Appels à contributions
Appel à communication pour un numéro de la revue Asylon(s) sous la direction
Patrick Bruneteaux
Ulrike Zander
« Il est clair que la question de la race se pose à tout moment en Martinique et en Guadeloupe tant chez les privilégiés que chez ceux qui se rangent parmi les humiliés »
Michel Leiris (1955 : 125)
Entre la définition de J. Derrida pour qui chaque culture est par essence coloniale et celle du premier courant très conservateur des post-colonial studies qualifiant de la sorte littéralement l’après colonial (Lazarus 2006 : 61) (à la manière d’ailleurs des juristes et de nombreux historiens pour qui l’appellation de « colonie » cesse avec la « départementalisation » en 1946), le chercheur navigue souvent à vue pour définir globalement un espace social. Avec « féodalisme », « capitalisme », « Etat », « démocratie », « (néo)libéralisme », « totalitaire », « racisme », « colonial » fait partie de ces méta-catégories qui semblent à la fois évidentes et par définition insatisfaisantes, parce qu’incapables de rendre compte des multiples déclinaisons qui les affectent. C’est la raison pour laquelle les auteurs entendent apporter des précisions dans l’écriture du terme lui-même (néo-colonial, post-colonial). Toutefois, l’enjeu de ce numéro d’Asylon consiste à interroger ces nouveaux concepts à partir d’enquêtes précises centrées sur les Antilles françaises. Faut-il parler avec un préfixe ou sans préfixe ? Avec ou sans préfixe, de quel colonialisme parle t-on en fin de compte ? Quelle part faut-il faire aux concessions scientifiques à l’air du temps (revenu du marxisme et du colonialisme) ou, à l’opposé, aux avancées scientifiques réelles ? On ne peut ainsi s’interroger sur le monde colonial sans s’interroger aussi sur le champ scientifique et sa relation aux objets « extrêmes » ou « extrêmement sensibles ».
Si l’on se rapporte à l’aire géographique caribéenne, les études s’incrivant dans la sous méta-catégorie « post-coloniales » se segmentent en deux courants majeurs. On peut identifier un courant anthropologique dominant, depuis Les Amériques noires de R. Bastide (1967) ou l’œuvre de J. Benoist (1972), jusqu’à M. Giraud (1979), R. Price (1991), M.J. Jolivet (1992), J.L. Bonniol (1992), P. Ndiaye (2000) ou C. Chivallon (2004). Il s’agit d’identifier une aide culturelle spécifique marquée du sceau des violences extrêmes de la diaspora, de l’exploitation esclavagiste sur les plantations et de la résistance/créativité économique et culturelle d’un peuple créole syncrétique. Ces travaux, convergents, insistent sur les différentes formes de violences (diaspora, segmentations des castes, discriminations socio-raciales), travaillent sur l’identification, en « anthropologie culturelle et sociale » de modes de vie et de cultures créoles spécifiques au bassin caribéen (cultures paysannes, marronnage, carnaval et pratiques culturelles autour de la danse), objectivent les séquelles du complexe esclavage/colonialisme à travers l’examen des relations de parenté et de genre (Giraud 1999 ; Mulot 2000).
L’autre courant, plus « sociologique », et majoritairement martiniquais et extra-académique, privilégie l’étude des groupes sociaux dans la formation coloniale ou néo-coloniale, essentiellement pour critiquer l’importation de la modernité blanche dans l’espace martiniquais (Lucrèce 1994, 2000 ; Ozier Lafontaine 1999).
Dans tous les cas, la science sociale « domienne » est de part en part traversée par les problématiques des effets persistants de l’esclavage et du colonialisme. Cependant, rares sont les auteurs qui posent la question des propriétés du colonial dans un monde qui n’est plus entièrement colonial.
L’objet « monde colonial » peut ainsi être travaillé à partir d’une interrogation de sa survivance dans les espaces sociaux d’entre-deux qui, comme la France, maintiennent le lien politique colonial (pas d’indépendance à l’opposé de nombreuses îles anglophones ou hispanophones) tout en ayant aligné la colonie sur des statuts d’équivalence (départementalisation en 1946, fonctionnement des institutions démocratiques). Jusqu’à ces 20 dernières années, en France notamment, spécifiquement en science politique, la partition sacrée -donc de sens commun- entre « totalitarisme », « autoritarisme » et « démocratie » interdisait de penser les niches autoritaires en démocratie et donc de penser les « Départements français d’Amérique » ou les « Régions ultra-marines » dans la logique de cette tension conceptuelle. Depuis les années 2000, plusieurs travaux ont montré la porosité de cette frontière, en particulier dans le champ des études relatives à l’espace ou aux effets du colonial dans sa phase démocratique (Blanchard 2003 ; Lecour-Grandmaison 2005, 2009, 2010 ; Jalabert 2007 ; Bernardot 2008 ; Ndiaye 2009). Si les spécialistes du bassin caribéen ou des espaces coloniaux sont moins dupes que les chercheurs généralistes ou centrés sur les mondes occidentaux, par ce qu’ils observent du monde (néo)colonial dans sa phase contemporaine, cet effet de censure se lit tout de même, semble t-il, dans la préférence pour des termes tels que « créolisation », « diaspora » ou « post-colonial ». Il apparaît que, au moins pour clarifier les positions, l’approche frontale de l’objet « Quel colonialisme aujourd’hui dans les DOM ? » trouve ici une pertinence minimale. Au mieux, ce dossier sera l’occasion de proposer de nouvelles perspectives théoriques et de mettre en lumière des travaux inédits sur un monde social encore largement vu par les « métropolitains » à travers les lunettes de l’« univers paradisiaque », vision que le mouvement social de 2009 a largement entamé.
Résidus de l’empire colonial français, toujours inféodés politiquement dans la « nation française », les DOM offrent apparemment le cadre idéal pour interroger cette notion de colonialisme dans des espaces insulaires détachés de la « métropole ». Rattachés à l’Etat français, les anciens territoires coloniaux devenus départements français assez récemment (1946 sur le papier) se prêtent particulièrement bien à une hypothèse de continuité coloniale. Si la plupart des colonies britanniques ou espagnoles de la Caraïbe sont devenues indépendantes, les territoires de l’Empire français ne se sont pas affranchis de la tutelle politique ancienne. Si l’impérialisme peut qualifier les premières, le colonialisme pourrait facilement offrir un cadre de pensée pour les seconds. Mais est-ce si simple ?
Le monde colonial est une formation sociale complexe qui est née de systèmes sociaux non démocratiques (royautés autoritaires de l’Ancien régime) et s’est maintenue dans les Etats occidentaux dits « démocratiques » (si l’on entend par démocratique le suffrage universel et ce que R. Aron nommait le « système constitutionnel pluraliste »). C’est donc à l’articulation du non-droit et du droit, des pratiques de gouvernementalité contraintes et des pratiques sociales individuées dans l’espace des libertés publiques (liberté d’aller et venir dans le projet social) [1] que la réflexion sur les propriétés contemporaines du « colonial à l’occidental » s’inscrit épistémologiquement. Or, la question se pose de savoir comment cette plaque pluri-séculaire a été affectée, travaillée, recomposée par les institutions et pratiques sociales dites démocratiques (libertés civiles, publiques, liberté d’entreprendre…). Les sociétés anciennement coloniales domiennes doivent-elles être qualifiées de coloniales sous prétexte qu’elles sont inauguralement « créoles » et devenues « résidus de l’Empire » alors qu’elles se seraient alignées sur le mode de fonctionnement des formations sociales métropolitaines actuelles ? Ou bien est-il envisageable de les qualifier ainsi parce que l’ancien mode d’infrastructure socio-économico-politique perdurerait de multiples façons ? Et il perdurerait soit sous des formes maintenues ou soit sous des formes transfigurées mais non point disparues. De fait, la question peut légitimement être soulevée : s’il est clair, d’entrée de jeu, qu’il n’est pas possible de parler de système colonial à l’identique, donc « entièrement colonial », peut-on à bon droit traiter des « résidus » ou des « formes actuelles » de colonialisme qui subsisteraient ? A supposer que ces « restes visibles » ou ces « dimensions souterraines » soient identifiables, de quel colonialisme pourrait-on alors parler dans une formation sociale qui ne s’épuise pas à être coloniale ? Autrement dit, si l’on prend l’exemple de l’habitus et des idéologies, les analyses d’un Frantz Fanon dans Peau noire masque blanc, d’un Albert Memmi ou d’un Michel Leiris (plus mesuré) sont-elles toujours d’actualité, notamment la culture aliénée du colonisé ? Ou bien assiste t-on au dépassement du cadre colonial et de l’européocentrisme, tant dans les structures que dans les représentations « combatives » d’une « intégrité culturelle » symboliquement défendue, à la Martinique, par le plaidoyer d’Aimé Cézaire -« Discours sur le colonialisme »- selon E. Said (1994) ? S’il est vrai qu’aujourd’hui, tant par les colloques domiens portant sur l’esclavage ou le colonialisme, les manifestations de commémoration de l’abolition de l’esclavage et les mouvements culturels multiples (dont L’éloge de la créolité de Chamoiseau, Confiant et Glissant), une analyse « post-coloniale » du paysage idéologique ou identitaire (Chivallon 2002a) indiquerait les transformations à l’oeuvre dans le monde « ultra-marin », un simple rappel de la présence monopolistique du journal France-Antilles suffit à contrebalancer structuralement l’argument d’un pays désaliéné par ses minorités actives.
Sans vouloir fermer le débat, bien au contraire, on propose aux contributeurs un cadre de réflexion, à valider, nuancer ou infirmer, preuves empiriques à l’appui. On se propose donc de formuler l’hypothèse d’un cadre colonial persistant mais largement transformé, qui délimite l’appel à contribution.
Dans le cadre de la pensée des formes ou pratiques maintenues ou transfigurées du « cadre colonial », l’enjeu de ce numéro a trait à l’articulation des deux mondes, aux formes de révélation du régime colonial dans les structures sociales actuelles. Comment la matrice socio-historique de l’esclavage et de la colonisation continue d’œuvrer dans les structures comme dans les habitus ?
Sur ce thème du maintien de l’ancien sur le moderne, on peut proposer des réflexions sur les effets de perturbations perceptibles, interférences ou dissonances structurelles au cœur même du fonctionnement social des autres régimes sociaux :
de manière générale, une politique étatique d’impuissance organisée de façon à maintenir le pouvoir des Békés sans véritable politique économique de développement, « incohérences » stratégiques dénoncées par de nombreux rapports publics (Jalabert 2007 : 70-76) ;
une petite propriété paysanne « prolétarisée » et « pluri-active » sur les mornes adossée au système plantationnaire car freinée par les pressions des grands planteurs (Chivallon 2002, 2004 : 90),
Des conflits du travail souvent happés par la logique « identitaire » (Daniel 2000). En particulier, les professions du tourisme qui sont toujours sous-développées dans un cadre tendu de relations du travail entre capital métropolitain « blanc » et main-d’œuvre « noire » (les dirigeants d’Accor, groupe hôtelier, parleront en 2002 « d’attitude du personnel inamical voire agressive » et de « climat social détestable » (Dans Le Parisien, cité par Jalabert, op cit : 101) et de contestations musclées des associations écologiques indépendantistes opposées aux projets de « développement » des Békés ;
l’existence en Martinique de mouvements politiques nationalistes – autonomistes et indépendantistes – qui, bien que ne trouvant que peu d’adhésion au niveau idéologique, jouent un rôle incontestable dans la gestion de l’île (de certains municipalités jusqu’au niveau de la Région) et réussissent ainsi à concilier nationalisme martiniquais et appartenance à la République française ;
le champ médico-social organisé autour des transferts sociaux d’une île sous perfusion qui, dans le blocage d’un développement économique qui aurait concurrencé l’exportation coloniale, légitime la débrouille et les cumuls entre économie informelle et aides sociales (Daniel (dir.), Bruneteaux, Lefaucheur, Kabile, Rochais 2007).
les pratiques symboliques, où se lisent les tensions socio-raciales permanentes, dans le « double polémologique du carnaval » (De Certeau in Agier 2000 ; Mulot 2003), dans l’ambivalence (Gresle 1992 ; Chivallon 2004 ; Zander 2010) des positions des élites noires tiraillées entre fidélité (zone grise) et dissidences (indépendantismes culturels ou politiques), comme dans le marronnage microscopique des dominés -surtout les hommes- contraints de demeurés malgré tout sur place (Chivallon, op cit ; Price 2000), ou encore celle des hommes face à la sexualité entre réputation du mâle séducteur et soumission chrétienne à la respectabilité (Glissant 1981 ; Giraud 1999 ; Mulot 2000) révèlent la pérennisation du caractère xénophobe voire raciste du monde colonial (Bonniol 1992) projeté sur les différentes scènes des interactions et des situations sociales.
Une autre question renvoie à la manière dont le chercheur entend départager :
ce qui relève d’un monde et de l’autre dans une formation sociale qui est censée s’être transformée (transformations de la stratification sociale, pluralisme politique, droits républicains, protections sociales, modes de consommation). Quels indicateurs utiliser pour identifier les « parties » coloniales dans les structures sociales actuelles (maintenues ou transfigurées) et comment penser cette dualité dans la logique des schèmes et dispositions des habitus ? Par exemple, en quoi est-il crédible de postuler une logique coloniale dans le « régime » de la consommation qui affecte toutes les sociétés du monde dit développé ? L’exportation des modes de consommation ressort-il d’une aseptisation culturelle, comme l’affirment A. Lucrèce, L.F. Ozier Lafontaine ou encore T. Nicolas (2002) à travers les concepts de « hors lieux insulaires » pour qualifier les centres commerciaux et « d’hypo-insularité » plus globalement ?
ce qui est déterminé par la perspective généalogique dans la triple dimension
● du même : le déni de l’esclavage dans les « lieux de la mémoire coloniale » et les « stratégies muséo-commerciales » (« anciennes cases à travailleurs ») dans la structure des « musées » situés sur les plantations de Békés participant avec la bienveillance du pouvoir politique français, de la droite à la gauche à la « ‘politique de l’oubli’ républicain incapable d’appréhender les clivages raciaux » (Chivallon 2006)
● du transfiguré : la pérennisation selon des formats changés des structures de domination socio-raciales. La plantation bien sûr mais plus largement le système global d’interdépendance entre la colonie, la métropole (qui continue à se dénommer sous cette appellation au point que les plus gênés parlent « d’hexagone ») et les cadres socio-raciaux recoupant la hiérarchie sociale
● et ce qui dérive d’influences diverses : porosités culturelles caribéennes ou internationales, développement de structures économiques industrielles où existe une élite « noire » de petits patrons du bâtiment et des services, les « TPE », tourisme, médias et pluralisme politique, économie informelle ; influences ne renvoyant pas ou très marginalement aux cadres anciens coloniaux.
ce qui procède du monde colonial sans être forcément colonialiste actuellement (structure linguistique, structures de la parenté, métissages, pratiques culturelles) et ce qui dérive de ce même monde tout en étant stratégiquement colonialiste : structures et discriminations socio-raciales, structure de la propriété foncière, politiques économiques de la métropole, blocages des grands planteurs (notamment par le système bancaire et la corruption de certaines élus locaux ou nationaux), fonctionnement des institutions publiques « déconcentrées » sur « l’ultra-marin », limitations faites aux initiatives ou aux politiques de transport inter-caribéennes, logiques de zone grise d’une fraction des élites « mulâtres ».
Une troisième interrogation renvoie à l’identification de la part transfigurée du colonial. Comment catégoriser un régime de colonial alors que les apparences sont autres tout en obéissant parfois aux mêmes fonctionnalités opératoires qu’auparavant, mais de manière plus détournée ou souterraine ? Comment empiriquement constater que le « même d’avant » existe parfois mais dans des structures et stratégies nouvelles (musées idéologiquement orientés, structures scolaires faisant place à une minorité d’enseignants Noirs et tolérant la littérature créole sur ses marges, aides aux emprunts à la consommation confinant les « martiniquais de couleur » au mode de vie métropolitain (Lucrèce 1994, 2000 ; Ozier Lafontaine 1999) ou dans des formes anciennes réaménagées (la plantation contrainte d’accepter les syndicats dans les années 1970, le pouvoir politique métropolitain composant avec une élite politique locale noire devenue en partie « indépendantiste ») ?
Faut-il parler de reproduction à l’identique de l’ancien mais selon un mode mineur ? Ne peut-on pas postuler que des logiques identiques opèrent en dépit de changements de surface ou d’intensité, à la manière du capitalisme qui s’est transformé en plusieurs « révolutions » pour devenir aussi un mode de consommation et de subjectivation ? On serait alors dans l’inventaire de logiques de fonctionnalités comparables à partir de structures ou de mécanismes changés, d’évolutions de formes ou de transfigurations liées à la coexistence des régimes sociaux : le cas exemplaire est le maintien du régime des castes et de l’apartheid matrimonial en coexistence avec des libertés civiles et sociales. Comment penser, dans cette veine, la coexistence de cadres antagoniques associant le maintien d’un aspect du régime totalitaire de la colonie esclavagiste (racisme communautaire) et du régime démocratique ? Si, pendant des décennies, la République s’est fort bien accommodée de la juxtaposition de bagnes et des libertés politiques en métropole, de guerres externes et de paix intérieure relative selon Karl Polanyi, d’exterminations de peuples indigènes et de respect des ouvriers en grève commandant une répression mesurée (Bruneteaux 1996), ne peut-on à l’inverse prétendre que l’état social des DOM se définit aussi par la coexistence des contraires mais cette fois-ci sur le même territoire ?
L’idée du numéro serait ainsi -et ces trois propositions ne sont que des pistes parmi d’autres- de penser le colonial dans le post-colonial, de voir comment, au delà de la disparition formelle, juridique, des termes et des cadres juridico-politiques, les structures sociales prolongent les déterminismes antérieurs, soit dans la reproduction (caste béké endogamique et raciste, maintien de la structure économique de la plantation, dépendance structurelle où 90 % de l’économie de l’île est tributaire des importations (Jalabert p 7/8)), soit dans la recomposition et les transformations des manières de faire : intégration partielle du créole dans la carte scolaire, moratoire entre Mittérand et les forces indépendantistes en 1981, retrait des Békés des affaires publiques officielles, tolérance administrative pour le cumul du RSA et des Djobs (Daniel et al. 2007) dans un pays où le PIB par habitant est de 14000 euros à la Martinique contre 24000 en métropole (rapport IEDOM 2003), guignolades des préfets qui prennent la pose populaire dans les courses de Yole, etc. Dans cette logique, on aurait un ensemble de contributions qui travaillent le social autant au niveau des structures qu’à celui des micro-relations, de l’infra-politique (Scott 2009), des événements analyseurs, bref, des substrats sociaux dans ou hors des institutions.
Penser cette « part » du colonial dans la coexistence du moderne pluraliste et de l’ancien autoritarisme voire totalitarisme suppose de s’articuler à cette logique du changement et de dépassement des apparences dans le maintien de cadres. Il existe en fait très peu de structures qui se sont maintenues à l’identique. L’exemple type est la plantation, cadre toujours maintenu mais selon une configuration qui a beaucoup changé dans le cadre juridique de « la liberté du travail ». Le numéro vise ainsi à saisir le spectre colonial entre reproduction et transfigurations.
Penser la part du colonial, dans cette juxtaposition des régimes d’action, c’est aussi pouvoir penser la tension que cette coexistence provoque dans les habitus : le dépassement de la souffrance du colonisé en traumatisme mémoriel, en traumatisme des invalidations raciales qui se prolongent en se transformant, en résistances identitaires contre un ennemi blanc que l’on veut chasser (la fameuse phrase de Camille Darsière, Second d’Aimé Césaire au PPM) ou qu’on exhorte imaginairement à sortir de soi (double utopique dans le carnaval identitaire des groupes roots) tout en étant encore partie intégrante de soi, au travers d’un « une quête à double sens entre le désir d’assimilation et le désir d’émancipation » (Zander 2010 : chapitre VIII). La haine toujours présente comme les inventions de monde trahissent un escapisme qui renseigne aussi sur le ressenti d’un existant excluant dont on veut s’échapper partiellement (carnaval) ou radicalement (indépendantisme) mais que l’on admire aussi, dans le prolongement de Fanon et Memmi sur l’aliénation du colonisé. Cette ambivalence se situe au cœur du fonctionnement colonial, mixte d’adhésion et de détestation, de fidélité officielle d’un côté et de rêve de maîtrise de son destin de l’autre. Cette ambivalence affecte essentiellement la « bourgeoisie de couleur » -mais traverse toutes les couches sociales prises dans un double bind entre une négritude et une blanchitude toujours sectoriellement vécues dans l’incomplétude- qui, depuis le régime plantationnaire oscille entre « collaboration » avec les Blancs (Békés et « Métros ») et rêve d’une négritude au pouvoir, ambivalence que le projet césairien dévoile dans le souci contradictoire de faire du Martiniquais un « Français à part entière » et de subir le dégoût de le voir toujours comme un « Français entièrement à part ».
• Relecture des propositions d’articles par les responsables du numéro.
• Relecture de l’article définitif, par le Comité Scientifique de TERRA selon la procédure de la revue Asylon(s) : http://reseau-terra.eu/article869.html#asylon(s)
• Date limite pour l’envoi des propositions d’articles : 15 janvier 2011
• Réponses des responsables du numéro : 31 janvier 2011
• Date limite pour l’envoi des articles : 15 avril 2011
Les propositions initiales seront transmises, en français ou en anglais, par email à Patrick.Bruneteaux@univ-paris1.fr avec le titre de la communication, une présentation résumée en 300 mots environ et le Curriculum Vitae (avec publications) de l’auteur.
Les textes des articles, en français ou en anglais, correspondant aux propositions retenues, seront transmis (au plus tard le 15 avril 2011) par Email à Patrick.Bruneteaux@univ-paris1.fr en document attaché au format RTF.
Bibliographie
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