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Livres choisis

Recueil Alexandries

< 23/80 >

juillet 2024

Marie-Claire Caloz-Tschopp

FRONTEX, LE SPECTRE DES DISPARU.E.S

Nihilisme politique aux frontières

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à lire sur Terra

Walid MOUACHA, "Migrations sous surveillance : Analyse des implications des technologies de surveillance sur les migrants aux frontières européennes"", Recueil Alexandries, Collections Masters, juillet 2024, url de référence : http://www.reseau-terra.eu/article1...

présentation de l'éditeur

Cet essai politico-philosophique ouvre la réflexion sur un nouveau nihilisme politique aux frontières : la torture, les morts, les disparus structurent des pratiques sécuritaires dangereuses. Il apporte des bases pour une nouvelle politique migratoire, du droit d’asile, du travail, des droits sociaux, des rapports de justice avec les pays d’origine et de transit des exilés d’une nouvelle Europe basée sur l’hospitalité politique, les droits fondamentaux, rejoignant les luttes pacifistes pour le climat, les droits sociaux, les luttes des femmes, etc., en Europe et dans le monde. Police ou politique ? Guerre ou politique ? La responsabilité politique est déléguée par les États à Frontex, agence de police de l’Union européenne, avec un mandat paradoxal : protéger, contrôler, expulser. La violation des droits fondamentaux, les « crimes contre l’humanité » s’accumulent. Trop de maltraitance, de morts, de disparus aux frontières de l’Europe ! Pourrons-nous encore nous baigner dans les mers, nous promener sur les chemins de passage, rêver au désert ? Des alternatives existent. Des praxis anti-nihilistes courageuses ouvrent des possibles.

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© L’Harmattan, 2023 - Extrait du livre publié avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. L’Harmattan, 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris - http://www.editions-harmattan.fr - ISBN : 978-2-14-048903-7 - EAN : 9782140489037


6. Le mensonge en politique, la puissance de la pensée et l’ambiguïté

Avant d’affronter le nihilisme politique et mettre en lumière l’antinihilisme aujourd’hui, arrêtons-nous au mensonge en politique qui, au premier abord, prend toutes sortes de formes (désinformation, censure, autocensure, logiciels d’intelligence artificielle, nouvelles technologies, etc.). Mais vues depuis la philosophie, la pensée, la politique, elles présentent plusieurs angles de recherche. Que peuvent les mots, la pensée face au mensonge en politique lié structurellement à la violence atteignant des seuils-limites, et particulièrement sur le terrain des politiques migratoires, de Frontex ? En d’autres termes, qu’est-ce qui pèse comme une chape de plomb sur les praxis d’insurrection imaginaire, sur la pensée autonome, sur l’apprentissage du vertige démocratique qui renouvelle la question de l’autonomie ? Qu’est-ce qui empêche d’imaginer, voir, parler, penser, savoir, agir à la fois individuellement et collectivement ? Il ne s’agit pas ici de débattre de la réflexion, de l’élucidation, de la compréhension, liées aux praxis, mais de circonscrire un problème. Depuis la philosophie, limitonsnous à une question en lien avec la pensée active.

Revoir aujourd’hui le film de Margarethe Von Trotta sur Hannah Arendt, en fait, sur l’activité de la pensée et le « manque de pensée », diffusé en 2013 a été et reste un avertissement16. C’est un appel à se dégager de la marchandisation de la pensée, des manipulations multiples. Ce qui est en jeu est le pouvoir de penser autonome, actif, la liberté politique liée à l’agir.

Le fait de déclarer l’esprit humain en 2023 (face aux gaffas) comme « patrimoine de l’humanité17 » est un autre signal d’alarme lancé par un philosophe. D’autres voies comme celle de l’exploration de « l’algocratie18 » pour rester humains dans nos métiers et dans nos vies sont une autre voie de recherche. Il faudrait ajouter les travaux sur les liens entre capitalisme financier, sciences et nouvelles technologies et autonomie de la pensée et consentement à des politiques, pratiques libertariennes. On peut entendre ces recherches diverses comme une inquiétude devant l’ambiguïté de la liberté politique et la privatisation du bien humain de la connaissance, de la pensée devant le grignotage de tout bien commun – dont la pensée est le plus précieux pour les humains –, appelé à devenir une marchandise vide.

La voie parcourue ici avec Arendt, enrichie par Bleger, Beauvoir, en lien à la violence aux frontières, à la guerre, à la pensée manipulée interroge sur une caractéristique propre à la pensée, sur la liberté politique et la pensée autonome face au mensonge en politique et la violence guerrière. Si on peut être fasciné par les nouvelles recherches en science et leurs défis, les découvertes technologiques, les outils, le savoir-faire des gaffas, on peut s’inquiéter devant la présence des mensonges en politique qui banalisent la violence aux frontières, où l’on en arrive à généraliser la torture et le faire disparaître sans insurrection si ce n’est minoritaire.

À partir de là, on peut avancer une réflexion sur le mensonge ambigu en politique. Quel rôle joue l’ambiguïté de la liberté politique dans le mensonge en politique, se demande Hannah Arendt. Ce qui est en jeu, c’est la possibilité de la politique et de la philosophie dans les activités humaines, dont celles du savoir, de l’action libre, ici aux frontières. Horizon. La fin de la condition humaine caractérisée par la liberté politique accompagne assurément la fin de la planète.

Je postule que les atteintes des mots, de la pensée, ont un lien direct avec le mensonge en politique, la propagande et les praxis du vertige démocratique et l’insurrection imaginaire (partie 7). Débusquer des lieux de mensonge ambigu en politique et des luttes antinihilistes (partie 6) fait partie des praxis de résistance. La dépropriation/appropriation des mots, de la pensée a un rapport direct avec l’autonomie et la démocratie à toutes les frontières.

Le terrain d’analyse de l’autonomie de la pensée se limite ici au « laboratoire » Schengen-Dublin-Frontex, son évolution vers une Europe des polices militarisée en 40 années – le fait étant renforcé par les luttes antiterroristes (septembre 2001) – à mettre en lien avec les guerres d’Irak, de Syrie, d’Ukraine, etc., les débats sur l’OTAN, le Conseil de sécurité de l’ONU, le commerce des armes, les profondes transformations de l’économie, de la politique, de la culture, de la technologie, de la géopolitique, etc. Aux frontières de l’UE et ailleurs dans le monde, des millions d’exilé.e.s soumis à des battues sont repoussés, « chassés », soumis à la maltraitance, la répression, la torture, la mort et pour un nombre grandissant à la disparition forcée. De multiples institutions, acteurs se croisent aux frontières, dont l’agence Frontex de l’Union européenne.

Un chiffre peut illustrer par un autre biais la vérité et le mensonge en politique matérielle et Frontex en particulier. Le financement de l’agence Frontex était de 6,16 millions d’euros en 2005, année de sa fondation. Il est de 333,3 millions d’euros en 2020. On sait que le mandat de Frontex est contradictoire (protection, expulsion, contrôle) et que les besoins de l’agence ne peuvent être identifiés et justifier une telle augmentation. La pensée de la quantité (chiffres, statistiques) de la violence d’État19 appelle à une pensée de la qualité pour avancer.

Notes :

16 Hannah Arendt, film accessible en streaming ou téléchargement sur UniversCité. Voir aussi le livre d’Arendt, La Vie de l’esprit. La pensée, Paris, PUF (1971 en anglais), 1981 (éd. française).

17 C’est le travail d’un philosophe Mark Hunyadi, qui s’intéresse aux géants du numérique qui privatisent l’esprit humain qui devient une source de profit des nouvelles technologies.

18 Magos Vincent, Résister à l’algocratie, Bruxelles, éd. aapaka.be, 2023.

19 Compter… Ce type de pensée est particulièrement dominant dans les politiques des étrangers. Elle transforme des personnes en choses abstraites. Elle se développe aujourd’hui par l’illusion de l’hyper contrôle dans la chasse aux migrants. En Suisse, le Conseil fédéral a mis récemment en consultation un projet d’analyse des supports électroniques des requérants d’asile d’Europe. L’Europe se lance aussi dans une numérisation globale basée sur la récolte de données.