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6| Exodes écologiques
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Introduction de "Exodes écologiques : l’environnement source de migrations"

Chloé Vlassopoulou
Chloé Anne Vlassopoulou est professeure (Dr. MCF, sc politique) de sociologie des politiques publiques à l’Université de Picardie - Jules Verne (UPJV), membre du CURAPP (CNRS - UPJV), membre des conseils scientifiques du GICC et de PRIMEQUAL (Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable), membre de l’Equipe Editoriale du réseau scientifique (...)

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Chloé Vlassopoulou, "Introduction de "Exodes écologiques : l’environnement source de migrations" ", REVUE Asylon(s), N°6, novembre 2008

ISBN : 979-10-95908-10-4 9791095908104, Exodes écologiques, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article842.html

Mots clefs

Est-ce qu’ils existent réellement ? (Peut-on établir une distinction nette entre les différentes causes de déplacement : économiques, sociales, politiques, écologiques ?) Qui sont-ils ? (S’agit-t-il de victimes d’accidents industriels, de sinistrés de la sécheresse, des cyclones et de la montée des eaux, de victimes de la terre brûlée, de déplacés de l’aménagement ?) Comment les qualifier ? (Réfugiés environnementaux, réfugiés écologiques, réfugiés climatiques, migrants environnementaux, déplacés de l’environnement ?) Comment les protéger ? (Par l’extension de la Convention de Genève, par l’invention d’une nouvelle Convention, par des accords territorialisés, par une meilleure utilisation des instruments présents ?).

Ces questions occupent les controverses scientifiques et politiques depuis plus de vingt ans empêchant la reconnaissance officielle d’un problème public nouveau et la mise en place d’une politique publique ad hoc. Paradoxalement, les plus ardents défenseurs d’une telle évolution bloquent par leur discours sa survenue. • La volonté d’une reconnaissance large incluant toutes les personnes souffrant d’une dégradation environnementale génère des chiffres extraordinaires de migrants quittant leurs terres pour trouver refuge ailleurs. Dans une période de fermeture des frontières dans le monde occidental, ces annonces plutôt que d’être perçues comme une urgence humaine et humanitaire sont traduites en risque sécuritaire renforçant encore plus le confinement. • La volonté de qualifier ces personnes de « réfugiées », en vue de leur garantir une protection forte équivalant à celle prévue par la Convention de Genève, suscite la perplexité parmi les spécialistes du droit et des politiques de l’asile. Alors que cette communauté est, plus que toute autre, sensible à la question des personnes forcées de quitter leur lieu de vie, elle exprime son scepticisme face à une telle revendication, non pas par volonté d’ignorer ces personnes, mais plutôt pour protéger ceux qui sont aujourd’hui reconnus comme ayant droit à une protection internationale. • La volonté de mettre en place de nouveaux instruments légaux de protection et de compensation nécessite une clarification des compétences administratives et surtout la reconnaissance d’une autorité responsable en la matière. Face à la complexité de cet enjeu, dont les causes sont environnementales mais les conséquences sont sociales, le conflit entre secteurs d’action publique impliqués se voit exacerbé.

Comment situer le présent numéro dans la bibliographie parue jusque-là en la matière ? Dans ce volume tous les articles reconnaissent que les dégradations de l’environnement constituent une cause de déplacement de populations et que des mesures doivent être adoptées pour garantir à ces populations des conditions de vie respectueuses des droits de l’homme. Cependant le lecteur ne trouvera pas la réponse aux questions définitionnelles et réglementaires encore en suspend. Chaque auteur utilise le terme qui lui paraît le plus pertinent en fonction du regard qu’il porte sur le sujet (réfugié, déplacé, migrant environnemental, écologique, climatique…). Plutôt que prolonger le vieux débat définitionnel, c’est la reconnaissance du phénomène d’exodes écologiques en tant qu’urgence environnementale, sociale et politique qui constitue ici le point commun entre les différentes contributions. Si un consensus ne peut être trouvé sur la qualification et le régime de protection des personnes touchées par les crises environnementales ceci ne doit pas bloquer l’évolution du débat et la recherche de moyens d’action et de réponses ne serait-ce que partiels. Le changement radical dans les politiques publiques étant plutôt une exception, il importe de mettre l’accent sur le processus d’évolutions cumulatives sources de renouveau dans l’action publique.

En tirant profit du corpus bibliographique existant les auteurs font avancer la réflexion par des éclaircissements et des propositions portant sur différentes dimensions du processus politique en cours. Certaines thématiques reviennent à plusieurs reprises donnant lieu à des positions diverses et parfois contrastées. Les instruments juridiques et politiques en présence permettent-ils la prise en charge des personnes déplacées suite à une dégradation environnementale grave ? Est-ce qu’il faut fonder la gestion des exodes écologiques sur un système de répartition des responsabilités ? Comment gérer les contraintes imposées par la complexité qui caractérise cet enjeu ? Les différentes disciplines qui sont mises à contribution dans ce volume (le droit, la science politique, la philosophie, la sociologie, la géographie) permettent à la fois de diversifier les regards sur l’enjeu et enrichir l’analyse.

Le volume est divisé en trois parties. La première partie retrace l’actualité politique de l’enjeu. Les initiatives venant du monde associatif et universitaire mais aussi des acteurs politiques européens et des instances internationales se sont multipliées ces dernières années sans pour autant aboutir à l’inscription officielle des exodes écologiques comme problème sur les agendas politiques. Les différentes propositions formulées en vue de la reconnaissance et de la protection des personnes déplacées par les crises environnementales n’ont pas pu catalyser la volonté politique nécessaire pour permettre le passage à l’action. De quels moyens juridiques et politique disposons nous pour répondre à la complexité de l’enjeu ? C. Cournil met l’accent sur le contraste entre une récente mobilisation internationale soutenue en faveur des ‘réfugiés’ de l’environnement et l’inadaptation du droit international et communautaire face à un problème dont la complexité se prête mal à une catégorisation juridique. Elle examine par ailleurs une série de scénarios d’action possibles et les leurs limites de faisabilité. A. Sgro voit dans la montée en puissance de l’enjeu au sein des institutions européennes une opportunité pour transformer certains outils existants en moyens de protection des réfugiés de l’environnement. La position attentiste de la Commission européenne semble ralentir aujourd’hui l’engagement dans des cadres d’action nouveaux et la mise en place d’une réelle politique d’aide et d’assistance à ces réfugiés. V. Magniny propose d’écarter du débat la question de la responsabilité dans l’émergence des catastrophes écologiques afin de proposer une catégorie unifiée de victimes de l’environnement. Elle puise dans la pyramide des droits de l’homme une série de moyens pour fonder leur protection juridique. D. Lobry examine les limites de la notion de catastrophe écologique et propose de fonder la protection des réfugiés écologiques sur le droit de l’homme à l’environnement et en prenant appui sur la notion de rupture de l’ordre public écologique qui en découle.

La deuxième partie cherche à comprendre les obstacles s’opposant à l’imposition sur l’agenda politique d’un problème autonome, objet de politiques publiques spécifiques. L’accent est mis ici sur la complexité qui caractérise les exodes écologiques. Indépendamment de leur qualification, les personnes obligées de quitter leur lieu de vie en raison de la dégradation de l’environnement révèlent l’inséparabilité entre deux valeurs sociales : le bien-être de l’homme et l’équilibre écologique. Pendant longtemps la nature a été pensée comme extérieure à l’homme et ceci s’est reflété non seulement dans l’organisation de la science mais aussi dans l’institutionnalisation de l’action publique et plus globalement dans les modes de pensée. F. Gemenne et O. Dun lient la controverse qui accompagne l’imposition d’une définition claire des migrations environnementales à la nouveauté du champ de recherches migratoires mais surtout à la séparation de deux communautés de chercheurs : celle travaillant sur les migration forcées et celle travaillant sur l’environnement. Ils appellent à une meilleure intégration des questions environnementales dans les études migratoires. C. Vlassopoulou insiste sur la complexité de l’enjeu impliquant l’intervention de secteurs d’action publique avec des rationalités et des domaines d’intervention très différents. Elle propose la prise en considération du principe de responsabilité comme moyen de clarification des compétences et le fléchissement de la frontière entre approche écocentrique et approche anthropocentrique. M. Moua propose l’introduction des éthiques environnementales dans la tradition philosophique, scientifique et morale ayant longtemps nié le rapport de l’homme à la nature. Contre cet héritage éminemment individualistes et anthropocentristes, l’auteur prône une approche holiste qui lie les entités humaines et non humaines et permet d’envisager un régime de responsabilité.

La troisième partie porte sur la globalisation de la dégradation environnementale et ses implications migratoires. Plus spécifiquement sont étudiés les déplacements humains induits par le changement climatique, les cadres d’actions envisageables et les pratiques gestionnaires mises en place par des autorités et populations concernées. La disparition des frontières nationales impose des questions nouvelles quant aux interdépendances entre activités humaines, à l’identification des responsables et des victimes, aux moyens mobilisables pour fonder une action de protection et d’assistance. Face aux limites posées par le droit d’asile et la politique climatique internationale, R. Felli interroge les théories de la justice globale et leur capacité à répondre au nouveau problème de réfugiés climatiques. Il met en garde contre une application de ces théories au niveau international sans analyse préalable des présupposés qui en sont à la base. G. Decrop adopte une posture critique vis-à-vis de la notion de « réfugié environnemental » qui ne semble ni pouvoir tracer avec précision le profil de la victime du changement climatique ni répondre à ses besoins. Elle opte pour la démarche basée sur la notion de dette écologique, de responsabilité graduée et de solidarité internationale, où le coupable et la victime sont remplacés par des acteurs humains affrontant un défi commun. Analysant l’impact du Cyclone Katrina sur les habitants de Nouvelle Orléans F. Mancebo constate l’inaptitude des autorités à protéger et assister les populations sinistrées. Entre l’aide financière insuffisante, une politique de reconstruction excluant les plus vulnérables des nouveaux logements et le rejet qu’ils subissent de la part des populations d’accueil mais aussi de leurs propres autorités, ces déplacés internes se transforme de fait en migrants environnementaux. L. Verhaeghe se penche sur le cas de Tuvalu et des limites dans la recherche de protection des futurs apatrides. Elle fait apparaître l’absence de tout débat local portant sur l’abandon de l’île et sur la revendication d’un statut de réfugié. Dans l’espoir de protéger le plus longtemps possible leur terre, leur identité et leur culture, les autorités portent prioritairement leurs efforts sur le respect du protocole de Kyoto.

Ce numéro spécial et loin d’être exhaustif. Divers aspects du problème et dimensions de la controverse qui l’entoure ne sont pas abordés ici et devront faire l’objet de publications futures. En particulier, plus d’études de cas sont nécessaires pour arriver à rendre compte du vécu des populations concernées et de la perception qu’elles ont des conditions de leur déplacement. La question que la communauté scientifiques et les experts internationaux doivent approfondir est de savoir si les migrants de l’environnement sont, ou pas, des migrants comme les autres et pourquoi.

10 novembre 2008

Chloé Anne Vlassopoulou