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Les migrations environnementales entre secteurs d’action publique

Chloé Vlassopoulou
Chloé Anne Vlassopoulou est professeure (Dr. MCF, sc politique) de sociologie des politiques publiques à l’Université de Picardie - Jules Verne (UPJV), membre du CURAPP (CNRS - UPJV), membre des conseils scientifiques du GICC et de PRIMEQUAL (Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable), membre de l’Equipe Editoriale du réseau scientifique (...)

citation

Chloé Vlassopoulou, "Les migrations environnementales entre secteurs d’action publique ", REVUE Asylon(s), N°6, novembre 2008

ISBN : 979-10-95908-10-4 9791095908104, Exodes écologiques, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article848.html

résumé

De nombreuses difficultés font obstacle à l’inscription du problème des migrations environnementales sur les agendas politiques. L’origine de cet échec paraît complexe et en grande partie liée à la spécificité du problème lui-même. Dans un premier temps nous suggèrerons une grille de lecture du mécanisme de définition des problèmes sur l’agenda politique qui permet d’appréhender le blocage que rencontrent actuellement les négociations en cours. Dans un deuxième temps nous analyserons la position du problème des migrations environnementales qui se trouve à cheval entre deux logiques sectorielles distinctes. La solution qui semble se dessiner dernièrement et qui consiste à focaliser le débat sur les seules migrations climatiques simplifie le contenu du problème sans pour autant s’avère pertinente en termes de mise sur agenda. Enfin, nous discuterons de la capacité des secteurs en présence à prendre en charge les différentes dimensions du problème par un redéploiement des moyens d’action publique disponibles au niveau international.

Les articles et débats relatifs aux déplacements des populations suite à des crises environnementales ne cessent d’augmenter. Les chiffres supputés sur les futurs déplacés de l’environnement ont souvent un aspect effrayant. Pourtant aucune définition officielle de cette catégorie de migrants et aucune politique de protection ne sont adoptées aujourd’hui tant au niveau national qu’international.

La réponse le plus souvent apportée à ce ‘déni d’agenda’ (Cobb R.V. & Ross M.H., 1997) est que les acteurs chargés de l’application de la Convention de Genève s’opposent à une telle reconnaissance de peur de voir affaiblir le respect du droit d‘asile. L’effort des défenseurs d’une politique ad hoc pour les migrants de l’environnement consiste ainsi à persuader la communauté politique que les migrants de l’environnement constituent également une catégorie de persécutés et que de ce fait ils doivent être protégés de la même façon que les personnes bénéficiant du cadre établi par la Convention de Genève (Myers 1997, Conisbee et al., 2003). Cette crainte de la part des acteurs spécialisés dans la protection des réfugiés ‘politiques’ n’est pas complètement infondée même si elle est exacerbée en raison du contexte marqué par un souci de fermeture des frontières, surtout dans les pays occidentaux, aux populations étrangères.

Une autre explication donnée à ce phénomène de déni d’agenda est liée à l’incertitude qui règne en la matière. 200 millions de migrants environnementaux sont annoncés pour 2050 sans qu’aucune certitude n’existe aujourd’hui sur ces scénarios apocalyptiques ni même sur les causes qui sont censées les produire (Castel S., 2002, Black R., 2001). L’action politique ne peut pourtant viser que le court et moyen termes, mieux adaptés au mandat des gouvernants qui refusent systématiquement de s’engager sur des investissements lourds dont la valorisation politique ne peut porter ses fruits que dans un avenir qui leur échappe. En réponse à cette situation, de plus en plus d’études de cas sont sollicitées pour montrer que les migrants de l’environnement sont déjà là ou en train d’émerger et que donc l’action publique dans ce domaine est devenue une urgence.

Cependant, pour de nombreuses raisons, des difficultés font obstacle à l’inscription du problème des migrations environnementales sur les agendas politiques. L’origine de cet échec paraît complexe et en grande partie liée à la spécificité du problème lui-même. En particulier, la plurisectorialité de cet enjeu implique la mobilisation de secteurs d’action publique ayant des objets d’intervention différents et étant traversés par des rationalités différentes non facilement conciliables. Les spécialistes de chacun de ces secteurs ayant de surcroît suivi des formations spécifiques rendent tout processus de négociation assez laborieux. Un accord sur la définition du problème et sur la politique à mettre en place devient ainsi particulièrement difficile.

Dans un premier temps nous suggèrerons une grille de lecture du mécanisme de définition des problèmes sur l’agenda politique qui permet d’appréhender le blocage que rencontrent actuellement les négociations en cours. Dans un deuxième temps nous analyserons la position du problème des migrations environnementales qui se trouve à cheval entre deux logiques sectorielles distinctes. La solution qui semble se dessiner dernièrement et qui consiste à focaliser le débat sur les seules migrations climatiques simplifie le contenu du problème sans pour autant s’avère pertinente en termes de mise sur agenda. Enfin, nous discuterons de la capacité des secteurs en présence à prendre en charge les différentes dimensions du problème par un redéploiement des moyens d’action publique disponibles au niveau international.

I/ Un processus définitionnel perturbé

Les problèmes publics se présentent comme des poupées russes les uns inclus dans les autres. Si l’on prend l’exemple des migrants environnementaux nous pouvons construire un tel enchaînement de problèmes : les émissions de "gaz à effet de serre" (GES) est un problème qui a pour conséquence le changement du climat. Le changement climatique est un problème en soit qui a, parmi d’autres conséquences, celle de la désertification. La désertification est aussi un problème public faisant l’objet d’une politique publique et ayant ses propres conséquences comme la perte de la biodiversité, la famine, le déplacement des populations. Ces populations déplacées peuvent devenir un problème public autonome suscitant de nouvelles conséquences (comme les conflits, l’appauvrissement culturel et économique des territoires de départ, etc.). Mais ils peuvent aussi être perçus comme une des conséquences de la désertification.

Comme le rappelle, M. Edelman (1991) très peu de situations sont reconnues comme problèmes publics et inscrits sur l’agenda politique. L’inscription d’un problème sur l’agenda politique ne survient pas automatiquement. Elle dépend de différents paramètres pas forcément liés à la gravité des situations en question. De problèmes graves peuvent rester longtemps loin de l’attention des gouvernants alors que d’autres, peut-être moins pressants, peuvent faire l’objet de mesures courageuses. La reconnaissance officielle d’un problème signifie allouer un budget, répartir des compétences, désigner des responsables. En ce sens, la définition (ou pas) d’une situation comme problème et son inscription (ou pas) sur l’agenda sont des opérations éminemment politiques qui impliquent la recherche d’un compromis entre acteurs multiples soutenant des positions différentes.

Pour reprendre l’expression de D. Stone (1997) la définition d’un problème est un enjeu de pouvoir puisqu’elle divise les acteurs en gagnants (qui profitent de la reconnaissance du problème) et en perdants (qui vont en subir de conséquences). Ces gains et pertes peuvent être matériels ou symboliques. Par exemple la reconnaissance des migrants environnementaux renforcera la positions de l’agence chargée de gérer ce problème qui verra son budget et probablement son personnel augmentés. Elle aidera aussi les populations touchées par la dégradation de leur environnement qui bénéficieront de certaines mesures. En revanche cette même reconnaissance peut s’avérer néfaste pour le secteur de l’asile. Elle risque aussi de rencontrer le mécontentement des grandes sources de pollutions, principales accusées dans la dégradation de l’environnement.

Lorsqu’une situation se transforme en problème public elle fait l’objet d’un double débat définitionnel. Il s’agit d’abord d’un débat portant sur les causes du problème ("en quoi consiste le problème ?"). Ce débat distribue entre acteurs le coût de la résolution du problème (qui devra payer et qui sera le bénéficiaire), précise les masures à adopter et les agents responsables de leur mise en œuvre. Il s’agit ensuite un débat sur les conséquences du problème ("pourquoi cette situation constitue un problème ?"). Ce débat non seulement sert de justification qui légitime à des degrés divers les autorités politiques (nous agissons pour protéger l’environnement, pour garantir la sécurité…, etc.) mais aussi un moyen de reconnaissance de l’autorité de ceux qui peuvent décider de la politique à adopter (Vlassopoulou C.A., 2007). Si par exemple les conséquences mises en avant sont environnementales, une agence ayant compétence en matière de l’environnement serait plus légitimement chargée du problème, si elles sont humanitaires ce serait plutôt une agence chargée des affaires humanitaires qui paraîtrait la mieux adaptée.

La plurisectorialité qui caractérise la question des migrations environnementales depuis la définition proposée par E. El-Hinaoui en 1985 perturbe ce double processus définitionnel empêchant l’identification d’un problème public autonome. Les causes évoquées comme étant à l’origine du problème renvoient majoritairement à différents phénomènes de dégradation environnementale qui relèvent traditionnellement du secteur de l’environnement tant au niveau national qu’international [1]. En revanche, les conséquences du problème ne sont pas environnementales. Elles relèvent du secteur humanitaire (souffrance humaine), du secteur du développement (appauvrissement des régions), ou bien du secteur de la sécurité (risque de conflit), Pour le dire autrement la gravité du problème n’est pas justifiée en référence à la dégradation de la qualité du milieu mais en référence aux conditions de vie et de survie des hommes. La définition des causes du problème implique naturellement l’intervention des autorités chargées de la lutte contre la dégradation de l’environnement. La définition des conséquences en revanche implique l’intervention d’autres secteurs.

La communauté de politique publique la plus à même de lutter contre la dégradation environnementale aussi bien au niveau national qu’international comporte des acteurs du secteur environnemental (le PNUE, les grandes NGO de l’environnement, les ministères de l’environnement, les associations et agences locales). La communauté de politique publique mobilisée autour des questions de déplacements humains est très différente. Elle peut mobiliser des acteurs comme le UNHCR, le UNDP, l’OCHA, l’OIM, les ministères de l’intérieur, les ONG humanitaires.

Chacune de ces communautés a sa rationalité, recrute dans différentes sphères expertes et déploie des modes d’action en réponse à des objectifs spécifiques. Plus spécifiquement le secteur de l’environnement est construit dans les années 70 autour d’une vision écocentrique et contre la vision anthropocentrique jusque-là dominante (Theys J., 2007). L’environnement constitue une nouvelle valeur autonome devant être protégée en soi et non plus au nom de la santé humaine. Les nouvelles politiques de l’environnement se basent sur la notion de responsabilité qui se matérialise par le principe « pollueur – payeur ». Elles s’appuient aussi sur les principes de prévention et de précaution qui visent à circonscrire le développement économique pour limiter les risques environnementaux. En revanche, tant le secteur humanitaire que celui du développement ou de la sécurité se développent par excellence autour d’une vision anthropocentrique. Il s’agit de protéger les êtres humains et leur garantir de meilleures conditions de vie. Dans ces secteurs la notion de responsabilité individuelle trouve difficilement sa place. Les interventions lors des crises humanitaires ou sécuritaires s’inscrivent dans le registre de l’urgence et ne cherchent pas toujours à identifier les responsables ni à leur transférer les coûts assumés essentiellement par la collectivité.

Dans un tel contexte, les migrations environnementales peuvent faire l’objet de politiques publiques très différentes selon les secteurs impliqués. Le secteur environnemental portant essentiellement sur les causes du problème peut proposer soit des actions a priori qui visent à freiner les activités et projets portant atteinte au milieu et aux ressources naturelles (politiques d’atténuation), soit des actions de restauration a posteriori, en exigeant des pollueurs d’internaliser les effets externes de leur activité de production. Le secteur humanitaire se concentre surtout sur les conséquences du problème en proposant des mesures a posteriori de soulagement de la souffrance humaine par la collectivisation des coûts induits. Le secteur sécuritaire porte plus spécifiquement sur des mesures réglementaires de prévention et de gestion des flux migratoires. Le secteur du développement propose surtout des actions a priori afin de susciter la croissance et améliorer les conditions de vie évitant ainsi le déplacement des populations. Alors que toutes ces réponses politiques à l’enjeu des migrations environnementales sont également valables et pertinentes ni les objectifs visés (protection de l’environnement / protection de l’homme), ni les moyens utilisés (contrainte, sanction, secours, incitation) ne permettent un rapprochement de ces scénarios d’action publique.

II/ Vers une définition simplifiée ?

Comme le remarque D. Stone (1997) un problème n’est jamais pris en considération sur l’arène publique dans toutes ses dimensions. Pour faire l’objet de politique publique il doit être défini de manière simplifiée. La tentative, ces dernières années, de définir de manière restrictive les migrants de l’environnement en tant que migrants climatiques en constitue une manifestation. Cette tentative a pour effet de fixer l’attention sur la partie du problème vraisemblablement la plus importante numériquement. Or, non seulement elle laisse de côté les autres dimensions du problème mais aussi elle dilue le problème dans l’enjeu englobant du changement climatique qui rend le discours sur les migrations difficilement audible.

Les différentes dimensions perceptions et approches que comporte ce problème conduit les spécialistes à chercher une clarification du terme. Ceci passe par un processus d’inclusion et d’exclusion qui qualifie in fine ceux qui seront protégés par la mise en place d’une politique publique et les autorités responsables. De plus en plus, ces dernières années, le migrant de l’environnement s’identifie au migrant climatique. C’est par exemple le choix effectué par les Verts européens lors de l’organisation d’une conférence au Parlement Européen en juin 2008. C’est aussi l’orientation que prennent les discussions encore informelles au sein de différentes structures onusiennes.

Cette évolution pourrait être qualifiée de ”double faute d’agenda”. D’une part elle exclut du débat public des catégories de population qui ne peuvent plus espérer une protection et un dédommagement lors des accidents de pollutions, des dégradations intentionnelles de l’environnement ou des grands travaux d’aménagement. D’autre part, la position privilégiée que tient le changement climatique sur les agendas politiques ne semble pas profiter aux migrants climatiques comme l’auraient espérer les défenseurs de ce rapprochement. Paradoxalement, l’annexion de la problématique migratoire au changement climatique tend à freiner la définition des migrants environnementaux en tant que problème public autonome.

Soutenu par les rapports du GIEC, le changement du climat planétaire est imposé sur les agendas international et nationaux comme une préoccupation publique majeure. Des moyens humains et financiers importants sont engagés tant pour la recherche que pour l’élaboration des mesures. Or cette force ne semble pas profiter au problème des migrants environnementaux car la façon de définir le changement climatique et les politiques mises en places ne laissent pas de place de discussion pour cet enjeu.

Historiquement depuis 1992 la politique de lutte contre le changement climatique est passée d’une démarche environnementale classique à une démarche développementaliste. La première politique organisée autour de la convention cadre et le protocole de Kyoto, applique les principes de prévention et de pollueur-payeur en proposant des engagements juridiquement contraignants en vue de la diminution des émissions de GES (stratégie d’atténuation). Dans ce cadre, l’objectif à atteindre est l’équilibre écologique, en particulier l’équilibre du système climatique et pas la protection des populations touchées par le réchauffement de la planète.

Cette approche environnementale s’est avérée insuffisante. Non seulement par manque d’engagement de certains pays pollueurs mais aussi par une application inefficace du système de quotas lié au coût qu’il implique pour le secteur de la production. Les impacts du changement climatique considérés d’ores et déjà inévitables (GIEC, 2007), le discours sur l’atténuation commence progressivement à s’affaiblir donnant place au besoin de développer des stratégies d’adaptation. Cette évolution devient apparente lorsque l’on regarde les différents intitulés des rapports successifs publiés par le 2ème groupe de travail du GIEC : 1990 : ‘Impacts Assessment of Climate Change’ ; 1995 : ‘Impacts, Adaptation and Mitigation of Climate Change’ ; 2001 : ‘Climate Change 2007 : Impacts, Adaptation and Vulnerability.

L’accent est dès lors mis sur les régions les plus vulnérables, ce qui coïncide le plus souvent avec les régions les plus pauvres ne disposant pas des infrastructures nécessaires pour faire face au réchauffement de la planète (sécheresse, montée des eaux, événements extrêmes). Autrement dit, les politiques environnementales n’apparaissent plus comme la seule, ni même comme la principale réponse au problème. C’est le transfert de technologies et le développement d’infrastructures adaptées qui deviennent aujourd’hui le maître mot. Ni le secteur de l’environnement, ni le secteur de l’humanitaire n’apparaissent dans ce cadre conceptuel comme le centre d’impulsion d’une nouvelle politique publique. Définis comme un problème d’adaptation, le changement climatique fait du secteur du développement le principal espace d’élaboration d’une nouvelle politique.

Comme le signalent des agents du secteur humanitaire « la logique des politiques de développement ne rencontre pas la logique des politiques d’aide humanitaire » [2]. Il n’en va pas de même de l’environnement qui depuis la Conférence de Rio n’est plus défini comme opposé mais comme partenaire du développement durable. Cependant, la notion de développement durable traduit l’intégration de l’environnement dans le besoin de développement humain qui demeure l’objectif primordial et non vice-versa [3]. Ni le secteur de l‘environnement ni le secteur humanitaire qui ont porté jusque-là la question des M.E au sein de différents espaces de débat public, ne semblent jouer un rôle moteur dans le processus d’élaboration des politiques en matière de changement climatique. En revanche, avec l’accent mis sur les stratégies d’adaptation, le secteur du développement voit son rôle renforcé. Les politiques envisagées dans cette nouvelle perspective d’action n’intègrent pas la question des migrations environnementales qui est même en contradiction avec la démarche adoptée : se pencher sur cet enjeu signifie reconnaître par anticipation l’insuffisance des efforts d’adaptation. Pour le dire autrement, dans la problématique de l’adaptation au changement climatique, les migrations environnementales deviennent un non enjeu [4].

III/ Une ou des politiques pour protéger les migrants de l’environnement ?

L’évolution du débat fait apparaître deux stratégies d’action développées ces vingt dernières années en vue de répondre aux besoins des populations obligées de quitter leur territoire devenu inhabitable. La première stratégie consiste à rechercher une définition large acceptée par tous et incluant toute cause environnementale génératrice de déplacements. La deuxième stratégie consiste à promouvoir une définition restrictive limitée aux migrants touchés par le réchauffement climatique. Dans les deux cas le passage du discours à l’action ne s’est pas produit.

La stratégie de la définition large achoppe d’abord sur une conjoncture politique défavorable. Dans un contexte de fermeture des frontières, le discours alarmiste sur les futurs millions de migrants environnementaux ne fait paradoxalement que renforcer la tendance plutôt qu’alerter l’opinion sur le besoin d’une action immédiate. Parallèlement, les cas de figure inclus dans cette définition sont tellement diversifiés qu’une identification claire du migrant environnemental devient difficile. Enfin, la pluralité des acteurs en présences avec de perceptions et des intérêts différents renforce la conflictualité et paralyse l’élaboration d’une action concrète. La définition restrictive, nous l’avons vu, aboutit à l’incorporation du problème des migrants dans la problématique du changement climatique. Il s’agit en quelque sorte d’une régulation ex ante du problème par l’imposition d’une approche qui consiste à aider les régions à s’adapter au changement de façon à ce que les populations ne se voient pas obligées de fuir leurs terres. Si l’identification du migrant climatique paraît ici plus évidente que dans le cas d’une définition extensive, le rapprochement entre migrations et changement climatique tend à écarter la première question de l’agenda politique et à renforcer l’importance de la seconde. Dans ce contexte de blocage, une démarche respectueuse de la structuration de l’espace public qui impose à la fois la sectorisation et la simplification des problèmes pourrait s’avérer plus consensuelle et dès lors apte à offrir un premier cadre de protection aux personnes qui quittent leur lieu de vie en raison d’un environnement dégradé.

Il n’y a pas a priori un secteur d’action publique plus compétent que les autres en la matière. Il y a différents secteurs abordant différentes dimensions d’un même problème par définition complexe. Chaque secteur dispose d’une série d’instruments d’action propres qu’il mobilise ou peut mobiliser en faveur des migrants environnementaux. Le découpage du problème en plusieurs enjeux relevant de cadres de négociation et d’action différents pourrait dès lors faciliter une mise sur agenda progressive du problème et l’adoption de mesures concrètes.

Un critère pertinent pour procéder à un tel découpage consiste en la possibilité ou pas d’identifier des responsables et de leur attribuer les coûts de dédommagement. C’est la capacité d’attribution des responsabilités qui guide la définition des causes du problème et donc des compétences au sein de l’espace public. A partir de ce critère et en s’appuyant sur le recensement que fait Lonergan (1997) des différentes causes de migrations environnementales trois arènes de négociations différentes et trois pôles de compétences deviennent apparents.

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Ce tableau présente 3 cas de figure : celui où les auteurs de la dégradation de l’environnement sont plus ou moins identifiables et contraints d’assumer les coûts des préjudices qu’ils génèrent ; celui où il ne peut pas y avoir attribution de responsabilités ; enfin, celui où les auteurs sont identifiables mais leur responsabilité est non assumée. Dans chacune de ces configurations le mécanisme de prise en charge des personnes déplacées diffère. Parallèlement, la position des personnes touchées n’est pas la même. Une distinction est ainsi proposée entre victimes environnementales, sinistrés environnementaux et réfugiés environnementaux.

Dans le premier cas de figure, de pollueurs sont reconnus et les autorités publiques peuvent organiser des systèmes de dédommagements. Ici nous pouvons inclure La majeure partie des causes mises en avant comme génératrices de migrations environnementales peuvent figurer ici :

La désertification est un problème avant tout imputée à l’homme et aggravé par certains phénomènes naturels, comme une longue période de sécheresse, eux mêmes en partie liés au comportement humain (surexploitation des terres, persistance de pratiques agricoles irrespectueuses de l’environnement). La déforestation est également un problème principalement lié au comportement humain (surexploitation des ressources forestières, transformation des terres boisées en espaces agricoles, incendies volontaires). Le réchauffement climatique est imputé aujourd’hui en grande partie à l’activité humaine. Enfin, les accidents industriels constituent un autre cas mettant en cause le comportement des pollueurs bien identifiables.

De textes internationaux ou nationaux existent sur l’ensemble de ces problèmes (Convention sur la lutte contre la désertification, Convention sur la biodiversité, Convention cadre sur le réchauffement climatique, Convention sur la prévention des accidents industriels, etc.). De manière plus ou moins explicite, ces textes prennent en considération l’interaction homme-nature et reconnaissent le besoin de réparation et de dédommagement. A titre d’exemple, la Convention sur la lutte contre la désertification reconnaît explicitement la liaison entre environnement et migrations en parlant de « la corrélation qui existe entre les phénomènes de désertification, de sécheresse […] et ceux qui découlent des migrations, des déplacements de populations et de la dynamique démographique  » (Préambule). Dans les objectifs affichés elle vise les populations touchées en recherchant à l’amélioration de leurs conditions de vie, en particulier au niveau des collectivités locales (article 2). La Convention sur la biodiversité reconnaît « la dépendance des communautés indigènes locales et de leur mode de vie traditionnel du maintien des ressources biologiques ». Elle met surtout l’accent sur les « pays en développement et surtout aux régions arides, semi-arides, littorales, montagneuses caractérisées par un environnement vulnérable » - étant simultanément les plus touchées par les migrations - (article 20). Ainsi des aides aux populations locales sont prévu pour développer des actions curatives et une coopération entre les gouvernements et les exploitants des ressources forestières pour une utilisation durable de ces ressources (article 10). La Convention cadre sur le réchauffement climatique et le Protocole de Kyoto mettent explicitement en liaison la production des gaz à effet de serre et les impacts néfastes sur certains pays écologiquement vulnérables. Les victimes du réchauffement climatique sont identifiées par la Convention cadre sur le réchauffement climatique dans l’article 4 : « les pays développés …fournissent des ressources financières nouvelles et additionnelles […] pour répondre aux besoins et préoccupations spécifiques face aux effets néfastes des changements climatiques … notamment dans les pays insulaires, ayant des zones côtières de faible élévation, des zones arides et semi-arides, des zones sujettes au dépérissement des forêts […].,à la sécheresse et à la désertification ». Le protocole de Kyoto ajoute à la Convention de 1992 une obligation des pays industrialisés signataires de baisser leurs émissions de gaz à effet de serre. A cette occasion une liste encore plus précise des secteurs et sous-secteurs responsables du réchauffement est citée en annexe A du Protocole. Aux côtés de ces textes il faudra ajouter des principes transversaux comme le principe 13 de la Déclaration de Rio indiquant que « Les Etats doivent élaborer une législation nationale concernant la responsabilité de la pollution et d’autres dommages à l’environnement et l’indemnisation de leurs victimes ».

Si le terme ‘migrant environnemental’ n’est pas utilisé dans ces textes, une série d’outils sont proposés par le secteur environnemental pour envisager une meilleure protection et compensation de ces victimes. Cependant ce secteur est plus intéressé aujourd’hui à la lutte contre la dégradation environnementale qu’aux victimes de cette dégradation. Une démarche moins écocentrique reconnaissant l’homme comme objet protégé par les règles environnementales est donc nécessaire. Cela pourrait permettre la mise en place d’un fonds spécial financé par les activités polluantes en vue de porter secours aux victimes de la dégradation environnementale. Ce fond pourrait être rattaché au Fond Mondial pour l’environnement (GEF) institué en 1991. Son rôle consistant à financer des projets et programmes des pays en voie de développement pour la protection et l’amélioration de l’environnement global se verrait ainsi élargi.

Dans le deuxième cas de figure il ne peut pas y avoir d’attribution de responsabilités car la crise environnementale et le déplacement des populations est le résultat de perturbations dites naturelles. Le secteur humanitaire mobilise un grand nombre d’agences onusiennes et extra-onusiennes interagissant au sein d’un réseau complexe de secours et d’assistance aux sinistrés de différentes catastrophes sans distinction entre les causes à l’origine de ces crises. Qu’il s’agisse des gens déplacés suite à une catastrophe naturelle, à une dégradation environnementale ou un conflit mais ne relevant pas de la convention de Genève le même mécanisme d’aide est mobilisé, sollicitant les mêmes sources de financement (en particulier, Central Emergency Revolving Fund (CERF), Common Humanitarian Fund (CHF) et Emergency Response Funds (ERFs)) (P. Walker & K. Pepper, 2007 :34). Aucune possibilité d’identification d’une catégorie spécifique de migrants n’est envisageable dans ces conditions. La question qui se pose bien sûr ici est de savoir où situer la ligne de séparation entre origine naturelle et origine anthropique d’une catastrophe. La réponse, comme pour tout problème public, ne peut être que politique. S’appuyant sur l’expertise du GIEC, les pays membres de l’ONU doivent fixer des cadres de responsabilités qui préciseront non seulement le partage des compétences et les formules de collaboration entre secteurs mais aussi les divers fonds de financement mobilisables [5].

Dans le troisième cas nous somme face à un déni de responsabilité au sens où les auteurs des dégradations environnementales refusent de prendre en charge les victimes et aucune possibilité de contrainte n’existe étant donné que ces auteurs sont les autorités censées protéger l’environnement et les personnes sinistrées. Nous pouvons inclure dans ce cas la réalisation de grands travaux d’aménagement qui engendrent la disparition de villages entiers et le déplacement de milliers ou millions de personnes qui parfois ne sont pas aidés dans leur réinstallation. Nous pouvons aussi inclure ici la dégradation stratégique de l’environnement lors des conflits armés. Dans les deux cas, mais pour des raisons différentes, ces personnes ne peuvent pas compter sur l’assistance de leur Etat. Face à ces cas de « déni de responsabilité » une réflexion doit être menée en vue de permettre une interprétation de la Convention de Genève de sorte que ces migrants puissent revendiquer le statut de ‘réfugié’. Pour cela une démarche moins anthropocentrique reconnaissant l’environnement comme source de migration forcée sera nécessaire. Leur nombre étant relativement limité, le risque de fragilisation de cette Convention se voit amoindri. Par ailleurs, le même dispositif ainsi que la Convention sur l’apatridie qui nécessite une plus grande reconnaissance au sein de la communauté internationale pourraient venir en aide dans des cas extrêmes de disparition d’un Etat suite à une dégradation grave et irrémédiable de son environnement. Le rapport du comité exécutif du programme du Haut Commissaire sur l’apatridie qui en 2006 incitait à une meilleure mobilisation pour l’identification, la prévention et la réduction des cas d’apatridie et la protection des apatrides, pourrait servir de moteur pour une évolution dans ce sens.

Dans un espace institutionnel national et international à la fois structuré et sectorisé la prise en charge des différentes dimensions du problème nécessite la mise en place d’un organisme de coordination chargé de la qualification des exodes écologiques qui conditionnerait la répartition des coûts et des compétences. F. Biermann et P. Pattberg (2007) parlent en ce sens de fragmentation intégrative. Certains auteurs proposent la mise en place d’un comité spécifique doté d’un fond propre (F. Biermann & I. Boas (2007). L’O.I.M. en tant qu’organisme international ayant une mission transversale en matière migrations pourrait également servir de médiateur pour une mise en cohérence des actions pluri-sectorielles et de leur financement.

Une telle tentative d’imposer un problème autonome de migrations environnementales rencontre de multiples oppositions renforcées par un contexte de fermeture des frontières occidentales.

L’environnement est source de souffrances humaines et écologiques et tant la prévention de sa dégradation que le soutien à ceux qui souffrent de cette dégradation sont nécessaires. Cette affirmation ne doit pas pourtant cacher la complexité du rapport ‘homme-nature’ reflété par la pluridimensionnalité et la plurisectorialité des migrations environnementales en tant qu’objet d’intervention publique. Ni cette complexité, ni le contexte politique en présence ne facilitent la mise sur agenda d’un problème public autonome. En revanche une multitude d’instruments existe déjà au niveau international pouvant permettre d’aborder les différentes dimensions du problème par différents secteurs en respectant leurs compétences et leur rationalité d’action. Cette démarche a l’avantage de mettre l’accent sur le partage des responsabilités et des coûts entre pollueurs et communauté internationale. L’action humanitaire ne doit pas dissimuler la présence des auteurs bien identifiable de la dégradation de l’environnement. Elle ne doit pas non plus se substituer à eux a priori, ce qui se traduirait en un acquittement du pollueur. Les pollueurs doivent participer à l’internalisation des coûts qu’ils génèrent autant que la communauté doit assister les personnes en souffrance et les Etats accueillir les populations en mal d’Etat.

C.A. Vlassopoulou Université de Picardie Jules Verne, CURAPP/CNRS

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NOTES

[1] A l’exception du déplacement des populations suite à la construction de barrages impliquant d’autres secteurs d’action publique comme celui de l’aménagement.

[2] Entretien personnel auprès d’un agent de l’OCHA/O.N.U.

[3] Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le débat relatif au mouvement décroissanciste tel que formulé par N. Georgescu-Roegen (1979) ou plus récemment par B. Christophe (2007). Il s’agit juste de mettre l’accent sur le fait que à travers la notion du développement durable le secteur de l’environnement se voit dilué dans une dynamique qui le dépasse et qui l’englobe.

[4] Des entretiens personnels auprès des agents du PNUD on permis de constater l’absence de prise en considération aujourd’hui de la question migratoire dans le processus d’élaboration des stratégies d’adaptation au changement climatique.

[5] N.P. Gleditsch et al. (2007 :10) proposent la tenue d’une session spéciale de l’Assemblée Générales des Nations Unies pour discuter des enjeux liés au changement climatique dont le risque de déplacements massifs de populations.