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Complexité

Témoignages du CASAS (Strasbourg)

Le CASAS, association de solidarité avec les exilés à Strasbourg, nous a envoyé ces témoignages qui font suite à celui déjà publié sur TERRA sur le renvoi par la France au Sri-Lanka et l’assassinat par les forces gouvernementales du Sri-Lanka de Mr. Elanchelvan Rajendram : "En mémoire de Mr. Elanchelvan Rajendram". Ils illustrent les dilemmes et les affres de l’asile sociétal aujourd’hui en France.

A l’attention de TERRA,

Je vous écris pour vous donner des nouvelles de Strasbourg, que je qualifierais d’alarmantes, concernant la situation des demandeurs d’asile sans titre de séjour, tout en craignant que l’intensification des 0QTF, des placements en centre de rétention et des reconductions effectives ne soient pas la politique exclusive de notre département.

L’absence de titre de séjour de ces demandeurs d’asile est due soit à une procédure prioritaire pour cause de pays "sûrs", soit à une demande de réexamen systématiquement jugée dilatoire, soit encore à une procédure de réadmission Schengen-Dublin.

A Strasbourg, ces personnes sont désormais confrontées à une multiplication des contrôles d’identité aboutissant au centre de rétention (pour certains dès leur arrivée et avant d’avoir eu le temps de se présenter à la Préfecture pour demander l’asile) ainsi qu’à l’émission quasi-systématique d’OQTF dès que la personne a reçu sa décision négative de l’OFPRA. En conséquence, la multiplication des recours devant le Tribunal Administratif crée déjà un effet de saturation auprès des magistrats qui, dans tous les cas, avalisent très généralement la décision de la Préfecture. A partir de là, il ne s’agit plus que de réussir à exécuter la reconduction.

Pour ce qui me concerne, je vis dans la crainte de voir d’autres visages se superposer à celui d’Elvanchelvan tué dans son pays en février dernier, car ces tentatives de reconduction se font au mépris total du fait que les personnes n’ont pas pu aller au bout de leur procédure de demande d’asile (voire au début pour ce qui concerne les réadmissions).

Or, nous connaissons de multiples personnes reconnues réfugiées par la Commission des Recours des Réfugiés qui étaient en procédure prioritaire. Or, nous connaissons de multiples personnes en réadmission Schengen-Dublin qui ont fini par pouvoir saisir l’OFPRA qui leur a accordé la protection.

Toutes ces personnes auraient légalement pu être reconduites, ce qui signifie, si la reconnaissance du statut de réfugié a encore un sens, qu’on prend aujourd’hui le risque de renvoyer des personnes dont les persécutions subies dans leur pays auraient pu être, à postériori, avérées.

Comme vous le savez, pour nous, il ne s’agit pas de chiffrage mais de visages et surtout d’histoires confiées et désormais méprisées au point de prendre le risque de renvoyer ces personnes à la mort. Je m’occupe de demandeurs d’asile depuis une paire d’années, depuis la guerre en Bosnie, mais jamais je n’ai été confrontée à une telle absence de discernement de nos autorités qui soutiennent une politique de lutte contre l’émigration clandestine au prix du sang de ceux qui demandent notre protection. Je fais toujours gaffe aux mots, parce que comme le disait Albert Camus "mal nommer les choses, c’est rajouter au malheur du monde", je me suis toujours refusée à parler de traque, de chasse à l’homme, de rafles.

La seule chose juste que je puis exprimer actuellement, c’est ma peur. J’ai peur parce que je suis témoin de la peur des gens que je rencontre et que, sauf à leur mentir, je ne puis plus légitimement l’apaiser.

C’est un peu un appel au secours et je sais bien que vous n’avez pas la réponse. Mais qu’est ce qu’on faire ? Localement, on édite régulièrement des témoignages concernant notre rencontre avec des demandeurs d’asile, est ce que ça pourrait aider de leur donner une plus large audience au travers de Terra ? Je ne sais pas mais il faut trouver des voies pour témoigner de ceux qui risquent de disparaître sans laisser aucune trace de leur passage parmi nous.

Je ne suis d’ailleurs pas du tout sûre que les Officiers de Protection de l’OFPRA soient totalement conscients de ce changement dans l’application concrète du recours non suspensif d’une reconduction. Tout récemment, un jeune homme géorgien a été reconduit dans son pays quelques jours seulement après avoir reçu la décision négative de l’OFPRA au centre de rétention.

Lorsqu’il sera convoqué par la Commission des Recours des Réfugiés, il ne pourra pas se présenter, et c’est tout. Cela ne pourra rien dire de plus aux instances de protection qui ne sauront jamais pourquoi il n’est pas là, qui ne sauront jamais ce qu’il est devenu. Et nous non plus. Nous nous souvenons cependant de sa peur panique au centre de rétention, mais était-elle fondée ? La Commission des Recours des Réfugiés ne pourra plus en juger.

Simone FLUHR, CASAS


Ces histoires que l’OFPRA n’entend jamais

Le Préfet de la Moselle à la famille M.
Suite à votre demande d’asile en date du 23 août 2004
"considérant que la comparaison du relevé décadactylaire des empreintes avec le fichier européen Eurodac a révélé que vos empreintes avaient déjà été relevées le 15/07/2004 par les autorités polonaises qui ont accepté votre reprise en charge"
décide
"l’admission au séjour au titre de votre demande d’asile en France est refusée et les intéressés seront remis aux autorités polonaises"
Metz le 1er décembre 2004
Le Préfet de la Moselle au responsable de l’Office de rapatriement de Pologne
"vous remerciant de la réadmission des ressortissants russes, Monsieur M, son épouse Z et leurs trois enfants vous confirme que je ferai procéder au transfert des intéressés le 2 décembre 2004 sur le vol de la compagnie Air France décollant à 9h35 et arrivant à Varsovie à 9h50"
Metz, le 26 novembre 2004

En janvier 2006, lorsque nous rencontrons Zarima, accompagnée de deux enfants, avec son formulaire de réadmission Schengen-Dublin, elle reste désespérément muette et nous essayons de décortiquer ses documents administratifs pour comprendre un peu son parcours. Or, ils laissent de nombreux trous dans ce qu’elle a vécu et il semble que son mari et son fils aîné s’y soient perdus. Elle nous livre cependant quelques bribes "Nous ne pouvons plus vivre en Tchétchénie... En Pologne, dans le camp de réfugiés, il y avait constamment des attaques de skinheads, et surtout nous avions tout le temps peur d’être renvoyés en Russie... Nous avons essayé de repartir mais nous avons été arrêtés en Autriche... Mon mari et notre fils aîné sont en prison en Autriche, et moi, grâce à mes deux enfants mineurs, ils m’ont placée dans un service social... J’ai pu m’enfuir avec mes deux petits et voilà, je suis ici...".

Comme toujours, en cas de procédure de réadmission, il faut attendre la décision du pays de réadmission pour pouvoir, le cas échéant, tenter un recours. En attendant, Zarima n’a droit à rien qu’à attendre, et à la fin du plan hivernal, elle se retrouve à la rue avec ses deux enfants. Constamment au bord de l’effondrement psychique, elle résiste pour ne pas abandonner ses enfants à eux mêmes mais, submergée par l’angoisse, elle devra cependant être hospitalisée en urgence en psychiatrie. Depuis, elle tient debout tant bien que mal à l’aide d’anxiolytiques et de somnifères. Puis tombe une nouvelle décision préfectorale :

Le Préfet du Bas Rhin à Madame Z.
Suite à votre demande d’asile en date du 07 janvier 2006
"considérant que la comparaison du relevé décadactylaire des empreintes de l’intéressée avec le fichier européen Eurodac a révélé que ses empreintes avaient déjà été relevées le 17/06/2005 par les autorités polonaises qui ont accepté la reprise en charge de l’intéressée
décide
"l’admission au séjour au titre de sa demande d’asile en France est refusée et l’intéressée sera remise aux autorités polonaises"
Strasbourg le 31 août 2006

Nous tentons un référé suspension auprès du Tribunal Administratif suite auquel il nous faut à nouveau décortiquer une décision judiciaire, cette-fois ci heureuse

Tribunal Administratif de Strasbourg,
le Juge des référés
"considérant que, à la date de la décision attaquée, un délai de plus de douze mois s’est écoulé depuis le franchissement irrégulier par la requérante de la frontière polonaise, la responsabilité de la Pologne pour l’examen de la demande d’asile de l’intéressée a pris fin depuis le 31 août 2006 et qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de réadmission"
ordonne
"l’exécution de la décision est suspendue"
Ordonnance du 25 octobre 2006

Enfin, plus de deux ans après leur fuite de la Tchétchénie, Zarima va pouvoir relater à l’OFPRA les motifs et les circonstances qui ont conduits sa famille a demander la protection. Mais l’évocation de ces événements provoque, de toute évidence, une reviviscence d’un effroi qui la hante nuit et jour. Nous l’avions invité à écrire son histoire mais elle n’a pu le faire, malgré de nombreuses tentatives. Nous l’avons alors invitée à raconter les choses simplement, telles qu’elles se sont passées, mais elle se perd totalement, nous disant qu’elle n’arrive pas à distinguer ce qu’il est important de détailler de ce qui l’est moins, nous demandant de la guider tout en disant qu’il lui faudrait tout raconter mais que cela prendrait tellement de temps. Et finalement, elle s’effondre en disant que les mots font trop mal, font revivre la terreur, que le passé jamais ne pourra devenir le passé.

Au deuxième entretien, elle vient très en retard parce qu’elle a "oublié" où elle devait se rendre alors qu’elle est toujours d’une ponctualité extrême et que CASAS est l’un de ses principaux repères. Mais dans la nuit, elle a écrit un texte rendu quasi illisible par les rajouts et les choses barrées. Elle nous dit que finalement c’est moins dur d’écrire que de devoir parler et c’est ce récit qu’elle nous demande de traduire pour l’OFPRA sans rien y rajouter ni retrancher.

Malgré l’habitude de recevoir des histoires douloureuses, Yvetta, ma collègue russophone et moi-même sommes anéanties. Au fur et à mesure de ce qu’elle a écrit, nous nous demandons intérieurement « comment, mais comment est-il possible de survivre à cela ? ».

Finalement, comme si elle se sentait libérée de pouvoir se faire entendre, c’est Zarima elle-même qui va nous répondre sans le savoir. Elle nous dit que même si la terreur infiltre chaque instant de la vie quotidienne, il faut néanmoins continuer à la gérer, à chercher à nourrir la famille, à nourrir la vache qui est notre bien le plus précieux, à se laver, à veiller à éduquer nos enfants qui grandissent dans la tourmente d’un monde où plus aucune loi ne permet aux êtres humains de se respecter.

Et soudain, lui revient une histoire qui lui donne son premier sourire depuis qu’on la connaît. Ce jour-là, elle s’est retrouvée en plein bombardement de l’aviation russe dans une voiture qui l’avait prise au bord de la route avec ses trois enfants. Un de ses enfants tenait contre lui son chat qu’il refusait absolument d’abandonner. Sur la route, les explosions se multiplient, au bord de la route de nombreuses voitures sont en flammes. Le conducteur se dit qu’ils seront une des prochaines cibles. Il passe ses nerfs sur Zarima avec des termes que j’épure pour respecter sa pudeur « Comment ton connard de mari peut-il permettre de vous laisser sortir ? Où est-il ton mari ? Que je lui dise ses quatre vérités : laisser ainsi sous les bombes sa femme, ses trois enfants et en plus, son chat ! »

Puis lui revient un autre souvenir dont elle rit franchement. Ce jour-là, les forces fédérales avaient envahi une maison du village. Autour, les voisins tremblaient pour la vie des habitants, s’attendant au pire comme trop souvent. Ils ont regardé repartir les soldats qui ont pillé ce que bon leur semblait, téléviseur, mobilier, tableaux… Ils avaient déjà franchi le pont lorsque soudain la mère de famille est apparue à la fenêtre pour invectiver leur supérieur « Officier, Officier, tu vas nous rendre nos biens, tu m’entends ? Tu vas revenir immédiatement avec tes soldats pour ramener ce qui nous appartient ! ». Nous, les voisins, étions stupéfaits. Trop heureux de voir notre voisine en vie, nous ne comprenions pas comment elle pouvait avoir la folie de vouloir les rappeler. L’officier a répondu en la traitant de sale pute tchétchène. « Et bien, viens m’expliquer en face pourquoi je suis une pute ! ». L’officier et sa troupe s’en sont tenus aux insultes et ont poursuivi leur chemin à notre grand soulagement. Cette femme avait trop vécu la peur, maintenant elle était au-delà. Elle n’avait plus peur de rien et retrouvait ainsi la vertu toute simple de pouvoir s’adresser à eux et de bien entendre qu’on lui réponde.

Puis elle poursuit en se rappelant une nuit où des militaires ont investi leur maison pour une énième « opération de nettoyage » : une dizaine de militaires cagoulés, armés jusqu’aux dents, hurlant des ordres, jetant face contre terre ses fils aînés et son mari. Soudain elle voit qu’un soldat remet quelque chose à son tout petit de 7 ans. Elle se précipite, convaincue qu’il s’agit d’un explosif. Surprise, elle le voit mâchonner quelque chose qui ressemble à du chocolat. Elle lui arrache de la bouche ce qui n’a pas encore complètement fondu « Il veut t’empoisonner, crache tout ! ». Cette nuit-là, les militaires sont repartis, après avoir fait régner la terreur, mais en n’emmenant personne. Après leur départ, le petit, tout contrit, tend à sa mère le reste de la tablette de chocolat dans sa poche à laquelle il n’a plus osé toucher. C’est juste du chocolat, de la douceur, du sucré dont ses enfants sont depuis si longtemps privés.

Zarima repense à ce soldat. Elle voudrait s’excuser auprès de lui, elle s’est totalement méprise sur son geste, un geste de tendresse, un geste d’humanité qu’il a osé faire envers eux qui sont pourtant considérés comme des parasites à éliminer. Elle voudrait le revoir pour le remercier. Mais comment seulement pouvoir le reconnaître, ce n’est qu’une silhouette cagoulée se confondant à celles qui, d’autres fois, ont emmené ses proches vers des lieux de torture. Elle voudrait dire à sa mère combien son fils est quelqu’un de bien, mais voilà, comment faire pour que les mères russes et tchétchènes puissent se parler ?

Puis son visage s’assombrit à nouveau en pensant au moment où les militaires étaient en train d’emmener son fils aîné, la tête sous un sac et les mains liées. L’idée l’a traversée de s’emparer d’une grenade d’un soldat et de la dégoupiller : ainsi ils pourraient mourir tous ensemble plutôt que de laisser aller son fils vers le lieu de torture, dans ce garage désaffecté à proximité du village, d’où leur parviennent des cris depuis la première guerre en 1994, qui ont repris lors de la deuxième guerre en 1999, et qui la poursuivront toujours.

Mais de cela non plus l’OFPRA n’en aura pas connaissance. Ce n’est guère qu’une idée donnant la mesure de son désespoir, mais ce ne sont pas des faits « permettant d’établir leur réalité et de tenir pour fondées ses craintes en cas de retour dans son pays d’origine ».


Mon pays n’est plus sûr.

Salamatou vient d’un pays figurant sur la liste des pays sûrs définie par l’OFPRA, le Mali. Elle l’a fui parce que, encore mineure, elle a été mariée de force à un homme plus âgé que son père et qui la séquestrait et la violentait gravement depuis des années. Son mari bénéficiant d’un poste important auprès de la Présidence, Salamatou ne pouvait envisager d’obtenir une protection dans son propre pays.

Comme tout ressortissant d’un « pays sûr », Salamatou a le droit saisir l’OFPRA de sa demande de protection en procédure prioritaire. Lorsque nous rencontrons Salamatou, elle est livrée à la rue. A son arrivée en France, elle fut prise en charge par une de ses sœurs, de nationalité française. Mais suite aux graves menaces de la famille promettant de ramener Salamatou de force et de punir sa sœur en conséquence, Salamatou a débarqué à Strasbourg où elle ne connaît personne.

Nous n’arrivons pas à lui trouver un hébergement, le 115 est saturé. Elle vient à toutes nos permanences, pour prendre un thé et avoir un peu de chaleur. Elle nous répète qu’au pays, elle ne manquait de rien car elle vient d’un milieu très aisé mais elle préfère vivre ici, dans le dénuement le plus extrême, que dans cette cage dorée où son mari a droit de vie et de mort sur elle. Après des semaines de galère, Salamatou sera finalement hébergée dans un abri d’urgence à titre humanitaire. Plus de quatre mois après sa convocation à l’OFPRA, le rejet tombe, rejet mitigé puisque la gravité des violences subies est reconnue mais pas le caractère forcé du mariage qui serait, selon l’OFPRA, plutôt un mariage arrangé. Sic. Nous introduisons un recours.

Mais désormais Salamatou n’est plus protégée d’une reconduction, le recours n’est pas suspensif. Cela était d’ailleurs déjà le cas avant la cascade des nouvelles dispositions législatives initiées par notre Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, et qui vident inexorablement la Convention de Genève de son sens. Mais ce qui change désormais, c’est l’esprit des lois et de leur application. Ce qui change, ce sont des pratiques préfectorales et policières soumises à une exigence de résultats chiffrés dans les interpellations et les mesures de reconduction, et cela en l’absence de tout discernement.

Auparavant, en cas de contrôle, s’il s’avérait que cette personne avait une procédure de demande d’asile en cours, la préfecture en tenait compte et attendait la décision avant de prendre une mesure de reconduite à la frontière. Maintenant, ces mêmes personnes risquent réellement un renvoi dans leur pays alors que leur demande d’asile n’a pas encore été examinée par la Commission des Recours des Réfugiés. Comment ne pas penser à ces innombrables personnes reconnues réfugiées ces dernières années, et qui, dans un tel contexte, auraient pu être renvoyées à la mort avant même d’avoir été jugées par la Commission qui reconnaîtra leur besoin de protection ?

Salamatou a été convoquée par la Commission des Recours et elle aborde maintenant la période la plus dure de la procédure : l’attente de trois semaines pour connaître cette décision ultime, qui bouleversera totalement le cours de sa vie. Le courrier en recommandé arrive un vendredi, elle ne pourra le réceptionner que le lendemain matin. Elle est dans l’état habituel où se trouvent les demandeurs d’asile dans l’attente de cette décision, elle ne dort plus, elle ne mange plus, tout est suspendu à ce courrier. Sera-t-elle protégée ou rejetée ? Comment continuer à vivre s’il lui faut entrer dans la clandestinité ? Nous essayons de temporiser, ce n’est pas aujourd’hui qu’il lui faut répondre à ces questions, demain on verra.

Mais elle revient nous voir le même soir, au moment où nous fermons les portes. Son anxiété a décuplé, elle vient d’être contactée par la PAF (Police de l’Air et des Frontières) dans le foyer où elle est abritée. Ils lui ont dit qu’il serait bon d’accepter de se rendre volontairement au Mali, que ce serait moins désagréable qu’en étant escortée par deux policiers. Je téléphone à la PAF. J’explique que la réponse à sa demande d’asile est imminente. On me répond qu’elle est en situation irrégulière depuis plus de six mois. C’est vrai, cela fait plus de six mois qu’elle attend que la CRR instruise son dossier. Je demande d’attendre, au moins cette décision. On me répond que ce n’est pas cette nuit qu’ils iront l’arrêter, ni même ce week-end, lundi on verra.

Le lendemain matin, je suis devant la poste avec Salamatou pour chercher la lettre à l’ouverture des bureaux. Bien sûr, comme je m’y attendais, elle me demande d’ouvrir le courrier. Elle n’en a pas la force. Je lui demande si elle est prête à entendre la réponse. Oui, oui, il le faut. Je cherche en vain un banc ou un rebord de fenêtre où nous appuyer, mais rien. J’ouvre le courrier et vais immédiatement à la dernière page : la protection lui est accordée. Elle téléphone en pleurs à sa sœur. Nous tombons dans les bras l’une de l’autre, on ne sait pas trop qui soutient l’autre.

Je rentre à la maison, je suis cassée, je téléphone quand même à la PAF pour leur annoncer la bonne nouvelle. Quelle bonne nouvelle ? Vous n’avez plus à vous occuper de Madame S, elle vient d’être reconnue réfugiée. Et bien tant mieux pour elle. Mais si vous l’aviez reconduite au pays, que ce soit la nuit dernière ou il y a six mois, vous l’auriez exposé à un danger de mort qui vient d’être reconnu avéré. Cela ne relève ni de notre rôle ni de notre compétence, nous nous contentons de reconduire des gens en situation irrégulière. Je sais, mais la réalité est là, prenez en conscience, s’il vous plait !

Je ne veux pas croire que la police a vraiment conscience de ce qu’elle fait lorsqu’elle ne fait qu’exécuter les ordres. En janvier dernier, trois Tamouls ont été reconduits à Colombo à partir du Centre de rétention de Geispolsheim. Ils ont été renvoyés directement entre les mains des autorités auxquelles ils voulaient échapper, à un moment où la communauté internationale reconnaît unanimement que la guerre civile ravage à nouveau le Sri-Lanka, qu’il n’y a plus d’Etat de droit, que les exactions et les tortures sont quotidiennes.

Le juge du Tribunal Administratif a cependant confirmé que leur demande d’asile avait un caractère dilatoire alors qu’ils ont été contrôlés par la police dès leur arrivée sur le territoire et qu’ils n’ont pas eu le temps de s’adresser à une préfecture. Je ne veux pas croire que la justice a vraiment conscience de ce qu’elle fait lorsqu’elle ne fait qu’appliquer les lois.

Non, mon pays, la France, n’est plus un pays sûr pour les plus faibles d’entre nous, notamment pour ceux qui n’auront pu trouver ailleurs la justice et la protection.