui s’appuie sur le statut socioéconomique et le genre.

En guise d’exemple, une femme qui se considère « polynésienne » avance qu’elle : « préfère un mec qui a de l’éducation, qui est allé à la fac, donc [...] il faut que ce soit sûrement un Demi ou un Français » (Marie). En plus d’un mode de vie « européen » qui peut également entrainer la différenciation entre « demi » et « tahitien », la possession d’une éducation, d’un diplôme ou d’une profession considérés comme élevés est matière à considérer un individu – notamment un homme – comme « demi » pour le distinguer de la catégorie de « polynésien ». De cette manière, le binôme « homme polynésien » - « classe populaire » reste intact dans les représentations. Car ceux qui n’y correspondent pas sont reclassés en tant que « demi », ce qui apparait comme une nouvelle catégorie ethnique distincte.

Les représentations attachées à ces catégories perçues comme ethniques, en ce qui concerne les hommes notamment, sont bien différentes. Marie affirme un manque d’envie d’avoir un conjoint qu’elle décrirait comme « tahitien pur ». « Un Tahitien pur, je ne pourrais pas. Par la culture peut-être, par l’éducation, je pense. La mentalité ». Elle n’est donc jamais sortie avec « un Tahitien ». « Un Demi, oui. Jamais un Tahitien vraiment d’ici- d’ici ». Elle se sert ainsi des représentations sur les hommes « tahitiens » et « demis » (s’il est acceptable il serait catégorisé comme « demi ») afin de rester cohérente dans sa représentation négative sur les « hommes tahitiens », en termes de « culture », « éducation » ou « mentalité ».

Ces attributs, employés pour différencier entre des hommes « tahitiens » ou « demis » – culture, éducation, mentalité, sont régulièrement associés à une échelle de modernité. Une femme qui se considère « polynésienne » (Ninirai) différencie les hommes « polynésiens » des hommes « demis » à travers les notions de « traditionnel » ou de « moderne », qui sont associées à la réussite ou à l’échec scolaire, ou à l’attribution ou à la négation d’intelligence ou d’un niveau de « culture ». Elle dit :

« quand je catégorise le Polynésien, ce n’est peut-être pas aussi le Polynésien moderne, celui qui a fait des études. Je les mets vraiment sur deux rangs. Je considère qu’un Polynésien qui a fait beaucoup d’études, qui est quand même mentalement bien équipé, c’est déjà quand même un Demi [...] Dès lors que c’est un Polynésien que moi j’estime qui est cultivé, déjà pour moi c’est un Demi. »

Cette description reflète explicitement la distinction sociale faite entre « Demis » et « hommes polynésiens », où le fait d’être considéré comme éduqué, « cultivé » ou « moderne » est considéré comme propre aux « Français » ou bien au métissage avec des « Français » ou bien avec des « Chinois » [45], alors que le côté « basique », le « problème de communication », voire le fait d’être moins « bien équipé » mentalement sont souvent associés aux hommes « tahitiens ».

Si ces distinctions sociales, entre représentations sur les hommes « demis » ou « polynésiens », relèvent des discours des femmes « polynésiennes », et en particulier celles en couple avec un homme « métropolitain », ces (dé)valorisations ressortent également des discours de la part de personnes assignées à d’autres catégories sociales imbriquées, y compris de la part des hommes « polynésiens ». Certains de ces derniers évoquent « la chance » ou « la fierté » d’avoir une copine popa’a (« blanche »). D’autres évoquent un avancement dans une échelle d’évolution ou de civilisation grâce à leur conjointe « française ». Un de ces hommes s’est vu au début comme n’étant pas « à la hauteur » de sa femme, de par leurs différences de « catégorie ». On peut voir dans son discours les critères de hiérarchisation qui participent à mettre une conjointe « française » sur un piédestal, en rapport avec sa propre position sociale.

« Je me disais que pour un garçon comme moi, une fille comme elle, on n’était pas fait pour être ensemble […] Peut-être sur la classe de vie. Je la voyais plus aisée, plus homme à cravate […] c’est plus au niveau éducation. Parce que nous, […] à table, on n’a pas le couteau, la fourchette, le verre de vin, le verre d’eau, la petite cuillère. […] Et […] par rapport à son langage, par sa façon de parler […] je pensais encore que je n’étais pas à sa hauteur » (Heiri).

Les « hauteurs » entre leurs « catégories » sont associées à l’éducation, aux manières de table, au langage et à la politesse, c’est-à-dire la maîtrise de codes bourgeois français. Ces derniers sont considérés d’un niveau supérieur, ce qui rendrait l’union avec une femme de sa « catégorie » une « chance » pour sa « catégorie » à lui, en tant qu’« homme tahitien ». En outre, leurs dites différences entre « hauteurs » sont explicitement associées à la notion d’évolution. Heiri avance plus tard que sa conjointe véhicule une culture plus « évoluée ». « Elle connaît plus de choses évoluées par rapport à ici. Nous on est toujours sur la petite base de la vie ». « Nous », les « Tahitiens » seraient en bas de cette fameuse échelle d’évolution en rapport avec « eux », les « Européens ».

Deux points majeurs peuvent être soulignés concernant ces usages de la catégorie de « demi ». D’une part, la différenciation entre « polynésien » ou « tahitien » et « demi » s’appuie sur les statuts socioéconomiques qui, eux, sont associés à une échelle de « modernité », allant des plus valorisés, occidentalisés et dotés d’éducation et de rang social, aux plus dévalorisés, ethnicisés et dotés de peu d’éducation et de rang social dans le système de valeurs capitalistes. D’autre part, la notion de métissage biologique est paradoxalement employée pour conforter des différences ethniques – entre « Tahitien pur » et « Demi métissé » – mais plus spécifiquement en ce qui concerne les hommes. Les différenciations entre « polynésien » ou « tahitien » et « demi » ont été relevés par rapport aux hommes seulement, jamais par rapport aux femmes – pour qui être « polynésienne » relève de l’exotique et du féminin valorisé [46]. Ces (dé)valorisations touchent ainsi plus particulièrement les hommes, plus pénalisés socialement par un manque de statut dans la sphère publique selon le système de valeurs occidentales patriarcales. Ainsi, les procédés discursifs qui distinguent entre hommes « polynésiens » et homme « demis » parviennent à reléguer la catégorie d’« homme polynésien » aux rangs les plus bas des statuts socioéconomiques, et aux antipodes de la « modernité ». Ces processus de stigmatisation s’inscrivent dans un ordre social où les symboles valorisés (dans un système capitaliste postcolonial) et la possession réelle de pouvoir (dans les systèmes institutionnels et économiques) avantagent les uns et pénalisent les autres, selon le genre, les origines ethniques et les statuts socioéconomiques attribués.

1.1 La langue comme vecteur d’hiérarchisation culturelle

Le deuxième usage discursif, mobilisé ici dans l’illustration des inégalités structurelles dans les interactions sociales et symboliques, concerne les jeux d’opposition entre les langues française et tahitienne, employées dans des revendications ou stigmatisations d’identités culturelles. Ces oppositions sont le plus souvent employées à l’avantage du français et au détriment du tahitien. Nous verrons deux volets de ces processus dans les discours de conjoints interviewés, qui révèlent une intériorisation des normes culturelles dominantes. En premier lieu, dans les discours de maints conjoints « métropolitains » notamment, le tahitien peut être dévalorisé, d’une part, comme un langage « limité » ou « pauvre » et, d’autre part, comme étant trop « mélangé » avec le français, ce dernier étant valorisé car « pur ». En deuxième lieu, dans les discours de toute part, la langue française apparait comme la langue de la réussite sociale, et les représentations sociales confondent son niveau de maitrise et le statut social de son locuteur.

Si la déperdition de la langue tahitienne, décrite plus haut, est généralement déplorée, la « pauvreté » générale de la langue tahitienne et son mélange avec le français sont des représentations qui la dévalorisent. On assiste ainsi à une forme d’inversion « raciste », dans le sens d’un « néo-racisme culturel » selon l’expression de Pierre-André Taguieff [47], où la perte de la langue du groupe dominé est attribuée à la langue même, responsable de sa propre déperdition parce qu’inférieure. Car ce sont des raisons avancées par certains « Métropolitains » pour expliquer leur choix de ne pas vouloir l’apprendre ou l’enseigner aux enfants.

A titre d’exemple, un conjoint « métropolitain » décrit la culture « polynésienne » comme « C’est aller à l’essentiel », ce qu’il serait en partie « lié au langage, parce que le langage est assez limité quand même. Elle est limitée en nombre de mots » (Samuel). L’effet de cette dévalorisation de la langue est la dévalorisation du groupe. Le langage comme « limité » est employé comme explication et comparaison métaphorique de la culture, les deux vus comme pragmatiques et limités. Un autre conjoint « métropolitain » fait écho à ces propos :

« c’est une langue très pauvre. […] comme il y a deux fois moins de lettres, il y a deux fois moins de mots pour exprimer quelque chose. Donc un mot signifie plein de choses […]. C’est une langue difficile à appréhender. En plus, on le pratique mal, et il est difficile. Et enfin, il n’y a que deux temps de grammaire dans la langue polynésienne. Le présent et le passé. […] s’ils ne l’ont pas intégré, le temps du futur, c’est parce qu’ils ne le prévoient pas, l’avenir » (Dom)

Cette explication dévoile la façon dont la langue peut être employée comme manière de comparer des groupes ethnoculturels au profit de l’un et au détriment de l’autre. Il soutient en premier lieu que les locuteurs du Tahitien ne sauraient pas s’exprimer du fait du caractère « très pauvre » de leur langue, même si par le même biais il explique la difficulté de l’apprendre en raison de sa complexité. En deuxième lieu, la structure linguistique est employée pour affirmer le stéréotype classique du Tahitien insouciant vivant au jour le jour.

Si le tahitien est parfois considéré « limité » ou « pauvre », le mélange de langues ou le manque de maîtrise du tahitien sont également des arguments qui dévalorisent son usage et sa représentation. La notion de mélange entre langues, vu comme un manque de « pureté » – qui, elle, connote statut social et « bonne » éducation – a comme effet de conforter la dichotomie entre valorisation et dévalorisation, choix d’une langue au détriment de l’autre. Certaines femmes « polynésiennes » auraient, par exemple, autocensuré l’usage de leur langue maternelle, car parlant « plus le tahitien de la rue, pas un tahitien très académique » (Olivier). Selon elles, il faut avoir un bon niveau de langage pour pouvoir le transmettre ; « il ne faut pas mélanger les langues » (Ninirai).

Dans d’autres cas, c’est le conjoint « métropolitain » qui emploie l’argument de la pureté des langues pour contrer l’usage du tahitien au sein de la famille, jusqu’à ce cas extrême. Mélanie décrit la langue tahitienne comme un « charabia » qu’elle n’aurait pas aimé transmettre à ses enfants, déjà grands quand elle est arrivée à Tahiti et a rencontré son conjoint « tahitien ». Tout en se rendant compte de l’ethnocentrisme de ses remarques, elle décrit la langue tahitienne comme une « espèce de charabia », « de langage mou », « très pauvre », qui ne permet pas de comprendre ou « énoncer des trucs compliqués », tout en avançant que la langue de communication n’est « pas vraiment le tahitien » puisque c’est mélangé. Ainsi le « mélange », la notion du manque de pureté, est un procédé qui dévalorise l’usage « appauvrissant » de la langue, elle-même déjà dévalorisée. De même, les personnes qui parlent le tahitien se trouvent stigmatisées comme manquant les moyens – linguistiques – de penser, communiquer et comprendre.

Plusieurs parents évoquent cette priorité accordée au français dans l’éducation des enfants, au détriment d’un apprentissage du tahitien. C’est la priorité « que les enfants parlent bien, qu’ils maîtrisent bien le français » (Leslie). Si la langue tahitienne n’est pas une priorité, bien parler l’est. Les langues doivent rester « pures ». C’est pourquoi Marina, une femme « polynésienne » « n’insiste pas là-dessus » (sur le fait de parler le tahitien) et résiste à l’usage de mots tahitiens éparpillés, autant par ses enfants que par son conjoint. Ainsi, le risque de mélange participe à l’absence de la langue tahitienne dans la famille et dans la transmission intergénérationnelle. Pouvoir la maîtriser demeure difficile, et ne pas pouvoir la maîtriser met en jeu son statut et sa valorisation sociale.

Ceci nous emmène au dernier point concernant les discours sur les langues française et tahitienne. En effet, si le tahitien est délégitimé en tant que langue à transmettre, à travers les oppositions mélangé-pur ou pauvre-riche, la maîtrise du français est, à l’inverse, signe de statut. En premier lieu, ne pas bien le maîtriser est source de « gêne » chez des « Polynésiens » face aux « Popa’a », voire face à une « Américaine » (moi-même) ; le manque de maîtrise de la langue française avait été employé pour expliquer pourquoi quelques conjoints « polynésiens » avaient trop « honte » de me rencontrer pour un entretien. Bruno Saura écrit sur des « Polynésiens » : « Ils sont, en effet, souvent intimidés par la présence d’un Popa’a, gênés de comprendre sa langue mais de ne pas pouvoir répondre aisément dans celle-ci » [48]. Dans cette veine, une conjointe « polynésienne » (Ninirai) dit : « les Françaises ont tous ces côtés français, cultivées, machin, tu maîtrises les mots, alors que le Polynésien, mon dieu, ‘elle va me dire ça’ et ‘qu’est-ce qu’elle me dit’ ». La maîtrise de la langue française met ainsi en jeu l’aisance dans certains milieux sociaux, et est considéré le reflet d’un « certain niveau », d’un statut social, négocié à travers des symboles dont la langue ou la profession.

Pour certains, en parallèle avec les valorisations différentielles considérées plus haut, la langue française, quand elle est bien maitrisée, est associée à un statut socioéconomique plus élevé. Le discours d’une femme « métropolitaine », qui avait décrit le tahitien comme une « espèce de charabia », montre comment peuvent être dissociées les deux langues en termes de « niveau », entre « charabia » ou « une certaine tenue de langage », bien que cet exemple constitue celui le plus radical recensé :

« quand il était à son travail, il était obligé de parler cette espèce de charabia tahitien, parce que là bas il y en a beaucoup des Australes, qui ne parlent même pas tahitien [...] J’oblige quand même un certain niveau, une certaine tenue de langage » (Mélanie)

Les usages linguistiques se découpent en « niveaux », ceux qui « ne parlent même pas tahitien » étant, vraisemblablement, encore moins considérés. Par ailleurs, se dévoilent ainsi les rapports de pouvoir sociétaux sur lesquels elle s’appuie, par le biais des choix linguistiques, pour « obliger » son conjoint à faire usage de la langue française, dominante et mise en valeur.

Enfin, la langue française est le medium de réussite au sein de l’école française et permet donc d’accroître ou de maintenir son statut social. Ceci est le cas pour une conjointe « polynésienne », qui trouve que la langue française est la langue qui permettra aux jeunes non seulement de réussir à l’école, comme nous avons vu dans les arguments les plus fréquents, mais aussi de pouvoir réussir en dehors de Tahiti, en Métropole : « c’est les langues étrangères qu’il faut que les jeunes d’ici puissent parler. Parce que si un jour, si c’est figé le travail ici, ils […] ne sont pas démunis » (Tita). Ainsi, malgré la « perte » symbolique et affective qu’on peut déplorer (« Bien sûr que ça me gêne de perdre la langue »), la langue française devient prioritaire pour soi et dans la transmission aux enfants afin de privilégier la réussite sociale et économique dans le système symbolique et économique, local et global.

Comme il a été écrit par rapport à la Réunion contemporaine, « Pour la plupart des parents, l’utilisation du créole à l’école ne favoriserait pas l’acquisition d’une bonne éducation et, par conséquent, l’obtention d’un statut plus élevé dans la société ». Pour cette raison, ceux, nombreux, qui y parlent le créole et « qui ne parlent généralement pas très bien le français [...] envisagent cette langue comme un moyen pour acquérir un meilleur statut et vivre mieux (au moins pour leurs enfants) » [49]. Il semble que l’on pourrait dire autant à Tahiti concernant les langues polynésiennes et française. Si les unes sont dévalorisées et peuvent être mobilisées pour stigmatiser les personnes qui les parlent et la culture polynésienne, l’autre est la langue de la réussite au sein du système scolaire français et de l’économie capitaliste – postcolonial et désormais mondialisé.

Conclusions : inégalités structurelles, inégalités représentationnelles

Nous avons analysé de près deux mécanismes sociaux qui apparaissent comme des manifestations interactionnelles des inégalités structurelles. En premier lieu, les représentations sur les hommes « polynésiens » ont révélé des manières dont la distribution inégale des ressources matérielles et symboliques se décline dans les stéréotypes ethniques genrés. Les représentations sur les hommes « polynésiens » se distinguent entre degrés fantasmés de « pureté » ethnique, selon l’affichage de symboles de réussite socioéconomique dans le système de valeurs capitaliste. Ces symboles de réussite se confondent, dans les discours, avec des oppositions entre le « moderne » – occidental et valorisé – et le « traditionnel » – souvent dévalorisé et taxé d’être « arriéré ». De cette manière, le symbolique et le matériel (économique) dans l’ordre (post)colonial tahitien parviennent à favoriser la culture et les ressortissants « métropolitains ». Et ce, au détriment de la culture et les ressortissants « polynésiens » – et en particulier les hommes, qui subissent d’autant plus l’injonction de réussite économique dans la sphère publique.

En deuxième lieu, les représentations sur les langues française et tahitienne ont révélé les mécanismes par lesquels les langues locales ne sont que peu transmises aux enfants – au sein des familles dites « mixtes » mais également ailleurs – au profit de la langue de la réussite scolaire, sociale et économique dans un ordre (post)colonial et mondialisé. Surtout, les représentations sur les langues ont révélé les effets pervers de la domination des normes françaises dans ces structures scolaires, sociales et économiques. On témoigne à des dévalorisations des langues locales, décrites comme « pauvres » ou « trop métissées », et mises en opposition avec la « pureté » de la langue française, dont sa maitrise attesterait d’un statut social valorisé.

Si les personnes interviewées ne partagent pas toutes les mêmes idées, perspectives ou conditions sociales, les grandes lignes directrices qui ressortent de l’ensemble des discours mettent en évidence les mécanismes de (re)production de la colonialité du pouvoir en Polynésie française contemporaine. Les discours s’inscrivent ainsi dans un « racisme de tous les jours » [50] : les inégalités inhérentes dans les systèmes et structures macro-sociaux – institutionnels et publics – se reflètent et se produisent dans les micro-interactions – interindividuelles et privées. Ces processus microsociaux sont également structurels. Allant des plus aux moins subtiles, ils passent souvent inaperçus, étant pour la plupart « normalisés » dans les interactions sociales.

L’ensemble des processus de (dé)valorisation à l’échelle interindividuelle, véhiculé même de la part de conjoints en couple dit « mixte », vient à confirmer les effets néfastes d’un système institutionnel encore structurellement inégalitaire. Pour renverser ces mécanismes sociaux de (dé)valorisations selon les appartenances ethnique, de genre et de statuts socioéconomiques, on peut se demander s’il ne faudrait pas donc s’attaquer aux systèmes de pouvoir et de distribution des ressources statutaires et matérielles au sein des institutions. En réduisant la nature coloniale des relations entre la Collectivité et la Métropole, ceci permettrait peut-être de mieux combattre les inégalités représentationnelles, « le racisme genré de tous les jours » [51].

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Résumé : Cet article considère les expressions interactionnelles et discursives de ce qui apparaît comme une « colonialité du pouvoir » en Polynésie française. Il s’agit de considérer l’impact des systèmes institutionnels reliant la Métropole française et sa Collectivité d’Outre Mer – qui participent à distribuer les ressources économiques et les statuts sociaux selon les appartenances sociales (de genre, géographiques et ethniques) – sur les interactions et discours sociaux de tous les jours. Les résultats sont issus de recherches doctorales portant principalement sur les représentations et témoignages des conjoints en union interethnique « métropolitain »-« polynésien » dans les îles de Tahiti et de Moorea. Leurs discours révèlent des (dé)valorisations sociales de catégories ethniques genrées, dont les mécanismes reflètent – tout en participant à (re)produire – les rapports de pouvoir propres aux systèmes politico-économiques hérités de l’époque coloniale.

Mots clés (auteur) : colonialité du pouvoir, couples interethniques, stéréotypes, Polynésie française


Title : The “coloniality of power” in French Polynesia : from the institutional to the intimate

Abstract : This article deals with the interactional and discursive expressions of what appears as “coloniality of power” in French Polynesia. The aim is to consider the impact of the institutional systems that link the French mainland and its overseas Collectivité – which contribute to distributing economic resources and socioeconomic statuses according to social belonging (gender, geographical origin, ethnicity) – on everyday social interactions and discourse. The results are derived from doctoral research which focused primarily on the representations and accounts of partners in interethnic (“Mainlander”-“Polynesian”) couples, in the islands of Tahiti and Moorea. Their discourse reveals social (dis)approval of gendered ethnic categories, the mechanisms of which reflect, all while continuing to (re)produce, the power relations proper to the politico-economic systems inherited from the colonial era.

Key words (author) : coloniality of power, interethnic couples, stereotypes, French Polynesia

NOTES

[1] AFP, 2011, Oscar Temaru veut mettre fin à "170 ans de colonisation" en Polynésie française, Le Monde.fr, 4 septembre, URL : http://www.lemonde.fr/politique/art... , consulté le 15-10-2012.

[2] Jeannelle Jean-Louis, 2010, Gayatri C. Spivak, à l’écoute de l’Autre, Le Monde.fr, 23 avril, URL : http://www.lemonde.fr/livres/articl..., consulté le 28-04-2010. Sur le travail de cette auteure, cf. Spivak Gayatri, 1999, A Critique of Post-Colonial Reason : Toward a History of the Vanishing Present, Cambridge, Harvard UP.

[3] Ahmed Leila, 1996, Moving Spaces. Black Feminist and Post-Colonial Theory, Theory, Culture and Society, 13. 1, pp.139-146, p.143, cité dans Dechaufour Laetitia, 2007, Introduction au féminisme postcolonial et genèse de ce courant, URL : http://www.resistingwomen.net/spip...., consulté le 23-4-2010.

[4] Shohat Ella, 2007, Notes sur le ‘post-colonial’ (1992), Mouvements, 51 : Qui a peur du postcolonial ? Dénis et controverses, pp.80-89, p.84.

[5] Pour un résumé succinct et complet des différentes compétences de l’Etat française en Polynésie française, voir l’article « Données institutionnelles » sur le site du Haut Commissariat qui représente l’Etat en Polynésie française. URL : http://www.polynesie-francaise.pref..., consulté le 27-09-2011.

[6] Essed Philomena, 1995, Understanding Everyday Racism. An interdisciplinary Theory, London, Sage publications.

[7] Quijano Anibal, 2007, ‘Race’ et colonialité du pouvoir, Mouvements, 51 : Qui a peur du postcolonial ? Dénis et controverses, pp.111-118.

[8] Sanna Maria Eleonora, Varikas Eleni, 2011, Introduction, Cahiers du Genre, 50 : Genre, modernité et ‘colonialité’ du pouvoir : penser ensemble des subalternités dissonantes, pp.5-14, p.7.

[9] Grosfoguel Ramón, 2004, Race and ethnicity or racialized ethnicities. Identity within global coloniality, Ethnicities, 4. 3, pp.315-306.

[10] Schuft Laura, 2010, Couples ‘métropolitain’ – ‘polynésien’ à Tahiti. Enjeux de l’ethnicité, du genre et du statut socioéconomique dans un contexte postcolonial, Thèse de doctorat, Université de Nice-Sophia Antipolis. Disponible en ligne sur l’URL : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel..., p.87.

[11] Le terme patriarcat est employé ici dans son sens féministe et non pas anthropologique, à savoir un système général de domination des femmes et de privilèges des hommes, qui se manifestant dans toute la vie sociale (cf. Delphy Christine, 2001, L’Ennemi principal. Tome II : Penser le genre, Paris, Syllepse).

[12] Quijano Anibal, op. cit.

[13] Les entretiens ont été conduits entre 2005 et 2007. Pour tout détail méthodologique complémentaire, l’ensemble de ce travail doctoral peut être consulté en ligne (Schuft Laura, 2010, op. cit.). Notons que les noms des personnes interviewées ont été changés pour respecter leur anonymat.

[14] Schuft Laura, 2010, op. cit.

[15] Schuft Laura, 2010, op. cit.

[16] Collins Patricia Hill, 1990, Black Feminist Thought in the Matrix of Domination, extrait de Black Feminist Thought : Knowledge, Consciousness, and the Politics of Empowerment, Boston, Unwin Hyman, pp. 221-238, URL : http://www.hartford-hwp.com/archive..., consulté le 8-7-2010.

[17] Le tahitien n’est qu’une des plusieurs dialectes de reo ma’ohi (langues polynésiennes) parlés dans la Polynésie française.

[18] Un article sous presse détaille la manière dont les recherches entreprises dans ce travail visaient à articuler les échelles sociales d’ampleur variante, du structurel et macro-social à l’interactionnel. Schuft Laura, sous presse, La mixité conjugale à Tahiti. Au-delà d’une simple affaire de famille, Cahiers de l’URMIS, n° spécial : Articuler différentes échelles : relations microsociales au sein de systèmes mondialisés.

[19] Le Code Pomare, apparu en 1819 sous l’influence des missionnaires anglais et avant la présence française, était majoritairement aboli en 1866 au profit des lois françaises, malgré la promesse que le Protectorat français préserverait ce code de lois établi par la famille régnante. Seules les lois Pomare concernant les terres, les élections locales et les écoles ont survécu à ce stade, ces dernières étant abolies plus tard.

[20] Schuft Laura, 2010, op. cit., p.8.

[21] Sur les attitudes des fonctionnaires métropolitains concernant leur intégration à Tahiti, cf. Schuft Laura, 2007, Attitudes et intégration sociale des fonctionnaires métropolitains à Tahiti, Bulletin de la Société des Etudes Océaniennes, 309, pp.75-104. Cette première partie de l’article reprend par ailleurs plusieurs éléments contextuels présentés dans ce même article.

[22] Après cette date, les lois sur la liberté et l’informatique du 6 janvier 1978 ont été appliqué en Polynésie français, interdisant donc de « collecter des données à caractère personnel qui font apparaître directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques ».

[23] ISPF (Institut de Statistique de la Polynésie Française), 1988, Résultats du recensement général de la population, Papeete, pp. 85, 87.

[24] Le métissage polynésien-chinois « est presque toujours qualifié. On dira par exemple : ‘il est un demi, moitié chinois, moitié tahitien’ » (Trémon Anne-Christine, 2005, Logiques ‘autonomiste’ et ‘indépendantiste’ en Polynésie française, Cultures & Conflicts [En ligne], Articles inédits, URL : http://www.conflicts.org/document17..., consulté le 17-2-2006).

[25] Comme la catégorie dominante de « Blanc » aux Etats-Unis face à celle de « Noir », la première est conçue comme « pure » tandis que « la règle d’une goutte » s’applique à la dernière ; il suffit d’un seul parent, éloigné qu’il soit, pour être socialement catégorisé dans le groupe sociologiquement minoritaire.

[26] ISPF (Institut de Statistique de la Polynésie Française), 1996, Résultats du recensement général de la population, Papeete, tableau MI1.4. Il s’agit de 11.004 individus à Tahiti sur 125.441.

[27] Ce chiffre représente les fonctionnaires ‘expatriés’ : d’une part dans les secteurs de service, territoriaux et militaire, selon un document fourni par le Haut-Commissariat « Agents de l’Etat en Poste en Polynésie Française au Décembre 2002 » ; d’autre part dans le secteur éducatif, dont les chiffres étaient fournis directement par le Vice-Rectorat à Tahiti.

[28] INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques), 2007, Recensement en Polynésie française 2007 : la croissance de la population ralentit depuis 2002, URL : http://www.insee.fr/fr/themes/docum..., consulté le 8-7-2010.

[29] Cf. par exemple Prel Alex du, 2003, Touche pas à mes privilèges, Tahiti-Pacifique magazine, octobre, p.5.

[30] Ce terme est parfois contesté en raison de la conception de l’étendue de la patrie française lorsqu’il s’agit de la Polynésie française contemporaine (cf. Schuft Laura, 2007, op. cit.).

[31] Prel Alex du, op.cit., p.5.

[32] Syndicat National des Lycées et Collèges (SNALC), article « Polynésie », URL : http://www.snalc.fr/votre-statut/d-..., consulté le 23-09-2011.

[33] Poirine Bernard, 1992, Tahiti : Du Melting-Pot à l’Explosion ?, Paris, Harmattan.

[34] ISPF, 1996, op. cit., tableau MI1.13.

[35] En 1996 on comptait en Polynésie française seulement 350 résidents non-français sur une population totale de 219.521 (ISPF, 1996, op. cit., tableau MI1.4).

[36] Bourdieu Pierre, Passeron Jean-Claude, 1970, La reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Minuit.

[37] Taguieff Pierre-André, 1984, Les présuppositions définitionnelles d’un indéfinissable : le racisme, Mots, 8. 8, pp.71-107.

[38] Regnault Jean-Marc, 2005, Enseigner l’histoire coloniale dans les possessions françaises du Pacifique, Hermès [En ligne], URL : http://www.hermes.jussieu.fr/reploi..., consulté le 27-9-2011.

[39] Baré Jean-François, 2002, Le Malentendu pacifique, Paris, Archives contemporaines, p.26.

[40] Schuft Laura, 2010, op. cit., pp.284-286.

[41] Si ces appellations ethniques sont parfois employées comme synonymes, « tahitien » comme « ma’ohi » a plus souvent une connotation racialisante ou biologisante, alors que « polynésien » a plus souvent une connotation plus géographique et inclusive (cf. Schuft Laura, 2010, op. cit., pp.137-140).

[42] Quijano Anibal, op. cit., p.116.

[43] Panoff Michel, 1989, Tahiti Métisse, Paris, Denoël.

[44] Rallu Jean-Louis, Courbage Youssef, Piché Victor, 1997, Old and New Minorities, Paris, John Libbey Eurotext, p.381.

[45] La catégorie de « Chinois » est une autre catégorie ethnique saillant désignée dans les interactions sociales en Polynésie française. Pour plus de détails sur cette catégorie sociale, de nombreux travaux peuvent être consultés, référenciés notamment dans Schuft Laura, 2010, op. cit., pp. 127-130.

[46] Cf. Schuft Laura, 2012, Les Concours de beauté à Tahiti. La fabrication médiatisée d’appartenances territoriale, ethnique et de genre, Corps, 10 : Corps en relations interethniques : migrations, identifications et hiérarchisations, pp.133-142.

[47] Taguieff Pierre-André, 1988, La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, Découverte.

[48] Saura Bruno, 2004, Des Tahitiens, des Français, Tahiti, Au Vent des Iles, p.51

[49] Ghasarian Christian, 2004, Langue et statut à la Réunion, Hermès, 40, pp.314-318, p.317.

[50] Essed Philomena, op. cit.

[51] Cette expression combine les deux concepts décrits par Philomena Essed : « gendered racism » et « everyday racism », afin de mieux décrire la réalité ethnicisée et genrée rencontrée dans de multiples terrains. Il s’agit donc de « everyday gendered racism » (Schuft Laura, 2010, op. cit., p.299).