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Recueil Alexandries

< 10/80 >

Marc Le Pape
Johanna Simeant
Claudine Vidal

Crises extrêmes

Face aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides

présentation de l'éditeur

Marc Le Pape, Johanna Simeant, Claudine Vidal (dir.), Crises extrêmes. Face aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides . Paris, La Découverte, 2006.

Paru le : 26 Octobre 2006 - Éditeur : La Découverte, Paris - Collection : Recherches - Reliure : Broché - Description : 334 pages (220 x 140 cm) - ISBN : 2707149802 - EAN13 : 9782707149800 - Prix : 28 €

A lire sur TERRA : l’introduction et deux articles extraits du livre.

Mots clefs

Marc LE PAPE est sociologue, chercheur au CNRS, membre du Centre d’études africaines (EHESS).

Johanna SIMEANT est professeur de science politique à l’université Paris-I Sorbonne et membre de l’Institut des Sciences Sociales du Politique (CNRS).

Claudine VIDAL est sociologue, directrice de recherches émérite au CNRS, membre du Centre d’études africaines (EHESS). Tous trois co-dirigent le GDR CNRS « Crises extrêmes ».

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PRESENTATION :

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Aux crises extrêmes, qui mettent en péril en péril l’existence de groupes humains entiers, répondent des actes (interventions militaires, assistance humanitaire, etc.) et des discours (mobilisations, appels, textes de journalistes ou de commissions d’enquêtes, travaux universitaires, etc.). Cet ouvrage retrace comment de telles crises sont constituées en objets de connaissance, de controverses et d’actions.

Les études de cas réunies ici - correspondant essentiellement aux années d’après-guerre froide, et plus particulièrement aux années 1990 (Rwanda, Colombie, Bosnie-Herzégovine, etc.) -. montrent comment les concurrences, conflits ou simples différences d’approche entre médias, écrivains, ONG, États, parlements et organisations internationales, multiplient les énonciations de vérités. Descriptions et controverses sont analysées afin de restituer leurs méthodes d’établissement des faits, en lisant de manière critique les récits produits, en recherchant les finalités pratiques auxquelles ces récits sont liés, en retraçant les généalogies des qualifications de violences.

Parce que les controverses occupent une place importante dans le débat public, cet ouvrage restitue l’implication d’une pluralité d’intervenants et d’observateurs. Quels schèmes de perception interviennent régulièrement pour façonner les récits des crises extrêmes ? Comment, avec leurs passions et leurs intérêts investis dans ces controverses, les acteurs introduisent-ils (ou non) un impératif de vérité, des principes de réalité ?

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SOMMAIRE :

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Marc LE PAPE, Johanna SIMEANT, Claudine VIDAL : Introduction

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I. QUALIFIER, METTRE EN RECIT, REPRESENTER

Claudine VIDAL : Un « génocide à la machette ».

Johanna SIMEANT : Qu’a-t-on vu quand « on ne voyait rien » ? Sur quelques aspects de la couverture télévisuelle du génocide au Rwanda par TF1 et France 2, avril-juin 1994.

Pascal DAUVIN : Le traitement journalistique des crises au regard de la sociologie de la production de l’information.

Sophie PONTZEELE : Enjeux et significations de la notion de « génocide » au Rwanda dans la presse écrite : avril-juillet 1994.

Alice KRIEG-PLANQUE : L’intentionnalité de l’action mise en discours. Le caractère intentionnel des crimes de masse sur la scène médiatique.

Marc LE PAPE : Vérité et controverses sur le génocide des Rwandais tutsis. Les rapports (Belgique, France, ONU).

André GUICHAOUA : « Vérité judiciaire » et « vérité » du chercheur : témoins et témoignages devant le tribunal pénal international pour le Rwanda.

Juan-Carlos GUERRERO-BERNAL, David Garibay : Identifier et interpréter une « crise extrême ». La « communauté internationale » face au conflit armé en Colombie.

Michel AGIER : La force du témoignage. Formes, contextes et auteurs des récits de réfugiés.

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II. FORMES ET RAISONS DE L’INTERVENTION

Arnaud ROYER : Les personnes déplacées du Burundi et du Rwanda : une catégorie juridique, une multitude de traitements politiques et humanitaires.

Rony BRAUMAN : Les liaisons dangereuses du témoignage humanitaire et des propagandes politiques. Biafra, Cambodge, les mythes fondateurs de Médecins Sans Frontières.

Didier FASSIN, Estelle D’HALLUIN : Témoigner sur la Palestine. La qualification psychique des violences de guerre par les organisations humanitaires.

Karine VANTHUYNE : Trois ONG œuvrant pour la « paix » au Guatemala

Sandrine LEFRANC : Pacifier, scientifiquement. Les ONG spécialisées dans la résolution des conflits.

Eric POINSOT : Amnesty International et le paradoxe de l’urgence.

Yves BUCHET DE NEUILLY : La crise ? Quelle crise ? Dynamiques européennes de gestion des crises.

Isabelle DELPLA : Les disparitions : incertitudes privées et publiques sur les disparus en Bosnie-Herzégovine.

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INTRODUCTION :

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« Crises extrêmes » : ce titre désigne un champ d’enquêtes et d’interrogations sur les actes et les discours produits en réponse à des événements qui ont mis en péril l’existence de groupes humains entiers. De tels malheurs, devenus publics, provoquent des réactions multiples et diverses, ils suscitent des controverses à la fois immédiates et durables sur la qualification des actes et sur les causes des événements. En outre, dès lors que des questions de responsabilité sont avancées, l’intensité des controverses publiques s’accroît, brouillant la perception des événements par le succès de récits stéréotypés, la cristallisation d’histoires officielles, les durcissements partisans. Constat qui conduit les auteurs de cet ouvrage à observer non pas la logique propre des crises mais les modalités selon lesquelles elles sont constituées en objets de connaissance, de controverses, de mobilisations et d’actions. Autrement dit, les études rassemblées ont pour finalité l’analyse des pratiques, de toutes sortes, qui concourent à rendre publiques des représentations concernant certaines crises extrêmes.

Le parti pris empirique nous a semblé un point de départ prudent. Les études de cas permettent en effet de mettre en lumière comment les concurrences, conflits ou simples différences d’approche (de cadrages) entre les médias, des écrivains, des ONG, des États, des Parlements et des organisations internationales multiplient et différencient les énonciations de vérités. Notre règle commune de travail consiste à analyser ces descriptions et ces controverses en restituant leurs méthodes d’établissement des faits, en lisant de manière critique les récits produits, en recherchant les finalités pratiques auxquelles ces récits sont liés, en retraçant les généalogies des qualifications de violences. Nous ne nous proposons pas de trancher entre les récits de crises extrêmes, ni d’en avancer de nouvelles versions. Nous ne prenons pas non plus parti dans les controverses qu’animent les porte-parole de victimes, les acteurs politiques et les théoriciens des génocides et massacres du XXe siècle [1].

Incertitude

« L’état de belligérance » impose « un redoutable régime d’incertitude à l’arrière comme au front » [2]. Ce constat vaut pour les crises extrêmes dont le paroxysme déclenche une dynamique d’affirmations sur les événements, mais d’affirmations en lutte. Du moins est-ce le cas durant la période où la crise, publicisée, conserve ses effets de mobilisation des esprits et continue d’appartenir à un registre passionnel. Quant au doute systématique et à la vigilance critique nécessaires à l’exercice historique, non seulement ils ont peine à se faire entendre, mais ils contribuent également à l’incertitude immédiate aussi longtemps que le débat public sur ces crises reste de haute intensité.

Les événements étudiés relèvent dans l’ensemble d’une histoire proche, encore hautement sensible. Il en est ainsi des crises qui se sont produites en Bosnie, au Kosovo, en Colombie, au Guatemala, en Palestine, au Libéria et dans la région des Grands Lacs africains (Burundi, République démocratique du Congo, Rwanda). Il en a été également ainsi de la guerre du Biafra et de l’occupation vietnamienne au Cambodge. Cependant, la virulence des controverses que ces dernières ont suscitées à leur époque s’est considérablement atténuée, si bien que des retours critiques sur les conflits de représentations rendent possible un travail de connaissance plus serein, maintenant moins en but aux contestations partisanes.

L’exemple du Rwanda

Le génocide des Rwandais tutsis est un cas central par rapport aux questions traitées dans ce livre : il fait l’objet de six textes et apparaît, à titre d’exemple, dans trois autres. Pour plusieurs auteurs, il a été un champ de recherches avant 1994, pour d’autres il l’est devenu afin de développer des travaux portant sur les discours et les actions faisant face à des crises extrêmes. Cet exemple constitue pour les auteurs un terrain où examiner l’élaboration des images médiatiques du génocide (presse écrite, télévision), les montages théâtraux et littéraires, les méthodes d’enquêtes parlementaires, les suites du paroxysme avec le traitement des personnes déplacées (dans ce cas, des Rwandais hutus), les manières de produire des témoignages au sein de l’institution judiciaire (en l’occurrence, le Tribunal pénal international pour le Rwanda), les mises au point de dispositifs de veille visant à identifier les signes annonciateurs de crises extrêmes, enfin les controverses portant sur les faits, leur qualification, les responsabilités.

De fait, plusieurs traits caractéristiques des réactions aux crises extrêmes sont particulièrement observables dans le cas du Rwanda. En voici quelques uns qui nous ont semblé essentiels.

Tout d’abord, les réflexions à propos des signes annonciateurs. Contrairement aux stéréotypes encore dominants, il n’y eut pas incertitude cognitive généralisée entre octobre 1990 et avril 1994, date où commença le génocide tutsi à l’échelle du pays. Il y eut bien une connaissance commune des mêmes faits inquiétants, au moins de la part des parties au conflit, des bureaucraties internationales et des États impliqués dans les événements rwandais. Dans le cas du Rwanda, comme en de nombreux autres conflits, ce n’est pas l’intensité des alertes qui inspire les décisions, mais ce sont les décisions qui, entraînant leur prise en compte, donnent de l’intensité aux alertes et commandent leur interprétation. Cette logique qui ressort de l’observation des réactions onusiennes concernant le Rwanda, durant les années 1990, est également mise en lumière sur la gestion de crises récentes par l’Union européenne, gestion étudiée dans cet ouvrage.

Ensuite, l’analyse rétrospective des comportements face aux alertes et aux signaux de catastrophe montre que plusieurs documents de l’histoire du génocide sont devenus a posteriori des « lieux discursifs » [3] : par exemple « le » témoignage d’un tel, un rapport d’une Ong des droits de l’homme, le discours d’un homme politique, un reportage sur la première découverte de fosses communes, une photographie de presse, une image télévisée, etc., « lieux » sans cesse investis pour juger de la responsabilité des uns et des autres. Les logiques du « on aurait pu, on aurait dû », appuyées sur ces lieux discursifs, s’insèrent dans un champ agonistique où des individus, impliqués dans les décisions au moment des faits, se défendent contre les imputations d’aveuglement, d’erreurs, voire de complicité avec les criminels, non sans attaquer à leur tour selon des modalités très contrastées. Il en résulte la poursuite et l’intensification des controverses, d’où un accroissement des incertitudes, les accusations et les réponses aux accusations produisant les unes et les autres des versions différentes de « l’histoire du génocide » [4]. Ce processus de recours répété à quelques lieux discursifs pour établir un système d’accusations et justifier des réponses aux accusations est attesté dans nombre de crises extrêmes. Ainsi, entre autres exemples étudiés, le « télégramme Dallaire » du 11 janvier 1994 [5], constituant l’une des bases constamment utilisée pour accuser l’ONU de refus d’agir au Rwanda ; le « Memorandum… » publié en 1986 à Belgrade [6], le discours de Slobodan Milosevic du 24 avril 1987, repris inlassablement par la presse en tant que « ce par quoi tout a commencé » ; le rapport d’Amnesty, en 1980, qui attire, pour la première fois sur la Colombie, l’attention des organisations internationales des Droits de l’homme, etc. Notons que certains « documents-clefs », aujourd’hui interprétés comme des annonces, ne parlaient pas au moment où ils étaient publiés au futur, mais au présent. Par une logique de « rétrodiction » (la suite de l’histoire est connue), il est attribué à ces documents-clefs la capacité de prédire la catastrophe, pour qui aurait su ou voulu les prendre en compte. Il importe par conséquent de ne pas négliger, dans l’analyse des crises extrêmes, le statut des ces « lieux », souvent des documents, des textes, qui sont à double titre objets d’histoire, matériaux de connaissance des crises mais aussi points nodaux des narrations polémiques, judiciaires, autant qu’historiennes.

Enfin, l’histoire récente du Rwanda, après celles du Biafra et du Cambodge, atteste l’usage récurrent de la référence au génocide des Juifs et à ses suites judiciaires et juridiques : une définition, en principe stable, de la notion de génocide, est devenue l’un des principaux fondements sur lesquels prennent appui les organisations de défense des droits de l’homme (Amnesty International, notamment) pour intervenir face à des crises extrêmes [7]. C’est la référence à cette définition qui émerge régulièrement dans la plupart des situations de crises extrêmes et de massacres, anciens et contemporains, pour qualifier des intentions et des actes, mettre en évidence et dénoncer des responsables, justifier leur poursuite devant la justice internationale.

Les usages publics de la notion de génocide

Plusieurs études observent les modalités selon lesquelles de multiples acteurs font intervenir le concept de génocide et ses significations implicites dans l’espace public. Ainsi, les recherches menées sur la télévision française et la presse écrite française et belge reconstituent l’émergence de la qualification de génocide pour les tueries de masse au Rwanda : celle-ci demeure longtemps en filigrane jusqu’à ce qu’une intervention spécifique se produise (un témoin humanitaire, une déclaration politique, etc.) et réoriente récits et commentaires. Les analyses des discours médiatiques sur le conflit yougoslave indiquent les liens, exprimant l’intentionnalité exterminatrice, entre la formule « purification ethnique » et l’héritage lexical du nazisme. La recherche des disparus, en Bosnie-Herzégovine, donne lieu à différentes méthodes d’identification des corps retrouvés dans les fosses communes : selon une logique judiciaire, les autopsies, par l’analyse d’indices (vêtements ethniquement identifiables, mains liées dans le dos…), permettent d’établir si les faits criminels relèvent de la catégorie de génocide ou d’autres crimes. Dans le cas du Rwanda, le stéréotype du « génocide à la machette », associant l’instrument du crime à la qualification, entraîne des convictions sur la culpabilité et la cruauté collectives des populations hutues, convictions solides, quand bien même toutes sortes de témoignages contradictoires ont circulé et continuent de circuler.

La force prise par le thème du génocide ne tient pas à une qualité intrinsèque de la notion, à une capacité en soi de provoquer l’indignation, elle n’est pas dissociable de la présence d’ONG internationales, de groupes de pression, toujours plus nombreux, depuis les années 1990, sur les terrains de crises et dans les débats publics. Ce sont ces professionnels, ces groupes qui ont contribué et contribuent toujours à ce que le thème du génocide prenne cette importance. Plus exactement, de nombreux représentants d’ONG manifestent le sentiment que cette catégorie a quelque chance de renvoyer à un ensemble de croyances, de représentations et de normes juridiques stabilisées. D’où leur recours croissant à une catégorie qui, depuis le génocide au Rwanda, semble à la fois conserver et mobiliser le complexe de signification, de causalité, et d’intentionnalité relatif au génocide juif, en même temps que pouvoir plus légitimement être appliquée à d’autres exterminations.

Le rôle des ONG

Cet ouvrage traite des ONG en tant qu’acteurs de terrains et producteurs de récits, de versions des faits, d’interprétations [8]. Elles sont impliquées dans les contextes, elles interviennent, elles introduisent des cadrages que les médias exploitent. Elles sont auteurs d’alertes urgentes, de pronostics catastrophiques, à tort ou à raison, auxquels répondent des doutes sur leurs rhétoriques alarmistes, souvent attribuées aux intérêts d’organisation, dans une dialectique qui attise l’incertitude publique.

De plus, la diversité des ONG conduit à une telle variété des cadrages que ces derniers font obstacle aux perceptions synthétiques de la situation. Ainsi, la multiplication des intervenants sur le conflit colombien entraîne la production de nombreux rapports qui constituent autant de tableaux fragmentaires et spécialisés de la crise. De ce fait, les visions technicistes des réalités en termes de problèmes à résoudre prennent le dessus.

Un ensemble spécifique d’ONG exerce une grande influence sur la perception publique des crises : les ONG de défense des droits de l’homme, et les associations de victimes. Omniprésentes, car les multiples ONG locales s’articulent à de grandes ONG internationales, leurs discours ont pour objectif de traduire les faits en représentations juridiques avec l’intention d’obtenir le jugement d’individus. L’observation de leurs interventions au Guatemala, en Colombie, en Bosnie-Herzégovine permet d’analyser comment la finalité judiciaire façonne leur récit des événements. Le cadrage juridique influence également les enquêtes et les procédures extra-judiciaires de réconciliation menées par une autre catégorie d’ONG, celles qui se sont spécialisées dans la « réconciliation » et la « construction de la paix ». Il ressort des investigations menées dans l’ouvrage sur ces deux types d’ONG que l’autorité des discours qu’elles produisent tient à leur degré d’autonomie revendiquée à l’égard des perceptions politiques, autonomie considérée comme gage de leur sérieux. Une question se pose alors sur la conséquence intellectuelle de leur influence. L’intérêt qu’elles concentrent sur les responsabilités individuelles n’a-t-il pas pour corrélats d’une part un effacement des déterminations politiques à l’origine des crises extrêmes [9] et, d’autre part, des formes militantes de dénonciation à n’importe quel prix ?

Témoins

La figure du témoin est inhérente aux perceptions publiques des crises extrêmes [10]. Aussi fait-elle, dans cet ouvrage, l’objet d’analyses qui montrent d’abord la diversité des types de témoins oculaires (les victimes, les humanitaires, les accusés, les journalistes-reporters, les militaires, les acteurs politiques, les religieux). En effet, de la guerre civile du Biafra (1967-1970) à celle de l’Ituri (République Démocratique du Congo, 2003), médiatisation et controverses publiques doivent rassembler cet ensemble de témoins pour que soit attesté le caractère extrême d’une crise.
Les études de cas différencient plusieurs logiques de recueil des témoignages en les rapportant aux catégories d’acteurs qui les constituent : médias, tribunaux, ONG, assemblées parlementaires. Par exemple, les enquêtes sur la presse écrite et la couverture télévisuelle du génocide au Rwanda (d’avril à juillet 1994) identifient la mi-mai 1994 comme moment où le témoin humanitaire devient le « bon témoin », prend le devant sur la scène médiatique comme celui qui authentifie la réalité du drame. Parfois, la qualité de médecin ou de psychologue est plus décisive que celle d’acteur humanitaire : ce fut le cas pour l’attestation de « génocide par la famine » au Biafra, c’est le cas pour la dénonciation des souffrances palestiniennes. Autre exemple, celui du chercheur, témoin-expert pour la justice internationale. L’auteur, spécialiste du Rwanda, remarque que, lui-même, « témoin de témoins », doit surmonter l’antinomie entre la « vérité procédurière » (limitée aux accusés présents) et la « réalité du réel », cette part de vérité qui n’est pas éligible dans le cadre judiciaire. Le témoin-expert doit convertir les récits des témoins directs au format requis par la demande judiciaire.

Les modalités d’enregistrement et de communication des témoignages constituent un domaine stratégique pour l’observation. Quelles sont les formes prises par les médiations entre le témoin proprement dit et le public ? Les perspectives choisies portent pour l’essentiel sur les différents standards professionnels [11] qui régissent la mise en image des témoins dans les journaux télévisés, la composition de recueils imprimés ou filmés de témoignages, les protocoles d’observations psychologiques, la fabrication de « livres des objets personnels » visant à identifier des corps, enfin, la mise en forme esthétique (théâtrale, littéraire) des récits de victimes et de bourreaux.

Contemporaines des événements ou situées aux immédiats lendemains, les représentations formulées par des acteurs engagés politiquement ou militairement, des journalistes, des volontaires d’ONG, fixent les premiers récits au moment de leur émergence et de leur accès à la publication. Avec le temps, les nouveaux écrits et enquêtes témoignent du travail effectué sur les premières représentations : aussi, plusieurs études s’attachent-elles à reconstituer des chronologies de transformations effectuées par rapport aux premières narrations et interprétations, chronologies de courte ou de plus longue durée selon les cas. Transformations en outre analysables selon un autre point de vue : elles sont en effet la trace empirique des différentes attitudes qui se sont affirmées, se sont contrecarrées durant la période d’après-crise ou de sortie de guerre. Comme l’établissent en effet toutes les recherches publiées dans cet ouvrage, les crises extrêmes constituent des foyers de durables et intenses controverses, contemporaines en règle générale d’une offre multiple de pratiques et de doctrines visant à « la réconciliation ». On gagne donc à analyser les actes et les représentations qui font suite aux crises extrêmes en tant que phénomènes liés à un moment spécifique et relevant, à cet égard, d’une analyse située, datée, attentive aux caractéristiques singulières de ces périodes. Généralement, les controverses à propos des crises extrêmes génèrent des récits bloqués et antagonistes. Avec le temps, en dépit pour certaines de leur caractère erroné, des narrations deviennent dominantes dans l’espace public. Comment le deviennent-elles ? A le montrer, on espère affaiblir leur pouvoir de persuasion.

Marc Le Pape, Johanna Siméant, Claudine Vidal

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Michel AGIER,
La force du témoignage - Formes, contextes et auteurs des récits de réfugiés (p. 151-168).

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Dans ce texte, je m’intéresse aux témoignages de personnes identifiées comme « réfugiés » dans les espaces humanitaires. Ce sont des personnes qui ont survécu à des épisodes de guerres et de violences, ou qui ont fui à l’annonce de l’arrivée de belligérants, d’occupants, de groupes armés gouvernementaux ou privés. Ils ont vécu des moments – des semaines ou des mois – marqués par la peur, l’errance, la vie dans des conditions extrêmes avec son lot de maladies et blessures, et par le côtoiement de la mort de proches. Ils ont ensuite été reconnus et enregistrés comme ayants-droit d’une assistance humanitaire, au titre du statut de « réfugiés » ou de « IDPs » (Internally Displaced Persons) – une reconnaissance pour laquelle ils ont parfois été amenés à présenter le récit des épreuves qu’ils ont traversées.

Je m’interroge sur la parole qu’ils tiennent à propos de leurs souffrances ou, éventuellement, sur leurs silences, qui peuvent être une manière sinon de parler, du moins d’adopter une posture face à tel ou tel interlocuteur. Paroles ou silences que je saisis dans le contexte d’une enquête menée au sein des espaces où ils sont en transit, en attente, dans l’entre-deux : camps, centres de regroupement, locaux d’organisations humanitaires, c’est-à-dire un ensemble de lieux où ils sont assistés et, dans le même temps, où ils sont définis comme réfugiés. En outre, les espaces de soin et contrôle, les camps de réfugiés en particulier, sont définis et légitimés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR) comme des lieux de « protection ». Cela signifie que mes échanges avec les personnes réfugiées et déplacées se situent à l’écart des événements violents dont parlent leurs témoignages : de fait, ma réflexion s’inscrit dans le cadre d’une anthropologie des espaces humanitaires et des prises de parole dont ils sont le lieu, mais non d’une ethnographie de la violence.

En effet, « l’observation participante » de cette part de la violence qu’on dit physique, « réelle » ou « visible » est insoutenable, sauf à être soi-même victime, coupable, complice, ou encore saisi personnellement par un sentiment de complicité ou de culpabilité. Dans tous les cas, cette contrainte, physique ou morale, empêche l’exercice ordinaire de l’enquête ethnographique [12]. On peut donc énoncer ainsi le commencement de cette réflexion : c’est par le constat d’une faille ou d’une impossibilité de l’enquête ethnographique (pas d’enquête directe ou « participante » sur des actes de violence) que, faisant de nécessité vertu, je sollicite des récits de violences vécues (« racontez-moi ce qui vous est arrivé, comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ? »). C’est à partir de cette demande que se constitue le matériau empirique de la recherche : différents récits, énoncés, prises de parole voire « prises d’écriture » [13], produits à propos de violences passées, qui peuvent être très anciennes – plusieurs années ou décennies comme parmi les réfugiés angolais ou palestiniens – ou très récentes – quelques mois ou semaines comme dans le cas des réfugiés libériens.

Je constate alors, dans un deuxième temps, la diversité des formes de récits recueillis : propos chaotiques ; reconstructions collectives de la mémoire d’un événement particulier ; longs monologues cohérents et déjà plusieurs fois dits ; « livre » de témoignage écrit par un groupe de réfugiés lettrés ayant interviewé d’autres réfugiés ; récits stéréotypés rappelant que beaucoup ont à produire ces mêmes récits dans des contextes de contrôle ; dénégations ou silences ; etc. En outre, j’observe que les récits ne me sont pas exclusivement adressés : non seulement parce que nous sommes rarement seuls (car des voisins ou parents de mes interlocuteurs partagent parfois l’entretien, ainsi que, généralement, un interprète), mais aussi parce que les personnes me racontent leur expérience de la guerre et de l’exode comme si elles parlaient en même temps à un autre interlocuteur, bien qu’absent de l’entretien lui-même, ou comme si elles pensaient à ce qu’elles allaient lui dire, ou gardaient en mémoire ce qu’elles lui ont déjà dit : en Colombie, le fonctionnaire de la Red de Solidariedad Social qui enregistre les dépositions des personnes demandant le certificat de desplazados ; dans les camps de Guinée un représentant du HCR ou de toute organisation des « U.N. » à qui les réfugiés présentent leurs demandes de ressettlement, etc. Tous, en somme, représentent ce que j’appellerai un « interlocuteur contextuel ». Cette figure dépasse et surdétermine les interlocuteurs réels de notre communication et, par l’enjeu qu’elle incarne, elle transforme la parole des réfugiés et déplacés en ce qui est pour eux un témoignage.

L’objet d’enquête se fixe donc sur le témoignage lui-même (le témoignage comme événement, si l’on veut), en tant qu’une prise de parole qui a son propre contexte et ses enjeux, ses propres formes et auteurs [14].

Trauma, politique et vérité : le « périmètre » du témoignage

Les questions du trauma, de la politique et de la vérité constituent des thèmes récurrents dans les commentaires sur le témoignage, que ces commentaires soient d’ordre moral, intellectuel ou pratiques. Elles sont présentes et agissantes dans les contextes où nous menons la recherche. D’une certaine façon, ce sont elles qui donnent de l’épaisseur à ces récits, qui les problématisent et les transforment en témoignages. Elles dessinent ainsi le « périmètre » du témoignage tel que nous sommes amenés à le découvrir. Nous préciserons d’abord le sens qu’elles prennent dans notre enquête.

Une première question émerge lorsque l’enquête de l’ethnologue se confronte à une limite : la cure psychiatrique, ainsi que la notion de trauma qu’elle suppose, et sur laquelle je ne me prononce pas d’un point de vue médical [15]. Mais, même si j’ai eu plus d’une fois l’impression d’être face à des personnes anxieuses ou dépressives, j’ai aussi circulé, sur place, dans les camps, avec des psychologues, psychothérapeutes, qui ne se prononcent pas catégoriquement sur le fait de savoir si ces mêmes personnes vont « normalement mal » ou « anormalement mal » [16]. Ces faits me conduisent à préciser une frontière théorique de l’enquête : que peut dire l’anthropologue sur les témoignages de guerre et violences passées qui sont consensuellement interprétés, valorisées – et souvent produits – sous un régime de discours non pas informatif et social (celui qu’on suppose de « l’informateur ») mais subjectif et pathologique, avec les mots de la « victime », de la souffrance et du trauma ? Heureusement, une remarque de Paul Ricœur nous indique une issue : il ne faut pas, dit-il, laisser « occuper le terrain » de l’interprétation des excès et déficiences de la mémoire (ici mémoire des violences de la guerre et de l’exode) par les « interprétations pathologiques » ; des « raisons stratégiques » expliquent la mémoire et l’oubli [17]. Si parler de stratégie là où l’on parle plus souvent de souffrance peut sembler tenir du coup de force, on admettra cependant que cette posture est épistémologique et un outil de connaissance nécessaire : elle signifie que l’anthropologue peut travailler, lui aussi, par-dessus l’épaule du psychologue en quelque sorte, sur les failles du récit, traitant le témoignage comme d’autres life’s stories : oublis, hésitations, non-dits et silences ont un sens social, ils sont une part du travail d’élaboration du témoignage.

Une deuxième question est représentée par une inconnue qui est en même temps un enjeu du témoignage : c’est le devenir de cette parole, ses prolongements supposés dans un ailleurs – le pays d’origine des réfugiés – et dans un avenir – les projections politiques nationales. En effet, la situation considérée « provisoire » où se trouvent réfugiés et déplacés place la référence normative au retour chez soi au centre de l’assignation identitaire que le monde produit sur les réfugiés. L’illusion qu’un retour de réfugiés produit naturellement des bienfaits est ancrée dans les discours identitaires (retour aux « origines », retour « chez soi », etc.), comme si on pouvait revenir en arrière dans le temps, retrouver intacts son village, sa famille, sa propre personne d’avant la guerre. De fait, le « retour » se situe ou bien dans un imaginaire nostalgique, qu’il soit national ou familial, ou bien dans un futur indéfini et préoccupant, dirigé vers des régions transformées par les guerres qui ont précisément fait fuir leurs habitants. Pourtant, quoi qu’il en soit des incertitudes réelles du rapatriement des réfugiés, la parole d’un réfugié face à tout interlocuteur contextuel s’inscrit dans la logique normative, identitaire et essentiellement politique, du retour. Une réflexion s’impose, chez les returnees potentiels que sont les réfugiés, sur le sens que prendra le passé (des violences qui ont eu lieu) dans un futur plus ou moins immédiat (le retour, le post-guerre, la paix).

Le cas palestinien montre de manière paradigmatique cette relation essentielle entre la question du retour et la dimension politique du témoignage de réfugié. Dans le contexte des camps palestiniens, rituellement, une parole à plusieurs voix se forme, dans laquelle les plus anciens décrivent la manière dont ils ont vécu la naqba (la « catastrophe », l’exode de 700.000 Palestiniens expulsés en 1948 par les Israéliens), pendant que les plus jeunes fondent la politique palestinienne actuelle sur un double ancrage : cette mémoire entretenue de la terre perdue, et le confinement des réfugiés dans le hors-lieux et la marginalisation sociale des camps. Le maintien actuel des camps comme espaces clos est un sacrifice à la cause palestinienne : les camps doivent garder intact le symbole de l’attente du retour, et en cela ils forment le cadre idoine pour dire la souffrance. Tout témoignage devient dans le contexte palestinien des camps un récit identitaire « par essence ». Dans ce cas limite, le devenir politique du témoignage n’est pas un ailleurs qui échapperait à l’enquête ; il est le moteur du témoignage : la revendication du droit au retour repose sur la souffrance des réfugiés maintenus dans les camps, souffrance diffuse quant à ses références – passées et présentes – mais que le témoignage a pour fonction de manifester et « prouver ».

Une troisième question est à la fois hors de portée de l’investigation empirique et pourtant constitutive du témoignage. C’est l’interrogation sur la vérité des faits violents eux-mêmes, faits passés comme on l’a déjà dit, absents de l’observation directe (pas d’« ethnographie participante » de la violence), et à ce titre invérifiables, mais faits très présents dans toute leur énormité dans le contexte des récits, comme le montrent les commentaires et les évaluations des organismes d’assistance et de contrôle des réfugiés sur l’authenticité des témoignages. De fait, dans un premier temps, pour pouvoir réfléchir sur les témoignages eux-mêmes, il convient de considérer une expérience commune et à peu près égale parmi tous les réfugiés que je rencontre et qui, comme rescapés et exilés, me parlent (ou, dont on me parle à leur propos) de faits dont je ne doute pas qu’ils ont eu lieu : violences, tortures sur eux-mêmes et sur leurs proches, massacres, viols, maladies et autres épreuves de l’errance. Si je mentionne seulement les noms des pays de provenance des personnes rencontrées – Angola, Liberia, Sierra Leone, Rwanda, Colombie rurale –, on comprend globalement de quelles expériences il est question. Mais je ne peux pas ignorer non plus que la casuistique des interventions policières et même humanitaires qui jalonnent le parcours des réfugiés, pose de manière obsessive la question de la vérité des propos de chacun des réfugiés. Ces derniers, pour leur part, ont bien en tête cette pression et ont appris à l’affronter, ce qui renforce, dans un troisième temps, les tentatives de contrôle de la vérité, etc. La vérité des faits est donc absente et très présente à la fois dans l’enquête sur les témoignages, même si l’ethnologue se démarque de toute attitude policière visant au contrôle de la vérité des dires de ses interlocuteurs ; même si, comme je l’ai posé plus haut, la posture de recherche opère, contre la doxa de l’ordre contextuel lui-même, un déplacement depuis la question de la vérité vers la question du pouvoir – et du pouvoir de parole en particulier. Ces écarts de sens se traduisent dans une scène souvent vue, bien connue de tous ceux qui ont mené ce genre d’entretiens : l’auteur du témoignage s’interrompt et se déshabille pour montrer à son auditeur la cicatrice qu’il porte encore (même si elle n’est plus qu’à peine perceptible) au dos ou à la cuisse. Celui-ci proteste contre une attitude qui lui semble impudique et il jure à son hôte qu’il croit ses propos sur parole, qu’il n’est pas de la police, ni du HCR, etc. Mais rien n’y fait. Il doit attester qu’il a bien vu la marque de la violence.

Stratégies du témoignage

Que retenons-nous du témoignage d’un réfugié, d’un exilé clandestin, d’une personne victime de violences, en fuite pour échapper à la guerre, à un massacre ? Retenons-nous la réalité passée, la souffrance vécue dont il parle, ou bien la réalité présente, la « force du témoignage » au moment où il est énoncé ? L’un devrait être transparent à l’autre, peut-on penser, mais savons-nous dire vraiment si l’émotion – et, pour ceux qui jugent, la décision – nous vient de la chose ou du spectacle de la chose dite, plus ou moins bien dite ?

Je présenterai plusieurs exemples de recueil de témoignages, confrontant à grands traits forme et contexte, en les intégrant dans une logique d’exposition qui va d’une parole presque impossible jusqu’à une forme travaillée et collective de « prise d’écriture », et finalement de « témoignage artistique ». Cette logique d’exposition reste bien sûr expérimentale et se justifie par une attention particulière aux formes du témoignage. Elle débouche sur la question de la dimension esthétique du témoignage en tant que moyen indispensable pour faire exister une parole et des auteurs capables de détacher les sujets d’une identité associée à la souffrance.

Parler ou se taire

Dans le camp de Kuankan (région de Macenta, en Guinée forestière), en octobre 2003, Hassan (mon guide, « home visitor » de MSF) et des gens du camp, sachant que je cherche à rencontrer des personnes ayant été en contact avec les belligérants, me conduisent vers une jeune fille de 15 ans venue du Liberia. Elle a été recueillie pendant sa fuite par un réfugié parti du même village qu’elle, et qui est depuis quelques mois le leader de cette nouvelle zone du camp.

Elle vit dans une pièce sombre, minuscule. Pendant notre rencontre, elle garde très souvent le silence, ne s’exprime que pas bribes, à voix basse. Des gens autour d’elle veulent l’aider à s’exprimer. On reconstitue son histoire avec l’aide des personnes qui sont là : l’attaque du LURD dans son village [18] ; comment tout le monde fuit ; son père est tué ; puis elle est capturée par un groupe armé des forces de Taylor ; une attaque du LURD lui permet de s’enfuir ; c’est dans cette fuite que sa mère disparaît ; notre interlocutrice est ensuite reprise par un groupe des forces de Taylor ; elle est obligée de transporter des armes, puis de « prendre les armes » pour combattre, sous la menace ; mais elle refuse, dit-elle, de combattre ; les soldats la prennent, la maltraitent, la torturent (les gens qui nous entourent lui demandent de me montrer les traces sur le corps, ce qu’elle fait) ; elle demande pardon aux soldats ; puis elle est violée par quatre hommes ; elle reste là plusieurs jours encore jusqu’à une attaque suivante des forces du LURD au cours de laquelle tout le monde s’échappe, et c’est là que mon accompagnateur, le leader de cette zone du camp, la recueille et l’emmène avec lui et sa famille vers la Guinée et le camp de Kuankan.

Deux brefs commentaires peuvent être d’abord faits. Cette jeune fille sera perçue comme un cas de « trauma » par une approche psy (et c’est comme « traumatisée » qu’elle m’est présentée par les réfugiés du camp qui sont régulièrement en contact avec les ONG : leader de la zone, travailleurs humanitaires occasionnels). Mais on peut également l’appréhender en élargissant le point de vue à toute la situation d’enquête : trois autres réfugiés l’entourent et l’aident à composer son récit. Par bribes, une courte histoire paraît possible, relayée par les commentaires des autres personnes présentes sur la violence des derniers épisodes de la guerre du Libéria (2002-2003). A son contact, on a spontanément envie de l’aider : tentant de mesurer les souffrances qu’elle a vécues sans savoir imaginer d’autres qualificatifs que ceux de l’horreur et de l’incommensurable, on imagine aussi tous les droits auxquels elle pourrait prétendre si cela devenait un témoignage. De cette compassion, me vient, comme à ses compatriotes, l’envie de l’aider à mieux dire ce qui lui est arrivé… c’est précisément ce que font des ONG qui se sont spécialisées dans la formulation, voire la rédaction de témoignages de demandeurs d’asile en Europe.

Pour d’autres réfugiés libériens, rencontrés dans les camps de Sierra Leone peu de temps après l’entretien qui vient d’être relaté, le silence sur les atrocités vues ou subies tient d’une attitude parfaitement délibérée, qu’on peut considérer comme la manifestation d’une volonté d’oubli. Une stratégie, associée au pardon donné à des combattants en général jeunes (dont la figure des « enfants-soldats » reste emblématique d’une faute innocente), parfois socialement proches (mêmes village, région ou famille) et souvent considérés comme ayant été mis hors d’eux-mêmes par l’alcool, les drogues, etc. Cette attitude est associée également à une volonté de retour et de reconstruction rapide de leur vie ordinaire dans les zones urbaines ou rurales qui ont été dévastées par la guerre. Dans leur cas, le silence n’est pas (ou pas seulement) individuel et traumatique, il est aussi, pourrait-on dire, une politique du silence, au sens où se taire doit leur permettre de « survivre à la mémoire » (Augé 1998 :119), de re-vivre après une guerre dont tout récit particulier, lorsqu’il se révèle effectivement, est marqué par la confusion et l’ambiguïté. Les figures doubles sont très présentes dans les expériences de cette guerre et débouchent sur des apories dont le silence est une issue qui me semble très raisonnable, pour autant que j’ose juger de la raison de mes hôtes : la victime est coupable non pas tant d’avoir survécu mais, dans un sens très direct, d’avoir tout fait pour survivre. L’expérience des jeunes filles violées devenues épouses de leurs agresseurs soldats ou miliciens, celle des villageois prisonniers devenus combattants, sont les histoires de personnes qui ne savent pas trop si et comment, après-guerre et aux yeux de la Loi (celle de l’État recouvrant sa souveraineté ou celle de la « communauté internationale »), elles pourront être considérées victimes ou coupables. Qui ira dire tout cela sans crainte devant un « Tribunal spécial » ou une « Commission de Justice et Vérité » ?

Pour les Libériens, donc, il se peut que, ni tout à fait oubli, ni tout à fait mémoire, le passé tienne lieu de « secret de famille ». Et le témoignage ne sied pas à cette nécessité du silence. Pour reprendre une association que nous propose encore Paul Ricœur (2000), l’amnistie a, pour l’heure au moins, besoin de l’amnésie.

Pourquoi parler puisqu’il y a de bonnes raisons de se taire ? Un autre cas, issu de la même guerre, apporte d’autres nuances à cette réflexion. Marayama est une femme d’une quarantaine d’années, également libérienne, rencontrée fin 2003 dans le camp de Jembe en Sierra Leone. Elle a vécu personnellement plusieurs épisodes de guerre et violences. Histoires de fuites successives, de confrontation avec les groupes armés, disparition de deux de ses enfants enlevés par une bande armée, menaces sur sa vie et blessures sur son corps (sans qu’il soit mentionné de viol) et sur celui de son mari, peurs, difficile traversée de la frontière. Elle dit son histoire d’une manière remarquablement fluide, informative et émouvante à la fois. Les faits s’enchaînent chronologiquement, les détails sont fournis sans que j’ai besoin de les solliciter. Personne ne l’interrompt. Elle parle anglais de manière assez compréhensible pour un Européen, à la différence du pidgin libérien qu’on entend plus souvent dans les camps.

Quelques éléments significatifs de la trajectoire de Marayama nous aident à comprendre son attitude. Elle a eu une expérience de contacts et même de travail avec des ONG européennes à plusieurs reprises au cours de la guerre du Liberia, en Côte d’Ivoire et en Guinée où elle a vécu pendant plusieurs années, en général dans des camps de réfugiés. Son mari, également présent dans le camp de Jembe avec elle et une partie de leurs enfants, est depuis de nombreuses années pasteur d’églises pentecôtistes. Marayama elle-même participe aux réunions de l’église qu’il a fondée dans le camp, nommée Abundant Life in Christ, et, comme d’autres, elle y parle en public, lorsqu’elle le souhaite, de son expérience de la guerre, lors de séances qui sont dites, précisément, de testimony [19]. Elle fait elle-même la comparaison entre ces séances et les réunions d’une ONG spécialisée dans l’organisation de rencontres et dialogues entre des personnes qui ont été victimes de torture, réunions auxquelles elle a participé à deux ou trois reprises dans ce camp, et qu’elle trouve moins intéressantes que celles de son église.

En résumé, qu’est-ce qui différencie ce dernier cas des deux précédents ? On peut dire que le témoignage de Marayama, son élaboration et sa capacité de conviction viennent tout à la fois de ses compétences intellectuelles, notamment linguistiques, d’un cadre communautaire familial et religieux qui s’est maintenu dans le déplacement, et de son expérience du contact avec des responsables d’ONG européennes, qui furent aussi bien les interlocuteurs que les formateurs de son témoignage. Après quatorze ans de guerre du Libéria, c’est une habituée des camps et de l’humanitaire.

Espaces du témoignage généralisé

Dans le camp de Boreah, en Guinée forestière, l’enquête sur les trajectoires et les conditions de vie des réfugiés s’est progressivement transformée, pour les réfugiés sierra-léonais et libériens du camp, en un espace de parole, plainte, revendication, en partie de demandes de « ressetlement ». Dans ce contexte-là, la forme de l’enquête directe est détournée et re-signifiée par certains interlocuteurs : un événement est provoqué par la seule sollicitation d’une parole des réfugiés.

À ce moment-là, la notion d’événement-témoignage est à prendre au sens littéral. L’incertitude du statut de l’ethnologue est patente au sens où son enquête est, dans le contexte, une provocation à la parole : l’entreprise visant à faire advenir des récits fait exister la parole des réfugiés du camp, à ce moment précis, comme témoignage généralisé et non plus seulement comme un ensemble de récits singuliers. Dans les derniers jours de l’enquête, je reçois de nombreuses lettres-témoignages des réfugiés que je n’ai pas eu le temps de voir. Auparavant, nous (mon guide-interprète et moi-même) avons dû établir notre lieu de rendez-vous dans un petit local de MSF, dans la clinique du camp, au lieu d’aller nous-mêmes dans la case ou la tente où se trouvent les réfugiés, comme nous le faisions au début de l’enquête. Notre local se transforme alors en une sorte de bureau des plaintes. La trentaine de lettres de réfugiés qui me sont finalement adressées (écrites par les réfugiés eux-mêmes ou par des lettrés faisant, pour l’occasion, fonction d’écrivains publics) exposent des récits certes stéréotypés mais tous parfaitement crédibles : les dates, noms de lieux, événements mentionnés sont cohérents avec les épisodes par ailleurs connus de la guerre ; les éléments personnels sont précis. Enfin, les auteurs de ces témoignages écrits sont tous bien informés de ce qu’il faut dire pour entrer dans le cadre du droit au ressetlement : l’impossibilité de retourner dans son lieu d’origine et l’impossibilité de rester dans le pays d’accueil justifient l’installation dans un pays tiers pour des raisons de « protection » (laquelle relève de la compétence officielle du HCR).

En regard de cet événement proche d’une manifestation collective et publique, l’attitude de deux représentants du HCR chargés du ressetlement et en mission dans la région au même moment, est significative d’un débordement équivalent à celui que j’ai pu moi-même vérifier et, au-delà, de l’importance du témoignage pour décider du sort des réfugiés. Les responsables locaux du HCR affirment qu’ils sont « trompés » et « manipulés » par les réfugiés, ce qui entraîne une suspicion globale à l’égard de tout témoignage. À ce moment-là (fin 2003) les deux représentants du siège du HCR annoncent une disponibilité de 4000 « places » de ressetlement dans un pays occidental pour les réfugiés présents en Guinée, tout en assortissant l’annonce d’une condition : le HCR mandate les ONG intervenant sur place pour servir de médiation entre les réfugiés et le HCR et pour déterminer elles-mêmes les cas d’extrême et « véritable » urgence justifiant le ressetlement. Le HCR décide ainsi de ne plus entendre les réfugiés présenter leur propre témoignage, et de n’accepter de prendre en considération que les dossiers transmis par les ONG. Certaines ONG présentes en Guinée forestière à ce moment-là, dont MSF, refusent de jouer ce rôle d’intermédiaire, dans la mesure où cela conduit à modifier la procédure du ressetlement : celui-ci est en principe de la seule responsabilité du HCR et guidé par le seul critère de la « protection ».

Un autre exemple montre les transformations et le poids du témoignage quand il devient un fait collectif dans le contexte d’un conflit sur les droits des populations déplacées.

A Bogota, en mai 2000, j’ai rencontré des desplazados (déplacés internes) qui participaient à l’occupation, depuis déjà six mois à l’époque, du siège de la Croix rouge internationale. L’occupation (qui compta jusqu’à un millier de squatters à un moment donné) visait à obtenir la reconnaissance du statut de « déplacé » pour les uns, à recevoir des aides à l’installation dans la banlieue de Bogota pour d’autres. Le récit de l’une de ces personnes, rencontrée dans les locaux de la CODHES (une ONG colombienne spécialisée dans la défense des droits des déplacés internes), s’est progressivement construit, avec l’aide de deux de ses compagnons d’occupation également présents au cours de l’entretien. Chassée de son village en 1997 par l’arrivée des paramilitaires qui terrorisent la population et tuent plusieurs habitants, soupçonnée d’être complice des guérilleros, elle s’enfuit dans la forêt avec enfants et neveux. D’étape en étape, elle réussit à s’installer dans la périphérie de Bogotá près de deux ans plus tard et, fin 1999, elle participe à la Toma del milénio [20] pour demander sa reconnaissance comme desplazada, qu’elle n’a toujours pas obtenue à ce moment-là. Lors de notre entretien, la jeune femme ajoute à la description de son itinéraire les détails des massacres perpétrés par les paramilitaires dans son village, sur des parents et des voisins. Puis elle se met à parler d’événements dont elle a seulement entendu parler, et elle est ensuite relayée par les deux autres personnes présentes qui enchaînent avec le récit de plusieurs épisodes d’extrêmes violences. Un récit complet se forme ainsi sur l’arrivée des paramilitaires et les violences qui ont touché leur région en 1997.

Certes, l’entretien s’est transformé en un moment de catharsis : ce fut une délivrance au sein de laquelle nos trois interlocuteurs se sont trouvés unis et réconfortés, partageant une émotion forte. Un autre commentaire est possible. En effet, au bout d’un moment, une dynamique s’est créée et un échange a composé le « récit » comme un discours à la fois distinct des récits individuels et plus efficace que ces derniers. Stratégie immédiatement opérationnelle [21], cette construction à plusieurs voix participe aussi de l’existence d’un sujet politique dans un contexte de conflit sur la définition et les droits des personnes déplacées par les violences de la guerre intérieure. Ce qui est dit n’est plus « vrai » comme récit individuel mais devient un témoignage produit collectivement dans une communication entre plusieurs personnes déplacées, et qui se détache de l’identité biographique de chacun.

Se forme alors le discours d’un sujet qui se donne une nouvelle fois le nom de « desplazado », différent en son principe de la catégorie identitaire stigmatisante qui recouvre du même nom les destins singuliers et tragiques. Ce sujet, dont on entrevoit la formation dans le contexte de l’entretien et, bien sûr, dans le cadre de l’occupation du siège de la Croix rouge qui lui est associé [22], n’est pas l’équivalent de chaque identité du « soi ». Dans le campement installé dans la rue où a lieu l’occupation du siège de la Croix rouge internationale, pendant l’année 2000, l’acte du témoignage se diffuse et se généralise, il devient de plus en plus façonné, formalisé et… entendu : les desplazados répondent à des interviews de journalistes, de chercheurs et étudiants venus enquêter sur place, racontent ou montrent (sur des affiches, pancartes, performances, etc.) le drame des desplazados aux passants, « témoignent » auprès des représentants d’ONG qui viennent les voir. Chacun, en tant qu’il exprime le sujet qui prend la parole à ce moment-là, se distancie de l’expérience du malheur vécue individuellement en même temps qu’il se met à exister comme auteur de ce témoignage généralisé sur une scène devenue, pour un moment, politique.

Des victimes aux auteurs

Cinq milles réfugiés rwandais et burundais, hutu pour la plupart, sont arrivés entre 1997 et 1998 dans le camp de Maheba, au Nord-Ouest de la Zambie [23]. En novembre 1998, quelques uns d’entre eux ont formé une « Association d’entraide pour l’auto-développement ». Réputés bons agriculteurs, en particulier dans les zones de marécage délaissés par les réfugiés angolais à la marge du camp, ils s’organisent, s’entraident et rendent possible, dans la « zone » qui leur est attribuée, une existence relativement acceptable et paisible dans un refuge dont ils ne disent pas vouloir partir.

En 2000, quatre instituteurs, dont deux sont les principaux responsables de l’association d’entraide pour l’auto-développement, publient un texte faisant une sorte de synthèse de leurs récits et de ceux recueillis auprès d’autres réfugiés hutu du camp : cela devient un « livre » qui circule dans le camp, intitulé « L’itinéraire le plus long et le plus pénible (Les réfugiés hutus à la recherche de l’asile) » [24]. L‘ouvrage, multigraphié, est dédié « A tous les réfugiés du monde ». Le récit s’attache à construire l’identité de victime des réfugiés hutu en détaillant les nombreuses souffrances – fatigue, faim, mauvais traitements, peur, fuites – vécues durant trois ou quatre années d’errance selon les cas (entre avril 1994 et novembre 1998) sur les routes et dans les camps du Rwanda, du Zaïre (actuelle RDC), d’Angola et de Zambie, jusqu’à l’établissement dans le camp de Maheba. Cet « itinéraire » occupe une soixantaine de pages (p.15-76), après que dix pages aient été consacrées de manière très elliptique aux « Origines et causes de l’exil » (p.4-14). Tout le récit vise à démontrer qu’« un exode du XXe siècle [celui du peuple hutu] semblable à celui du peuple de Moïse a eu lieu » [25].

On retiendra pour notre propos la volonté de donner une forme écrite au témoignage et l’engagement personnel de quatre « auteurs », s’identifiant comme tels. Ces derniers s’expliquent ainsi dans un Avant-propos : « Les auteurs ayant eux-mêmes vécu ces moments tragiques et vu l’hécatombe de ces espèces humaines dont l’histoire [est] racontée, ont senti la nécessité de les mettre par écrit pour en faire une référence historique à la future génération de ce peuple victime de la guerre » [26]. Les auteurs du livre de témoignage sont aussi des animateurs de l’association et des intellectuels locaux. Au moment où ils enquêtent pour recueillir ou compléter leurs propres informations et écrire ainsi le témoignage d’un collectif, ils font partie des leaders qui parlent « au nom » des réfugiés de cette zone du camp [27]. Dans leur texte, ils s’attachent à construire une identité de l’exodus contre la « politique de diabolisation du réfugié hutu » [28] – un itinéraire de « cinq mille kilomètres à pied » parcouru au milieu des malheurs et des souffrances, une intégration dynamique dans le camp : ce sont les deux composantes stratégiques de la figure de « réfugié » qui émane de cette production littéraire. Au prix de certaines ellipses, d’effacements, d’oublis, ou au contraire de certaines emphases et de commentaires pathétiques, le nom de réfugié devient le nom commun d’identification : il doit rendre les exilés hutu de Maheba identifiables à « un peuple victime de la guerre » et à « tous les réfugiés du monde » auxquels l’ouvrage est dédié.

Du camp de Maheba, nous nous déplacerons, finalement, vers le théâtre de la Cité de la Villette, à Paris, fin 2002, pour y retrouver l’auteur d’un témoignage qui fait le pas de la victime à l’artiste.

« Je ne suis pas une actrice, je suis une rescapée du génocide » : au milieu de la scène vide, assise face au public, Yolande Mukagasana poursuit pendant quarante-cinq minutes un monologue qui semble seulement répondre à la question que chaque spectateur se pose, lui pose : que s’est-il passé ? C’est pourtant bien une actrice qui, à chaque nouvelle représentation depuis 2000, redit un texte dont elle est aussi l’auteure, comme elle est auteure d’ouvrages écrits pour témoigner du génocide rwandais de 1994 dont elle est rescapée. Elle est aussi co-auteure du spectacle « Rwanda 94 » [29] dont son monologue marque la longue introduction. Sur scène, son récit est douloureux, elle pleure à un certain moment, se reprend, semble s’adresser directement à chaque spectateur.

Cette première scène est choquante : en affirmant le contraire de ce qu’elle est, elle force l’émotion de chaque spectateur pris dans l’expérience fictive d’être en face-à-face avec une personne qui « rejoue » à chaque spectacle la transmission directe de sa souffrance, le témoignage vivant et sans médiation, en tant que condition d’accès à la pure vérité : c’est la fiction de la souffrance en direct.

Cependant, la scène est suivie par un long travail d’artistes (acteurs, musiciens, chanteurs, auteurs) qui donne du témoignage une image plus complexe. Six heures durant, des créations sont présentées sur la même scène, explicitement assumées comme un travail artistique fait à partir de plusieurs sources : les chansons, la litanie des questions du « Chœur des morts », la conférence sur l’histoire du Rwanda, le dialogue sur la Shoah, et plus que tout la puissante Cantate de Bisesero, un chant troublant composé [30] à partir de récits recueillis par l’ONG African Rights sur cet épisode du génocide. Toutes ces créations représentent un travail très inventif sur et à partir des témoignages ou, plus précisément, elles sont le témoignage lui-même. Pour reprendre les termes de l’auteur du spectacle, Jacques Delcuvellerie, tous les éléments de Rwanda 94 forment ensemble un « témoignage artistique ». Loin de s’en distinguer, la première scène, celle de l’actrice-auteure-témoin face au public, en jetant le trouble par la démonstration d’un travail esthétique inavoué, participe de la même problématique du témoignage artistique [31].

La volonté de parler et le souci esthétique

Le contexte, les enjeux et la mise en forme du témoignage créent un événement – un acte de parole, d’écriture, ou de théâtre – distinct de celui ou de ceux auxquels il fait référence. Plus encore, la relation entre les réfugiés et déplacés que nous avons rencontrés et les événements qu’ils ont vécus dans la guerre et l’exode s’inverse. Ces événements se mettent à exister dans la durée – et dans la mémoire – dès lors qu’ils prennent une forme narrative, grâce aux mots, plus généralement grâce aux ressources – langagières, intellectuelles, corporelles – de l’auteur du témoignage, et dès lors qu’un espace commun de parole existe et permet l’exposition du témoignage en tant que tel.

Déplacement de contexte et détachement progressif du « soi » souffrant font exister l’espace et l’auteur du témoignage comme réalités spécifiques. Ils forment la base du travail de témoignage comme acte autonome. Produit dans un déplacement et un détachement par rapport aux événements biographiques, le témoignage n’est pas réductible à une parole référentielle. Cette autonomie se manifeste avant même toute pensée esthétique du témoignage. Elle est présente dès les premiers cas qui ont été exposés ci-dessus : le choix de prendre la parole ou de garder le silence chez les réfugiés libériens est un dilemme qui ne se réduit pas à la référence à un désordre psychologique passé mais renvoie, du point de vue de l’anthropologue, à la perspective normative du retour, au pardon et à une volonté de reconstruction sociale. Cette autonomie débouche, dans les derniers cas que nous avons présentés, sur le « témoignage artistique », où la construction esthétique du témoignage est évidente et produit son propre événement culturel, un livre ou une pièce de théâtre. De ce point de vue, il n’est pas possible de distinguer absolument l’esthétique théâtrale du travail sur les récits qui se fait, par exemple, dans les groupes de parole ou les spectacles de dramatisation qu’on trouve dans certains camps de réfugiés, avec une finalité pédagogique ou psychothérapeutique. Différente du point de vue de « l’œuvre », l’esthétique théâtrale est dans ces cas-là déjà agissante dans le processus d’élaboration du témoignage. Quelles conséquences peut-on en tirer du point de vue du témoignage ?

De ce qui précède, nous pouvons dire qu’un double régime de pensée, éthique et esthétique, caractérise le témoignage, les deux termes étant étroitement imbriqués, leur frontière à peine discernable. En son principe, la volonté de parler naît comme une nécessité d’ordre éthique : il faut dire – ou apprendre à dire – son malheur dans une communauté de communication bien spécifiée, capable de reconnaître et partager immédiatement cette expérience. Il faut aussi se faire entendre et reconnaître par l’agent qui écoutera, lira et jugera de la recevabilité du témoignage. Nous avons évoqué les interlocuteurs « contextuels » auxquels semblent s’adresser les réfugiés en même temps qu’il nous disent leur expérience de la guerre et de l’errance. Ce sont eux qui écoutent ou lisent, évaluent et sanctionnent la parole des réfugiés, ces derniers s’attachant à se faire comprendre et accepter par eux, en acceptant leur convention de communication. Mais dans cette communication nécessaire, voire urgente, un travail se réalise. Sélectionner les faits les plus percutants, modifier les récits, anticiper les attentes d’un public. Le travail de façonnage du récit est une mise en forme des événements, il suppose un choix des meilleures « manières de dire » les faits passés. En ce sens, ce travail produit une fiction : non pas en tant qu’elle serait le contraire de la vérité des faits, mais « en son sens juridique originel, issu du droit romain : celui d’une convention partagée permettant la réussite d’un acte de langage » (Rastier 2005 : 170, n. 1).

Dès lors, le témoignage ne peut plus être défini comme un acte strictement référentiel ou utilitaire [32]. Il est déjà un événement en plus et en lui-même. Son existence dépend de ses propres conditions : un espace de prise de parole, un auteur et ses compétences, un travail de création. Pour être plus précis, la mise en forme du témoignage réclame sa propre « scène » qui impose ses cadres spatiaux et formels, lesquels marquent bientôt le commencement du souci esthétique : l’espace du tribunal, l’espace de la feuille où s’écrivent les lettres de réfugiés, l’espace du livre, de l’écran, ou de la scène théâtrale. Le témoignage est devenu une performance et l’auteur du témoignage, lui, ne s’adresse plus à un public spécifique, mais à un auditoire anonyme. Les mises en forme langagières, littéraires ou théâtrales de son récit le poussent vers la découverte des formes et des règles propres aux univers du langage, de la littérature ou du théâtre. C’est au cours de ce déplacement qu’il accède à la possibilité de « s’en sortir », et de témoigner au nom des « victimes » ou des « réfugiés » au moment où lui-même n’est plus pris dans les enfermements que ces identités supposent [33].

Michel AGIER


Références bibliographiques

AGIER, M. 2003 : « Identifications dans l’exil. Les réfugiés du camp de Maheba (Zambie) », Autrepart, n° 26 (Sociétés dans la guerre) : 73-89.

AGIER, M. 2004 : La sagesse de l’ethnologue, chapitre « Paroles », Paris, L’œil neuf éditions.

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Arnaud ROYER,
Les personnes déplacées du Burundi et du Rwanda : une catégorie juridique, une multitude de traitements politiques et humanitaires.

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Depuis le début des années 1990, au Burundi et au Rwanda, les proportions de personnes déplacées atteignent des niveaux parfois équivalents à ceux des contingents de réfugiés. Ainsi au Burundi, entre 1993 et 2002, le nombre de personnes déplacées oscillait entre 300 000 à 500 000 soit une estimation sensiblement comparable à celle des réfugiés burundais installés en Tanzanie au cours de la même période. De même, le Rwanda à la fin de l’année 1994 enregistrait environ un million de déplacés pour deux millions de réfugiés.

En exil au sein de leur territoire national, les populations déplacées demeurent théoriquement sous la protection de leur État. Toutefois, la faiblesse des moyens opérationnels dont disposent le plus souvent ces États empêche leurs gouvernements, lorsqu’ils le désirent, d’intervenir efficacement. Un tel constat, ajouté à l’augmentation croissante des effectifs de ces populations pendant la décennie 1990, poussa les institutions internationales à se pencher sur leur sort. Cependant, malgré cet intérêt et l’établissement d’une définition [34], la catégorie des personnes déplacées demeurait un instrument de classification aux contours indécis. Ce qui permit d’une certaine manière aux acteurs politiques burundais et rwandais de le réinterpréter pour l’adapter aux contingences et enjeux nationaux.

Notre analyse s’intéressera à l’influence de ces interprétations symboliques, politiques et ethniques sur les attitudes de la communauté internationale vis-à-vis des populations déplacées burundaises et rwandaises. En effet, les interventions humanitaires, et en particulier celles des Nations unies, sont négociables en fonction certes du degré de détresse des populations, mais aussi en fonction de la manière dont sont appréhendés les conflits et les classes dirigeantes du Rwanda et du Burundi.

De la taxinomie à la stigmatisation : la réappropriation des « déplacements internes » par les acteurs des sphères politiques burundaise et rwandaise

L’une des particularités des déplacements internes au Burundi est d’avoir suscité dès 1993 l’émergence d’une multitude de taxinomies : « déplacés », « dispersés » et « regroupés ». Sorte d’ordre dans le désordre des migrations, ces terminologies agirent comme des biens symboliques sur lesquels les acteurs greffèrent leurs stratégies. Prosaïquement, les acteurs politiques d’obédience tutsi se proclamèrent les défenseurs des populations en déplacement de l’ethnie tutsi, tandis que les partis d’obédience hutu manifestèrent une forte propension à se présenter comme les défenseurs des populations en déplacement de l’ethnie hutu. La multitude des termes employés pour qualifier les déplacements forcés ayant eu lieu sur le territoire burundais peut être considérée comme le fruit d’une lutte de positionnement et de réappropriation ethnique. Pour sa part, le Rwanda n’enregistra que peu de luttes au niveau des terminologies des personnes déplacées, les confrontations s’articulèrent autour de la maîtrise des enclaves les hébergeant.

Réappropriation des migrations forcées sur le territoire burundais : les déplacés, dispersés et regroupés en tant que signaux de ralliement ethnique

Nous rappèlerons d’abord les enjeux politico-ethniques qui sous-tendent les qualifications des personnes déplacées dans la région des Grands Lacs, en vue de comprendre leur impact sur les acteurs humanitaires [35].

Les déplacés aux multiples visages.

Si, en octobre 1993, une partie de la population burundaise prit le chemin de l’exil vers le Rwanda, la Tanzanie ou le Zaïre (les réfugiés), d’autres au contraire se déplacèrent sans franchir de frontières internationales (les personnes déplacées). De ce dernier groupe émergèrent deux grands types de mouvements. Le premier se rapprocha des centres politiques ou administratifs pour rechercher la protection de l’administration et des forces de l’ordre. Le second s’éparpilla dans les marais ou les bananeraies, pour revenir assez rapidement sur les collines. Initialement, hutu ou tutsi, toutes ces personnes furent qualifiées de « déplacés ». Il faut attendre la fin de l’année 1993 pour noter l’émergence d’un nouveau terme qualifiant les populations hutu ayant fui dans des familles, chez des proches ou dans les marais, par peur des représailles des populations civiles tutsi ou de l’armée : celui de « dispersé ». Pour autant, l’autonomisation de cette expression ne s’effectua qu’au cours de l’année 1994, avec la publication d’articles de journaux [36] et de travaux d’analystes qui commencèrent à se faire l’écho du sens ethnique véhiculé par les vocables « déplacés » et « dispersés ».

  • « Les déplacés [sont] [...] en grande majorité tutsi, regroupés dans des sites spécifiques (paroisses, écoles, centres de santé, centres administratifs et camps militaires), [...] [vivent] dans un environnement hostile, protégés par des militaires. Les dispersés [sont] des populations hutu cachées dans les marais, les bananeraies ou boisements et forêts, fuyant les militaires et n’osant pas retourner sur leurs collines. » [37]

Au fil des mois, cette distinction entre des « déplacés-tutsi » et des « dispersés-hutu » se cristallisa pour s’imposer comme la grille de lecture quasi indiscutable et indiscutée des migrations forcées, internes au Burundi. Des acteurs politiques aux universitaires, ainsi que dans le système des Nations unies, la distinction devint si « évidente » qu’elle ne mérita plus que l’on s’y attarde [38].

Cette différenciation sémantique des migrants fut le prologue à leur réappropriation par les partis politiques burundais qui s’évertuèrent à établir un mandat invisible par rapport à des personnes censées leur répondre ethniquement et être victimes du parti adverse. Ainsi, vit-on d’un côté, l’UPRONA (Unité pour le progrès national) et le PARENA (Parti pour le redressement national), tous deux d’obédience tutsi, prendre la défense des « déplacés » en tant que victimes des massacres orchestrés par les populations hutu. De l’autre, les représentants du FRODEBU (Front pour la démocratie au Burundi) leur refusèrent l’étiquette de martyrs pour les dépeindre sous les traits des agents de persécution [39]. Pour les politiciens du FRODEBU, les « dispersés » étaient les seules victimes du conflit burundais.

Il reste qu’à certains égards cette concurrence méconnaissait les réalités locales. En effet, dès le début des massacres, selon les provinces, des sites de « déplacés » furent certes composés de populations tutsi, mais aussi de populations hutu et twa, voire uniquement de populations hutu. Ainsi en octobre 1995, le journal Le Renouveau du Burundi recensait dans la province de Muyinga 12 sites de personnes déplacées dont quatre à dominante hutu et trois mixtes [40].

Si donc les binômes « déplacés-tutsi » et « dispersés-hutu » présentaient des signes de fragilité aux premières heures du conflit, ils furent totalement remis en cause en 1996 avec l’apparition dans les provinces de l’est et du sud du Burundi de personnes déplacées tentant d’échapper aux confrontations entre les rébellions et l’armée gouvernementale. Ces populations, qui se réfugiaient près des infrastructures sociales le jour et s’éparpillaient la nuit dans les bananeraies, se démarquaient des « déplacés de 1993 » : elles appartenaient essentiellement à l’ethnie hutu.

Qu’elles soient déplacées ou dispersées, les populations jusqu’alors étudiées avaient en commun de connaître une migration de réaction face à un environnement hostile, à la différence des personnes déplacées sur décision gouvernementale.

Les populations en déplacement sur décision des autorités : les regroupés

A partir de 1996, suite aux mesures de regroupement entreprises par l’armée, apparaît une troisième catégorie de personnes déplacées : « les regroupés ».

Fruits de décisions prises au niveau local pour enrayer la progression de la rébellion, les premiers regroupements sont établis au courant de l’année 1996 dans les provinces de Karuzi, de Kayanza et de Muramvya. Les populations, victimes de ces mesures, furent alors forcées par l’armée de quitter leurs habitations pour rejoindre des camps de fortune, dénommés « sites de protection ». A la fin de l’année 1996, près de 240 000 personnes avaient été regroupées. Fort de ces résultats, l’armée poursuivit ses opérations dans les provinces de Cibitoke, Bubanza Bururi, Makamba et enfin Bujumbura-rural.

La perception et les résultats de cette politique furent contrastés. Les acteurs voulant marquer son caractère « positif », à l’image des autorités militaires, fondèrent leur argumentaire sur l’amélioration de la sécurité. À l’inverse, ceux qui affirmaient son caractère « négatif », à l’instar des Nations unies, d’Amnesty International et du FRODEBU, mirent l’accent sur le caractère ethnique de cette politique, la violation des droits de l’homme et les conditions précaires dans lesquelles vivaient quotidiennement les populations [41]. Toutefois, ici aussi l’analyse locale nuance tout discours globalisant. Ainsi, dès 1997 la ligue Iteka signalait que les regroupés de la province de Kayanza étaient de toute ethnie [42].

Les déplacés rwandais : une réappropriation en fonction des moments de fracture

Si le Rwanda expérimenta pour sa part des mouvements de déplacés quelques années avant le Burundi, leurs mécanismes de réappropriation politique suivirent une autre voie. La réappropriation fut plutôt d’ordre « physique » et fonction de la situation sécuritaire du pays.

Quatre types de mouvements de déplacés peuvent être clairement distingués entre 1990 et 1998. Le premier concernait les populations fuyant les confrontations entre le FPR (Front patriotique rwandais) et les FAR (Forces armées rwandaises) de 1990 à 1993, le second les populations fuyant les massacres entre avril et juillet 1994, le troisième les déplacés de la zone Turquoise [43] et enfin le quatrième impliquait les populations regroupées des préfectures de Ruhengeri et Gisenyi entre 1997 et 1998.

Les déplacés d’avant le génocide

Dès octobre 1990, suite à l’attaque du FPR à partir de l’Ouganda, le Rwanda fut confronté au problème des déplacés. A l’époque, environ 350 000 personnes quittèrent de force leurs habitations. Ces déplacés furent rapidement exploités par les partis politiques opposés aux négociations avec le FPR. A l’occasion, comme le dénonça dans la préfecture de Byumba la Ligue Chrétienne des Droits de l’Homme, le parti présidentiel MRND (Mouvement révolutionnaire national pour la démocratie) les recruta pour participer aux manifestations de rues et aux premiers massacres des populations tutsi [44].

L’existence des déplacés exposait le gouvernement rwandais à deux difficultés majeures. D’une part, elle prouvait son incapacité à contenir le FPR et, d’autre part, étant donné que ces populations venaient des principales zones de production du pays, elle accentuait la pression économique sur le régime. Le coût politique, financier et humain engendré par ces déplacements de populations ne fit d’ailleurs que s’aggraver. En avril 1993, consécutivement à la rupture de l’accord de cessez-le-feu, les autorités rwandaises considéraient qu’un habitant sur sept avait quitté ses biens [45].

En ce qui concerne le FPR, si, lors du mois d’octobre 1990, ses éléments furent plutôt conciliants avec les personnes déplacées qu’ils espéraient convertir à sa cause, les exactions débutèrent dès les premiers revers militaires [46]. Au gré de ses changements stratégiques, il choisit de les regrouper au sein de sites plus ou moins organisés pour vider la campagne, faciliter le contrôle des zones conquises et éviter les infiltrations des forces armées rwandaises. Il importe aussi de noter que ces regroupements offraient la possibilité aux réfugiés rwandais, arrivés dans le sillage du FPR, d’occuper des portions du territoire abandonnées par les personnes déplacées.

Les déplacés du génocide

Aux premiers jours du génocide, plusieurs groupes de populations choisirent ou furent obligés de se réfugier au sein de la zone sous contrôle du FPR. Originaires principalement de Kigali et de sa périphérie, ils furent estimés par l’ONG CARE en mai 1993 à près de 160 000 auxquels s’ajoutaient 50 000 personnes déjà déplacées, soit un total de plus de 210 000 individus. D’autres se réfugièrent au sein des églises, des écoles, des hôpitaux et des bâtiments publics, pensant être protégés. Ces lieux devinrent généralement leurs tombes, les autorités rwandaises profitant de ces regroupements pour lancer les massacres à grande échelle [47].

Les organisations internationales s’inquiétèrent certes de leur devenir sans pour autant leur offrir de solution en termes de protection. Au mieux, on leur distribuait quelques denrées. Ainsi, à la fin du mois d’avril 1994, au cœur de Kigali, furent organisées des distributions alimentaires auprès de populations civiles hutu et tutsi réfugiées dans l’église de la Sainte-Famille, quand les agences humanitaires pronostiquaient leur massacre [48].

L’opération Turquoise et les déplacés

S’étendant du 22 juin au 4 juillet, la première phase de l’opération Turquoise donna lieu à des missions ponctuelles menées à partir du Zaïre dans le sud-ouest du Rwanda. Ce choix traduisait la volonté de conférer à l’opération un caractère humanitaire afin de dissimuler ses ambitions stratégiques. Car, au même moment et « sans pratiquement aucune attention de la part de la presse étrangère », les forces françaises renforçaient leur position au nord-ouest du Rwanda à Gisenyi pour protéger la ville abritant le gouvernement intérimaire en fuite [49]. Le 2 juillet, la France modifia toutefois sa stratégie en demandant au Secrétaire général des Nations unies la création d’une zone humanitaire sûre (ZHS) comprenant le quart sud-ouest du pays, donc sans inclure Gisenyi. Plusieurs responsables administratifs, des miliciens, des soldats de l’armée rwandaise quittèrent alors Gisenyi pour la ZHS. Cependant, il faut attendre le 14 juillet pour que la France annonce officiellement qu’elle ne souhaite pas leur présence dans la zone, où néanmoins certains de ces responsables se trouvent déjà. Ce même 14 juillet, les autorités rwandaises encore présentes à Gisenyi traversent la frontière pour échapper au FPR. Un million de personnes fuient alors au Zaïre.

Si l’opération Turquoise canalisa la majorité des FAR, des milices et une partie du gouvernement intérimaire vers Goma, elle ralentit l’arrivée massive de réfugiés dans le sud Kivu, en favorisant l’installation de camps à l’intérieur du Rwanda. Le 11 juillet, les déplacés de la zone Turquoise étaient estimés à 1,2 million. En dépit de la présence des militaires français et de quelques ONG, leur situation demeurait très chaotique, puisqu’ils étaient en perpétuel mouvement, soit de part et d’autre des frontières burundaise et zaïroise, soit entre les zones de « grands regroupements » plus ou moins assistées et celles de « petits regroupements » non approvisionnées. A la fin de l’opération Turquoise, le HCR annonça que l’ouest rwandais comptait plus de 2 300 000 personnes déplacées dont 500 000 sur site [50].

Dans ces conditions, bien que les nouvelles autorités rwandaises se soient félicitées du départ des troupes françaises, elles durent faire face à une situation explosive. Pour le FPR, les déplacés représentaient dans un premier temps un enjeu touchant à la sécurité nationale. Les militaires français, en les établissant dans des camps sans désarmer systématiquement les milices et les ex-FAR, avaient favorisé le développement de pôles d’insécurité pouvant à tout moment déstabiliser le pays. Dans un deuxième temps, au regard de l’histoire récente, le FPR eut pour objectif « d’effacer » de la carte du Rwanda des camps qui, pour une majorité des Tutsi rescapés ou nouvellement rentrés, abritaient des assassins. Enfin, le dernier enjeu était incontestablement d’ordre économique. Les travaux agricoles devant reprendre au plus vite, il fallait obliger les populations paysannes des camps à rejoindre rapidement leurs collines [51].

Les autorités militaires décidèrent au cours du premier semestre 1995 de fermer par la force les camps de déplacés.

La résurgence de la question des déplacements forcés dans le nord-ouest rwandais

Au cours du second semestre 1996, les troupes rwandaises alliées à l’AFDL (Alliance des Forces Démocratiques de Libération Congo-RDC) et appuyées par des militaires ougandais et burundais, détruisirent les camps de réfugiés du Kivu pour prévenir selon le discours officiel une invasion par des ex-FAR et des interahamwe. L’une des conséquences inattendues de cette entreprise fut une importation de la violence au sein du territoire rwandais. En effet, si, suite à cette offensive, une partie des éléments armés présents dans les camps de réfugiés s’enfuit vers l’ouest du Zaïre, une autre partie se déplaça dans le nord-est du Kivu, puis dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi. Des confrontations qui s’en suivirent émergèrent trois types de mouvements. Le premier consistait en un déplacement de populations vers les zones sous protection du gouvernement. Le second concernait les populations se déplaçant aux côtés des insurgés dans la zone des volcans, dans la forêt de Gishwati ou en République Démocratique du Congo. Enfin, le troisième était composé de personnes restant dans une sorte de « no man’s land » entre les insurgés et l’armée et se réfugiant occasionnellement dans les forêts ou les montagnes. Plusieurs mois durant, le gouvernement rwandais refusa de reconnaître la sévérité de la situation. Il fallut attendre le mois d’avril 1998 pour mesurer l’ampleur des déplacements : quand les préfets de Gisenyi et Ruhengeri demandèrent l’assistance du PAM. Ce fut aussi le moment choisi par les autorités rwandaises pour regrouper les populations.

A la fin de l’année 1998, les Nations unies chiffraient le nombre des personnes déplacées dans les préfectures de Ruhengeri et de Gisenyi à plus de 592 700. Sur ce nombre, 416 410 étaient hébergées dans des camps [52]. A leur sujet, les Nations unies se refusèrent à tout commentaire. Se contentant de reprendre le discours officiel, elles dépeignirent leur situation sous l’angle humanitaire.

Ici apparaît l’une des questions centrales qui se posent au sujet des personnes déplacées dans la région des Grands Lacs, celle de leur perception et de leur traitement par la communauté internationale, et en particulier par les Nations unies. Pourquoi fut-il décidé de débloquer plusieurs millions de dollars pour soulager ces populations rwandaises regroupées dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi alors qu’au même moment agonisaient les populations burundaises de Bujumbura-rural ? Leur souffrance n’était-elle pas la même ?

PERCEPTIONS CROISEES DES PERSONNES DEPLACEES DU BURUNDI ET DU RWANDA

L’étude des cas du Burundi et du Rwanda au cours de la décennie 1990 démontre que les attitudes à l’égard des personnes déplacées, et notamment celles des organismes internationaux humanitaires, étaient autant fonction des enjeux nationaux et des perceptions véhiculées par les classes dirigeantes que des degrés de détresse.

Les déplacés sur site au Burundi et au Rwanda

Si, au Burundi, le traitement des personnes déplacées sur site fut caractérisé par l’inaction du gouvernement et du système des Nations unies, au contraire, au Rwanda, la question fut rapidement tranchée par l’armée avec la complice passivité des agences onusiennes.

L’enlisement onusien au Burundi

En 1994, pour les autorités burundaises, les sites de déplacés, stigmates des récentes violences, devaient disparaître. Le retour sur les collines semblait être un préalable au rétablissement de la sécurité, à la reconstruction et à la relance de l’agriculture. De son côté, le système Nations Unies fut très peu enclin à développer un programme d’assistance. Aucun membre de la communauté humanitaire ne désirait, précise Francis Deng, s’investir auprès de populations dont le séjour sur site devait être bref.

  • « Pour les représentants des organisations internationales, il est inutile d’intervenir dans les camps de personnes déplacées puisque celles-ci peuvent, à leur avis, très souvent rentrer chez elles. À leurs yeux, prolonger leur séjour dans les camps va créer un syndrome de dépendance qu’il faut éviter et qui les entraînerait dans un cercle vicieux. » [53]

Seuls le PAM (Programme alimentaire mondial) et la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations) les assistaient, non en tant que personnes déplacées mais en tant que populations dites « vulnérables ». Le HCR, quant à lui, opta soit pour des réponses au cas par cas, soit pour le lancement d’actions de construction et de réhabilitation d’infrastructures sociales.

Finalement, la complexité du conflit burundais, associée au déchirement de la classe politique à propos des qualifications relatives aux personnes déplacées, mena les agences onusiennes à ne donner de valeur qu’aux dernières souffrances, aux déplacés des dernières fièvres, elles laissèrent les déplacés de longue date à leur sort. Ce manque d’initiative fut fortement critiqué en décembre 2000 lors d’une mission de D. McNamara, coordinateur spécial sur la question des déplacés. Dans ses conclusions, cette mission releva, d’une part, la faible collaboration entre le système des Nations unies et les ONG et, d’autre part, leur manque de stratégie [54]. Pour justifier ces carences, les agences onusiennes prétextèrent l’impossibilité de standardiser la situation fluctuante et instable des déplacés. L’OCHA, l’office onusien pour la coordination des affaires humanitaires, écrivit ainsi au début de l’année 2002 :

  • « The most serious constraint preventing the humanitarian community from effectively planning assistance for the IDPs living in sites is the lack of accurate and up-to-date information. » [55]

Cette affirmation ne fut cependant étayée d’aucun argument, si ce n’est celui très général de l’insécurité au Burundi. L’incapacité supposée ou avérée de codifier la souffrance, de traduire la situation des déplacés en chiffres était donc la clef et tenait à des causes extérieures au système. Or, après dix ans, l’insécurité n’expliquait pas à elle seule l’impossibilité d’obtenir des données fiables justifiant le manque de stratégies envers les personnes déplacées. Des raisons propres aux institutions onusiennes pouvaient également contribuer à la compréhension de cette lacune opérationnelle. A titre illustratif, nous nous pencherons sur la méthode utilisée par l’OCHA pour comptabiliser le nombre de personnes déplacées.

A la fin des années 1990, l’OCHA ne disposait d’aucune méthode expliquant la logique guidant sa collecte d’informations. Il pouvait ainsi compiler dans un même document des chiffres du PNUD, du PAM, d’ONG médicales ou de l’administration locale. Or, étant donné que ces chiffres n’identifiaient pas forcément les mêmes catégories de population, cela pu aboutir dans certaines circonstances à d’importantes erreurs d’interprétation. Ainsi, entre décembre 1999 et janvier 2000, l’OCHA note pour la province de Ngozi un écart de populations de près de 12 715 personnes, laissant du même coup entendre qu’un mouvement de déplacés s’était récemment produit. Toutefois, en analysant les sources, nous remarquons que celles-ci diffèrent entre les mois de décembre 1999 et janvier 2000.

OCHA (décembre 1999) Province Ngozi

Commune Populations déplacées sur site Source Dates infos obtenues
Busiga 100 CARE sept.-99
Gashikanwa 107 PAM sept.-99
Kiremba 3248 PAM sept.-99
Marangara 1267 PAM sept.-99
Mwumba 1900 PAM sept.-99
Ruhororo 10470 PAM sept.-99
Tangara 3393 PAM sept.-99
Total 20485

OCHA (janvier 2000) Province Ngozi

Commune Populations déplacées sur site Source Date infos obtenues
Busiga 120 PNUD/ PCAC sept.-99
Gashikanwa N/A sept.-99
Kiremba 686 PNUD/PCAC sept.-99
Marangara 513 PNUD/PCAC sept.-99
Mwumba 1467 PAM sept.-99
Ruhororo 3825 PNUD/PCAC sept.-99
Tangara 1159 PNUD/PCAC sept.-99
Total 7770

En l’espèce, la situation de la commune de Ruhororo est particulièrement éclairante. En décembre 1999, l’OCHA, reprenant les données du PAM, annonce la présence de 10 470 personnes sur site. Quelques semaines plus tard, l’estimation est revue à la baisse. Cette fois-ci, s’appuyant sur les enquêtes du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), l’OCHA indique uniquement la présence de 3 825 personnes. Au regard de la stabilité de cette commune, à l’époque aucun mouvement de populations n’était en mesure de justifier une telle diminution. En revanche, cette différence pouvait très bien s’expliquer par le fait que le PAM enregistre les bénéficiaires de ses distributions alimentaires, des populations qui dépassent en nombre les personnes déplacées. En bref, les chiffres de décembre ayant été surestimés, la baisse de la population déplacée sur site en janvier 2000 ne semble pas avoir eu lieu.

Il ressort de cet exemple que, outre l’insécurité, les méthodes de collecte de données de certaines agences onusiennes contribuèrent aussi au manque d’informations pertinentes sur les personnes déplacées.

A l’instar des personnes déplacées burundaises, les déplacés rwandais furent traités comme une catégorie ad hoc du droit humanitaire. Mais, ici s’arrête la similitude avec le Burundi.

La gestion militaire des déplacés rwandais

Au Rwanda, le FPR considéra très vite que toute aide apportée aux populations déplacées était une aide apportée aux entrepreneurs du génocide. Dans un contexte où ces populations représentaient un danger en termes de sécurité, cette perception conforta les autorités dans l’idée de régler militairement la question.

Quelques semaines après la prise de Kigali par le FPR, fut organisée l’opération « Homeward » au cours de laquelle, avec le soutien de l’IOM (Organisation internationale des migrations) et de la MINUAR (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda), le HCR offrit de transporter les déplacés qui souhaitaient retourner sur leurs collines avant la saison culturale. Devant les piètres résultats de l’opération, qui enregistra le retour de 20 000 personnes, l’armée rwandaise commença à détruire de petits îlots de déplacés localisés dans l’ouest rwandais. Parallèlement, le Vice-président et ministre de la Défense, Paul Kagame, annonça la fermeture de tous les camps de déplacés pour le 30 novembre 1994. Ces deux événements contraignirent la MINUAR à réagir en lançant d’abord l’opération « Rondaval », puis l’opération « Retour ». Si la première était la copie conforme de l’opération « Homeward », la seconde se voulait beaucoup plus agressive. Ainsi, les agences onusiennes, le PAM et le HCR en tête, appelèrent à la réduction de l’assistance humanitaire dans les camps et établirent des centres de secours dans les communes d’origine. L’opération « Retour » fut cependant loin d’atteindre les résultats escomptés. Les menaces des artisans du génocide, toujours actifs dans les camps de déplacés, ajoutées aux rumeurs de disparition sur les collines et à la surpopulation dans les cachots communaux, créaient un climat peu propice à un retour volontaire.

A partir de février 1995, après que P. Kagame ait à nouveau critiqué la communauté internationale pour sa complaisance vis-à-vis des personnes déplacées [56], les Nations unies et le gouvernement s’entendirent sur le transfert des distributions alimentaires dans les communes des préfectures de Butare et Kigali, principales zones d’origine des déplacés, et sur le démantèlement des camps dont celui de Kibeho. Pour conserver un minimum de crédibilité auprès des autorités, les Nations unies s’étaient converties à l’idée qu’avant d’être une population en quête de protection, les personnes déplacées étaient un facteur d’insécurité qu’il fallait traiter comme tel.

Donnant peu de crédits aux décisions des Nations unies, l’APR (Armée patriotique rwandaise) choisit de résoudre unilatéralement la question des déplacés. Dès le 12 avril, l’armée débute sa campagne de destruction des camps satellites dans le sud-ouest rwandais [57]. Dans la nuit du 17 au 18 avril, les militaires entrent dans le camp de Kibeho qui héberge environ 120 000 personnes, ils arrêtent les distributions de nourriture et d’eau, forcent les habitants à se regrouper et annoncent la fermeture du site. Le 22 avril, répondant, selon la version officielle, aux provocations d’un groupe de déplacés [58], ils tirent à plusieurs reprises dans la foule tuant entre 338 (chiffre gouvernemental) et 8 000 personnes [59]. La Commission d’enquête internationale dépêchée sur les lieux quelques semaines plus tard conclut que ces meurtres n’avaient pas été planifiés par le gouvernement, tout en précisant que des mesures auraient pu être prises pour les éviter [60]. Cette vision tempérée du massacre se heurte toutefois aux témoignages des personnels humanitaires présents à Kibeho ce 22 avril. Ainsi, le rapport de MSF-Hollande parle de plusieurs milliers de morts suite à des tirs répétés et nourris tout au long de la journée du 22 avril [61]. De même, C. Vidal, ayant eu accès aux archives de MSF-France, nous rappelle d’une part que les militaires de l’APR utilisèrent des mini lance-roquettes, des grenades et des kalachnikovs contre une foule composée essentiellement de femmes et d’enfants et d’autre part que les militaires de la MINUAR accusèrent l’APR d’avoir provoqué le massacre [62]. Le 9 mai 1995, dans des conditions tragiques, Kibeho s’était vidé de sa population.

Regards divergents sur les regroupements de population au Burundi et au Rwanda

En 1996, au moment des premiers regroupements de population au Burundi, de nombreuses administrations locales adressèrent leurs doléances auprès des ONG et des organisations internationales. Il s’agissait essentiellement de demandes d’aide d’urgence : nourriture, vêtements ou médicaments. Dans l’ensemble, les réponses furent timides. En mars 1997, Martin Griffiths (coordinateur humanitaire des Nations unies pour la région des Grands Lacs), a clairement indiqué que les organismes humanitaires avaient opté pour une position par laquelle ils voulaient assumer leur mandat d’assistance sans paraître appuyer la stratégie militaire du gouvernement :

  • « It is therefore fair to assume that the policy of regroupement is not based, in general, on the voluntary movement of the regrouped, and that it represents a military strategy. [...] In favour of a policy of no assistance is the fact that regroupement is in most cases very probably a violation of human rights. Those providing assistance may be seen as accomplices to this violation, essentially foo¬ting the bill for a strategy which is to be condemned. [...] On the other hand, there is little doubt that there are and will be real humanitarian needs among the regrouped. [...] The regrouped, where forced to move, are not the authors of their fate but the victims of a condemned policy and should not pay twice. » [63]

Quelques semaines plus tard, devant la poursuite des mesures de regroupement dans certaines provinces du Burundi, les Nations unies se firent beaucoup plus pressantes en demandant leur suspension [64]. Ces prises de position expliquent dans une certaine mesure l’assistance limitée et temporaire mise à disposition.

Au fil des mois et des années, les Nations unies ont conservé cette opposition aux stratégies de l’armée burundaise. Aussi, lorsqu’en 1999 de nouvelles mesures de regroupement furent enregistrées dans Bujumbura rural, sans surprise les agences onusiennes notifièrent leur désapprobation. Toutefois, ce n’est pas pour autant qu’elles décidèrent d’augmenter l’aide humanitaire. L’ONG Human Rights Watch, enquêtant sur la situation des regroupés en juillet 2000, révéla que la majorité des camps ne recevaient pas ou peu d’assistance internationale [65].

En janvier de l’année 2000, le gouvernement déclara vouloir démanteler les camps de regroupés afin, semble-t-il, de calmer les institutions internationales. Début avril, trois mois après le début initial de l’opération, seulement 5% du total des 352 000 personnes regroupées avaient été autorisées à retourner chez elles. Le gouvernement céda finalement sous la pression de Nelson Mandela, alors médiateur du processus de paix burundais. A la fin du mois de juin 2000, environ 100 000 personnes quittaient les soi-disant « sites de protection ».

Alors qu’elles furent ouvertement critiques à l’égard de l’armée burundaise et de ses politiques de regroupement, il est intéressant de noter, qu’au même moment, les mêmes agences onusiennes développèrent un tout autre discours face aux comportements de l’APR au Rwanda.

D’emblée, il faut noter que très peu d’acteurs humanitaires présentèrent les mesures de regroupement de population dans les provinces du nord-ouest rwandais sous les traits d’une tactique militaire destinée à couper la rébellion de son support local. Reprenant le discours officiel, selon lequel ces mouvements manifestaient la volonté des personnes qui cherchaient à fuir l’insurrection menée par les ex-FAR et les interahamwe, ils les analysèrent sous l’angle humanitaire.

  • « Minister Mazimhaka went on to give an historic overview of the situation that in the end of 1996-1997 when the refugees were repatriated, government was aware that among these returnees there were also elements of ex-FAR and interahamwe who had returned most lokely with their arms as there was no screening or searches. He also stated that 90% of the ex-FARs and interahamwe are native of Gisenyi and Ruhengeri and that upon return they have continued their anti-government campaign inciting population into complicity withe the rebellion. The insurgency gained momentum with the crisis peaking in 1997. The population of these communes moved along with the insurgency to the volcano area of the mountains. In retaliation, the government has undertaken measures to flush out the insurgency from the various communes [...]. Consquently, the population volountarily disengaged from the insurgency and regrouped in and around communal structures in search of safety and protection from the government. » [66]

Et pourtant les descriptions des camps de regroupés ressemblaient bien à celles enregistrées au Burundi.

  • « Une descente sur terrain a été effectuée à Ruhengeri en date du 28 janvier 1999 […]. Les sites sont tous surveillés par les militaires pour assurer la sécurité. Les IDPs se rendent dans leur village d’origine pendant la journée afin de cultiver leur champ, accompagnés par les autorités militaires, cependant elles doivent retourner aux sites à 18 :00. » [67]

La similitude était d’ailleurs telle qu’elle incita certains personnels de terrain du HCR-Rwanda à vouloir se rapprocher officieusement du bureau de Bujumbura pour s’enquérir de son expérience vis-à-vis de la politique burundaise de regroupement [68].

Il n’en demeure pas moins qu’officiellement, les principales représentations diplomatiques, sans jamais employer le terme de regroupement, donnèrent leur aval pour assister temporairement ces 592 700 personnes déplacées [69]. Les Nations unies budgétisèrent l’ensemble de l’opération à plus de 37 millions de dollars. La seule limite qu’imposèrent les donateurs fut de ne pas lier cette assistance à la politique de villagisation (imidugudu) menée simultanément par le gouvernement rwandais dans d’autres parties du territoire. Cette limite ne l’empêcha pas, une fois l’insurrection éliminée, de réinstaller, sur la base d’un discours sécuritaire, 95 % des populations déplacées dans des imidugudu [70]. En fait, le regroupement des populations dans le nord-ouest était un excellent moyen de mener une politique de villagisation à mots couverts dans des préfectures qui avaient été les bastions de l’ancien gouvernement.

La dette morale que la communauté internationale considérait avoir auprès du gouvernement rwandais joua à plein. Face aux exactions des infiltrés, présentées par les médias nationaux comme la poursuite de l’œuvre génocidaire des interahamwe et ex-FAR, les organisations internationales ne pouvaient de nouveau se détourner du Rwanda.

Conclusion

Dépourvues de lignes directrices claires, les agences humanitaires se trouvèrent fragilisées dans leur démarche empirique. Elles firent alors reposer leurs interventions sur la croyance que les populations, pour qui l’assistance était sollicitée, correspondaient à leurs principes supposés d’action.

Dans un tel contexte, les gouvernements successifs burundais, déconsidérés sur le plan international, n’ont pu convaincre ces agences de la pertinence et de l’urgence d’assister les personnes déplacées. Une situation diamétralement opposée s’instaura au Rwanda. Le contrôle de la vie publique et l’ébranlement provoqué par le génocide ont permis que les autorités imposent l’image d’un groupe homogène hutu et que les stratégies gouvernementales reçoivent une quasi-carte blanche, les Nations Unies préférant, comme par compensation avec la politique conduite en 1994, fermer les yeux sur les opérations militaires et financer les opérations d’assistance.

Certains auteurs considèrent que ces situations sont le produit des lacunes du droit humanitaire, en particulier de la faible reconnaissance sur le plan juridique international de la catégorie des personnes déplacées [71]. Il est vrai que ces personnes ne recevront qu’une aide de circonstance, tant qu’elles ne disposeront pas d’un statut international affirmé et d’une agence (existante ou à créer) ayant pour mandat de défendre leur cause. Mais à trop se focaliser sur la surenchère juridique, on risque d’oublier les enjeux politiques et sécuritaires à partir desquels sont perçus, qualifiés et traités les déplacés. Comme le prouve l’exemple des réfugiés rwandais au Kivu entre 1994 et 1996, dès lors que ces enjeux sont jugés importants, peu importe la catégorie juridique à laquelle les populations appartiennent, la « real politik » reformule le droit pour satisfaire ses intérêts.

NOTES

[1] A notre sens, il n’y a pas de contradiction entre le fait de se donner une définition de travail sur la nature des crises extrêmes et le fait d’étudier comment ces dernières en viennent à être considérées publiquement comme extrêmes. Qu’il soit clairement dit, qu’à nos yeux, cette démarche ne suffit pas à assurer une connaissance de ces crises extrêmes, de leur déroulement, de leur histoire. On épargnera au lecteur une discussion sur le fait que raisonner en termes de « construction » n’aboutit pas à nier la consistance des faits sociaux étudiés. Cf. Bernard Lahire, « Splendeurs et misères d’une métaphore : “ La construction sociale de la réalité “ », L’esprit sociologique, Paris, La Découverte, 2005, p. 94-111.

[2] Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, Vrai et faux dans la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2004, p. 29.

[3] Pour reprendre l’expression d’Alice Krieg dans cet ouvrage.

[4] Dix ans après le génocide, en France, le dévoilement des « inavouables secrets » continue d’être une stratégie de dénonciation, toujours efficace comme principal instrument pour mobiliser le public. Sur « l’offre dénonciatrice de secrets », cf. Alain Dewerpe, Espion, Paris, Gallimard, 1994.

[5] Le général Roméo Dallaire a commandé la Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda (MINUAR) d’octobre 1993 à août 1994. Son télégramme annonce l’existence de caches d’armes à Kigali en vue d’un massacre systématique de Tutsis.

[6] Divulgué en 1986 à Belgrade, le Mémorandum sur les questions sociales actuelles dans notre pays a occupé une place importante dans le récit médiatique de la guerre yougoslave.

[7] Cf. article 2, Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948, par l’Assemblée générale de l’ONU.

[8] La littérature scientifique consacre une place croissante au rôle d’alerte des ONG, à leur recours aux normes des droits de l’homme, à leur rôle de diffusion de ces dernières. Cf. William Korey, NGOs and the Universal Declaration of Human Rights : a Curious Grapevine, Basingstoke, Macmillan, 1998, ou Anne-Marie Clark, Diplomacy of Conscience, Amnesty International and Changing Human Rights Norms, Princeton, Princeton University Press, 2001. L’attention est notamment portée sur la politique d’information de ces dernières, par exemple dans Margaret Keck, Kathryn Sikkink, Activists Beyond Borders : Advocacy Networks in International Politics, Ithaca and London, Cornell University Press, 1998.

[9] A cet égard nous touchons, selon Carlo Ginzburg, à l’un des risques de ce qu’il appelle « l’historiographie judiciaire ». C’est le risque de réduire les événements ou processus historiques à un seul « type d’actions », celles qui peuvent être rapportées à la responsabilité d’individus, indépendamment des contextes, Carlo Ginzburg, Le juge et l’historien, Lagrasse, Verdier, 1997.

[10] Paul Veyne constatait que les Grecs, « en état de dépendance à la parole d’autrui », faisaient leur des « vérités sur créance ». On peut constater, dans notre plus ou moins grande dépendance à la parole de témoins survivants de massacres extrêmes, la persistance de cette modalité de croyance. Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Paris, Seuil, 1983, p. 39-51.

[11] Se confirme ici l’hypothèse selon laquelle, fut-ce dans les crises les plus extrêmes, c’est à partir des routines et pratiques ordinaires des univers sociaux qui les saisissent (le journalisme, une administration…) que doivent être comprises les logiques de connaissance et de perception de ces dernières. Michel Dobry, Sociologie des crises politiques, Paris, Presses de la FNSP, 1988.

[12] Voir la discussion engagée par E. Claverie, J. Jamin et G. Lenclud (1984).

[13] Voir Alain Brossat (2001).

[14] Ce qui vaut pour le témoignage concerne les prises de parole en général. Pour donner un sens à la posture « naïve » de l’enquête ethnologique qui cherche à construire ses données au moins en partie à partir d’entretiens et récits, la réflexion doit être élargie vers une anthropologie des prises de parole qui inscrit l’enquête dans une posture épistémologique englobante. Pour celle-ci, il n’y a pas de faits observables sans mots pour les désigner, pas de « discours » possible sans un « ordre du discours » qui le fasse exister. Cette approche suppose que le rapport à la vérité se permute en un rapport au pouvoir, et en particulier au pouvoir de prendre la parole. Cela nécessite de « doubler » l’enquête, et de prendre comme objet d’étude les formes, contextes et auteurs de la parole adressée à l’ethnologue en tant que cette parole est une médiation au travers de laquelle il accède aux faits de société en général, aux événements ordinaires ou extraordinaires qui l’informeront sur les sociétés étudiés, mais une médiation qui l’informe tout autant sur les conditions de possibilité de la formation du sujet dans la prise de parole. (J’ai abordé ailleurs cette réflexion à propos des figures de l’informateur, du leader et du témoin ; je me permets d’y renvoyer, voir Agier 2004 : 79-95).

[15] Je renvoie à la critique des différentes versions du trauma développée par Richard Rechtman (2005) à partir d’une approche psychiatrique et d’une histoire politique du concept.

[16] On entend souvent dire en Colombie que les desplazados sont « des personnes normales dans des situations anormales ».

[17] Voir Ricœur (2000), également Augé (1998).

[18] Le LURD (Liberian United for Reconciliation and Democracy) est un groupe armé formé au début de l’année 2000 avec le soutien du pouvoir guinéen, des conseillers militaires britanniques, et avec l’aide de la diaspora libérienne aux États-Unis, pour s’opposer aux forces gouvernementales de Charles Taylor et renverser ce dernier, ce qui fut fait en août 2003. La fin officielle de la guerre n’a pas pour autant sécurisé le pays, et le rapatriement des réfugiés (et des déplacés internes vers leurs régions d’origine) ne se fera que très progressivement à partir de la fin 2004.

[19] Dans le service religieux observé un dimanche matin dans une des cinq églises pentecôtistes de ce camp, j’ai relevé les séquences suivantes : séance de témoignages (testimony) aux cours de laquelle cinq personnes racontent, à tour de rôle, un bout de leur histoire personnelle et terminent par un remerciement à Dieu ; séance de présentation des nouveaux arrivants dans le camp (et dans l’église) à laquelle répond le « welcome » de l’assistance ; enfin la performance du prêche par le pasteur de l’église (30/11/03). Selon les cas, le prêche du pasteur peut être l’occasion de commentaires critiques sur les conditions de vie des réfugiés dans le camp, la situation du pays d’origine, l’action des « U.N. », etc.

[20] « L’occupation du millénaire », débuté quelques jours avant le passage à l’an 2000.

[21] Les desplazados colombiens doivent revenir plusieurs fois présenter un témoignage face aux fonctionnaires de l’administration chargés de leur donner le titre et les droits de « déplacé ». Ils ont donc tout intérêt à s’échanger des informations pour parfaire leurs récits.

[22] Occupation dont les leaders participeront à la formation d’une coordination nationale des desplazados.

[23] Maheba est un site rural du HCR ouvert en 1971. Il comptait en 2002 58.000 réfugiés, dont 51.641 Angolais (soit 88,2%), 1.649 Congolais (ex-Zaïre, 2,8%), 3.695 Rwandais (6,3%) et 1.441 Burundais (2,5%), ces deux dernières nationalités étant composées principalement de Hutu (voir Agier 2003).

[24] Voir A. Hagenimana, J. Nkengurukiyimana, J. Mulindabigwi et M. Goretti Gahimbare, L’itinéraire le plus long et le plus pénible (Les réfugiés hutus à la recherche de l’asile), s.d. (2000), s.l. (Maheba), 77 p. mult.

[25] Op. cit. : 3.

[26] Op. cit. : 2.

[27] L’association regroupe 420 membres, fin 1999, au moment où ils rédigent leur ouvrage.

[28] Op. cit. : 1.

[29] « Rwanda 94 », spectacle-témoignage créé en 2000 par le Groupov (Liège), mise en scène de Jacques Delcuvellerie, a été présenté à la Cité de la Villette à Paris en novembre 2002.

[30] Par Jacque Delcuvellerie et Mathias Simons pour les paroles, Garrett List pour la musique (cf. Rwanda 94, livre comprenant le texte de la pièce, accompagné de deux CD, Groupov/Carbon7 records, Liège/Bruxelles, s.d.).

[31] Mon analyse diffère sur ce point de celle de Denise Schröpfer pour qui « le récit de la rescapée ne peut résumer à lui tout seul le génocide, mais il fonde son ancrage dans le réel et oriente d’emblée l’attitude d’écoute du spectateur vers une vigilance et une méfiance contre ce qui pourrait être mensonge ou falsification » (Schröpfer 2005 : 342), après avoir reconnu cependant que Yolande Mukagasana « a été amenée à faire un travail proche de celui du comédien » (op. cit. : 341).

[32] En pratique, ces deux définitions sont remises en cause ensemble lorsque la suspicion sur la véracité des témoignages nourrit en Afrique les tensions autour des procédures du ressetlement ou justifie en Europe l’augmentation des rejets de demandes d’asile.

[33] Les faits et réflexions présentés dans ce texte ont été exposés à l’occasion du colloque du GDR « Face aux crises extrêmes » (Lille, Université Lille 2, 21-22/10/2004), ainsi que dans le cadre du séminaire « Anthropologie des Mondes Contemporains » animé par Gérard Althabe et Marc Augé (Paris, EHESS, 25/03/2004). Certaines des idées présentées ici ont été ébauchées dans deux articles parus dans la revue Vacarme : « La vérité vraie. Mises en scène de témoignages de guerre et d’exil » (n°25, automne 2003, p. 79-82) et « Réflexions sur la peur, le pardon et le retour des réfugiés libériens » (n°27, printemps 2004, p. 24-27).

[34] En 1998, F. Deng, à la demande de la Commission des droits de l’homme des Nations unies, produit un cadre normatif, Les principes directeurs relatifs aux personnes déplacées : il les définit comme « des personnes ou des groupes de personnes qui ont été forcés ou contraints à fuir ou à quitter leur foyer ou leur lieu de résidence habituel, notamment en raison d’un conflit armé, de situations de violence généralisée, de violations des droits de l’homme ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État ».

[35] Arnaud Royer, « Les déplacements internes au Burundi : la gestion de l’incertitude », in Guichaoua (André) (dir.), Exilés, réfugiés et déplacés en Afrique centrale et orientale, Paris, Karthala, 2004.

[36] Le Renouveau du Burundi, « Le CED Caritas au service des sinistrés d’octobre », Bujumbura, 19 mars 1994.

[37] Pierre Poupard, « La population déplacée au Burundi », in Guichaoua (André) (dir.), Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994). Analyses, faits et documents, Lille, Université des Sciences et Technologies, 1995, p. 177.

[38] Évariste Ngayimpenda, « Les populations sinistrées du Burundi sept ans après », Cahiers démographiques du Burundi, N°14, Bujumbura, août 2000, p. 5.

[39] Christian Sendegeya, « Discours de clôture de la session parlementaire ordinaire », in République du Burundi, Assemblée nationale, Procès-verbaux de la session ordinaire d’avril 1994 (2e partie) et Procès-verbaux des sessions extraordinaires de juin-juillet 1994 et d’août-septembre 1994, Bujumbura, 6e Vol., 1994, p. 6.

[40] Le Renouveau du Burundi, « Muyinga. L’Association pour le soutien aux sinistrés de Muyinga (ASSIM) en quête des bienfaiteurs », Bujumbura, 20-21 octobre 1995.

[41] Amnesty international, Burundi. Réinstallation forcée et nouvelles formes d’atteinte aux droits de l’homme, Londres, juillet 1997, p. 1. Cf. FRODEBU, Agenda caché dans les regroupements des populations de Bujumbura rural et des localités de la mairie de Bujumbura (Capitale) : nouvelle formule de génocide des Hutu au Burundi, Bujumbura, 28 octobre 1999, p. 10.

[42] Ligue burundaise des droits de l’homme (Iteka), Rapport d’enquête sur les « camps de regroupement », mars 1997, p. 16.

[43] L’intervention militaire française au Rwanda, baptisée opération Turquoise, a eu lieu du 22 juin au 22 août 1994.

[44] Ligue Chrétienne de Défense des Droits de l’Homme au Rwanda (LICHREDHOR), Lettre ouverte à son Excellence Monsieur le Président de La République et Président du parti MRND. Extension de troubles sur toute l’étendue du territoire national, Kigali, 22 janvier 1993, p. 3. (RSP Documentation Centre / NR 21.6/ MAZ)

[45] En février 1993, la rupture de l’accord du cessez-le-feu entre le gouvernement et le FPR força plus de 900 000 personnes à quitter leurs habitations dans les préfectures de Ruhengeri, Byumba et Kigali. Cf. République Rwandaise, Services du Premier Ministre, Comité de Crise pour les déplacés de guerre, Evaluation des besoins des déplacés de guerre du Rwanda. Dossiers préparatoires, Kigali, avril 1993, p. 1.

[46] Fédération Internationale des Droits de l’Homme et alii., Rapport de la commission internationale d’enquête sur les violations des droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990. (7-21 janvier 1993). Rapport final, Kigali, mars 1993, p. 71-72.

[47] Human Rights Watch, FIDH, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, p. 245.

[48] AHT (Affair Humanitarian Team/UNICEF), Situation report from AHT, Kigali, 30 April 1994, p. 2-3. Ce rapport fait état de distributions de nourriture à l’église de la Sainte Famille le 30 avril et précise : « If fightings start in this area [...] many of those in the Church and with the Sisters of Charity are very likely to be massacred. ».

[49] Human Rights Watch , FIDH, op. cit., p. 784.

[50] HCR, Notes on protection meeting in Kigali. Nov. 21/94, Ngozi, novembre 1994, p. 5.

[51] Entretien donné par Marc Rugenera, ministre des Finances, « Les priorités du nouveau gouvernement », Traits d’Union Rwanda, Forum pour le dialogue régional, Edition Spéciale n°4, Bruxelles, septembre 1994, p. 10.

[52] HCR, IDPs in the Northwest, Kigali, 27 November 1998, p. 9.

[53] Nations unies, Conseil économique et social, Rapport du représentant du Secrétaire général, M. Francis Deng, présenté en application de la résolution 1993/95 de la Commission des droits de l’homme. Additif. La situation au Burundi, E/CN.4/1995/50/Add. 2, Nations unies, 28 novembre 1994, p. 22.

[54] Senior Inter-Agency on Internal Displacement, Findings and Recommendations. Mission to Burundi 18-22 December 2000, Genève, 23 décembre 2000, p. 1 et 4.

[55] OCHA, Draft. Strategy for IDPs, Bujumbura, janvier 2002, p. 6.

[56] Stéphanie Kleine-Ahlbrandt , The Protection Gap in the International Protection of Internally Displaced Persons : the Case of Rwanda, Institute of International Studies, Geneva, 2004, p. 48.

[57] Claudine Vidal, « Les humanitaires, témoins pour l’histoire », Les Temps Modernes, n° 627, avril-mai-juin 2004, p. 99-100.

[58] Howard Adelman et Astri Suhrke relèvent que certains déplacés armés blessèrent des militaires de l’APR. Cf. Adelman (H.) and Suhrke (A.), Early warning and conflict management. Genocide in Rwanda, Evaluation of emergency assistance to Rwanda, CHR. Michelsen Institute, 1998, p. 55.

[59] S. Kleine-Ahlbrandt, op.cit., p. 55. Pour sa part, le corps médical australien de la MINUAR avança le chiffre d’au moins 4 000 morts. Cf. C. Vidal, « Les humanitaires, témoins pour l’histoire », op. cit., p. 104.

[60] HCR, Annual protection report. January 1995 – August 1996, Kigali, op. cit., p. 26.

[61] Médecins Sans Frontières, Deadlock in the Rwandan refugee crisis : Virtual Standstill on Repatriation, Amsterdam, July 1995, p. 32-34.

[62] C. Vidal , « Les humanitaires, témoins pour l’histoire », op. cit., p. 101-104.

[63] Martin Griffiths, Burundi : regroupement, fac-similé, OCHA, Nairobi, 27 février 1997, p. 2-4.

[64] Hussain Khan, Coordonnateur humanitaire au Burundi, Fax à l’intention des membres du CIC. Objet : regroupement à Karuzi et expulsion de Rwegura, Bujumbura, 10 novembre 1997.

[65] Human Rights Watch, Vider les collines. Camps de regroupement au Burundi,.New York, HRW, 19 juillet 2000, p. 11.

[66] HCR, IDPs in the North-western Prefectures, Kigali, 7 November 1998, p. 2.

[67] HCR, Rapport de visite/Ruhengeri-28 janvier 1999, Gisenyi, 29 janvier 1999, p. 1.

[68] « Perhaps it might be possible to seek the advice of UNHCR Burundi about their experiences with regroupement », HCR/Gisenyi, Note/Subject : UN Emergency IDP reponse in Ruhengeri and Gisenyi, Gisenyi 24 November 1998, p. 3.

[69] HCR, IDPs in the Northwest, Kigali, 27 November 1998, p. 9.

[70] Office of the United Nations Humanitarian Coordinator for Rwanda, September/October Humanitarian Update, Kigali, 27 October 1999, p. 2.

[71] S. Kleine-Ahlbrandt, op.cit.