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« Le monde entier dans un seul instrument » : Itinéraires « hors les camps » de palestiniens au Liban

Nicolas Puig
Nicolas Puig travaille à l’IRD/URMIS

citation

Nicolas Puig, "« Le monde entier dans un seul instrument » : Itinéraires « hors les camps » de palestiniens au Liban ", REVUE Asylon(s), N°5, septembre 2008

ISBN : 979-10-95908-09-8 9791095908098, Palestiniens en / hors camps., url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article803.html

résumé

« Le monde entier dans un seul instrument » [1]...

Prenant place au détour d’une approche anthropologique des milieux de musiciens palestiniens au Liban, ce texte constitue une mise en regard d’itinéraires de personnes qui ont en commun leur relative distance avec les mondes des camps de réfugiés. Leurs univers sont autres... Ils entretiennent avec les camps des relations contrastées et certains s’y rendent peu, voire jamais, et s’ils y sont nés où y ont vécu un temps, ils habitent tous désormais dans les quartiers libanais de la capitale. Tandis que les camps et groupements font l’objet d’un investissement conséquent de la recherche, notamment en anthropologie, la situation de ceux qui vivent hors les camps demeurent un versant méconnu des études sur les palestiniens au Liban. Or on estime que un tiers des réfugiés enregistré à l’UNRWA ne vit pas dans un camps ou un groupement

Prenant place au détour d’une approche anthropologique des milieux de musiciens palestiniens au Liban, ce texte constitue une mise en regard d’itinéraires de personnes qui ont en commun leur relative distance avec les mondes des camps de réfugiés. Leurs univers sont autres... Ils entretiennent avec les camps des relations contrastées et certains s’y rendent peu, voire jamais, et s’ils y sont nés où y ont vécu un temps, ils habitent tous désormais dans les quartiers libanais de la capitale. Tandis que les camps et groupements font l’objet d’un investissement conséquent de la recherche, notamment en anthropologie, la situation de ceux qui vivent hors les camps demeurent un versant méconnu des études sur les palestiniens au Liban. Or on estime que un tiers des réfugiés enregistré à l’UNRWA ne vit pas dans un camps ou un groupement [1].

Je parlerai ici de cinq musiciens, à travers quatre « présentations » (l’une concerne un instrumentiste et son fils), qui vivent dans différents quartiers de Beyrouth. On est donc loin de prétendre à une quelconque représentativité, encore moins à l’exhaustivité du point de vue de la situation générale des Palestiniens vivant à l’extérieur des camps et des groupements [2]. Toutefois, s’agissant de la production culturelle et des engagements esthétiques comme des choix de vie, les parcours de ces artistes éclairent sur la situation des Palestiniens au Liban de façon inédite. Parmi la petite centaine de musiciens et chanteurs d’horizon divers que j’ai rencontré au Liban et dont, pour certains d’entre eux, j’ai recueilli le témoignage sous la forme de longs entretiens, les cinq artistes dont il sera question ici se distinguent par l’originalité de leur parcours.

Ils s’inscrivent de façon variable au sein des institutions culturelles palestiniennes, notamment les orchestres de chansons nationalistes qui drainent la grande majorité des musiciens en leur offrant un cadre légitime pour la pratique musicale, ainsi que parfois un modeste salaire.

Ils entretiennent avec le succès des relations incertaines et les carrières connaissent de temps à autre des revers difficiles ; ils s’inscrivent dans des univers musicaux contrastés et vivent leur appartenance palestinienne de manière différente selon les situations rencontrées.

Vivre hors les camps ne serait pas anodin : cela impliquerait, entre autres choses, un rapport à la production artistique qui se démarquerait des esthétiques figuratives aux contenus politiques explicites popularisés par les rhétoriques nationalistes à diverses époques. Serait alors privilégiée par les « réfugiés urbains » (urban refugees) une approche plus personnelle et expérimentale dans laquelle toute référence aux expériences politiques des artistes serait effacée (Boullata, 2003 : 23). La différence viendrait notamment des publics : caractérisés par leur engagement politique dans les camps, ils appartiendraient à une élite culturelle plus cosmopolite « en ville », plus précisément dans le quartier de Ras Bîrût dans lequel vivent les artistes palestiniens dont Kamel Boullata, lui-même peintre né à Jérusalem, étudie les œuvres. Cette remarque qui concerne les arts visuels et la première génération de déplacés peut être étendue, et à la musique contemporaine, et à la période actuelle : elle ouvre ainsi un champ de perspectives sur les liaisons entre les contextes de production, la création artistique et les destinations des œuvres. C’est la relation entre les lieux pratiqués, les espaces de vie et de travail, la production artistique et ses objets que je souhaite éclaircir de la sorte en m’appuyant sur des itinéraires de musiciens qui ont en commun leur éloignement par rapport aux camps de réfugiés : cela même si, de façon à rendre compte d’éventuels contrastes, la situation dans ces espaces spécifiques, et par ailleurs très diversifiés eux-mêmes, sera largement évoquée. Quelles sont les implications de ce mode de vie du point de vue des affiliations et de celui des relations aux mondes palestiniens au Liban ? Est-il possible de repérer, liés à la résidence et aux contextes du quotidien, des engagements esthétiques et politiques spécifiques ? Comment, enfin, s’inscrivent ces artistes dans la société urbaine et dans les milieux musicaux ?

S’agissant de la question palestinienne, soucieuses de compréhension globale et, parfois, de dénonciations idéologiques, les approches privilégient les questions de géopolitique et les problématiques de la domination sans vraiment s’arrêter sur les trajectoires et le quotidien des individus [3]. Mon souci d’une façon générale et dans ce texte en particulier est autre. En retraçant des itinéraires d’artistes, en les accompagnant plus ou moins régulièrement sur les lieux de leurs engagements, en demeurant attentif à la relation aux différents environnements qu’ils fréquentent inégalement, l’enjeu serait de restituer, de façon nécessairement partielle, les significations dont ces musiciens investissent l’ordinaire de leur quotidien, d’expliciter les choix esthétiques qui président à leur production musicale puis de replacer ces « faits de vie » dans le contexte des mondes palestiniens au Liban. Dans cette entreprise, je m’appuie sur les discours recueillis lors de rencontre avec les personnes en prenant garde aux armatures des « présentations » qui accompagnent les narrations : suivis de concerts, de répétitions, visites au domicile, etc. Pour reprendre les remarques de Fanny Colonna à propos des « récits de la province égyptienne » qu’elle a collectés, il ne s’agit pas tant « de mesurer les propos à la réalité des faits » que d’accompagner par une participation sociable le délié du discours, car « seuls comptent (...) la présence des gens, témoins de leur propre existence (...) » (2004 : 454). Il s’agit ainsi de donner la parole à ceux dont les vies n’ont rien de spectaculaire mais qui sont considérés comme « déviants », comme le sont les notables rencontrés par Fanny Colonna et son équipe par leurs homologues cairotes car, ils habitent en province, laquelle suscite la défiance des gens de la capitale (2004 : 464).

Cette référence n’est pas fortuite ou simplement le fruit d’une similitude méthodologique qui n’est du reste qu’apparente [4], la présence des palestiniens sur le sol libanais est problématique à plusieurs égards, à commencer par la législation qui renforce la ségrégation dans les domaines de l’accès à l’emploi et de la propriété foncière notamment. Si dans les camps, l’entre-soi permet d’échapper au stigmate, ce n’est plus le cas quand, on se met à vivre et travailler dans des milieux libanais. On y est « outsiders », déviants, de la même façon que le notable qui délaisse le Caire pour s’installer en campagne et subira les catégorisations réservées aux habitants de la province. Il est vrai que les contenus varient, toutefois le mécanisme reste semblable : des images et des perceptions circulent qui ont pour caractéristique de dénigrer une composante de la population et pour résultat de s’en différencier. La misère et le fanatisme sont ainsi des items récurrents de la vision des camps de réfugiés du Liban. D’où cet étonnement teinté de jalousie des soldats de l’armée, d’origines très modestes la plupart du temps, en découvrant dans le camp de Nahr al-Bared, lors de la bataille contre le Fath al-islam en juin et juillet 2007, l’équipement correct de certains appartements. Des dépravations furent commises dont des graffitis sur les murs. L’un d’eux pourrait être traduit de la sorte : « Eh réfugié ! Comment t’es-tu procuré tout ça ? ».

1) Les présentations

Décembre 2007, hôtel Habtoor, Beyrouth Est.

Un peu désorienté dans ce grand hôtel de la capitale libanaise, il me faut plusieurs contacts téléphoniques pour finir par rencontrer, à l’extérieur, devant la fontaine monumentale, l’assistant de Jihad Akil. Il me conduit dans un large couloir en sous sol qui donne sur une des salles de réception. Là, assis autour d’une table, Jihad et ses musiciens attendent en discutant que vienne le moment d’entrer en scène pour une performance d’une heure ; un régisseur sourcilleux, montre en main, s’en assurera, une fois le numéro commencé. Je suis chaleureusement accueilli par Jihad avec qui j’ai eu un long entretien dans son studio du quartier de Sin al-Fil de Beyrouth Est. On me fait asseoir : de l’endroit où je me trouve, les échos de la fête de mariage de la fille d’une célébrité libanaise me parviennent. Je peux apercevoir l’arrière de la scène, la double porte séparant l’espace où nous nous trouvons de l’immense salle étant restée ouverte pour permettre l’entrée des différents artistes sur l’estrade. Dans cet espace faisant office de loge, les danseurs de debkeh, se changent en hâte, puis s’échauffent en quelques sauts altiers ; je repense alors à cette remarque d’un musicien égyptien, maudissant les manageurs du luxe. Il me confiait en substance que dans ces grands hôtels, ils doivent emprunter la porte de service alors que c’est eux qui, ensuite assurent l’animation artistique des soirées. Le musicien est ainsi placé au niveau des employés, il est juste un prestataire de service auquel on n’accorde pas la considération méritée. Mais cela, Jihad ne l’évoque pas. Il est très heureux de mon enquête sur les musiciens palestiniens au Liban : « un peuple opprimé », me dit-il. Il me présente Eid, un guitariste palestinien qui se produit dans la même fête avec une petite formation. Jihad insiste, mon travail est exceptionnel : s’intéresser ainsi à un peuple qui a tant souffert. Lui a pu s’en sortir grâce à son travail et à son père, violoniste également, qui a fait tout pour qu’il échappe à une destinée médiocre grâce à la musique, et investisse ainsi des espaces qui ne sont pas ceux de la révolution palestinienne [5] :

« Mon père n’a pas voulu que je rentre dans ce domaine. Il avait un autre objectif. Il voulait faire une carrière et il a instruit son fils non pas pour l’introduire dans un cadre aussi limité, parce que malgré le nombre et la diversité des musiciens de la révolution, la plupart d’entre eux étaient de simples individus. Mon père ne pouvait pas concevoir que je puisse être limité dans ce monde, il voulait me voir grandir dans l’autre monde pour que je puisse vivre aisément plus tard ».
(Entretien avec l’auteur, Beyrouth, Sin al-Fil, Décembre 2007)

Jihad, s’il conserve une sensibilité pour la situation des Palestiniens est réellement passé dans « l’autre monde ». Originaire de Sabra, il n’y retourne plus (il a peur, me dit-il). Il me demande d’aller voir pour lui l’endroit où se trouvait l’immeuble qu’il habitait avant que les bombardements lors de la guerre des camps en 1986 ne le transforme en tas de gravas. « Tu verras, demande où se trouvait un grand immeuble de cinq étage, près du cinéma « l’orient », demande »...


Photo 1 – Jihad Akil, Beyrouth (cliché Nicolas Puig, décembre 2007)

Mars 2007, Quartier de Uza’i, Banlieue Sud.

Imad Shahine me reçoit par une journée froide et pluvieuse dans un appartement modeste où seul son « home studio » [6] bénéficie d’un équipement conséquent ; il se résume toutefois à un simple ordinateur équipé du matériel sono et des logiciels nécessaires pour les arrangements musicaux. Dans un coin, sous un carré de Polyane, une guitare de la marque prestigieuse Gibson. Cet appartement a été prêté gracieusement à Imad par l’un de ses étudiants en musique quand il s’est retrouvé dans l’impossibilité de payer les quatre cents dollars du loyer de son précédent logement : la situation, ainsi qu’on le dit par euphémisme au Liban, lui ayant coûté son emploi principal de guitariste dans un restaurant. Depuis quelques temps, l’ambiance n’est plus, en effet, aux sorties nocturnes, même si quelques bars et boites du centre continuent d’être fréquentés assidûment par une jeune clientèle relativement aisée et festive.

Le quartier dans lequel il vit désormais avec son épouse algérienne – rencontrée dans l’avion lors d’un voyage vers l’Algérie – et son jeune fils est pauvre, les habitants en sont majorité de confession chiite. Installé dans le dernier pâté de maison peu avant les pistes de l’aéroport international, Imad tente de s’en sortir en faisant quelques arrangements pour des chansons commandées par le Hezbollah qui règne en maître avec le parti Amal dans cette banlieue au sud de Beyrouth. Ancien guitariste de rock et de blues qui a joué et enregistré avec Ziad Rahbani, le fils de la grande diva libanaise Fairuz, il tente maintenant de s’adapter aux normes musicales du parti de Dieu...

Palestinien ? Il sait bien qu’il l’est. Depuis toujours cette identité est synonyme de contraintes, que ce soit dans son métier de musicien ou dans sa faculté à se déplacer, les deux étant étroitement liés. Pour ses collègues libanais du petit milieu de musiciens de jazz et de rock, il reste Palestinien, c’est d’ailleurs l’un d’entre eux qui me donne son contact apprenant que je souhaite réaliser une ethnographie des milieux musiciens palestiniens. Mais il ne connaît pas les camps et a perdu de vue sa famille paternelle. Car, né de l’union d’un palestinien et d’une libanaise chiite, il a été élevé dans la famille de cette dernière après que sont père ait définitivement quitté le domicile conjugal lors de sa prime enfance. Il n’entretient donc aucun lien particulier avec d’autres palestiniens au Liban et vit actuellement une situation très forte d’isolement : Imad aussi est dans « l’autre monde »... Mais il y est très seul en ce moment.


Photo 2 : Instruments... de travail (cliché Nicolas Puig, février 2007)


Photo 3 : Imad Chahine (cliché Nicolas Puig, février 2007)

Mars 2007, Quartier de Tariq Jdidé, Beyrouth Ouest.

Mohamed est assis dans son magasin de chaussures dans ce quartier composé essentiellement de Libanais sunnites. De l’autre côté d’une vaste avenue se trouve Sabra et sa population mixte composée de libanais, de Palestiniens et de travailleurs migrants de différentes origines. On y trouve également deux écoles de l’UNRWA, un centre culturel des Ahbache (secte politico-religieuse), puis le marché aux légumes de Sabra et enfin le camp de Chatila qui abrite outre les réfugiés palestiniens une importante proportion de syriens et de ressortissants d’autres nationalités arabes, asiatiques et africaines. La petite affaire achetée par son père peu après l’exil de quarante-huit périclite. En provenance de Haïfa, le père de Mohamed était professeur de musique et commerçant, il appartenait à la notabilité locale. Il obtiendra dans l’exil un poste important à l’UNRWA et se verra octroyer la nationalité libanaise sans que son fils Mohamed, né en 1957, ne puisse m’expliquer comment. Mohamed a beaucoup joué dans les années soixante-dix jusqu’aux débuts des années quatre-vingt. Ces dernières se révélèrent un véritable cauchemar pour les palestiniens du Liban qui subiront l’invasion et les bombardements israéliens en 1982 (avec le massacre de Sabra et Chatila), les luttes intestines entre factions palestiniennes en 1983, la guerre des camps en 1986 et 1987.

Dans les années quatre-vingt-dix, les activités culturelles s’organisent de nouveau. Pour Mohamed, au contraire, la musique cesse d’être l’activité principale, pris par d’autres soucis, notamment familiaux, mais aussi par la promotion de son activité commerciale qui le pousse à se déplacer à se rendre à plusieurs reprises à l’étranger pour des foires et des expositions. De nationalité libanaise, Mohamed ne se rend jamais dans les camps. Le petit magasin de chaussures de Sabra a été vendu depuis longtemps et si dans sa jeunesse, il se rendait parfois à Chatila pour animer un mariage, il n’a plus aucune occasion d’y pénétrer et il rejette le monde enclavé du camp, notamment du point de vue de la qualité de l’art qui y est pratiqué :

« Vois la situation dans les camps a changé, il n’y pas que des palestiniens seulement. Il y a beaucoup d’autres gens. Et je ne m’implique pas là-dedans. Je ne vais pas dans les camps.
Il y a hors des camps cent fois plus de palestiniens que dans les camps. Dans tout le Liban. Tu vas à Abu Dhabi... Est-ce que les palestiniens vivent dans des camps ? Et ici c’est pareil. La situation dans les camps... Je ne sais pas... Ailleurs, c’est mieux, un peu plus élevé, je te parle de l’art. Pas de la vie quotidienne. Peut-être que les palestiniens des camps ont beaucoup plus d’argent que ceux qui sont à l’extérieur. Mais comme art de qualité... ».
(Entretien avec l’auteur, mars 2007).


Photo 4 : Mohamed Qassab (cliché Nicolas Puig, mars 2007)


Photo 5 : Baha Hassoun, ami de M.Q., chef de l’orchestre de chansons palestinienne al-Hâdî, figure de la culture palestinienne et fils du poète Yussef Hassoun (cliché Nicolas Puig, mars 2007)

Quartier de l’Université arabe, avril 2007

Venu à la rencontre de Fahd, violoniste que j’avais rencontré à une répétition de l’orchestre al-Hâdî (« le conteur ») spécialisé dans la chanson palestinienne, je suis reçu dans un appartement relativement cossu par les membres d’une même famille appartenant à trois générations successives et je vais finalement aussi beaucoup discuter avec son père, Nayif, luthiste et guitariste. Originaire du camp de Jisr al-Basha d’où il conserve le souvenir d’une enfance exceptionnellement heureuse [7], il fut expulsé avec sa femme par les milices chrétiennes en 1976 et parti vivre dans le camp de Mar Elias puis à Beyrouth Ouest où il fut gardien d’immeuble. Il réside toujours dans cette partie de la ville, quartier de l’université arabe, non loin de Sabra et Chatila. Fils d’un musicien, il est très vite intéressé par cet art au grand dam de son père qui tente de lui en interdire l’accès, notamment en cachant son oud. Mais, c’est peine perdue et finalement, en cachette au départ, puis au grand jour, Nayif va apprendre à en jouer et développer sur cet instrument des compétences qui feront de lui un professionnel remarqué de la place de Beyrouth.

- Nayif : J’ai grandi et j’ai vu mon père qui jouait de l’oud, qui faisait des soirées à la maison.

- Nicolas P. : Des fêtes, des mariages ?

- Oui, des mariages, des anniversaires, des soirées avec les voisins.

- Il était professionnel alors ?

- Oui, mais quand il finissait, il posait l’oud sur l’armoire. Quand il partait travailler, je prenais l’oud comme ça, je m’entraînais sur une seule corde… Et puis je me suis dit pourquoi ces cordes ? La première, la deuxième, la troisième. J’ai commencé à comprendre, mais il ne me laissait pas jouer. Il me disait toujours non c’est interdit, tu as ton école.

- Fahd (son fils) : Il jouait en cachette

- Nayif : J’allais à l’école et en revenant je me fabriquais moi-même un petit oud… en bois. Carré comme ça, mets un truc comme ça, un manche, mets des cordes… Avec mes potes, et puis je l’ai amélioré, j’en ai fait des meilleurs et j’en ai fait un électrique. Et puis les amis de mon père lui ont dit : « haram, laisse le faire de la musique ». Pour l’école, j’ai dit je ne veux plus y aller (rires). À l’école, j’étais nul, j’étais vraiment nul. Le directeur m’a frappé, je lui ai dit : « un jour je jouerai à ton mariage », au directeur… et c’est ce qui s’est passé et je lui ai pris 300 livres ! Et j’ai commencé à jouer. Je sais que je suis né avec un oud entre les mains, je sais ça...
(Entretien avec l’auteur, Mars 2007)

En revanche, Nayif va tenter d’offrir à son fils, comme l’avait fait le père de Jihad pour le sien, une solide formation musicale en violon classique. Fort de ce bagage, Fahd tente sa chance, il a l’occasion de travailler pour l’émission « superstar » – radio crochet télévisuel –, mais, selon lui, le fait d’être palestinien l’handicape considérablement et il va finalement devoir renoncer à la carrière musicale pour prendre un emploi stable d’employé dans une société. C’est également la garantie d’un revenu fixe qui le pousse à faire ce choix, les cachets dans la musique étant très irréguliers.

- Fahd : Mais nous comme palestinien, le diplôme ne compte pas. On reste à la maison. On l’accroche juste et voilà, je suis diplômé [8]. Mais pour qu’on me reconnaisse... Idem pour la musique, ils m’attaquent beaucoup, ils ne m’aiment pas. J’ai travaillé à superstar. Ils ont su que j’étais palestinien, il y avait un voyage et le maître Basam Badur, le chef de l’orchestre m’a demandé de voyager avec eux, il m’aimait beaucoup comme musicien. Mais quand il a su que j’étais palestinien, il m’a rendu mon passeport... (...) On est sous pression comme palestinien ; Pour le travail. Pour la musique, tu connais le mot « buta », « isabé » (bande). Celui la, il a sa bande qui est composée de libanais qui peuvent être de la même confession, du même coin. Ils sont venus pour travailler ensemble. Si quelqu’un essaie de s’intégrer, qu’il soit fort ou faible, ils ne l’acceptent pas.

La soirée sera longue et s’achève, comme il se doit, avec de vieilles chansons dont se rappelle encore la mère de Nayif qui vit avec le couple et ses deux enfants. Du reste, elle chante avec plaisir, accompagnée par son fils au oud. Chanter dans ce contexte est tout à fait licite, voire recommandée, mais une femme sur scène... C’est autre chose. Baha Hassoun, musicien et manageur de l’orchestre al-Hadi qui m’accompagne me dit : « elle a la voix chevrotante mais elle chante juste tout de même ».


Photo 6 : Fahd au violon lors d’une répétition de l’orchestre al-Hâdî dans un centre social palestinien de Sabra (en chemise foncée) (Cliché, Nicolas Puig, mars 2007)


Photo 7 : Nayif à son domicile avec sa mère (Cliché Nicolas Puig, mars 2007)

2 ) Les musiques : conventions et performances

Jihad Akil trouve dans une pratique de composition musicale planétaire qui consiste à reprendre des airs de différents patrimoines, notamment de la musique classique occidentale, pour les adapter au grand public, courant par exemple représenté par les productions du violoniste André Rieu, l’une des sources de son inspiration. Il reprend avec son quintet (guitare basse, guitare, percussion et orgue) quelques airs connus du classique occidental, des chansons du patrimoine arabe ou des airs libanais à la mode, le tout arrangé en « easy listenning  », agrémenté d’effets musicaux spectaculaires mis au service de sa virtuosité et découpé en format chanson. S’il donne une coloration orientale à son jeu, son univers musicologique, le langage dans lequel il pense sa musique, est occidental.

Imad Chahine s’est spécialisé quant dans un courant musical différent mais tout aussi éloigné des standards de la musique politique palestinienne comme de la tradition arabe. Soigneusement disposés à côté de son ordinateur d’où il effectue ses arrangements, des cd-rom de Santana et de Georges Benson...

Imad, aujourd’hui dans la difficulté, a un peu décroché du petit milieu des musiciens de cette tendance, sa dernière production importante est l’arrangement des douze titres d’un CD de blues. Nous évoquions ce destin difficile avec le bassiste Aboud Saadé, pionnier lui aussi du rock dans les années soixante-dix, tandis que je lui demandais confirmation de l’existence du groupe Unotourné auquel participa un temps Imad. Il était sans nouvelles de ce dernier et j’étais bien incapable de lui en donner car depuis quelques temps je ne parvenais plus à le joindre, sa ligne de téléphone étant désormais coupé.

Imad et Jihad ont en commun une orientation « gharbî  », c’est-à-dire « occidental ». Ils n’utilisent donc pas ou peu les quarts de ton qui caractérisent la musique orientale (« shar’î ») [9]. La vision de la guitare développée par le premier se distingue de celle de musiciens spécialisés dans l’oriental. Tandis que je lui demande s’il a rajouté des frets sur le manche de sa guitare pour obtenir la possibilité de jouer des quarts de ton à la mélodie comme c’est l’usage chez nombre de musiciens, il me répond :

« Non non, ça ne va pas du tout, la guitare, si quelqu’un veut faire des quart de tons, pour avoir un son oriental, je préfère sur un instrument oriental, pas occidental. La guitare c’est un instrument occidental, pas oriental. S’il veut un son oriental, il peut le trouver dans le oud, le nay (flûte), l’orgue, le qanun (cithare). Et si tu mets le quart de ton à la guitare, tu ne peux plus faire les accords ».

Ces engagements artistiques sont éloignés de ceux de Mohamed et de Nayif qui s’inscrivent tous deux dans une esthétique orientale caractérisée par une approche mélodique construite sur les modes, à l’instar de l’immense majorité des musiciens palestiniens au Liban dont la plupart sont spécialisés dans la chanson politique et alimentent l’idée nationaliste en produits culturels [10]. Leur univers est en effet celui du mode (maqam) et même s’ils jouent des marches militaires orientalisés plutôt que des pièces classiques ou les chansons de la grande tradition, c’est en référence aux gammes spécifiques de la musique arabe qu’ils pensent leur pratique et sont à même de communiquer. C’est au demeurant, dans ce répertoire que leur est offerte une rare opportunité d’exercer leur art de façon un peu professionnel (les organisations politiques à l’instar du fatah rétribuant parfois les membres des orchestres). Faut-il en conclure comme le fait Kamal Boullata à propos des plasticiens que « plus les artistes vivent près de leur culture, plus leur art est figuratif et au plus loin il s’établisse, au plus leur art évolue vers l’abstraction » (36). La véracité toute relative de cette remarque tient aux possibilités de création et d’insertion dans un marché de la musique, lequel se résume dans les camps à des formats identitaires et politiques, tandis qu’à l’extérieur, il est préférable de ne pas trop afficher son appartenance comme nous le rappelle par exemple Jihad Akil :

Mon père m’a appris que nous n’avions rien à faire avec la politique, la guerre, les organisations. Moi je ne peux pas parler de mon histoire et de mon peuple, les gens ici ne l’admettent pas. La société est différente. Il faut avancer dans la vie, vous ne pouvez pas vivre dans le passé et les souvenirs. Il faut avancer.
(Beyrouth, Sin al-fîl, 2007)

Les seuls à le faire, non sans un certain malaise toutefois, sont les quelques rappeurs palestiniens issus des camps et de leurs abords, qui chantent dans les boites et bars branchés de Beyrouth les difficultés de leur vie et l’oppression subies dans une logique de dénonciation du ghetto [11].


Photo 8 : Le groupe de rap Palestinien Katibé Khamsé dans le centre-ville de Beyrouth. (Cliché Nicolas Puig, janvier 2008).

Il faut noter toutefois l’exception notable que constitue le camp de Dbayé qui abrite une population palestinienne chrétienne de même qu’une forte proportion de Libanais dont une majorité est issue soit de l’implantation durant la guerre de personnes déplacées, soit de l’obtention de la nationalité libanaise par nombre de réfugiés. Ce camp a une histoire particulière du fait de sa position au milieu d’une zone chrétienne dont les miliciens, entre 1975 et 1982 affrontent directement les Palestiniens. Dans ce contexte, il n’y a aucune organisation politique dans le camp de Dbayé, ni marquage de l’espace par les symboles Palestiniens qui quadrillent les autres camps du Liban sans exception. Les musiciens que j’ai pu rencontrer dans ce petit camp sont spécialisés dans la chanson orientale et l’animation de soirées, notamment l’accompagnement de danseuses et se produisent dans les restaurants de la zone chrétienne qui s’étend au Nord et à l’Est de Beyrouth. Ils sont totalement étrangers à l’idée de musique politique et n’ont jamais participé aux orchestres affiliés aux orchestres issus des organisations. Mais ici, contrairement à Imad ou Jihad, le référent musical est shar’î, même si cela demande quelques aménagements pour les instruments ne disposant pas de la possibilité de jouer les quarts de ton. La guitare, notamment, quand elle accompagne en accords une mélodie construite sur un mode intégrant des intervalles d’un quart de ton, doit éviter certaines notes. L’instrumentiste, selon une technique connue qui se développe depuis la diffusion de l’instrument dans le monde arabe au début des années 60, omet dans l’accord la note qui pourrait être dissonante. Il bloque la corde de la note incriminée : il ya’amal mute (mute, anglais de « muet »).

Les conventions esthétiques suivies par les musiciens sont fonction de mémoires musicales, elles déterminent les formes de la carrière et, dans l’intimité du chez-soi, elles établissent des familiarités sonores, des habitudes d’écoute, des souvenirs auditifs. Ces conventions tracent des frontières et les contrastes dans les approches musicales renvoient au contexte des apprentissages et secondairement à une influence de l’environnement urbain. La proximité avec des musiciens explorant les voies nouvelles du rock dans les années soixante-dix tandis qu’il résidait dans un quartier proche du centre-ville est à l’origine des choix esthétiques de Imad Shahine. Pour d’autres, comme Mohamed ou encore Nayif, les moments d’éloignement des productions nationales ne sont pas vécus sous le signe du divorce musicologique ; l’ambition musicale se situe ailleurs.

« Moi ma plus grande production, ce sont les chansons nationalistes pour n’importe qui. Je fais des chansons pour ceux qui me le demande. Je n’ai pas d’orientation spécifique. Mais pour Rotana, j’ai présenté des chansons normales, c’est pour la vente. Dans le style des chansons de Sabah [12], des belles chansons » (Mohamed Qassab, 2007).

Lors d’une enquête réalisée par Amanda Dias sur les peintres du camp de Baddawi au Nord du Liban, celle-ci a mis en avant l’implication politique des œuvres et leur symbolisme lié à la condition politique des palestiniens. J’ai pu de mon côté mesurer, s’agissant de poésie par exemple, la façon dont cette dernière est assujettie aux enjeux politiques et à la dénonciation de la brutalité israélienne et américaine à l’encontre des palestiniens, des Libanais ou encore des Irakiens. Les thèmes abordés sont ainsi, par exemple, la prison de Guantanamo ou le bombardement israélien d’un abri dans la ville de Cana au Sud Liban en 1996 qui causa la mort de 102 civils réfugiés dans un camp de casques bleus– un second bombardement dans la même ville a causé la mort de 28 personnes dont 16 enfants lors de la guerre de juillet-août 2006 –.

La production musicale à Baddawi comme dans les autres camps du Liban, est également subordonnée à la question politique. Cela se manifeste par la présence de plusieurs orchestres affiliés à des partis (FDLP, Fatah, membres d’un groupe proche du Hamas qui répète à Tripoli) ; de plus les deux studios d’enregistrement sont installés dans les appartements d’un sympathisant du Hamas et d’un musicien proche du Fatah. Le premier refuse d’enregistrer des « romances », c’est-à-dire des chansons sentimentales et se spécialise dans la chanson militante, l’autre est encore trop cher pour les quelques « home » compositeurs. Si l’on excepte les quelques troupes de musiciens et de danseurs qui animent les processions nuptiales (Zaffé), les pratiques culturelles médiatisées dans les camps sont ainsi étroitement liées aux organisations politiques qui les commanditent de même qu’aux engagements des artistes qui résident dans ces espaces marqués de diverses manières par leur « palestinité ».

Un signe réside dans le fait que l’un des rares orchestres « libres » (mustaqilé) réunit des musiciens ne vivant pas dans un camp tandis les répétitions se déroulent dans un centre social avenue Sabra dans une zone « mixte ». Cela semble donner raison à Kamel Boullata et conforter les observations de Amanda Dias. Néanmoins, il existe à l’intérieur des camps des espaces pour des productions plus personnelles qui viennent relativiser la prégnance des engagements politiques dans la création artistique. À la fréquentation de musiciens, à Baddawi, comme ailleurs, à Burj al-Barajné par exemple, j’ai pu expérimenter ces moments musicaux « gratuits » où seule une ambition esthétique gouverne le jeu, qui prennent place dans les moments de « relâchement » à la fin des répétitions et surtout, chez soi où le cadre privé permet de laisser libre cours à toute sorte d’inspiration (Puig, 2008). Ainsi, inscrite dans le camp, la production culturelle demeure majoritairement assujettie au registre politique et identitaire, surtout quand elle est performance publique ; tandis que des espaces de respiration personnelle existent, qu’ils s’insèrent dans les répétitions des orchestres de musiques politiques et patrimoniales ou prennent place dans l’intimité du chez-soi.

À l’extérieur du camp, il fut un temps où la chanson nationaliste et folklorique palestinienne pouvait s’exprimer dans des lieux mixtes. Ces lieux se sont raréfiés et les espaces palestiniens dans la ville se sont rétractés jusqu’aux camps, alors qu’auparavant, jusqu’en 1982 en gros, les institutions de l’OLP étaient très présentes dans le quartier de l’Université arabe à Beyrouth Ouest où vivaient de nombreux réfugiés. À l’exception de quelques scènes dont celle du palais de l’UNESCO ou des Universités, à l’initiative de collectif d’étudiants palestiniens, sur lesquelles prennent place des commémorations nationales, la musique à l’extérieur des camps est une musique sans destination, se suffisant à elle-même ; qu’elle soit performée par des artistes vivant dans un camp ou pas.

Il est perceptible également que la réussite dans le domaine musical « universel » d’une musique purement esthétique, qui s’écoute sans motif politique, apparaît comme une consécration à de nombreux musiciens dont les ambitions musicales transcendent les positionnements politiques. Mais, dans ce registre également les choses sont nuancées et d’autres artistes promeuvent un art militant et refusent l’idée de l’art pour l’art.

3) Diversité des mondes, divergences des vécus

Du point de vue d’informateurs proches du Fatah, l’invasion du Liban par l’armée israélienne en 1982 marque la fin de la révolution palestinienne (ath-thawra al-filastiniyya) qui avait débuté une vingtaine d’année auparavant. Ce temps fut celui des grandes mobilisations collectives dont témoignent abondamment ceux qui ont vécu cette époque, certes dans la douleur et le drame de la guerre, mais également dans l’effervescence de la réforme sociale et politique. Le camp, malgré les fractures politiques existant à l’époque, symbolise alors la résistance palestinienne, le réfugié est un combattant, un résistant à tout le moins. Toutefois, depuis les années quatre-vingt et les défaites palestiniennes successives contre les milices chrétiennes, l’armée israélienne puis face à la milice Amal soutenues par la Syrie, le camp est devenu une marge urbaine qui accueille, surtout à Sabra et Chatila, et dans de moindres proportions ailleurs, une population de réfugiés non reconnus, Irakiens notamment et de travailleurs migrants majoritairement syriens, mais également Philippins et Sri-Lankais, ainsi que des personnes sans statuts reconnus – des bidoun, les « sans » : sans papiers et sans existence administrative. Les combattants auraient disparu et les rappeurs de Katibé khamsé peuvent chanter que désormais « seule reste la photo du zaïm (leader), accrochée sur le mur de la ruelle ». Ils insistent : « la chanson nationaliste c’est fini, nous on joue les beat » (Puig 2007). Si l’intensité du marquage de l’espace par la cause reste forte par le biais des affiches, des photos de responsables politiques et de martyrs, des drapeaux, slogans et fresques qui recouvrent les murs, la relation au politique se transforme. En effet, les camps ont connu un éclatement des positionnements politiques, moraux et sociaux. Ces évolutions se retrouvent dans les itinéraires de musiciens ou les phénomènes d’individualisation aboutissent à une variabilité des parcours et des engagements politiques et esthétiques. L’une des figures récurrentes est ainsi celle du pragmatisme : les passages de l’orchestre d’un groupe politique à un autre (par exemple d’un orchestre dépendant du fatah et donc financé par cette organisation à un groupe estampillé FDLP ; ou encore transformer une troupe de musiciens et de danseurs de debkeh du FDLP en prestataire de performance pour les mariages sous prétexte que le parti « ne ramène rien et ne paye pas » (chanteur, Chatila, 2005). De même, certains musiciens vendent leurs chansons à ceux qui se présentent, quelque soit leurs appartenances politiques, comme nous l’a dit directement plus haut Mohamed Qassab, mais d’autres confirmeraient cela qui, à Beddawi ou à Ayn al-Héloué, se lancent dans l’écriture de chansons et composent dans le même temps pour les différents orchestres des camps.

Quant à la « chanson normale », également dénommée « romance », il s’agit d’une chanson sentimentale qui s’inscrit dans le vaste courant de la variété arabe. Elle est diffusée par les différents médias dont la multinationale Rotana. Mais si Mohamed n’a pas d’orientations spécifiques en matière de politique, ce n’est pas le cas d’autres musiciens, plus militant à l’instar de Bassem qui refuse d’enregistrer des chansons « inutiles » qui ne serve pas directement la cause :

« Nous on travaille pour l’art national et islamique. On travaille dans tout le Liban avec un orchestre qui s’appelle « La promesse de Dieu ». Dans tout le Liban, Maintenant, on va en Syrie, on a un projet en Jordanie. Beaucoup de tournée à l’étranger. Mais c’est de l’art orienté dans un but précis, c’est fini de jouer des trucs sans importances et toutes les musiques futiles. » (Entretien avec l’auteur, Baddawi, 2006).

On mesure la diversité des approches du domaine artistique à entendre ces différents musiciens et à les suivre dans leur pratique professionnelle. Bassem, il est vrai, a fait le choix militant de retourner vivre dans le camp de Baddawi, proche de Tripoli où il vivait jusque récemment, de façon, argumente-t-il, à vivre dans un environnement proche de ses racines, à donner à son jeune fils une éducation palestinienne et lui permettre d’entendre et de pratiquer sa propre langue [13].

Ces positionnements ne l’empêchent nullement par ailleurs d’encadrer le groupe local du FDLP et d’être lié d’amitié avec un jeune musicien membre de l’orchestre du fatah... L’un des chanteurs de son orchestre, le Cheikh Walid est proche du Hamas. Je l’ai rencontré grâce à l’un de ses anciens élèves à l’école de l’UNRWA qui entretient avec lui de bons rapports, même si, me confie-t-il en aparté tandis que nous retournons à l’intérieur des frontières du camp [14], il n’est pas du tout d’accord avec les idées politiques du cheikh mélomane.

On obtient ainsi des combinatoires variables entre militance et expression artistique qui sont fonctions des environnements et des possibilités qu’ils réservent en matière de liberté et de choix des conventions esthétiques. Pensés dans une relative continuité, sans sentiment de rupture, les passages entre les musiques et entre les orchestres demanderaient à ce que soit apprécier la teneur des sincérités contextuelles, la dynamique des rôles sociaux et les déploiements des subjectivités.

Ces quelques remarques nous alerte également sur cette caractéristique de la vie sociale des camps au Liban où la diversité des engagements se fait dans des mondes sociaux contigus. Cela est valable pour le politique comme pour le culturel et les musiciens naviguent au sein de petits milieux qui s’entrecroisent parfois. Ces croisements concernent des musiciens qui sans vivre dans les camps sont liés d’une façon ou d’une autre à la cause. Cela appert des parcours de Mohamed ou bien de Nayif et de son fils Fahd et de ceux d’autres artistes qui vivent dans les camps. Ainsi du luthiste Khaled résidant actuellement à Burj al-Barajné et membre comme Fahd (et avant lui son père) de l’orchestre al-Hadî pour le chant palestinien. Mais certaines trajectoires professionnelles contrastent, telle celle de Jihad Akil qui suit la voie de l’excellence, ce qui l’a conduit être élu à plusieurs reprises « le meilleur musicien arabe de l’année » ; il le dit non sans exprimer implicitement son sentiment de revanche sur le destin, et celle de Imad Chahin, personnage atypique car il n’a jamais été en contact avec les mondes palestiniens, ni dans les camps, ni dans la ville, ni dans son art.

– I.S. : « On a commencé, j’avais deux, trois amis : « Allez, on fait de la musique, chacun étudie, on fait un groupe après ». Et c’est parti ! J’ai commencé à chercher... j’étais à l’école, j’avais dix ou onze ans, je me suis mis à chercher une guitare ou quelqu’un pour m’apprendre. Nous, on n’était pas une famille riche, on était modeste. À douze ans, ma grand-mère est morte. Moi j’ai été obligé de laisser l’école et d’aller travailler. J’étais seul avec ma mère. Je travaillais durant la journée dans un magasin de tissu. Et la nuit, j’étudiais ; à six heures du soir, j’allais à l’école pour étudier. Petit à petit, j’ai commencé à constituer un petit capital et je voulais acheter une guitare. Au début je n’ai pas pu, je l’ai emprunté à mon ami. Nizzar ... tu le connais le saxophoniste. Tu le connais ?
– N.P. : Peut-être... il joue avec Rahbani en ce moment ?
– I.S. : Oui, il a presque plus de cheveux... Il a travaillé en Norvège pendant 25 ans, il était musicien, il a la nationalité. Son frère était mon ami et nos voisins, les voisins de mon oncle. Ils habitaient près des bains militaires. Sur la mer, à Manara. Je lui ai demandé de me prêter la guitare de son frère qui voyageait. Il m’a dit « vas-y prends-la pour apprendre dessus, c’est la guitare de mon frère et il est en voyage ». Je l’ai amené à un magasin d’instrument pour l’arranger. Pour monter les cordes, je ne connaissais rien moi. Je suis resté à la maison jusqu’à ce que je rencontre un type qui n’était pas professionnel. Il était amateur mais c’est tout ce que j’ai trouvé à ce moment. J’ai commencé à apprendre. Il jouait lui dans un groupe qui s’appelait « Cosaques ». Il jouait de la guitare basse. Il jouait à d’oreille. Il n’avait rien. En presque trois mois, c’est fini, il n’avait plus rien à m’apprendre ; En trois mois, je joue, je chante, je joue des solos. J’aimais beaucoup. En cinq mois, on a commencé à faire un petit groupe avec des jeunes, des arméniens qui travaillaient près de mon magasin. On a fait connaissance et on a formé un groupe. J’allais tous les jours de Beyrouth à Zuq. Près de l’hôpital psychiatrique. Avant Jounié, il y a un grand hôpital. On a loué un local là-bas et on répétait là-bas (...) ».

Les artistes qui sont nés et ont passé leur enfance dans les camps développent des conceptions musicales qui sont influencées par l’ambiance culturelle des camps : le rock et le jazz y sont inconnus [15], de même que la musique classique occidentale. Les musiques dominantes sont les chansons palestiniennes, politiques ou patrimoniales, et la variété arabe contemporaine. À Dbayé qui constitue, nous l’avons vu, une exception, cette dernière tendance est la seule représentée. Le père de Jihad Akil, qui est originaire de Sabra, a joué dans les orchestres de musique nationalistes et folkloriques, il fut l’un des initiateurs de l’ensemble al-firqa al-markazziya qui diffusa la culture palestinienne depuis le Liban à la fin des années soixante-dix. Mais, il transmit à son fils la rigueur du classique comme le sens de l’effort et du travail, considérant que rien en matière d’initiation musicale ne pouvait égaler l’apprentissage de la musique classique occidentale et de ses pièces pour violon – notamment les « Caprices » de Paganini souvent citées pour leurs difficultés techniques. Nayif, qui lui, ne fut pas du tout encouragé par son père, bien au contraire, s’est spécialisé dans l’oriental, que ce soit au oud ou à la guitare. En effet, la pratique professionnelle de la musique peut être légitime socialement et, parfois, moralement, que dans certaines conditions : si elle sert la cause palestinienne ou bien s’exerce dans les salles prestigieuses des capitales arabes [16]. Ainsi Nayif lui aussi encourage son fils Fahd à poursuivre de longues années d’étude du violon classique sous la direction du père de Jihad. Mohamed lui aussi a rencontré des difficultés familiales au moment de faire valoir sa passion qu’il finira tout de même par imposer... La réussite et les entrées d’argent aidant !

La diversité des trajectoires comme des conceptions musicales, même si pour la majorité la musique politique et nationaliste est un passage obligé quoiqu’il se fasse au sein de formations aux idéologies très différentes, et la variété des modes d’engagement des artistes ne reflètent-ils pas en définitive l’existence de mondes palestiniens différenciés juxtaposés dans des espaces urbains restreints se déployant entre territoires et réseaux lâches ? Cela témoignerait alors, entre autres, du caractère proprement urbain qui fait des camps des morceaux de ville, voire des ville à part entière, comme l’était avant sa destruction Nahr al-Bareed, le grand camp du Nord ; du moins, c’est en ces termes que les habitants le décrivaient. Du point de vue des appartenances et du sentiment identitaire, une conscience nationale se maintient dans l’éclatement des projets, agissant comme un plus petit dénominateur commun et, au-delà de la disparité des destins et des positionnements et des lieux des racinements, demeure pour la grande majorité la reconnaissance de la spécificité d’une histoire collective à l’origine de la formation d’« une communauté existentielle » (Agier, 2002 : 130) [17]. Elias Sanbar parlait à ce propos du sentiment d’infirmité qu’entraîne le ressenti de l’exil (2001 : 36).

Musiques des bouts de monde

(...) « Je suis maintenant connu dans le monde arabe, mon souhait à présent c’est d’être diffusé au niveau mondial »... La musique de Jihad Akil peut effectivement bénéficier d’une large diffusion car elle s’inscrit dans un courant esthétique mondialisé, en puisant à la fois dans le répertoire classique (thème du deuxième mouvement adagio du concerto d’Aranjuez de Joaquín Rodrigo ou premier mouvement de la symphonie numéro 40 de Mozart, à la suite d’une adaptation antérieur chantée par la chanteuse libanaise Fairouz «  Ana, Ya ana ») et des chansons arabes célèbres de Umm Kathum ou Abdel Halim Hafiz. Les airs sont arrangés de façon spectaculaire, les tempos accélérés, les parties rythmiques omniprésentes avec utilisation de boites à rythme et de percussions, enfin les formats sont réduits au temps d’une chanson de variété. Ce courant est performé hors les camps, il n’est pas politique mais uniquement esthétique et commercial. Si certains dans les camps peuvent être sensible à ce type musical, il ne trouve pas à l’heure actuelle dans les rares espaces publics, salles de fêtes, de répétitions, locaux divers, d’espace de performance. C’est également le cas pour le rap, même si de timides tentatives d’organisation de concerts existent. La différence fondamentale du point de vue du discours étant que les rappeurs de Burj al-Barajné ou de Ayn al-Héloué produisent un discours de critique politique et de réforme social sur le local et le présent « ici et maintenant » en utilisant pour cela un mouvement musical globalisé [18]. Partant, ils individualisent le politique et proposent de nouveaux modes d’engagement plus éclatés, personnels et ludiques que ceux proposés par les organisations militantes [19]. La musique de Jihad trouvera aussi un public dans les camps si l’on considère les clips musicaux de facture similaire qui circulent entre les disques durs des ordinateurs et les clés USB. La consommation de musique est en effet suffisamment morcelée pour offrir un petit public à des formes artistiques jusqu’alors inconnues au milieu des productions traditionnelles palestiniennes et arabes. Ces nouvelles cultures minoritaires sont de deux ordres ; soit elles sont une émanation des camps, portées par une nouvelle génération qui voit dans la culture hip hop, par exemple, un vecteur efficace et moderne pour transmettre autant qu’une ambition artistique, un sentiment vis-à-vis de la situation des Palestiniens au Liban. Soit, totalement extérieures aux mondes palestiniens, elles sont portées par des artistes qui y voient une façon d’exercer leur art dans un cadre artistique populaire. Ces nouveaux styles sont des réinterprétations locales de cultures mondialisées.

La variété des imaginaires musicaux renvoie à la façon dont les mondes palestiniens sont connectés de diverses façons sur les flux culturels internationaux. Les modes de diffusion sont variés et utilisent les grands médias arabes, l’Internet et les marchés locaux informels de DVD et de CD piratés dans lesquels circulent films et logiciels d’ordinateur. Constitués en mondes sociaux enclavés et stigmatisés par une partie de la population locale, les palestiniens au Liban s’inscrivent dans des flux culturels mondialisés en les appropriant dans leurs conditions particulières. Ils contrebalancent ainsi, dans et hors les camps, selon des modalités différentes, l’essoufflement des productions nationales en explorant de nouvelles voies culturelles. Cette hétérogénéité des productions et des consommations s’inscrit dans le processus d’individualisation en cours dans les camps et à l’éclatement relatif des mondes palestiniens au Liban tandis que le lien politique de la cause s’est affaibli du fait des divisions comme de la disparition des grands récits politiques, arabe et palestinien. Les adhérences entre ces différents mondes sont parfois ténues, mais la coexistence en met, pour le meilleur et pour le pire, les membres en état de communication minimale tandis que hors les camps, les conditions existent pour que l’identité palestinienne ne soit plus l’objet explicite de la production culturelle et sa préservation un enjeu pour la création. Dans ce cadre, les récits des musiciens font état d’un racinement au Liban, s’accommodant de l’exil en distinguant l’origine palestinienne de l’autochtonie [20]. Délestée de ses contenus idéologiques collectifs, l’appartenance palestinienne est alors constituée en marqueur symbolique de la condition existentielle, et non plus en support menacé de la revendication politique nationaliste.

Référence bibliographique :

Michel Agier, 2002, Aux bords du monde, les réfugiés, Flammarion.

Benedict Anderson, 1996, L’imaginaire national, réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, La Découverte.

Marc Augé, 1992, Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil.

Kamal Boullata, 2003, « Artists Re-Member Palestine in Beirut, Journal of Palestine Studies », XXXII, n°4, 22-38.

Fanny Colonna, 2004, Récits de la province égyptienne, une ethnographie Sud/Sud, Sindbad Actes Sud.

Amanda Dias, 2007, « Peintres de Baddawi, Entre création artistique et engagement politique », in Itinéraires esthétiques et mises en scène culturelle au Proche-Orient, Beyrouth, IFPO.

Nicolas Puig, 2006, « Shi filastini, quelque chose de palestinien. Musiques et musiciens palestiniens au Liban : territoires, scénographies et identités », in Tumultes, Entre résistance et domination
Figures libres ou mouvements imposés, 27, 109-135.

Nicolas Puig, 2007, « Bienvenue dans les camps  ! L’émergence d’un rap palestinien au Liban : une nouvelle chanson sociale et politique », in Itinéraires esthétiques et scènes culturelles au Proche-Orient , (N. Puig, F. Mermier, dirs), IFPO, Beyrouth.

Nicolas Puig, 2008, « Entre villes et camps : musiciens palestiniens au Liban », in Autrepart, La ville face à ses marges, Armand Colin/IRD, 45, 59-71.

Élia Sanbar, 2001, Le bien des absents, Babel, Actes Sud.
Age A. Tiltnes, Falling Behind, A Brief on the Living Conditions of Palestinian Refugees in Lebanon, FAFO AIS, n. d.)

NOTES

[1] Jihad Akil, violoniste : « Je présente la musique orientale et occidentale et le monde entier dans un seul instrument », entretien avec l’auteur, Beyrouth, Sin al-Fil, Décembre 2007.

[1] Le Liban compte 409,714 réfugiés palestiniens enregistrés mais ils ne seraient que 200 000 à résider au Liban, les autres ayant migrés, selon A. Tiltnes dont 140 000 vivraient dans les camps et groupements (résultats d’une enquête menée entre 1999 et 2001 : Age A. Tiltnes, Falling Behind, A Brief on the Living Conditions of Palestinian Refugees in Lebanon, FAFO AIS, n. d.). Dans ce même numéro, Jalal al-Husseini précise qu’ils sont 53 % à vivre dans les camps gérés par l’UNRWA.

[2] Le texte de Daniel Meier dans ce même numéro apporte un autre éclairage en traitant des mariages mixtes à Beyrouth.

[3] Voire le texte de Sylvaine Bulle dans ce numéro d’ASYLON dans lequel elle insiste sur cet astigmatisme de la recherche.

[4] Fanny Colonna propose une ethnographie Sud/Sud dans le cadre d’une enquête conduite en collaboration avec de jeunes chercheurs algériens.

[5] L’expression désigne l’ensemble des activités militantes, civiles et militaires, dont le but est la création d’un État après avoir été la libération de la Palestine.

[6] Petit matériel informatique et sonore permettant d’enregistrer éventuellement (pour les mieux équipés) et de procéder à des arrangements musicaux et de composer des pièces musicales.

[7] Voir dans ce même numéro, le texte de Nadia Latif dans lequel des habitantes du camps de Burj al-Barajné font état d’une vie plus agréable lors des premiers temps du camp, du fait d’une urbanisation moindre, de la présence d’espaces naturels et de la possibilité pour les enfants de jouer à l’extérieur.

[8] Toute une série de métiers sont interdits aux palestiniens au Liban dans différents domaines.

[9] Même si Jihad A. en use davantage dans son dernier CD : Shiraz, a violin Affair, 2008, Oreole records. www.oreole.com.

[10] Benedict Anderson rappelle que les « nations inspirent l’amour, et un amour qui va souvent jusqu’au sacrifice. Les produits culturels du nationalisme – la poésie, la fiction en prose, la musique et les arts plastiques – témoignent très clairement de cet amour sous des milliers de formes et de styles différents » (1996 : 145).

[11] À la suite d’un concert dans une boite de Beyrouth Est à majorité chrétienne, Amru, le leader du groupe Katibé Khamsé m’a confié ne pas être content de sa performance pour diverses raisons dont la principale est que « ce n’est pas un endroit pour eux ». Quant au très jeune chanteur de I-Voice, Yassine (il a tout juste 18 ans), il lui avait été demandé pour sa prestation dans une autre boite de Beyrouth de ne pas trop insister sur les aspects politiques de ses chansons, la soirée étant dédié à l’entertainment....

[12] Chanteuse libanaise appartenant à l’âge d’or de la chanson arabe personnifiée par la diva égyptienne Um Khalthum. Rotana est l’entreprise dominante sur le marché pan-arabe de la musique et des chaînes musicales.

[13] Les dialectes palestinien et libanais diffèrent même s’ils sont proches. Au sein même de chaque dialecte, des différences existent, principalement dans la prononciation. La question linguistique reste peu ou pas du tout étudiée (à ma connaissance) alors qu’elle recèle des enjeux importants. Tout en ayant récolté des indices des modes de différenciation par la langue et des diverses manipulations auxquelles se livrent les personnes selon les situations, je n’en ai pas une connaissance détaillée. Or celle-ci nous apprendrait beaucoup sur les stratégies des acteurs, sur les positionnements réciproques comme sur le degré d’imprégnation des habitants des camps par le dialecte libanais environnant, cela notamment en fonction de l’éloignement du camp du centre urbain ou sur les significations de l’emploi volontaire et décalé considérant les parlers contemporains, du dialecte rural palestinien dans certaines productions musicales.

[14] Au moment de notre rencontre en juillet 2007, Cheikh Walid louait un appartement en périphérie du camp de Baddawi après avoir fui les affrontements entre l’armée libanaise et les jihadistes du Fath al-islam.

[15] Mais pas le rap qui apparaît depuis quelques années à Burg al-Barajné et Ayn el-Héloué, respectivement dans les banlieues de Beyrouth et de Saïda (Puig, 2007).

[16] Le type d’instrument joue également un rôle dans le maintien de la dignité du musicien. Nayif a du abandonner la guitare qui ne correspondait plus à son âge.

[17] L’auteur pense ici à une communauté de l’exode ni ethnique, ni religieuse, ni nationale. Je le conçois dans le contexte spécifique du Liban comme un sentiment de partage unissant les réfugiés quelque soit leur trajectoire et cela malgré les cinquante années qui se sont écoulées depuis la nakba : le contre exemple fournit par Imad qui se sent palestinien et non pas réfugié nous incite à mesurer le poids du contexte libanais (maintien de camps relativement enclavés, loi productrice de ségrégation et importance de l’histoire locale).

[18] Lors d’une récente conversation, Amru indiquait son ambition de « mettre la pression sur sa société »... Haret Hrayk, janvier 2008.

[19] Le développement, encore timide, du rap dans les camps n’est pas sans susciter de réactions de la part des membres des organisations politiques qui oscillent entre rejet – et demande directe « d’auto-censure » par rapport aux sujets parfois sensibles abordés dans les textes – et tentative de récupération.

[20] D’une façon générale, Marc Augé constate que les récits d’origine sont rarement des récits d’autochtonie (1992, p. 58). Cf. Puig, 2006, p. 135.