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Nouvelles mobilisations associatives autour de l’asile politique – le cas des persécutions spécifiques aux femmes

Jane Freedman

citation

Jane Freedman, "Nouvelles mobilisations associatives autour de l’asile politique – le cas des persécutions spécifiques aux femmes ", REVUE Asylon(s), N°5, septembre 2008

ISBN : 979-10-95908-09-8 9791095908098, Palestiniens en / hors camps., url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article812.html

résumé

Comment le mouvement associatif autour de la question de l’asile a-t-il été reconfiguré en Europe face aux nouveaux politiques de contrôle et de rejet de la demande d’asile ? L’article traitera cette question en analysant les cas de deux pays européens – la France et la Grande-Bretagne. Les directives sur le genre dans le processus d’asile ont été introduites en Grande-Bretagne suite à une mobilisation associative autour de cette question. Mais en France, la question semble largement absente de l’agenda politique, et des discours associatif (comme d’ailleurs elle est largement absente de la recherche académique). Nous allons tenter d’expliquer cette divergence par la façon dont les pays ont abordé les persécutions spécifiques aux femmes dans le droit d’asile Nous analyserons de façon critique les théories de la diffusion et de la mise en oeuvre des normes internationales au niveau national, et nous étudierons le rôle des associations dans la mise sur agendat politique de ces normes.

Comment le mouvement associatif autour de la question de l’asile a-t-il été reconfiguré en Europe face aux nouveaux politiques de contrôle et de rejet de la demande d’asile ? Nous pourrions imaginer que l’émergence d’une politique européen de l’asile qui relève des principes sécuritaires et qui a pour but final de limiter l’accès à l’asile et au statut de réfugié dans les pays de l’UE, a transformé les conditions de mobilisation et d’opération du milieu associatif dans ce domaine. Nous allons ici tenter d’analyser ces transformations en appuyant sur des études de cas des nouvelles mobilisations autour de la question des persécutions spécifiques aux femmes et le droit d’asile. La question de l’accès au droit d’asile des femmes persécutées pour des motifs liés au genre est relativement nouvelle dans le champ des politiques et des mobilisations sur les réfugiés et l’asile. Or l’analyse de comment les associations ont pris en compte des nouvelles données en matière de demande d’asile comme la féminisation de cette demande pourrait nous donner un aperçu des modifications des stratégies des associations et de leur positionnements relatives aux nouvelles politiques nationales et supranationales de l’asile. Nous pourrions aussi analyser les particularités et spécificités nationales de ce type d’action associative, et les liens entre mobilisations nationales et transnationales. En effet, nous constatons que malgré quelques similarités dans la configuration du champ associatif autour de l’asile dans des différents pays – des similarités qui émanent principalement d’une différenciation des associations selon leur rapport aux institutions étatiques et en selon le fait de recevoir ou pas des financements étatiques - qu’il y a des différences importantes dans les façons dont les associations nationales ont réagi face a la question du droit d’asile pour les femmes persécutées en raison de leur genre, et ces différences reflètent de manière plus générale des variations dans les structures associatives et leurs rapports aux pouvoirs institutionnels d’un cote et la construction et cadrage de la question spécifique des femmes demandeuses d’asile de l’autre. Ce dernier point renvoie au problématique du déni d’agenda qui peut être observe tant dans le champ associatif que dans le champ des institutions politiques, et il faut dans ces circonstances s’interroger sur les conditions de production de ce déni. L’article traitera ces questions en analysant de plus près les cas de deux pays européens – la France et la Grande-Bretagne. Les deux sont parmi les pays « leaders » en Europe en termes des demandes d’asile reçues, et ils ont tous les deux ont connus des reformes importantes dans les politiques publiques du droit d’asile – des reformes qui pourraient être décrits comme des politiques du « rejet » de l’asile. Cependant, si la Grande-Bretagne a répondu aux interpellations internationales pour intégrer dans leurs dispositifs procéduraux, des directives relatives au traitement des demandes des femmes victimes des persécutions sexo-specifiques, en France cette question est restée hors agenda. Les directives sur le genre dans le processus d’asile ont été introduites en Grande-Bretagne suite à une mobilisation associative autour de cette question. Mais en France, la question semble largement absente de l’agenda politique, et des discours associatif (comme d’ailleurs elle est largement absente de la recherche académique). Nous allons tenter d’expliquer cette divergence dans la façon dont les différents pays concernes ont adopte ou pas des politiques sur les persécutions spécifiques aux femmes et le droit d’asile en analysant de façon critique les théories de la diffusion et l’implémentation des normes internationales au niveau national, et en particulier en se focalisant sur le rôle des associations dans l’appropriation active de ces normes pour les mettre sur l’agenda politique. Mais nous allons commencer par une interrogation plus générale sur la façon dont le secteur des ONG et des associations dans les deux pays a réagi face aux politiques du rejet de l’asile.

Les nouvelles politiques de l’asile en Europe et la reconfiguration du secteur associatif

Les politiques de l’asile en Europe sont devenu des sujets centraux des discours politiques et publiques, et ont connu dans les dernières années des transformations importantes. Ces transformations ont été impulsées par un désir de la part des autorités politiques nationales de limiter le nombre de demandeurs d’asile qui arrivent dans leurs pays, et le nombre qui y reçoivent le statut de réfugié. Ces transformations nationales des politiques d’asile ont bien sur été configurées à l’intérieur de l’espace politique européen, ce qui ajoute une autre dimension au possible reconfiguration de l’espace politique autour de l’asile. En effet, la formation des politiques publiques dans ce domaine relèvent à la fois d’une échange « verticale » entre les gouvernements nationaux et les institutions européennes, et des échanges « horizontales » entre les différents pays membres de l’UE, créant un champ « multi organisationnel » des acteurs. Cette européanisation des politiques de l’immigration et de l’asile a mené à l’émergence de nouveaux acteurs associatifs qui développent des actions transnationales (Favell et Geddes, 2000), mais ces activités n’ont pas remplacé celles des ONG et associations nationales, qui ont souvent des liens privilégiés aux autorités politiques nationales (Gray et Statham, 2005). Ces ONG et associations doivent donc tenter de reconfigurer leurs activités pour prendre en compte le nouveau champ multi organisationnel des politiques publiques de l’immigration et de l’asile en Europe, et doivent en même temps repenser leurs stratégies face aux politiques du « rejet » des demandeurs d’asile.

Comme le montre Jérôme Valluy, le rejet des demandeurs d’asile n’est pas un phénomène nouveau en Europe. En effet le taux de rejet des demandes d’asile dans tous les pays européens commence à s’élever des les années soixante-dix (Valluy, 2005 : 19). Cette croissance dans les taux de rejet qui peut être analyse par rapport à la fin de la guerre froide et à l’émergence de nouveaux discours et de nouveaux cadres idéologiques basés sur les différences entre les pays occidentaux et les pays du Sud (Chimni, 1998) a été suivi par l’émergence dans l’espace publique et médiatique des représentations du demandeur d’asile comme un « faux réfugié » ou « migrant économique », et comme une menace à l’ordre public et à la sécurité nationale. Le cadrage de la question de l’asile de cette façon a légitimé des politiques de répression envers des demandeurs d’asile, tels que l’utilisation accrue de détention et de l’éloignement, et le retrait des soutiens sociaux, menant à une situation de stratification des droits (Morris, 2002). Dans ce contexte-là, le militantisme en faveur des demandeurs d’asile est devenu de plus en plus compliqué à organiser, surtout quand le secteur associatif est resté relativement faible dans ce domaine.

Le secteur associatif autour de l’asile peut être compris comme un secteur qui a toujours été relativement faible en termes d’influence politique (Gray et Statham, 2005). Nous pouvons facilement constater les barrières importantes qui existent aux associations de défense des droits des demandeurs d’asile face aux politiques de rejet du droit d’asile en Europe. De plus, nous pourrions observer que la construction du demandeur d’asile comme « menace » pour les sociétés européennes à entraîner une restriction dans les opportunités discursives [1] qui existent dans ce domaine. En d’autres termes, la façon dont le champ discursif autour de l’asile a été construit et délimité restreint la possibilité d’expressions critiques ou des discours qui utilisent d’autres termes de références ou de cadrage. Il est donc très difficile de sortir de l’opposition entre les « vrais » et les « faux » demandeurs d’asile, les « bons » et les « mauvais » réfugiés, et ces oppositions binaires sont reproduites par les travailleurs associatifs ainsi que par les hommes politiques et les officiers d’immigration.

En même temps la « faiblesse » du secteur des ONG et associations autour de l’asile peut être attribuée à la fragmentation de ce secteur, une fragmentation qui empêche des actions et mobilisations vraiment collectifs contre les politiques de rejet des demandeurs d’asile. Cette fragmentation peut être observée dans les lieux qui sont supposés être des instances de coopération entre les différents ONG et associations autour de l’asile, comme par exemple le CFDA en France, qui est décrit par un participant comme une démonstration de la « guerre civile » qui existent parmi les différents associations membres. [2] En Grande-Bretagne, il n’existe pas une instance semblable à la CFDA, une illustration de l’éclatement des ONG du secteur. En effet, le lieu ou les associations se rencontrent est plutôt dans les réunions de « stakeholders » organisés par le Ministère de l’Intérieur (Home Office) britannique – une indication de la dépendance étatique de ce secteur, et de l’impossibilité de réunir autrement les ONG et associations concernés. Le directeur d’un des ONG les plus connus dans le domaine de l’asile, Asylum Aid, explique cette fragmentation par le professionnalisation du secteur et son transformation en marché où chaque ONG ou association est en train de chercher leur propre place, et donc se trouve en « compétition » avec les autres. [3] D’autres personnes travaillant dans les associations, en France comme en Grande-Bretagne, ont remarqué que de plus en plus les salariés de ces mêmes associations font des vrais « carrières » de ce métier, et souvent circulent entre différentes associations, organisations internationales et appareils étatiques, ce qui fait qu’ils ont intérêt à tempérer leurs critiques pour ne pas nuire à leurs choix de carrière ultérieure.

Une ligne importante de fragmentation entre les différents ONG dans les deux pays se révèle autour de la question de la collaboration avec l’Etat et celle du financement par l’Etat de certaines activités liées à l’accueil des demandeurs d’asile. Un responsable d’un ONG britannique admet qu’il pense que son organisation, comme des autres, a été moins critique qu’il aurait pu être envers les politiques du gouvernement Blair, parce qu’ils se voyaient comme interlocuteur privilégié du gouvernement, en ne voulaient donc pas rompre les liens qu’ils pensaient avoir avec les bureaucrates du Ministère de l’Intérieur. Le problème devient encore plus aigu quant il s’agit d’un relation financier entre association et gouvernement, et comme le directeur d’un ONG britannique remarque : ‘le moyen le plus simple pour le gouvernement d’affaiblir les associations c’est de leur donner beaucoup d’argent.’ [4] En effet, les liens de dépendance qui sont créés par de tels rapports entre Etat et associations compliquent la tache des associations qui sont tirées entre leur rôle « institutionnel » et leurs activités militantes. De plus, une fois que des salariés ont été embauchés pour travailler dans le cadre d’un contrat avec l’Etat, l’association devient en quelque sort dépendant des financements étatiques pour continuer de fonctionner. L’association France Terre d’Asile a vu ses effectifs salariés passer de 136 à 450 entre 2001 et 2006 (Dufour, 2006), largement grâce à ses activités de gestion des Centre d’accueil pour les demandeurs d’asile, financées par l’Etat. En France un décalage important s’est créé entre les associations qui ont signé des contrats avec l’Etat pour la gestion des Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) et les autres qui ne bénéficient pas des financements de ce type. Comme le montre une étude sur l’association Forum Réfugiés, qui est devenu un gestionnaire des CADAs, son activité militante ‘se trouve fragilisée par les tensions créées avec d’autres associations par la prise en charge de l’ensemble du dispositif d’accueil pour le département’ (Franguiadakis et al, 2004). En Grande-Bretagne la même type de division est apparue entre les ONG qui ont accepté de travailler avec le gouvernement dans le programme de dispersion des demandeurs d’asile et ceux qui n’ont pas accepté de travailler dans ce programme. En particulier, le Refugee Council et le Refugee Action sont devenus « partenaires » du gouvernement dans le programme de dispersion des demandeurs d’asile qui a été mis en place à partir de 1999 [5], avec un financement étatique pour loger les demandeurs d’asile qui sont envoyé dans des différent régions du pays. La décision de ces deux ONG et en particulier du Refugee Council de prendre l’argent du gouvernement et de participer au programme de dispersion a été très critiquée par des autres ONG et associations, et a mené à ce qu’un salarié dans un autre ONG appelle un « schisme » dans le secteur à partir du fin des années quatre-vingt-dix. [6] Ce « schisme » a trouvé sa culmination en 2002 quand le gouvernement britannique a introduit dans sa nouvelle loi sur l’immigration, une clause qui visait à exclure de tout prestation ou soutien social, un demandeur d’asile qui n’aurait pas déposé sa demande tout de suite en arrivant dans le pays. En d’autres termes, ceux qui attendaient quelques jours ou quelques semaines après leur arrivée en Grande-Bretagne pour déposer leur demande d’asile, n’auraient pas le droit à un logement ou à un soutien financier. Dans le logique de cette nouvelle loi, en août 2003, le Refugee Council a expulsé de ses centre d’accueil des demandeurs d’asile qui ne qualifiaient plus pour un soutien étatique. Cette expulsion a été suivi des importants manifestations par les demandeurs d’asile eux-mêmes, et par d’autres associations soutenant ces demandeurs d’asile contre le Refugee Council. Cet incident a marqué la division qui existe entre les associations financées par le gouvernement et celles qui affichent leur indépendance de l’Etat, une division qui existe aussi en France, et dans d’autres pays européens. Il a aussi montré un décalage qui existe parfois entre les associations et les demandeurs d’asile et les réfugiés qu’elles sont censées soutenir et représenter. Ce décalage peut aussi être illustré par le fait que les associations, et pas seulement celles qui sont financées par l’Etat, ont souvent intégrées la distinction faite entre « vrais » et « faux » réfugiés, de telle manière qu’elles deviennent des « gatekeepers » qui renforcent les politiques de rejet. Une salarié dans une association française, par exemple, a exprimé ses doutes sur la façon de procéder quand elle recevait une demande d’aide de quelqu’un dont elle ne croyait pas l’histoire de persécution, et elle a décidé qu’elle aiderait la personne mais ‘je ne passerai pas trop de temps sur son dossier si je n’y crois pas.’ [7] Et en Angleterre, le directeur d’une ONG remarque qu’il faut trier les cas pour aider les demandeurs d’asile qui ‘ont un vrai besoin’, et pas ceux qui sont que ‘des migrants économiques’. [8]

Dans ce contexte de faiblesse du secteur associatif, la défense du droit d’asile devient de plus en plus souvent, un débat sur quelques éléments juridiques ou « techniques » des législations et des processus de jugement de l’asile. Comme un salarié d’un ONG en Grande-Bretagne admet, ‘nous savons que nous n’allons pas changer grande chose, donc nous avons choisi de nous focaliser sur quelques points précis de la procédure où nous avons une chance de gagner quelques cas et d’aider quelques personnes.’ [9] Un salarié de la Cimade en France remarque lui aussi la croissance de la « technicité » dans les activités des associations dans le domaine de l’asile. [10] Dans cette perspective de limiter les campagnes à des objectifs qui semblent plus « gagnables », plusieurs associations britanniques ont ainsi fait le choix de faire des campagnes sur le problématique du genre, et plus spécifiquement l’adoption des directives pour le traitement des demandes d’asile par les femmes victimes des persécutions liées au genre. Cet aspect des mobilisations associatives montre une différence importante entre le contexte britannique et français, et en particulier entre les opportunités de mis à l’agenda des questions relatives au genre dans le domaine de l’asile.

Les persécutions spécifiques aux femmes – des normes internationales aux politiques nationales

La question des femmes demandeuses d’asile et réfugiées et en particulier des persécutions sexo-specifique et leur lien avec le droit d’asile, est émergée dans l’espace politique internationale assez récemment. L’attention qui a été porte sur cette question depuis le milieu des années quatre-vingt-dix peut s’expliquer d’une part par une prise de compte tardive de la part des institutions internationales de l’ampleur du phénomène des migrations forcées féminines [11] (Forbes-Martin, 2004), et de l’autre part par une pression importante de la part des lobbies transnationales féministes qui critiquaient l’absence d’une problématique du genre dans les conventions et débats internationaux sur les migrations forcées et l’asile. [12] Un des problèmes majeurs pour les femmes qui arrivent dans un pays occidental pour demander l’asile, c’est que souvent leur demandes ne sont pas prises au sérieux parce que les persécutions qu’elles ont subies ne sont pas reconnues comme entrant sous les termes de la Convention de Genève. La non-reconnaissance, voire la délegitimation des persécutions faites aux femmes pourrait s’expliquer à partir de deux constats : dans un premiers temps les activités des femmes ne sont souvent pas reconnues comme étant des activités « politiques » au même titre que les activités des hommes ; et dans un deuxième temps il existe des persécutions spécifiques aux femmes qui ne sont pas reconnues comme entrant dans les critères des « persécutions » donnant droit au statut de réfugié. Le premier point nous renvoie à la division sexuelle de travail qui existe dans la plupart des cultures et des pays. Il est clair que les femmes sont aussi des militantes politiques, des membres des partis d’opposition, et qu’elles entreprennent des activités qu’entrent dans les définitions les plus classiques de faire la politique. Mais, la division sexuelle du travail et les rôles genrés adoptés dans la plupart des cultures font que les activités des femmes vont être très souvent différentes de celles des hommes. Les femmes peuvent être persécutées parce qu’elles sont membres d’une organisation politique ou parce qu’elles en sont des militantes, mais aussi pour des activités plus « indirectes », qui entrent moins facilement dans la définition « classique » de la politique, telle que le fait d’abriter des militants, de cacher des personnes, de les nourrir ou les soigner. Ce type d’activité n’est souvent pas reconnu comme étant politique et comme menant à des persécutions réelles, les femmes auront donc des difficultés à faire valoir leurs expériences devant les institutions d’immigration dans le pays d’asile. Une difficulté liée à ce refus de prendre en compte les activités « politiques » des femmes, est l’attente qu’elles posent une demande d’asile en tant que dépendante de leur mari, qui lui est considéré comme le membre « actif » du couple en termes d’action militant ou politique. Très souvent, les autorités refusent d’enregistrer une demande d’asile autonome de la part d’une femme qui arrive en couple, même si elle a été elle-même la victime de persécutions, ce qui fait que ces femmes sont maintenues dans une position de dépendance. Nous pourrions donc constater que l’interprétation de la loi pour les réfugiés a évolué à travers un examen des demandes et des activités des hommes, ce qui a dans un même temps reflété et renforcé le biais du genre à l’intérieur des États.

D’autre part, nous pouvons noter l’existence de persécutions spécifiques aux femmes, persécutions qui sont souvent mal reconnues par les institutions juridiques et politiques. Nous parlons ici des persécutions qui sont à la fois très diverses et très répandues dans le monde : des persécutions comme par exemple l’excision, le mariage forcé, le viol – surtout utilisé comme tactique de guerre -, les crimes d’honneur, le prostitution forcé, etc. Mais si ces persécutions ont une ampleur démographique et géographique importante, elles sont affectées d’une illégitimité dans l’espace du droit et politique de l’asile.

Une des raisons pour cette illégitimité réside dans le caractère de ces persécutions, perçues comme « privées ». Souvent, en effet, les persécutions spécifiques aux femmes ont lieu dans des espaces privés – tel la maison, et ce sont des persécutions qui sont perpétrés par des acteurs non étatiques – tel la famille de la femme persécutée. Cette division entre l’espace public et l’espace privé est un problème sous-jacent qui sape la neutralité du genre dans la législation et la jurisprudence. La plupart des pays d’Europe n’ont reconnu que très récemment que des persécutions par des acteurs privés et non étatiques pourraient entrer dans les termes de la Convention de Genève pour l’octroi du statut de réfugié. Et en dépit de cette reconnaissance tardive, il y a très peu de pays où la violence conjugale, par exemple, est perçue comme motif légitime de demande d’asile, même quand une femme est victime de violences sévères, et quand elle ne puisse pas espérer aucune aide des institutions policières ou judiciaires de son état d’origine. De même, les violences sexuelles et les viols sont souvent perçus comme des violences relevantes de la sphère privée des rapports intimes entre les hommes et les femmes. Cette « naturalisation » des violences sexuelles comme faisant partie des relations de genre, agit pour ôter la légitimité aux femmes qui demandent l’asile en fuyant ces violences. Si nous savons qu’il y a en effet une utilisation très extensive du viol dans des situations de conflit [13] - surtout dans des conflits ethniques quand les femmes sont attribuées un rôle symbolique dans la reproduction de l’ethnie ou la nation (Yuval-Davis, 1997) - , et que ce type de violence a des effets à la fois physique et psychologique très grave, il est toujours difficile pour une femme de faire reconnaître ces violences comme une forme de « dommage sérieux » suivant les termes de la Convention de Genève. L’Allemagne, par exemple, a refusé le statut de réfugié aux femmes violées pendant des conflits ethniques sur le prétexte que ce type de viol est « normal » dans une zone de guerre (Ankenbrand, 2002).

En plus, de cette division entre le privé et le public, la volonté de respecter les « différences culturelles » joue aussi dans le fait de délégitimer les persécutions faites aux femmes. Très souvent les persécutions comme le mariage forcé ou l’excision ne sont pas considérés comme des motives légitimes pour l’accord du droit d’asile parce qu’elles sont considérés comme faisant parties de la culture de leur pays et d’un ordre établi. La cour d’appel britannique a récemment refusé le statut de réfugié à une femme de Sierra Leone menacée d’excision si elle retournait dans son pays, sur le prétexte que l’excision fait parti de la coutume en Sierra Leone et que la majorité de la population l’accepte comme pratique normale. Les juges ajoutaient qu’il serait mieux pour une femme d’être excisée pour se faire acceptée dans sa propre société (RWRP, 2005).

Pour envisager une solution à ce problème de non reconnaissance des persécutions des femmes, certains ont appelé à considérer les femmes comme étant un groupe social particulier sous les termes de la Convention de Genève, ce qui pourrait permettre aux femmes d’obtenir le statut de réfugiée lorsqu’elles ont souffert de ces formes particulières de persécution liées au genre. Le HCR, ainsi que le Parlement Européen favorisent cette solution au problème. Dans sa directive sur la protection des femmes réfugiées de 1991 le HCR appelle les Etats à considérer les femmes qui ont été persécutées pour avoir enfreint des normes sociales comme étant un groupe social particulier. Or peu de pays ont suivi cette directive, ayant peur qu’une telle décision pourrait agir comme un « appel d’air » à un flux massif des femmes demandant l’asile.

La directive de 1991 du HCR sur la protection des femmes réfugiées a été suivi par d’autres directives visant à encourager les différents pays à adopter des directives et des processus spécifiques pour traiter les demandes d’asile des femmes persécutées en tant que telles. Or, si des normes sur les persécutions spécifiques aux femmes et sur la protection des femmes demandeuses d’asile et réfugiées ont été accepté d’un certain degré au niveau international, ça ne veut pas dire pour autant que ces normes ont été transférées dans les domaines politiques nationaux. Seuls la Grande-Bretagne et la Suède parmi les pays de l’UE ont adopté des législations ou des directives qui mettent en place des processus spécifique relative aux femmes demandeuses d’asile dans leurs pays. L’absence de l’agenda politique de cette question dans d’autres pays soulève des interrogations relatives aux modèles existants de la création et la diffusion des normes internationales. Contraire à ce que certains de ces modèles [14] affirment, une fois une norme est accepté au niveau internationale, le processus d’adoption et d’implémentation de cette norme au niveau national n’est pas simple et sans questions. En effet, comme a été démontré dans d’autres cas [15], l’adoption et l’implémentation de ces normes dans un contexte national dépendent de leur appropriation active par des acteurs étatiques et encore plus important par des acteurs associatifs. Donc le fait que la Grande-Bretagne a adopté ces normes sur le droit d’asile pour les femmes persécutées, et qu’une discussion de ces normes a été absente de la sphère politique en France peut être attribué, au moins en partie, à la non mobilisation des acteurs associatifs français sur ce sujet. Comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article, une des stratégies de mobilisation du secteur associatif face aux politiques du rejet de l’asile, a été de focaliser les mobilisations sur des points très limités et précis avec l’espérance d’effecteur quelques petits changements et de gagner quelques petites victoires. En Grande-Bretagne, un de ces lignes de mobilisation focalisée à été les droits des femmes dans le processus de demande d’asile. Asylum Aid a donc créé son propre groupe interne, le Refugee Women’s Resources Project (RWRP), pour aider les femmes demandeuses d’asile et réfugiées et pour faire pression sur le gouvernement sur ce sujet. Le RWRP a travaillé avec un autre groupe le Refugee Women’s Legal Group (RWLG), et d’autres groupes des femmes militantes dans ce domaine, pour essayer de faire adopter des directives relatives au traitement des femmes demandeuses d’asile. Cette mobilisation a pu fédérer un grande nombre des associations et ONG travaillant dans le domaine (y compris le Refugee Council) et la pression faite sur le gouvernement sur ce sujet a fait que le Ministère de l’Intérieur a enfin travaillé avec les associations et avec les représentants du HCR à Londres pour rédiger ses propres « guidelines », qui ont été adopté en 2004. Donc nous pourrions voir un cas où les opportunités discursives ont permis aux associations de se mobiliser sur le sujet du genre pour s’approprier des normes internationales et les faire valoir dans le contexte national. Les associations britanniques se sont même construites comme des « leaders » européens dans ce domaine, et ont commencé à travailler avec le Lobby Européen des Femmes pour essayer de faire adopter des directives sur le genre dans d’autres pays. En contraste, même si le contexte associatif autour de l’asile en France est assez similaire de celui de la Grande-Bretagne, la question des persécutions des femmes et le droit d’asile est resté largement absent de l’agenda associatif dans ce domaine. Cela peut s’expliquer par le contexte discursif en France où l’universalisme est toujours porté comme revendication des acteurs associatifs, et où il existe une vraie méfiance vis-à-vis des revendications dites « féministes » et des discours sur le genre. Il y a plusieurs instances où des associations ont commencé à parler des problèmes des femmes persécutées qui demandaient l’asile en France, mais ces occasions de parler du problème sont souvent restées sans suite en termes de mobilisation active et soutenue. Si il y a eu quelques petits groupes qui commençaient à aider les femmes venant en France pour demander l’asile [16], ils ont toujours été très marginaux dans le milieu associatif. La mobilisation la plus soutenue sur ce sujet a commencé en 2004 avec la formation du Groupe Asile Femmes (GRAF), un groupe qui rassemble des représentants de plusieurs associations. [17] Il n’est peut être pas coïncidence que cette mobilisation sur les femmes a commencé à un moment où les politiques publiques sur l’asile étaient en train de devenir encore plus répressives – nous pourrions voir une stratégie similaire de celle employée par les associations britanniques de combattre le gouvernement sur un point plus « gagnable » que d’autres. Mais, même si cette mobilisation a commencé à mettre la question de genre sur l’agenda des associations, le GRAF manque toujours du soutien et de légitimité parmi beaucoup d’associations concernées par l’asile en France. En effet, dans le milieu associatif, le fait de parler spécifiquement des femmes demandeuses d’asile a été reçu avec incompréhension, voir méfiance par beaucoup des acteurs. [18] Un membre du GRAF explique que ce type de réaction est assez typique du secteur associatif en France où il existe une croyance que toute action spécifique pour les femmes risque de nier des droits ou de l’aide aux hommes qui demandent l’asile. [19] Ces types d’arguments sont souvent cadrés dans un discours qui réclame l’importance de l’ « universalisme » qui est ancré dans la tradition française. Or, des femmes travaillant dans le secteur voient dans cette affirmation de l’universalisme un anti-féminisme caché. [20] Donc, nous pourrions voir dans l’absence des directives ou de législation en France sur le genre dans le processus de demande d’asile, une indication d’un manque des occasions discursives pour exprimer des revendications liées au genre dans le milieu associatif. Le manque d’appropriation par les associations des normes internationales dans ce domaine a fait que la question est restée largement absente de l’agenda politique.

Cette question des stratégies associatives liées à la prise en compte du genre comme élément important et nouveau dans la demande d’asile, montre les différences qui existent entre les opportunités discursives dans le secteur associatif en France et en Grande-Bretagne. Malgré des similarité dans ces domaines associatifs, liés particulièrement à la fragmentation, et aux problèmes importants posés par la collaboration d’une partie du secteur avec l’Etat, nous pourrions voir une divergence dans la manière dont les associations et ONG ont travaillé pour revendiquer ou pas la reconnaissance des persécutions spécifiques aux femmes dans ce domaine. Les associations britanniques ont vu dans cette question une occasion de se réunir autour d’un problématique assez spécifique et stratégique pour pouvoir avoir l’impression de « gagner » du terrain face au gouvernement. Mais en France, la fragmentation des associations, liées aux revendications de l’universalisme a fait qu’un tel rassemblement ou mobilisation s’est avéré impossible, et le genre reste toujours absent de l’agenda politique sur l’asile.

Jane Freedman, CRPS, Université de Paris 1
Email : J.L.Freedman@soton.ac.uk

Références bibliographiques

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NOTES

[1] « Discursive opportunity structures ». Sur le rôle de « discursive opportunity structures » dans les mobilisations associatives, voir par exemple Koopmans et Statham, 1999.

[2] Entretien 8 décembre 2006.

[3] Entretien 18 janvier 2006.

[4] Entretien 23 novembre 2006.

[5] Un programme qui est supposé trouver une solution au « concentration » des demandeurs d’asile à Londres et dans le Sud Est de l’Angleterre, et qui implique que les demandeurs d’asile sont envoyés dans des différentes régions du pays sans choix ou volonté de leur part

[6] Entretien 18 janvier 2006.

[7] Entretien 25 octobre 2005.

[8] Entretien 24 novembre 2005.

[9] Entretien 18 janvier 2006.

[10] Entretien 6 décembre 2006.

[11] Même si le chiffre de 80 pour cent, avancé par quelques uns comme la part des femmes parmi la population mondiale des exiles, a été montré

[12] Jutta Joachim, parmi d’autres, a montré l’importance et l’efficacité des réseaux transnationaux féministes dans la prise de décision dans les institutions politiques internationales et dans la création des nouvelles normes internationales sur l’égalité de genre (Joachim, 2003).

[13] La véritable étendue de ce type de violence reste inconnue puisque, comme le HCR l’explique dans un rapport, de nombreux faits ne sont pas relatés souvent à cause de la honte ressentie par les femmes concernées (HCR, 1995).

[14] Le modèle peut-être le plus connu et le plus discuté dans ce domaine est celui de Finnemore et Sikkink (1998).

[15] Voir notamment l’analyse de Suzanne Zwingel de l’implémentation du CEDAW dans des différents contextes nationaux (Zwingel, 2005).

[16] Par exemple, le RAJFIRE, un groupe fondé en 1999 et basé à la maison des femmes à Paris, qui a pour but d’aider les femmes immigrées et réfugiées en France.

[17] Amnesty International Section Française, Cimade, Comède, FASTI., Femmes de la Terre, la Ligue des Droits de l’Homme, RAJFIRE.

[18] A une réunion de la CFDA où le GRAF a présenté ses actions pour la première fois, un représentant d’une grande ONG a remarqué que ce type d’action pourrait nuire aux hommes demandeurs d’asile.

[19] Entretien 23 février 2006.

[20] Entretien 13 janvier 2006.