Transdisciplinarité, humanisme, éducation, technologie et faits sociaux (2016/...)
J.C. Tiago de Oliveira University of Evora, UNESCO chair on Intangible Heritage, Center Philosophy of Science, Coordinator Erasmus mundu
I. La présente communication transpose l’étude présentée au Festchrift de Lima de Freitas et à la Conférence Abellio 2009.
Les présupposés en sont :
a) L’approche d’un enseignant en Histoire et Philosophie des Sciences ;
b) La pédagogie d’un coopérant en Afrique et en Océanie ;
c) Une réponse, par généralisation, à la question de l’émergence telle que proposée par les sages de Roumanie ;
d) Une quête d’absolu et de vérité à travers la parole perdue ;
e) Quelques images de ses nombreuses peintures foisonnantes de symbolisme
II. Les étapes en sont :
1. Vox Zenonis – émergence d’autres logiques ;
2. Baby Universes – les nouveaux mondes ;
3. Mystérieuse Disjonctions – le monde imaginal en tant que rupture ou synthèse ;
4. This is the End – critique des voies gothiques ;
5. Rencontres avec des nombres remarquables ;
6. All novelty is but oblivion ;
7. A life with many Masters ;
8. Ages in Chaos ;
9. O temps, tes pyramides ;
10. Mehr Licht !
Peut-être est-ce un effet collatéral de leur combat avec le paradoxe. Ainsi, sont-ils contrains à inventer des systèmes alternatifs. Je suppose connue l’émergence des niveaux de réalité chez Nicolescu. Ce chapitre argumente que des émergences peuvent (doivent ?) apparaître dans des logiques plus profanes que celle du tiers inclus.
Deux exemples :
Celui des types logiques qui sont à la fois des ontologies régionales et des entités de discours. En nombre a priori potentiellement infini, trois de ces types sont suffisants pour la plupart des mathématiques (Peirce) et d’autres langages naturels (Bateson).
Celui des mondes, aux sens des logiques modales ; leurs systèmes sont de cardinalité non dénombrable et s’occupent de l’ambivalence du rapport entre “possible” et “nécessaire”.
Précision historique – la philosophie au Portugal n’a pas oublié leur introduction en 1980 par Nguyen Van Minh.
“Est-ce que le possiblement nécessaire est nécessairement possible ?” – positive ou négative, la réponse conduit à deux weltbild (mondes) différents.
Cette innovation épistémique radicale ne connut pas la réjection liminaire.
Cependant, elle peut choquer :
à chaque collapse de fonction d’onde / acte volitif / triage aléatoire, l’univers bifurque.
La multiplicité émergente a précédé d’une génération les concepts de Multivers, chers à Hawking comme à Smolin.
Michael Heller, collègue de Wojtila à Krakow, et Astronome Papal à Castelgandolfo, parle de “Manifold of Universes”.
Plus éloquent, Tryon répondit « Qu’est-ce que l’univers ? »
Peu de chose ; un de ces phénomènes qui se déclenchent de temps en temps dans le vide”
Cette adjonction de la vacuité s’accompagne de scénarios difficilement compatibles – inflation, théorie du tout, cordes, membranes.
Plus consensuel, l’avènement du nigredo :
le voisinage des trous noirs étant observé, devient la preuve de leur existence ; - 96% de l’univers pondérable ne manifeste pas de forme physique.
Donc – “the rest is silence !”
An moins trois fois, c’est l’advenu au Monde Imaginal, catégorie tierce secrètement inclue entre le sensible (Malkuth) et l’intelligible (Binah) ; il reçoit son nom d’après la rencontre sur place, à un millénaire d’intervalle, de Sohrawardi avec Corbin.
Deux autres fois ce Mundus Imaginalis fut le lieu de rencontre, en tant qu’initiation réciproque :
entre Rumî et Shams de Tabriz, la malamati soudainement disparu ;
à travers Ibn Rushd et Ibn Arabi qui, s’étant rencontrés trois fois, le firent sous la forme
de scissions de plus en plus claires.
Lima de Freitas ayant eût son premier Symposium à l’Orient de Sintra, au titre de rapport avec l’avènement du Mundus Imaginalis, il me semble juste de nommer ce trajet comme une “Voie Levantine” pour la sagesse.
Quoique conçue sur l’antipodale Auckland, je tiens au substantif gothique. Je préfère adresser mon reproche au plus noble de ses ouvrages, “The Self and its Brain”, écrit à quatre mains avec John Eccles. L’argument biologique – l’Homo Sapiens ayant cessé d’évoluer, à la lutte génétique succède celle des “mèmes” de Dawkins ; tandis que le propos est métaphysique – trouver le trône de l’âme (Netzach ?) dans les interstices du Monde II, qui succède à Malkuth (Monde I), pour aboutir à la vraie aventure, où le combat éternel des théories scientifiques se réfutant mutuellement, aboutit à une place entre le Jurassique Park et Geburah, le Monde III. Le vecteur temps étant irréversible, l’histoire des sciences y devient une paléontologie des systèmes vaincus au champ d’honneur. La question a été posée par John Horgan : si l’univers des entités, leurs lois, le temps de l’émergence, de nombre des événements physiques et des faits de l’histoire et le contenu de la totalité des sciences en croissance exponentielle sont finis, qu’adviendra-t-il à cette évolution accélérée lorsqu’elle frappera la paroi d’une telle finitude ? Faudra-t-il alors inventer un IVe Monde ?
Ceux qui visitent le Son et Lumière de Karnak auront entendu que Germanicus y a rencontré « le dernier des Thébains qui avait perdu les hiéroglyphes, et ceux-ci racontaient une plus grande gloire que celle de Rome. » La Pierre de Rosette devient ensuite, tel le monolithe de Kubrick, la réinvention d’un langage perdu. De la même sorte, d’après Lima, l’histoire du Point de la Baubütte connaît trois instances : a) l’oubli de sa construction ; b) sa création ex-nihilo par Almada Negreiros ; c) la correction de b) par Lima de Freitas. Il agit d’un problème du second degré, soluble à l’équerre et au compas. Un acte de pythagorisme.
On sait que, devant la torture, l’Architecte du premier Temple n’a pas prononcé la Parole. Dont le témoin fut le degré moindre de majesté associé au second Temple. On discute aujourd’hui encore le sens des mots de l’agonisant du Golgotha. Moisés Espirito Santo suggère qu’il pourrait s’agir de l’appel à Élie, lequel ne serait pas loin. Combien de paroles perdues, rien qu’à Al-Qods ! A l’Orient de Jérusalem, les Tibétains sont catégoriques – les réformes philosophiques advenant par le biais de la rencontre des Terton, textes cachés, tels des trésors dont le destin est la révélation en temps opportun-dont la définition devient tautologie. Au sud du Potala, le Dr. Marda est catégorique – toute la science médicale fût transmise par Brahman à Manu (le premier homme), est ensuite oubliée, les fragments qui en restent constituant l’ Ayurveda. Toujours à Poone, chez Petri Murien, j’ai contemplé une statue – parole sculptée – que la datation par C14 aurait indiqué être antérieure à la création... Suite à un de ces hasards de la fortune semblable à ce qui conduisit Carter et Carnavon à la Vallée des Rois, je suis amené à découvrir une dépouille très riche et totalement intacte à Reguengos de Monsaraz, celle d’António Gião (1906-1969), l’auteur de 140 titres, correspondant d’Einstein, de Schrödinger, de Majorana, aujourd’hui oublié comme Toutankhamon le fût pendant des millénaires. Sa postérité semble aussi frappée de malédiction – c’est tout le dossier du Centre de Calcul Scientifique de Gulbenkian qui fut détruit par l’eau dans les averses de 1967 : les procès – [va bains de Conseil Sooluir de la Faculté des Sciences, qui, à la date présente (28 Août 2009), en était inaccessible, risquant d’avoir péri par le feu]. Seules les quasi illisibles « Notes autobiographiques pour éclaircir les raisons de mon échec », qui ont pris 10 ans pour être partiellement transcrites – [s’interrompent abruptement après 21 pages, qui survolent entant d’autres constant le premier tiers de sa vie, si d’autres pages ont été écrites, seront-elles perdues ?] Quel que soit le succès de ma thèse, probablement nul ; tel celui de la présente conférence ; mes propos auraient été corroborés ou réfutés par d’autres pages, eussent-elles été écrites, ou pensées... Avec le sentiment de Saudade de ces pages désormais absentes le travail se poursuit, c’est le lieu d’invertir l’adage : « Scripta volant, verba manent ».
1) Almada Negreiros, futuriste, écrivain et dramaturge, d’inspiration pythagoricienne. Lima ne l’a rencontré que deux fois mais Lima a totalement oublié les propos échangés. De l’effort pour reconstruire le souvenir perdu de leurs paroles est advenu le volume « Almada e o Numero » présent à Seix
2) Avec le magistrat autrichien Max Holse. Après un séjour au Goulag, il est venu en Espagne étudier Zurbarán, et à Lisbonne s’enquérir de Fernando Pessoa. Disciple de Jeanne de Salzmann, il travaille avec quelques noms de la Philosophie Portugaise – Delfiem Santos, José Marinho, António Telmo etb. Lima était du groupe. Un mot de cet homme dont l’éloge était rare : - « La vérité la plus profonde n’est pas en Almada mais chez Lima »
3) En tant que Directeur-Général d’Action culturelle, il amena à Lisbonne Raymond Abellio. Lima a écrit quelques pages à cet égard, en un volume sur De Roux. Deux conséquences locales de cette conférence :
la thèse de Zé Guilherme Abreu ; mon passage an groupe Systema, après Daniel Verney et avant Luminet et Nottale.
Une 3ème conséquence pourrait devenir la conséquence des deux autres : la réalisation à Porto des Rencontres Abellio 2010.
4) France-Culture a initié, avec Michel Cazenave, une séquence d’événements dont le premier eut lieu à Cordova.
5) En 1983, ce fût à Tomar, avec « La Chevalerie Spirituelle et la Conquête du Monde ».
6) Trois remarques sur ce qui y advint :
1 – Le début de l’amitié entre Gilbert Durand et le Portugal.
2 – La présence – rare ─ de Vitorino Magalhães Godinho.
3 – L’absence de la Chevalerie Orientale : Boutros-Ghali, Amin Maalouf.
Peut être en suppléant à cette absence, la communication de Lima de Freitas fut la seule versant sur un Orient – celui du Prêtre Jean en Éthiopie.
7) Les mathématiques du Labyrinthe sont plus complexes que celles des départements scientifiques. Pierre Rosenstlehl les développe à la Maison des Sciences de l’Homme.
Ainsi, lorsque celui-ci se présente à Lisbonne – à la Faculté de Sciences Sociales et Humaines – Lima de Freitas, auteur de l’ouvrage de référence, est parmi nous. Ce fut le début d’un long rapport entre l’art et la science, précédé par un non moins long rapport avec la science-fiction (la collection Argonauta).
8) Par les soins conjugués de l’IFIP et de Gulbenkian, Lisbonne fût le lieu du « Fractal 90 ». Lima en intégra l’organisation, et son affiche – « Les Fractals Imparfaits » s’inspire à la fois de Mandelbrot et du Mosteiro da Batalha.
9) A ce moment-là on parlait de fusion à froid. S’agissait-il d’une procédure alchimique ? Pour régler le problème, nous appelâmes le spécialiste, José Anes, qui devait devenir Grand Prieur et Grand Maître, et dont la thèse « Hermes, Redivivus » vient d’être approuvée Summa cum Laude. Ce fût le moment pour Lima de Freitas d’intégrer la Grande Loge Régulière du Portugal, où il est devenu C.B.C.S. Suite à ce rapport, un article de chacun des deux sur « L’Autre Newton », édité par deux universités – Évora et Fernando Pessoa.
10) Suite à « Fractal 90 », Mario Markus, savant chilien du Max-Planck Institut de Dortmund, arriva. Il venait au Portugal avec Saudade de l’ambiance provinciale de son enfance. Il voulait faire de l’art par ordinateur, il a réussi. Ses images du chaos modulé restent les plus fantastiques du marché. Voir www.mariomarkus.com/hp4. De ses entretiens avec Lima, un lointain souvenir, le dialogue entre les deux et Guilherme Valente – l’éditeur scientifique et le Prof. Vitória, des hommes aux cheveux blancs, devant les jeunes professeurs bien au-delà de l’horaire, au PROFMAT 92, à Viseu.
11) A nouveau chez Gulbenkian, première rencontre avec István Hargittai, le chimiste qui posa la symétrie comme dénominateur commun de la culture humaine. Une rare synchronie y prend place – au moment où l’on découvre les « Penrose Tilings » dans la nature, Lima étudie l’apparition du pentagone au long de l’Histoire de l’Art – le thèse du 515, ouvrage édité à Paris, présent à Seix.
12) Leur seconde rencontre a eu lieu à Arrábida 1994, au Premier Congrès Mondial de Transdisciplinarité présidé par Lima.
Quinze ans après, un bilan s’impose. Au programme siégeaient des auteurs d’Orient – Daryush Shayegan, Adonis. Ils manquèrent à l’appel. Le vecteur a été résolument occidental, et l’option a été faite - à tort pour la francophonie, ce qui est devenu, désormais, une contrainte. Le second congrès a eu lieu au Brésil, à Vitória, et son Message a été oublié, la Déclaration d’Arrábida continuant à être la norme du CIRET. La prochaine rencontre aura lieu au Québec. Il m’appartient de défendre que le plus actif noyau transdisciplinaire est celui des Universités au Cap Vert – actif parce que les étudiants de 2 des 5 universités locales, celles d’Etae et la Jean Piaget, ont le loisir de l’étudier. Au Portugal, où le verbe créateur s’est éteint avec Lima, c’est aussi aux Départements de Pédagogie de deux Écoles que le mot résiste. Les messages transdisciplinaires irradient par les soins de Basarab Nicolescu, à Paris, le noyau brésilien reste un centre de recherche, la Roumanie reçoit l’héritage de Lupasco et Nicolescu, malgré quelques controverses avec l’Eglise ; les pays anglophones résistent ... Au fond, la transdisciplinarité suit les routes latines du métissage vers l’Occident. Le reste est du silence...
III. Précautions à prendre lorsque l’on veut enseigner le « 515 ».
A ce moment, les élèves auront fréquenté Spengler et « l’Histoire Universelle des Chiffres » d’ Ifrah. Ils savent que les nombres et leurs symboles changent avec les civilisations. Ils connaissent la mesure des angles et du temps à Elam et à Sumer, en base sexagésimale ; ils savent que la mesure des angles pentagonaux (72%, 108%) implique l’usage des numéraux de base 10. Cette séparation des différents versants culturaux est nécessaire à la compréhension de la Kabbale par contraste aux Mathématiques - chez Lima comme chez Abellio - et vivement déconseillée dans tous les autres enseignements de l’Académie.
IV. Applications pédagogiques :
1. a) « Ages in Chaos »
Si j’adopte comme définition de Chaos l’exposant de Liapounoff positif et le temps est renversé ; alors les systèmes déterministes à exposant négatif, c’est à dire non- chaotiques, revisitent « backwards in time » ; ces systèmes là acquièrent un Liapounoff positif. C’est le mystère des origines, commun au monde physique et au monde humain, justifié par la modération mathématique. L’amplitude croissant avec le temps dans les ontologies sous-jacentes aux nouvelles cosmologies est la souveraine illustration de ce point.
2. « Le temps craint les pyramides »
Quand commença-t-on à parler des 2 cultures ? Avec Boetius, Galilée, C.P. Snow ? Mes études mènent à penser que ça aurait pu être en Egypte. Personne ne sait comment furent édifiées les pyramides. Autrement dit, ceux qui le suivent discordent entre eux (voir numéro thématique no 106 des « Cahiers de Science et Vie »). Le Papyrus Rhind, de Ah-Moseh (ou, d’après mon Père, Ah-Mosheh, un nom juif) forme « le langage pour révéler toutes les choses, visibles et invisibles ». On dirait un Galilée au temps de Pharaon. Le document est un traité d’arithmétique, décomposition de fractions au numérateur deux sommes d’inverses de nombres entiers.
Aussi, la notation pour ceux-ci est limitée par la différence des symboles associés à chaque ordre de grandeur. La mathématique des érudits scribes d’Egypte est donc moins performante que celle d’une enfant de 6 ans au 3 millénium, c’est-à-dire incapable d’exprimer le nombre d’or, les dimensions du pentagone (que Lima de Freitas a retrouvé dans leur art) et, ajouterai-je, l’alignement des pyramides sur les étoiles, d’une io qui manqua à Tycho et à Kepler ... Depuis Vitruve, le langage du génie civil est la mathématique. Avant c’était celui des harpadoneptai, qui auraient peut-être précédé Appolonius dans l’approche de l’ellipse...témoignage d’un langage plus performant. Ce langage n’était donc pas numérique au temps d’Imhotep – et de Hiram Abif. Je dois cette analogie à mon Père, qui savait ce qu’il disait, lorsqu’il parlait. Ayant fréquenté les lieux depuis 1972, il rappelait la commensurabilité entre la culture non écrite des architectes d’Egypte et celle des patriarches de Judée. Au mythe fondateur du Temple – aujourd’hui mis en cause à la Maison des Sciences de l’Homme – je retiens le silence d’Hiram sur la Parole Perdue. Je crois avoir argumenté que celle-ci n’aurait pas pu, à l’époque, être mathématique. Peut-être, la théorie constructive de Bejan – une variation des fractales – peut-elle déduire la nécessité de la forme des pyramides, ou de celle des temples, comme une émergence rationnelle non supportée par le plan d’un architecte. Langage inadéquat, double culture ou parole perdue ? C’est à ce type de problèmes que Lima de Freitas le peintre, l’ami d’Abellio, eût le loisir de faire face durant sa longue vie.