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Complexité

Rencontre n°25 (24.04.2007)

L’asile sociétal :
l’accueil des exilés sans ou contre l’Etat

Présidente de séance : Jane FREEDMAN

Intervenants : Laurent BONELLI, Alain BROSSAT, Damien DE BLIC, Emmanuel TERRAY, Jérôme VALLUY

Le droit d’asile contemporain, en partie issu du marasme éthique des démocraties face au besoin de protection des Juifs, dès les années 1930, est énoncé dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 : Articles 13 « 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Article 14 : « 1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Inscrits au sommet de nos principes juridiques, ces droits fondamentaux ont connu un début de mise en œuvre par les Etats, avec la Convention de Genève sur les Réfugiés (1951). Les procédures qui en sont issues ont néanmoins évolué depuis trente ans dans le sens d’une augmentation continue des taux de rejet jusqu’aux maxima actuels proches des 100%. Plus encore, les politiques sécuritaires menées aux frontières et autour des pays européens restreignent l’accès à la procédure elle-même et transforment les exilés arrivant sur nos territoires en « déboutés du droit de l’asile » souvent désignés comme « sans-papiers ».

Cependant, l’asile étatique, référé à la Convention de Genève sur les Réfugiés (1951), en devenant marginal, a laissé place à un asile sociétal qui, dans de nombreux pays d’accueil, forme aujourd’hui l’essentiel de la protection internationale proclamée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948). Souvent déboutés de l’asile étatique, les "sans-papiers" bénéficient de cet asile sociétal qui est le fait de voisins, d’amis, de militants des solidarités, d’instituteurs et parents d’élèves, d’organisations confessionnelles, de certains fonctionnaires de l’Etat, de certaines collectivités locales... agissant souvent en dehors du droit et de l’action étatiques et de plus en plus souvent contre eux. Ce phénomène social a déjà été observé dans d’autres périodes de l’histoire et dans d’autres pays ; il souligne la réapparition dans notre société d’une disjonction politiquement cruciale entre le champ de la légimité éthique et celui de la légalité.

Du point de vue des sciences sociales, l’asile sociétal est un fait social devant être étudié comme d’autres faits sociaux dans le respect des règles et méthodes d’observation de la recherche. Ce type d’étude amène à s’intéresser aux parainages républicains de sans-papiers par les mairies, aux mobilisations des acteurs scolaires (RESF), aux résistances des parents d’élèves ou de militants contre les arrestations policières, aux dévouements individuels dans la prise en charge et la protection d’exilés sans papiers, à la criminalisation des actes de solidarité et aux risques encourus par les résistants, aux régles mobilisables en défense et en faveur des solidarités, au retour des camps et des rafles tant à l’intérieur de l’Europe que dans sa périphérie immédiate, à la réapparition d’une disjonction de plus en plus largement perçue entre légalité et légimité, aux clivages qui traversent les corps de fonctionnaires ainsi qu’aux antagonismes entre fonctionnaires de l’Etat et citoyens, aux figures ambivalentes, héroïques ou mercantiles, des passeurs et autres soutiensaux exilés, à l’exploitation économique des « sans-papiers »....